M. Daniel Raoul. Le projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité qui nous est soumis, dit « projet de loi NOME », prétend établir « de force » un marché artificiel de l’électricité que les six lois précédentes – j’y reviendrai tout à l’heure – n’ont pas réussi à établir « de gré ».
Vous savez tous comme moi que, malgré l’ouverture du marché de l’électricité depuis le 1er juillet 2007, conformément à la directive européenne de 2003, EDF continue de bénéficier d’un quasi-monopole de fait de 95 % du marché.
Je voudrais d’emblée corriger les quelques erreurs que j’ai relevées, la nuit dernière, dans les interventions de M. Marini et de M. le secrétaire d’État. Je m’inquiète, monsieur le secrétaire d’État, que vous ayez déjà, à votre âge, une mémoire si sélective. (M. Charles Revet s’exclame.) Je me permettrai de rappeler quelques faits historiques concernant l’élaboration des directives européennes et les auteurs de l’ouverture du marché de l’électricité, tout particulièrement à la concurrence.
L’idée d’une dérégulation du marché de l’énergie par une privatisation des entreprises de ce secteur a commencé à être pensée au plan politique lors du contre-choc pétrolier de 1985. À la suite du renchérissement du coût du baril en 1973 et en 1979, comme je l’avais souligné lors de l’examen de différentes lois sur l’énergie, l’État français a courageusement renforcé son emprise sur ce secteur par une politique volontariste visant à garantir l’indépendance énergétique de notre pays et une électricité à faible coût pour le consommateur.
Le secteur de l’énergie devient alors un domaine sur lequel la souveraineté de l’État s’exerce pleinement – je comprends que cela gêne quelque peu les libéraux – jusqu’à devenir une question de défense nationale, au sens où l’entendait l’ordonnance de 1959 à présent obsolète, au moins du point de vue de l’approvisionnement énergétique.
C’est donc l’état du marché qui va inciter les libéraux à remettre en avant la réforme. Le début des années deux mille est marqué par une inversion totale de conjoncture : on grimpe de nouveau l’escalier des prix, sur fond d’inégalités sociales et territoriales croissantes ; le droit de la concurrence est devenu le pied-de-biche utilisé par la Commission pour fracturer la porte fermée des politiques énergétiques nationales.
Pourtant, il est des précédents catastrophiques à éviter. Les cas de la Suède et de la Grande-Bretagne ont été brillamment évoqués par notre collègue Roland Courteau hier soir, je n’y reviendrai pas.
La Suisse, qui a mis en œuvre une libéralisation de son marché de l’électricité – loi fédérale du 1er janvier 2008 – a vu le prix de l’électricité bondir de 25 %.
La Belgique – qui fait quelquefois la une des journaux pour d’autres raisons – a fait ce choix en 2004. Or un récent rapport du mois d’août 2010 de la Commission de régulation de l’électricité et du gaz belge, la CREG, le régulateur du marché, démontre la fin de l’égalité des tarifs selon que l’on réside en Flandre ou en Wallonie. Le prix de l’électricité a bondi entre 2003 et 2008 de 35 % à 55 %, alors que celui du gaz, durant cette même période, a augmenté entre 50 % et 90 %.
La Californie – cas que vous connaissez très bien, monsieur le rapporteur – a décidé le démantèlement des opérateurs concentrés verticalement en trois activités distinctes, la création d’un marché « spot », autrement dit d’un marché au jour le jour, l’interdiction des contrats de long terme bilatéraux et la garantie d’un prix maximum pour les consommateurs – toujours dans une optique de baisse de prix. Cette expérience malheureuse s’est traduite par le passage du prix du mégawattheure de 30 dollars en décembre 1999 à 377 dollars en décembre 2000 ! Vous comprenez dès lors la position du gouverneur de cet État ainsi que sa volonté de réguler et de réglementer ce secteur.
Je ferai à présent un bref rappel des étapes de la dérégulation du marché de l’énergie.
C’est à partir de 1996 que la libéralisation du marché de l’énergie prend son envol. Le 20 juin 1996, le Conseil adopte une position commune sur la première directive « électricité » ; le gouvernement d’Alain Juppé signe la première directive ouvrant à la concurrence le secteur de l’électricité. Elle sera adoptée par le Parlement européen en décembre 1996. Elle prévoit d’ouvrir le marché à une partie des clients industriels en fixant un seuil d’éligibilité à 9 gigawatts pour 2003, ce qui représente une ouverture du marché de l’ordre de 30 %. Sont alors exclus du processus de libéralisation une partie des clients industriels, mais aussi les collectivités locales et, surtout, les petits consommateurs, au premier rang desquels les ménages.
