M. David Assouline. Cet article peut être considéré comme un nouveau tour de passe-passe de la part du Gouvernement.
La prise en considération de la pénibilité aurait dû permettre de déboucher sur une possibilité de départ en retraite anticipée. Vous avez décidé que cela ne se ferait pas. Et vous avez bricolé à cette fin un dispositif de prise en compte de l’incapacité permanente individuelle qui n’apporte rien de nouveau et aucun progrès pour tous ceux qui ont eu à subir un travail pénible.
L’astuce consiste à ne pas prendre en compte l’exposition à un travail pénible, mais seulement les séquelles éventuelles à l’instant T.
De plus, cette procédure de reconnaissance individualisée vous permet de ne pas considérer les maladies à effet différé. Vous savez parfaitement que la majorité des cancers dus à l’exposition et à la manipulation de produits cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, CMR, se déclenche plusieurs années après la fin d’activité professionnelle.
On reste donc dans le dispositif préexistant, sans rien de nouveau. Vous gagnez ainsi sur les deux tableaux.
D’abord, vous ne reconnaissez pas la pénibilité. Vous contournez la notion, tout en l’inscrivant dans la loi.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. David Assouline. Comme nous l’avons déjà dit, vous n’expliquez surtout pas en quoi elle consiste, car cela vous entraînerait à reconnaître qu’elle pourrait avoir des conséquences sur tous ceux qui y sont exposés.
M. Roland Courteau. Et oui !
M. David Assouline. Ensuite, et grâce à cela, vous mettez en place une procédure individualisée.
Des esprits malintentionnés pourraient dire que cette procédure ressemble à celle que proposait le MEDEF lors des dix-huit séances de négociation inabouties avec les syndicats sur le sujet. Mais c’est inexact. Elle ne lui ressemble pas. C’est la même. Mot pour mot.
M. Roland Courteau. Tiens donc ! C’est bizarre !
M. David Assouline. C’est une procédure qui ne reconnaît pas la pénibilité du travail, qui oblige chaque salarié abîmé à passer devant une commission qui déterminera son taux d’incapacité.
Vous vous prévalez du taux de 10 % d’invalidité, que vous auriez concédé comme un cadeau, alors qu’il ne concernera que 5 % des salariés tout au plus, soit environ 30 000 personnes. Pourtant, le nombre de salariés exposés aux substances CMR, aux horaires de nuit et décalés, au bruit, au port de charges lourdes est bien plus important.
Aujourd'hui, 3 700 000 salariés travaillent de nuit, régulièrement ou non ; 1 700 000 personnes sont exposées aux produits toxiques. II n’est pas honnête de prétendre que l’on fait une réforme sociale avec des chiffres pareils.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. David Assouline. Et surtout – puisque vous n’arrêtez pas de dire qu’il y a une prise en compte, un progrès par rapport à l’existant – quel progrès cette réforme représente-t-elle ? Absolument aucun, monsieur le ministre.
Qu’accorderez-vous aux victimes de la pénibilité ? Je dis bien « victimes » puisqu’un taux d’incapacité partielle permanente leur sera reconnu.
Vous leur accorderez royalement, au mieux, le droit de partir en retraite à 60 ans. Vous leur accorderez ce qu’ils ont déjà aujourd’hui sans incapacité. Le progrès aurait été, et c’est ce que vous aviez promis en signant les accords de 2003 qui maintenaient l’âge légal de départ à 60 ans, d’avoir une possibilité de partir avant 60 ans.
En résumé, il faudra être reconnu invalide pour partir à 60 ans. En fait, une fois de plus, votre réforme est une régression, fondée sur la compassion des puissants envers ceux qui n’ont pour patrimoine que l’espoir de leur retraite.
Ce qui est encore un droit pour tous aujourd’hui, parce que la gauche l’a voulu, devient un avantage qu’il faudra demander et pour lequel il faudra en somme passer un examen. Je ne vous dis pas, pour ceux qui ont fait une carrière longue, qui ont trimé toute leur vie, l’humiliation que cela représentera !
Ce procédé et la publicité mensongère qui l’accompagne sont intolérables au regard de ce que vivent aujourd’hui les travailleurs, au regard de l’usure et des souffrances des plus exposés. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, sur l’article.
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, disons-le d’emblée, si d’aucuns se font violence pour abandonner un travail gratifiant, nombre de salariés attendent plutôt leur retraite comme une libération, a fortiori dans les secteurs pénibles.
