M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique. La retraite à 60 ans, telle que vous l’avez votée en 1982, ne concernait que les hommes. Les femmes ne pouvaient pas prendre leur retraite à 60 ans. Vous n’avez jamais tenu compte de la situation particulière des femmes à cette époque-là ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Gisèle Printz. Bien sûr, les femmes ne travaillaient pas !
M. Éric Woerth, ministre. Dans les travaux qui ont conduit à la retraite à 60 ans, il n’a jamais été question ni de la pénibilité ni de la durée de cotisation, c’est-à-dire des carrières longues, ni, surtout, de la situation des femmes. Il ne s’agissait que d’un chiffre emblématique éloigné de toute réalité. La retraite à 60 ans ne concernait que les hommes !
Mme Patricia Schillinger. Mais on est en 2010 !
M. Éric Woerth, ministre. C’est bien la majorité actuelle qui rectifie les choses en modifiant les textes concernant la retraite, en considérant les situations particulières des femmes et en résolvant les questions d’iniquité tout à fait anormales.
Vous parlez des carrières pénibles mais vous n’avez jamais agi à cet égard. Et puisque vous nous reprochez de ne pas prendre en compte la pénibilité, nous avons le droit de vous dire votre vérité : vous n’avez jamais pris en compte la pénibilité dans les retraites, comme vous n’avez jamais pris en compte la particularité de la place de la femme dans la société pour en tenir compte dans les retraites. Vous êtes toujours dans l’art de la dénonciation, jamais dans celui de la proposition !
Notre réforme, c’est du progrès social ! Et le progrès social, c’est aussi la responsabilité sociale, la durabilité du progrès.
M. Guy Fischer. Et la reconnaissance des maladies professionnelles ?
M. Éric Woerth, ministre. Il s’agit aussi de prendre en compte l’évolution de notre société.
M. Jean Desessard a très bien compris ce que j’ai voulu dire, mais je vais lui réexpliquer, pour le plaisir : les 62 ans de 2018 pèsent moins lourd, biologiquement, que les 60 ans de 1982, puisque l’espérance de vie a augmenté. En moyenne, les personnes de 60 ans, en 1982, étaient plus proches de la fin de vie que ce ne sera le cas, en 2018, pour les personnes de 62 ans. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Guy Fischer. Vous nous enfumez, monsieur le ministre ! Les Français ne comprennent pas !
M. Guy Fischer. Vous, vous remontez au Moyen-âge !
M. Éric Woerth, ministre. … et vous trouverez une époque où les hommes étaient vieux à 45 ans ou à 50 ans ! Car telle était la situation il y a deux siècles.
Nous avons bénéficié des progrès de la médecine et des conditions de vie,…
Mme Annie David. Et des gains de productivité !
M. Éric Woerth, ministre. … et nous sommes donc plus jeunes aujourd'hui à 62 ans que nous ne l’étions à 60 ans il y a quelques années.
Mme Annie David. Et nous gagnons plus, surtout les actionnaires d'ailleurs, mais cela, vous oubliez de le dire !
M. Éric Woerth, ministre. L’espérance de vie progresse, et il est bien naturel que nous en tenions compte au moment de fixer l’âge de la retraite. Si tel n’est pas le cas, ceux qui travaillent, notamment les jeunes actifs,…
Mme Annie David. Donnez-leur du travail aux jeunes actifs. Et sans les sous-payer !
M. Éric Woerth, ministre. … devront payer de plus en plus pour ceux qui sont à la retraite.
Aussi, des charges tout à fait insupportables pèseraient sur les jeunes actifs pour la seule raison que vous n’avez pas voulu admettre l’idée que l’on doit travailler un peu plus longtemps quand on vit plus vieux !
Mesdames, messieurs les sénateurs, la justice doit aussi s’exercer entre les générations. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Bricq. C’est pour cela que vous siphonnez le FRR !
M. Éric Woerth, ministre. Vous ne pouvez faire peser toutes les charges sur une génération et accorder tous les avantages à une autre. La solidarité entre les générations doit absolument trouver à s’incarner. C’est le principe même du système par répartition ! C'est pourquoi, avec la question des relèvements d’âges de départ à la retraite, nous sommes au cœur de notre débat. Tous les autres pays ont adopté de telles mesures, car c’est le bon sens même. Je ne comprends pas pourquoi vous vous montrez à ce point incapables de bouger sur ce sujet !
