M. le président. La parole est à M. Denis Badré.
M. Denis Badré. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vais m’efforcer de conférer à notre discussion une tonalité différente de celle que lui ont donnée les deux orateurs qui m’ont précédé.
« Sur la route qui nous conduira au succès, il y a de multiples obstacles, mais nous parviendrons à les franchir à force de courage, de patience, de volonté. Faire l’Europe, ce n’est pas faire un miracle, ce sera la récompense magnifique d’un long effort. ». Ainsi s’exprimait Paul-Henri Spaak, en 1949. Il se heurtait, déjà, à des difficultés. Il pressentait qu’il faudrait en surmonter d’autres et savait que la construction européenne serait d’abord affaire de volonté politique.
Vincent Auriol répondait en ces termes : « Aucun pays n’est plus attaché que la France à l’Europe qui, lentement, s’édifie, et dont la réalisation est indispensable à la paix, à la stabilité et à la prospérité du monde. » Tout était dit !
Crises il y eut, dans les années cinquante. Crises il y eut depuis. Crise il y a, indéniablement, aujourd’hui, sur un sujet emblématique et très sensible : l’euro ! Crise, donc, éminemment dangereuse, ne laissant aucun droit à l’erreur !
Nous sommes en effet dans un des domaines où l’Europe est allée le plus loin, alors que c’était, sans doute, le plus difficile puisque, avec la monnaie, on touche directement à la souveraineté.
On prend conscience, avec cette crise, que, même en étant allé aussi loin, on n’a parcouru que la moitié du chemin ! Une monnaie « orpheline d’État » devait poser problème un jour : nous y sommes !
Il faut maintenant éteindre l’incendie ; vous vous y employez, madame la ministre.
Le plan dont la mise en œuvre exige le présent projet de loi de finances rectificative doit être opérationnel très rapidement. Il est indispensable que nul n’ignore la volonté commune inébranlable des seize pays de l’Eurogroupe de sortir de la crise par le haut.
Le monde doit également savoir que, une fois le feu éteint, nous ferons le choix d’offrir un État à l’euro, c’est-à-dire un gouvernement économique à l’Europe.
Je sais que c’est exactement votre préoccupation, madame la ministre. Nous vous en remercions d’autant plus que certains eurosceptiques tentent de saisir une si belle occasion pour entraver, voire casser une construction européenne qui les dérange. Certains relancent même l’idée d’un retour au franc… Gribouille n’est pas mort !
Oui, madame la ministre, nous vous remercions d’autant plus que, si les enjeux sont lourds pour le présent, ils le sont également pour l’avenir. Toutes les décisions prises, tous les choix faits orientent la suite. Il faut donc qu’ils soient à la fois opérationnels pour le présent et porteurs de sens pour l’avenir. Que cela plaise ou dérange, c’est sous nos yeux, à chaud, que se poursuit la construction de l’Europe politique.
La crise, et c’est tant mieux, nous oblige à sortir de notre réserve et de nos doutes, à prendre conscience du fait que nous sommes engagés avec des partenaires qu’il nous faut écouter, comprendre, respecter.
Parmi eux figure la Grèce. Je ne reviens pas ici sur les responsabilités des gouvernements successifs qui ont mis ce pays en situation d’apparaître comme un « maillon faible », mais nous ne devons pas oublier non plus que nous portons tous une part de responsabilité, pour défaut de surveillance ou même, reconnaissons-le, pour ne pas avoir découragé la Grèce de poursuivre un effort militaire qui n’est plus vraiment de saison, mais qui nous intéressait.
Parmi ces partenaires figure également l’Espagne, qui connaît des difficultés assez différentes. Sa dette publique restait jusqu’à présent mesurée, mais elle voit sa notation secouée du fait de l’immobilier, du poids de la dette des particuliers, du niveau de son chômage – même s’il semble qu’il cesse de se dégrader –, ainsi que, disons-le, des premiers effets de mesures de rigueur nécessaires mais mal reçues par les Espagnols. La confiance des investisseurs dans la reprise étant atteinte, la notation de l’Espagne baisse, le crédit se renchérit et la dette publique dérape très vite.
