Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Brice Hortefeux, ministre. Madame la présidente, si vous en êtes d’accord, je procéderai de la même manière que M. le rapporteur, afin d’examiner l’ensemble des amendements.
Je commence donc par l’amendement n° 26 rectifié bis. Pour ma part, je suis clairement favorable à l’extension du champ d’application du placement sous surveillance électronique mobile. Il n’y a pas d’ambiguïté sur ce point.
D’ailleurs, à la demande du Président de la République, j’ai présenté, au nom du Gouvernement, un amendement tendant déjà à abaisser à cinq ans le seuil de la peine prononcée permettant le placement sous bracelet. Je me réjouis sincèrement que le Sénat l’ait adopté hier.
Toutefois, je pense que la fixation d’un seuil en deçà du niveau actuel risquerait de soulever des problèmes constitutionnels.
C'est la raison pour laquelle je serais plutôt favorable au retrait de cet amendement, monsieur Demuynck.
Dans la mesure où l’amendement n° 27 rectifié ter s’inscrit dans le même esprit que l’amendement n° 26 rectifié bis, ma position sera la même.
L’amendement n° 25 rectifié bis vise à supprimer l’exigence de motivation ou les conditions de majorité prévues pour une décision de placement sous surveillance électronique mobile.
Encore une fois, le port du bracelet électronique constitue un instrument de lutte efficace contre la récidive. En effet, il permet de surveiller les délinquants plus dangereux et de garantir l’ordre public, la sécurité des personnes, sans jamais remettre en cause – vous l’avez souligné à juste titre – les possibilités de réinsertion.
Je comprends votre souci de vouloir alléger la procédure permettant de prononcer une telle mesure de sûreté. Je m’en remets donc à la sagesse du Sénat sur cet amendement.
L’amendement n° 18 rectifié bis concerne l’extension des peines planchers aux cas de réitération d’infraction.
Vous le savez, l’application du dispositif des peines planchers est limitée au cas de récidive légale. Je comprends le souci de vouloir élargir le champ d’application des peines planchers. D’ailleurs, le Gouvernement avait déposé un amendement visant une telle extension aux faits de violence aggravés et aux délits aggravés par les violences, ce qui incluait en réalité les violences commises à l’égard des forces de l’ordre.
Je serais plutôt favorable à un retrait de cet amendement. Il semble plus efficace et lisible d’étendre le champ d’application du dispositif des peines planchers, au lieu d’y introduire la notion de « réitération », concept juridique incontestablement fragile. Je sollicite donc le retrait de cet amendement.
L’amendement n° 17 rectifié bis vise à prévoir que les peines planchers prononcées en cas de récidive ne peuvent pas être assorties d’un sursis.
Il faut naturellement, c’est ma conviction, prévoir des peines minimales en cas de récidive.
En revanche, il ne me paraît pas opportun d’interdire au juge – je suis sur cette ligne, monsieur le président de la commission des lois – de faire valoir des modalités d’exécution de la peine imposée par la loi. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel y ferait sans doute là aussi obstacle.
Je sollicite donc le retrait de cet amendement.
Idem pour l’amendement n° 19 rectifié bis, qui a le même objet.
L’amendement n° 20 rectifié bis tend à rendre impossible le cumul des sursis avec mise à l’épreuve.
En réalité, monsieur Demuynck, votre préoccupation est que l’on ne puisse plus prononcer à deux reprises une peine clémente. (M. Christian Demuynck acquiesce.) Toutefois, et je suis obligé d’en prendre acte, une telle possibilité n’est prévue que pour les infractions de faible gravité et elle est d’ores et déjà interdite pour les atteintes les plus graves aux personnes. Je pense qu’il faut maintenir cette distinction.
Je suis très attentif à vos propositions, mais il me semble plus logique de faire figurer une telle précision. Je demande donc le retrait de cet amendement.
J’en viens à l’amendement n° 23 rectifié ter. Je voudrais d’abord remercier M. Demuynck de soulever la question, essentielle, des aménagements de peine. Le débat est souvent présenté de manière caricaturale entre « anti » et « pro » aménagements de peine.