Mesdames, messieurs les sénateurs du groupe socialiste, vous êtes membres d’un parti de gouvernement. Vous devriez vous interroger, en faisant preuve d’esprit de responsabilité, et admettre au moins que, si l’espérance de vie augmente, la question de la répartition du temps supplémentaire gagné se pose. C’est tout à fait logique !
Nous pouvons discuter de la prise en compte de la pénibilité, des carrières longues ou de la situation de telle ou telle catégorie de la population. Sur ces sujets, je ne le nie pas, vous pouvez développer des approches différentes de la nôtre, et c’est heureux d'ailleurs. Mais tout de même, nous devrions tous reconnaître que l’augmentation de la durée de la vie provoque à un moment donné celle de la durée du travail ! Franchement, nous aurions beaucoup progressé si nous avions tous admis ce point, car notre débat aurait alors été consensuel. Je regrette qu’il ne le soit pas. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Guy Fischer. Ah non ! Pas de consensus là-dessus ! Les salariés de l’industrie sont ceux qui pâtissent le plus de la réforme !
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. Monsieur le ministre, vous le savez, nous sommes à l’unisson de la grande majorité de nos concitoyens, qui sont à 70 % hostiles à votre réforme. Nous sommes donc défavorables à cet article 5, qui ne prévoit rien de moins qu’un recul historique de vingt ans, puisqu’il marque la fin de la retraite à 60 ans.
Pour être membre d’un gouvernement qui se fait l’apôtre de la modernité, vous n’en utilisez pas moins en matière sociale – c’est même peu de le dire – toujours la même recette, faite de réduction des droits des salariés et d’accumulation de reculs historiques.
Vous conduisez la voiture France d’une manière bien particulière : l’œil fixé sur le rétroviseur, tout en vous interdisant de dépasser la ligne blanche imposée par le MEDEF. D’ailleurs, M. le rapporteur a concédé que « l’abaissement généralisé de l’âge de l’ouverture du droit à la retraite à 60 ans était » – le verbe est à l’imparfait, temps du passé – « un élément essentiel de progrès social ». Autant dire que sa suppression constitue un recul majeur !
Pour celles et ceux qui connaissent mal le monde du travail – et après avoir entendu vos propos, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, je crois pouvoir affirmer que c’est votre cas –, deux ans d’activité supplémentaires peuvent paraître une durée supportable. Toutefois, pour une grande partie de nos concitoyennes et concitoyens, ces deux années de plus seraient véritablement de trop.
Monsieur le ministre, vous affirmez que l’on est moins vieux aujourd'hui à 62 ans qu’on ne l’était à 60 ans dans les années quatre-vingt.
Mme Annie David. Je ne sais que répondre à une telle ineptie, à un tel non-sens !
M. Guy Fischer. Tout à fait !
Mme Annie David. L’espérance de vie a peut-être augmenté ; toutefois, et vous ne voulez jamais nous répondre sur ce point, la productivité aussi !
Mme Annie David. Certes, monsieur le ministre, mais partout aussi les actionnaires se sont enrichis, et, à l’évidence, ce fut sur le dos des salariés ! (M. le ministre fait un signe de dénégation.)
Allez demander à un éboueur si, à 62 ans, il a encore envie de passer dans les rues pour ramasser nos poubelles ! Interrogez un maçon. Questionnez les femmes qui font le ménage dans les bureaux pour savoir si, à 62 ans, elles souhaiteront encore faire ce travail. Or, avec votre réforme, celles-ci seront obligées de travailler jusqu’à 67 ans pour bénéficier d’une pension sans décote ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – M. Jean Desessard s’exclame.)
M. Guy Fischer. Voilà la réalité !
Mme Annie David. De plus, elles toucheront une retraite minuscule parce que, comme elles sont salariées à temps partiel, elles ont des salaires minuscules ! (Mme Catherine Dumas s’exclame.)
M. Éric Woerth, ministre. Elles travaillaient déjà jusqu’à 60 ans en 1982. Et elles vivaient alors cinq ans de moins.
Mme Annie David. Monsieur le ministre, nous n’acceptons pas vos effets de manche, ni vos belles paroles sur l’augmentation de l’espérance de vie et sur les salariés prétendument moins fatigués ou moins usés physiquement à 62 ans qu’à 60 ans.
Regardez ce que nous avons écrit dans le rapport de la mission sur le mal-être au travail, dont certains des membres sont parmi nous. Reportez-vous aux conclusions de ce travail, allez observer la tension qui règne aujourd'hui chez les cadres à cause du système en vigueur dans les entreprises.
