M. Jacques Muller. On verra !
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Pour conclure, je tiens à rappeler que le mouvement de suppression de la publicité en journée sur France Télévisions, dont nous débattons aujourd’hui, fait – comme il se doit – l’objet d’un processus d’évaluation, prévu par le législateur. Ainsi, avant que la suppression ne soit effective, le Gouvernement devra remettre au Parlement, au plus tard le 1er mai 2011, un rapport sur l’impact de la fin de la publicité en soirée, qui permettra d’en établir le bilan.
Pour l’ensemble de ces raisons et compte tenu du travail engagé par les sénateurs dans le cadre de la mission sur l’adéquation du financement de France Télévisions à ses moyens, le Gouvernement n’est pas favorable à l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous tous, j’ai écouté attentivement l’exposé de notre collègue Jack Ralite relatif à la proposition de loi visant à assurer la sauvegarde du service public de la télévision, qu’il a déposée le 6 avril dernier. Je crois que nous avons tous à cœur d’assurer la sauvegarde du service public de la télévision ; cet objectif commun avait d’ailleurs mobilisé nombre d’entre nous l’année dernière sur le projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision.
Mais, plutôt que « sauvegarder », je préférerais utiliser les mots « pérenniser et développer ». Telle était, me semble-t-il, notre ambition. Sinon, je vous assure que je ne me serais pas autant battue, aux côtés de Michel Thiollière, pour faire admettre l’indexation et la revalorisation de la redevance. Une fois encore, je vous remercie de nous avoir soutenus dans ce combat, mes chers collègues.
La pérennité et le développement de France Télévisions reposent, bien entendu, sur des financements adéquats – je vous rejoins complètement sur ce point, monsieur Ralite –, mais aussi sur une gestion stratégique de ceux-ci, sur une différentiation accrue de l’offre du service public par rapport à ses concurrents, sur sa capacité à muter rapidement en média global. Dans un paysage audiovisuel qui s’est considérablement diversifié ces dernières années, notamment avec l’arrivée des chaînes de la TNT, face aux nouvelles pratiques générées par le boom de l’internet et les innovations technologiques, la télévision publique doit non seulement se moderniser, mais également se singulariser, en développant une offre éditoriale originale, de qualité et attractive qui lui permettra d’être l’un des grands vecteurs de la « culture pour chacun », comme vous aimez l’affirmer, monsieur le ministre. Là résident avant tout les conditions de sa survie, mon cher collègue, pour reprendre votre expression.
Mais il faut également avoir une vision globale des défis à relever, lesquels ne sont pas exclusivement financiers. C’est pourquoi nous avons adopté la loi du 5 mars 2009, dont certaines dispositions permettent à France Télévisions de réaliser cette adaptation, que le président Patrick de Carolis avait de lui-même sagement engagée.
C’est donc cet ensemble d’objectifs qu’il ne faut pas perdre de vue si l’on souhaite voir aboutir cette réforme qui, si elle est désormais bien engagée, reste encore au milieu du gué. Soucieux de la réussite de la réforme, le groupe centriste a jugé bon qu’un débat sur sa mise en œuvre soit organisé dans le cadre de la semaine réservée au contrôle parlementaire. Nous, centristes, sommes en effet très attachés au rôle du Parlement en matière de contrôle de l’action gouvernementale, rendu possible par la réforme de la Constitution d’août 2008.
Vous reconnaîtrez, monsieur Ralite, que, comme vous, nous jouons pleinement notre rôle, et que nous avons réaffirmé sans complaisance nos exigences quant aux mesures non appliquées et aux promesses non tenues. Je pense notamment au comité de suivi, composé de quatre députés et quatre sénateurs, ainsi qu’au groupe de travail sur la modernisation de la redevance. À ce propos, pourriez-vous nous apporter aujourd’hui la réponse que nous n’avons pu obtenir le 10 mai dernier, monsieur le ministre ?
