M. Richard Yung. Cet amendement vise à abroger ce que l’on appelle, à mon avis à tort, le délit de solidarité – deux termes contradictoires –, qui est défini à l’article L.622-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ou CESEDA. Cet article incrimine en termes très généraux les personnes qui auront, « par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers, d’un étranger en France ».
Ce délit pénal, puni de cinq ans de prison et d’une amende de 30 000 euros, est certes tempéré par des immunités, mais assez modestes.
Sur la base de ces dispositions, plusieurs dizaines de nos concitoyens ont récemment fait l’objet d’incriminations et d’interpellations, de placements en garde à vue, de mises en examen, de poursuites et de rappels à la loi pour avoir accueilli, accompagné ou hébergé des migrants.
En 2007, par exemple, deux intervenantes sociales de l’association France terre d’asile ont été interpellées, de même que des membres de la communauté Emmaüs de Marseille dont les locaux ont été perquisitionnés, et, à Calais, une personne qui fournissait de la nourriture et des vêtements a été placée en garde à vue.
Depuis plusieurs années, de nombreuses associations demandent l’abrogation de ce délit de solidarité.
De même, la Commission nationale consultative des droits de l’homme a émis le 19 novembre 2009 un avis affirmant que la législation française, en l’état actuel des textes, est non seulement en contradiction avec les principes internationaux mais également non conforme à la législation européenne.
Pour ces raisons, nous proposons de réécrire l’article L.622-1 en prévoyant une clause humanitaire qui dépénalise toute aide lorsque la sauvegarde de la vie ou l’intégrité physique de l’étranger est en jeu, sauf si cette aide a donné lieu à une contrepartie pécuniaire.
Nous souhaitons inverser la logique du dispositif et faire de l’incrimination l’exception.
Nous proposons également de clarifier la définition de l’incrimination en remplaçant le terme général de « circulation » par celui de « transit », afin de ne sanctionner que les passeurs qui tentent de faire traverser les frontières aux migrants. C’est en particulier le cas, vous le savez, entre le Calaisis et la Grande-Bretagne.
Enfin, nous souhaitons étendre le champ des immunités en dépénalisant l’aide au séjour apportée par des personnes physiques ou morales agissant dans le but de préserver l’intégrité physique de l’étranger ou sa dignité, sauf si cette aide est réalisée avec l’idée d’une rémunération.
Le présent amendement vise donc à garantir la sécurité juridique des personnes qui accomplissent des actes de solidarité. C’est, nous semble-t-il, une valeur forte, une valeur de notre société à l’égard des migrants en situation de détresse.
Pour toutes ces raisons, nous vous invitons à voter en faveur de cette nouvelle rédaction de l’article L.622-1.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Cet amendement tend à modifier les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile concernant le délit d’aide à l’entrée et au séjour irréguliers des étrangers.
Le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, que nous examinerons bientôt, comporte des modifications des mêmes articles du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Il paraît donc préférable d’étudier le présent amendement dans le cadre de l’examen de ce projet de loi.
La commission demande le retrait de l’amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.
M. Alain Anziani. Je souhaite insister sur cet amendement.
Pourquoi l’argument que l’on nous oppose pour la première fois ce matin, mais que l’on nous a servi de très nombreuses fois ces derniers jours, à savoir l’examen d’un nouveau projet de loi, n’a-t-il pas utilisé hier ?
Nous l’avons dit à de multiples reprises : alors que les cartons du Gouvernement renferment de nombreux textes concernant la justice des mineurs ou d’autres sujets, on utilise ce projet de loi d’orientation et de programmation pour proposer des modifications à cet égard !
Là, nous sommes de surcroît dans un cas tout à fait symbolique. Richard Yung nous propose de clarifier tout de suite – c’est notre intérêt à tous – une situation intolérable : des gens faisant preuve d’humanité et portant secours à des migrants peuvent être poursuivis pour avoir commis une infraction !
On connaît les débats judiciaires qui ont lieu assez fréquemment aujourd’hui, avec des interprétations différentes des uns et des autres. Les tribunaux sont parfois obligés de faire des contorsions pour éviter des condamnations qui seraient injustes.
