M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Madame le ministre de l’économie, monsieur le ministre du budget, mes chers collègues, le Sénat est saisi du deuxième projet de loi de finances rectificative de l’année 2010. Le dispositif en ayant été décrit très précisément par les ministres qui m’ont précédé à cette tribune, je n’y reviendrai pas dans le détail.
Je soulignerai, comme ils l’ont fait, que, si le solde dit maastrichtien n’est pas affecté par l’aide à la Grèce, car il s’agit d’opérations financières, le déficit budgétaire est, lui, aggravé de 3 milliards d’euros, ce qui, cependant, ne nécessite pas d’accroître notre programme d’emprunt.
Relevons à ce stade que les recettes de trésorerie qui ont pu être mobilisées, de même que la réévaluation du produit de la TVA sont, en revanche, des données budgétaires qui, si elles n’étaient pas consacrées à cette opération, auraient été de nature à améliorer le solde de notre fin d’exercice, donc de réduire le programme d’endettement.
Je suis heureux que le Gouvernement ait incorporé dans le présent projet de loi de finances rectificative les dispositions du décret d’avance et qu’il en ait écarté une, que nous avions critiquée, qui portait sur 600 000 euros. Cela montre que le Gouvernement a écouté l’avis de la commission des finances et qu’il en a tenu compte.
Sur le fond, chacun sait que la situation très critique de la Grèce provient de l’incertitude des chiffres de ses comptes publics et qu’à trois reprises – en 2004, en 2008 et en 2009 – il a été nécessaire de corriger ces derniers pour les rendre conformes à la réalité.
Il est bon de rappeler aussi que nos amis grecs ont bénéficié d’une belle période de croissance, financée notamment par les fonds structurels européens. Je crois que, parmi les questions posées, il y aura celle d’une évaluation de l’efficacité des politiques structurelles ainsi conduites.
Il est bien compréhensible que les milieux financiers aient pris peur à propos de l’emballement des finances publiques grecques. En effet, dès lors que le taux de croissance de ce pays baissait, la soutenabilité de sa dette publique diminuait et la Grèce ne cessait de s’écarter de ce que nous appelons le solde stabilisant, qui permet d’éviter l’accroissement déraisonnable de la dette publique.
On ne saurait donc être surpris des jugements portés par les analystes, en particulier par les agences de notation, sur la situation de la Grèce et sur la soutenabilité à moyen et à long terme de ses finances publiques.
Ce qui, à l’inverse, a surpris beaucoup d’entre nous, c’est la communication de ces mêmes agences. C’est l’un des aspects de l’enchaînement de la crise sur lesquels il nous faudra revenir, au titre de la régulation, aux niveaux international et national.
Il est clair que nous avons l’impérieux devoir de sortir de l’impasse une union monétaire qui n’avait prévu aucun mécanisme de résolution des crises, de traitement des chocs asymétriques, une union monétaire dans laquelle il faut parfois plusieurs mois pour prendre les décisions qu’imposent des situations d’urgence.
Tout cela, bien entendu, nous conduit à formuler quelques réflexions.
J’ai la conviction que la situation dramatique de la Grèce, si nous savons en tirer toutes les conséquences, peut tout à fait être un facteur de progrès pour l’Union européenne, plus particulièrement pour la zone euro. Nous pouvons souhaiter que l’événement tragique que vit la population grecque, qui va devoir se soumettre à des mesures sévères, soit le point de départ d’une nouvelle gouvernance de la zone euro.
Nous avons en outre constaté, et c’est une bonne chose, madame le ministre, que l’intervention du Fonds monétaire international n’était plus un tabou.
L’Europe, en particulier les pays de la zone euro, figurant parmi les premiers contributeurs du FMI, il serait paradoxal que l’Union se prive du financement indispensable que peut lui apporter le Fonds, qui a toute la technicité et tout le professionnalisme nécessaires pour accompagner la restructuration financière d’un pays.
Le plan de soutien dont nous avons pris connaissance est, du point de vue de la commission des finances, d’une ampleur de nature à éviter la contagion.
Le Gouvernement a très bien fait d’amender le texte à l’Assemblée nationale pour englober la totalité des engagements sur les trois années que couvre ce plan.
