M. le président. La parole est à M. François Autain, pour explication de vote.
M. François Autain. Monsieur le ministre, vous avez indiqué tout à l’heure que le Gouvernement n’avait pas de tabou. J’en vois quand même au moins un : le bouclier fiscal !
M. Jean Desessard. Eh oui !
Mme Annie David. C’est le tabou principal !
M. François Autain. Ce n’est pas parce que nous avons des tabous que nous sommes favorables à la retraite à 60 ans : c’est parce que cela correspond, pour un très grand nombre de travailleurs dans le pays, à une véritable nécessité.
Après d’autres, je veux à mon tour évoquer la pression permanente infligée par des directions qui ont perdu tout sens de l’humain et qui, aujourd’hui, ne se considèrent plus que comme des machines à générer des profits.
Il y a aussi les conditions de travail dégradées qui portent atteinte à l’état de santé physique et mentale des salariés ; l’explosion en cours depuis quelques années des risques psychosociaux ; la perte du sens de l’activité professionnelle qui conduit à déshumaniser le travail ; la mise en concurrence permanente des salariés de l’entreprise entre eux, mais également avec les salariés d’autres pays européens, puisque vous refuser d’harmoniser vers le haut les législations du travail ; l’explosion continue de la précarité ; l’impression, bien réelle, de travailler toujours plus pour des salaires toujours plus bas ; le chantage permanent à l’emploi ou à la délocalisation....
Voilà les réalités que vous entendez imposer deux ans de plus aux salariés de notre pays. Bien sûr, je ne veux pas dire que tous les salariés sont en souffrance au travail, mais il faut souligner que les modèles économiques qu’on impose aux entreprises se transposent directement aux salariés.
La commission des affaires sociales a réalisé sur le sujet un important travail de réflexion, d’échange et de proposition. L’une des idées fortes est précisément, comme le rappelle Marie Pezé, docteur en psychologie, que cette souffrance résulte « de l’intensification du travail exigé des salariés ».
Avec cet article 5, alors même que vous avez renoncé à combattre résolument la souffrance au travail et que vous avez, pour ne pas fâcher le MEDEF et ne pas accroître le coût du travail, renoncé à prendre à bras-le-corps la question de la pénibilité, vous imposez le report de la retraite à 62 ans.
Autrement dit, le travail va mal, il fait mal et vous l’infligez deux ans de plus aux salariés de notre pays ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Et ce ne sont pas les quelques mesures prises concernant la pénibilité qui y changeront quelque chose. L’appréciation au cas par cas conduit en réalité à une nouvelle définition de la pénibilité. Mais surtout, vous vous limitez aux seuls aspects physiques de la souffrance, écartant de fait les questions liées aux souffrances psychiques.
À titre d’exemple, la reconnaissance de l’impact des horaires décalés sur la santé aurait dû vous conduire à prendre immédiatement un certain nombre de mesures. Cela aurait été l’occasion de plafonner les heures que peuvent être amenés à accomplir les cadres qui sont au forfait ou à limiter dans les entreprises le recours aux contrats atypiques, comme les contrats à temps partiel, voire très partiel, caractérisés par des miettes d’horaires.
Cette situation est d’autant plus inacceptable que seuls les salariés sont amenés à faire des efforts supplémentaires. C’est sur eux que pèse le poids financier de cette réforme : ils paieront 85 % du coût de celle-ci, on l’a dit, mais il n’est pas inutile de le répéter.
Pour les salariés de notre pays qui seront contraints de travailler deux ans de plus, c’est la double peine : ils voient leur période de travail rallongée, ils perdent deux ans qu’ils auraient pu consacrer à la vie associative, sociale, familiale, bref, à leur épanouissement personnel, et ils ont de surcroît à supporter des conditions d’emploi qui ne cessent de se détériorer.
Au sein du groupe CRC-SPG, nous sommes convaincus – nous l’avons dit dans le cadre de la mission de réflexion sur la souffrance au travail, où nous étions représentés par Annie David, et dans notre proposition d’enquête sur les problèmes psychosociaux – que le travail doit être réformé, qu’il doit être radicalement repensé.
