M. Jean-Pierre Sueur. Poser la question, c’est y répondre !
M. Jean-Claude Peyronnet. Je passe sur la décision de ne plus publier chronologiquement les incendies de voitures… Je note tout de même que l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, l’ONDRP, a recensé en 2010 une augmentation de 7,2 % desdits incendies sur douze mois : leur nombre a augmenté de 3 061, soit au total 42 513 voitures incendiées dans l’année, 116 chaque jour. Beau succès là aussi ! On comprend que vous ne vouliez pas que l’on parle trop de ces chiffres !
Si, dans un autre domaine, les vols avec effraction ont baissé, cela ne vous empêche pas de proposer dans ce projet de loi l’aggravation des sanctions afférentes à ce type de crimes. Ce n’est pas bien sûr cette proposition qui permettra de faire diminuer encore plus les infractions, mais, comme c’est déjà le cas, l’efficacité grandissante des systèmes de protection dont se dotent les particuliers ; il en est de même pour les téléphones portables pour lesquels les techniques de blocage sont de plus en plus rapides et perfectionnées.
En réalité, les infractions qui touchent et inquiètent le plus la population – je veux parler des atteintes volontaires à l’intégrité physique – sont en forte augmentation de façon constante. Au mois de novembre dernier, l’ONDRP a constaté qu’un pic avait alors été atteint : 457 390 actes de violences et menaces constatés, chiffre le plus élevé depuis – tenez-vous bien, mes chers collègues – 1996 ! Et, actuellement, le total est toujours proche de cette valeur, avec simplement un ralentissement de la progression lors des derniers mois ; quoi qu’il en soit, au mois de mai, on notait une augmentation de ces infractions de 2 % depuis douze mois.
Paradoxalement et malgré vos déclarations de la nuit dernière, monsieur le ministre, tout cela résulte de la politique du chiffre décidée par le Président de la République, ci-devant ministre de l’intérieur, voilà plus de huit ans. Chacun se souvient de sa visite au commissariat de Toulouse et de sa déclaration devant les fonctionnaires assemblés leur intimant de ne pas se comporter en travailleurs sociaux et de s’en tenir à deux missions : l’investigation et l’interpellation. Dont acte !
Mais il fallait pouvoir afficher des résultats rapidement. On mit donc la pression sur les fonctionnaires de police et sur les gendarmes. Faute de moyens – ce n’est pas forcément le cas dans le quartier du Mirail, où le Président de la République doit, me semble-t-il, se rendre bientôt –, on exige donc des préfets, des commissaires, des officiers, de tous les fonctionnaires des chiffres positifs destinés à démontrer l’efficacité de la politique voulue par le pouvoir. Tous les fonctionnaires et leurs représentants le disent : ils sont fatigués par ces exigences et par les « rafales » de réformes, terme employé par un syndicaliste. Cette situation a donné lieu à une scène stupéfiante à Melun le 23 mars, lors de l’enterrement d’un policier tué en service : certains de ses collègues de la brigade anti-criminalité, la BAC, ont tourné ostensiblement le dos au Président de la République pendant son discours d’hommage. Inimaginable ! On n’avait jamais vu ça !
Les policiers se sentent trahis, car l’exigence de résultats est concomitante avec la baisse des effectifs commencée en 2007.
Si le projet de loi que vous nous proposez ne programme rien en la matière, la gestion des effectifs se fait ailleurs, en parallèle, par le biais de la révision générale des politiques publiques. Ainsi, 9 000 postes de policiers et de gendarmes ont été supprimés. Le résultat est dramatique. Si une suppression globale de fonctionnaires est peut-être justifiée, certains secteurs – police, éducation, santé – devraient être épargnés.
Pouvez-vous me confirmer, monsieur le ministre, que dans une ville de banlieue comportant environ 50 000 habitants une seule voiture de police peut patrouiller la nuit ?
Pouvez-vous me confirmer que dans une ville de province de 150 000 habitants une seule voiture de la BAC est en service de nuit ?
Vous avez créé, dans l’urgence, les GIR départementaux à partir de l’expérience de Grenoble. Avez-vous les moyens d’étendre cette innovation à d’autres villes, à d’autres départements ? J’en doute.
En fait, vous agissez au coup par coup, sous la pression de la nécessité, sans ligne directrice et dans un objectif d’affichage.
C’est très exactement l’inverse qu’il faudrait faire : mieux utiliser les fonctionnaires sur le terrain en les soulageant de leurs autres missions.
