M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai, sur l'article.
Mme Bernadette Bourzai. L’article 5 vise à reculer l’âge légal de départ à la retraite de 60 ans à 62 ans. Il s’agit d’une mesure particulièrement injuste, qui marque une très grande régression sociale, en particulier pour les femmes. C’est encore plus vrai pour l’article 6, qui recule à 67 ans l’accès à la retraite sans décote.
Comme mes collègues l’ont déjà souligné, le recul de l’âge de départ à la retraite pénalisera physiquement toutes celles et tous ceux qui ont commencé à travailler tôt et qui ont exercé des emplois pénibles.
De plus, un tel recul pénalisera également financièrement toutes celles et tous ceux qui eu des parcours professionnels en « dents de scie » et qui se trouvent dans des situations de plus en plus précaires face à l’emploi à mesure qu’ils avancent en âge. Les personnes qui seront les plus pénalisées par cette réalité sont les femmes. Il s’agit – hélas ! – d’une réalité statistique clairement établie lorsqu’on constate que 86 % des hommes parviennent à valider une carrière complète, contre 44 % seulement pour les femmes, c'est-à-dire deux fois moins.
D’une part, les femmes sont pénalisées dans leur vie professionnelle. En moyenne, leurs salaires sont de 27 % inférieurs à ceux des hommes. Cela est lié au fait que 60 % des emplois non qualifiés et 83 % des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes. Pourtant, 1,5 million de femmes salariées souhaiteraient travailler davantage.
Par ailleurs, le taux de chômage des femmes reste autour de 11 %, contre 9,7 % pour les hommes. La pression de la précarité sur les femmes est donc très forte.
Tout cela n’explique pas l’écart des salaires. À qualification professionnelle équivalente, l’écart demeure de 10 % à 15 %, ce que rien ne peut justifier. Au-delà des raisons dites « structurelles » et des discriminations indirectes, les femmes sont victimes d’une discrimination directe en matière de salaires, que nombre de lois et d’accords n’ont pas réussi à faire disparaître. En effet, les femmes sont concentrées dans de petites entreprises, qui échappent à la plupart des dispositions législatives et aux accords concernant l’égalité professionnelle et salariale. Or votre proposition de pénalité se limite aux entreprises de plus de cinquante salariés. Il y a donc peu de chances que la situation évolue.
D’autre part, dans un couple, l’arbitrage des carrières se fait encore presque systématiquement en faveur du mari, en cas de mutation professionnelle impliquant un changement de domicile, voire de nature ou de rythme de travail. Les femmes sont prises dans un cercle vicieux, dont la situation professionnelle et salariale inférieure à celle des hommes constitue à la fois la cause et la conséquence.
Or, dans un marché du travail fortement dégradé et concurrentiel, lorsqu’on quitte un emploi à cinquante ans, il n’est pas évident d’en retrouver un autre.
La question des rémunérations à l’embauche place également les personnes avancées en âge face à un dilemme. Il leur faut admettre des rémunérations plus faibles face à de plus jeunes demandeurs d’emploi, alors que, à la différence de ces derniers, le montant des rémunérations perçues dans les vingt-cinq dernières années sert au calcul de celui de la retraite.
Dès lors que le chômage des plus de cinquante ans a augmenté de 17,6 % depuis un an et que six salariés sur dix sont sans emploi au moment du départ en retraite, les deux ans supplémentaires n’allongent pas arbitrairement la durée de vie active ; ils allongent en réalité la durée de la période de précarité face à l’emploi ! En outre, ils permettent mécaniquement de diminuer le montant de la pension, puisqu’ils font glisser la période des vingt-cinq dernières années sur laquelle est calculée la pension.
Nous savons tous que les retraites des femmes sont nettement inférieures à celles des hommes. Or votre réponse consiste à dire qu’il faut améliorer la situation des femmes dans l’emploi pour améliorer leur situation face à la retraite.
Nous sommes bien d'accord, mais c’est un aveu d’impuissance, monsieur le ministre ! Savez-vous que ce que vous présentez comme une solution, notamment l’égalité salariale, est en réalité l’un des objectifs du combat des femmes depuis des décennies ? Nous sommes ravies d’apprendre aujourd’hui qu’il s’agit simplement d’une mesure qui se décrète. Et je ne doute pas que le Gouvernement décrétera derechef demain matin que l’égalité salariale est un fait en France !