Mme Annie David. En parlant comme vous le faites depuis mardi dernier, vous insultez le monde du travail ! Allez dans les usines, rencontrez les salariés qui font les 3x8 ou travaillent sept jours sur sept parce qu’il ne faut pas arrêter l’entreprise, afin, évidemment, de rentabiliser l’outil de production ! Allez expliquer à ces personnes qu’elles devront travailler deux ans de plus !
Monsieur le ministre, je peux vous assurer que, chez ces salariés-là, cette réforme n’est pas acceptée. Même chez les cadres des entreprises, d'ailleurs, elle passe mal. Lorsque l’on annonce des économies à l'échelle nationale, tout le monde sait que cela signifie des suppressions de postes ! Et il n’est pas facile pour les cadres et les chefs d’équipe d’aller voir les salariés avec lesquels ils travaillent depuis des années pour leur dire qu’ils pointeront au chômage à partir du lendemain. Parce que c’est ainsi que cela se passe dans les entreprises ! Allez donc annoncer à ces gens que la retraite est repoussée au-delà de 60 ans et que vous détruisez des années de lutte et un acquis social !
Monsieur le ministre, en 1981, quand la retraite à 60 ans a été votée, je n’étais pas parlementaire : je venais de signer mon premier CDI…
Mme Annie David. … dans une entreprise.
M. Guy Fischer. Chez Hewlett-Packard !
Mme Annie David. Je n’ai donc pas participé, comme certains ici, à l’examen de ce texte. Il n’empêche que, dans l’entreprise où je travaillais, les salariés ont fait une sacrée fête, croyez moi (Sourires.), quand ils ont appris que la retraite était fixée à 60 ans, qu’ils avaient droit à une cinquième semaine de congés payés et qu’ils travailleraient 39 heures au lieu de 40, même si cela ne faisait qu’une heure en moins !
En effet, même si, à l’époque, j’étais encore loin de la retraite, nous nous battions pour pouvoir partir à 60 ans et nous étions tous très attachés à cette mesure. Obtenir la retraite à 60 ans a été une grande victoire pour les salariés dans les entreprises. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Aujourd’hui, monsieur le ministre, vous faites reculer les salariés de vingt ans, ce qui est inacceptable. Vos propos témoignent perpétuellement d’un mépris pour les salariés des entreprises, et c’est difficile à entendre. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre. Madame David, on ne gouverne pas la France avec des tabous ! (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG. – M. Nicole Bricq s’exclame.) On gouverne la France avec des réalités.
M. Jean Desessard. Absolument !
M. Éric Woerth, ministre. Si vous faites du dépassement du seuil de 60 ans un tabou, pourquoi ne pas fixer la retraite à 59 ou 58 ans ?
Mme Josiane Mathon-Poinat. Pourquoi pas, en effet ? La question est ouverte.
M. Éric Woerth, ministre. Le tabou, madame David, c’est la disparition de notre système de retraite par répartition, ce n’est pas le changement des critères qui gouvernent ce régime. Par nature, ces derniers sont appelés à évoluer, parce que c’est le cas de la vie elle-même. Si vous ne l’acceptez pas, tout le système s’écroulera, et je ne veux pas que cela arrive. Au contraire, il faut sauver le régime par répartition.
Je suis stupéfait de vos propos : de grâce, ne nous faites pas le coup du mépris ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Christiane Demontès. C’est exactement comme cela que c’est perçu, monsieur le ministre !
M. Éric Woerth, ministre. N’opposez pas, d'une part, ceux qui connaissent la vie réelle, et, d'autre part, le Gouvernement et la majorité, qui les ignoreraient. Vous n’avez pas le droit d’intenter ce type de procès d’intention.
Nous connaissons comme vous la vie ! Nous avons comme vous une famille et des électeurs. Il n'y a ici que des élus qui sont au contact de la population. Ce coup du mépris permanent est vraiment détestable. (Mme Christiane Demontès s’exclame.) Admettez les réalités !
Quand vous avez voté la retraite à 60 ans, en 1982,…
M. Didier Guillaume. Ce n’est pas la question !
M. Éric Woerth, ministre. … l’espérance de vie était nettement moins élevée. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Annie David. C’est faux ! On n’a pas gagné tant d’années en si peu de temps !
M. Éric Woerth, ministre. Vous ne pouvez pas à la fois invoquer sans cesse l’espérance de vie et considérer qu’elle n’a aucune importance dans ce débat.