Nous avons aussi exposé nos préoccupations devant l’incertitude qui pèse sur les taxes que vous avez largement évoquées, même si elles ne sont pas directement affectées. Je vous prends à témoin, monsieur le ministre : mon collègue Hervé Maurey a évoqué la taxe sur les fournisseurs d’accès à internet ; j’ai quant à moi souligné que l’effet d’aubaine escompté pour les chaînes privées n’avait pas été au rendez-vous ; j’ai tout comme vous, parce que nous sommes des élus responsables, exprimé mes inquiétudes sur les modalités de financement du groupe France Télévisions dans un contexte économique dégradé par la crise.
C’est pourquoi, en tant que rapporteur, j’ai aussi tenu à vous rappeler les précautions que nous avions prises, avec mon collègue Michel Thiollière, au nom de la commission, pour pouvoir ajuster le cas échéant le modèle économique de l’audiovisuel public après observation de la mise en œuvre de la réforme dans sa première phase. Je redis, comme nous l’avions affirmé à l’époque, que la clause de revoyure introduite à l’article 18 par notre collègue Christian Kert constitue un garde-fou.
Conformément à ce que nous écrivions, je me penche aujourd’hui avec mon collègue de la commission des finances Claude Belot sur « les effets culturels et financiers de la diminution de la publicité sur le service public ». Car, si le comité de suivi que nous avions fait inscrire à l’article 75 de la loi n’a, hélas, pas été mis en place, la commission de la culture – j’en profite pour remercier son président Jacques Legendre, qui a fait preuve d’une grande réactivité à cette occasion – a, dès le mois de novembre dernier, décidé de mettre en place une mission de contrôle sur l’adéquation des moyens de France Télévisions à ses missions. Je précise, monsieur Ralite, que cette demande émane exclusivement de la commission de la culture, laquelle ne se trouve aucunement sous la domination de la commission des finances.
Le travail que vous m’avez confié, mes chers collègues, est l’occasion d’un bilan d’étape précis de la réforme. Étant donné le contexte, il ne saurait être bâclé. Alors que vous avez maintes fois dénoncé l’urgence dans laquelle nous légiférons bien souvent, monsieur Ralite, je ne vois pas pourquoi il faudrait tout à coup, sans éléments tangibles d’appréciation, se précipiter pour modifier une loi votée voilà tout juste un an.
Si la situation de France Télévisions reste fragile, comme l’a souligné le rapport de la Cour des comptes, elle n’a pas non plus pris la tournure dramatique que vous lui prédisiez et que vous estimez voir se réaliser aujourd’hui, monsieur Ralite, laquelle pourrait éventuellement justifier votre proposition de rétablir la publicité après vingt heures. Rappelons qu’en 2009 le financement de France Télévisions a été suffisant pour que le groupe soit à l’équilibre et que, pour 2010, la contribution à l’audiovisuel public et la dotation de l’État ont assuré l’augmentation des ressources prévues par le contrat d’objectifs et de moyens. Je veux aussi souligner que le virage éditorial dont chacun se félicite aujourd’hui a été favorisé par la suppression de la publicité après 20 heures.
Pour autant, nous devons rester prudents, ne pas faire d’autosatisfaction et étudier avec davantage de précision la situation financière de France Télévisions, pour accompagner jusqu’au bout deux chantiers majeurs de la réforme qui, en définitive, conditionnent tout le reste : l’entreprise commune et le média global. Il faut aussi, comme le recommande la Cour des comptes, « préserver l’équipe dirigeante des atermoiements et revirements qui ont affecté la stratégie de l’entreprise au cours des dernières années ».
Il n’y a pas lieu de crier au loup aujourd’hui et de remettre en cause le calendrier que nous nous étions fixé pour aborder dans de bonnes conditions l’échéance de la clause de revoyure, prévue en mai 2011. S’il est important, en effet, que les décisions pour l’avenir de la régie publicitaire soient prises – je me suis renseignée, elles devraient l’être au plus tard fin 2010 –, on notera que, dans l’attente, nos deux collègues Michel Thiollière et Christian Kert, administrateurs de France Télévisions, ont pris toutes les garanties pour que la réflexion se poursuive, en ne votant pas sa privatisation.