Certes, ce dernier est exigeant quant aux contreparties, aux conditionnalités imposées à la Grèce : il ne peut en aller autrement, sauf à encourager l’« aléa moral » et à inciter tous les autres États qui sont confrontés, ce qui est naturel dans cette période de sortie de crise, à une rareté de l’argent public à laisser filer leurs déficits et leur dette.
La question de la gouvernance de la monnaie unique – j’y reviens, car c’est l’essentiel – est enfin « sur la table » !
Il n’est plus possible d’entretenir la fiction, sur laquelle nous avons vécu, qui veut que les vingt-sept membres de l’Union européenne aient vocation à entrer, à court terme, dans la zone euro. C’est là une idée qu’il nous faut éloigner de nos pensées, du moins immédiates.
Surtout, il est indispensable de renforcer l’Eurogroupe, d’en faire un vrai organe institutionnel de l’Union européenne, de manière que la surveillance mutuelle que doivent exercer les États de la zone euro les uns sur les autres s’appuie sur des procédures, sur des méthodes, sur un vrai secrétariat, sur des modes d’intervention adéquats.
Cette gouvernance renforcée est une absolue nécessité.
Il en est une autre, à savoir l’amélioration des moyens de connaissance et d’appréciation des comptes publics.
La commission des finances a proposé la mise en place d’un nouvel organe de l’Union européenne, sous la forme d’une autorité européenne des comptes publics.
Il n’est pas compréhensible que, en 2010, les États ne s’astreignent pas à une méthodologie de leurs comptes qui soit aussi exigeante que celle des grandes entreprises.
Les entreprises ayant recours au marché sont assujetties à des normes comptables internationales. De la même façon, les États de la zone euro, qui ont recours au marché, doivent être dotés de comptes incontestables, établis selon une méthodologie définie collectivement par un organe de l’Union européenne.
Il serait heureux que l’on veuille bien réfléchir à cette évolution indispensable de la construction communautaire qui constituerait un progrès en termes de confiance, puisque ce serait un excellent signal adressé à tous ceux qui nous regardent – aux marchés en particulier – en même temps qu’un gage de la durée de l’euro.
Ces quelques considérations, bien sûr, n’ont de sens que si la zone euro est en mesure de se doter d’une politique économique.
On retrouve là tout le sujet de la gouvernance économique : la question des objectifs à assigner à la Banque centrale européenne, qui devra être posée ; en germe, la question de l’harmonisation fiscale entre les États de la zone euro ; la question de la coordination des politiques budgétaires.
À cet égard, la France, par les positions qu’elle prend, par les attitudes qu’elle adopte, par les politiques qu’elle suit, doit assurément être exemplaire.
Nous ne pouvons concevoir notre pays qu’exemplaire ! Il ne sert à rien d’avoir raison sur les principes si l’on n’est pas convaincant dans les faits. Nos prises de position en faveur, par exemple, d’un Gouvernement économique de la zone euro seraient encore plus fortes si notre politique budgétaire était encore plus vertueuse.
Pour être crédible, je le répète, il faut être exemplaire ! Et l’exemplarité, c’est le chemin vers la convergence, lequel passe par le respect, dans la lettre et dans l’esprit, du programme de stabilité 2010-2013 transmis à la Commission européenne en janvier dernier.
Au demeurant, nous pouvons souhaiter que, dans l’avenir, de tels programmes soient soumis au Parlement et votés par lui, comme cela se pratique déjà dans certains États.
La crise – et c’est l’un de ses mérites – contraint les gouvernements à la cohérence, première étape du chemin vers la convergence.
Il n’est plus concevable d’observer un écart entre le langage interne et le langage externe. Se laisser aller à un tel écart serait un risque que l’on ne peut plus imaginer de prendre. Voilà ce qui est nouveau : le double langage n’est plus possible et, mes chers collègues, réjouissons-nous de ce véritable progrès de la démocratie !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bravo !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Ce à quoi l’on s’engage, il faut le faire, s’y tenir avec persévérance, et ce quoi qu’il en coûte !