On pourrait ainsi analyser les situations de chacun de nos partenaires, la nôtre également. Je dirai simplement qu’il faut porter, jour après jour, la plus grande attention à la confiance mutuelle qui doit, plus que jamais, souder le couple franco-allemand.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très juste !
M. Denis Badré. J’arrête sur ce point, en soulignant simplement que les marchés sont aux aguets, prompts à monter en épingle le cas d’un nouveau « maillon faible ».
Nous l’avons déjà dit : la crise est d’abord une crise de confiance. Or la confiance ne se décrète pas, elle se construit. La solidarité entre nos États doit être perçue comme sans faille, faute de quoi, le doute s’installera sur la robustesse de ceux qui n’ont pas encore été « ciblés » et, plus généralement, sur notre capacité collective à la solidarité.
La dernière Conférence des organes spécialisés dans les affaires communautaires et européennes des parlements de l’Union européenne, la COSAC, réunie en début de semaine à Madrid, fut passionnante, car nous y avons vu l’Europe en mouvement. Elle a été l’occasion de mettre en évidence une grande convergence des analyses des parlementaires nationaux et européens à cet égard. Il est apparu clairement que nous partageons très largement une même volonté politique : nous devons réagir solidairement, fermement et immédiatement face à la crise si nous voulons pouvoir reprendre ensemble le chemin de la croissance, sachant qu’aucun des membres de l’Union n’est capable de le retrouver seul.
Dès lors que nous nous serons remis en ordre de marche, nous pourrons miser sur nos atouts, qui restent très porteurs dans le contexte de la mondialisation : des finances publiques et un appareil financier qui demeurent relativement sains, quoi qu’on en dise, un potentiel de recherche et de développement qui ne demande qu’à s’exprimer, un rayonnement commercial structuré, des amortisseurs sociaux qui jouent leurs rôles social et macroéconomique.
Notre handicap majeur est d’un autre ordre. Face à des marchés mondiaux qui réagissent dans l’instant, la sphère publique dans le monde reste éclatée entre deux cents États souverains. Nous n’avons donc plus le choix ! La gouvernance mondiale doit progresser, et nous attendons donc beaucoup du G20, madame la ministre. De son côté, l’Union européenne doit devenir l’acteur politique majeur dont on parlait toujours jusqu'à présent sans forcément vouloir qu’il advienne.
Lorsque l’on évoque l’idée que certains pourraient être poussés vers la sortie, c’est pour souligner immédiatement le caractère irréaliste ou absurde de cette hypothèse. L’Estonie continue à se préparer à devenir le dix-septième membre de la famille ; la Slovaquie, dernière arrivée, répète qu’elle se félicite de lui appartenir, et l’Islande aimerait presque pouvoir choisir l’euro sans l’Europe… La seule ombre à ce tableau, c’est la Suède, dont nous n’oublions pas qu’elle ne bénéficie pas d’une clause d’opting out, mais qui, elle, fait semblant de l’oublier.
Nous savons bien que la baisse de sa parité avec le dollar ne signifie pas la fin de l’euro. Relativisons : il est revenu pratiquement à son niveau de départ, après être descendu aux trois quarts de cette valeur, puis remonté bien au-dessus, les deux situations engendrant d’ailleurs symétriquement et successivement des alarmes tout aussi extrêmes.
Il est vrai qu’atteindre un niveau donné par le haut ou par le bas n’a pas la même signification, et qu’on s’est longtemps demandé si l’euro était surévalué ou le dollar sous-évalué… Alors, prenons les choses comme elles sont, en retenant le caractère premier des paramètres psychologiques et de la confiance.
L’euro, qui a pu prendre toute sa place et vivre plus de dix ans dans son statut de monnaie orpheline, n’ira pas plus loin sans État, non plus que l’Union économique et monétaire sans gouvernement économique.
Dans ce contexte, les décisions que nous allons ratifier paraissent aujourd’hui les bonnes. Sans doute eût-il été possible de frapper moins fort en intervenant plus tôt. Mais ce n’est plus la question. Consolons-nous en nous disant que, le mal s’étant creusé, les réformes de fond de la gouvernance européenne apparaissent maintenant incontournables et ne peuvent plus être refusées que par ceux qui refusent l’Europe elle-même.