Mme Annie David. C’est vous qui l’invoquez, pas moi !
M. Éric Woerth, ministre. Vous ne pouvez pas à la fois reconnaître qu’on vit de plus en plus longtemps et estimer que cette évolution est sans aucun lien avec les retraites. Car les deux problèmes sont évidemment liés ! Si vous les distinguez, c’est le règne de l’injustice, car cela revient à considérer que ceux qui travaillent devront payer pour ceux qui sont en retraite. Et comme ces derniers sont de plus en plus nombreux, il faudra que les actifs supportent de plus en plus d’impôts et de charges, ce qui est absolument anormal !
L’ouvrier à la chaîne dont vous parliez, madame David, vous voulez le taxer encore plus, lui imposer encore davantage de cotisations sociales. En effet, dans le système par répartition, tout le monde contribue. (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Annie David. Pas tout le monde !
M. Didier Guillaume. Ce sont toujours les mêmes qui contribuent !
M. Éric Woerth, ministre. Ou alors nous basculons dans un système où les retraites ne sont financées que par l’impôt et qui n’est plus fondé sur la répartition.
Mme Annie David. Et les actionnaires ? Et le bouclier fiscal ?
M. Éric Woerth, ministre. Vous ne pouvez pas, d’une part, faire de la remise en cause de la répartition un tabou, et, d’autre part, refuser la manière dont ce régime fonctionne. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès, pour explication de vote.
Mme Christiane Demontès. Monsieur le ministre, vous reconnaissez dans vos propos, en creux, que nous avons bien fait d’abaisser la retraite à 60 ans ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Jean Desessard s’exclame.) En effet, vous avez affirmé vous-même que, à l’époque, l’espérance de vie n’était pas ce qu’elle est aujourd'hui. Nous avons donc eu raison d’adopter une telle mesure !
Annie David a expliqué avec beaucoup de justesse quelle était la situation d’un grand nombre de nos concitoyens dont le salaire est aussi le seul moyen de disposer d’un revenu décent pour vivre. Car telle est la réalité dans notre pays : il y a des gens qui travaillent pour vivre et d’autres qui ont tellement d’argent qu’ils ne pensent même pas à travailler !
Pour compléter les propos de ma collègue, monsieur le ministre, je voudrais vous donner lecture d’un courrier que j’ai reçu, comme d’autres parlementaires sans doute, et qui illustre parfaitement, me semble-t-il, la raison pour laquelle nous luttons contre cet article et contre votre projet de loi :
« Je me permets de m’adresser à vous, madame la sénatrice, pour un problème très ennuyeux concernant cette réforme, d’autant plus que vous, sénatrice du groupe socialiste au Sénat, cela peut vous aider pour intervenir dans le débat.
« Je suis né en juillet 1951. J’ai donc 59 ans. J’aurai 60 ans le 29 juillet 2011. Je fais partie, d’après les renseignements que j’ai pu glaner, de la première classe d’âge touchée par cette réforme. Or, dans la précipitation dans laquelle le Gouvernement souhaite entériner cette réforme, beaucoup de situations particulières n’ont pas été étudiées, pouvant entraîner de vraies catastrophes financières pour de nombreuses familles, dont je fais partie.
« Savez-vous que beaucoup de chômeurs de longue durée seniors nés en 1951 vont se retrouver sans revenu pendant les quatre mois qui suivront la date d’anniversaire de leurs 60 ans, puisque la nouvelle réglementation va décaler le revenu de leur retraite de quatre mois ?
« Je ne suis pas chômeur de longue durée, mais je risque de subir exactement la même chose. En effet, je suis en invalidité depuis quelques années et, en juillet 2011, avec mes 60 ans, je dois passer au régime général des retraités. Je risque de n’avoir aucun revenu pour les mois d’août, septembre, octobre et novembre 2011 si ce problème particulier n’est pas pris en compte par la réforme.
« J’espère avoir été suffisamment clair dans l’analyse de ma situation et je vous serais reconnaissant de porter un maximum d’attention à ce problème à venir me concernant, ainsi que beaucoup, qui vont être très durement touchés par cette réforme.