Pour ma part, je le dis clairement, je ne suis pas hostile systématiquement et par principe à tous les aménagements de peine. En effet, je suis bien conscient que des mesures comme la semi-liberté ou la libération conditionnelle peuvent permettre d’améliorer globalement la lutte contre la récidive, en empêchant les sorties sèches.
En revanche, ce qui me gêne, c’est ce que j’appellerai « l’érosion des peines », c’est-à-dire la très, voire trop grande différence parfois constatée entre peine prononcée et peine réellement effectuée.
À cet égard, la loi pénitentiaire prévoit – c’est vrai – qu’un individu condamné à deux ans d’emprisonnement ferme puisse ne pas faire une seule journée de prison… Cela soulève tout de même quelques questions. Je pense que nous allons trop loin et que c’est vraiment démotivant pour les forces de sécurité.
Deux ans d’emprisonnement, ce n’est pas rien. Il ne s’agit pas des voleurs de caramels ! Il est, dès lors, assez facile de comprendre le sentiment des forces de police et de gendarmerie : on leur dit de lutter fermement contre la délinquance, mais ils savent que le délinquant, même s’il est interpellé et déferré, ne sera pas sanctionné par une peine de prison.
Le message est assez incompréhensible pour une grande partie de l’opinion publique : on lui délivre un message de fermeté tout en lui expliquant dans le même temps que cela consiste à ne pas envoyer les délinquants en prison.
Comme je l’ai indiqué, sans aucune ambiguïté, lors de la discussion générale, le Gouvernement est favorable en la matière à un retour à l’état du droit antérieur à la loi pénitentiaire.
Mais je suis aussi très attentif aux propos du président Jean-Jacques Hyest. J’ai lu dans un quotidien du soir qu’il avait dû « mettre de l’huile ». Même si, comme il me l’a dit, il n’a pas employé cette expression (M. le président de la commission des lois le confirme.), elle me semble toutefois, dans son esprit, assez proche de la réalité. Je ne voudrais pas « gripper » le président de la commission des lois, et je m’en remets donc à la sagesse du Sénat sur ce point. (Sourires.)
L’amendement n° 24 rectifié bis vise à modifier certaines dispositions du code de procédure pénale relatives aux aménagements de peine. La mise en œuvre de ces dispositions étant très récente, il est sans doute prématuré d’y renoncer.
Quant au rétablissement de l’exhaustivité du bulletin n° 1 du casier judiciaire, cette mesure est trop lourde et je ne peux absolument pas vous suivre sur ce point, monsieur Demuynck. L’avis est par conséquent défavorable.
Concernant le bulletin n° 2, le Gouvernement est également défavorable à vos propositions.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je pourrais tenir le même discours que M. Demuynck, car mon département n’est pas exempt de problèmes. Même dans certaines zones rurales, on s’aperçoit que la justice n’est pas parfaitement efficace.
Chaque fois que l’on débat de ces questions, on prétend qu’il suffirait de renforcer les peines et les sanctions pour améliorer les choses.
Je considère en effet qu’il fallait renforcer les sanctions. La majorité s’y emploie depuis quelques années, mon cher collègue, tout en essayant de trouver de nouvelles modalités de lutte contre la récidive, notamment des personnes dangereuses, au moyen, par exemple, de la rétention de sûreté ou du suivi socio-judiciaire post-peine.
Ce que vous démontrez à travers vos exemples, monsieur Demuynck, c’est que, lorsqu’une peine d’amende est prononcée, les services judiciaires ne sont pas en mesure de poursuivre. Voilà la réalité !
C’est effectivement choquant, et les délinquants eux-mêmes sont parfois surpris quand on leur dit : vous venez d’être condamné à six mois de prison ferme, rentrez chez vous, on vous rappellera pour exécuter la peine… On connaît pourtant les causes de ce problème : dans certaines grandes juridictions, la justice, sinistrée, n’est pas en mesure de faire appliquer les décisions rendues par les tribunaux. Des mesures ont été prises pour remédier à ce problème, et la situation s’améliore peu à peu. Mais cela n’a rien à voir avec l’aménagement de peine.