Dans ce contexte, l’application de cet article 5 ne pourra être que génératrice de souffrances accrues. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.
M. Gérard Longuet. Après avoir réitéré mon opposition résolue à ces amendements de suppression, je voudrais répondre à Didier Guillaume et Jacky Le Menn, qui ont tous deux évoqué la 82e des cent dix propositions formulées par le candidat François Mitterrand en 1981.
Chers collègues, vous avez oublié de la citer complètement et de rappeler que, si elle fixait effectivement l’âge de la retraite à 60 ans pour les hommes, elle promettait aussi de le fixer à 55 ans pour les femmes.
Mme Nicole Bricq. Il a de bonnes lectures, le président Longuet !
M. Gérard Longuet. La raison de cette omission est évidente. Comme l’a dit Jean-Pierre Fourcade avec pertinence, le système de retraite par répartition, auquel nous sommes attachés, repose sur un équilibre entre ceux qui sont actifs et ceux qui ne le sont pas. Or Pierre Mauroy, qui était alors Premier ministre – il aurait pu vous le confirmer lui-même s’il avait été présent parmi nous ce matin –,…
Mme Nicole Bricq. Ne l’instrumentalisez pas !
M. Gérard Longuet. … lorsqu’il s’est agi de rédiger les ordonnances autorisées par la loi d’habilitation de décembre 1981, a renoncé à mettre en œuvre une telle proposition, tout simplement parce que c’était impossible !
À l’époque, chers collègues socialistes, vous avez donc accepté un certain principe de réalité. Je dis bien « un certain principe de réalité », car vous avez maintenu la décision d’abaisser l’âge de départ à la retraite à 60 ans, mais sans en assurer en parallèle le financement, …
Mme Isabelle Debré. Eh oui !
M. Gérard Longuet. … et contre les convictions exprimées par nombre de vos dirigeants. Je citerai de nouveau Robert Lion, qui, tout juste un an avant, préconisait un système différencié selon l’âge, seul à même, selon lui, de répondre aux besoins de la société.
J’ajouterai une précision à l’adresse de Mme David : ayant sur elle le privilège de l’âge et étant déjà parlementaire à l’époque, je me souviens fort bien que, avant que le soleil éclaire notre pays plongé dans l’obscurité médiévale – je fais référence à ce qu’avait déclaré Jack Lang à l’époque ; il a changé depuis, et, heureusement, plutôt en bien ! –,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pas vous !
Mme Nicole Bricq. C’est trop facile, monsieur Longuet !
Mme Christiane Demontès. On vous reconnaît bien là !
M. Gérard Longuet. … nous avions très largement, sous l’autorité du président Giscard d’Estaing, comblé le retard constaté sur les revenus des personnes âgées.
En effet, au début des années quatre-vingt, la société française ayant beaucoup évolué depuis 1945, les deux tiers de nos compatriotes prenaient leur retraite bien avant 65 ans, l’âge de départ choisi par le Conseil national de la Résistance.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On sait tout ça !
M. Gérard Longuet. Nous avions donc dû mettre alors sur pied des dispositions catégorielles répondant, notamment, à la pénibilité. Dans le secteur de la sidérurgie – étant lorrain, j’ai suivi cela de près –, la quasi-totalité des salariés pouvait partir avant 60 ans grâce à une mécanique coûteuse de préretraites.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Heureusement pour eux : vous les aviez tous virés !
M. Gérard Longuet. Ne venez donc pas nous expliquer qu’il y a un débat théologique !
Mme Nicole Bricq. Nous n’avons jamais dit cela !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il y a des dogmes dont vous êtes vraiment un défenseur à nul autre pareil !
M. Gérard Longuet. Aujourd'hui, il est simplement nécessaire d’adapter le régime de retraite par répartition aux réalités de la société française.
Lorsque les agriculteurs constituaient un riche réservoir de main-d’œuvre, leurs enfants venaient grossir les effectifs de salariés, qui profitaient alors d’une pyramide des âges extraordinairement favorable. Ce phénomène s’est vérifié tout au long des Trente Glorieuses.
