Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « la sécurité est la première des libertés »… C’est à partir de ce leitmotiv sarkozyste qu’un collectif de la droite populaire a publié, la semaine dernière, un appel dans un quotidien.
Dans cet appel, les députés signataires affirment connaître les racines des problèmes liés à la délinquance. Je les cite : « Connaître et reconnaître les causes d’un problème, c’est déjà avoir la volonté de le régler. L’apparition de quartiers ethniques en France, symbole de l’échec d’une immigration incontrôlée durant plus de trente ans, et le taux de chômage des étrangers non communautaires qui a atteint 24 % en 2009 devraient suffire par eux-mêmes à convaincre les plus irresponsables en la matière. »
Ils poursuivent ainsi : « Les mesures prises depuis 2007 et celles préconisées par le Président de la République à Grenoble vont dans la bonne direction. »
Toutefois, ils ne manquent pas, dans cet appel, de nous rappeler que cela passe par l’adaptation de notre code pénal.
J’oserai dire que la messe est dite.
Cet appel – qui est sans doute une commande – plante assez bien le décor du projet de société de la droite ultralibérale et des dérives dont elle est capable dès lors qu’elle plonge notre pays dans l’insécurité sociale.
Outre que ces allégations sont complètement fausses, xénophobes et outrageantes et qu’elles peuvent exciter des passions nationalistes, cet appel est fort intéressant car il résume à merveille l’esprit du projet de loi que nous nous apprêtons à discuter et le socle idéologique à partir duquel il a été bâti.
Nous sommes aujourd’hui saisis de la vingt-troisième loi sécuritaire depuis 2002.
Les majorités de droite empilent les textes répressifs tout en sachant que les résultats de cette politique ne servent à rien, si ce n’est à légitimer de façon malhonnête des politiques sécuritaires qui frappent toujours plus dur. De toute évidence, nous n’en avons pas fini avec cette surenchère puisque le Président de la République a tranché hier : la déchéance de la nationalité pour tout meurtrier de policier ou de gendarme va être incluse dans le texte sur l’immigration à la fin du mois au mépris de l’article 1er de notre Constitution. Pour peu qu’il se produise d’ici là un nouveau fait divers dramatique, je n’ose imaginer de quoi vous serez capables…
Pour en revenir à la LOPPSI, contrairement aux assertions du Gouvernement et au préambule du rapport de la commission des lois, les résultats ne sont pas bons en matière de délinquance. En janvier dernier, optimiste, vous fustigiez les « professionnels du dénigrement »…
Mme Éliane Assassi. … qui avaient refusé de constater la baisse des chiffres de la délinquance.
Mais le « ministère de la vérité » – je l’entends bien évidemment au sens du roman 1984 de George Orwell – aura eu raison des plus sceptiques.
Après neuf ans de hausse ininterrompue, la délinquance avait brusquement, ou miraculeusement, baissé de 1 %, et ce grâce à une « mobilisation accrue des policiers » et des gendarmes mais aussi « des entreprises de la sécurité privées » : on comprend maintenant mieux pourquoi elles deviennent de fidèles auxiliaires de la protection publique grâce à ce projet de loi.
Selon vous, il suffisait donc d’un simple surcroît de volonté politique, dont vous avez le secret, bien sûr, pour obtenir de meilleurs résultats que votre prédécesseur.
Mais cette baisse ne concernait en réalité que, d’une part, les infractions commises par de « petits voyous », comme vous vous plaisez à les appeler, à savoir celles qui sont liées aux voitures, aux deux-roues ou à leur dégradation et, d’autre part, la délinquance économique et financière, c'est-à-dire celle qui est commise par de grands voyous, comme vous refusez à les appeler, ceux mêmes que l’actualité nous conduirait légitimement à dénoncer.
Mais c’est toujours la petite délinquance que la droite préfère viser alors que, de l’autre côté du prisme, la délinquance en col blanc est soigneusement écartée des débats, confortée par la dépénalisation du droit des affaires.