Les décisions de notre gouvernement n’auront d’efficacité que si elles sont marquées par la cohérence et par la constance. Elles doivent donc, me semble-t-il, être prises avec l’appui des assemblées parlementaires pour être acceptées dans l’opinion.
Je terminerai en exposant ce que j’appellerai la « feuille de route de la crédibilité ».
Plusieurs étapes cruciales nous attendent dans les prochaines semaines et dans les prochains à venir.
La Conférence nationale des finances publiques est annoncée pour la fin du mois de mai. Elle permettra au Président de la République de prendre acte des travaux des groupes dont il a suscité la création et de définir des lignes directrices.
Le 2 juin seront notifiés à la Commission européenne les compléments d’explication qu’elle nous a demandés quant à notre programme de stabilité et de croissance 2010-2013.
Puis, très vite, nous nous retrouverons en séance publique pour le débat d’orientation budgétaire pour 2011, qui sera particulièrement crucial.
Comme vous, mes chers collègues, j’ai pris connaissance – avec, pour ma part, une appréciation très positive – de l’initiative qui a été prise aujourd'hui par le Premier ministre de réunir son gouvernement et de tracer le cap pour la préparation budgétaire de l’année 2011.
Mme Nicole Bricq. Quel cap !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Madame le ministre, monsieur le ministre, la commission des finances du Sénat ne peut que vous encourager à suivre cette voie salutaire.
Bien sûr, d’autres étapes peuvent nous attendre dans la même période.
La réforme des retraites constitue ainsi un sujet stratégique sur le plan macroéconomique, dans le domaine social et pour l’avenir de nos compatriotes. Il est clair que l’annonce, qui devrait intervenir cet été, des principes et des orientations qui seront retenues pour conduire cette réforme essentielle aura des incidences considérables.
Reste aussi le débat sur les normes, sur les règles que nous pouvons nous donner et qu’il nous faudra suivre.
Le débat est ouvert, et les travaux du groupe de travail présidé par Michel Camdessus sont très stimulants. Pour ma part, je souhaiterais que soit d’emblée posé un principe très simple, qui n’exige aucune connaissance économétrique particulière : il s’agirait de réserver aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale toutes décisions ayant un impact, même potentiel, sur le solde des finances publiques.
Le jour où ce principe – dont je me permettrai de dire, dans le langage actuel, qu’il constitue un « marqueur » – sera mis en application, nous serons en droit de considérer nous être engagés, avec toute la volonté nécessaire, sur le chemin de la convergence et nous être donné les moyens de mettre en œuvre une vraie politique du solde.
Mes chers collègues, les circonstances sont difficiles. Les choses ont vraiment changé ces derniers jours, et les attitudes vont, elles aussi, devoir changer. Si nous voulons qu’au sein de l’opinion publique les efforts que nous engageons soient accompagnés, nous devons la vérité et l’équité à nos compatriotes ; nous devons être capables de montrer que tous les efforts demandés le sont pour sauvegarder notre souveraineté et notre liberté de décision.
Si nous laissons filer la situation, il est clair que la part des ressources publiques qui sera consacrée à rembourser des emprunts ôtera toute liberté, en tout cas toute marge de manœuvre suffisante aux pouvoirs publics. Or, de liberté d’allocation des moyens publics, nous avons grand besoin ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Excellent !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, ce deuxième collectif budgétaire de l’année intervient dans un contexte de triple sauvetage : sauvetage de notre partenaire grec, qui n’est plus aujourd’hui en capacité de trouver sur les marchés la ressource qu’il doit emprunter ; sauvetage de la zone euro, de l’union monétaire, qui, à force de tergiversations, a frôlé le collapsus et doit se ressaisir d’urgence ; sauvetage, enfin, des créances détenues par les banques, parmi lesquelles les banques françaises figurent en bon rang.
La France, depuis le début de cette crise, a joué pleinement son rôle. Au nom du devoir de solidarité, au nom de la haute idée qu’elle se fait de l’Europe, comme destin partagé entre toutes les nations qui la composent, elle a d’emblée tracé les grandes lignes d’un plan d’action qui a fini par s’imposer à tous.
Je suis reconnaissant au Gouvernement de son action et je l’en félicite.