En tout état de cause, les décisions relatives au financement de l’audiovisuel ne se prendront pas avant la prochaine loi de finances, c’est-à-dire avant la fin de l’année. En conséquence, à moins qu’on ne cherche, ce qui serait fort peu courtois, à court-circuiter sciemment le travail de fond que nous menons, Claude Belot et moi, et qui doit aboutir avant la fin de la session parlementaire, il me paraît raisonnable de différer l’examen de cette proposition de loi, en renvoyant celle-ci en commission. Cela ne remettrait nullement en cause votre propre travail, mes chers collègues, dont nous partageons d’ailleurs certaines des orientations.
Monsieur Ralite, vous reconnaissiez d’ailleurs vous-même en commission, le 4 mai dernier, que le rapport d’information de M. Belot, réalisé en 2000, portait un diagnostic très fin sur l’avenir de l’audiovisuel public. Ne pensez-vous donc pas qu’il serait pertinent d’attendre un peu plus d’un mois pour obtenir un nouveau diagnostic qui, puisqu’il émane du même auteur, ne devrait pas non plus manquer de finesse ?
Au risque de paraître un peu terne, je préfère la rigueur de la démonstration aux effets de manche. J’estime qu’avant de voter de nouvelles dispositions les parlementaires doivent pouvoir prendre connaissance de toutes les informations et de tous les chiffres nécessaires pour prévoir au plus juste les besoins et ressources du groupe public. Je tiens d’ailleurs à votre disposition la liste de la soixantaine de personnes que j’ai d’ores et déjà auditionnées avec mon collègue, ainsi que celle des travaux en cours et à venir. Ne prenons pas le risque de voter aujourd’hui des articles qui, sans plus de précisions, suscitent en moi des interrogations !
Je prendrai quelques exemples.
J’ai déjà eu l’occasion de commenter l’article 2, qui porte sur l’éventuel retour de la publicité après 20 heures.
En ce qui concerne l’article 3, il me semble difficile de statuer définitivement sur la vente de la régie publicitaire tant que nous n’avons ni confirmé ni infirmé la suppression totale de la publicité sur les chaînes de France Télévisions avant 20 heures.
À l’article 5, vous suggérez d’élargir l’assiette de la contribution audiovisuelle aux résidences secondaires, une proposition qui émanait de la commission Copé. Je crois que la contribution à l’audiovisuel public mérite une réflexion plus poussée sur son équité et sa modernisation. Il me semble que nous pouvons être plus ambitieux.
L’article 6 porte sur la taxe sur les recettes publicitaires des chaînes privées. Par esprit de justice, nous sommes déjà revenus sur cette taxe il y a peu de temps, en abaissant son taux à 1,5 %, pour justement éviter aux chaînes privées de payer pour un effet d’aubaine qui n’a pas eu lieu. Nous ne serions pas crédibles en proposant maintenant de le faire passer de 3 % à 5 %.
Vous êtes, comme nous, très attachés à l’indépendance de France Télévisions. Qui dit indépendance du pouvoir politique dit aussi indépendance de l’expertise des besoins de financement. Je regrette par exemple que, pour assurer une meilleure adéquation du financement aux missions du groupe, aucun dispositif d’évaluation indépendant et neutre, comme cela se fait en Allemagne avec la Kommission zur Ermittlung des Finanzbedarfs der Rundfunkanstalten, la KEF, ne soit prévu dans votre proposition.
Nous avions d’ailleurs fait adopter en séance au Sénat un amendement visant à confier au CSA un rapport annuel sur le financement de l’audiovisuel public. Vous avez fait le choix de vous abstenir sur cette proposition. Il me semble pourtant que ce document aurait été précieux.
Autant nous devons nous saisir du débat en amont, comme nous l’avons fait le 10 mai dernier, comme nous le faisons aujourd’hui, autant nous devons attendre avant de décider de revenir ou non sur la loi du 5 mars 2009.
D’ici là, comme vous vous y êtes engagé, monsieur le ministre, le Gouvernement devra remettre au Parlement un rapport sur l’incidence de la fin de la diffusion de la publicité en soirée, et ce au plus tard le 1er mai 2011.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Catherine Tasca. Oh oui, le temps de parole est largement dépassé !
Mme Catherine Morin-Desailly. Mes chers collègues, nous savons tous qu’avec la crise économique la situation actuelle n’est plus la même que celle qui prévalait au début de l’année 2008 : le déficit budgétaire de l’État s’est creusé de façon alarmante et de nouveaux paramètres sont intervenus.