La vérité est que, globalement, la délinquance n’a pas baissé. Les violences faites aux personnes ne cessent de croître – augmentation de 2,8 % en 2009 –, les forces de police – auxquelles je rends hommage moi aussi – dénoncent publiquement la dictature du chiffre, qui les empêche d’accomplir leurs véritables missions, les juridictions françaises et européennes épinglent tour à tour notre procédure pénale en raison de la négation croissante des droits de la défense, en particulier dans le cadre du placement en garde à vue.
En témoigne d’ailleurs la récente décision du Conseil constitutionnel, rendue le 30 juillet dernier, qui vient abonder nos préoccupations en la matière, en pointant l’utilisation abusive de la procédure de la garde à vue de la part des autorités, sans garanties nécessaires pour le respect des droits de la défense.
En plus d’ouvrir la porte à de nombreuses dérives, la réponse systématiquement répressive donnée aux problèmes de sécurité est, on ne peut qu’objectivement le constater, un échec cuisant à tout point de vue.
Et pourtant, force est de le constater, vous insistez et vous persistez dans cette voie, en ajoutant à l’invraisemblable arsenal des lois votées depuis 2002 une énième loi de surenchère.
Malgré le ton et la philosophie martiale du texte qui souligne les menaces en tous genres pour justifier les mesures mises en place, police et gendarmerie n’échappent pas à l’arbitraire arithmétique de la RGPP.
Les deux précédentes lois avaient lancé l’offensive : 3 500 postes de gendarmerie supprimés d’ici à 2012, suppression de 4 829 équivalents temps plein dans la police au cours des trois ans à venir, sans oublier le gigantesque plan social de la loi de programmation militaire 2009-2014 qui supprime encore plus de 50 000 postes.
C’est ainsi que le rapport que l’on nous demande d’adopter évoque les nécessaires « économies d’échelle » et autres « synergies » pour justifier le dégraissage des « emplois de soutien techniques et administratifs des deux forces ».
Ainsi que le soulignait le directeur de la police nationale, Frédéric Péchenard, lors de son audition à l’Assemblée nationale, la totalité des postes créés ultérieurement dans la police se voient détruits ou redéployés à l’orée de 2010.
À la bonne heure, la LOPPSI a trouvé des solutions pour pallier cette baisse drastique des effectifs. Elles sont toutes articulées autour d’une externalisation dramatique des pouvoirs de police, qui sont pourtant des compétences régaliennes par excellence.
La première consiste à faire du directeur de la police municipale d’une ville comptant plus de quarante agents un agent de police judiciaire. En plus des nombreuses compétences qui lui sont dévolues, ce que nous regrettons, il ne viendra cependant pas renforcer les chiffres de la garde à vue car il n’aura pas ce pouvoir…
Néanmoins, en ouvrant grand la porte du pénal à un fonctionnaire de l’administration territoriale qui, à la différence d’un policier ou d’un gendarme, n’a reçu aucune formation en la matière – ce que souligne d’ailleurs le Conseil constitutionnel dans sa décision rendue à propos de la garde à vue –, on peut s’interroger sur l’objectif visé.
La seconde « astuce » que vous avez trouvée est l’institution d’un corps de volontaires de la police nationale et d’un autre corps de civils affiliés à la police nationale, conformément au souhait exprimé à maintes reprises par Nicolas Sarkozy.
Si ces vœux devenaient concrets, sachez-le, ils auraient des relents tout à fait nauséabonds, qui devraient être impérativement dissipés. S’il s’agit effectivement d’un corps de citoyens mandatés pour effectuer les basses œuvres de la police nationale en faisant régner l’ordre sans habilitation, je suis désolée, mais il vaudrait mieux parler de milice !
Le flou du texte à ce sujet ne nous éclaire en rien sur les missions qui seront confiées à ces escadrons. Les lacunes de la politique sécuritaire du Gouvernement ne justifient pas d’en arriver à de telles extrémités et ne justifient pas non plus à ce jour – si on s’accorde en effet pour dire que le métier de policier n’est effectivement pas un métier comme les autres – d’octroyer des pouvoirs de police à de simples citoyens. Soit c’est un aveu de faiblesse, soit c’est une entreprise des plus condamnables.