Par ailleurs, la transposition en France sera effectuée dans la loi du 10 février 2000 par un gouvernement qui, face à une injonction, une menace de procédure, a pris ses responsabilités par une transposition a minima, ce que votre majorité, monsieur le rapporteur, nous avait à l’époque reproché.
Après 2002, de retour au gouvernement, la droite n’a cessé de légiférer sur les secteurs énergétiques. Parmi les six grandes lois relatives au secteur énergétique, trois ont profondément modifié l’organisation de ce secteur en libéralisant les activités d’électricité et de gaz.
La loi du 3 janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l’électricité et au service public de l’énergie, déposée en septembre 2002 par MM. Raffarin et Mer, déclarée d’urgence, est beaucoup plus libérale et va bien au-delà de ce que la directive exigeait ; elle modifie amplement la loi de février 2000 et porte sur les marchés alors que la loi adoptée sous le gouvernement de M. Jospin portait sur la modernisation du service public. C’est bien là que nous divergeons, entre l’intérêt des consommateurs et celui des actionnaires !
M. Martial Bourquin. C’est exact !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Daniel Raoul. La loi du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, signée de MM. Raffarin et Sarkozy, toujours déclarée d’urgence, a prévu une ouverture du capital d’EDF et de Gaz de France de 30 %, l’abandon du statut d’établissement public à caractère industriel ou commercial et la transformation des deux entreprises en sociétés anonymes. Je me permets de vous rappeler l’engagement d’un certain ministre, à l’époque, concernant la garantie que l’ouverture du capital ne dépasserait pas 30 %. Nous avons vu ce qu’il en est à propos de Gaz de France !
M. Roland Courteau. Promesse non tenue !
M. Daniel Raoul. Enfin, la loi du 7 décembre 2006 – sur laquelle nous avions longuement ferraillé avec Roland Courteau –, dite « loi Villepin-Breton », est une transposition de directive européenne ; elle entérine l’ouverture totale à la concurrence du secteur énergétique au 1er juillet 2007, donc pour les ménages.
À cet égard, je vous rappelle les propos de Jacques Chirac, alors président de la République, lors de la conférence de presse donnée à l’issue du Conseil européen de Barcelone : « Alors, nous avons naturellement accepté d’ouvrir le marché de l’électricité aux entreprises, parce qu’il est normal que les entreprises puissent faire jouer la concurrence. Mais il n’était pas de notre point de vue admissible, acceptable d’aller plus loin et, donc, c’est bien la solution que nous souhaitions qui a été reconnue dans les conclusions […] ». Il s’agissait, en fait, dans les conclusions, d’avoir une directive sur les SIEG, les services d’intérêt économique général.
Il n’empêche que, six mois plus tard, le 25 novembre 2002, Mme Fontaine a accepté, lors d’un conseil « énergie », qu’une date finale soit fixée pour l’achèvement du marché intérieur de l’électricité, sans pour autant qu’il soit question d’une directive-cadre sur les SIEG.
Comment pourrions-nous donc vous croire, monsieur le secrétaire d’État ? Les engagements pris par un ministre concernant le capital de Gaz de France, la déclaration du président Chirac : tout cela est passé aux oubliettes ! Ce sont en fait des actes de foi que vous nous demandez, monsieur le rapporteur, même si vous nous donnez des informations sur ce texte. Compte tenu de notre expérience, vous nous permettrez donc d’avoir quelques doutes !
Ces grandes lois ont progressivement libéralisé le secteur de l’énergie en l’ouvrant à la concurrence, sur fond de transposition de directives européennes. Elles ont également été l’occasion pour le Gouvernement de remettre en cause le statut des entreprises publiques, ce qui n’a jamais fait partie des exigences de Bruxelles.
M. Roland Courteau. Exact !
M. Daniel Raoul. Cette dérégulation affaiblit l’Europe et les États. À aucun moment, la question de l’intérêt général ou d’un service public, même sous la forme d’un SIEG, n’a été évoquée. Dorénavant, elle ne peut plus l’être. Nous sommes là bien loin de l’esprit des fondateurs de l’Europe au moment de la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier.