L’analyse du détail de ce plan montre que la Commission va emprunter 60 milliards d’euros, consommant ainsi la totalité des possibilités de financement prévues à l’article 122, alinéa 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il est opportun qu’elle soit ainsi appelée à « monter en ligne », ce qu’elle n’a pas suffisamment fait jusqu’à présent.
Nous retrouvons cependant ici un vrai sujet : le budget européen ne peut emprunter, sans doute parce que l’Union n’est pas un État. Cette vraie question se reposera lorsqu’on réfléchira à ce que devrait être un vrai budget pour l’Europe, un budget capable d’investir. La question a été évoquée par la COSAC, tout comme un autre vrai sujet : à l’heure où l’on cherche à consolider les institutions de l’Union, les 450 milliards d’euros de garantie européenne des dettes souveraines des États relèvent d’une décision intergouvernementale et non communautaire, justement parce que l’Union ne peut pas emprunter. Cette garantie européenne est en réalité une garantie inter-États, qui doit être mise en œuvre, par parties, par des votes de chacun de nos parlements nationaux.
Car l’Europe, ce sont bien nos parlements. L’Europe, c’est bien nous, les Européens !
Au passage, nous notons de nouveau la nécessité et la force d’une implication solidaire du Parlement européen et de nos parlements nationaux. Aujourd’hui, celle-ci ne semble plus poser les mêmes problèmes qu’hier. Nécessité fait loi, et c’est tant mieux !
J’indique à M. le président de la commission des finances que la COSAC a notamment accueilli avec faveur l’idée d’une structuration de groupes de travail réunissant des représentants de la commission des budgets du Parlement européen et de nos commissions des finances. On devrait pouvoir progresser assez vite sur ce point, ce qui me semble intéressant alors que s’ouvre le débat sur les perspectives financières.
Puisse l’Europe sortir de l’épreuve institutionnellement plus unie et politiquement plus forte ! Cela dépendra de la capacité à travailler ensemble que sauront montrer, dans les semaines qui viennent, la Commission, le Conseil, le Parlement européen, les gouvernements et les parlements nationaux. Nous nous posions, mes chers collègues, la question de savoir comment le Sénat français allait mettre en œuvre le contrôle de subsidiarité que nous confie le traité de Lisbonne. Nous sommes très vite allés beaucoup plus loin…
C’est, je pense, ce qu’attendent de nous les Européens lorsqu’ils voient dans les parlements de l’Union les forums rapprochés du débat européen.
C’est en pensant à eux, à tous les Européens, que je vous confirme, madame la ministre, le vote positif et sans états d’âme du groupe de l’Union Centriste. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette troisième loi de finances rectificative pour 2010 concrétise l’engagement de la France, qui fait suite à l’accord intergouvernemental intervenu au sein de l’Eurogroupe le 9 mai, après une semaine de tourmente où, comme aux pires moments de la crise financière de 2008, le marché interbancaire s’est grippé et les marchés d’actions ont chuté.
Lors de la discussion de la précédente loi de finances rectificative, où il était question d’être solidaires avec la Grèce, nous avions reproché l’attentisme des États de la zone euro qui avait, par sa durée, du 11 février au 23 avril, alimenté la spéculation. Cette fois, ces États ont réagi vite et conclu un accord à l’arraché qu’il nous faut transcrire dans la loi nationale.
Le groupe socialiste votera donc l’engagement de la France, qui porte sur une garantie de 111 milliards d’euros. Nous le voterons pour les mêmes raisons que nous avions voté le plan de solidarité avec la Grèce, au motif du respect de nos engagements européens et de la solidarité que nous devons exprimer aux pays de la zone euro qui seraient en difficulté pour refinancer leur dette.
Lors de ce débat, nous avions appelé à la constitution d’un fonds monétaire européen, une revendication partagée de longue date par tous les partis socio-démocrates européens. Nous n’y sommes pas encore, mais, si l’on est optimiste, le Fonds européen de stabilité financière, bien qu’il soit limité à trois ans, pourrait en être l’amorce, puisque sa vocation est avant tout préventive. Qui vivra, verra !