Une autre mesure phare, qui a aussi trait à l’accélération de la suppression d’un poste de fonctionnaire sur deux, est l’extension de la vidéosurveillance. En effet, je continuerai de la désigner ainsi, tant est dérisoire la tentative de jouer avec la sémantique pour ancrer dans les esprits le bien-fondé de la vidéosurveillance.
Si les mots ont effectivement encore un sens, la vidéosurveillance n’a rien de protecteur et ne peut en aucun cas être assimilée à une forme de protection. La plupart du temps, elle intervient seulement a posteriori, une fois que les infractions sont commises, pour en éclairer le déroulement ou éventuellement permettre l’identification des auteurs.
À l’aune du fiasco que constitue la vidéosurveillance outre-Manche – je ne m’étendrai pas sur le cas de Londres –, il nous paraît tout à fait exagéré de prétendre qu’il s’agirait d’une protection. Monsieur le ministre, tous les pays qui en ont fait l’expérience font état d’une inutilité de ces systèmes (M. le ministre fait un signe de dénégation.), qui ne font en réalité que déplacer la délinquance vers des lieux non surveillés. Si l’on met cela en rapport avec le coût de ces installations, augmenter la couverture du territoire pour arriver à 60 000 caméras relève pratiquement du délire.
En toute logique, il aurait fallu que les parlementaires disposent d’une évaluation précise du coût pour se rendre compte de l’absurdité de la chose en ces temps de vaches maigres. Prenons comme exemple la ville de Saint-Étienne, dotée de dispositifs de vidéosurveillance depuis 2001. Si on additionne les coûts d’installations, les coûts d’aménagement d’un centre de supervision, les coûts de maintenance – qui augmentent considérablement en cas de dégradation – et la masse salariale, cela coûte annuellement à la ville la modique somme de…1,3 million d’euros pour un taux d’élucidation de 1 % des infractions. Ajoutons que la ville ne compte qu’une soixantaine de caméras… Alors 60 000 !
Outre l’absurdité complète de la chose, cette somme représente le traitement de nombreux fonctionnaires de police, mais vous n’en avez cure puisque vous êtes décidés à faire une guerre d’affichage à de vils délinquants présumés, en enrôlant les entreprises les mieux intentionnées pour la prévention de la terreur puisque celles-ci pourront installer des systèmes de vidéosurveillance, y compris sur la voie publique.
En renfort de l’extension des dispositifs du fichage et de vidéosurveillance de la population, vous ouvrez la possibilité du port du bracelet électronique à toute personne condamnée en état de récidive à une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à cinq ans. Sans surprise, cette mesure concernerait aussi les étrangers assignés à résidence.
Je rappelle que la CNIL, en juillet dernier, a constaté que ce bracelet était également utilisé pour surveiller les salariés dans des établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes.
La CNIL a également souligné l’insuffisance de protection des données personnelles et des dispositifs de sécurisation des données largement perfectible. Et voilà que vous voulez à présent l’étendre aux étrangers et à de nombreux ex-détenus. Conjugué à la mise en place de mouchards informatiques à distance sur des personnes présumées cybercriminelles, vous l’avouerez, cela fait beaucoup !
L’installation des mouchards sera contrôlée par le juge d’instruction, qui est indépendant de l’exécutif. Or, de toute évidence, vous voulez vous séparer des juges d’instruction. En ce cas, c’est le procureur de la République, qui, lui, dépend du parquet, qui prendra le relais. Ce serait un beau tour de passe-passe si la manœuvre n’était pas si grossière.
C’est donc à coup de caméras, de bracelets électroniques, de Taser ou autres armes à « létalité réduite », et de fichage massif de la population que le Gouvernement entend rasséréner la France.
En plus de l’atteinte disproportionnée à la vie privée que ce dispositif de fichage amplifié constitue, vous n’êtes pas sans le savoir, monsieur le ministre, l’utilisation de fichiers d’antécédents à des fins administratives peut avoir des conséquences irrémédiables, notamment sur l’emploi des personnes qui y figurent, souvent à tort, car maintenues malgré une décision d’acquittement ou de relaxe.
