M. Gérard Miquel. Cet amendement est le premier d’une série dont l’objectif est d’assurer une représentation pluraliste des organisations professionnelles agricoles dans le collège des producteurs au sein des organisations interprofessionnelles. Monsieur le ministre, vous avez déclaré ne pas être hostile au débat ; nous allons pouvoir le vérifier… (Sourires.)
Au travers de la modification rédactionnelle proposée, nous souhaitons permettre à toutes les organisations syndicales d’exploitants agricoles à vocation générale de faire partie des interprofessions.
Il est vrai, monsieur le rapporteur, que les interprofessions sont des organismes de droit privé, constitués de façon volontaire. Toutefois, à partir du moment où l’État reconnaît une interprofession et permet l’extension des accords qu’elle conclut à tous les acteurs de la filière, qu’ils soient ou non adhérents de cette interprofession, il paraît normal que tous les syndicats agricoles puissent être représentés en son sein.
Une interprofession a pour vocation première d’être une instance de dialogue entre les différents acteurs de la filière, entre l’amont et l’aval. Dans cette perspective, il serait tout de même paradoxal de continuer à s’opposer à ce que le dialogue s’instaure entre tous les producteurs agricoles ! Sur le terrain, nous avons pu constater que de plus en plus d’agriculteurs sont favorables à ce pluralisme syndical, même parmi ceux qui font partie du syndicat majoritaire.
Au moment où l’on apprête à renforcer les missions des interprofessions, nous estimons nécessaire d’assurer la participation de tous les syndicats aux groupements faisant l’objet d’une reconnaissance par l’État en qualité d’organisations interprofessionnelles.
Mme Patricia Schillinger. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gérard César, rapporteur. Je comprends bien l’objectif des auteurs de ces deux amendements, mais j’émets un avis défavorable.
Tout d’abord, d’un point de vue juridique, il n’est pas certain que la rédaction proposée produise l’effet escompté : demander que les organisations professionnelles représentatives soient représentées n’impliquent pas qu’elles le soient toutes.
Par ailleurs, la notion de représentativité, au sens de la loi d’orientation agricole de 1999, s’entend à l’échelon national, et uniquement pour les producteurs. Elle n’existe pas pour la transformation et la distribution, ni pour les organisations spécialisées, qui sont précisément celles qui siègent dans les organismes interprofessionnels.
En outre, les organisations interprofessionnelles sont des organismes de droit privé, souvent à statut associatif. Par conséquent, elles déterminent librement leur organisation interne et leur périmètre. Instaurer l’adhésion systématique ou obligatoire, corollaire de la recherche d’une représentativité complète, reviendrait à changer totalement leur nature.
Or un débat a lieu à Bruxelles sur la nature juridique des interprofessions et sur les contributions des professionnels, appelées cotisations volontaires obligatoires. La Commission européenne qualifie ces dernières d’aides d’État, alors que l’État ne les décide pas et n’en a pas le libre usage. La France, qui estime que les interprofessions relèvent de la libre initiative des professionnels, a contesté cette interprétation de la Commission européenne. L’État n’accorde aux interprofessions qu’une reconnaissance a posteriori.
Si l’on impose que la totalité des acteurs d’une filière soient représentés au sein de l’interprofession, celle-ci restera-t-elle une association ou deviendra-t-elle un office ?
Enfin, je préfère que le pluralisme des interprofessions se mette en place sur l’initiative des acteurs, plutôt qu’il soit imposé d’en haut. Laissons le soin aux interprofessions de se gérer elles-mêmes : elles sont majeures et vaccinées !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur les amendements nos 539 rectifié et 153.
L’examen de ce projet de loi donne lieu à un débat de très grande qualité. Dans cet esprit, il serait un peu facile de se réfugier, sur cette question, derrière des arguments strictement juridiques.
Les auteurs des deux amendements souhaitent ouvrir par la loi les interprofessions à l’ensemble des organisations syndicales représentatives. Il s’agit là d’un vrai sujet, que l’on ne peut écarter d’un revers de la main.