Je veux bien qu’en l’espace d’une heure on réforme complètement le code de procédure pénale. Mais vous entendez remettre en cause des lois très récentes, adoptées après de longs débats. Il me semble de surcroît qu’en ciblant les aménagements de peine, vous visez mal. Permettez-moi tout d’abord de vous dire que ces aménagements ne sont pas obligatoires. Si tel était le cas, il n’y aurait pas de courtes peines. Or la majorité des détenus purgent justement des peines courtes, le juge de l’application des peines ayant estimé qu’il ne pouvait pas les aménager.
Vous opposez les élus de terrain à ceux qui vivent sous les lambris… Veuillez m’excuser, mon cher collègue, mais je n’accepte pas cet argument. Je suis parlementaire, maire et conseiller général depuis trente-deux ans. Je connais le terrain aussi bien que vous ! Mais, lorsqu’on siège au Parlement, on doit respecter les règles de droit, et vérifier que nos textes sont conformes à la Constitution. Il convient de surcroît de considérer les problèmes dans leur globalité.
On peut bien entendu améliorer le fonctionnement de la justice, et je crois bien plus à cette voie qu’au changement permanent des règles de droit, auxquelles on finit par ne plus rien comprendre.
Je vous assure, monsieur Demuynck, que vos amendements ne sont pas anodins, et qu’ils tendent à bouleverser une grande partie de notre procédure pénale. Vous remettez par exemple en cause la loi pénitentiaire, mise en œuvre depuis moins d’un an. Or, – je parle sous le contrôle de Jean-René Lecerf, rapporteur de ce texte – il me semble que ce seuil de deux ans avait été proposé par le Gouvernement lui-même, qui recherchait d’autres formules que la prison pour certains délinquants. On sait en effet que la prison n’est pas toujours la meilleure peine, et que certaines personnes se réinsèrent beaucoup mieux dans le cadre d’un régime de semi-liberté ou après avoir subi d’autres types de sanctions.
Par ailleurs, il faut aussi pouvoir gérer les prisons ! Il est facile de lancer ainsi des réformes, mais il faut rester réaliste sur les capacités d’accueil, en dépit des efforts considérables accomplis par notre majorité pour, tout à la fois, améliorer la condition pénitentiaire et augmenter le nombre de places nécessaires à l’exécution des décisions de justice.
Pour l’ensemble de ces motifs, je suis gêné. D’ailleurs, ces amendements ne proviennent ni du Gouvernement, ni du Président de la République, qui a seulement défini dans les grandes lignes ses objectifs en matière de sécurité.
Je crois vraiment, compte tenu de tous ces éléments, que nous devons en rester là. Nous avons déjà examiné des points essentiels. Ainsi, nous avons discuté des peines planchers hier, et cela me dérangerait beaucoup si l’on devait revenir sur notre vote, en l’absence de délibération… Il n’y a rien de pire qu’une décision prise de cette manière.
Si je partage beaucoup de vos constatations, mon cher collègue, je ne souscris pas aux solutions que vous proposez. Je pense être un aussi bon parlementaire que vous. Je vous rappelle également que, pendant dix ans, j’ai été député d’une circonscription comptant autant de quartiers difficiles que votre département. Je pense donc avoir également une bonne connaissance du terrain.
J’attends toujours que l’on donne, enfin, à notre justice les moyens nécessaires pour faire face au surcroît d’activité qu’elle connaît. Nous les avons d’ailleurs augmentés plus que d’autres gouvernements qui disaient aimer la justice mais n’ont rien fait en termes budgétaires. Malgré une conjoncture économique difficile, les moyens de la justice ont été accrus ces dernières années bien plus que sous de précédentes législatures.
En revanche, nous pourrions peut-être améliorer son fonctionnement en adoptant un certain nombre de mesures, notamment de simplification, qui pourraient la rendre plus efficace, à condition qu’elle reste humaine et, surtout, qu’elle respecte un principe absolu de notre droit depuis que la démocratie existe dans notre pays, celui de l’individualisation des peines. C’est en effet une personne que le magistrat juge, et pas seulement des faits.
Comme je l’ai dit hier soir, il arrive parfois que des magistrats prennent des décisions surprenantes – ce faisant, je ne critique pas la justice, je dis simplement que je suis surpris… Mais je note que l’État a la possibilité de faire réviser ces décisions aberrantes. Alors, utilisons tous les moyens dont nous disposons, et notre justice ira beaucoup mieux ! (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Debré, pour explication de vote.
