compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
Secrétaires :
M. Alain Dufaut,
M. Jean-Pierre Godefroy.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mardi 6 juillet 2010, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel trois décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2010-34 QPC, 2010-35 QPC et 2010-36 QPC).
Le texte de ces décisions de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
3
Réforme des collectivités territoriales
Suite de la discussion et adoption d’un projet de loi en deuxième lecture
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion en deuxième lecture du projet de loi, modifié par l’Assemblée nationale, de réforme des collectivités territoriales (projet de loi n° 527, texte de la commission n° 560, rapports nos 559, 573, 574 et 552).
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Permettez-moi, monsieur le président, de vous faire part d’une demande qui émane, non pas de la commission des lois – celle-ci, comme vous le savez, est toujours à la disposition du Sénat ! –, mais de certains de nos collègues, qui souhaiteraient une suspension de séance de quelques minutes.
M. Jean-Pierre Sueur. Je ne vois pas pourquoi, monsieur le président ! Ils ont eu toute la nuit et la matinée pour se concerter…
M. le président. Je sais bien, monsieur Sueur, que vous rêvez de me remplacer, voire de remplacer le président du Sénat… Quoi qu’il en soit, cette demande est formulée avec tant de courtoisie et de gentillesse que je ne peux que l’accepter.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quatorze heures trente-cinq, est reprise à quatorze heures quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion des articles.
TITRE IER (suite)
RÉNOVATION DE L’EXERCICE DE LA DÉMOCRATIE LOCALE
Chapitre IER (suite)
Conseillers territoriaux
M. le président. Nous en sommes parvenus, au sein du chapitre Ier du titre Ier, à l’examen des articles précédemment réservés.
Article 1er AA
(nouveau)
Avant l’article L. 3113-1 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 3113-1 A ainsi rédigé :
« Art. L. 3113-1 A. – Le département est divisé en territoires.
« Le territoire est une circonscription électorale dont les communes constituent un espace géographique, économique et social homogène.
« Le découpage territorial du département respecte sa diversité géographique, économique et sociale.
« Le conseiller territorial est le représentant du territoire au sein du conseil général. »
M. le président. La parole est à M. Michel Teston, sur l’article.
M. Michel Teston. Mes chers collègues, je débuterai mon intervention en rappelant que les membres de notre groupe sont opposés à la création du conseiller territorial. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Au cas où on ne le saurait pas…
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Quel scoop !
Un sénateur du groupe socialiste. Vous ne le saviez peut-être pas encore ! (Sourires.)
M. Michel Teston. En effet, la mise en place d’élus siégeant à la fois au conseil général et au conseil régional laisse à penser qu’il s’agit d’une première étape vers une fusion entre ces deux collectivités.
La création du conseiller territorial opérerait une quasi-fusion, mais les deux échelons de collectivité subsisteraient, formant deux personnes morales distinctes, avec des budgets et des compétences distincts.
Ce projet de loi ne respecte donc pas pleinement la lettre de l’article 72 de la Constitution. En effet, soit on fusionne les deux échelons pour créer une collectivité nouvelle gérée par un « conseil territorial », soit on respecte la séparation en deux personnes morales distinctes et, partant, l’existence de deux assemblées d’élus.
J’estime, en outre, et je l’ai déjà dit hier, que cette disposition porte atteinte au principe, reconnu dans la Constitution, d’absence de tutelle d’une collectivité sur une autre.
Ce principe constitutionnel est tellement ancré dans notre droit qu’en cas de coopération entre collectivités, seule est autorisée l’existence d’un « chef de file ». Or la mission des conseillers territoriaux pourrait leur permettre d’orienter la prise de décision régionale en fonction d’intérêts départementaux ou la prise de décision départementale dans un sens favorable à la région. Ainsi, la tutelle est inhérente au dispositif qui découlerait de cette réforme institutionnelle, si, par malheur, elle était adoptée.
En outre, l’extrême difficulté du Gouvernement à proposer un mode de scrutin adapté démontre, s’il en est encore besoin, que le problème réside dans l’instauration même du conseiller territorial.