Pour ma part, je suis convaincu que le sens de l’histoire est d’aller vers une représentation plurielle des organisations syndicales et que, peu à peu, par une démarche volontaire et sur l’initiative des interprofessions, l’ouverture se fera. Je n’hésite d’ailleurs pas à dire – ces mots surprendront peut-être de la part d’un ministre de l’agriculture appartenant à cette majorité – que c’est selon moi souhaitable.
J’ai eu l’occasion de discuter de cette question difficile avec nombre d’entre vous, ainsi qu’avec des responsables d’organisations syndicales et d’anciens ministres de l’agriculture, y compris socialistes, comme M. Glavany ou M. Patriat.
Deux méthodes s’offrent à nous pour favoriser cette ouverture et le pluralisme syndical.
La première, que j’ai moi-même un temps envisagé de privilégier, consiste à imposer par la loi l’ouverture des interprofessions, pour que tout le monde ait voix au chapitre. Après une année d’exercice de mes fonctions actuelles et fort du retour d’expérience de ceux qui les ont occupées avant moi, j’ai acquis la conviction que ce n’est pas la bonne solution. En agissant ainsi, nous commettrions une faute politique et nous ferions prendre du retard à la nécessaire ouverture du dialogue syndical dans le monde agricole, au-delà du problème de droit que représenterait la modification par la loi du fonctionnement d’une organisation de droit privé.
M. Gérard César, rapporteur. Voilà !
M. Bruno Le Maire, ministre. Ce n’est pas en brusquant les choses que nous réussirons. Je suis au contraire persuadé que nous reculerions de trois pas en pensant faire un grand bond en avant.
La seconde méthode consiste à faire évoluer graduellement la situation en instaurant un climat de confiance, par une association systématique de l’ensemble des organisations syndicales représentatives.
Quand est survenue la crise du lait, j’ai ainsi réuni autour d’une table toutes les organisations syndicales représentatives de la filière. Cela n’a l’air de rien, mais cela n’a pas été facile. Au début, cette réunion s’est déroulée dans une atmosphère glaciale. J’ai été le premier à m’engager dans cette démarche : personne avant moi ne s’était aventuré à organiser une telle réunion avec l’ensemble des organisations syndicales représentatives. Le Président de la République l’a également fait lors du Salon de l’agriculture. Il en va de même dans le cadre de FranceAgriMer ou du Conseil supérieur de l’orientation de l’économie agricole et alimentaire. Les organisations syndicales représentatives doivent apprendre à se connaître et à travailler ensemble.
J’ai demandé au président de la Fédération nationale des producteurs de lait, M. Brichart, qui essaie de faire avancer les choses dans un esprit constructif, de réfléchir à un plan de développement de la filière du lait. Il a accepté que ces travaux soient ouverts à l’ensemble des organisations syndicales représentatives, et collabore avec les responsables de la Confédération paysanne ou de la Coordination rurale. C’est un geste important de sa part.
C’est en avançant dans cette direction, pas après pas, que nous arriverons à la nécessaire ouverture et à un travail en commun des différentes organisations syndicales représentatives du monde agricole. Certains estiment qu’il vaut mieux passer en force et imposer par la loi la représentation plurielle, mais je ne partage pas leur avis. Pour avoir l’expérience des contacts réguliers avec les organisations syndicales, tous mes prédécesseurs au ministère de l’agriculture, qu’ils soient de gauche ou de droite, sont peu ou prou d’accord avec moi sur ce point. La méthode que je préconise permettra de tendre progressivement vers des résultats concrets.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote sur l'amendement n° 539 rectifié.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le ministre, les explications que vous venez de nous donner sont extrêmement convaincantes. Toutefois, je souhaite revenir sur la crise du lait et mettre l’accent sur l’apparition, dans le paysage de la profession, de l’Association des producteurs de laits indépendants, l’APLI. Cette association, qui se situe en dehors des partis, des mouvements et des syndicats et qui regroupe un certain nombre de producteurs, pose un problème au législateur, car ses membres ne souhaitent pas se constituer en syndicat. Pourtant, un jour ou l’autre, il faudra bien qu’ils se comptent s’ils veulent participer de façon officielle aux discussions.