Mme Isabelle Debré. J’ai personnellement cosigné certains amendements présentés par notre collègue Christian Demuynck, tout particulièrement ceux qui concernent les bracelets électroniques.
Je ne crois pas passer dans cet hémicycle pour quelqu’un de psychorigide, qui serait focalisé sur la sécurité. Si j’ai cosigné ces amendements, c’est d’abord en tant que femme, ensuite en tant qu’élu local et, surtout, en tant que militante associative impliquée dans la lutte contre la maltraitance des enfants.
Je sais bien que ces bracelets électroniques n’empêcheront pas systématiquement certains individus de passer à l’acte. Mais, depuis vingt ans que je milite dans le milieu associatif, j’ai acquis l’intime conviction que ce bracelet électronique a un effet dissuasif sur certains individus. (M. le président de la commission des lois acquiesce.)
J’ai entendu ce que vous avez dit tout à l’heure, monsieur le ministre : vous avez pris des décisions importantes à propos du bracelet électronique, et je suis très heureuse que l’on ait débattu de cette question au sein de cet hémicycle.
Je ne sais pas ce que décidera mon collègue Christian Demuynck, et je me rallierai bien évidemment à la décision de la Haute Assemblée.
Je me réjouis en tout cas que l’on se penche ainsi sur les problèmes de terrain. Ne nous opposons pas les uns aux autres : que l’on soit militant associatif, élu local ou parlementaire, notre but est le même : protéger nos concitoyens. Aujourd’hui, je souhaite simplement que l’on se donne les moyens d’appliquer la loi pénitentiaire, qui, certes, est jeune, mais sur laquelle nous travaillons encore régulièrement avec Jean-René Lecerf et d’autres collègues.
En la matière, essayons d’éviter les clivages, et donnons-nous les moyens. Je crois que le Gouvernement souhaite également prendre les décisions qui s’imposent.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.
M. Alain Anziani. Je viens d’entendre M. Demuynck, mais je constate qu’il n’est pas le seul à soutenir ces amendements, qui sont parfois cosignés par une vingtaine de membres du groupe UMP.
Vous me permettrez toutefois de souligner la maladresse de votre argumentaire, mon cher collègue. Vous avez commencé par nous renvoyer à nos chères études, en présentant la commission des lois comme un îlot de sérénité au-dessus d’un océan déchaîné de délinquance… Naturellement, vous vous êtes attiré les foudres du président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’était certainement pas des foudres, juste quelques gentillesses ! (Sourires.)
M. Alain Anziani. Je partage l’opinion du président Hyest : nous avons chacun notre expérience. Vous ne pouvez pas, parce que vous êtes élu de banlieue, vous ériger en expert des questions de sécurité, et nous dire que nos connaissances se limitent aux codes Dalloz. La réalité est autre. Nous sommes tous des élus de terrain. Il n’y a pas, d’un côté, ceux qui connaîtraient la délinquance et, de l’autre, ceux qui ne feraient que l’étudier.
Vous avez également affirmé que la délinquance était inacceptable, monsieur Demuynck : nous sommes tous d’accord ! Vous avez ajouté que l’ordre public était difficile à maintenir : nous sommes également tous d’accord ! Mais j’ai aussi l’impression qu’au fond vous voudriez que l’on soit plus sarkozystes que Sarkozy (M. Christian Demuynck opine.) En l’occurrence, nous sommes un certain nombre à ne plus être d’accord du tout, et à nous opposer à cette façon d’expédier les questions difficiles en pensant qu’il suffit de sortir une loi à chaque fait divers.
À la fin, on en arrive à un amoncellement de faits divers, parfois composé de crimes et souvent du sang, face à un amoncellement de lois. Or ces lois n’effacent ni les crimes de sang, ni les autres crimes ou délits qui ont pu être commis. Je le répète : plus de lois ne fait pas moins de délinquants.
M. le président de la commission des lois vous a apporté tout à l’heure des précisions et cité quelques exemples. Finalement, selon vous, tout se résume à deux grandes orientations : d’une part, plus de bracelets électroniques, comme si c’était un instrument magique, et, d’autre part, moins de juges, comme si c’était une solution miraculeuse.