Or, quand on voit ce qui s’est passé d’un point de vue géopolitique entre la Russie et l’Ukraine en matière de gaz, on peut légitimement s’interroger.
Le paradoxe est que cette dérégulation a été pensée dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, lors d’une séquence où les prix étaient bas et où l’approvisionnement n’était pas menacé.
D’un point de vue géopolitique, en termes d’environnement comme de marché d’ailleurs, cette ouverture s’effectue à contre-cycle. Elle va à l’encontre des intérêts des États européens, de l’Europe, et surtout des consommateurs. Cette dérégulation pénalisera les Français. Il s’agit en fait d’une véritable spoliation !
M. Roland Courteau. Bien dit !
M. Daniel Raoul. En effet, EDF est une propriété qui a été payée par les usagers, sans financement public. Aujourd’hui, monsieur le secrétaire d’État, vous bradez cette entreprise, qui appartient aux consommateurs.
Force est de reconnaître que, actuellement, les consommateurs français bénéficient d’un faible prix de l’énergie, en raison, d’une part, d’un parc naturel important et, d’autre part, d’une réglementation des tarifs permettant la répartition de la rente nucléaire.
À vous croire, la déréglementation et l’accroissement de la concurrence contribueraient à créer de fortes tensions sur les prix et conduiraient à un alignement tendanciel sur les prix fixés par le marché. Il n’en demeure pas moins que c’est en amont que vous auriez dû agir en refusant l’ouverture totale du marché de l’énergie et en faisant en sorte qu’elle ne concerne pas les ménages.
Le Gouvernement devrait maintenant avoir le courage de renégocier – il ne serait pas le seul des Vingt-sept à renégocier les directives européennes – et de revenir sur l’approbation par Mme Fontaine de l’ouverture totale du marché énergétique à la concurrence,…
M. Marc Daunis. Voilà une bonne idée !
M. Daniel Raoul. … mais le Gouvernement en a-t-il réellement la volonté ?
M. Roland Courteau. Pas du tout !
M. Daniel Raoul. J’en doute fortement, même si le discours sur le pouvoir d’achat – que n’a-t-on entendu en 2007 ! – se focalise essentiellement sur la baisse des prix.
L’ouverture totale à la concurrence est une double peine sanctionnant les ménages. Ceux-ci font face à une véritable entreprise de spoliation en ce sens qu’EDF a bénéficié durant des décennies de ressources publiques émanant des consommateurs afin d’assurer la pérennité du réseau et du parc électronucléaire que le gouvernement de Pierre Messmer avait eu le courage de mettre en place. Non seulement ils se voient confisquer cette contrepartie, mais, en outre, ils sont assujettis aux lois du marché. En conséquence, ils vont faire face à une augmentation importante des tarifs d’électricité.
Vous avez rappelé que nous étions sous la pression de deux procédures. Or – j’ai rappelé les dates –, qui a pris les décisions, qui les a avalisées lors des conseils « énergie » ? C’est vous qui avez procédé à la libéralisation du marché de l’électricité, nous n’allons tout de même pas vous plaindre. Ce serait un comble ! Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude ! Vous devriez au contraire renégocier tout ce qui a été signé en décembre 2002.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Daniel Raoul. Et je ne parle pas de l’accord entre M. Fillon et Mme Kroes. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire à Mme Lagarde, Bruxelles vous a transmis un virus appelé TOC : vous avez été contaminés par le trouble obsessionnel de la concurrence ! (Sourires.)
Telles sont les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, je vous demande de voter la motion tendant à opposer la question préalable, en considérant que le dispositif de l’ARENH, l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, en particulier la clause de destination, risque – M. le rapporteur le sait pertinemment – de soulever de futurs contentieux juridiques communautaires. C’est une fragilité considérable.
Globalement, nous considérons que ce projet de loi porte atteinte à notre service public, à notre indépendance et à notre sécurité énergétique.
Enfin, nous pensons que la nouvelle étape de la libéralisation du secteur de l’énergie prévue dans le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui porte un coup fatal au tarif réglementé. Vous le savez très bien, et c’est d’ailleurs ce que vous cherchez ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. En tant que rapporteur, mes chers collègues, je ne suis bien entendu pas favorable à cette motion tendant à opposer la question préalable. Je vais vous dire pourquoi.