Les délais d’exercice du contrôle par l’autorité judiciaire, qui interviendra nécessairement a posteriori, ne permettront pas d’éviter les dérives occasionnées par des mentions injustifiées. Autre bizarrerie, le procureur de la République assisté d’un magistrat pourra prendre une décision de maintien dans les fichiers des données relatives aux personnes relaxées ou acquittées. Sachant que les logiciels de rapprochement judiciaire autorisent les services de police à ficher les données personnelles de toute personne visée par une enquête, cela peut faire beaucoup de monde...
Vous contrevenez donc délibérément à deux principes essentiels : la présomption d’innocence et la séparation des pouvoirs.
D’abord, aux termes de l’article 66 de la Constitution, c’est l’autorité judiciaire qui est reconnue comme la gardienne des libertés individuelles.
Ensuite, je rappelle, car cela semble nécessaire, qu’en vertu de la présomption d’innocence un individu est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable.
Mais cela ne constitue pas l’essentiel des innovations de la droite en matière d’indépendance de la justice.
Après la révision de la carte judiciaire, qui s’est aussi faite à coup de « rationalisation », autre terme à la mode du verbiage néolibéral, et qui avait déjà commencé à dépecer le service public de la justice, vous préconisez à présent la généralisation de la visioconférence. Et vous n’en êtes pas à votre première tentative.
Mme Éliane Assassi. Il s’agissait de réduire le nombre d’extractions, considérées comme des « charges indues », de 5 % afin de se préparer à « la réduction à venir des effectifs des services de police et de gendarmerie ». Ainsi vous fallait-il trouver des solutions économiques pour subvenir à une inflation carcérale historique.
La visioconférence concernerait aussi la présentation aux fins de prolongation de la garde à vue ou la retenue judiciaire. Sauf qu’une audience n’est ni un brainstorming, monsieur le ministre, ni une émission de téléréalité. Bref, tout cela n’est pas très sérieux.
L’absence de confrontation physique est donc très inquiétante.
Il est intolérable de demander à un détenu de livrer une partie de son intimité à un juge à travers son écran pour la simple et bonne raison que la Constitution lui reconnaît, à lui comme à l’ensemble des citoyens, le droit à la dignité.
Autre nouveauté saisissante, l’extension des peines planchers aux violences aggravées, qui répond à la même logique.
Les « crapules » – comme vous les appelez – qui s’en prennent aux autorités publiques…
M. Louis Nègre. Vous les appelez comment ?
Mme Éliane Assassi. Je ne les appelle pas comme cela ni par d’autres noms dont vous êtes assez friands !
Les « crapules », disais-je, qui s’en prennent aux autorités publiques seront passibles d’une période de sûreté de trente ans ou d’une peine de sûreté incompressible. Ces peines étaient jusqu’à présent réservées lorsqu’il y a eu viol, torture ou acte de barbarie. Par ailleurs, le dispositif de la loi du 10 août 2007 est étendu aux délinquants auteurs de violences aggravées, qu’ils soient récidivistes ou non. Quid, encore une fois, du principe d’individualisation des peines ?
Vous perpétrez ainsi cette relation de domination violente entre l’État, qui n’a plus que les apparences d’un État de droit, et ses citoyens. Cela ne fera que rendre plus âpres les relations entre la police et la population, et ternira davantage l’image des autorités publiques.
Nous, les sénateurs communistes, républicains et citoyens, ne nous laisserons pas aller aux commentaires de l’actualité et nous ne nous détournerons pas des graves questions de fond que pose ce texte car nous sommes radicalement opposés au projet de société que vous entendez construire en contraignant toujours plus les contre-pouvoirs.