Sans aucun suspens, je crois pouvoir dire que la plupart d’entre nous ici voterons un projet de loi de finances rectificative dont, finalement, la principale qualité est de nous révéler à quel point nous sommes aujourd’hui « dos au mur », contraints de réagir et d’abandonner les faux-semblants qui nous ont, collectivement, conduits à l’épisode désastreux que nous venons de vivre.
Au fond, comme vient de le rappeler avec brio M. le rapporteur général, tous ces événements, qui se traduisent par la mise sous protectorat de la Grèce, par la dégringolade de l’euro, par un risque pas encore complètement écarté de désintégration de la monnaie unique, tout cela n’était-il pas éminemment prévisible ?
Nos partenaires grecs n’ont pas su abandonner des pratiques comptables et budgétaires regrettables, qui les ont conduits à l’impasse actuelle. Certes ! Mais le problème n’est-il pas plus profond, et comme inscrit dans la genèse même de la monnaie unique ? En effet, ce que révèle la crise dramatique que nous traversons, ce sont, me semble-t-il, les graves défauts, les graves fragilités, les graves lacunes de la gouvernance de la zone euro.
Qu’il me soit permis d’évoquer ici mes souvenirs de ministre des finances ayant participé à l’élaboration du pacte de stabilité et de croissance à Dublin, à l’automne 1996.
La monnaie unique était le complément indispensable du marché unique. Au début des années quatre-vingt-dix, la démonstration en était livrée avec éclat, chaque mois, par les dévaluations compétitives qui sapaient la croissance et détruisaient massivement les emplois. Il fallait donc une monnaie unique et nous avons pris le risque de faire naître, pour la première fois dans le monde, une monnaie orpheline d’État.
Pour pallier l’absence de pouvoir politique et le déficit de gouvernance économique, nous avons dû concevoir un règlement de copropriété de l’euro, gage de viabilité et de crédibilité du système. Malheureusement, les transgressions se sont multipliées. Certains États, et sans doute aussi la France, se sont parfois laissés aller à des déficits excessifs, car ils n’encouraient pas la sanction monétaire, le risque de dévaluation n’existant pas.
Nous connaissions d’emblée les difficultés que la mise en œuvre de cette monnaie unique finirait, tôt ou tard, par engendrer : parce que les économies qui cohabitent au sein de la zone euro sont très hétérogènes et ne convergent pas spontanément ; parce que les mécanismes de surveillance et de contrainte prévus par le pacte sont insuffisants, mais aussi lacunaires, pour ne pas dire défaillants. Convenons, au surplus, que le juge politique –la décision finale était en effet politique ! – a du mal à se montrer rigoureux. La crise grecque n’a été que le révélateur d’un vice originel, et nous ne pouvions pas ignorer ce qui finirait par arriver.
Je veux souligner, après M. le rapporteur général, l’ardente nécessité d’améliorer la gouvernance de l’Eurogroupe. Cette institution doit mettre en place des mécanismes de surveillance mutuelle et de sanction permettant d’entraver l’apparition des crises, bien plus en amont qu’elle ne le fait aujourd’hui. J’espère que cette crise constituera l’électrochoc salutaire dont nous avions besoin.
Il existe une Cour des comptes européenne, dont le champ de compétence s’arrête aux instances de l’Union et aux organismes recevant des fonds communautaires. Ne pourrait-on concevoir une structure supranationale d’audit et d’évaluation des comptes de l’ensemble des collectivités publiques membres de l’Europe ? Ne pourrait-on imaginer des audits croisés, réalisés par les cours des comptes des différents États membres, dans le cadre de cette surveillance mutuelle évoquée par Philippe Marini dans le rapport de la commission ?
Notre audition des représentants d’Eurostat, voilà un mois, nous a convaincus de la nécessité d’instituer une autorité européenne des comptes publics indépendante, et disposant de moyens humains et matériels conséquents. Le contrôle portant sur la sincérité des comptes transmis par les États membres ne peut pas continuer de reposer sur une vingtaine de collaborateurs, dont la capacité d’expertise et de réaction est nécessairement limitée.