Par ailleurs, mais dans le même mouvement, la Banque centrale européenne reprend les titres des États, ce qu’elle avait déjà fait pour la Grèce – j’avais dit alors qu’elle avait franchi le Rubicon –, apportant ainsi de la liquidité aux banques.
Madame la ministre, je l’ai bien noté, alors qu’elles sont souvent vilipendées – pour de bonnes raisons, du reste -, les banques allemandes ont pris l’engagement de conserver les titres qu’elles détiennent sur la Grèce, et les banques françaises sont appelées à faire de même. Espérons qu’elles le feront aussi pour les autres pays où leur exposition est autrement plus importante ; je pense à l’Espagne et au Portugal.
Au passage, je relève tout de même qu’il s’agit d’une monétisation de la dette qui, en fonction de son ampleur, pourrait constituer une nouvelle « bulle » tout aussi dangereuse que celle que nous avons connue.
Cette garantie devrait être rémunérée mais, au moment où nous parlons, nous n’en connaissons pas le taux final. Sera-t-il aussi lourd que celui qui a été arrêté pour le prêt consenti à la Grèce ? Ce ne serait pas souhaitable, car à quoi bon fixer des taux élevés si les États en difficulté ne peuvent pas rembourser ? Si la situation ne s’arrangeait pas, il faudrait bien se poser la question du rééchelonnement et de la restructuration de la dette de certains États.
Au moment où nous débattons, les conditions d’application du mécanisme qui a été adopté le 9 mai sont en effet inconnues, mais nous savons qu’elles font l’objet d’âpres discussions, notamment avec nos partenaires allemands, à qui le Gouvernement français entend manifestement donner des gages de sérieux.
Au demeurant, les craintes des investisseurs ne se sont pas calmées après le 9 mai. S’il s’agissait de les rassurer, ce n’est pas totalement un succès. S’il s’agissait pour les États de conserver les notes qui leur ont été décernées par les agences de notation, cela n’a pas mieux fonctionné, au moins pour un des pays de la zone euro, l’Espagne, et je relève que notre ministre du budget lui-même a également parlé des tensions qui pesaient sur la note de la France.
Il est vrai qu’une dégradation de notre note pourrait nous coûter très cher. Ainsi, selon le rapport Champsaur-Cotis, une progression du taux d’emprunt à sept ans de 2,5 % à 3 % coûterait 2 milliards d’euros de charges d’intérêt supplémentaires en 2010, 3 milliards d’euros en 2012 et 4 milliards en 2013. M. Fourcade, qui connaît tout cela par cœur, pourra nous confirmer ces chiffres.
Qui veut-on rassurer, finalement ? L’Allemagne, les marchés, les agences de notation ? Pour l’instant, les résultats se font attendre. Une chose est sûre, si j’en crois la lecture des indicateurs du moral des ménages, c’est que l’on ne rassure pas les Français…
En revanche, nous commençons à apercevoir les linéaments des contreparties attendues des États de la zone euro, qui apparaissaient moins clairement dans ce plan, et qui nous renvoient au débat national, et donc au Parlement.
Par petites touches, en effet, le Gouvernement nous propose, ni plus ni moins, une cure d’austérité. C’est bien le terme qu’il faut employer quand le Gouvernement confirme à la Commission européenne son engagement de ramener le déficit public à 3 % du PIB d’ici à 2013.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est une bonne chose !
Mme Nicole Bricq. Sans doute, monsieur le président de la commission des finances, mais encore faut-il que cet objectif soit réaliste et compatible avec nos difficultés de croissance.
La confirmation de cet engagement pris par le Gouvernement en début d’année doit être complétée par les annonces faites par Président de la République, notamment lors de la conférence sur les déficits publics du 20 mai. Je les rappelle : réduction de 10 % des dépenses d’intervention de l’État et gel en valeur des dotations aux collectivités locales.