Ainsi, dans mon département de l’Orne, l’APLI est en train de monter une filière du lait équitable, en réunissant un certain nombre de producteurs et en organisant elle-même la distribution. Il sera impossible de la laisser longtemps en dehors du circuit. Même si ses adhérents sont également membres de la Confédération paysanne, de la FNSEA ou d’autres syndicats d’ores et déjà représentatifs, ils tiennent néanmoins à leur spécificité.
Certes, s’ils se trouvent exclus du dialogue, ce sera peut-être de leur propre fait, car après tout, ils n’ont qu’à adopter la structure juridique adéquate s’ils veulent se faire entendre, mais cet exemple montre que la question de la représentation est complexe. Je comprends bien vos arguments juridiques, monsieur le ministre, et mieux encore vos arguments politiques, mais il n’en demeure pas moins qu’il faudra d’une façon ou d’une autre pouvoir entendre ces jeunes producteurs qui ne se reconnaissent pas dans les instances traditionnelles.
M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel, pour explication de vote.
M. Gérard Miquel. Monsieur le ministre, j’ai bien compris votre argumentation. Cela étant, je partage le point de vue de Mme Goulet.
Certes, on ne peut imposer l’ouverture de façon radicale, mais nous proposons simplement qu’il soit fait référence, dans le texte, aux organisations « représentatives », et non plus aux organisations « les plus représentatives ». C’est là un petit pas en avant, qui devrait vous aider dans votre démarche, monsieur le ministre. Je ne vois pas qui pourrait trouver à redire à une proposition aussi mesurée.
M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote.
M. François Fortassin. J’abonde dans le sens de M. Miquel et de Mme Goulet.
Je ferai pour ma part observer que rien n’interdit que le champ réglementaire soit encadré par la loi.
En outre, je souligne que M. le ministre et nous partageons les mêmes convictions, à cette nuance près que nous estimons qu’elles doivent trouver une traduction concrète immédiate, et non dans le futur !
M. le président. La parole est à M. Alain Fauconnier, pour explication de vote.
M. Alain Fauconnier. Monsieur le ministre, ce débat me paraît quelque peu surréaliste, au regard des défis que doit affronter le monde agricole.
Certes, je comprends votre grande prudence sur ce sujet et je reconnais votre bonne volonté, puisque vous avez vous-même largement fait preuve d’esprit d’ouverture. Toutefois, dans la société tout de même apaisée qui est la nôtre, j’estime qu’il faut en finir avec un particularisme dont le monde agricole a déjà trop souffert.
Pour prendre un exemple que je connais bien, je rappellerai que, historiquement, l’interprofession du roquefort s’était instaurée sur le principe du monopole : étaient exclus les producteurs du Larzac, considérés comme non fréquentables et gratifiés de désignations peu flatteuses… Or, lorsque le groupe Lactalis s’est implanté dans le bassin de production, les acteurs du monde agricole se sont rendu compte que ce n’était pas d’uniformité qu’ils avaient le plus besoin pour faire face, mais d’unité dans la diversité. Cette évolution a permis de faire avancer les choses.
Les pinaillages rédactionnels auxquels nous assistons maintenant me semblent donc absolument surréalistes, je le répète. Je comprends votre prudence et je ne nie pas la complexité du sujet, mais si l’on avait appliqué la méthode que vous préconisez aujourd’hui au monde ouvrier d’il y a trente ou quarante ans, où en serait la représentation syndicale de ce dernier ?
M. Alain Fauconnier. Il s’agit non pas de désavouer les organisations majoritaires ou de fixer dans le détail le fonctionnement des interprofessions, mais de faire preuve d’un minimum de bon sens face aux enjeux. Nous vous demandons simplement d’envoyer un signal, monsieur le ministre, qui correspond à votre démarche. Je ne comprends donc pas pourquoi vous ne consentez pas cet effort, qui n’a pourtant rien d’insurmontable ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard, pour explication de vote.
M. Patrice Gélard. Permettez-moi de faire une observation d’ordre sémantique en guise d’explication de vote.
Lorsque l’on évoque les organisations les plus représentatives, on sait ce que cela veut dire. En revanche, la notion d’ « organisations représentatives » n’a aucune signification, car toute organisation est nécessairement représentative. Si l’on inscrit cette formulation dans la loi, il faudra expliciter par un décret ce qu’est une organisation représentative. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle. Si la totalité des organisations syndicales, jusqu’aux plus minoritaires, doivent être représentées au sein des interprofessions, comment pourra se dégager un consensus conforme aux intérêts majoritaires de la profession ? (M. Gérard César, rapporteur, acquiesce.)