Même après les maigres concessions consenties en septembre par le Président de la République, le volet « pénibilité » de cette réforme des retraites est totalement insuffisant.
Il est insuffisant parce que ne pourront partir en retraite anticipée que les personnes ayant un taux d’incapacité permanente supérieur à 20 % ou supérieur à 10 % à condition de prouver que « l’incapacité est directement liée à l’exposition à des facteurs de risques professionnels ». N’oublions pas d’ailleurs que le projet de loi initial prévoyait une condition d’IP de 20 %. Le Gouvernement a concédé la diminution du taux de 20 % à 10 % contre l’insertion dans le texte de conditions de preuve, de lien direct et l’aval d’une commission dont on ignore la composition.
Mais ce volet est aussi et surtout inacceptable parce qu’il exclut des personnes qui, à 60 ans, n’ont pas de séquelles physiques mais dont l’espérance de vie est pourtant réduite, en raison même de leurs conditions de travail.
M. Roland Courteau. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Godefroy. Tel est évidemment le cas des personnes exposées à des produits cancérigènes, comme l’amiante, mais comme aussi de nombreux autres produits largement présents en milieu de travail. Le Gouvernement ne peut pas feindre d’ignorer que les deux tiers des cancers d’origine professionnelle se déclarent après l’âge de 60 ans.
Seront également exclues de ce dispositif les personnes travaillant de nuit ou portant des charges lourdes, dont il est pourtant démontré l’impact en termes d’espérance de vie et encore plus en termes d’espérance de vie en bonne santé.
Je ne comprends pas pourquoi vous refusez d’entendre, monsieur le ministre, que le travail posté, le travail de nuit ou l’exposition quotidienne à des substances toxiques ont des conséquences sur la santé et sur la durée de vie.
Ils sont pourtant de plus en plus nombreux ces quinquas usés par des carrières longues aux conditions de travail difficiles pour qui la retraite ne sera qu’un bref moment de répit avant de fermer les yeux.
Vous vous entêtez à ne pas vouloir entendre. Ainsi, pour vous, il faut être invalide ou handicapé pour partir plus tôt à la retraite.
M. Roland Courteau. Il n’écoute pas !
M. Jean-Pierre Godefroy. Mais que signifie pouvoir partir plus tôt : est-ce que cela correspond à 50 ans ou à 55 ans ? Non ! Lorsque le Gouvernement annonce dans tous les médias que les salariés concernés pourront partir plus tôt, cela signifie qu’il faudra attendre 60 ans, c’est-à-dire à peine quelques mois avant les autres ! Mais 60 ans, c’est déjà l’âge auquel ils partent aujourd’hui !
Mme Raymonde Le Texier. Absolument !
M. Jean-Pierre Godefroy. On cherche donc désespérément où se cache le progrès dans ce prétendu nouvel acquis social !
Le Gouvernement a cherché à leurrer nos compatriotes sur un sujet aussi sensible que la santé de chacune et chacun en tentant de leur vendre l’invalidité et l’inaptitude comme étant une prise en compte de la pénibilité du travail. Cela fait sans conteste de cet article l’un des plus cyniques de votre projet de loi.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Pierre Godefroy. A contrario, ce que nous proposons, c’est une approche plus globale, qui ne définisse pas des métiers pénibles mais des facteurs de pénibilité et ouvre à tous les salariés concernés le droit à une juste compensation. Ils bénéficieraient ainsi, en fonction des années d’exposition, de majoration de cotisations ou de bonification de trimestres pour pouvoir partir plus tôt en retraite, avec l’ensemble des trimestres exigés par le droit commun.
Franchement, ce débat est surréaliste parce que, nous, nous parlons de pénibilité quand, vous, vous n’en parlez pas. Il est surréaliste parce que nous privilégions une logique juste et collective, ce qui n’exclut pas l’accès individuel, quand, vous, vous faites le choix d’une logique purement individualiste et médicalisée. Certes, c’est plus simple, ça ne coûte pas cher, mais ça ne règle pas le problème.
Permettez-moi un dernier mot concernant l’application de l’article 40 de la Constitution.
Quatre amendements que nous avions prévu de déposer sur cet article 27 ter AC ont été déclarés financièrement irrecevables. Ils prévoyaient d’assouplir les conditions pour bénéficier du dispositif de départ anticipé à la retraite pour cause de pénibilité. Le président de la commission des finances a alors considéré qu’ils étaient irrecevables parce qu’ils aggravaient une charge publique, ce que je n’admets pas.