Il y a urgence, et la loi doit donc être modifiée aujourd’hui.
Mme la présidente. L'amendement n° 265 rectifié, présenté par Mme Boumediene-Thiery, MM. Anziani, Peyronnet, Bel et C. Gautier, Mme Klès, MM. Sueur, Yung, Michel, Frimat et Repentin, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Mahéas, Collombat, Sutour, Tuheiava, Collomb, Courteau, Guillaume, Berthou et Daunis, Mmes Ghali, M. André et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'article 24 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 78-1 du code de procédure pénale, il est inséré un article 78-1-1 ainsi rédigé :
« Art. 78-1-1. - Le contrôle d'identité effectué dans les conditions et par les autorités mentionnées aux articles suivants donne lieu à l'établissement, sous peine de nullité de la procédure, à une attestation de contrôle comprenant :
« 1° Les motifs qui justifient le contrôle ainsi que la vérification d'identité ;
« 2° Le jour et l'heure à partir desquels le contrôle a été effectué ;
« 3° L'identité de l'agent ayant procédé au contrôle ;
« 4° Les observations de la personne ayant fait l'objet du contrôle ;
« Cette attestation est présentée à la signature de l'intéressé. Si ce dernier refuse de la signer, mention est faite du refus et des motifs de celui-ci.
« L'attestation de contrôle est transmise au procureur de la République. Une copie est remise sur le champ à l'intéressé.
« Les dispositions du présent article sont applicables sans préjudice de la procédure mentionnée à l'article 78-3.
« Un décret en Conseil d'État précise les modalités de mise en œuvre de cet article. »
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement vise à instituer un dispositif permettant une traçabilité des contrôles de police.
Plusieurs d’entre vous ne voient pas l’utilité immédiate d’une telle disposition. Pourtant, il s’agit d’une réponse équilibrée et pertinente à un phénomène qui existe : celui du contrôle au faciès. Nous sommes tous ici contre le contrôle au faciès, mais il faut lutter contre cette réalité de manière peut-être un peu plus efficace.
Selon une étude scientifique fondée sur une observation continue, menée par deux chercheurs français, Fabien Jobard et René Lévy, une personne d’origine maghrébine a 7,8 fois plus de risques d’être contrôlée par la police qu’une personne d’origine européenne.
Régulièrement, la question du contrôle au faciès réapparaît dans les médias, sans que jamais aucune solution soit préconisée pour y apporter une réponse adaptée.
Il n’est pas question ici de stigmatiser les forces de police, qui font leur travail comme elles le peuvent et avec les moyens qu’elles ont. Il est seulement question de disposer d’un outil qui permette de répertorier les contrôles de police et de déterminer qui a été contrôlé, par qui, et combien de fois. L’action de la police doit être transparente, et l’amendement que nous vous proposons participe de cette transparence.
Il est pour le moins étonnant qu’une personne soit contrôlée parfois plusieurs fois de suite, voire conduite au poste de police pour une vérification d’identité et qu’il n’existe nulle part aucune trace de cette procédure !
L’outil que nous vous proposons est une attestation de contrôle qui sera remise à toute personne contrôlée par la police ou la gendarmerie et qui comportera plusieurs mentions, sous peine de nullité. Outre l’identité de la personne contrôlée, seront ainsi mentionnés : premièrement, les motifs qui justifient le contrôle et la vérification d’identité ; deuxièmement, le jour et l’heure à partir desquels le contrôle a été effectué ; troisièmement, l’identité de l’agent ayant procédé au contrôle ; enfin, quatrièmement, les observations de la personne ayant fait l’objet du contrôle.
Au moins, les choses seront transparentes et nous pourrons dire si, oui ou non, nous voulons lutter contre ces contrôles au faciès.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Cet amendement vise à introduire une nouvelle procédure pour encadrer les contrôles d’identité menés par les policiers et par les gendarmes : il s’agirait de l’établissement pour chaque personne contrôlée d’une attestation de contrôle, transmise au procureur de la République.