La prévention, ce n’est pas, comme vous le dites, d’abord la répression. Augmenter les peines, alors que les magistrats n’utilisent que très partiellement les possibilités qui leur sont offertes, ne sert à rien. Non, la prévention, c’est effectuer un travail de proximité, assurer une présence constante. C’est une question de confiance entre population et police. C’est de cela que nous avons besoin. On ne peut se satisfaire d’une situation dans laquelle les policiers, les pompiers sont accueillis par des jets de pierres lorsqu’ils entrent dans certains quartiers. Il faut reconquérir ces quartiers. Ce sera forcément long, beaucoup plus difficile qu’en 2002. Nécessairement, il faudra trouver des moyens supplémentaires. Ce sera donc coûteux, et beaucoup plus qu’en 2002. Vous nous avez fait perdre vingt ans !
Dans votre logique, vous feignez de croire que le vote d’une loi suffit à faire évoluer les choses. C’est un mirage ! Nous avons besoin non pas de lois sécuritaires supplémentaires, mais d’une police plus présente, aux effectifs plus nombreux, et donc plus efficace.
L’appareil législatif est suffisant. Vous le constateriez si vous faisiez une véritable évaluation des lois antérieures avant d’en proposer de nouvelles.
Interrogez les gardiens d’immeubles et demandez-leur s’ils sont désormais bien outillés pour faire évacuer les halls. Ils vous répondront que rien n’a changé.
Interrogez les vétérinaires et demandez-leur combien de propriétaires de chiens dangereux sont en règle avec la loi, notamment au regard de la formation. Moins de 20 % d’entre eux le sont ! On pourrait multiplier les exemples.
L’échec de votre politique n’a jamais été mieux mis en évidence que cet été. Tous les ans, ou presque, on assiste à un feuilleton sécuritaire. Cette année, il a pris les allures d’un grand festival.
Le facteur déclenchant a été constitué par les événements survenus à Saint-Aignan et à Grenoble dans lesquels le Président de la République s’est personnellement impliqué. Cette opération prend tout son sel et dévoile ses buts quand on apprend par le journal Le Monde qu’elle a été préparée de longue date depuis l’échec de la majorité aux élections régionales. Il suffisait d’attendre le moment favorable.
Il est venu avec l’implication de gens du voyage dans un acte criminel inadmissible. Une aubaine pour les objectifs à atteindre. Pensez ! Désigner à la vindicte populaire une communauté qui génère chez les autres, depuis des siècles, toutes les peurs et tous les rejets. C’était du pain béni !
Et sans crainte de l’amalgame, on a assimilé de façon scandaleuse délinquance et immigration, identité française et qualité d’être français, gens du voyage, très majoritairement français, et Roms étrangers. Ce n’est que justice que ce type d’assimilation méprisable se soit retourné contre vous.
À grand renfort de déclarations guerrières, vous vous êtes lancés dans une politique de reconduite des populations roms dans leur pays, politique présentée comme une nouveauté face à l’exaspération et aux dangers que ces populations feraient courir aux bons Français de souche. Chemin faisant, cependant, les Français ont appris que cette politique n’était pas du tout nouvelle, que, bon an mal an, vous expulsiez quelque 10 000 Roms en douze mois, soit une moyenne de 800 à 850 par mois, à peine moins que les 900 que vous avez reconduits chez eux le mois dernier. Et ces 800 à 850 volontaires, indemnisés pour partir, reviennent dès qu’ils le peuvent, maintenant en permanence un nombre de Roms d’environ 15 000 sur notre territoire.
Vous avez réussi le tour de force de vous mettre au ban de l’opinion française et internationale, en raison moins des expulsions que du discours quasi raciste qui a été mis en exergue. Quelle volée de bois vert de la part de toute la presse, internationale comme nationale, de gauche comme de droite, à l’exception du Figaro. Trois anciens Premiers ministres se sont élevés contre votre action : M. de Villepin, avec le panache que l’on connaît, M. Juppé et, dans nos rangs, M. Raffarin. Beau succès là encore ! C’est tout un symbole.
Le discours qui a accompagné les opérations de l’été avait pour objectif, comme toute votre politique sécuritaire, non pas de protéger les Français d’un danger réel ou potentiel, mais de les convaincre que vous agissez. Peu importe que cette politique n’ait aucun effet positif : ce qui compte, c’est ce que vous ferez dire à la presse, qui fera l’opinion et conduira les citoyens à voter en votre faveur lors des prochaines échéances électorales. Et pour cela, vous n’hésitez pas à crédibiliser les discours racistes du Front national. Cette vieille recette a bien marché en 2007. Pourquoi n’en serait-il pas de même en 2012 ?
Hélas pour vous, et sans doute pour les Français, toutes les enquêtes d’opinion semblent bien indiquer que cette fois vous courez à l’échec : vous donnez en réalité de la valeur aux discours extrémistes et vous renforcez l’influence du parti extrême qui les porte.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte marque le désengagement de l’État en matière de politique de sécurité publique de proximité, au détriment des collectivités locales, en s’appuyant sur le tout technologique, en annexant les moyens des polices municipales et en privilégiant le secteur de la sécurité privée.