J’ai bien peur que, dans ces conditions, les autres parties prenantes de l’interprofession ne jouent la division entre les organisations syndicales de producteurs, pour faire adopter un consensus mou, qui ne répondra pas du tout aux intérêts de la profession.
J’estime que les producteurs doivent être en position de force face à leurs partenaires de l’interprofession. Or ma grande crainte est que la règle du consensus qui y prévaut ne soit source de déceptions pour la profession agricole. Comment en effet concilier les intérêts contradictoires de la grande distribution et de la production ? C’est peut-être parce que la représentation de cette dernière n’était pas assez unie que les producteurs n’ont pas obtenu tous les résultats qu’ils espéraient dans le cadre des négociations interprofessionnelles sur les prix.
Monsieur le ministre, en l’absence de consensus conforme aux objectifs visés par le texte, il faudra bien qu’un arbitre intervienne. Ce n’est certainement pas l’interprofession qui peut jouer ce rôle. Il faudra faire appel à un tiers, sinon cette loi ne produira pas les résultats espérés et sera un nouveau coup d’épée dans l’eau.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Mirassou. Nos interrogations font écho à celles de notre collègue Alain Vasselle, dans un registre diamétralement opposé.
Dans sa rédaction actuelle, le texte débouche sur une forme de cooptation des organisations représentées au sein de l’interprofession, qui fera émerger les plus forts, supposés garantir les intérêts de tous… Or l’intérêt général est que tous les points de vue soient pris en compte, y compris ceux qui paraissent minoritaires.
Très sincèrement, je ne crois pas que viser les « organisations représentatives » plutôt que les « organisations les plus représentatives » présente un danger quelconque ! Les organisations qui seront représentées au sein de l’interprofession n’ont pas a priori l’intention de saboter la filière ! Compte tenu des enjeux dans cette période critique, le bon sens amènera les représentants de la profession à aborder les dossiers dans un esprit de défense de l’intérêt général.
Autrement dit, nous faisons pour notre part le pari de la responsabilité et de la lucidité, au rebours de la vision pessimiste que l’on nous oppose. Tel est bien ce qui nous distingue, monsieur le ministre, au-delà d’un ergotage sur la suppression ou le maintien d’un superlatif. Il s’agit d’une question de bon sens, et je ne comprends pas que l’on y passe autant de temps !
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Limiter la participation à l’interprofession aux organisations les plus représentatives aboutit de fait à exclure de manière délibérée des organisations qui sont représentatives.
M. Gérard Miquel. Eh oui !
M. Jean Louis Masson. C’est tout de même très grave ! Dans quelle démocratie sommes-nous ? C’est la logique du syndicat unique, analogue à celle du parti unique !
Je suis radicalement opposé à cette conception des choses. J’estime que la force d’un pays, d’une démocratie ou d’une organisation réside d’abord dans le pluralisme et le respect du point de vue de chacun.
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, pour explication de vote.
M. Martial Bourquin. Je préfère de beaucoup l’argumentation de M. le ministre, qui nous a indiqué qu’il s’agissait d’un problème politique et historique, à l’analyse juridique de M. Gélard, qui me semble hors sujet. Il ne s’agit pas d’un problème de droit ! Tous les accords conclus au sein des entreprises ou des interprofessions le sont par des organisations représentatives. La représentativité des organisations découle de leur influence. Le droit n’a rien à y voir !
La difficulté essentielle tient à ce que les cotisations perçues sont volontaires, mais obligatoires. À ce titre, elles doivent être gérées par tous.
M. Jean-Jacques Mirassou. Eh oui !
M. Martial Bourquin. M. le ministre a indiqué que, s’agissant d’une question historique et politique, il fallait du temps pour la surmonter. Or la formulation que nous proposons n’a aucun caractère radical : elle n’est nullement incompatible avec une évolution progressive de la situation. Ce que nous demandons n’est vraiment pas grand-chose !