Rassurez-vous, nous ne sommes pas dupes. Personne dans le pays n’a compris que votre texte sur les retraites réglait le long combat des femmes pour l’égalité salariale et professionnelle, qui demeure d’actualité malgré les textes ou accords qui sont intervenus depuis trente ans !
En conclusion, je dirai que votre méthode, qui consiste à ne pas prendre en compte les différentes situations de notre population, constitue une véritable discrimination,…
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Bernadette Bourzai. … d’ailleurs dénoncée par la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité, la HALDE, dans son avis du mois septembre dernier. C’est inacceptable ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, sur l'article.
M. Bernard Cazeau. Notre système de retraites est confronté aux défis du vieillissement de la population et aux conséquences d’une situation de l’emploi dramatique. D’ailleurs, les deux vont de pair.
Pour autant, le projet de réforme des retraites que vous nous proposez dans l’urgence ne répond en fait qu’aux exigences de la notation financière. Il ne garantit en rien la pérennité durable de notre modèle par répartition, quoi que M. Longuet ait pu en dire tout à l’heure.
Bien au contraire, il aggrave les injustices. Sa mesure phare, le relèvement de l’âge minimum de départ à la retraite de 60 à 62 ans, accroît les inégalités et restreint les possibilités de choix des salariés, sur qui reposent l’essentiel des efforts consentis.
Ce sont nos compatriotes aux carrières incomplètes qui pâtiront le plus de la réforme en voyant leur âge de départ à taux plein reculer de 65 à 67 ans à partir de 2016.
Ce sont ainsi les femmes qui seront le plus concernées, et il ne fait aucun doute que nombre d’entre elles vont tomber dans la précarité alors qu’elles forment déjà le gros des bataillons des retraités les plus défavorisés.
Autre constat : à 60 ans, un ouvrier et un cadre ont un écart d’espérance de vie de sept ans. Les travailleurs manuels ne sont pas seulement désavantagés face à la mort : au sein d’une vie plus courte, ils passent aussi plus de temps que la moyenne en situation d’incapacité physique et de dépendance. Ces professions sont en général particulièrement touchées par les limitations fonctionnelles physiques ou sensorielles, qui concernent plus de 60 % des années à vivre après 60 ans. Cette réforme accroîtra fortement les disparités des modes de fin de vie.
Pire, ce sont ces derniers, ceux qui ont commencé à travailler jeune, qui seront les perdants du recul de l’âge de départ à la retraite. Ce sont eux qui cumulent le plus les handicaps sociaux : ils sont les moins diplômés, les plus touchés par les arrêts de travail et ceux qui disposent des plus bas revenus. C’est avant tout ceux-ci qui supporteront finalement principalement les coûts de la réforme. Ils payeront plus pour recevoir moins.
Monsieur le secrétaire d'État, le droit à la retraite est un droit fondamental, et notre système de retraite, fondé sur la solidarité entre les groupes sociaux, est un élément constitutif du pacte social. Son évolution doit se construire par le dialogue, et dans un esprit de justice et de consensus.
M. Roland Courteau. Bien sûr !
M. Bernard Cazeau. Le recul de l’âge de départ à la retraite impliquait nécessairement une sérieuse préparation et un large débat avant de soumettre la proposition aux parlementaires, et non quelques semaines de débat avec les partenaires sociaux et quelques jours de discussion avec les représentants du peuple que nous sommes !
Les sociaux-démocrates suédois ont instauré il y a quelques années trois ans de débat avant de réussir leur réforme des retraites sur un consensus. Vous, vous êtes pressés : 2012 pointe à l’horizon et vous avez hâte d’assumer les promesses que vous avez faites aux plus privilégiés.
Pour conclure, je vous donnerai un conseil : évitez, de grâce, de stigmatiser la gauche, qui a bien préparé le terrain avec des actions dont vous êtes heureux de profiter aujourd'hui. Je pense, notamment, au Fonds de réserve des retraites. Assez de suffisance aussi : il n’y a pas lieu de fanfaronner comme l’a fait cet après-midi le Premier ministre ; on ne peut pas être fier d’une telle réforme ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, sur l'article.
Mme Odette Terrade. Si nous devions choisir un sous-titre pour l’article 5 concernant l’« âge d’ouverture du droit », ce pourrait être : « Retraites : les femmes payent le prix fort ».
Mme Annie David. Eh oui !