« Le Sénat est en pleine discussion sur cette réforme des retraites actuellement et c’est pour vous la possibilité d’agir pour ceux qui sont parfois écrasés par l’arbitraire et qui n’ont pas la parole. »
Voilà pourquoi, monsieur le ministre, pour tous ces Français qui vont subir de plein fouet les conséquences de votre projet de loi injuste, inégal et brutal, nous continuerons à nous battre et à réclamer la suppression de cet article. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre. Madame la sénatrice, je vous remercie de me soumettre ce cas de figure. En effet, il est intéressant d’évoquer ces cas particuliers. Mais, en réalité, la retraite représente 64 millions de cas particuliers !
Mme Christiane Demontès. Ils sont effectivement nombreux !
M. Éric Woerth, ministre. Si l’on tient compte de ceux qui vont prendre leur retraite, de ceux qui envisagent de la prendre un jour et de ceux qui l’ont déjà prise, tout le monde est concerné. Or, un réel besoin d’explication s’exprime. Comme je le disais hier à M. Sueur, le débat est plus serein dès lors que l’on dispose d’explications précises.
Dans ce cas particulier, autant que je puisse en juger, la personne perçoit une pension d’invalidité. Celle-ci sera évidemment prolongée pendant les quatre mois qui la séparent de la retraite. En effet, étant née en juillet 1951, elle ne pourra prendre sa retraite qu’à 60 ans et quatre mois. Cette personne, invalide si j’ai bien compris, va donc continuer de percevoir sa pension d’invalidité pendant quatre mois. La question ne se pose par conséquent pas pour elle, et cette réforme ne changera en rien son mode de vie !
Il arrive d’ailleurs parfois que la pension d’invalidité soit financièrement plus importante que la retraite. Ainsi, dans un certain nombre de cas, les personnes préfèrent conserver leur pension d’invalidité plutôt que de basculer dans le système de retraite. (Marques d’acquiescement au banc des commissions.)
Mme Christiane Demontès. C’est dire !
M. Éric Woerth, ministre. Je souhaitais souligner cet état de fait. Mais je ferme aussitôt cette parenthèse, puisque je ne sais si tel est le cas ici. Voilà donc une réponse précise au cas que vous m’avez soumis.
M. Guy Fischer. Ce sont des retraites de misère !
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, pour explication de vote.
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, afin de soutenir l’amendement présenté par notre groupe et par tous les groupes de gauche de cette assemblée, nous souhaitons dire haut et fort que votre projet de loi, notamment cet article, constitue une véritable régression sociale. Il ne s’agit pas ici d’opposer ceux qui connaissent les entreprises à ceux qui ignorent leur fonctionnement, ceux qui connaissent les salariés à ceux qui ignorent tout d’eux.
Cependant, nous constatons que, pour certains salariés, le recul de l’âge de la retraite de 60 ans à 62 ans représente plus qu’une régression sociale : c’est quasiment une impossibilité humaine ! Aussi, lorsque vous prétendez, monsieur le ministre, que la situation est meilleure à 62 ans aujourd’hui qu’à 60 ans il y a vingt ans, c’est peut-être vrai pour certains. Mais le maçon, l’infirmière, l’assistante sociale, l’éboueur, la femme de ménage exercent un métier aussi pénible qu’il y a vingt ans et ne peuvent pas travailler un ou deux ans de plus !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour leur faire conduire des trains après 55 ans !
M. Didier Guillaume. La retraite à 60 ans était, en 1981, la quatre-vingt-deuxième proposition de François Mitterrand, sur les cent dix propositions pour la France formulées alors.
La retraite à 60 ans était, pour nos parents, plus qu’une aspiration, un rêve que la gauche a réalisé. En effet, nos concitoyens n’en pouvaient plus de travailler si longtemps ! Or, cette proposition a été validée par le peuple lorsqu’il a élu François Mitterrand. C’est tout l’inverse aujourd’hui, puisque le candidat Sarkozy avait prétendu ne pas vouloir modifier l’âge de départ en retraite !
Vous considérez aujourd’hui que, si François Mitterrand s’était abstenu d’abaisser l’âge de départ à la retraite à 60 ans, nous ne serions pas dans cette situation. Mais qui a gouverné la France ces dernières années ? Il me semble que convoquer François Mitterrand en 2010 pour faire le procès de son action n’est pas convenable. En ce jour où le Président de la République se trouve au Vatican, il est clair que vous ne savez plus à quel saint vous vouez ! (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Nicolas About. Il ne faut pas se moquer de la religion ! Ce n’est pas sérieux ! Vous ne l’auriez pas fait de l’islam ! C’est nul ! C’est facile !