Il s’agit donc bien d’une cure d’austérité, qui prend le risque de tuer toute éventuelle croissance, alors que celle que nous enregistrons est d’à peine 0,1 % au premier trimestre. Le Gouvernement ne modifie d’ailleurs pas sa prévision de croissance à l’occasion de cette loi de finances rectificative, préférant attendre le résultat du deuxième trimestre. Mais, en tout état de cause, la croissance est très faible et la conjoncture inspire beaucoup de prudence, voire de l’inquiétude au consensus national des économistes.
En tout cas, les bourgeons de la reprise n’ont pas encore éclos.
Si tous les pays de la zone euro adoptaient des plans d’austérité, ce serait dramatique, car nous savons bien que les échanges intra-européens sont essentiels, pour l’Allemagne, qui réalise plus de 60 % des siens à l’intérieur de la zone euro, et pour la France, dont le chiffre est également très important. Si les flux commerciaux s’arrêtent, nous aurons à coup sûr une récession.
Par conséquent, nous devons à la fois continuer à soutenir l’économie par une politique ajustée et réduire nos déficits ; mais encore faut-il le faire progressivement. C’est pourquoi cette période de trois ans n’est pas réaliste : madame la ministre, cela tuera le malade !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Mais il mourra guéri !
Mme Nicole Bricq. Que le malade meure guéri est sans doute assez bon pour les médecins de Molière, monsieur le rapporteur général, mais vous savez très bien que la saignée n’est pas le meilleur des remèdes !
Le Président de la République a annoncé une nouvelle réforme constitutionnelle et nous aurons bientôt le débat d'orientation budgétaire où nous serons amenés à reparler des conditions dans lesquelles on peut raisonnablement restaurer nos finances publiques. Nous y sommes particulièrement attachés, nous l’avons déjà dit à cette tribune, et depuis longtemps.
Je rappelle, à cet égard, qu’il y a deux ans la Constitution a été révisée pour prévoir désormais que « la programmation des finances publiques s’inscrit dans l’objectif d’équilibre des comptes. »
Or, monsieur le rapporteur général, sans remonter très loin dans le temps – vous ne remontez pas avant 2002 -, je vous signale que, à peine adoptée, la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques, que vous avez adoptée en février 2009, n’a pas été respectée. Nous avons été amenés à le dire, elle est devenue caduque. (M. le rapporteur général s’exclame.) Nous avons été ici même témoins à plusieurs reprises de cette caducité.
La règle constitutionnelle n’a pas empêché cette dérive, vous avez continué. Je ne veux pas revenir sur le débat fiscal, mais tout de même… Voyez toutes les exonérations que vous avez consenties. Et vous envisagez même de constitutionnaliser les dépenses fiscales, auxquelles vous êtes maintenant très attachés. Je pense à la TVA sur la restauration. Je passe, tout le monde aura compris…
M. Philippe Marini, rapporteur général. Je n’ai jamais été partisan de la TVA à 5,5 % dans la restauration, vous le savez !
Mme Nicole Bricq. Mais vous l’avez votée, pas nous !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je ne l’ai pas votée !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Vous savez ce que c’est, la discipline, l’amitié… (Sourires.)
Mme Nicole Bricq. Au demeurant, renforcer la normativité constitutionnelle n’est pas une mince affaire. Madame la ministre, j’ai lu le rapport d’étape du groupe Camdessus et nous attendons pour la fin juin le rapport final. On souligne dans ce document que toute norme doit comporter une marge de flexibilité pour affronter les crises. Les Allemands avaient dans leur Constitution une norme très forte, mais la digue s’est rompue quand la crise financière est arrivée.
Nous reviendrons ultérieurement à ce débat, il sera forcément très intéressant. Si je l’évoque aujourd'hui, c’est parce que cette promesse faite par le Président de la République à l’horizon 2012 et, sans doute, la réforme des retraites – on en reparlera – doivent, dans l’idée du Gouvernement, avoir non seulement auprès de la Commission européenne – la France fait tout de même l’objet d’une procédure –, mais aussi auprès des agences de notation, peut-être même aussi de l’Allemagne et des marchés, une fonction de réassurance.