Tout cela est inacceptable. C’est pourquoi le groupe socialiste et moi-même considérons qu’il n’y a pas lieu de poursuivre l’examen de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Le projet de loi de programmation vise à inscrire dans la durée l’engagement majeur de l’État dans la lutte contre l’insécurité. Comptant près de cent dix articles, il définit à la fois les objectifs et les moyens de cette lutte en permettant aux forces de l’ordre de tirer parti des innovations technologiques, en les adaptant aux nouvelles formes de la délinquance.
Il s’agit de conforter les bons résultats obtenus dans ce domaine depuis 2002. Sur ce point, la technique de la loi de programmation a fait ses preuves, comme l’a montré la précédente loi de programmation adoptée en la matière.
Contrairement à ce que laissent entendre les auteurs de la motion, les sujets développés par le présent texte méritent toute l’attention du Sénat, qu’il s’agisse de la lutte contre la cybercriminalité, du développement encadré de la vidéoprotection, de la lutte contre les nouvelles formes de violence, contre la délinquance quotidienne ou contre l’insécurité routière, ou encore du renforcement des pouvoirs de la police municipale.
À cet égard, l’importance du champ couvert par le présent projet de loi rend compte de la très grande diversité des formes de délinquance, des évolutions qu’elles ont connues récemment et de la nécessité d’agir sur tous les leviers d’action disponibles pour garantir la sécurité des Français.
L’étendue du champ couvert par le présent projet de loi constitue ainsi le gage de l’efficacité du texte.
S’agissant des moyens, l’enjeu est celui, dans un contexte budgétaire contraint, d’un recentrement des forces de l’ordre sur le cœur de leur métier et d’un renforcement de leurs moyens, grâce, notamment, aux nouvelles technologies disponibles. C’est ce que prévoit le présent texte.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cette motion opposant la question préalable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Brice Hortefeux, ministre. J’ai écouté avec beaucoup d’attention les propos de M. Jean-Claude Peyronnet. Comme il l’a souligné – et j’y suis sensible – j’ai répondu, hier, à chacun des intervenants à la fin de la discussion générale. Je m’adresserai à lui, également, avec la plus grande courtoisie.
Au demeurant, tout ce que vous avez dit, monsieur Peyronnet, démontre une chose simple : le parti socialiste ne répond pas encore aux défis de la sécurité. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) J’étais sûr que cela ne vous plairait pas, mais ce n’est pas moi qui le dis, c’est l’un des vôtres, le député socialiste Julien Dray !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. M. François Rebsamen aussi !
M. Brice Hortefeux, ministre. Il a parfaitement raison ! (M. David Assouline s’exclame.) M. Assouline dit non par principe, il dit toujours non d’ailleurs ! Mais tels sont les propos de l’un des vôtres. Il a parlé d’or, et je partage totalement son avis.
Je ne veux pas créer de difficultés au sein de votre groupe, mais je ferai tout de même observer qu’un sénateur socialiste, maire d’une très grande ville, n’a pas du tout adopté la même position que vous.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
M. Brice Hortefeux, ministre. Vous avez la chance de compter parmi vous ce sénateur maire particulièrement responsable. Il a dit des choses vraies et justes et il a refusé de s’associer à des manifestations où vous étiez main dans la main avec l’extrême gauche ! D’ailleurs, il faudra aussi clarifier ce point-là. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
J’ai été très attentif aux leçons que vous souhaitez nous donner concernant le bilan : ce serait à se tordre les cotes de rire, si le sujet n’était pas aussi sérieux ! Quand vous étiez au pouvoir, la délinquance montait, explosait : elle avait augmenté de plus de 15 % ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Vous évoquez les violences aux personnes. Sur la seule année 2001, elles avaient augmenté de plus de 15,5 % !
Je n’ai pas dit, hier, que tout était réglé. J’ai simplement dit que nous avions cassé la spirale de la hausse. Nous l’avons limitée à 1,46 %. Ces chiffres sont simples et on peut tout à fait les comparer. (Exclamations et rires sur les travées du groupe socialiste.)
Vous avez évoqué la police de proximité, à laquelle je suis moi-même très attentif. À la vérité, je regrette que M. Jean-Pierre Chevènement ne soit pas présent dans l’hémicycle en ce moment, car la police de proximité, c’est vous-mêmes et vos amis qui y avez renoncé, tant elle était un échec, tant elle demandait d’effectifs et de moyens ! Il n’y a pas eu besoin d’attendre 2002 pour renoncer à cette forme de police, qui était en réalité inefficace et particulièrement budgétivore ! En termes de bilan, regardez ce que vous avez fait !