La charge publique en question n’existe pas encore puisque c’est justement l’objet de l’article que nous allons étudier et il revient normalement au Parlement d’en définir le périmètre. Mais en fait nous n’avons pas vraiment le choix : soit nous prenons le dispositif tel qu’il est, soit nous sommes plus restrictifs encore, mais il est impossible de l’amender ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, sur l’article.
M. Guy Fischer. De manière assez intéressante, si la discussion de l’article précédent sur la composition d’un comité à caractère consultatif a provoqué, du côté droit de cet hémicycle, la production d’un certain nombre d’amendements, il n’en est pas de même de l’article 27 ter AC qui établit une confusion entre retraite anticipée et invalidité. Seuls en effet les parlementaires de gauche ont jugé utile de déposer un amendement sur un article qui s’inscrit tout de même en recul sensible par rapport à l’existant.
Mettons-le en effet en perspective pour bien comprendre comment fonctionne le système.
Il est inscrit, dans les articles 4,5 et 6 du projet de loi que l’on va procéder à l’accroissement du nombre des annuités, ensuite, au recul de l’âge de départ en retraite et, enfin, au recul du départ en retraite sans décote.
On met ensuite les partenaires sociaux, dans le cadre des accords de branche, en demeure d’adapter le contenu de leurs accords collectifs à cette nouvelle donne, singulièrement pour le dispositif carrières longues pour lequel un décret prochain va consacrer le recul à 60 ans de l’âge d’ouverture du droit au départ anticipé.
On s’attaque ensuite à la médecine du travail, qu’on décide de réformer pour l’instrumentaliser au profit des contraintes de production, c’est-à-dire de la gestion de la main-d’œuvre en donnant bien sûr la primauté aux entreprises.
Alors, dans ce schéma, cet article se présente comme un nouveau recul social exemplaire. Plus de préretraite progressive ou de départ anticipé ! La seule possibilité existante sera de prouver par A + B qu’on n’en peut plus et que le corps ne suit plus.
Que va-t-on y gagner ? On ne sait pas trop puisque c’est un décret qui va fixer les conditions de prise en compte.
On pourrait presque poser ironiquement la question suivante : pour trois doigts coupés, un trimestre ?
On va donc cantonner le droit au départ anticipé soit à des carrières longues qui vont encore s’allonger, soit à l’invalidité de travail empêchant de continuer à travailler.
Ce n’est plus la retraite par répartition, c’est la retraite par réparation ! Et ce n’est plus la mise en retraite des salariés âgés, c’est la mise à la réforme des salariés âgés devenus incapables de produire suffisamment. Nous savons que cette technique est employée depuis des décennies.
D’ailleurs, on peut presque se demander pourquoi, au titre IV, le chapitre Ier est intitulé « prévention de la pénibilité », puisque la procédure suivie par cet article 27 ter AC est l’exemple même de l’absence de prévention !
À la vérité, le sort fait au monde du travail est peu satisfaisant. Le recul social imposé à tous sur la retraite s’accompagne d’une forme de commisération hypocrite sur les victimes de l’exploitation qui réduit le droit au repos à ce que j’oserai presque qualifier de forme de charité. En tout état de cause, on peut s’interroger sur cette question.
En réalité, il ne s’agit que de complaire au patronat – nous ne cesserons de le répéter – en lui permettant de se débarrasser de salariés trop âgés qui pourraient s’avérer aussi coûteux.
Autrement, pour les salariés âgés en bonne santé dont on voudrait se débarrasser, il restera toujours la rupture conventionnelle, cette énormité juridique, créée il y a peu et qui, sans surprise, frappe singulièrement les plus de 55 ans. Et cela fonctionne… puisque des centaines de milliers de travailleurs souscrivent à la rupture conventionnelle ! M. le ministre pourrait d’ailleurs nous indiquer à combien de ruptures conventionnelles nous en sommes parvenus.
Quand les seniors s’inscrivent à Pôle Emploi, une fois sur cinq, c’est à la suite de ce divorce à l’amiable, ce qui n’est pas, chacun s’en doute, la vérité d’un tel dispositif !
Voilà ce que je me permets de rappeler à l’occasion de la discussion de cet article.
M. le président. La parole est à Mme Annie David, sur l'article.
Mme Annie David. Cet article, malgré les modifications qu’il a connues lors de son débat devant l’Assemblée nationale, malgré les travaux de notre commission et son changement de position dans le texte, apporte une bien mauvaise réponse à la nécessaire prise en compte de la pénibilité comme devant créer le droit à départ anticipé à la retraite pour certains salariés.