Le Gouvernement veut imposer la création de ce conseiller territorial, alors qu’aucune association d’élus ne s’est jamais prononcée en ce sens. Officiellement, il s’agirait de réduire le nombre d’élus afin de faire des économies ; nous ne sommes pas dupes de ce discours, opportun en période de crise.
En réalité, ce texte n’est pas dépourvu d’arrière-pensées. L’objectif n’est-il pas d’empêcher que les assemblées des collectivités départementales et régionales soient majoritairement à gauche ?
M. Christian Cointat. Pour l’instant !
M. Michel Teston. La création du conseiller territorial ne respecte pas un certain nombre de principes essentiels de la vie démocratique : la proximité, la parité, ou encore la juste représentation des territoires. Pourquoi supprimer le mode de scrutin actuellement retenu pour les élections régionales, qui donne satisfaction en assurant, tout à la fois, une majorité, la parité et la représentation des minorités ?
Comment ne pas rappeler, d’ailleurs, qu’après avoir été adopté à l’Assemblée nationale et rejeté par la commission des lois du Sénat, un tableau des effectifs des conseillers territoriaux réapparaît sous la forme d’un amendement déposé par M. le rapporteur ?
Ainsi, dans le département de l’Ardèche, le nombre des conseillers territoriaux passerait de 18, selon le texte de l’Assemblée nationale, à 19, soit en moyenne 25 % de moins que l’effectif prévu dans des départements dont la population est pourtant sensiblement moins élevée. Je rappelle que l’Ardèche compte actuellement 33 conseillers généraux et 10 conseillers régionaux ; le nombre de ces élus serait donc réduit de plus de 50 %. Avec une telle répartition, où est la juste représentation des citoyens et des territoires ?
Les diverses péripéties survenues lors des débats témoignent de la difficulté du Gouvernement à structurer son projet. Il serait donc judicieux de ne pas modifier le dispositif existant pour les élections régionales et de maintenir les conseillers généraux, qui pourraient devenir des conseillers départementaux élus dans des circonscriptions plus équilibrées que les actuels cantons.
Cette analyse nous conduit à réaffirmer avec force notre opposition à la création du conseiller territorial, qui s’inscrit dans une logique à peine dissimulée de remise en cause de la décentralisation, d’abandon de la parité et de renoncement à une juste représentation des territoires. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc, sur l’article. (Ah ! sur les travées de l’UMP.)
M. Jacques Blanc. Pour ma part, je ferai une analyse inverse de cette disposition : je tiens à féliciter la commission, notamment le président et le rapporteur, ainsi que les auteurs de l’amendement grâce auquel cet article a été introduit dans le projet de loi !
M. Pierre-Yves Collombat. On voit que la Lozère obtient 15 conseillers territoriaux !
M. Jacques Blanc. En effet, il est capital de définir le territoire, qui se caractérise non pas par une population, mais, selon les termes mêmes du texte, par « un espace géographique, économique et social homogène ». Ainsi, nous sortons des débats, par ailleurs légitimes, entre représentation territoriale et représentation démographique, et nous faisons un choix délibéré – ce point me semble essentiel, en particulier vis-à-vis du Conseil constitutionnel ! – en faveur d’un élu qui sera accroché à un territoire, selon des modalités sur lesquelles nous reviendrons.
M. Pierre-Yves Collombat. « Accroché », c’est bien le mot !
M. Jacques Blanc. Chers collègues de l’opposition, de grâce, ne soyons pas en permanence dans le psychodrame ! Il est légitime que des modalités électorales fassent débat. Accepter de telles discussions, c’est d’ailleurs respecter les uns et les autres.