Monsieur le ministre, que les choses soient claires : le problème n’est pas qu’un gouvernement s’occupe de la sécurité de ses concitoyens. J’oserai dire que c’est la moindre des choses. Le problème est que celui auquel vous appartenez utilise le thème sécuritaire à coups de démonstrations parfois simplistes pour tenter de détourner les citoyens de leurs véritables préoccupations que sont l’emploi, les retraites, l’école, la santé, le pouvoir d’achat, sans oublier la sécurité, tout en les opposant les uns aux autres. En fait, vous leur dites en substance : « Renoncez à vos droits ; en échange de quoi, nous vous offrons la protection ».
Fort heureusement, nos concitoyens ne sont pas dupes, comme en témoignent le peu de crédit qu’ils accordent aujourd’hui à votre projet de société et les mobilisations comme celle de samedi dernier pour dénoncer la xénophobie d’État et celle d’aujourd’hui – que nous saluons – contre votre réforme des retraites.
En tout état de cause, nous entendons nous saisir du débat sur la LOPPSI pour faire valoir une autre vision de la sûreté de nos concitoyens et des territoires sur lesquels ils vivent et travaillent. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au-delà de l’actualité récente, ce texte était attendu.
Attendu, car la délinquance évolue sans cesse. Il est donc indispensable de continuer à adapter notre arsenal législatif aux nouvelles formes de criminalité, d’une part, et aux moyens technologiques dont doivent pourvoir disposer gendarmes et policiers, d’autre part.
Ce projet de loi pourrait être abordé en deux temps : d’un côté, il y a le texte tel qu’il nous vient de l’Assemblée nationale, lequel est marqué par une certaine technicité ; de l’autre, il y a les amendements qui ont été inspirés par la période estivale.
S’agissant du texte tel qu’il nous vient de l’Assemblée nationale, je n’évoquerai que quelques points, puisque nous sommes globalement d’accord sur le dispositif proposé, d’autant plus que celui-ci a été finement amélioré par la commission sous la houlette de son rapporteur, qui n’a pas ménagé sa peine.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Merci !
M. François Zocchetto. Premier point : la mesure de couvre-feu concernant les mineurs de moins de treize ans.
Une telle mesure est légitime, car il est anormal que des mineurs de moins de treize ans soient livrés à eux-mêmes en toutes circonstances.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas normal, en effet !
M. François Zocchetto. La commission des lois a cependant adopté un amendement de réécriture de l’article 24 bis aux termes duquel la sanction pourra être prononcée par le tribunal pour enfants, ce dont je me félicite.
Deuxième point : la vidéosurveillance ou plutôt la « vidéoprotection » comme le texte prévoit désormais de l’appeler.
Tout d’abord, ce changement sémantique est important. Ensuite, l’intervention du législateur dans ce domaine était nécessaire et attendue.
Dès décembre 2008, nos collègues Charles Gautier et Jean-Patrick Courtois présentaient un rapport d’information sur la vidéosurveillance. Dans ce rapport, ils rappelaient la nécessité de rester vigilant dans l’exploitation de la vidéosurveillance, notamment concernant les personnes chargées de visionner les images.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui apporte des aménagements dans ce domaine. Nous avons donc vérifié que ceux-ci étaient compatibles avec les recommandations émises par la mission d’information. Ainsi, l’amendement prévoyant que les activités privées de vidéosurveillance seront soumises aux dispositions de la loi du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de sécurité est de nature à nous rassurer.
La vidéoprotection peut être un outil efficace. À ceux qui redouteraient des dérives, je répondrai que le projet de loi prévoit des garde-fous. En outre, la vidéoprotection peut permettre d’innocenter des personnes.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Exactement !
M. François Zocchetto. Tout comme les tests ADN, les empreintes génétiques, elle fait partie des nouvelles technologies. Elle n’attente donc pas aux libertés. Elle les renforce.
Troisième point : la loi du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale.
Ce texte, vous l’avez évoqué, monsieur le ministre, était très attendu par tous les acteurs de la chaîne pénale. Il n’y a rien de pire en effet que de voir les grands délinquants, ceux qui sont liés à la mafia et à la criminalité organisée, prospérer avec le butin de leur vice au vu et au su de tous.