Aujourd'hui, reconnaissez que la pyramide des âges n’est pas la même !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À vous entendre, c’est toujours la même chose qui a changé ! Vous ne parlez jamais du reste !
M. Gérard Longuet. Jean-Pierre Fourcade l’a très justement souligné, la solidarité par le budget, qui est le contraire du régime par répartition, a été mise en place dès avant 1981, en particulier pour les retraités de l’agriculture ou pour les bénéficiaires du minimum vieillesse, qui n’avaient pas d’autres ressources.
En effet, le système par répartition, qui associe des actifs à des retraités, ne pouvait fonctionner en faveur de personnes dont les métiers antérieurs n’étaient plus pratiqués : à partir du moment où les effectifs de travailleurs agricoles, d’artisans et de commerçants diminuaient, il n’y avait plus assez de cotisants ; dans ce cas, et dans ce cas seulement, la solidarité nationale était mise à contribution.
Le régime par répartition a toujours tenu compte des réalités économiques qui font que le nombre des retraités ne peut pas représenter plus qu’une certaine proportion du nombre des actifs. Aujourd'hui, il s’agit de mettre en regard le nombre des retraités anciens salariés et le nombre des salariés actifs.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pourquoi ne pas tenir compte des revenus financiers ?
M. Gérard Longuet. Au travers de cet article 5, nous ne faisons que respecter ce principe de réalité, qui est la condition de survie du régime de répartition ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’Union centriste.)
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Non !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur Longuet, vous répétez toujours la même chose !
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Vous aussi !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n’y en a que pour le « dogme » !
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Qu’arriverait-il si l’on suivait la logique de M. Longuet, pour qui la seule façon de sauver le régime par répartition est de mettre en regard le nombre des actifs et le nombre des inactifs et d’accroître le premier en élevant l’âge de départ à la retraite ? Un tel raisonnement valait au moment de la création du système, mais aujourd’hui, s’il fallait l’appliquer, le système par répartition ne serait malheureusement plus viable. Et ce n’est pas la solution des 62 ans de M. Woerth qui réglerait le problème !
M. Gérard Longuet. Mais si !
M. David Assouline. Comme je l’ai déjà répété à maintes reprises, compte tenu de la pyramide des âges, vous ne pouvez pas laisser les actifs payer pour les inactifs.
M. Gérard Longuet. C’est cela, la répartition !
M. David Assouline. Le trou creusé ainsi pour les trente années à venir impliquerait une élévation d’au moins huit ans !
Les grands équilibres du système par répartition doivent donc être reconsidérés. Du reste, la pyramide des âges n’est pas la seule à avoir changé. Une pyramide qui a aussi considérablement évolué, c’est celle des revenus financiers, lesquels ne sont pas taxés, ne sont pas assujettis aux cotisations sociales, ne participent pas à l’assurance vieillesse, et qui ont pourtant explosé !
Mme Isabelle Debré. C’est toujours le même discours !
M. David Assouline. En juxtaposant ces deux pyramides, on se dit que la seule façon de compenser le fait qu’il y ait moins d’actifs par rapport aux inactifs serait de soumettre à cotisations les revenus du capital. Ce serait toujours de la répartition, mais d’une autre manière. Ce n’est pas ce que vous avez choisi, monsieur le ministre : là est le problème !
Monsieur Fourcade, vous avez cité l’exemple de la Chine. Mais savez-vous que, là-bas, dans les années qui viennent, 300 millions de personnes vont atteindre ce que l’on appelle l’âge de la retraite ? Et elles ne toucheront pas un yuan, parce qu’il n’y a pas de retraite en Chine !
M. Christian Cambon. C’est un régime communiste ! Alors, qu’est-ce que vous voulez ?
M. David Assouline. Vous nous désignez ce pays comme un modèle, mais ce ne peut pas en être un parce qu’une société ne peut pas tenir comme ça !
M. Jean-Pierre Fourcade. Je n’ai jamais été maoïste ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
Mme Annie David. Ça, on le sait !