Si l’on peut, en effet, comprendre la finalité de l’amendement, j’imagine cependant, sur le plan pratique, le nombre de fiches qui vont arriver dans un parquet comme celui de Paris… On pourrait alors se demander s’il ne faudrait pas créer un nouveau fichier pour centraliser ces fiches… On aboutirait à quelque chose d’impossible !
La commission émet donc un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Le contrôle d’identité des personnes contribue à enrayer la montée de la criminalité. Le législateur a établi un cadre pour la mise en œuvre de ce régime juridique préventif. Ce cadre est respecté et, s’il ne l’était pas, les autorités compétentes, à commencer par le ministère de l’intérieur, se chargeraient de le faire appliquer.
Mais, dans l’amendement n° 265 rectifié, ni la nature de l’attestation que vous voulez créer ni la valeur attachée à cette dernière ne sont définis.
Par ailleurs, ce n’est pas avec une attestation à la portée incertaine qu’on établit la confiance entre la population et la police. Cela risque d’instaurer un mauvais rapport de force, sans compter les conséquences de ce système qui pourrait désorganiser notamment les contrôles d’identité, les trafics des attestations, les fausses attestations.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Je soutiens cet amendement, qui clarifie les choses et profitera donc à la fois aux intéressés et aux forces de l’ordre.
Une telle disposition existe dans plusieurs pays européens, notamment aux Pays-Bas, où, à ma connaissance, elle n’a pas entraîné de rupture de l’ordre public. Cela aide au contraire la police, évite des actions redondantes et clarifie les choses.
L’adoption de cet amendement permettrait d’aller dans le bon sens, celui de la pacification des relations entre, d’une part, les personnes qui font l’objet des contrôles d’identité et, d’autre part, les forces de l’ordre.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 265 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 24 bis
I. – Le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, le préfet de police, peut décider, dans leur intérêt, une mesure tendant à restreindre la liberté d’aller et de venir des mineurs de treize ans lorsque le fait, pour ceux-ci, de circuler ou de stationner sur la voie publique, entre 23 heures et 6 heures, sans être accompagnés de l’un de leurs parents ou du titulaire de l’autorité parentale, les expose à un risque manifeste pour leur santé, leur sécurité, leur éducation ou leur moralité.
La décision énonce la durée, limitée dans le temps, de la mesure, les circonstances précises de fait et de lieu qui la motivent, ainsi que le territoire sur lequel elle s’applique.
II. – Après le 10° de l’article 15-1 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, il est inséré un 11° ainsi rédigé :
« 11° Interdiction pour le mineur d’aller et venir sur la voie publique entre 23 heures et 6 heures sans être accompagné de l’un de ses parents ou du titulaire de l’autorité parentale, pour une durée de trois mois maximum, renouvelable une fois. »
III. – (Non modifié) Les décisions mentionnées aux I et II prévoient les modalités de prise en charge du mineur et sa remise immédiate à ses parents ou à son représentant légal. Le procureur de la République est avisé sans délai de cette remise.
Sans préjudice des dispositions de l’article L. 223-2 du code de l’action sociale et des familles, en cas d’urgence et lorsque le représentant légal du mineur n’a pu être contacté ou a refusé d’accueillir l’enfant à son domicile, celui-ci est remis au service de l’aide sociale à l’enfance qui le recueille provisoirement, par décision du représentant de l’État dans le département ou, à Paris, du préfet de police, qui en avise immédiatement le procureur de la République.
Le fait pour les parents du mineur ou son représentant légal de ne pas s’être assurés du respect par celui-ci de la mesure visée au premier alinéa du I ou au II est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la troisième classe.
IV. – (Supprimé).
Mme la présidente. Je suis saisi de quatre amendements identiques.
L'amendement n° 50 est présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et MM. Desessard et Muller.
L'amendement n° 157 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 246 est présenté par MM. Sueur, Anziani, Peyronnet, Bel et C. Gautier, Mme Klès, MM. Yung, Michel, Frimat et Repentin, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Mahéas, Collombat, Sutour, Tuheiava, Collomb, Courteau, Guillaume, Berthou et Daunis, Mmes Ghali, M. André et les membres du groupe Socialiste et apparentés.