Mme Odette Terrade. Cet article, qui prévoit le report de 60 à 62 ans de l’âge d’ouverture du droit à une pension, s’inscrit dans la continuité des précédentes réformes de 1993 à 2003, lesquelles, malheureusement, ont toutes aggravé les inégalités entre les hommes et les femmes. L’expérience des précédentes réformes que vous avez toutes conduites, mes chers collègues de la majorité, est édifiante tant elles ont amplifié les inégalités.
Les femmes ont de plus en plus de difficultés à valider 40 annuités au cours de leur carrière professionnelle. Seules 43 % d’entre elles y arrivent, contre 86 % pour les hommes.
Le Conseil d’orientation des retraites, le COR, a montré que les personnes nées entre 1963 et 1975 enregistrent déjà, à l’âge de 30 ans, deux trimestres d’activité de différence en défaveur des femmes !
Les écarts de pensions entre les hommes et les femmes sont des gouffres : 827 euros en moyenne pour les femmes contre 1 425 euros pour les hommes. Et, sans pension de réversion, ce chiffre tombe pour les femmes à 790 euros par mois.
Comment pouvez-vous imaginer qu’une femme puisse vivre dignement avec une telle retraite ? Le mépris inscrit dans votre réforme pour les plus précaires aggravera encore plus la situation des femmes.
Augmenter la durée de cotisation et porter l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans accentuera également le casse-tête du calcul des pensions pour ces dernières.
Les dispositions de l’article 5 obligeront toutes les femmes qui ont des carrières incomplètes à effectuer des choix terribles : les femmes qui ont un travail devront travailler bien au-delà de 67 ans afin de compenser la faiblesse de leurs pensions par des surcotes ; les femmes au chômage, elles, seront contraintes soit de percevoir plus longtemps les minimas sociaux dans l’attente des 67 ans, soit de prendre leur retraite avec des décotes importantes.
La double peine infligée à toutes les femmes qui subissent déjà les profondes inégalités de notre société est un scandale !
C’est justement cette société que nous refusons et dont nous dénonçons les modalités d’organisation, cette société où le partage des richesses se fait entre quelques privilégiés et où les inégalités se creusent aussi vite qu’augmentent les profits des entreprises du CAC 40 !
Monsieur le secrétaire d'État, arrêtons-nous sur quelques grands constats.
Dès le début de l’activité professionnelle, des écarts d’emploi se font jour entre les hommes et les femmes. Ces dernières sont les plus touchées par le chômage et le temps partiel. C’est une première injustice à laquelle s’additionne la discrimination salariale : toutes générations confondues, l’écart de salaire est de 18 % à 27 %. La note s’avère donc salée pour les femmes, et votre réforme, même amendée, ne suffira pas à alléger les différences. Elle devrait pourtant chercher à atteindre trois objectifs.
Premièrement, je le dis encore une fois, il faudrait réduire les inégalités durant la vie active en prenant en compte le quotidien des femmes. L’éducation des enfants et les tâches domestiques reposent encore trop souvent sur elles seules. Ce sont autant d’éléments qui pèsent sur l’emploi, le salaire et la carrière des femmes.
Deuxièmement, il faudrait poser la question de l’articulation de la vie professionnelle avec la vie familiale.
Troisièmement, c’est le point le plus important, il faudrait réintégrer dans les régimes de retraite la question de l’égalité des genres.
Notre système de retraite par répartition, largement redistributif et correctif, permet d’atténuer les aléas de la vie. Mais vous n’avez cure de ces corrections et vous leur opposez plutôt l’allongement de la durée de cotisation et la remise en cause des droits familiaux, dans le secteur public comme dans le secteur privé.
Résultat, l’addition de toutes ces mesures injustes pénalise les femmes dont la part parmi les nouveaux retraités concernés par la décote tend à s’accroître, passant de 41 % en 2004 à 51 % en 2007.
De même, trois femmes sur dix doivent attendre l’âge de 65 ans pour compenser les effets d’une carrière incomplète et tenter d’accéder au bénéfice du taux plein.
Si les systèmes de retraites ne peuvent corriger toutes les inégalités professionnelles et sociales dont les femmes sont victimes, ils ne peuvent non plus les ignorer comme vous proposez de le faire avec beaucoup d’aisance, ni rejeter sur la solidarité nationale l’essentiel des correctifs à opérer.