J’insisterai particulièrement sur quatre points soulevés dans l’objet de votre motion, cher Daniel Raoul, puis sur deux autres éléments de votre intervention.
Premier point : je ne partage bien sûr pas du tout le point de vue des auteurs de la motion sur le nucléaire. Je ne suis pas défavorable à ce que, un jour, un autre opérateur qu’EDF intervienne dans le nucléaire sur le territoire national.
Mes chers collègues, regardez ce qui se passe dans le monde entier en cette année 2010 ! Partout, EDF gagne des parts de marché intéressantes : ainsi, nous avons déjà construit deux centrales nucléaires en Afrique du Sud, nous sommes candidats à la construction de deux réacteurs supplémentaires et nous sommes en train de construire une centrale en Finlande. Nous sommes bien sûr présents en Chine sur le chantier de l’EPR. Certains de nos collègues sont d’ailleurs allés avec moi constater l’avancement des travaux. Nous y construisons deux réacteurs nucléaires et nous avons d’assez fortes chances d’y construire deux autres.
Dans certains cas, nous ne sommes en charge que de la construction, l’exploitation étant assurée par le pays concerné, mais en Grande-Bretagne et aux États-Unis, les projets sont beaucoup plus importants. Il y a ainsi de fortes chances pour qu’EDF soit amenée à construire et à investir dans un parc de huit centrales aux États-Unis, puis qu’elle soit ensuite responsable de leur exploitation et de la vente d’électricité sur le marché américain. Il en va de même en Grande-Bretagne. Enfin, nous sommes candidats à la construction de la probable future centrale nucléaire en Pologne, où certains d’entre nous se sont rendus récemment.
Soyez donc un peu responsables en 2010 ! On ne peut à la fois se réjouir que l’entreprise nationale gagne des parts de marché à l’international et refuser que des opérateurs étrangers interviennent en France.
Sur ce sujet, j’assume ma position et je n’en changerai pas.
Deuxième point, cher Daniel Raoul : ce n’est pas parce qu’une centrale est exploitée par une entreprise appartenant à plus de 70 % à l’État français qu’elle est plus sûre qu’une autre. Si nos centrales sont sûres, c’est parce que l’Autorité de sûreté nucléaire est particulièrement vigilante et sévère. Si un opérateur autre qu’EDF devait demain construire une centrale nucléaire en France, il devrait – heureusement – se soumettre aux mêmes règles que celles qui s’appliquent aux cinquante-huit réacteurs d’EDF !
L’Autorité de sûreté nucléaire française est particulièrement sévère, contrairement à l’autorité américaine, qui est – je pèse mes mots, car ils figureront au Journal officiel –un peu laxiste. Ainsi, elle a délivré l’autorisation de prolonger la durée de vie de la moitié des cent huit réacteurs américains dans des conditions que je ne trouve pas très sévères. Selon moi, c’est une erreur.
Comme vous le savez, EDF a déjà demandé la prolongation de dix ans de la durée de vie d’une partie de son parc nucléaire. Elle va demander une prolongation pour dix ans supplémentaires et devra se soumettre aux exigences de l’Autorité de sûreté nucléaire française. C’est tant mieux !
J’évoquerai maintenant – ce sera le troisième point – l’obligation d’investissement des fournisseurs concurrents. J’ai commencé mon propos hier en remerciant le Gouvernement d’avoir associé les rapporteurs du projet de loi – Jean-Claude Lenoir pour l’Assemblée nationale et moi-même pour le Sénat – à ce texte. Cela n’a pas été inutile. En effet, si l’article 2 du projet de loi prévoit que les fournisseurs alternatifs devront se lancer dans la production d’électricité ou trouver des solutions d’effacement, c’est parce que nous l’avons demandé. Ces dispositions ne figuraient pas dans l’avant-projet du Gouvernement. Il s’agit là d’une initiative des parlementaires qui ont travaillé sur ces questions. Je tenais à le dire.
Enfin, j’en viens au quatrième et dernier point de votre motion. Je sais que nous ne serons pas d’accord au sujet des prix, car vous avancez toujours les mêmes arguments. Vous prétendez que l’augmentation des prix de l’électricité intervenue le 15 août est une avance pour couvrir la future loi NOME. Or ce n’est pas le cas ! Il se trouve que les investissements réalisés par EDF, que ce soit dans le nucléaire français ou dans la distribution d’électricité française, ont été insuffisants. Nous avons commencé à combler notre retard le 15 août et les prix vont continuer à augmenter,…
M. Roland Courteau. De 12 % en 2012 !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. … sans que cela ait un rapport avec le projet de loi NOME.