L'amendement n° 342 rectifié est présenté par M. Collin, Mme Escoffier, MM. Mézard, Baylet et Detcheverry, Mme Laborde et MM. Milhau, Vall et Tropeano.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l’amendement n° 50.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement concerne le couvre-feu pour les mineurs.
En lieu et place d’une réforme globale de l’ordonnance de 1945, qui est d’ailleurs prévue dans un futur indéterminé, le Gouvernement et la majorité ont décidé de distiller un certain nombre de modifications, de pur affichage, visant à stigmatiser un peu plus l’enfance en danger.
L’article 24 bis confère au préfet la faculté de prendre une mesure de « couvre-feu » à l’encontre des mineurs de treize ans.
Cette mesure aurait pour effet de restreindre la liberté d’aller et venir de ces mineurs entre vingt-trois heures et six heures s’ils ne sont pas accompagnés de leurs parents sous prétexte de risque d’atteinte à leur santé, leur sécurité ou leur moralité.
L’article introduit deux types de mesures : soit un couvre-feu de portée générale, qui est déjà possible en vertu du pouvoir de police du maire, soit un couvre-feu individuel, prononcé à l’encontre d’un mineur de treize ans ayant déjà fait l’objet de mesures ou de sanctions éducatives et dont les parents ont signé un contrat de responsabilité parentale.
Ma première remarque est très simple : une telle mesure relève non pas du préfet, mais du domaine de l’assistance éducative et donc de la compétence du juge des enfants.
Cette disposition traduit une approche autoritaire du suivi éducatif et témoigne d’un renoncement à la prise en charge préventive des mineurs en détresse au profit d’un renforcement de la répression. En effet, au lieu d’aider les parents, le texte vise à les sanctionner pour le non-respect du couvre-feu.
Nous refusons cette approche sécuritaire, qui condamne sans comprendre et qui stigmatise ainsi sans aucune approche éducative.
Tout cela relève de l’assistance éducative, qui est une liberté fondamentale et qui, en vertu de la Constitution, doit être protégée par le juge !
Ce mélange des genres est intolérable dans une société qui se dit démocratique : on ne peut pas transférer, mot pour mot, les compétences d’un juge – une autorité judiciaire – à une autorité administrative – donc politique – sans violer la Constitution !
Les choses deviennent encore plus graves si les parents de l’enfant sont injoignables ou s’ils refusent d’accueillir l’enfant : dans ce cas, ce dernier est remis au service de l’aide à l’enfance sur décision préfectorale, sans même l’avis du juge des enfants.
Il s’agit d’une véritable ordonnance de placement provisoire, qui est normalement de la compétence du président du conseil général et répond à une procédure très stricte et contradictoire.
Le dispositif proposé viole donc triplement la Constitution. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons sa suppression et demandons le retour à l’autorité judiciaire.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 157.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, je défendrai en même temps les amendements nos 158 et 159.
L’article 24 bis prévoit la possibilité pour le préfet de prendre des mesures dites de « couvre-feu » individuelles à l’égard des mineurs exposés, par leur présence sur la voie publique, à un risque manifeste pour leur santé, leur sécurité, leur éducation ou leur moralité, en restreignant leur liberté d’aller et venir entre vingt-trois heures et six heures. Cette formulation trop générale contribue à stigmatiser certains mineurs et ne traite en rien le problème éducatif.
Tout d’abord, ces dispositions organisent le transfert à l’autorité administrative d’une compétence qui était jusque-là dévolue au juge des enfants, en reprenant mot pour mot les conditions de l’assistance éducative. Qui plus est, la liberté d’aller et venir étant une liberté fondamentale, il semble tout à fait anormal que la qualification de ces atteintes échappe au juge chargé par la Constitution d’en garantir l’exercice.
Ensuite, si les parents du mineur ne peuvent être contactés ou refusent d’accueillir l’enfant à leur domicile, celui-ci est remis au service d’aide sociale à l’enfance sur décision préfectorale, avec simple avis du procureur de la République.
Cet article autorise donc l’administration, et non plus le conseil général, à prendre une véritable ordonnance de placement provisoire, sans garantie du respect de la procédure contradictoire pour les familles, contrairement à ce qui est imposé aux magistrats du parquet lorsqu’ils disposent de compétences similaires.