Peut-être préférez-vous, mes chers collègues de la majorité, courir le risque de consacrer, au travers d’une dualité des mécanismes de retraites, une dualité sociale et de genre ? Pour moi, ce serait inacceptable.
C’est bien pourquoi, avec mon groupe, je m’opposerai au report de 60 à 62 ans de l’âge d’ouverture du droit à la retraite. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l'article.
M. Yves Daudigny. C’est bien connu, ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent qui change de sens !
Malgré l’engagement pris par le plus haut responsable de l’État devant les Françaises et les Français de ne pas toucher à la retraite à 60 ans, alors qu’il les avait assurés qu’il était « important pour lui » de tenir la parole donnée – il avait même révélé à cette occasion qu’il l’avait voté – le couperet est en train de tomber.
Monsieur le secrétaire d'État, je vous plains quelquefois. Si le scénario que vous êtes en train de nous jouer s’était déroulé il y a quelques décennies, faute de SMS et de mails, vous seriez épuisé à force d’aller et retour entre la rue du Faubourg Saint-Honoré et la rue de Vaugirard. Car, à l’évidence, le Gouvernement est dans la stratégie et seulement la stratégie !
M. Gérard Longuet. C’est mieux que d’être dans la tactique à courte vue !
M. Yves Daudigny. Son seul souci, cela a été benoîtement avoué, est de savoir de quelle manière il fera passer la pilule.
C’est ce que prouve également, depuis l’ouverture de nos débats au Sénat, la façon dont il abat les cartes de procédure au fur et à mesure. Comme l’opposition veut mener ce débat au fond et jusqu’au bout, projet contre projet, le Gouvernement demande d’abord la réserve de tous les amendements portant articles additionnels avant l’article 5. De la sorte, il évite d’examiner tout de suite nos propositions, notamment celles qui portent sur le financement.
Comme l’opposition continue malgré tout à vouloir débattre et qu’elle résiste, le Gouvernement exige la priorité sur les articles 5 et 6, qui reportent l’âge de la retraite à 62 ans et l’âge du taux plein à 67 ans.
Le Gouvernement ne cherche pas à instaurer le dialogue sur ce projet de loi, mais il s’inscrit uniquement dans le rapport de force. La considération qu’il porte aux manifestations est révélatrice de cette stratégie de bonneteau !
Mais l’acte final n’est pas encore écrit ! Il faut dire la vérité à nos concitoyens : il n’est nul besoin de reculer l’âge d’ouverture du droit à la retraite pour sauver le système. La réforme que vous voulez faire avaler aux Françaises et aux Français signe, en réalité, sa mort sur ordonnance !
Alors que la politique fiscale de baisse des impôts et de cadeaux menée depuis dix ans a ruiné les finances publiques, votre seul remède est de prendre toujours plus aux salariés en leur demandant maintenant de payer plus en travaillant plus.
Vous nous avez dit ce matin que la retraite était forcément une question d’âge puisque l’on pose toujours la question : « À quel âge prends-tu ta retraite ? » Doit-on vous faire crédit de ce que les véritables raisons qui fondent le projet de loi que vous défendez sont quand même plus élaborées que ce raisonnement ?
La vérité est que cette réforme est plus brutale qu’aucune autre menée en Europe. Elle est également la moins crédible de toutes, car elle prétend faire passer tous le monde sous la même toise, au mépris des différences. Je pense à tous ceux qui n’ont pas toujours pu travailler ou qui n’ont plus de travail, à ceux qui travaillent depuis trop longtemps, à ceux qui sont épuisés.
La vérité est que ce projet n’est pas totalement financé. Nous le savons, rien n’est assuré après 2018, et votre réforme ruine par avance le Fonds de réserve des retraites.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Yves Daudigny. Contrairement à ce que vous affirmez, vous reportez de manière irresponsable la dette sur la jeune génération d’aujourd’hui.
Nos propositions, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur le maintien de l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans n’ont rien à voir avec la caricature que vous en faites. Nos propositions sont responsables.
Une note de Pôle emploi dans Repères et Analyses indique : « En lien avec la contraction sans précédent de l’activité économique en 2009 – chute de 2,5 % du PIB –, l’emploi salarié recule de 1,5 % entre fin décembre 2008 et fin décembre 2009, soit une perte nette de 256 100 postes de travail. Un tel niveau des destructions nettes d’emploi salarié n’avait jamais été observé depuis l’après-guerre. »
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
Mme Annie David. Eh oui !