Mme Catherine Procaccia. Il n’a jamais dit ça !
M. Alain Anziani. Plus de bracelets électroniques, regardez bien ! En lisant les amendements, on voit bien que telle est l’orientation générale. (Exclamations sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. Louis Nègre. N’exagérez pas !
M. Alain Anziani. Nous sommes quelques-uns dans cette assemblée à avoir réfléchi au bracelet électronique pendant des mois et des mois. Non loin de vous, monsieur Demuynck, siègent d’éminents spécialistes de cette question.
Ayez peut-être la modestie, si je puis me permettre de vous parler ainsi, de reconnaître que ce n’est pas en trente minutes, ou même en une semaine, le temps de préparer ces amendements, que vous allez tout remettre en question.
Oui, le bracelet électronique est une solution dans certains cas, nous le savons. Pour autant, est-ce une solution définitive ? Certainement pas, notamment parce que le bracelet électronique peut à un certain moment avoir des effets négatifs et conduire de nouveau la personne concernée sur la voie de délinquance, au lieu de l’en éloigner. Nous le savons pour l’avoir étudié pendant plusieurs mois.
Faut-il diminuer la place et les pouvoirs du juge ? C’est une sorte de leitmotiv.
Je crois qu’il faut toujours penser à deux équilibres difficiles à conserver dans notre république.
Le premier, c’est un équilibre entre la sécurité et la liberté. Or, je vous le demande, qui garantit cet équilibre, si ce n’est le juge ? En diminuant le pouvoir du juge, vous risquez – je n’ai pas dit que vous le faites, mais vous risquez – de porter atteinte à l’équilibre entre la sécurité et la liberté.
Le second équilibre, très difficile à maintenir, c’est entre la punition, nécessaire, et l’insertion, toujours souhaitable. Dans ce domaine, vous devez également tâcher de trouver le point d’équilibre. Si punir aboutit finalement à la récidive, vous aurez perdu votre pari et nous aurons tous aggravé la situation actuelle.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-René Lecerf, pour explication de vote.
M. Jean-René Lecerf. Je voudrais d’abord dire à mon collègue Christian Demuynck qu’il n’y a pas deux catégories de parlementaires dans cette assemblée : ceux qui sont sur le terrain et ceux qui, à l’ombre bienfaisante de la commission des lois, pourraient se permettre de légiférer pour un État idéal.
Lorsque je siège en commission des lois, je n’oublie pas que je suis conseiller général du canton de Marcq-en-Barœul, que j’ai été maire de cette ville avant d’être sénateur, et qu’il y a quelques jours une jeune fille y a été sauvagement assassinée par un récidiviste.
Lorsque je retourne dans ma circonscription, on me demande de contribuer à supprimer toute possibilité de libération conditionnelle. J’estime qu’il est de mon honneur de tenter d’expliquer à mes concitoyens que la libération conditionnelle est un des moyens d’éviter les sorties sèches et de limiter la récidive. Il faut faire en sorte que ces aménagements de peine puissent être réellement effectués, avec intelligence et efficacité.
Cependant, l’encadrement de la personne faisant l’objet de l’aménagement de peine nécessite la disponibilité d’un certain nombre de personnels, notamment des conseillers d’insertion et de probation.
L’aménagement de peine ne doit pas être un cadeau fait au détenu ; il doit, au contraire, être assorti d’obligations beaucoup plus lourdes que celle qui consiste à rester étendu sur son lit dans une cellule à regarder des émissions de télévision avec ses trois ou quatre codétenus.
Par conséquent, il faut que nous ayons des moyens financiers suffisants pour recruter des conseillers d’insertion et de probation. À cette fin, il faut cesser de construire des prisons et considérer que 63 000 places sont suffisantes pour les besoins d’un pays comme le nôtre.
Je crois que ce débat est important. Il faudra y revenir dans un autre cadre que celui de la discussion de cette LOPPSI.
À l’occasion de mes régulières visites en prison, je constate de nombreuses choses qui me heurtent. Je suis aussi heurté que mon collègue par le développement très limité des bracelets électroniques mobiles. Les bracelets fixes, quant à eux, sont beaucoup plus largement utilisés.