J’espère que votre intervention, monsieur Peyronnet, sera largement diffusée : elle a démontré que vous n’avez rien retenu, rien appris et rien compris sur le défi de la sécurité ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. J’ai décidé de faire cette explication de vote d’abord en écoutant notre collègue M. Jean-Claude Peyronnet, qui a parlé avec beaucoup de sérénité, de calme et de sérieux, chacun a pu le constater, mais surtout, monsieur le ministre, en entendant votre réponse.
En effet, elle a fait écho à quelques phrases que vous avez déjà prononcées hier soir. « Rien, rien, rien » : il y a ceux qui ne comprennent rien, qui ne veulent rien comprendre, et ceux qui ont tout compris.
Vous ne pouvez pas vous-même, monsieur le ministre, souscrire à cette rhétorique. Nous vous connaissons. Vous jouez un rôle, vous êtes dans une posture ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
Mes chers collègues, tout au long de son discours, M. le ministre a voulu faire croire que, d’un côté, les avis seraient divergents alors que, de l’autre, tous penseraient la même chose et formeraient un bloc soudé.
Comme M. Jean-Claude Peyronnet, je lis le journal ; j’ai donc lu les propos du Président de la République, de certains membres du Gouvernement ; j’ai lu les propos de M. Dominique de Villepin, des mots extrêmement durs ; j’ai lu ce que dit, avec sa personnalité, certes différente, M. Jean-Pierre Raffarin, et ce que dit M. Alain Juppé, avec sa personnalité encore différente ; j’ai lu aussi ce que dit Mme Christine Boutin, pour m’informer complètement, j’ai lu également ce que disent nombre de sénateurs et députés de la majorité. Et, vous le comprendrez, monsieur Brice Hortefeux, j’accorde une attention toute particulière à ce que dit M. Gérard Larcher.
M. Nicolas About. Il y a une montée en puissance dans votre discours ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur About, vous aussi, vous prenez connaissance de ces différents points de vue.
M. Nicolas About. Je suis solidaire du Gouvernement !
M. Jean-Pierre Sueur. En vérité, mes chers collègues, ces questions de sécurité sont difficiles, elles donnent lieu partout à des débats légitimes. Si quelqu’un avait trouvé un remède miracle au cours des dernières années, on l’aurait vu !
M. Pierre Hérisson. Ah, voilà ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Il est très difficile de plaider que tout va bien alors que l’on a supprimé 9 000 postes de policiers et de gendarmes lors des trois dernières années. Je sais très bien, monsieur le ministre, ce que vous avez prétendu : vous avez fait une démonstration chiffrée qu’il était parfois extrêmement difficile de suivre.
En tout cas, vous aurez beaucoup de mal à expliquer à la radio et à la télévision qu’avec 9 000 gendarmes et policiers en moins la sécurité va augmenter ! C’est assez difficile à comprendre…
Nous sommes prêts à mener un débat objectif et réaliste sur ces questions extrêmement difficiles, mais cela exigerait, de la part de chacun, un peu de modestie… Monsieur le ministre, nous ne sommes pas dans la situation du tout ou rien ; il n’y a pas, d’un côté, ceux qui ne comprennent rien, ceux qui n’ont jamais compris, qui ne comprendront jamais et, de l’autre, ceux qui ont déjà tout compris, depuis toujours et pour toujours !
Le débat pourrait être d’une nature un peu différente ! Je le sais, monsieur le ministre, vous êtes d’accord, mais alors pourquoi vous sentez-vous obligé d’utiliser cette rhétorique ? C’est qu’il faut regagner les voix, taper fort, et encore plus fort, employer des mots qui frappent ! Derrière cela, il y a peut-être tout simplement une certaine conception de l’action publique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je voterai la motion tendant à opposer la question préalable.
Les faits et les idées évoqués le montrent, la question de la sécurité concerne tout le monde. Mais il n’y a pas, d’un côté, les uns et, de l’autre côté, les autres, même si les politiques sont différentes. En tout cas, il s’agit d’une question très complexe, sinon le Gouvernement actuel, qui s’est voulu le champion de la sécurité, aurait sans doute obtenu d’autres résultats que ceux qu’il a aujourd’hui.
Cela dit, nous obtenons toujours la même réponse à nos questions ; on nous renvoie toujours un langage de division opposant les uns aux autres, dans tous les domaines. Mais, finalement, cette façon de faire a des limites. En effet, une majorité de nos concitoyens, à qui l’on a désigné les Roms comme boucs-émissaires « faciles », ainsi qu’il est habituel de le faire dans notre histoire, en prenant pour cible les Juifs ou les Tziganes, une majorité de nos concitoyens, disais-je, toutes croyances et opinions confondues, commencent à considérer que la façon dont le Gouvernement traite cette population est absolument inacceptable.
En conséquence, je soutiendrai cette motion.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Fourcade. Nous sommes en train de discuter d’une loi de programmation et d’orientation. Se battre sur des chiffres ou des comportements n’est pas à la mesure du débat que nous devons avoir.