M. Yves Daudigny. Monsieur le ministre, ce n’est pas d’un relèvement de 60 à 62 ans de l’âge d’ouverture du droit à pension que notre pays a besoin : notre pays a besoin d’emplois.
Mme Annie David. Exactement !
M. Yves Daudigny. La retraite est une assurance, ce n’est pas seulement une allocation. Ce n’est pas non plus un privilège, c’est un droit pour lequel les salariés ont souscrit toute leur vie.
Une réforme des retraites mérite mieux que ce médiocre exercice de rafistolage, aussi injuste que cynique ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
MM. Roland Courteau et Marc Daunis. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Michel Teston, sur l'article.
M. Michel Teston. Cet article, point central de la réforme proposée par le Gouvernement, est, pour le groupe socialiste, absolument inacceptable. En effet, le recul de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans, fût-il progressif, ne manque pas d’inquiéter en raison, notamment, de l’état actuel du marché du travail dans notre nation et, plus particulièrement, de la situation de l’emploi des personnes de plus de 50 ans. Quelle est donc la situation de l’emploi de ces personnes ?
Selon l’INSEE, en 2009, seuls 38,9 % des personnes âgées de 55 à 64 ans avaient un emploi, niveau inférieur de sept points à la moyenne de l’Union européenne, qui est de 46 %.
Selon les chiffres du ministère, publiés en août de cette année, le taux de chômage des personnes âgées de 50 ans et plus a augmenté de plus de 17 % entre juillet 2009 et juillet 2010.
En outre, depuis 2008, la HALDE et l’OIT publient conjointement, chaque année, un « Baromètre sur les perceptions des discriminations dans les entreprises et la fonction publique ». Selon ce baromètre, en 2009, les discriminations liées à l’emploi constituaient 50 % des saisines de la HALDE et, parmi ces saisines, la discrimination fondée sur l’âge figure au troisième rang des motifs de plainte. Cette discrimination est, d’ailleurs, reconnue par la justice. Je tiens à citer l’exemple d’un agent public de 47 ans seulement, auquel il a été interdit d’intégrer un grade supérieur en raison de son âge, alors qu’il avait réussi le concours lui permettant d’obtenir une telle promotion. Le tribunal administratif de Saint-Denis de La Réunion a reconnu, en mars de cette année, que cette personne avait subi une discrimination liée à son âge.
Ces éléments statistiques doivent nous interroger sur la pertinence de faire passer de 60 à 62 ans l’âge d’ouverture du droit à une pension de retraite.
En effet, de nombreux salariés de plus de 50 ans souhaiteraient pouvoir exercer une activité leur permettant de vivre décemment. Le Gouvernement devrait donc mettre en place une réelle politique de l’emploi en faveur des seniors, plutôt que de vouloir les voir travailler plus longtemps.
Faute d’une telle politique, il est quasiment certain que l’assurance chômage devra payer pour les personnes concernées. Il s’agit purement et simplement d’un transfert de charges, transfert auquel le Gouvernement nous a habitués dans d’autres domaines.
Selon une étude de Pôle emploi – citée dans le journal Les Échos du 28 septembre 2010 –, le relèvement de l’âge de la retraite aura pour conséquence d’empêcher plusieurs milliers de personnes de basculer du chômage vers la retraite.
Selon une note de l’UNEDIC – citée dans le journal La Tribune du 28 septembre 2010 –, la réforme des retraites aura un coût compris entre 440 millions et 530 millions d’euros pour l’assurance chômage, ce qui fait écho à la déclaration de François Fillon, qui a affirmé le 16 septembre dernier que « les partenaires sociaux qui gèrent l’assurance chômage vont devoir intégrer le réforme des retraites ».
Ainsi, il apparaît très clairement que cette réforme ne fait que déplacer un très important problème, au lieu de lui apporter une solution pérenne.
Dans le cadre de son projet alternatif au projet du Gouvernement, le Parti socialiste prévoit une politique dynamique et volontaire pour l’emploi des seniors. Les objectifs de cette politique sont de permettre aux seniors de retrouver une activité, tout en évitant de transférer une partie du coût des retraites sur l’assurance chômage.
Nous persistons par conséquent à refuser l’allongement de la durée de travail, ce qui nous conduit à demander la suppression de l’article 5. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Annie David. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera, sur l'article.