Nous saurons prendre nos responsabilités le moment venu, le temps de la discussion budgétaire n’étant plus si éloigné maintenant.
Pour toutes ces raisons, j’apporte ce matin mon soutien à la demande de renvoi à la commission, au nom de la sagesse qui me semble, tout autant que la courtoisie, être la marque de fabrique de notre assemblée. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Cette proposition de loi vient en discussion au moment où la question de savoir si l’audiovisuel public, c’est-à-dire France Télévisions, doit passer à une nouvelle étape de dépendance financière – la suppression de la publicité, y compris avant 20 heures, contribuerait en effet à renforcer sa mise sous tutelle par le pouvoir politique – fait l’objet d’un débat public.
Je rappelle qu’il n’existe que deux systèmes permettant d’assurer l’indépendance financière, et donc politique, de l’audiovisuel public, tant vis-à-vis des entreprises commerciales que de l’État. Le premier est un système audiovisuel entièrement financé par la redevance. La commission Copé en a discuté, mais l’UMP n’en a jamais voulu. Le second système, celui qui prévalait avant cette réforme, associe un financement par la redevance, ce qui n’est pas la même chose qu’un financement par le budget de l’État, et un financement par la publicité, ce qui permet de ne dépendre ni de l’un ni de l’autre, et d’assurer ainsi un équilibre.
Ce dernier système a fonctionné. Il a permis d’amorcer des changements éditoriaux et de diffuser des programmes de qualité, y compris à des heures de grande écoute, bien avant la réforme intervenue l’année dernière.
Aujourd’hui, le problème est de savoir quel est le système qui assure l’indépendance. Après une année, au vu des pressions constantes – toutes ne sont pas portées sur la place publique ! – qu’exerce le pouvoir politique sur les différents échelons de la direction de France Télévisions, nous pouvons dire que nous avions raison d’affirmer que la dépendance financière allait se transformer en une dépendance politique. (Marques de dénégation sur les travées de l’UMP.)
Hier, en regardant la télévision publique, à vingt heures, j’ai pu constater comment l’on traitait une chef de l’opposition et, en tout cas, qu’elle n’était pas traitée de la même manière que le chef de l’État, toujours interviewé avec complaisance. (Protestations sur les travées de l’UMP.) J’avais vraiment mal pour le service public en voyant cela.
M. Alain Fouché. Tout le monde est maltraité !
M. David Assouline. Mais tout de même, mes chers collègues, on ne peut pas expliquer aux Français qu’il manque 100 milliards d’euros dans les caisses de l’État, qu’il faut se serrer la ceinture, réduire les dépenses publiques et les dépenses sociales, et leur annoncer que l’on va supprimer la recette de 430 millions d’euros apportée par la publicité diffusée avant 20 heures, d’autant que les taxes qui devaient permettre à l’État de financer la suppression de la publicité après 20 heures ne sont pas au rendez-vous. Avec la crise, le report sur les chaînes privées n’est pas ce qu’il aurait dû être et les rentrées sont moindres.
Quant à la deuxième recette, la taxe sur les opérateurs de télécommunications – 300 millions d’euros – elle est attaquée par la Commission européenne. La France n’est pas sûre de gagner car cette attaque est argumentée et nous risquons d’être sanctionnés. Par conséquent, le produit de cette taxe ne sera pas perçu dans les années à venir, et il faudra de surcroît rembourser 300 millions d’euros par an pour les deux années passées. Telle est la réalité.
Je comprends que l’on puisse ne pas être d’accord avec nous sur le principe, mais les rentrées d’argent prévues ne sont pas au rendez-vous et les caisses de l’État sont vides. M. Ralite vous demande donc par sa proposition de loi de ne pas vous entêter et de ne pas supprimer la publicité avant 20 heures.
Je voudrais maintenant insister sur la façon dont vous avez procédé en déposant une motion tendant au renvoi en commission.
M. Ralite a bien expliqué en quoi c’est une manœuvre antidémocratique qui consacre le fait majoritaire et qui n’est pas du tout dans la tradition sénatoriale pour des débats de ce type.