En revanche, ce qui constitue la philosophie même de cet article, c’est que le conseiller sera ancré sur un territoire et qu’il appartiendra, à la fois, au conseil général et au conseil régional ; ce dernier point n’est pas précisé dans le texte, mais M. le rapporteur nous expliquera peut-être pourquoi il en est ainsi…
Mes chers collègues, il s’agit ici de reconnaître que les élus de l’assemblée régionale doivent être ancrés dans les territoires. Je connais un peu la région,…
M. Pierre-Yves Collombat. Justement !
M. Jacques Blanc. … pour avoir présidé pendant dix-huit ans le Languedoc-Roussillon. Or j’ai la faiblesse de penser qu’en dehors du président et des autres membres de l’exécutif, personne ne connaît les conseillers régionaux ! En effet, les listes qui sont fabriquées par les partis politiques, de droite comme de gauche, ne créent pas ce lien avec les électeurs.
Demain, le conseiller territorial apportera au conseil régional, à la fois, une connaissance intime du terrain et une proximité avec les citoyens. Comme ce seront les mêmes élus qui siégeront au conseil général et au conseil régional, un certain nombre de divergences ou d’oppositions disparaîtront. D’ailleurs, il ne s’agit pas ici de fusionner le département ou la région, pas plus que de supprimer l’un ou l’autre de ces échelons.
Mme Évelyne Didier. Pour l’instant !
M. Jacques Blanc. Je n’ai qu’un regret, c’est que personne n’ait osé déposer un amendement – pas même moi, car je savais que cette proposition ne serait pas acceptée (Exclamations sur les travées du groupe socialiste) ! – visant à faire élire au suffrage universel direct le président du conseil régional.
M. Gérard Longuet. Je vous répondrai !
M. Jean-Pierre Sueur. Mais oui, monsieur Jacques Blanc ! Ce serait une excellente idée !
M. Gérard Longuet. Surtout pas !
M. Bruno Sido. Le président du conseil général, oui, le président du conseil régional, non !
M. Jacques Blanc. Ainsi, cet élu porterait un message clair. Toutefois, dès lors que je suis le seul à défendre cette idée, je savais que je ne parviendrais pas à convaincre mes collègues et je n’ai donc pas défendu cette proposition.
Il faudra trouver un équilibre, qui se dégagera peu à peu. Toutefois, dès aujourd’hui, nous affirmons à travers cet article que les conseillers territoriaux sont bien les représentants de territoires. Peu importe le nombre d’habitants et les différences qui peuvent exister en la matière. Si la Lozère compte 15 conseillers territoriaux,…
Mme Josiane Mathon-Poinat. C’est trop !
M. Jacques Blanc. … et j’espère même qu’elle pourra en obtenir 17, ce sera mieux qu’un seul. Ces conseillers représenteront leur territoire et ils porteront, à l’échelon régional, une exigence d’aménagement équilibré et harmonieux du territoire.
Ce sera là un changement fondamental, me semble-t-il ; il permettra de compenser le poids des métropoles, qui est réel dans toutes les régions.
Le présent article est donc essentiel : il place la proximité au cœur de cette réforme et il permettra de créer des dynamiques nouvelles entre les départements et les régions. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Bruno Sido. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, sur l’article. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, notre discussion d’hier, hormis quelques « piques » lancées sur un registre parfois passionné, témoigne que les membres de la majorité ont dépassé leur manque d’enthousiasme initial et s’enferment désormais dans une forme de résignation. Cela vaut aussi pour les membres du Gouvernement, qui, dans le meilleur des cas, distillent une petite musique destinée non pas à bercer la misère humaine, comme aurait dit Jaurès, mais à endormir le Sénat.
Il est de mon devoir de rappeler, comme l’a fait hier soir Jean-Pierre Sueur, que notre groupe était disposé à mener un véritable débat permettant de lancer le troisième acte de la décentralisation et d’adapter notre paysage institutionnel aux enjeux du XXIe siècle.
Malheureusement, pour jouer cette partition, il fallait être plusieurs ! Or, nous avons pu le constater, le débat n’existait que dans les rangs de l’opposition.