Selon l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE, l’espérance de vie des ouvriers reste très nettement inférieure à celle des cadres. Pour les hommes, par exemple, elle est de 74 ans contre 81 ans – Guy Fischer le rappelait à l’instant.
En outre, cet écart aurait augmenté d’un an en dix ans. S’agissant de l’espérance de vie en bonne santé, les études établissent qu’au sein d’une vie déjà plus courte, les ouvriers passent moins de temps en vie sans incapacité ou handicap que les cadres.
Les personnes ayant effectué des travaux pénibles jouissent moins longtemps que les autres salariés d’un temps de vie à la retraite en bonne santé et perçoivent donc leur pension de retraite pendant une durée plus courte.
Pour compenser cette injustice flagrante, le Gouvernement a fait le mauvais choix. Vous nous parlez d’équité, monsieur le ministre, mais quand il s’agit d’une équité en faveur des salariés, vous n’arrivez pas à aller jusqu’au bout.
Vous n’en voulez pas, surtout ! En effet, si vous aviez vraiment voulu parler d’équité et pratiquer l’équité, vous auriez dû opter pour un dispositif collectif, reconnaissant le droit aux salariés concernés par ces conditions de travail pénibles et usantes pour la santé de partir de façon anticipée à la retraite.
M. Roland Courteau. Évidemment !
Mme Annie David. Ce mécanisme, cette progressivité de l’âge de départ à la retraite en fonction du degré de pénibilité de l’emploi occupé aurait eu l’avantage de rétablir une certaine forme d’égalité des travailleurs face à l’espérance de vie en bonne santé. Il existe bien – vous allez me dire, mes chers collègues, que je ramène toujours tout au libéralisme et à l’argent – une progressivité de l’impôt sur le revenu, qui contrebalance la disparité des salaires pour obtenir une égalité concrète devant l’impôt.
Or, monsieur le ministre, vous avez retenu un dispositif d’une tout autre logique, individualisé, médicalisé et fondé uniquement sur l’usure avérée. Ce mécanisme ne tient pas compte de la pénibilité de certains emplois, mais s’appuie sur les règles concernant l’invalidité. C’est sciemment que vous mélangez ces notions pour, au final, ne faire jouer aucun effet propre à la pénibilité.
De plus, le mécanisme retenu exclut les salariés pour lesquels il n’existe pas de tableau de maladies professionnelles ou qui n’auront pas réussi à franchir la barrière des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles, qui sont très restrictifs. Il exclut nombre de salariés victimes du travail, mais ne pouvant pas forcément justifier d’un taux d’incapacité permanent au moment de leur fin de carrière, l’atteinte à la santé due au travail pénible ayant un déclenchement différé.
Par ailleurs, les ajouts effectués devant l’Assemblée nationale sont loin d’améliorer le texte. En effet, ils remettent en question la présomption d’imputabilité qui régit la reconnaissance des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Le salarié devra prouver de nouveau, au moment de son départ à la retraite, que son incapacité est bien due au travail, alors qu’il est déjà reconnu en incapacité permanente pour cette raison.
Il devra encore prouver que, pendant un nombre d’années – d’ailleurs déterminé par décret –, il aura été exposé à un ou plusieurs risques professionnels.
Enfin, il devra passer devant une commission pluridisciplinaire, dont la composition, là encore, sera fixée par décret et qui sera peut-être constituée de médecins n’appartenant pas à la médecine du travail – rien ne nous dit le contraire. Cette commission jugera, sans appel, s’il apporte bien toutes les preuves.
En l’état, cet article doit être entièrement réécrit car la solution que le Gouvernement a retenue est humainement, médicalement et juridiquement inacceptable. Il ne s’agit pas de pénibilité, mais uniquement d’incapacité permanente !
Ce n’est donc en rien une avancée. C’est peut-être même un recul si c’est une brèche dans la présomption d’imputabilité des accidents du travail et des maladies professionnelles, ou dans les accords existant dans de nombreuses entreprises, qui, aujourd’hui encore, reconnaissent ce droit au départ anticipé à la retraite en cas de conditions pénibles de travail. Je pense notamment aux entreprises fonctionnant sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Cette mesure fait donc l’unanimité contre elle, et tous les spécialistes, médecins comme juristes, se demandent comment elle a même pu être proposée. (M. Roland Courteau acquiesce.)