Quand on regarde les périodes où les déficits se sont creusés et l’endettement s’est accru – et là on pourrait remonter avant 2002 – toute réassurance qui serait donnée par un gouvernement et une majorité parlementaire qui n’ont jamais, absolument jamais pourvu au désendettement dans les périodes de croissance ferait réfléchir, à défaut de pouvoir faire sourire.
Dans cette période tourmentée, il ne faut pas se tromper de remède. Le temps gagné sur la spéculation ne doit pas être du temps perdu pour la construction européenne,…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !
Mme Nicole Bricq. … celle qui doit reprendre sur des bases nouvelles, car si l’on regarde les dernières années, cela n’a pas été très brillant.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est une maison de tolérance !
Mme Nicole Bricq. Ce travail doit reprendre au-delà de l’épreuve.
La gouvernance économique, si souvent réclamée par le groupe socialiste, ne se confond pas dans notre esprit avec une politique de réduction drastique de l’action publique au détriment des plus faibles.
Selon les chiffres communiqués par l’Organisation internationale du travail, si des cures d’austérité sont imposées partout dans le monde, ce sera dramatique, car plus de 100 millions de personnes seront abandonnées dans la crise, et nous pouvons nous faire du souci.
Par ailleurs, cette gouvernance économique ne doit pas se faire non plus au détriment des investissements nécessaires pour retrouver les chemins de la croissance.
Nous le ressentons tous, il ne s’agit pas aujourd’hui d’une énième crise venant succéder aux crises nombreuses qui ont jalonné la constitution de l’Europe depuis sa création : la présente crise peut être fondatrice comme elle peut signer notre déclin.
Voter ce plan de stabilisation financière nous fera gagner du temps ; il est nécessaire, mais il ne nous masque pas les choix de fond auxquels nous devons être attentifs.
Le choix de fond qui est posé concerne la méthode : on ne pourra pas continuer longtemps dans l’intergouvernemental, nous en sommes convaincus, et cela renvoie effectivement à un débat politique profond…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui !
Mme Nicole Bricq. … sur ce que nous voulons pour cette construction européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Albéric de Montgolfier.
M. Albéric de Montgolfier. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, moins d’un mois après la promulgation de la dernière loi de finances rectificative, qui visait à mettre en œuvre le plan français d’aide à la Grèce, le Sénat s’apprête à examiner le troisième collectif budgétaire de l’année 2010, qui est également, je le rappelle, le cinquième collectif lié à la crise financière.
Le précédent collectif répondait à une urgence liée à l’effondrement de l’économie grecque ; il visait par conséquent à réparer, à poser en quelque sorte une rustine sur la roue guidant le véhicule de l’Union sur le chemin parfois chaotique de la construction européenne.
Aujourd’hui, il s’agit non plus de réparer dans l’urgence mais de prévenir. Il s’agit non plus de poser des rustines mais de changer la roue devenue instable et d’éviter ainsi qu’elle n’entraîne dans sa chute tout le véhicule de la zone euro.
Tel est l’objet du plan européen de stabilisation financière, dont le présent collectif constitue le volet français.
Le plan européen a été décidé lors de la réunion du Conseil de l’Union européenne du 9 mai 2010, en réaction à la crise grecque et aux risques de contagion à d’autres États membres, susceptibles d’être à leur tour victimes de la spéculation financière, et plus largement, de déstabilisation de la zone euro dans son ensemble.
La réaction franco-allemande, en liaison avec la Commission européenne et le FMI, face à des marchés continuant de spéculer malgré le plan de sauvetage de la Grèce, a donc consisté à privilégier une approche globale, coordonnée et rapide, plutôt que d’en rester à des solutions au cas par cas qui ne décourageraient pas la spéculation.
Comme pour le plan de sauvetage de la Grèce, la France apparaît donc aux avant-postes parmi ceux qui ont réagi le plus rapidement, et je souhaiterais à cet égard, madame la ministre, saluer votre engagement personnel aux côtés du Président de la République, notamment pour réagir dans l’extrême urgence.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. C’est bien !