M. Gérard Longuet. La répétition, pas le débat !
M. Jean-Jacques Mirassou. En réalité, le but, sinon avoué, du moins visé, du Gouvernement est non pas d’avancer dans cette direction, mais, au contraire, de revenir sur trente ans de décentralisation, d’ailleurs en tournant le dos aux élus. Ces derniers, pendant toute cette période, ont donné le meilleur d’eux-mêmes, avec succès. Manifestement, ils n’en seront pas récompensés et resteront sur leur faim : malgré de nombreuses et évidentes expressions publiques de leur désaccord, vous avez refusé de les entendre ; vous persistez et signez aujourd’hui.
L’article 1er AA consacre l’avènement du « duo infernal »…
M. Gérard Longuet. De la dream team !
M. Jean-Jacques Mirassou. … composé du conseiller territorial et du territoire, qui est chargé d’incarner la fusion-absorption des départements et des régions, l’une de ces deux structures étant, fatalement, appelée à disparaître.
Paradoxalement, et sur ce point je suis en désaccord avec Jacques Blanc, au moment même où, par un artificiel souci de modernité, on raye de la carte le canton – pour des raisons essentiellement démographiques, qui font que cette circonscription est disqualifiée au titre de l’exode rural ! –, et où l’on crée un territoire censé mettre en adéquation une zone géographique avec une population et un bassin d’emplois, on conserve, sur le plan administratif, ces mêmes cantons. Comprenne qui pourra !
Par ailleurs, messieurs les ministres, l’énorme difficulté que vous éprouvez à définir le conseiller territorial constitue déjà une forme de disqualification de ce nouvel élu, avant même qu’il ait vu le jour. En outre, je le répète, personne n’est capable, au moment où nous parlons, de dire quelles seront ses compétences !
Comment pouvez-vous prétendre engager à travers ce texte une clarification des compétences alors que, comme Michel Teston vient de le souligner, la plus grande confusion régnera entre les régions et les départements, dont les compétences sont jusqu’à présent parfaitement distinctes ?
À travers ce texte, vous entendiez également réduire le nombre des élus, par souci d’économie... On me pardonnera d’évoquer à ce sujet le cas de la Haute-Garonne, que je connais bien : ce département comptera à l’avenir 91 conseillers territoriaux, qui siégeront eux-mêmes parmi les 255 que comprendra la région Midi-Pyrénées ! Voilà un nombre, on l’avouera, qui ne plaide pas en faveur des intentions affichées par le Gouvernement en matière d’économies.
En réalité, et pour conclure, à travers la création du conseiller territorial, vous prenez le risque d’organiser la fracture entre les territoires, en imposant, de surcroît, confusion et austérité aux collectivités. Dès lors, on le comprendra aisément, la détermination du groupe socialiste à combattre ce projet de loi sort renforcée du cours de nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, sur l’article.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Hier, je me suis laissée convaincre assez facilement par M. le président de la commission des lois qu’il n’était pas possible de défendre la suppression du chapitre Ier, au motif que le conseiller territorial avait été accepté, à la fois, par l’Assemblée nationale et par le Sénat. Or je crois que j’ai eu tort.
Mme Isabelle Debré. C’est bien de le reconnaître !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Naturellement, ce n’est pas très grave, parce que vous n’auriez pas adopté cette proposition, chers collègues de la majorité ; du moins je le suppose, car on ne sait plus très bien ce que vous votez… (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Si je me suis laissée convaincre, c’est parce que, je le reconnais, le Sénat et l’Assemblée ont accepté, en gros, le principe du conseiller territorial.
Toutefois, vous avouerez que ma demande de suppression des mots « conseillers territoriaux », formant l’intitulé du chapitre Ier du titre Ier, trouve tout son sens avec nos débats d’aujourd’hui ! En effet, cet objet, qui n’était déjà pas bien identifié au départ, l’est manifestement de moins en moins, puisque à l’heure actuelle il n’y a d’accord ni sur le mode de scrutin, ni sur les circonscriptions, ni même d’ailleurs sur la nature du conseiller régional ; et je dis « régional » à dessein ! On aurait donc pu, tout de même, accepter un vote sur un titre qui, pour l’instant, se trouve en quelque sorte en suspension, faute de contenu réel.
Le libellé de cet article 1er AA me semble destiné, avant tout, à asseoir l’existence de ce conseiller territorial, qui, de fait, n’est pas encore précise. Tel est son objectif !