M. David Assouline. Aujourd’hui, beaucoup d’arguments ont été avancés. J’en reprendrai quelques-uns.
Si les jeunes sont dans la rue, s’ils se sentent autant mobilisés, c’est parce qu’ils ont bien compris que reculer de deux ans l’âge de départ à la retraite équivaudrait, pour eux, à un million d’emplois en moins !
Monsieur le ministre, vous ne l’ignorez pas, si, d’ici à 2025, la croissance était supérieure de 0,5 point aux prévisions – on sait combien celles-ci sont aléatoires ! –, la moitié du besoin de financement serait comblée et votre idée de relever à 62 ans l’âge de départ à la retraite deviendrait encore plus infondée. Mais, quand on tarit l’emploi des jeunes, on limite les possibilités de croissance.
Autre argument : le taux de chômage des seniors. Plus de la moitié des actifs âgés de 55 ans sont sans emploi. On sait bien que, trois ans avant la retraite, nombreuses sont les personnes qui sont décrochées de toute activité et basculent dans le chômage ou la préretraite. En prolongeant de deux ans la durée de vie active, on les plonge deux ans de plus dans la précarité, mais une précarité accrue, avec un basculement dans les minimas sociaux et dans le RSA.
Imaginez ce que peuvent ressentir ceux qui, ayant mis un point d’honneur à travailler toute leur vie, finissent au RSA à la fin de leur carrière, puis touchent une pension de retraite moindre puisque la moyenne de leurs revenus d’activité a diminué. C’est un véritable hold-up !
Mme Isabelle Debré. Vous, vous faites un hold-up sur le débat !
M. David Assouline. La société avait pris un engagement à leur égard. Eux ont travaillé, ont trimé toute leur vie. Au final, il faut le dire, ils auront été trompés !
Monsieur le président, puisqu’il ne me reste que cinq secondes,…
Mme Isabelle Debré. Assez d’obstruction !
M. David Assouline. … je m’arrêterai là.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre. Je me permets reprendre la parole, car nous sommes ici au cœur du débat. Il me semble donc naturel d’y consacrer un peu de temps.
M. Jean Desessard. Très bien !
M. Éric Woerth, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, avec cette réforme, nous défendons une République de la solidarité et de la responsabilité, quand certains de vos propos me laissent plutôt penser que vous, vous préférez vous recroqueviller sur une République des tabous !
M. David Assouline. C’est un peu fort !
M. François Autain. Chacun ses tabous !
M. Éric Woerth, ministre. Autrement dit, à vous entendre, il faudrait rechercher l’immobilisme à tout prix : ce qui a été décidé à un moment donné vaudrait pour la vie entière. Sauf que la vie, elle, ne cesse de changer. Nous devons continuer à faire évoluer nos acquis sociaux.
M. Gérard Longuet. Ne serait-ce que pour les maintenir !
M. Éric Woerth, ministre. Nous sommes évidemment attachés aux acquis sociaux, nous les avons construits ensemble !
Nous, nous sommes favorables à une République généreuse, à une République de la solidarité. Mais une République solidaire, c’est une République qui avance, non une République qui recule, qui a peur, qui défend des intérêts catégoriels.
Mme Nicole Bricq. Vous oubliez que c’est vous qui avez baissé la TVA dans la restauration !
Mme Christiane Demontès. Il y a tout de même une catégorie de privilégiés dans notre pays !
M. Éric Woerth, ministre. C’est au contraire une République qui fait primer l'intérêt général.
Et le système par répartition, c’est l'intérêt général des Français, qui, tous, un jour ou l’autre, seront à la retraite. Voilà ce que nous devons prendre en compte.
Pourquoi flattez-vous, sans arrêt, les intérêts catégoriels ? C’est une vision bien égoïste ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean Desessard. Que je sache, le MEDEF n’est pas avec nous !
M. Éric Woerth, ministre. Posez-vous donc d’abord la question de l'intérêt général, avant de regarder comment cela se passe ici ou là.
Bien évidemment, les intérêts catégoriels ne sont pas systématiquement à remettre en cause. Mais, au fond, ce qui compte avant tout, ce qui doit nous guider, c’est l'intérêt général du pays et la sauvegarde de notre système de retraite.