Le bracelet mobile est un instrument, un outil, mais, en l’absence de conseillers d’insertion et de probation, il sera un outil de récidive et non pas de réinsertion. Le bracelet n’a jamais empêché personne de passer à l’acte. Il permet simplement de retrouver la personne plus vite.
Quant à la loi pénitentiaire, elle n’est même pas encore mise en œuvre puisque la plupart de ses décrets d’application n’ont pas été publiés. Cette loi pénitentiaire dont l’encre n’est pas sèche est pourtant le moyen de lutter contre « l’humiliation de la République » dénoncée par le président Hyest et la commission d’enquête sénatoriale sur la situation des prisons. Or on veut lui retirer sa chance de s’appliquer avant même qu’elle n’ait commencé à le faire !
M. Jean-Jacques Hyest a évoqué ce point, 83% des peines d’emprisonnement prononcées sont des peines de moins d’un an. Si les juges de l’application des peines libéraient allégrement tous ceux qui sont condamnés à moins de deux ans d’emprisonnement, il n’y aurait plus l’ombre de l’ombre de l’esquisse d’un problème de surpopulation carcérale dans notre pays.
Néanmoins, il est vrai qu’il y a des problèmes. Que les mesures prises depuis 2002 soient toujours les bonnes, je n’en suis pas sûr.
Les établissements pénitentiaires pour mineurs, d’abord considérés comme un progrès, méritent une évaluation. Je ne suis pas convaincu que ces établissements, remplis dans le meilleur des cas à 50 % et dont le prix de journée se situe entre 1 000 et 1 500 euros, donnent des résultats particulièrement satisfaisants.
Lorsque j’interroge les jeunes détenus des quartiers pour mineurs ou des établissements pénitenciaires pour mineurs sur leur projet d’avenir, si tant est qu’ils en aient un, leur réponse est toujours la même : l’armée, comme si ces jeunes complètement déboussolés, non respectueux des règles de la société, avaient besoin qu’on leur fournisse des cadres et qu’on leur fixe des règles.
Je suis convaincu qu’il y a une réflexion à mener conjointement par le ministère de la justice, le ministère de l’intérieur et le ministère de la défense sur des opportunités qui pourrait être données à la défense de trouver des solutions qui seraient plus efficaces et beaucoup moins coûteuses pour le contribuable que celles qui sont proposées actuellement.
Lorsque j’étais maire, j’ai développé ce que l’on appelle des lieux de vie non traditionnels. À 600 kilomètres de ma commune, un de mes fonctionnaires territoriaux, une sorte de moine civil, a hébergé jusqu’à une dizaine de jeunes en situation de grande difficulté. Retirés de leur milieu, ils n’avaient plus de réputation à défendre. Les résultats en matière de réinsertion étaient absolument remarquables. Lorsqu’il est parti à la retraite, il fallait une dizaine de travailleurs sociaux pour le remplacer ! Certaines législations sont peut-être excessives ou abusives, puisqu’elles ne permettent plus aujourd’hui de prendre des initiatives de ce type.
Par ailleurs, je sais que Jean-Marie Bockel développe actuellement une réflexion sur le problème de la prévention précoce. Une telle réflexion me paraît essentielle et fondamentale. Nous en avons discuté à diverses reprises avec un nombre très limité de maires, dont mon collègue Louis Nègre ici présent, qui ont mis en place un conseil pour les droits et devoirs des familles. Des lois ont été votées, par exemple la loi sur la prévention de la délinquance. Les structures dont elles prévoient l’instauration pourraient être parfaitement efficaces et opérationnelles. Or, mes chers collègues, je constate que, quelle que soit la tendance politique des élus, de droite ou de gauche, ces structures n’ont, pour l’essentiel, jamais été mises en place.
Alors, mettons d’abord en place ce qui a été voté. Donnons à la loi pénitentiaire la chance de s’appliquer. Pour ma part, je suis convaincu qu’il n’y a pas d’hostilité entre ceux qui sont pour la lutte contre la récidive et ceux qui sont pour la lutte pour la réinsertion. En effet, réinsertion et lutte contre la récidive sont l’avers et le revers de la même médaille. (Mme Lucienne Malovry et M. Alain Anziani applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je serai brève car certains collègues de la majorité développent des points de vue que nous pourrions partager, compte tenu des propos exagérés que l’on peut entendre par ailleurs.