Compte tenu des votes que nous avons émis hier, et sachant que la réalité du conseiller territorial n’est pas effective, Le titre de l’article 1er AA ne convient absolument pas. Certes, celui-ci vise à asseoir l’existence du conseiller territorial ; nous l’avons bien compris, mais un tel objectif aurait pu être atteint grâce à une phrase évoquant les « conseillers territoriaux » !
La rédaction de cet article est donc d’une imprécision totale. Elle pourra être contredite ultérieurement par le mode de scrutin ou par les découpages électoraux, qu’il faudra bien déterminer. Sur la forme donc, cette disposition ne signifie pas grand-chose. Sur le fond, bien entendu, notre désaccord est complet. Mais c’est un autre sujet ; nous avons d’ailleurs déposé un amendement de suppression de cet article.
Honnêtement, « le département est divisé en territoires » est une formule qui veut dire tout et son contraire. Quant à la phrase « le territoire est une circonscription électorale dont les communes constituent un espace géographique, économique et social homogène », elle ne signifie pas grand-chose non plus.
M. Gérard Longuet. Au contraire, c’est très expressif !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’article dispose également : « Le découpage territorial du département respecte sa diversité géographique, économique et sociale ». Mais pourrait-on faire le contraire ? Pourrait-on découper le département autrement ? Je trouve tout de même cette précision curieuse !
On nous dit, enfin, que « le conseiller territorial est le représentant du territoire au sein du conseil général ». Or, dans votre conception, il est aussi un élu régional !
Le libellé de cet article, qui est destiné à faire passer à tout prix le conseiller territorial – le titre du chapitre n’était pas suffisant, et j’aurais donc dû me battre pour que l’on vote sur ce point ! – est donc contre-productif.
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, sur l’article.
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaite intervenir pour répondre à mon excellent collègue Jacques Blanc, mais surtout pour le plaisir de défendre le concept de conseiller territorial, qui constitue une véritable innovation et donne tout son sens à ce projet de loi.
Même si ce texte connaît une progression difficile, je le reconnais, le conseiller territorial apporte une véritable valeur ajoutée à notre organisation territoriale. Pourquoi ?
La France est une république décentralisée, mais non fédérale. Les régions et les départements, contrairement aux Länder allemands ou aux États américains, ne possèdent donc pas de pouvoir normatif. La vocation de ces collectivités est de rendre des services au quotidien, dans le cadre de leur territoire et des compétences qui leur sont conférées par la loi. Si un pouvoir normatif leur était accordé, il faudrait que les conseillers territoriaux soient des conseillers « démographiques », c’est-à-dire élus en fonction du nombre d’habitants de leur circonscription. En effet, lorsqu’on édicte une norme générale, qui s’applique à tous, il est préférable que les élus soient représentatifs de la population.
Nos régions et nos départements ont pour mission de veiller, par exemple, à ce que les collèges couvrent la totalité du territoire départemental, ou à ce que le ramassage scolaire desserve les cantons en compensant les inégalités territoriales tenant, entre autres, à la distance, au parcours et à l’enneigement. L’important est que les élus représentent les territoires, qui ont chacun des problèmes spécifiques, même si l’égalité démographique entre ces territoires n’est pas strictement respectée.
Vous nous proposez, monsieur le secrétaire d’État, un compromis acceptable, avec des écarts de population de plus ou moins 20 % ; il permet la représentation d’une certaine diversité des espaces au sein d’un département. Dans la mesure où ces conseillers territoriaux seront compétents pour gérer, à la fois, le premier cycle du secondaire, c’est-à-dire l’enseignement dispensé dans les collèges, et le deuxième cycle du secondaire, soit la scolarité au niveau du lycée, il n’est pas anormal que leur représentation respective soit comparable d’un département à l’autre.
Vous avez donc mis en place un système intelligent, qui permet la représentation de la diversité territoriale et démographique.