Mes chers collègues, je me suis demandé pourquoi vous aviez agi de la sorte. Vous êtes majoritaires, vous n’aviez qu’à voter contre… Si vous avez utilisé cet artifice, c’est parce que notre point de vue est partagé par nombre de professionnels et nombre de responsables de la majorité, y compris par le président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, qui a dit lui-même qu’il fallait revoir cette idée de suppression totale de la publicité.
Mais, comme les arbitrages ne sont pas encore rendus, comme vous avez encore un peu de temps puisque la décision ne sera pas prise avant l’été 2011, par une manœuvre pour le moins politicienne, vous n’hésitez pas à donner un coup de canif à une procédure démocratique. Ce n’est pas ainsi qu’on légifère et ce n’est pas ainsi que l’on fait vivre la démocratie !
Je voulais affirmer cela haut et fort parce qu’il y va de l’avenir des propositions de loi, parce qu’il y va de l’avenir des droits de l’opposition, droits de l’opposition que nous voulions, au contraire, consacrer lorsque nous avons discuté de ces niches.
Enfin, mes chers collègues, sachez que l’opposition actuelle ne sera pas toujours l’opposition : elle peut devenir majoritaire. Cette indépendance vis-à-vis du pouvoir politique que nous défendons n’est pas conjoncturelle, elle sera aussi valable demain en cas de changement de majorité ; ce sont des principes démocratiques intangibles que nous défendons ici. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Adrien Gouteyron. Nous avons quelques souvenirs, tout de même !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce matin a le mérite de soulever un véritable problème : celui de la pérennité du financement de France Télévisions. Ce texte vient donc fort à propos ; il a permis à M. le ministre de nous donner des explications alors que la situation financière de l’État nous préoccupe vivement.
Je comprends le cri de douleur qu’a poussé Jack Ralite en déposant cette proposition de loi : nous connaissons tous ici – personne ne le met en cause – son attachement au service public et notamment au service public de la télévision.
Lorsque je lis les propositions qui nous sont faites, il me vient à l’esprit l’image d’Eustache de Saint-Pierre, le chef des bourgeois de Calais, qui, dans un geste héroïque, est arrivé en chemise, la corde au cou, avec cinq autres de ses compatriotes en disant : nous donnons notre vie, mais sauvez celle des habitants de Calais !
Aujourd’hui, dans une même démarche héroïque, on nous dit que, pour sauver le service public, il faut avoir recours à la manne financière des entreprises privées…
Le RDSE, quant à lui, en reste à un principe simple : activité privée, fonds privés ; activité publique, fonds publics.
Monsieur le ministre, nous sommes inquiets : de 450 millions d’euros initialement prévus, on est passé à 415 millions ; la suppression totale de la publicité devra être compensée par une recette de 800 millions d’euros. Mais où allons-nous trouver cet argent ? Notre inquiétude est tout à fait légitime.
En fait, il n’existe qu’une seule solution : l’indépendance financière passe par la redevance.
On nous dit que la publicité assurera l’indépendance financière. Non, elle confirmera son diktat sur l’entreprise publique.
Je me suis livré à un petit calcul. Aujourd’hui, la redevance représente dix euros par mois et par foyer fiscal. Pour assurer le financement total sans subventions publiques et sans subventions privées – la publicité peut être assimilée à une subvention privée –, il en coûterait trois euros de plus par mois. Nous avons donc tout ce débat pour trois euros de plus !
Le rapport de Mme Morin-Desailly et de M. Belot, qui a été demandé, je le rappelle, par l’ensemble de la commission, sera certainement excellent,…
M. David Assouline. Je commence à en douter !
M. Jean-Pierre Plancade. … parce que nous en connaissons les auteurs.
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Plancade. Mais cela ne changera rien, parce que, au bout du compte, des chemins de traverse seront trouvés pour le financement. Ces trois euros par mois, c’est le prix du courage politique des parlementaires. L’aurez-vous ? Jusqu’à présent, nous ne l’avons pas eu.
J’ai été de ceux qui ont soutenu l’augmentation de la redevance, mais maintenant il faut aller au bout de la logique et au bout de l’indépendance : trois euros de plus par mois pour chaque foyer fiscal sachant que 25 % en sont exonérés.