À cet égard, la responsabilité est partagée. Si nous n’avons pas, pendant dix ans, réalisé les investissements suffisants en matière de transport, pour RTE, ou de distribution, pour ERDF, c’est parce que nous avons fait les uns et les autres de la politique : les gouvernements, de droite comme de gauche, ont préféré ne pas augmenter les tarifs. Parce que nous avons voulu ménager les uns et les autres nos électeurs, nous n’avons pas fait les investissements nécessaires. Résultat : aujourd’hui, il faut rattraper ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Je suis désolé, mais le réseau de transport et de distribution n’est pas suffisant. Son état ne permet pas d’acheminer de l’électricité de qualité dans tous les foyers, dans toutes les entreprises. Dans ce domaine, je le répète, la responsabilité est partagée.
Je ferai, pour terminer, deux autres observations.
En Californie, le gouverneur ne régule rien du tout, car il n’y a pas de tarif régulé aux États-Unis. La liberté des prix est totale. Que s’est-il passé à la suite des événements que vous avez très bien décrits, cher collègue ? Le gouverneur a favorisé, par des mesures incitatives, les investissements afin que des centrales puissent produire de l’électricité en quantité suffisante.
L’incitation aux États-Unis, ce sont, non pas des subventions, mais des garanties de prêt à 100 %. C’est la méthode du gouvernement et des États américains. Or seuls certains types d’investissements, à savoir dans le secteur des énergies renouvelables, bénéficient de garanties. Autrement dit, tous les projets éoliens ou photovoltaïques sont garantis par l’État en Californie.
M. Roland Courteau. Ce n’est que le début !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Nombre d’entre vous, certains avec moi, d’autres sans moi, se sont rendus aux États-Unis. Vous avez pu vous rendre compte, mes chers collègues, en vous promenant dans les plaines au nord de San Francisco que le résultat – je suis désolé de le dire – n’est pas époustouflant. En effet, on y voit, non pas des centaines mais des milliers d’éoliennes, qui défigurent le paysage nord-californien. Ce n’est pas une réussite.
En revanche, le gouverneur n’a rien garanti quant aux six centrales nucléaires de Californie. Une méthode assez similaire à celle qui a été utilisée il y a quelques années en Allemagne a été adoptée. Elle consiste à ne pas construire de nouvelles centrales. Il n’y a même pas eu de garantie de l’État ni de demande en ce sens pour prolonger la durée de vie des centrales.
Or ils ont tort, à mon sens, parce qu’un État particulièrement riche comme la Californie a des besoins importants et l’utilisation des énergies renouvelables n’est pas suffisante pour répondre à ses nécessités économiques.
Enfin, monsieur Raoul, je prends acte de la première procédure qui s’oppose à ce que nous avons fait au sujet du TARTAM. Je ne regrette pas nos choix et pense que nous avons bien fait. La majorité assume la création de ce tarif, ainsi que sa prolongation. Nous avons ainsi sauvé la mise d’un grand nombre d’entreprises françaises. Cette procédure est donc dirigée contre le TARTAM.
Pour la seconde procédure, vous vous trompez, monsieur Raoul, puisqu’elle est tournée contre le tarif régulé en France. Nous avons tous – sur l’ensemble des travées et sous tous les gouvernements, quels qu’ils soient – toujours défendu le tarif régulé en France.
Ce dernier nous est souvent reproché à Bruxelles et nous avons de tout temps répondu qu’il ne s’agissait pas d’un tarif subventionné, ni d’une tricherie de la part de la France, mais du tarif correspondant à l’investissement que nous avons fait dans le nucléaire.
Le fait que 80 % de notre électricité provient du nucléaire nous est envié en Europe. Il s’agit d’un bon choix, que nous avons tous défendu. J’en déduis que cette procédure n’est pas tournée contre notre majorité mais contre ce que nous avons toujours tous défendu. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, pour explication de vote.