Lors de la mise en application de cette loi, nous nous sommes aperçus que les mesures concernant la saisie des comptes bancaires étaient imparfaites, car il est très facile d’effectuer un transfert d’un compte à un autre. Je proposerai donc un amendement visant à corriger ce problème et à faire en sorte que le procureur de la République puisse, sous le contrôle du juge, procéder aux mesures de saisie le plus rapidement possible.
Quatrième point : les fichiers.
Cette question délicate retient toute l’attention de la commission des lois. Chacun connaît notre attachement au respect de la protection des données personnelles.
Il était nécessaire de déterminer un fondement juridique pour les logiciels de rapprochement judiciaire. C’est vrai que les fichiers se sont multipliés, mais ils apportent eux aussi des garanties en matière de liberté. Je n’y suis donc pas opposé a priori. Cependant, il faut que ces fichiers soient utilisés avec le maximum de garanties, surtout lorsqu’on croise les informations.
Ces garanties, si les amendements proposés par le rapporteur et même par certains de nos collègues sont votés, nous les aurons. Dès lors, l’encadrement du dispositif de croisement des fichiers sera satisfaisant.
Enfin, dernier point : l’utilisation du bracelet électronique.
Je suis plutôt favorable à l’extension du bracelet électronique. Nous en avons souvent discuté au Sénat. Nous avons même conduit de nombreuses missions à ce sujet.
Madame Assassi, il est préférable que les étrangers soient équipés d’un bracelet électronique plutôt que d’être détenus en prison ou retenus dans un centre fermé. Si vous, vous préférez qu’ils soient incarcérés, moi je préfère qu’ils soient identifiés avec un tel bracelet, d’autant que nous avons maintenant plusieurs années d’expérience de ce dispositif et qu’il présente un bilan satisfaisant.
Voilà pour ce qui est du texte sur lequel nous portons une appréciation tout à fait positive.
J’en viens aux amendements qui ont été inspirés par la période estivale et qui nous viennent de sources diverses.
Ce serait un mauvais débat de laisser croire que, d’un côté, se trouvent des sécuritaires et, de l’autre, des laxistes au motif que certains portent une appréciation nuancée sur des mesures proposées, voire s’y opposent.
Nous sommes presque tous des élus locaux. Dès lors, nous avons tous en nous un côté sécuritaire. Pour ma part, je l’assume, et je pense que nous sommes nombreux ici dans ce cas. Car nous sommes attachés au respect de la loi !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n’êtes pas les seuls !
M. François Zocchetto. Nous voulons que les lois soient appliquées, notamment en matière pénale.
Reste que pour être appliquées, les lois doivent être applicables.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. François Zocchetto. Or je me pose des questions sur la méthode retenue – pas seulement à l’occasion de l’examen de ce texte, mais depuis un certain nombre d’années – qui consiste à faire de la surenchère en matière de sanction.
Je crois qu’il y a eu près de trente lois en matière de sécurité et durcissant les peines depuis 2002. Ces textes ont-ils été efficaces ? La réponse est oui pour certains, mais ils n’ont certainement pas résolu tous les problèmes, loin de là.
Gardons-nous de participer à cette surenchère. En effet, la vraie question dont nous voulons débattre dans le cadre de la LOPPSI est celle des moyens. Nous souhaiterions connaître non seulement les moyens financiers, mais également la stratégie adoptée par le Gouvernement. Quelles relations sont-elles envisagées entre les services de police et de gendarmerie, d’une part, et la justice, d’autre part ? Bref, nous attendons de savoir ce que veut le Gouvernement pour les mois et les années à venir. Sur ce point, nous ne sommes pas totalement satisfaits.
Concernant la police municipale, je me réjouis qu’un certain nombre de moyens techniques soient mis à sa disposition. Toutefois, veillons à ce que cela n’aboutisse pas à des transferts entre la police nationale et la police municipale. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Éliane Assassi. Cela existe déjà !
M. François Zocchetto. Nous sommes d’accord pour des transferts de moyens, mais pas pour des transferts de charges ou de responsabilités.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Il ne faut pas être naïf !