D’ailleurs, si nous voulons préserver nos acquis sociaux et défendre une République généreuse et solidaire,…
Mme Christiane Demontès. Moins solidaire pour certains que pour d’autres !
M. Éric Woerth, ministre. … il faut bien consentir des efforts à un moment donné. Qui peut prétendre le contraire ?
Mme Isabelle Debré. Voilà !
M. Éric Woerth, ministre. Cela étant, ces efforts, nous en sommes tous d’accord, doivent être justement répartis.
M. David Assouline. Ce n’est pas le cas !
M. Éric Woerth, ministre. C’est justement ce qui fait débat entre nous.
À nos yeux, les efforts que nous demandons dans le cadre de cette réforme – pour m’en tenir à celle-ci – sont justement répartis.
Mme Gisèle Printz. Ah bon ?
M. Éric Woerth, ministre. Par ailleurs, vous répétez à l’envi que la part de la rémunération du capital dans la valeur ajoutée, dans la création de richesses, n’a pas cessé de progresser en France, alors que la part des salaires ne fait que régresser. Les dividendes par-ci, les actionnaires par-là... il n’est question que de ça dans vos argumentaires !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. C’est la réalité !
M. Gérard Longuet. Et les actionnaires de la Préfon ?
M. Éric Woerth, ministre. J’ai essayé de vous expliquer hier que c’était une idée fausse, mais je vais recommencer.
Selon un rapport très récent de M. Cotis, le directeur général de l’INSEE, qui a étudié la situation très en détail, la part respective du travail et du capital dans la valeur ajoutée n’a pas bougé dans notre pays depuis 1950.
Mme Annie David. Ce n’est pas vrai !
M. Éric Woerth, ministre. Ce que je disais hier est la stricte vérité. La France est l’un des rares pays dans ce cas. La répartition se fait ainsi : deux tiers pour les salaires, un tiers pour le capital.
Le pic constaté dans les années quatre-vingt était dû à la crise pétrolière, à l’inflation et au système d’indexation des salaires en vigueur à l’époque. Pendant une très courte période, au moment de cette crise pétrolière, la part des salaires a été très élevée, comme dans tous les pays d’ailleurs, puis on en est revenu à l’étiage que j’évoquais : deux tiers-un tiers.
Il est faux de dire que la France a privilégié le capital par rapport au travail. Vous ne pouvez pas faire croire cela aux Français !
Mme Annie David. Il y a eu un détournement à hauteur de 10 points au profit du capital !
M. Éric Woerth, ministre. Écoutez, vous prenez un malin plaisir à sortir sans arrêt des banderoles devant moi. Les courbes que je vous présente sont probablement un peu moins sexy (Sourires.), mais elles sont bien l’image de la réalité ; vous ne pouvez pas prétendre le contraire !
Je le répète, la France est l’un des rares pays à avoir connu pareille évolution. En Allemagne, par exemple, pays auquel vous faites souvent référence, la part des salaires a baissé par rapport à celle du capital.
Monsieur Assouline, puisque vous avez parlé des jeunes, permettez-moi de vous dire que je trouve le parti socialiste totalement irresponsable quand je le vois chercher à attirer dans la rue non pas « les » jeunes, mais « des » jeunes de ce pays. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Isabelle Debré. Absolument ! Même les syndicats ne le font pas ! Aucun syndicat ne l’a fait !
M. Éric Woerth, ministre. Vous les leurrez, vous les trompez, car votre projet, au fond, c’est de les taxer.
M. David Assouline. Incroyable !
M. Didier Guillaume. Ce n’est pas vrai !
M. Éric Woerth, ministre. Votre réforme des retraites repose sur 40 milliards de hausses d’impôts. Qui paiera ? Les jeunes d’aujourd'hui, bien évidemment, et tout au long de leur vie !
Je n’aurai de cesse de le dire : il est irresponsable de la part d’un parti de gouvernement de vouloir attirer des jeunes dans la rue sur une réforme des retraites ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. David Assouline. C’est surtout que ça vous fait peur !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Chers collègues de la majorité, vous aurez du mal à faire croire, à l’extérieur, que la gauche fait de l’obstruction au Sénat.