Cher Jacques Blanc, un département de petite taille, même s’il jouit d’une réputation prestigieuse – je songe au département tel que l’imaginait La Fayette ! –, ne saurait être surreprésenté au sein de l’assemblée régionale, au risque de s’attirer les foudres des autres conseillers régionaux. Ce n’est pas un territoire de 70 000 habitants qui peut faire la loi…
Le conseiller territorial siégera donc, à la fois, au conseil général et au conseil régional. C’est la raison pour laquelle, chers amis du groupe centriste, nous avons défendu une répartition des compétences dans laquelle les communes disposent d’une clause de compétence générale, tandis que les départements et région se voient attribuer des compétences spécialisées.
Grâce à l’existence de cet élu siégeant au département et à la région, il sera possible d’obtenir une répartition optimale des compétences, en fonction des problématiques régionales, qui sont toutes différentes. J’avais même défendu l’idée, mais sans grand succès, d’une organisation structurée des compétences à chaque échelon territorial.
Monsieur Jacques Blanc, l’élection au suffrage universel du président de la région aurait pour conséquence de privilégier le seul poids démographique, au détriment des territoires. Avec ce système, jamais un élu de Lozère, cette terre de sagesse, d’expérience et de solidité, n’aurait pu présider la région Languedoc-Roussillon.
M. David Assouline. Il gouvernait avec le Front national !
M. Gérard Longuet. Elle aurait toujours eu à sa tête, comme c’est le cas aujourd’hui, un élu du territoire le plus peuplé.
C’est en vertu de la diversité des territoires et du droit des populations à être représentées équitablement qu’il faut défendre le conseiller territorial. Je note, au passage, que la proposition de Jacques Blanc n’a été reprise par personne ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l’article.
M. Yves Daudigny. En tant qu’élu d’un département rural, je souhaite, une nouvelle fois, me faire le porte-parole de nombreux élus de diverses sensibilités, qui dénoncent l’absurdité du conseiller territorial, dont on ne sait s’il est le résultat du rêve éveillé d’un président de la République en panne d’imagination, ou du cauchemar d’un technocrate en mal d’innovation.
Les compétences n’étant pas modifiées, pour l’instant, le conseiller territorial devra, tout à la fois, s’occuper des horaires des transports scolaires et de la veille hivernale des routes départementales, être une super-assistante sociale, et avoir une vision prospective de l’évolution stratégique, sociologique et économique de la région. Il devra siéger dans d’innombrables conseils d’administration et commissions, et multiplier les représentations.
Si ce conseiller territorial existe un jour, car son mode d’élection n’a pas encore été décidé, il fera perdre sa spécificité à chacun des deux niveaux de collectivités territoriales. C’est bien la preuve que la voie est ouverte pour la fusion des collectivités et la suppression du département.
La suppression de la spécificité de chaque collectivité fera perdre à l’action publique sa force et son efficacité : le département perdra la proximité, la région son pouvoir d’impulsion et de coordination.
Le département perdra, au sein de ces vastes cantons ruraux, voués au redécoupage, ce qui constituait l’essence même de son action publique : la proximité avec les citoyens et les élus, mais aussi l’écoute des habitants, des maires et des conseillers municipaux.
Quant aux régions, qui ressembleront aux anciens établissements publics régionaux, elles fonctionneront de façon obsolète et s’inscriront dans un système bien éloigné de leur vocation actuelle.
Le conseiller territorial, je le répète, n’est en aucun cas un moyen de simplifier le dispositif existant ou d’améliorer la visibilité du citoyen. En revanche, vous détruisez une organisation territoriale, certes perfectible, mais patiemment construite sur la base de deux blocs : d’une part, le bloc de la proximité et de la solidarité, formé par les communautés de communes et les départements, et, d’autre part, le bloc de la stratégie, du développement et de la prospection, formé par la région, l’État et l’Union européenne. Pourquoi déstabiliser cet édifice construit progressivement, qui a fait la preuve de son efficacité ?
La réduction annoncée du nombre d’élus, nous le savons, a pour seul but d’affaiblir l’action publique et de réduire les services publics, au détriment de la cohérence et de la solidarité des territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)