M. Albéric de Montgolfier. Comme cela a été rappelé, le plan européen se décline en trois volets.
Premièrement, un volet communautaire : un État membre en difficulté pourra bénéficier de prêts garantis par le budget de l’Union européenne, à hauteur de 60 milliards d’euros. Ce volet résulte de l’application de l’article 122, alinéa 2, du Traité prévoyant une aide financière quand les difficultés de l’État sont dues à des circonstances exceptionnelles. Cette aide est donc indépendante du contrôle des États membres.
Deuxièmement, un volet intergouvernemental complète le volet communautaire, trop faible pour rassurer les marchés. Ainsi, 440 milliards d’euros seront garantis pendant trois ans sur une base non solidaire par les seize États membres de l’Eurogroupe, au Fonds européen de stabilité financière, un organisme ad hoc qui sera géré par la Banque européenne d’investissement et qui sera chargé de refinancer des États membres de la zone euro en difficulté.
À ce sujet, madame la ministre, pourquoi avoir limité les bonnes volontés aux seuls membres de la zone euro, alors que d’autres États, semble-t-il, comme la Suède et la Pologne, désiraient également apporter leur garantie au Fonds de stabilisation ?
Entre les volets communautaire et intergouvernemental, ce sont donc 500 milliards d’euros de garantie, fonctionnant comme une caution, qui vont permettre de lever des fonds sur les marchés financiers pour ensuite acheter de la dette publique de pays fragilisés.
À cela s’ajoute un troisième volet, correspondant à l’effort substantiel du FMI, à hauteur de 50 % de l’effort consenti par l’Union européenne et les États membres de la zone euro, soit 250 milliards d’euros.
Contrairement à certains qui véhiculent des rancœurs de voir ainsi l’Europe faire appel au FMI, nous devrions au contraire saluer cet effort coordonné sans précédent.
Et n’oublions pas que les États membres vont eux-mêmes renforcer les moyens d’intervention du Fonds monétaire international à hauteur de 500 milliards de dollars, suite à la décision du G20 de Londres et de Pittsburgh en 2009.
Le présent projet de loi de finances rectificative prévoit ainsi un relèvement de la contribution française aux nouveaux accords d’emprunt qui lient le FMI et ses membres les plus solvables, à 18,7 milliards d’euros.
Le collectif précise également la quote-part de la France au montant de garantie apporté au Fonds européen de stabilité financière, qui est proportionnelle au montant de sa participation dans le capital de la Banque centrale européenne, soit un plafond maximal de 111 milliards d’euros de prêts ou de lignes de crédit, en intégrant la majoration de 20 % décidée pour tenir compte de l’hypothèse d’une mobilisation du fonds en faveur d’un État membre défaillant, qui, par conséquent, ne pourrait plus lui-même apporter sa garantie.
Bien sûr, ces montants sont à cette heure hypothétiques et n’ont pas d’impact sur le solde, comme le rappelait M. le ministre du budget, tant qu’aucun appel effectif de la garantie n’est effectué par un État en difficulté.
Bref, nous le savons, la construction de l’Union passe par des crises, qui permettent souvent de l’accélérer.
Les difficultés rencontrées par la zone euro ont mis en lumière la nécessité d’une accélération de la construction européenne, qui passe, en premier lieu, par une meilleure coordination des politiques économiques et financières et par une meilleure gouvernance économique.
Présenter nos perspectives budgétaires à l’Eurogroupe ne suffira pas ; il faut un rapprochement des politiques économiques et des législations fiscales. Les pays de la zone euro doivent s’engager sur de nouvelles règles de gouvernance, avec un conseil de l’euro traitant de toutes les dimensions économique, financière et sociale, avec pourquoi pas, à terme, un pouvoir d’initiative et de régulation qui serait confié à la Commission européenne.
À cet égard, la politique de l’autruche n’est plus acceptable et les problèmes économiques doivent être posés sur la table.
Chacun doit faire un effort, notamment sur les déficits : la France est déficitaire depuis trente-cinq ans !
Saluons l’initiative du chef de l’État, qui a organisé cette conférence nationale sur les déficits, même si certains ont cru bon de ne pas y participer,…