La commission des lois et son rapporteur ont fait un excellent rapport qui montre la nécessité d’adapter nos méthodologies à l’évolution des technologies et à l’évolution de la société dans laquelle nous sommes.
Par conséquent, le groupe UMP ne votera pas la question préalable. Il considère, en effet, qu’il est important d’avoir un débat de fond sur les sujets abordés dans le texte.
Je remercie M. Jean-Claude Peyronnet, qui a proposé que le débat soit calme et serein. Nous avons tous, dans cette assemblée, une expérience des problèmes quotidiens de délinquance. Nous savons tous que les problèmes de vidéoprotection, de prévention et de lutte contre la cybercriminalité sont de plus en plus importants.
C’est la raison pour laquelle nous pensons qu’il ne faut pas esquiver le débat mais nous y engager. Nous voterons donc contre motion opposant la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 77, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du texte de la commission.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que la commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 264 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 153 |
Contre | 185 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par MM. Collin et Alfonsi, Mme Escoffier, MM. Mézard, Baylet, Chevènement et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, d'une motion n°365.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (n° 518, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. Yvon Collin, auteur de la motion.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, notre assemblée est amenée à débattre – une nouvelle fois ! – d’un projet de loi portant sur la sécurité.
Depuis 2002 et l’alternance qui a eu lieu cette année-là, il ne s’agit ni plus ni moins que du dix-septième texte portant sur la lutte contre la délinquance, avec les résultats que nous connaissons. La présentation de tant de textes en si peu de temps ne vaut-elle pas aveu d’échec ?
Nous nous souvenons tous que, à l’époque, on nous promettait que la délinquance reculerait et que le sentiment d’insécurité s’estomperait grâce à une politique volontariste et efficace... Qu’en est-il aujourd’hui ? La majorité n’a-t-elle pas disposé de tous les leviers du pouvoir de l’État et de tous les moyens budgétaires qu’elle souhaitait pour mettre en œuvre son programme d’action et de lutte contre l’insécurité ?
Il est surtout vrai que, malgré ses incantations auto-persuasives, le Gouvernement n’a pas atteint ses objectifs. Des données statistiques confirment d’ailleurs une hausse de la délinquance. Les chiffres en la matière sont éloquents et nombreux ; je n’en citerai que trois. Monsieur le ministre de l’intérieur, vous les contesterez peut-être, comme vous l’avez fait hier en répondant aux orateurs qui s’étaient exprimés lors de la discussion générale, avec beaucoup de courtoisie d'ailleurs. À cet égard, je m’associe aux propos de notre collègue Jean-Claude Peyronnet, car vous vous êtes donné beaucoup de mal et avez fait preuve d’une grande patience pour répondre à tous.
M. Yvon Collin. Néanmoins, les chiffres sont là ! Il y avait moins de 350 000 actes de violence contre les personnes en juillet 2003 ; il y en a eu 454 318 en juillet 2009. Le nombre de cambriolages a augmenté de 12 % en un an à peine. Les crimes et délits enregistrés en simple main courante se sont accrus de 10 % au cours de l’année 2009. Comme tous les chiffres, ceux que j’ai en ma possession sont sans doute contestables ; en tout cas, j’affirme qu’ils sont fondés.
Il y aurait aussi beaucoup à dire sur la statistique pénale et sa production, à travers la création de l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice, qui centralise toutes les recherches pour mieux en contrôler la diffusion.
De fait, l’inflation législative devient difficilement acceptable : peines planchers, abaissement de l’âge de la majorité pénale, loi anti-bandes, interdiction du port de la cagoule, castration chimique envisagée à un moment, extension exponentielle de la vidéosurveillance, peines de sûreté, élargissement de la mise à disposition du Taser aux polices municipales, détection des comportements délinquants dès l’école maternelle, couvre-feu pour les mineurs, entre autres.
Si l’enjeu, à savoir la défense des libertés publiques, n’était particulièrement grave, une telle célérité à faire voter ces textes, année après année, relèverait presque de l’obsession ! Mais qu’a concrètement obtenu cette majorité depuis 2002 ? Que sont devenus les engagements pris devant le pays par un ancien ministre de l’intérieur, qui proclamait à l’Assemblée nationale en juillet 2002 que « l’éradication des zones de non-droit livrées à l’économie souterraine et à la loi des bandes constitu [ait] un devoir prioritaire » ?
Huit ans après l’installation au pouvoir de l’actuelle majorité parlementaire, la situation est loin de s’être améliorée. Que signifie alors la discussion d’une loi de programmation au moment où nous entrons dans la dernière période de la législature, mais aussi du quinquennat présidentiel ?