Mes chers collègues, il est temps de se reprendre : vous pouvez encore rejeter cet article ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera, sur l'article.
M. Bernard Vera. Cet article, qui contient une des dispositions phare du projet de loi, est l’un de ceux qui suscitent le plus de réactions négatives. Comme vient de le dire ma collègue Annie David, cette disposition fait l’unanimité contre elle, à l’exception, bien entendu, du MEDEF et de ses ramifications. Et encore, car ces organisations possèdent des juristes qui, eux aussi, sont perplexes !
Cet article 27 ter AC est le premier du chapitre intitulé « compensation de la pénibilité ». Or, et c’est particulièrement grave, il ne traite pas du tout de pénibilité.
Avec ces dispositions, monsieur le ministre, vous prévoyez que l’âge du départ à la retraite sera « abaissé » pour les assurés justifiant d’une incapacité permanente, au sens de l’article L.434-2 du code de la sécurité sociale, au moins égale à un taux déterminé par décret. Depuis, nous avons appris que ce taux serait de 20 %.
Que nous dit cet article L.434-2 du code de la sécurité sociale ? « Le taux de l’incapacité permanente est déterminé d’après la nature de l’infirmité, l’état général, l’âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d’après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d’un barème indicatif d’invalidité. »
Donc, explicitement, cet article parle d’incapacité permanente partielle, et non de pénibilité. Non seulement vous retenez une conception strictement individuelle de la pénibilité, mais, en plus, en ne la plaçant que sur le terrain médical, vous confondez des notions ou prétendez les confondre.
Au cours des débats, vous nous avez mis au défi de vous apporter des éléments précis pour justifier notre affirmation quant à la soumission des médecins du travail aux chefs d’entreprise. Nous vous avons prouvé que cette soumission existait, même si elle est indirecte, les médecins du travail étant soumis au directeur du service de santé au travail, lui-même soumis au chef d’entreprise.
À notre tour de vous mettre au défi : essayez de trouver un seul médecin, du travail ou non, ou un seul juriste qui affirmera que votre article 27 ter AC traite de la pénibilité, et non de l’incapacité ou de l’invalidité !
À ce stade de la discussion, peut-être faut-il effectivement se référer au dictionnaire et au dictionnaire juridique.
L’incapacité est l’état d’une personne qui, à la suite d’une blessure ou d’une maladie, est incapable de travailler ou d’accomplir certains actes. Au-delà d’un certain nombre d’années d’arrêts de maladie indemnisés ou en cas de stabilisation de l’état de santé, la sécurité sociale déclenche, sous certaines conditions, un état d’invalidité.
L’invalidité est l’état d’une personne ayant subi, d’une manière durable, une réduction des deux tiers de sa capacité de travail ou de gain. Il s’agit là d’une notion de sécurité sociale, sans lien direct avec le droit du travail au sens strict et sans conséquence directe sur le contrat de travail.
L’inaptitude est l’état d’une personne dans l’impossibilité physique ou psychique de réaliser toutes les tâches liées à son emploi. C’est le médecin du travail de l’entreprise qui décide si la personne est considérée apte ou inapte.
La pénibilité, quant à elle, est plus complexe à définir, du moins la pénibilité au travail.
Plusieurs études ont été menées pour tenter d’évaluer cette dernière. Ainsi, comme cela a été plusieurs fois expliqué au cours de notre débat, il a été établi qu’un ouvrier a une espérance de vie de sept ans inférieure à celle d’un cadre.
Des facteurs ont également été retenus pour définir la pénibilité : par exemple, le travail de nuit – une des premières causes de vieillissement prématuré –, le travail à la chaîne et le déplacement de charges lourdes provoquent des troubles physiques aux conséquences irréversibles et l’exposition à des produits toxiques est à l’origine de nombreuses maladies.
Avec cet article, vous ne tenez pas compte de la pénibilité en tant que telle. Vous prévoyez simplement que des personnes déjà accidentées au travail, malades du travail ou mutilées au travail pourront partir un peu plus tôt à la retraite. Un point, c’est tout !
De plus, en fixant des conditions supplémentaires au droit au départ anticipé à la retraite quand l’incapacité n’est que de 10 %, vous remettez en cause un droit de plus.