M. Bernard Vera. Vous prétendez réformer notre système de retraite pour lui permettre de retrouver l’équilibre, sans aborder une seule fois la question fondamentale de son financement. Nous aurions pu, par exemple, nous attendre à un volet spécifiquement dédié au financement des retraites. Or, à la lecture du projet de loi, nous constatons que ce volet manque cruellement, et pour cause.
En effet, prévoir un volet « financement » aurait supposé de votre part la volonté d’apporter des ressources supplémentaires et, surtout, pérennes, à notre protection sociale. Plutôt que d’agir ainsi et de faire contribuer les millions d’euros qui échappent au financement solidaire de la sécurité sociale, vous avez fait le choix de rallonger la durée de vie professionnelle des salariés, alors que, dans le même temps, les salaires et les pensions ont baissé considérablement, particulièrement depuis 1993, c’est-à-dire depuis la réforme Balladur.
Comment ne pas rappeler que, pour les salariés du secteur privé, le passage aux quarante annuités de cotisation, la prise en compte des vingt-cinq meilleures années et l’indexation des pensions sur les prix ont eu pour effet de diminuer de 10 % à 15 % la valeur des pensions des salariés ayant eu une carrière complète, la baisse atteignant même 20 % à 25% pour ceux n’étant pas parvenu à justifier d’une carrière complète.
Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on sait déjà que les articles 4, 5 et 6 de ce projet de loi entraineront un écrasement des retraites.
Pourtant, notre pays n’a jamais été aussi riche et les actionnaires ne se sont jamais partagé des dividendes aussi importants. À peine la crise finie, les profits des entreprises cotées au CAC 40 explosaient déjà de 80 %.
La productivité des salariés de notre pays n’a pas cessé de progresser, augmentant de manière continue la masse des richesses produites par salarié. Deux actifs d’aujourd’hui produisent autant, ou presque, que trois actifs en 1983. Tous les économistes le disent, les progrès de la technique et des sciences permettront encore, dans les années à venir, une augmentation considérable du ratio salarié sur valeur ajoutée.
Malgré cela, l’on voudrait nous faire croire que dans un tel contexte économique, il n’y aurait pas d’autres solutions pour financer les retraites que de reporter de deux ans l’âge légal de départ à la retraite.
Il ne s’agit en fait que d’une posture idéologique.
Vous faites travailler plus longtemps les salariés pour permettre aux actionnaires de faire fructifier plus longtemps leurs capitaux, sans jamais exiger que les richesses qu’ils accumulent soient davantage dirigées vers la solidarité.
C’est pour éviter que Nicolas Sarkozy trahisse la promesse qu’il avait faite au MEDEF de ne pas augmenter les impôts que vous procédez de la sorte.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Bernard Vera. Qu’importe s’il manque à un autre engagement, pris non pas devant une minorité de nos concitoyens, mais devant tous les Français, celui de ne pas revenir sur le départ à la retraite à 60 ans.
Mme Annie David. Eh oui !
M. Bernard Vera. Souvenez-vous du document de campagne, que vous avez sans doute distribué, mes chers collègues de la majorité, qui indiquait: «la retraite à 60 ans doit rester un droit ». Souvenez-vous des déclarations de Nicolas Sarkozy en mai 2008 : «Je dis que je ne le ferai pas, je n’en ai jamais parlé au pays et cela compte pour moi, je n’ai pas de mandat pour cela ».
Mme Annie David. Exact !
M. Bernard Vera. Ou encore, de cette dernière déclaration, plus récente : « Nous avons toujours été pour la retraite à 60 ans. ».
Finalement, vous supprimez la retraite à 60 ans, ce qui aura tout simplement pour effet de priver les salariés de deux années de vies passées à faire autre chose que travailler, sans toutefois parvenir à financer l’intégralité de votre projet. La preuve en est qu’un grand quotidien national de l’économie annonçait le 30 septembre dernier qu’il manquait au moins 2,5 milliards d’euros pour que les régimes de retraites soient à l’équilibre.
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Quatre !
M. Bernard Vera. Il ne faudra donc pas attendre 2018 pour que de nouveaux « mauvais coups » pleuvent, le prochain projet de financement de la sécurité sociale comportera pour les salariés son lot de mauvaises surprises.
Pour toutes ces raisons, nous nous opposerons avec fermeté à cet article 5, qui remet en cause le droit fondamental du départ à la retraite à 60 ans.