Je voudrais simplement vous faire part de la position de mon groupe.
D’abord, comme d’autres, nous considérons qu’il n’y a pas deux catégories d’élus au Sénat ou à la commission des lois, ceux qui sont sur le terrain et ceux qui gambergent en vase clos, ou qui croient le faire car je ne sais même pas si on nous gratifie de penser. (Sourires.) Tenir de tels propos dans cette enceinte est absolument inadmissible !
Je suis parlementaire depuis près de quinze ans, cher collègue Demuynck, et j’ai entendu parler à de nombreuses reprises de « zones de non-droit » dans des quartiers, des villes, des départements. D’ailleurs, je ne sais pas si ce vocabulaire est très adapté mais, s’agissant des phénomènes que cette formulation recouvre, chacun a effectivement conscience de leur existence.
Or, depuis tout ce temps, je constate qu’on ne fait que décrire le développement croissant de zones de non-droit assorties de zones où se pratiquent des trafics en tous genres. Cela va d’ailleurs de pair.
La question est évidemment de savoir comment rétablir le droit dans ces zones de non-droit. Je constate que l’inflation de mesures de renforcement des peines et des sanctions n’a pas permis d’y parvenir.
Je crois que cette situation devrait faire réfléchir les uns et les autres, tant ceux que vous associez au terrain que ceux que vous identifiez à des coupeurs de cheveux en quatre, si je vous suis bien.
S’il faut raison garder, il faut aussi chercher à agir réellement. À cet égard, je souscris en grande partie aux propos de notre collègue Jean-René Lecerf. Le compte n’y est pas, tant s’en faut : le plan Marshall pour les banlieues, toutes les choses récemment annoncées à qui mieux mieux, que nenni ! Les moyens pour la police dans les mêmes endroits, que nenni !
Pourtant, chacun sait que la police est très inégalement répartie, et pas seulement la police de proximité. S’agissant de cette dernière, vous me répondrez que, de fait, elle ne peut pas aller dans les zones de non-droit. Cela dit, elle n’était déjà plus dans les quartiers avant que ceux-ci deviennent des zones de non-droit. De plus, le ratio de policiers dans certains départements par rapport à d’autres n’est pas du tout adapté. Il faut en tenir compte, monsieur Demuynck.
Il en est de même des moyens de la justice.
Par ailleurs, pour éradiquer les trafics, de stupéfiants par exemple, de gros moyens doivent être mobilisés. Je ne suis pas si sûre que cela soit fait, malgré quelques actions spectaculaires de temps à autre.
Quant à la prévention, gros mot, apparemment, pour certains d’entre vous, elle concerne beaucoup de questions économiques et sociales, notamment d’aide et de prise en charge, et ce avant que les actes ne soient commis, avant même le premier.
Pour toutes ces raisons, il serait très grave de vous suivre et cela vous conforterait, vous et quelques autres. Dire que l’on va rajouter une louche, toujours dans le même sens, et que cela va avoir, comme par miracle, un effet, cela reviendrait à mentir à nos concitoyens, et donc à vos propres administrés.
Enfin, j’évoquerai deux derniers arguments.
On ne peut pas, au gré de chaque loi, modifier le code pénal et le code de procédure pénale. C’est du très mauvais travail parlementaire. Vous êtes maire, c’est-à-dire un élu de proximité, mais vous êtes aussi sénateur. Vous devez donc faire un travail de législateur. Il n’est pas possible de modifier chaque fois la hiérarchie des peines.
En outre, monsieur Demuynck, vous en avez bien conscience, des lois récentes qui ne sont même pas encore appliquées et ce projet de loi d’orientation et de programmation – que vous allez voter, j’en suis sûre, même si vos amendements ne sont pas retenus – aggravent les sanctions. Les peines encourues actuellement seront donc alourdies. Cela répondra à ce que vous cherchez au travers de votre placement intempestif sous surveillance de toute personne qui trouble l’ordre public.