Mes chers collègues, nous ne voterons pas contre cette proposition de loi, mais nous ne la soutiendrons pas non plus parce que, même si elle présente des mesures positives, justes, avec lesquelles nous sommes complètement d’accord, nous préférons en rester au principe : activité publique, fonds publics ; activité privée, fonds privés.
Voilà, mes chers collègues, ce que je souhaitais vous dire au nom des radicaux de gauche et du RDSE.
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais préciser ma position sur le problème du financement de la télévision.
Première remarque : je considère que nos concitoyens, notamment les plus modestes, sont suffisamment pressurés par la fiscalité pour qu’il ne soit pas très judicieux de rajouter des prélèvements qui, finalement, vont encore obérer leur situation.
Deuxième remarque : il faut, bien sûr, garantir l’indépendance et la liberté totale de l’information télévisée, en particulier sur les chaînes publiques et, sur ce point, je ne suis pas totalement persuadé que certaines influences ne se fassent pas sentir… C’est une pratique habituelle pour les gouvernements, et le gouvernement actuel n’est certainement pas irréprochable en la matière.
Troisième remarque : la télévision, qu’elle soit publique ou privée, connaît des dérives financières extraordinaires ; les sommes engagées sont absolument colossales. Les chaînes de télévision, publiques ou privées, paient des sommes effarantes à Endemol ou autres pour produire des émissions au ras des pâquerettes, même parfois en-dessous…
En fait, si l’on ne veut pas relever la redevance – je ne le souhaite pas –, il faut garantir des ressources à France 2.
Pour ma part, j’étais contre la suppression de la publicité sur France 2, parce que l’objectif final était, me semble-t-il, non pas de supprimer la publicité, mais de permettre à certaines chaînes amies du pouvoir de récupérer des parts de publicité.
Si l’on veut garantir des ressources aux chaînes publiques, il faut augmenter les prélèvements sur les chaînes privées. Je le dis avec d’autant plus de conviction que je vois les sommes qui sont brassées et gaspillées pour des émissions archinulles, qui ne servent qu’à enrichir des producteurs tels qu’Endemol ou à payer à prix d’or des animateurs ou des journalistes du 20 heures, de TF1 par exemple. Il n’y a qu’à les payer un peu moins et on aura les moyens de financer la télévision publique…
Ma position est très claire : je suis hostile à l’augmentation de la redevance et je suis partisan, si on ne rétablit pas la publicité sur les chaînes publiques, d’effectuer des prélèvements beaucoup plus importants sur TF1 et sur un certain nombre d’autres chaînes privées qui ont des chiffres d’affaires absolument fabuleux et qui peuvent très bien supporter un prélèvement supplémentaire.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui est aujourd’hui soumise à notre examen témoigne de l’intérêt profond que nous avons tous pour l’enjeu majeur que constitue l’avenir de l’audiovisuel public et plus particulièrement pour les ressources nécessaires aux missions de service public télévisuel.
Toutefois, je suis réservée à l’idée de revenir sur le processus retenu par la loi du 5 mars 2009.
La loi du 5 mars 2009, un peu plus d’une année après son entrée en vigueur, a permis de répondre à une certaine idée du service public télévisuel, en renouant avec une exigence culturelle de qualité pour le plus grand profit de tous les publics.
La mise en œuvre de cette réforme est un succès tant dans son application par les professionnels que dans la manière dont elle a été accueillie par les téléspectateurs.
L’une des dispositions phare de cette réforme salutaire est, bien évidemment, la suppression progressive de la publicité.
Libérer la télévision publique de la publicité est une nécessité culturelle, mais aussi une nécessité économique, car la publicité n’est pas une manne inépuisable, la crise nous l’a confirmé.
Cette mesure de suppression progressive de la publicité est largement plébiscitée par les téléspectateurs, qui apprécient que les programmes de première partie de soirée puissent débuter dès 20 heures 35 : plus de 70 % d’entre eux s’en déclarent satisfaits. J’ajoute que les programmes de deuxième et de troisième parties de soirée démarrent, eux aussi, plus tôt et rencontrent ainsi un plus large public.