Pendant ce temps, les effectifs de la gendarmerie devraient baisser d’au moins 3509 emplois ETPT, c'est-à-dire équivalents temps plein travaillés, dans le cadre triennal 2009-2011, ce qui alimente toutes les inquiétudes sur le maillage territorial de la gendarmerie en milieu rural. Les élus ruraux que nous sommes sont sensibles à ce problème. Dans la police, on annonce une deuxième vague de la RGPP pour 2012-2013. Cette mesure devrait se traduire par la suppression de 3963 ETPT supplémentaires. À l’issue de cette deuxième vague, en 2014, le plafond d’emploi du programme « Police » serait ainsi de 138 308 ETPT, soit 8 000 de moins qu’en 2009. Je note un certain décalage entre les discours et les actes !
En réalité, le présent projet de loi est l’exemple même de ce que Pierre Mazeaud, alors président du Conseil constitutionnel, qualifiait en 2005 de « dégénérescence de la loi en instrument de la politique spectacle ». La fonction législative du Parlement est dénaturée au profit d’une politique émotionnelle, dictée par le rythme de la rubrique « fait-divers » des journaux.
Les lois sont à peine votées, leur encre n’a pas eu le temps de sécher qu’un autre texte est adopté pour en renforcer ou en supprimer les dispositions, sans recul ni analyse. Parfois, vos propres textes ne sont même pas encore votés que vous déposez des amendements pour les modifier, comme vous venez de le faire ces derniers jours ! Mes chers collègues, ce n’est pas du bon travail législatif ; ce n’est pas de cette façon que la Haute Assemblée aime exercer sa mission de législateur !
Monsieur le ministre, à la lecture de ce projet de loi, la très grande majorité des membres de mon groupe est extrêmement inquiète pour le respect des droits fondamentaux. Et les orateurs du RDSE qui m’ont précédé, Anne-Marie Escoffier, Jacques Mézard et Jean-Pierre Chevènement, ont tous évoqué avec justesse et pertinence les raisons qui devraient logiquement conduire à rejeter ce texte. Développement tous azimuts de la vidéosurveillance sans étude sur son efficacité dans la prévention de la délinquance, extension des mesures de confiscation avant dire droit, instauration d’un couvre-feu pour les mineurs de treize ans, extension des pouvoirs des agents de police judiciaire adjoints, transformation des personnels de Pôle emploi en indicateurs de la police : toutes ces mesures renforcent encore un peu plus l’emprise sécuritaire qui pèse sur notre société, sans que leur finalité trouve de justification à travers des résultats probants. Il est au surplus significatif que la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, n’ait été saisie que de sept des articles du texte et que son avis fût plus que réservé sur ces dispositions…
Messieurs les ministres, ce texte mérite au minimum un examen plus poussé en commission, afin de renforcer les garanties des droits des justiciables et de l’ensemble des citoyens.
Manque d’homogénéité et de cohérence : tel est le premier constat qui s’impose au vu de ce texte, dont la seule ligne directrice est de pousser plus loin la logique du chiffre, pudiquement camouflée sous le vocable de la performance ! Messieurs les ministres, votre texte ne modifie pas moins de 18 codes et accroît le recours aux nouvelles technologies, repoussant encore davantage les limites de la vie privée. Et vous persistez dans cette voie en déposant 31 amendements...
Nous sommes aussi très perplexes à la lecture du rapport annexé à l’article 1er. La programmation des objectifs et moyens de la sécurité intérieure à l’horizon 2013 qu’il contient n’est, au mieux, qu’un satisfecit adressé au Gouvernement. Nous y voyons surtout une fiction, une compilation de déclarations qui n’engagent d’ailleurs nullement le Gouvernement, étant donné la valeur non normative de ce rapport. J’ai été particulièrement frappé que, tout au long de ces quarante pages, les mots « droits fondamentaux », « libertés publiques » ou « dignité de la personne » n’apparaissent pas une seule fois, ce qui en dit long sur la philosophie sous-jacente de ce texte !
Quid également des réalités quotidiennes, comme l’inquiétude des policiers vis-à-vis d’une politique du chiffre, le malaise des gendarmes qui craignent pour leur statut et leur présence en zone rurale, la dégradation des rapports entre la police et les citoyens, la multiplication des violences scolaires et des affrontements entre bandes ? Comment donner une crédibilité à vos déclarations de satisfecit lorsque ces phénomènes majeurs sont passés sous silence et que les engagements votés en 2002, dans la première LOPSI, se sont depuis lors évanouis ?
À ce stade, le législateur ne peut à l’évidence voter un texte qui s’abstrait à ce point de la situation sur le terrain et qui s’inscrit dans une vision aussi utopique de la lutte contre la délinquance.
Par ailleurs, le recours aux nouvelles technologies, déjà étendu depuis quelques années, est aujourd’hui érigé en dogme, au nom des mesures d’économie qu’il autorise.