Nous sommes dans un État de droit, faisons en sorte qu’il soit respecté. Je rejoins à cet égard les propos de M. Masson. Puisque nous débattons aujourd'hui d’un projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, modernisons donc, y compris en matière de représentation du monde agricole !
M. le président. L'amendement n° 430, présenté par M. Repentin, Mme Herviaux, MM. Guillaume et Botrel, Mme Nicoux, MM. Andreoni, Antoinette et Bérit-Débat, Mmes Blondin et Bonnefoy, M. Bourquin, Mme Bourzai, MM. Chastan, Courteau, Daunis, Gillot, Fauconnier, S. Larcher, Lise, Madec, Marc, Mazuir, Mirassou, Muller, Navarro, Pastor, Patient, Patriat, Rainaud, Raoul, Raoult et Ries, Mme Schillinger, MM. Sueur, Teston et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Après les mots :
gestion des marchés
insérer les mots :
et de la production
La parole est à Mme Renée Nicoux.
Mme Renée Nicoux. Les groupements pouvant faire l’objet d’une reconnaissance en qualité d’organisations interprofessionnelles par l’autorité administrative compétente doivent assumer des missions de plus en plus importantes visant à structurer les filières de l’amont à l’aval et à contribuer à la gestion des marchés agricoles.
Tel que défini en commission, le premier objectif des interprofessions est donc de favoriser l’adaptation de l’offre à la demande, de suivre les comportements et les besoins des consommateurs, d’améliorer la connaissance du secteur concerné et de contribuer à la gestion des marchés, par une meilleure adaptation des produits aux plans quantitatif et qualitatif et par leur promotion.
Nous estimons qu’il peut être utile de préciser dans l’alinéa visé que les interprofessions ont un rôle important à jouer dans la gestion non seulement des marchés, mais aussi de la production.
Cela ne veut pas dire que nous renonçons au principe d’une régulation publique nationale et européenne de la production afin de stabiliser les cours des matières premières et les revenus des agriculteurs, mais les accords entre l’amont et l’aval au sein des interprofessions, la contractualisation que nous avons définie à l’article 3 ne sauraient permettre de stabiliser les relations commerciales et d’adapter l’offre à la demande si l’on ne prévoit pas au départ une régulation des volumes produits.
À court terme, comme nous l’avons vu avec l’interprofession laitière, il est toujours difficile de concilier les intérêts divergents des acheteurs et des vendeurs. En revanche, à long terme, il est dans l’intérêt de tous les acteurs de la chaîne de commercialisation d’avoir des partenaires solides capables de développer le potentiel économique de la filière.
De la même façon, il ne peut être que bénéfique, à long terme, d’encadrer la production et de la réguler, ce qui permet d’éviter les situations de surproduction qui font chuter les prix et de maintenir la production de façon équilibrée sur tout le territoire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gérard César, rapporteur. Mme Nicoux propose de donner aux interprofessions la mission de gérer la production.
S’il s’agit d’anticiper les tendances en matière de surfaces, d’anticiper les rendements, bref de donner des prévisions aux acteurs des filières, la rédaction actuelle de l’alinéa 4 nous semble suffisante.
Si, en revanche, il s’agit d’attribuer aux interprofessions un rôle de gestion quantitative de la production, de fixer des quotas de production au sein des filières ou de procéder à des mesures de retrait, j’ai plusieurs objections à formuler.
Premièrement, ce rôle est dévolu aux organisations de producteurs. Par exemple, dans le cadre de l’organisation commune des marchés du secteur des fruits et légumes, elles peuvent prendre des mesures de gestion au titre de programmes opérationnels, pouvant consister en des retraits en cas de surproduction.
Deuxièmement, toute mesure de restriction de production non prévue par les règlements communautaires est notoirement contraire au droit européen et nous exposerait à de graves sanctions.