En cas de non-respect de la mesure de couvre-feu, le texte condamne également les parents à une amende contraventionnelle, alors que le code civil impose au juge de rechercher l’adhésion des familles.
L’intitulé de ce chapitre, qui fait référence à la « prévention de la délinquance », est un leurre dans la mesure où l’article 24 bis traduit bel et bien une vision autoritaire du suivi des familles, que l’on sait inopérante. Celui-ci n’a pour seul objet que de transformer une mesure de protection en une mesure de sanction éducative pour stigmatiser une hypothétique population délinquante. Il est donc purement démagogique.
C’est pourquoi nous demandons la suppression de l’article 24 bis.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l'amendement n° 246.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, madame la ministre, si vous me le permettez, j’aborderai la question du couvre-feu en évoquant la situation concrète de la ville dont j’ai été le maire durant de nombreuses années et en la comparant à la situation actuelle.
Il est arrivé à quelques reprises – ce fut rare – que mes adjoints ou moi-même soyons réveillés parce qu’un mineur se trouvait sur la voie publique, livré à lui-même.
Que s’est-il alors passé ? Nous avons pris les dispositions qui s’imposaient : cet enfant a été immédiatement confié au service de l’aide sociale à l’enfance.
Puis, mon successeur a instauré un couvre-feu. Cette mesure a fait l’objet d’une publicité. Instaurer un couvre-feu dans sa ville, c’est très porteur – n’est-ce pas, monsieur Nègre ?
M. Louis Nègre. Je vous écoute avec intérêt !
M. Jean-Pierre Sueur. Les journalistes se sont donc déplacés. Ils ont passé quelques heures, la nuit, aux côtés des policiers présents dans les rues, à attendre les mineurs, qui, eux, naturellement, n’y étaient pas. De toute façon, durant des années et des années, aucun mineur n’a été repéré la nuit dans la rue ! Pour les très rares cas d’espèce, des mesures sont déjà prévues dans les textes législatifs.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Sueur. Les journalistes, n’ayant rien vu la nuit, venaient me rencontrer ensuite : il leur fallait bien un article pour justifier leur déplacement !
Le couvre-feu a bien sûr pour objet de frapper les esprits, mais – et je pense, madame la ministre, que vous en conviendrez facilement – n’a aucune efficacité concrète.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Au contraire !
M. Jean-Pierre Sueur. Que faites-vous, madame la ministre, si, dans la collectivité dont vous avez la responsabilité, un mineur est laissé à l’abandon à deux, trois ou cinq heures du matin ? Vous appliquez la loi existante ! Si vous ne le faites pas, vous êtes gravement coupable ! Vous êtes tout simplement coupable de non-assistance à personne en danger ! Et les dispositions relatives à la non-assistance à personne en danger sont très nombreuses. Il existe de surcroît les articles 375 à 375-8 du code civil.
Si un enfant est livré à lui-même, abandonné, exposé à un danger, il est clair que nous devons le secourir.
En instaurant des couvre-feux, on aboutit à stigmatiser un peu plus les quartiers qui en feront l’objet. En effet, on décrétera un couvre-feu dans certains quartiers et pas dans d’autres.
Mme Éliane Assassi. Absolument !
M. Jean-Pierre Sueur. D’ailleurs, on pourra vous demander pourquoi vous instaurez un couvre-feu dans tel quartier et pas dans tel autre.
Car, mes chers collègues, il est impossible de ne rien faire si un enfant est livré à lui-même dans la rue à trois heures du matin dans un quartier qui n’est pas concerné par le couvre-feu…
Les policiers connaissent bien cette situation. D’ailleurs, monsieur Jean-Patrick Courtois, à la page 108 de votre rapport,…
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Vous avez de bonnes lectures !
M. Jean-Pierre Sueur. … vous écrivez, à juste titre me semble-t-il : « Certains syndicats de policiers reçus par votre rapporteur ont souligné, d’une part la faible fréquence de la présence de mineurs de 13 ans après 23 heures sur la voie publique, d’autre part l’importante mobilisation policière que susciterait une application rigoureuse d’un tel couvre-feu. »
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Parce que cela marche !