M. Didier Guillaume. En effet, ce n’est pas la gauche qui a dirigé sans partage ce pays depuis 1981, mais vous. François Mitterrand, lui, croyait aux forces de l’esprit, mais pas aux faiblesses de l’oubli ! Peut-être un jour reprocherez-vous à Léon Blum d’avoir mis en place les congés payés ? Au rythme où les choses vont, qui sait si cela est possible ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien sûr !
M. Didier Guillaume. Il est indéniable que les temps ont changé. La qualité de vie est aujourd’hui meilleure qu’il y a vingt ans. Mais cela ne se vérifie pas nécessairement parmi toutes les catégories professionnelles et sociales. Au-delà de la pénibilité, la stabilité de l’emploi constitue une difficulté supplémentaire pour nos concitoyens.
Par ailleurs, dans un pays qui ne parvient ni à résorber le chômage d’un quart des jeunes de moins de 25 ans ni à assurer un emploi aux seniors après 55 ans, repousser l’âge de la retraite à 62 ans constitue une véritable régression sociale. Cette injustice pénalisera toujours les mêmes, les travailleurs les plus faibles, les plus précaires.
Les ouvriers, qui bénéficiaient jusqu’à aujourd’hui plus que les autres de cette mesure, vivent en moyenne sept ans de moins que les cadres ! Telle est la réalité ! Ces chiffres, loin d’être anodins, traduisent certaines différences face au travail. Actuellement, ils sont encore 300 000 à partir à la retraite à 60 ans en ayant déjà cotisé plus que nécessaire ! Et demain, ils devront travailler plus longtemps encore !
Comme nous le répétons depuis plusieurs jours, revenir sur la retraite à 60 ans est vraiment une mesure d’ordre idéologique. C’est rechercher coûte que coûte l’affrontement avec le peuple, avec les citoyens, avec les salariés ! C’est tenir ce discours culpabilisateur aux salariés : « C’est de votre faute si le régime de retraite n’est pas équilibré. Vous ne cotisez pas assez, vous n’êtes peut-être pas de bons Français ! ».
Mais, mes chers collègues, observons aujourd’hui la détresse de nos concitoyens et la situation économique, et rendons-nous compte que d’autres solutions sont possibles ! Nous avons d’ailleurs fait des propositions – Jean-Pierre Bel, Christiane Demontès et bien d’autres en ont présenté – pour une autre réforme des retraites, une retraite qui serait financée mais qui serait supportée non pas uniquement par les salariés et les plus faibles, mais par l’ensemble de la Nation, notamment par les revenus du capital.
Aujourd’hui, il est nécessaire de débattre de l’emploi des jeunes et des seniors. C’est bien cela qui compte ! Si plus de travailleurs pouvaient cotiser, peut-être arriverions-nous à équilibrer le système des retraites sans reculer l’âge de départ en retraite. C’est la raison pour laquelle je soutiens l’amendement de ma collègue Christiane Demontès visant à supprimer cet article. La retraite à 60 ans avait été une véritable avancée sociale. La retraite à 62 ans serait une véritable capitulation sociale et humaine. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour explication de vote.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Nos concitoyens sont majoritairement opposés au recul de l’âge de la retraite, et chacun le sait ici, du moins sur nos travées. Là où vous parvenez à percevoir un essoufflement de la contestation, les observateurs constatent plutôt son enracinement. Il ne peut y avoir de réforme sociale sans dialogue social, disiez-vous il y a encore peu de temps.
Voilà trois ans, le Président de la République déclarait ne pas vouloir remettre en cause la retraite à 60 ans, faute de légitimité suffisante. Comment pouvez-vous prétendre avoir acquis aujourd’hui cette légitimité ? Que s’est-il donc passé en trois ans de pouvoir pour que ce qui était vrai hier ne le soit plus aujourd’hui ? Pourquoi, au cours de la campagne électorale, M. Sarkozy assurait-il que le système de retraites ne soulèverait pas de problème jusqu’en 2020 ?
Est-ce à dire qu’il n’y aurait aujourd’hui plus d’argent pour les payer ? Que s’est-il donc passé pour que cette réforme devienne si urgente et que vous décidiez de la mettre en œuvre envers et contre tous, n’hésitant pas à rompre l’un des éléments clés de notre pacte social ? Une chose est sûre : vous ne pouvez pas avancer l’argument de l’allongement de l’espérance de vie car, en trois ans, rien n’a changé dans ce domaine !
Mme Annie David. Exactement !