J’ajoute qu’une telle disposition serait inefficace : gérer notre production alors que nos voisins européens ne le feraient pas nous amènerait à perdre des parts de marché, à l’instar de ce qui s’est produit cette année pour le lait.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Aux termes de l’alinéa 4 de l’article 7, il est précisé de façon suffisamment explicite que les interprofessions ont pour rôle de favoriser l’adaptation de l’offre à la demande.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président. L'amendement n° 504 rectifié, présenté par MM. Jarlier, Alduy, Hérisson, Juilhard, Amoudry, Carle et Bailly, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« ...° Définir un référentiel d'exploitation global spécifique au secteur et des « sous référentiels » tenant compte du système d'exploitation et des spécificités régionales ;
La parole est à M. Pierre Jarlier.
M. Pierre Jarlier. Il est important que les groupements de producteurs organisés en interprofessions puissent contribuer à la définition d’un référentiel d’exploitation qui constituera le socle du calcul des coûts de production et des prix de revient des produits.
Cependant, ces référentiels ne sont pas les mêmes partout dans notre pays, car les conditions d’exploitation sont différentes selon les territoires. Par exemple, les handicaps naturels liés aux conditions d’élevage ou de production dans les zones de montagne sont très pénalisants pour la compétitivité des produits. De la même façon, une production de qualité certifiée impose des contraintes d’exploitation qui doivent être reconnues dans la définition des référentiels de prix.
C’est pourquoi cet amendement vise à définir également des « sous-référentiels » tenant compte des systèmes d’exploitation et des spécificités régionales. Cette reconnaissance de la diversité des modes de production conditionne en effet la définition d’un coût de production tenant compte de la réalité des charges que subissent les agriculteurs.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Gérard César, rapporteur. Les missions des interprofessions prévues par la loi doivent conserver un caractère général.
De plus, l’idée d’un référentiel global d’exploitation tel que présentée par M. Jarlier pourrait être mal reçue par le monde agricole. Cela revient en effet à prescrire aux agriculteurs comment ils doivent travailler, selon quel rythme, etc. Je doute même que l’on puisse un jour parvenir à un accord interprofessionnel sur le sujet. Il convient de laisser à chaque agriculteur une marge de manœuvre lui permettant de faire ses propres choix dans la conduite de son exploitation.
Je vous invite donc, mon cher collègue, à retirer l’amendement n° 504 rectifié. À défaut, la commission émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Le Gouvernement demande également le retrait de cet amendement, et émettra un avis défavorable à défaut. Il n’est pas souhaitable, me semble-t-il, que la loi soit trop prescriptive.
M. le président. Monsieur Jarlier, l'amendement n° 504 rectifié est-il maintenu ?
M. Pierre Jarlier. J’entends bien les arguments qui me sont opposés. Dans ces conditions, j’aimerais cependant savoir ce qui, dans le texte, permettra de garantir aux agriculteurs la reconnaissance des spécificités des diverses productions.
M. Gérard César, rapporteur. Pour les zones de montagne !
M. Pierre Jarlier. Pas seulement, cela vaut pour des productions spécifiques, quelles qu’elles soient. Les interprofessions peuvent participer à ce travail de définition. Il s’agit non pas d’imposer des contraintes complémentaires, mais simplement de faire en sorte que les référentiels de prix tiennent compte de la diversité des territoires et des modes de production.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Maire, ministre. Je tiens vraiment à préciser que la loi ne pourra pas tout régler dans le détail. Ce travail sur des sujets techniques est accompli par ailleurs, rassurez-vous.
Par exemple, à la demande du Gouvernement, l’interprofession est en train de redéfinir les indices de tendance du marché laitier. Nous souhaitons que ces indices tiennent compte de l’écart de compétitivité avec l’Allemagne, des coûts de production et des différences d’une région à l’autre. En effet, on sait parfaitement que produire du lait à 1 500 mètres d’altitude, sur des alpages, dans des conditions difficiles, coûte bien plus cher qu’en zone intermédiaire, sur une exploitation de polyculture-élevage. Il n’est même pas certain que le prix de vente de produits bénéficiant d’une appellation d’origine contrôlée, tels que certains fromages de votre région, monsieur Jarlier, puisse couvrir le surcoût de production en zone de montagne.
Tous ces éléments sont l’objet du travail de définition de nouveaux indices en cours, mais je ne pense pas qu’il soit nécessaire de le viser aussi explicitement dans la loi.