M. Jean-Pierre Sueur. M. Hortefeux est, à juste titre, très préoccupé, comme vous pouvez l’être, madame la ministre, de la bonne utilisation des forces de police. Moi, je puis vous dire que celles-ci ont autre chose à faire la nuit que de guetter des mineurs dans les quartiers couverts par le couvre-feu !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Elles ont autre chose à faire que de chercher, de traquer des jeunes qui seraient dans la rue !
M. Jean-Pierre Sueur. D’ailleurs, s’il y a un mineur en « déshérence », il revient bien entendu à tout maire, tout élu, tout policier, tout adulte de le prendre en charge en vertu de la loi existante.
Il importe donc d’adopter des mesures efficaces et non pas – j’espère l’avoir démontré ! – des mesures dont le seul objet est de frapper l’opinion sans avoir aucun effet concret, compte tenu des lois qui existent et qui doivent s’appliquer.
Mme la présidente. L’amendement n° 342 rectifié n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Ces amendements identiques tendent à supprimer l’article 24 bis, qui fixe le régime du couvre-feu préfectoral pour les mineurs.
Or la première partie de cet article ne fait que reprendre, au niveau préfectoral, une faculté déjà ouverte aux maires.
La seconde partie, profondément amendée par la commission des lois, fait du couvre-feu individuel prononcé à l’encontre de certains mineurs une mesure judiciaire, alors que le texte initial prévoyait une mesure purement administrative.
La commission des lois a ainsi trouvé un équilibre satisfaisant entre la nécessité de soustraire certains mineurs à l’influence de la rue et la préservation de la liberté d’aller et venir, liberté constitutionnellement garantie.
En conséquence, elle a émis un avis défavorable sur ces amendements identiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Le couvre-feu des mineurs est une mesure essentielle. En effet, nous devons protéger les enfants et les adolescents qui se promènent, la nuit, sur la voie publique sans être accompagnés d’un adulte responsable.
M. Jean-Pierre Sueur. Évidemment ! Mais pourquoi faut-il un couvre-feu ?
M. Jean-Pierre Sueur. Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Évidemment !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Naturellement !
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. Cet article vise donc à répondre plus efficacement à la nécessaire protection de la santé, de la sécurité et de l’éducation des moins de treize ans.
De plus, la mesure proposée est accompagnée de toutes les garanties nécessaires : le préfet précise la durée de la mesure, les circonstances précises de fait et de lieu qui la motivent, ainsi que le territoire sur lequel elle s’applique, et prévoit les modalités de prise en charge du mineur.
Certes, ce nouveau dispositif n’est pas le seul à protéger les enfants…
M. Jean-Pierre Sueur. Encore heureux !
Mme Marie-Luce Penchard, ministre. …– il en existe bien d’autres –, mais il permet de compléter ce qui existe en matière de protection des enfants. Il faut donc maintenir le dispositif de couvre-feu des mineurs, et c’est tout le sens de l’article 24 bis.
En conséquence, le Gouvernement est défavorable à ces trois amendements identiques.
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Nègre, pour explication de vote.
M. Louis Nègre. Monsieur Sueur, j’ai écouté avec beaucoup d’attention votre intervention. Je reconnais que vous avez, en tant qu’ancien maire, une connaissance du terrain. Mais, permettez-moi d’exprimer, en tant que maire en exercice depuis quinze ans, une opinion contraire à la vôtre.
J’ai pris un arrêté « couvre-feu » en l’an 2000, soit voilà déjà dix ans, dans le but de protéger les mineurs. Il s’agissait avant tout de prendre une mesure de protection et non pas de stigmatisation. D’ailleurs, que signifie le mot « stigmatisation » ? Vous stigmatisez les mineurs, vous ? Nous, non ! Au contraire, nous les protégeons ! Il y a donc une nuance fondamentale dans nos démarches intellectuelles respectives.
Vous, vous parlez de liberté d’aller et de venir. Mais enfin, que signifie la liberté d’aller et de venir d’un enfant de huit ans à trois heures du matin dans nos villes ? Vu ce qui se passe aujourd'hui, cela ne vous choque pas ? Vous trouvez cela normal ?