Plusieurs sénateurs de l’UMP. Non ! C’est très facile !
Mme Catherine Procaccia. Il suffit de regarder ce qu’il se passe !
Mme Gisèle Printz. C’est un débat ! Il n’y aucune obstruction !
Mme Nicole Bricq. M. le ministre vient de le reconnaître, comme M. Fourcade tout à l’heure, nos amendements nous permettent d’avoir un débat de fond.
Je voudrais rappeler les quatre désaccords que nous avons avec vous, et ils sont profonds : sinon, nous n’aurions pas pris la lourde décision de déposer un amendement de suppression.
Monsieur le ministre, il est indéniable que nous avons à affronter un défi démographique. Toutefois, si notre régime de répartition est actuellement déséquilibré, c’est en raison de la baisse du taux d’emploi et de la diminution corrélative de la masse salariale depuis trente ans, et cela, vous ne pouvez pas l’ignorer ! Notre premier désaccord porte donc sur l’analyse.
Notre deuxième désaccord tient au fait que la justice sociale, un gros mot pour vous, est une notion qui fonde notre identité de gauche et qui motive toutes nos interventions. Si votre choix est injuste, c’est parce qu’il ne privilégie qu’un critère, celui de l’âge. Et cet effort de solidarité auquel vous appelez, vous le faites porter par tous ceux qui ont commencé à travailler tôt et par ceux qui ont eu des carrières hachées, c'est-à-dire en particulier les femmes ; nous y reviendrons lors de la discussion de l’article 6.
Notre troisième désaccord vient de l’identification que vous faites entre pénibilité et incapacité.
M. Didier Guillaume. Mais oui !
Mme Nicole Bricq. Vous vous trompez lourdement : c’est le travail qu’il faut changer ! Nous y reviendrons également.
Enfin, vous y avez fait allusion, monsieur le ministre, votre dispositif n’est pas financièrement bouclé. Et vous le savez si bien que l’horizon que vous avez retenu est quasiment immédiat puisque vous le fixez à 2018. Pourquoi ? Parce que vous vous refusez à aligner la fiscalité du capital sur celle du travail. Or cet alignement est l’un des axes de notre projet fiscal.
J’en viens maintenant au FMI, que vous instrumentalisez.
C’est une grosse institution, qui produit tous les ans de multiples rapports traitant de multiples sujets. Vous en prenez un et vous jouez de cette ficelle politique – c’est plutôt une corde ! – dans le débat actuel. Mais encore faut-il citer le rapport en question sans le tronquer. Or, le passage que vous avez lu, monsieur Fourcade, dit en fait qu’il est préférable d’agir sur l’âge plutôt que de réduire les pensions.
M. Jean-Pierre Fourcade. Eh bien voilà !
Mme Annie David. Il faut tout dire, monsieur Fourcade !
Mme Nicole Bricq. Mais à quoi assistons-nous depuis des années, sinon, précisément, à la réduction des pensions ?
Alors, si ce rapport du FMI est un de vos totems, vous avez aussi des tabous ! Et, parmi ces tabous, il y a la baisse du niveau des pensions, car vous n’en parlez jamais !
Oh, bien sûr, les pensions n’ont pas baissé pour tout le monde : quand on a une retraite chapeau, quand on est un exilé fiscal…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ça roule !
Mme Nicole Bricq. … et qu’on revient en France pour profiter de la sécurité sociale et du système de santé dont on sait qu’il est quand même performant, là, on peut profiter d’une bonne retraite !
M. Jean-Pierre Fourcade. Dont acte !
Mme Nicole Bricq. Je vois que, comme moi, vous avez des exemples en tête, monsieur Fourcade, mais là n’est pas le sujet.
Non seulement les pensions ont été réduites pour les plus modestes, monsieur le ministre, mais votre dispositif fera qu’elles le seront encore, et vous le savez très bien.
Donc, aucun de vos arguments de fond ne tient : vous ne bouclez pas votre dispositif et celui-ci est injuste. À partir de là, nos amendements de suppression du dispositif d’âge sont totalement justifiés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi, pour explication de vote.