Un enseignement majeur de la crise tient, enfin, au devoir d’exemplarité de la France, qui doit renvoyer à ses partenaires, aux opinions publiques et aux marchés financiers l’image d’un acteur fiable, résolument engagé sur la voie du redressement de ses finances publiques, sans faux-semblants et sans double langage.
Nous avons fait parvenir à Bruxelles un programme de stabilité par lequel nous avons annoncé notre volonté de revenir au respect des critères maastrichtiens en 2013, comme la Commission européenne nous l’avait demandé. Convenons, madame la ministre, monsieur le ministre, que ce document repose sur des hypothèses optimistes,… peut-être trop ! (Mme la ministre sourit.)
Si nous voulons aller jusqu’au bout de la transparence, si nous voulons assurer notre crédibilité, sans arrière-pensée, hors de tout artifice, alors il faudra qu’à l’avenir les programmes de stabilité soient actés par le Parlement, comme cela se fait chez nombre de nos partenaires, et qu’il y ait une parfaite cohérence entre les lois de finances et le programme de stabilité budgétaire. Les efforts que nous devrons collectivement fournir méritent ce débat public.
Face aux défis considérables que nous avons à relever, nos compatriotes ont besoin d’un langage de vérité. Ils ont assez de maturité pour l’entendre. Nous le leur devons. Encore faut-il faire preuve de pédagogie pour leur expliquer les enjeux et justifier les choix qui seront faits ! Ce qui est anxiogène pour les Français, c’est un certain discours convenu, qui ne donne pas le sentiment que l’on fait la vérité sur notre situation.
Au fond, la crise grecque doit être profitable pour l’Europe. Elle nous offre une belle panoplie d’instruments pédagogiques. Je vous demande, madame la ministre, monsieur le ministre, d’en faire bon usage, et de permettre ainsi à l’Union européenne de franchir une étape qualitative décisive.
Vous me permettrez à ce sujet, et pour conclure, d’exprimer un reproche et un vœu.
Un reproche, tout d’abord : est-ce vraiment faire preuve de pédagogie et de volonté de transparence que de soutenir que le coût du prêt à la Grèce sera sans effet sur la trésorerie de l’État ? Certes, nous ne devrions pas être contraints de recourir à des emprunts supplémentaires, cette année, pour couvrir le besoin de financement induit par la somme que nous verserons à la Grèce. Mais enfin, ces 3,9 milliards d’euros que nous allons tout de même devoir débourser n’iront pas au remboursement de notre dette ! C’est autant d’allégement du recours à l’emprunt dont nous ne pourrons pas bénéficier !
Alors, je fais un vœu : que nous disions enfin aux Français où nous en sommes exactement ! Ce pays connaît des déséquilibres colossaux qui menacent gravement sa compétitivité, dans un processus que je n’hésite pas à qualifier de mortifère. Notre matière taxable, au premier chef notre industrie, s’enfuit vers des destinations plus hospitalières.
Il ne suffit pas de contrôler la progression des dépenses publiques : il faut les réduire ! Lesquelles ? Dans quelles proportions ? C’est maintenant que nous devons le dire, le décider et le faire !
Le Premier ministre a déclaré aujourd’hui que les dépenses de 2011 devront, en valeur, rester stables par rapport à celles de 2010. C’est une excellente orientation, mais je doute que cela suffise. Les normes en matière de déficit public, que nous allons sans doute adopter, resteront vaines en l’absence de volonté politique.
Madame la ministre, monsieur le ministre, il n’est pas une semaine sans que vos collègues présentent, devant le Sénat ou l’Assemblée nationale, des projets de loi qui créent de nouvelles normes, aboutissant toutes à des suppléments de dépense publique. Cette attitude est devenue insupportable.
J’ose espérer que le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche ne comportera pas de nouvelles normes précisant la composition des menus des cantines publiques et la proportion de produits supposés biologiques qu’ils doivent comporter. Si les produits alimentaires sont sains, laissons les gestionnaires de cantines composer eux-mêmes les menus !
Mme Catherine Dumas. Très bien !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Le Gouvernement et le Parlement doivent changer de comportement. Pour faire face à la situation financière sans précédent que nous connaissons, nous devons accueillir différemment les projets de loi et, de grâce ! cesser de légiférer sur des sujets qui ont sans doute un impact médiatique considérable, mais qui sont totalement extérieurs aux enjeux majeurs que nous devons assumer.