M. Roland Courteau. Comme l’a brillamment rappelé monsieur Raoul,…
M. Charles Revet. Renvoi d’ascenseur !
M. Roland Courteau. … à partir de la directive négociée par M. Juppé en 1996 sur l’ouverture à la concurrence pour les gros consommateurs puis de la capitulation totale du gouvernement Raffarin sur l’ouverture aux ménages, c’est-à-dire de l’ouverture totale à la concurrence en 2002, vous vous êtes mis dans la nasse !
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Roland Courteau. Vous nous demandez aujourd'hui de vous aider à vous en sortir. Mais vous auriez pu vous en sortir tous seuls si les gouvernements successifs auxquels vous avez participé depuis 2002 avaient donné suite à ce qui avait été acté lors du sommet de Barcelone en mars 2002 sur l’initiative de Lionel Jospin et de Jacques Chirac, à savoir qu’il n’y aurait pas d’ouverture totale à la concurrence tant que n’aurait pas été mise en place une directive-cadre sur les services d’intérêt économique général.
Admettez-le une bonne fois pour toutes : l’électricité n’étant pas un bien comme les autres, il n’y a pas lieu d’ouvrir ce secteur à la concurrence. Mais visiblement, vous ne voulez pas le comprendre !
Vous avez dit hier, monsieur le secrétaire d'État, à moins que ce ne soit M. Marini, rapporteur pour avis, que tout le mal venait du sommet de Barcelone de mars 2002. Nous vous avons répondu que c’était faux et même archifaux. Daniel Raoul vient de vous le démontrer encore une fois ! Le sommet de Barcelone, auxquels ont participé MM. Jospin et Chirac, a, au contraire, posé un verrou à l’ouverture totale à la concurrence : pas d’ouverture totale s’il n’y a pas de directive-cadre sur les services d’intérêt général, avait-il été acté.
Daniel Raoul a cité tout à l’heure Jacques Chirac ; pour ma part, j’évoquerai Lionel Jospin. À l’occasion de ce sommet, celui-ci avait précisé que les expériences conduites dans certains pays ne nous conduisent pas à penser que l’ouverture à la concurrence sur le marché de l’électricité entraîne une baisse des prix. Il avait même ajouté que si cette ouverture se faisait « sans que les règles de service public aient été rappelées, nous irions vers des hausses de prix plutôt que vers des baisses ». La suite n’a fait que confirmer ces craintes ! Partout, les prix ont flambé, et il a fallu inventer le TARTAM pour éteindre l’incendie.
Or jamais les gouvernements successifs de droite n’ont pris le relais de ce qui avait été acté à Barcelone. Pis, en novembre 2002, vous vous êtes félicités d’avoir accepté l’ouverture totale à la concurrence. Chers collègues de la majorité, vous vous congratuliez même ! Ce compromis, prétendiez-vous, nous permettrait de tirer bénéfice de l’ouverture des marchés. En fait de compromis, ce fut une capitulation en rase campagne ! Et en fait de bénéfice, nous ne cessons pas de légiférer depuis 2002, de colmater, de rapiécer, de corriger les conséquences néfastes de cette ouverture !
Toutefois, il vous fallait aller toujours plus loin dans la libéralisation ! Vous êtes même allés jusqu’à privatiser Gaz de France. Et vous vous êtes fourrés dans la nasse, fièrement – je dirais presque « en chantant » ! – alors que, partout dans le monde, démonstration était faite que la libéralisation et l’ouverture à la concurrence ne fonctionnent pas.
Lors du conseil « énergie » du 6 septembre dernier, donc il y a à peine quelques jours, plusieurs ministres de l’énergie ont même reconnu que cette libéralisation poussée n’avait pas permis de faire baisser les prix et que le consommateur était le grand laissé-pour-compte des réformes. Oui, les choses commencent à bouger à l’échelle de l’Europe, où l’on croit de moins en moins aux comptes fantastiques de la fée libérale !
En outre, la France, qui a un passé exemplaire dans le domaine des services publics – je dis bien « un passé », car le présent dans ce domaine est moins flamboyant – pourrait prendre des initiatives en ce sens sur le plan européen plutôt que d’échanger de simples courriers avec des commissaires européens qui vous conduisent à nous présenter aujourd’hui cette usine à gaz, dernier avatar d’un processus délétère de libéralisation !