M. François Zocchetto. En France, la sécurité doit rester l’apanage de l’État. C’est une mission régalienne.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez raison !
M. François Zocchetto. Monsieur le ministre, merci de nous rassurer sur ce point.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela va être difficile !
M. François Zocchetto. Merci également de nous confirmer qu’il n’est pas question de mettre les maires à l’amende en matière de sécurité. (M. Daniel Raoul s’exclame.)
Nous nous disons parfois que nous faisons des textes à répétition – j’ai moi-même été rapporteur d’un certain nombre de textes sur la sécurité, voire même l’auteur de propositions de loi – et nous nous demandons s’ils ont changé quelque chose sur le terrain. C’est d’ailleurs la seule question que nous devons nous poser. Une réponse négative conduirait inévitablement à une perte de crédibilité du politique, à une perte de confiance à l’égard de la majorité au pouvoir.
M. Daniel Raoul. Ce n’est pas grave ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. François Zocchetto. Quelle que soit cette majorité !
Je prends deux exemples.
Le premier touche au thème dramatique de l’assassinat de policiers ou de gendarmes.
Aujourd’hui, les cours d’assises peuvent prononcer une peine de réclusion criminelle à perpétuité ou une peine de sûreté de vingt-deux ans.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument !
M. François Zocchetto. Je pose la question : depuis l’instauration de ces dispositifs que nous avons voulus, que nous avons votés, combien de sanctions de ce type ont-elles été prononcées ? Peu, je l’espère, car cela signifierait qu’il n’y a pas eu trop d’assassinats de membres des forces de l’ordre. Reste que ce sont des questions que nous devons nous poser avant d’adopter de nouvelles dispositions afin de savoir si les textes que nous avons adoptés sont efficaces ou s’ils ne changent pas grand-chose.
Mon deuxième exemple a trait aux peines planchers.
La loi de 2007 est à peine entrée en vigueur. Or, monsieur le ministre, vous nous avez dit que le dispositif prévu par ce texte fonctionnait. Je l’espère. Cependant, la loi n’est-elle pas parfois détournée en ce sens que, pour ne pas prononcer la peine plancher, l’acte est requalifié ?
Je ne voudrais pas que, en adoptant un texte sur les violences aggravées, les magistrats ajustent le curseur en requalifiant ces actes en violence simple pour ne pas prononcer de peines planchers. Soyons vigilants, car nous voulons un dispositif efficace et non un dispositif d’affichage !
Un autre sujet nous tracasse beaucoup, ce sont les répercussions d’internet, de la téléphonie mobile et des nouvelles technologies sur les nouvelles formes de délinquance.
Chacun peut observer dans sa propre famille avec ses enfants, ses petits-enfants ou les jeunes qui l’entourent à quel point les comportements ont évolué en dix ans. Comment expliquer à un jeune de dix-huit ans qu’il ne peut pas tuer un policier, ce qui va pourtant de soi, dès lors que se multiplient en toute impunité sur internet des jeux dont l’objectif est d’abattre le maximum de policiers ou de militaires ?
M. Louis Nègre. Eh oui !
M. François Zocchetto. Dites-vous bien que l’écart entre les textes relatifs à la procédure pénale que nous votons ici et ce que vivent les plus jeunes devant leurs écrans, qui sont disponibles partout grâce à la téléphonie mobile, se creuse. Ce ne sont pas la LOPPSI ou d’autres textes qui parviendront à le combler. Il faut donc nous atteler à cette tâche de façon urgente.
En conclusion, je dirai oui à une LOPPSI qui offre techniquement les moyens de travailler aux forces de l’ordre, oui à une LOPPSI qui fournit des indications précises sur les moyens financiers et les objectifs pour les années à venir, mais non à des mesures de circonstance qui s’en tiennent à des effets d’annonce qui ne changeront rien sur le terrain ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, ainsi que sur quelques travées de l’UMP. – MM. Charles Gautier et Jean-Claude Peyronnet applaudissent également.)
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Anziani. Monsieur le ministre, je tiens tout d’abord à vous féliciter.