Messieurs les ministres, j’entends bien que l’usage des nouvelles technologies puisse rendre le travail des enquêteurs et de la justice plus efficace, mais pas au point de sacrifier l’équilibre de toute procédure ! Or il est avéré que nous manquons, à cette heure, d’éléments d’évaluation pour analyser objectivement les effets sur la délinquance de la mise à disposition des NTIC aux services de police.
J’en veux pour preuve l’utilisation des scanners corporels : alors que ceux-ci sont toujours en phase d’expérimentation à l’aéroport de Roissy, le projet de loi en généralise l’usage, sans que tous les enseignements de ce dispositif aient été établis, ni même qu’aient été mises en œuvre les recommandations du groupe de travail G29, constitué au sein de la Commission européenne afin de réfléchir à la protection des données.
De plus, si le présent texte offre de nouveaux moyens d’investigation, il reste muet sur les garanties encadrant leur usage et les moyens de contrôle de la déontologie policière qui s’y rattache. Nous estimons indispensable de revoir en profondeur ces dispositifs, à la lumière du renforcement de ces garanties.
Il nous paraît d’ailleurs incompréhensible que les travaux de la mission parlementaire sur les fichiers de police des députés Batho et Bénisti n’aient pas été davantage considérés, alors qu’ils portaient précisément sur les moyens de s’assurer du strict respect des droits et libertés des citoyens, mais aussi de la performance des instruments confiés aux forces de sécurité pour lutter contre la délinquance.
De la même façon, la discussion, le 23 mars dernier, de la proposition de loi sur le respect de la vie privée à l’heure du numérique, défendue par notre excellente collègue Anne-Marie Escoffier, a très clairement montré la nécessité de nourrir un véritable débat démocratique sur l’utilisation des NTIC.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme n’a d’ailleurs pas manqué de relever, dans son avis sur le présent texte, qu’il était impératif de renforcer dans la loi les pouvoirs de contrôle. Or de tout cela il n’y a nulle trace dans le texte soumis à notre assemblée !
Il en est de même du recours aux télécommunications audiovisuelles à tous les stades de la procédure pénale. Les articles 36 A et 36 B – dans sa version initiale pour ce dernier –, font disparaître la nécessité de justifier le recours à la vidéoconférence. Pour ma part, je me réjouis que notre commission ait supprimé un tel dispositif s’agissant des audiences à distance pour les étrangers retenus en centre de rétention administrative. Je me réjouis également que notre commission ait relevé les risques d’inconstitutionnalité que portait la version initiale de l’article 36 A.
Néanmoins, le dispositif perdure pour le droit commun. Or la Cour européenne des droits de l’homme a posé dans son arrêt Marcello Viola c/Italie de 2006 que la pertinence du recours aux NTIC ne pouvait être appréciée qu’au cas par cas, et non érigée en principe, sous peine de porter atteinte au caractère équitable de la procédure.
Si l’article 706-71 du code de procédure pénale modifié par l’article 36 A ne concerne pas le procès à proprement parler, il porte sur un stade de la procédure pouvant aboutir à une privation de liberté. La généralisation de la télécommunication audiovisuelle reste en l’état insuffisamment encadrée : si le consentement de l’intéressé est requis en principe, il pourra y être passé outre en cas de risque de trouble à l’ordre public ou d’évasion. Sur ce point, la formulation de l’amendement de la commission reste encore trop vague et sujette à des interprétations excessivement larges, me semble-t-il.
Des abus restent possibles, qui aboutiraient à altérer le droit d’accès au juge, à l’avocat ou à l’interprète le cas échéant, viciant irrémédiablement le caractère équitable de la procédure.
Je constate par ailleurs que la nouvelle extension des fichiers mis à la disposition des autorités judiciaires et des forces de police et de gendarmerie soulève en l’état beaucoup trop d’interrogations. Il en est ainsi du détournement de la finalité du fichier national automatisé des empreintes génétiques, auquel le projet de loi attribue le recueil des empreintes génétiques des ascendants, descendants ou collatéraux des victimes de catastrophes naturelles afin de permettre leur identification.
Nous n’approuvons pas l’élargissement du recours aux fichiers d’analyse sérielle SALVAC, le système d’analyse des liens de la violence associée aux crimes, et ANACRIM, analyse criminelle. Les modalités de leur utilisation couvrent non seulement un champ d’infractions bien trop large, puisqu’il est étendu aux infractions punies de cinq ans d’emprisonnement, mais aussi des données d’une nature dont on peine à trouver la pertinence en matière de lutte contre la délinquance, à savoir les informations portant sur les opinions politiques ou religieuses, sur l’orientation sexuelle ou sur l’appartenance syndicale, recueillies de surcroît sans aucune limite d’âge et concernant les victimes, les témoins et les mis en cause ! M. le rapporteur ne sait que trop bien les grandes réserves qu’a exprimées la CNIL sur la mise en œuvre d’une telle extension, réserves que nous partageons pleinement.