En fait, l’accord Fillon-Kroes est mauvais. Aussi, vous vous êtes vous-mêmes fourrés avec allégresse dans la nasse, et maintenant vous nous demandez d’être responsables et de vous aider à vous en sortir. Mes chers collègues, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, nous voudrions bien être magnanimes mais le projet de loi que vous nous présentez est non seulement mauvais mais il est en plus dangereux. En effet, vous persistez dans cette voie libérale qui conduit dans le mur. C’est une nouvelle étape du mouvement de libéralisation alors que partout dans le monde les pays pionniers dans ce domaine font marche arrière.
J’ajoute que ce texte ne vise qu’à augmenter les prix.
Il n’est pas bon pour l’opérateur historique.
Il n’est pas bon pour le système électrique français.
Il n’est pas bon pour les industriels, car l’électricité selon le prix est un facteur de localisation des entreprises ou de délocalisation.
Il n’est pas bon pour les industriels qui ont besoin de visibilité.
Il n’est pas bon pour l’économie et pour l’emploi et, surtout, il n’est pas bon pour les consommateurs et leur pouvoir d’achat.
M. Raoul a raison en affirmant qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la discussion de ce texte. Je le répète : stop, il y a danger ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.
Mme Évelyne Didier. Lors de l’examen en commission du projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’énergie, le rapporteur s’étonnait que nous ayons déposé des amendements de suppression sur presque tous les articles. Si nous avons fait ce choix, c’est parce que nous voulions, dès le débat en commission, attirer l’attention sur les dangers que présente ce texte pour le pouvoir d’achat des Français, pour la sécurité d’approvisionnement, pour la sûreté des installations, pour l’emploi industriel et pour l’indépendance énergétique.
En effet, l’accès à l’énergie à un coût modéré est un élément fondamental pour les populations, mais également un atout décisif pour la vitalité industrielle de notre pays.
M. le ministre d’État Jean-Louis Borloo déclarait lors de la discussion de ce texte à l’Assemblée nationale : « Je crois que nous sommes tous d’accord sur le fait que la législation actuelle a en quelque sorte fait son temps, en ce sens où, en raison de ses contradictions, elle n’est plus en mesure de garantir la pérennité de notre modèle énergétique et la prévisibilité indispensable en matière d’investissement ».
Pour notre part, nous estimons que ce sont les politiques menées en France et à Bruxelles qui ont fait leur temps. Plus encore, nous constatons tous les jours leur nocivité ! La concurrence a entraîné la hausse des tarifs. De manière générale, elle n’a pas permis de réaliser les investissements nécessaires pour l’entretien et le renouvellement des réseaux et des installations.
La libéralisation du secteur énergétique et sa privatisation engagée ne servent pas l’intérêt général. Au contraire, dans le secteur énergétique elles vont peser lourdement sur l’industrie et l’emploi. Elles ne permettent pas de mettre en cohérence les moyens de production et d’avoir une vision à long terme, elles ne donnent pas les moyens nécessaires à la recherche fondamentale et font peu de cas des salariés du secteur.
La filière nucléaire, pourtant encore majoritairement publique – pour combien de temps encore ? – est déjà touchée très négativement par cette vision à court terme. D’une part, cette filière est en sous-effectif et, d’autre part, elle connaît un déficit dans la formation des salariés. Enfin, elle emploie de nombreux sous-traitants, qui à eux seuls reçoivent 80 % des doses radioactives sans qu’aucun statut les protège des abus les plus divers. Cette réalité sociale est inacceptable et elle devrait intéresser le Gouvernement !
Pour conclure, je voudrais rappeler ici que l’article 176 A du titre XX relatif à l’énergie du traité de Lisbonne considère l’énergie comme une simple marchandise et la soumet aux règles du marché. En votant ce traité, rejeté par les Français, vous avez encore une fois fait avancer le modèle libéral.
Mes chers collègues, les sénateurs du groupe CRC-SPG soutiennent la motion de procédure défendue par le groupe socialiste. Ils tiennent aussi à rappeler que leur projet alternatif passe par une maîtrise entièrement publique du secteur énergétique, afin de garantir les investissements nécessaires et de permettre la mise en place d’une politique susceptible de répondre aux défis social, industriel et environnemental et de donner à la recherche les moyens nécessaires aux projets de demain. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 145, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission de l'économie.
Je rappelle que la commission et le Gouvernement se sont prononcés contre la motion.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 279 :
Nombre de votants | 341 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 171 |
Pour l’adoption | 153 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Demande de renvoi à la commission