La loi du 5 mars 2009 prévoit que la suppression totale de la publicité en journée sur France Télévisions interviendra au moment où la France aura entièrement basculé dans la diffusion numérique, c’est-à-dire à la fin de 2011. Ce basculement permettra de réaliser des économies importantes sur les coûts de diffusion, économies qui limiteront d’autant le besoin de financement complémentaire apporté par l’État.
Pour compenser la suppression de la publicité, la loi a introduit plusieurs dispositions financières, notamment l’indexation sur l’inflation de la redevance, qui présente l’avantage d’être la seule ressource réellement pérenne.
Je rappelle que la commission de la culture a de longue date engagé une réflexion sur la revalorisation de la redevance, dont le montant était gelé depuis 2001. Ce montant reste par ailleurs inférieur à la moyenne constatée dans d’autres pays d’Europe. Une augmentation de la redevance pourrait être le moyen d’accompagner le passage à la suppression totale de la publicité.
Certes, monsieur le ministre, le débat ouvert en 2008 sur la contribution à l’audiovisuel public, alors dénommée « redevance audiovisuelle », ne se pose plus dans les mêmes termes aujourd’hui puisque des changements importants ont eu lieu. Le montant de la contribution a été indexé sur l’inflation à compter de 2009 et porté à 120 euros en 2010, soit 2 euros supplémentaires. En outre, le programme qui finance le passage à la télévision tout-numérique ne fait plus partie des bénéficiaires de la contribution à l’audiovisuel public.
Nous pourrions réfléchir à l’assiette de cette taxe et à son éventuel élargissement aux nouveaux modes de réception de la télévision. Je rappelle que, lors de l’examen du texte, la commission de la culture avait proposé d’étendre la redevance aux ordinateurs, puisque les habitudes des téléspectateurs ont changé. Je crois que, effectivement, il faudra tenir compte un jour des nouveaux moyens de consommation de l’offre audiovisuelle. Peut-être serait-il également souhaitable d’assujettir à la redevance les propriétaires de résidences secondaires. Ce sont là des pistes à étudier pour garantir l’évolution des ressources de France Télévisions.
Enfin, pour terminer le panorama des ressources dont le service public dispose, il faut citer la subvention spécifique et nouvelle du budget de l’État, inscrite chaque année dans le projet de loi de finances. Comme vous l’avez démontré, monsieur le ministre, le remplacement d’une recette publicitaire incertaine par une recette publique assurée constitue évidemment un facteur de sérénité financière et éditoriale pour France Télévisions.
Le montant de la ressource publique à prévoir pour les années 2009 à 2012 figure dans l’avenant au contrat d’objectifs et de moyens conclu entre la société et l’État. Il tient compte de l’ensemble des paramètres, dont la suppression de la publicité en soirée en 2009 et, à la fin de 2011, en journée.
À l’extinction de l’analogique, prévue pour la fin de 2011, et avec la suppression de la publicité en journée, la part des fonds publics devrait représenter plus de 95 % des ressources du groupe.
Il faut rappeler que nous sommes dans un moment technologique particulier, celui de la révolution du numérique, de l’usage d’internet et de la généralisation de la TNT gratuite, laquelle permet à chaque Français de recevoir plus de vingt chaînes et oblige le service public à se réinventer. Pour les années à venir, nous devons donc suivre avec vigilance la question du financement de celui-ci, car il est nécessaire pour que France Télévisions devienne un « média global », capable de réunir tous les publics sur tous les supports de diffusion.
La loi a créé les conditions de cette transformation en organisant le groupe en une entreprise unique et en créant le maximum de synergies par la mutualisation des moyens. Cette simplification et cette rationalisation des structures sont le gage d’une plus grande efficacité du groupe et d’une force accrue sur le marché.
Je voudrais maintenant évoquer l’actualité et l’idée qui circule de ne pas réaliser la prochaine étape prévue par la loi : la suppression totale de la publicité sur France Télévisions, qui signifierait pourtant la suppression totale de la dépendance à l’égard des ressources publicitaires.
Je suis assez surprise que la question soit posée, alors que cette décision a été prise à l’issue d’une longue réflexion.