M. le rapporteur a également voulu démontrer toute son habileté en tentant de se porter au secours de l’une des dispositions les plus dangereuses de ce texte, à savoir l’instauration par l’article 24 bis d’un couvre-feu pour les mineurs de treize ans. Cela ne nous trompe pas.
Quand bien même il a été transformé en sanction pénale prononcée par un tribunal pour enfants et n’est plus une sanction administrative édictée par le préfet, le couvre-feu individuel n’en demeure pas moins inutile et, selon nous, dangereux. Inutile, car les dispositifs de protection de l’enfance en danger prévoient déjà de raccompagner au domicile de ses parents un mineur de treize ans non accompagné se trouvant la nuit sur la voie publique. Dangereux en ce qu’il est contraire aux principes généraux du droit pénal des mineurs qui se fondent sur l’éducation de la personne et la nécessité de faciliter sa réintégration dans la société. Il est évident que les objectifs du couvre-feu, qu’il soit individuel ou collectif, contreviennent à ces principes et ne facilitent pas la construction de la personnalité du mineur.
Plus largement, les dispositions relatives à la responsabilité parentale détournent les finalités de l’action sociale en transformant les travailleurs sociaux en surveillants d’internat ou en agents de surveillance sociale. Ainsi en est-il des agents de Pôle emploi, appelés à dénicher les fraudes et à les dénoncer. En cette période de chômage élevé, le rôle de ces agents est d’accompagner les demandeurs d’emploi dans la construction de leur projet professionnel, de les conseiller, de nouer une relation de confiance permettant à terme la réinsertion sur le marché du travail.
Dans ces conditions, comment envisager de faire de ces agents des supplétifs de la lutte contre la fraude, alors que ce n’est pas leur vocation et qu’ils n’ont ni la formation ni la qualification requises ? Nous rejetons avec force cette philosophie qui institue une présomption de fraude sur les plus défavorisés de nos compatriotes.
Je pourrais encore vous parler de la question non réglée du recueil, de la conservation et de la destruction des données à caractère privé issues de captations informatiques à distance, des rectifications des données contenues dans les fichiers judiciaires ou bien encore de la généralisation des peines complémentaires de confiscation de véhicule, tous sujets qui soulèvent de très sérieux doutes quant à la capacité de l’autorité judiciaire à les conserver dans de bonnes conditions.
En toute hypothèse, ce projet de loi, dont la pertinence est sujette à caution, nous paraît insuffisamment abouti pour pouvoir être soumis au vote de notre assemblée. Surtout, il entérine l’abandon de toute politique de prévention de la délinquance en restant arcbouté sur une conception ancienne mettant en opposition prévention et répression.
Mes chers collègues, soyez sûrs que nous refusons l’angélisme qui consiste à ne voir dans les délinquants que des victimes de la société. Nous sommes profondément attachés au principe de la responsabilité individuelle, mais nous ne faisons que constater les dégâts de l’abandon de la politique de terrain, politique engagée par mon excellent collègue et ami Jean-Pierre Chevènement au travers de la police de proximité. Cet abandon a creusé les inégalités face à l’insécurité, et ce au détriment, naturellement, des plus défavorisés. D’ailleurs, la création en 2008 des unités territoriales de quartier signe l’aveu de l’échec complet de la politique impulsée depuis 2002. Ce rétropédalage reste laborieux. Nous croyons profondément que la lutte contre la délinquance commence par l’éducation et l’accompagnement social quand il est nécessaire.
Les tensions qui font de certains de nos quartiers des zones de non-droit manifestent également une misère sociale insupportable, qui trouve son développement extrême dans la formation d’une économie parallèle de trafics en tous genres. Où en est le « plan Marshall » pour les banlieues que nous avait promis le candidat Sarkozy en 2007, censé offrir une formation, un emploi et une rémunération à 250 000 jeunes des quartiers difficiles, alors que seuls 1 160 jeunes ont bénéficié depuis de ces dispositions ?
Quand l’éducation, l’aide sociale et les services publics régressent, c’est toute la République qui régresse. Or la République ne s’honorera pas du projet de loi que vous nous proposez, elle qui a tant besoin de renouer avec ses valeurs fondatrices de respect, de dialogue, de tolérance, d’humanisme et de fraternité, valeurs qui sont au fondement même du groupe que j’ai l’honneur de présider.
En conséquence, mes chers collègues, dans l’intérêt de la République et de ses citoyens les plus fragiles, mais aussi au nom du respect des principes fondamentaux de notre droit, je vous invite à adopter cette motion tendant au renvoi à la commission. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)