L’échéance de la prochaine loi de finances sera, de ce point de vue, décisive. Soyons prêts à y répondre sous la double exigence du rétablissement de la compétitivité de l’économie et de la réduction du déficit.
Madame la ministre, monsieur le ministre, nous aurons l’occasion de revenir sur la question de la compétitivité. Certaines dispositions fiscales visent à taxer la production : il ne faut pas s’étonner, dès lors, que celle-ci prospère en dehors de notre territoire ! L’équilibre des finances publiques ne sera pas rétabli sans retour de la compétitivité ; les réformes ne peuvent plus attendre !
Je sais bien que ces propos sont quelque peu récurrents à cette tribune. Mais il est vrai que les parlementaires que nous sommes se demandent parfois si leur mission a un sens et une utilité, et s’ils ne se font pas les complices d’un certain délitement de nos finances publiques.
J’espère que le rendez-vous du prochain projet de loi de finances nous permettra d’être conséquents et que nos décisions seront à la hauteur de nos propos. Soyez assurés que la commission des finances y prendra toute sa part. Il s’agit pour nous de démontrer que les démocraties sont capables de faire face à des situations de crise, et qu’elles sont suffisamment lucides et courageuses pour enclencher un plan de redressement. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Denis Badré.
M. Denis Badré. Monsieur le président, madame la ministre de l’économie, monsieur le ministre du budget, mes chers collègues, nous examinons ce soir le soutien financier que la France doit rapidement – je l’espère – apporter à la Grèce.
Même si, comme souvent en cas d’incendie, il aurait mieux valu que le pompier intervienne plus tôt, et même si celui-ci se dit que l’on aurait pu mobiliser des moyens plus adaptés, il ne se pose pas de question : il commence par éteindre le feu.
J’indique donc, d’emblée, que le groupe de l’Union centriste votera le texte qui nous est soumis. Pour les Grecs, comme pour nous, il faut que la Grèce puisse assurer les échéances auxquelles elle sera confrontée dans quelques jours, et il est urgent de restaurer la confiance des marchés financiers.
Une fois l’incendie circonscrit, sinon totalement éteint, il restera beaucoup à dire et à faire à propos de cette crise. Il restera des responsabilités à clarifier, des enseignements à dégager et des réformes à élaborer, pour faire de cette crise une opportunité, à la fois pour la Grèce, pour l’euro et pour la poursuite de la construction européenne.
Si la Grèce s’est laissé emporter par la tourmente, la responsabilité lui en incombe en partie. J’ai eu l’occasion d’évoquer cette question la semaine dernière, avec des homologues grecs de toutes sensibilités : ils en sont parfaitement conscients et ils vivent assez mal cette lourde épreuve.
Tout est maintenant « sur la table » : déficits trop longtemps masqués, approximations comptables, non-respect des engagements du pacte de stabilité et de croissance, insuffisance des adaptations structurelles, économie peu concurrentielle...
Cela étant désormais explicité, est-il utile, pour autant, d’accabler nos amis grecs ? Peut-être, mais à condition que cela serve à quelque chose ! Que celui qui n’a pas péché jette la première pierre ! Or d’autres acteurs, assez nombreux, portent, eux aussi, une part de responsabilité.
Les gouvernements nationaux ne se sont jamais montrés très disposés à donner à Eurostat de réels pouvoirs d’investigation, pas plus qu’à transformer cet organisme en un instrument commun, indépendant et impartial, d’analyse et de référence. La question doit se poser, désormais, surtout lorsque l’on sait qu’un rapport de la Commission, daté du mois de janvier, récapitulait les doutes exprimés par Eurostat sur la Grèce, sans que cela ait, alors, réellement ému grand-monde.
Bien sûr, une réforme d’Eurostat viendrait limiter la créativité comptable des États. Eh bien, tant pis ! Il est évidemment plus important de prévenir les catastrophes.