Il existe en droit une présomption selon laquelle un accident survenu sur le lieu du travail est un accident du travail. Pour les maladies professionnelles, c’est le même mécanisme. Si, dans votre système, vous obligez le salarié au stade de la retraite à prouver de nouveau que son atteinte provient bien du travail, vous remettez alors en cause cette présomption. (M. Roland Courteau acquiesce.)
Avec cet article, monsieur le ministre, vous faites donc d’une pierre deux coups. Vous ne tenez aucun compte de la pénibilité et la présomption d’imputabilité évoquée plus haut est supprimée.
Décidément, avec cette réforme, nous sommes face à des dispositions qui constituent un très grave recul social ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Charles Revet, sur l'article. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Guy Fischer. Ils se décident ! (Sourires.)
M. Jean-Marc Todeschini. Vous avez donc des choses à dire !
M. Charles Revet. Merci de ces exclamations, mes chers collègues ! Je sens bien que mon intervention est attendue, notamment par vous, madame la présidente de la commission des affaires sociales. (Nouvelles exclamations.)
M. Guy Fischer. C’est vrai !
M. Charles Revet. Nous sommes tous d’accord pour admettre qu’il existe des professions dont la nature même les rend plus pénibles pour celles et ceux qui les exercent. Elles ressortissent pour l’essentiel aux métiers manuels.
Cela ne veut pas dire, dans mon esprit, que toutes celles et ceux qui exercent un métier manuel sont automatiquement concernés par la pénibilité ou que, dans une même profession, toutes celles et ceux qui l’exercent doivent bénéficier des dispositions mises en place au titre de la pénibilité.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est contradictoire !
M. Charles Revet. Il est certain que, dans de nombreux métiers, des personnes pourront justifier d’un examen particulier de leur situation. Je pense aux salariés de certains secteurs des métiers du bâtiment, de la mer, de l’agriculture, des transports, et je pourrai en citer bien d’autres !
Dans le cadre de la préparation de mon rapport concernant la réforme portuaire, je me suis rendu sur les sites. Manifestement, certains types d’emplois pourraient justifier d’une prise en compte au titre de la pénibilité.
En disant cela, vous avez compris, mes chers collègues, que je différencie bien entendu la démarche de blocage de nos ports, qui peut être suicidaire pour notre avenir portuaire, de l’interrogation de certains travailleurs portuaires quant à la prise en compte de leur situation au niveau de la pénibilité.
Un sénateur de l’UMP. Très bien !
M. Charles Revet. Mon souhait, monsieur le ministre, serait, non pas que vous listiez les métiers ressortissant à la pénibilité, mais que vous nous indiquiez par qui et comment vont être déterminées les professions pouvant être concernées et les conditions, pour les personnes, de leur éligibilité. (Applaudissements sur diverses travées.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, sur l'article.
M. Jean-Jacques Mirassou. Les manifestants ont été nombreux à évoquer la pénibilité au travail et les futurs manifestants le seront également.
Or, comme cela a été dit à de multiples reprises, monsieur le ministre, en contradiction avec l’intitulé du chapitre que cet article 27 ter AC inaugure – « Compensation de la pénibilité » –, vous sautez à pieds joints par-dessus cette considération pour ne parler que de l’incapacité permanente. Pour ce faire, vous entretenez une confusion entre la pénibilité et les pathologies inhérentes à la pénibilité qu’ont subie les travailleurs pendant de longues années.
C’est un choix délibéré que vous avez fait ! En insistant sur l’incapacité permanente, évoquée comme une fatalité, vous mettez « hors jeu » l’article précédent, qui évoquait à toute force la prévention des pathologies liées à la pratique d’un certain nombre de professions.
Vous persistez à confondre pénibilité et incapacité permanente. Ce faisant, vous ignorez délibérément le fait que nous sommes aujourd’hui capables d’évaluer, profession par profession, l’espérance de vie de chaque travailleur dans chacune des professions concernées, et de vérifier le différentiel qui existe, en termes d’espérance de vie, entre ouvriers et cadres.
Il était possible d’introduire dans ce texte la notion de pénibilité, afin d’épargner à ceux qui sont les plus exposés, autant que faire se peut, des années supplémentaires de travail, et de mettre en place un dispositif leur permettant d’accéder à la retraite anticipée.
Au lieu de cela, on dira à celui qui a respiré des produits polytoxiques pendant toute sa carrière, à celui qui a répandu du goudron, à celui qui a respiré de l’amiante : « tant qu’aucune pathologie n’est déclarée, vous n’avez pas exercé de métier pénalisant ou pénible ».
M. Roland Courteau. Voilà !