Madame la ministre, vous avez évoqué les responsabilités des agences de notation. Dégradant à chaud l’appréciation portée sur la Grèce, à une très mauvaise heure – à quelques minutes de la clôture des marchés ! – et bien tardivement, puisque la crise avait déjà pris toute son ampleur, et surtout alors qu’aucun élément nouveau ne justifiait une nouvelle correction, elles ont joué un rôle de boutefeu... pour le plus grand profit des spéculateurs !
Nous aurions préféré qu’elles exercent leurs talents, en d’autres temps, pour prédire la crise de 2009 ! À ce sujet, il faudra d’ailleurs se poser la question de la notation des États et de leur situation particulière par rapport aux marchés financiers. Sont-ils vraiment justiciables des mêmes règles que les acteurs financiers ordinaires ?
La situation et les responsabilités spécifiques des banques, qu’elles soient à l’origine de semblables difficultés ou qu’elles concourent à les dénouer, peuvent également poser problème. Notre commission des finances y réfléchira certainement. En tout état de cause, il me semble important qu’elles soient dès aujourd’hui impliquées dans le « sauvetage ».
J’en viens aux responsabilités plus collectives des États et des institutions européennes. Dans cette crise, il faut souligner qu’une claire solidarité unit, de fait, l’ensemble des membres de l’Eurogroupe. Il me semble symboliquement fort que les quinze partenaires de la Grèce soient tous solidairement mis à contribution, au prorata de leur part dans le capital de la BCE, quelle que soit leur situation du moment. La participation à l’Union économique et monétaire implique des droits et des devoirs. L’effort demandé à Chypre, à la Slovaquie ou au Portugal est, de fait, relativement aussi lourd à supporter pour ces pays que celui que la France ou l’Allemagne ont consenti. Il faut donc saluer leur engagement !
Aujourd'hui, nous avons un parfait exemple des « solidarités de fait » de Robert Schuman. Soutenir la Grèce, c’est faire preuve d’une solidarité incontournable ; c’est aussi l’intérêt bien compris de tous car, agir ainsi, c’est aussi enrayer une crise dont le caractère potentiellement contagieux n’échappe à personne. La tourmente qu’ont connue les marchés au cours des dernières heures le rappelle à nouveau.
Derrière la Grèce, c’est l’euro qu’il s’agit de défendre contre les marchés ou contre les spéculateurs décidés à l’attaquer en ciblant les « maillons faibles ».
J’en viens à notre monnaie, dont le président Arthuis soulignait à juste titre à l’instant qu’elle est « orpheline d’État ».
À titre de comparaison, prenons le dollar : si une crise intervient dans l’un des États de l’Union, l’État fédéral joue son rôle, tout naturellement. Dans ce cas, qui dit « banque centrale indépendante » ne dit pas du tout absence d’État. La Banque centrale européenne, elle, fonctionne sans État. Avec l’euro, elle a protégé les membres de l’Union économique et monétaire face à la crise, depuis deux ans. On ne le dira jamais assez !
Pour faire la promotion de « l’euro protecteur », j’ai plaisir à citer les autorités slovaques, qui soulignent que, si le fait d’être dans la zone euro a, bien sûr, aidé leur pays, ce dernier a d’abord été protégé grâce à l’effet des réformes structurelles qu’elles ont dû mettre en œuvre pour se qualifier pour entrer dans la monnaie unique. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler cet argumentaire vertueux, au moment où l’euro est dans la tourmente.
Pour conclure, provisoirement, sur l’euro, force est de constater, à tout le moins, un manque de coordination économique et une carence de la Commission. En l’absence d’un État ou d’un véritable pouvoir politique, il fallait, au minimum, que chacun assume sa responsabilité, y compris la Commission – peut-être elle en premier lieu, d’ailleurs.
Aujourd’hui, nous sommes au temps du « quitte ou double ». En effet, jamais les risques de désintégration n’ont été aussi réels, puisqu’on en vient à évoquer ouvertement d’éventuelles sorties de l’euro, avec gourmandise parfois, trop souvent en les banalisant. Or qui dit sortie de l’euro dit négation du pacte de stabilité et de croissance, fin de la solidarité, ruine de la confiance. Voilà pour le « quitte ».
Heureusement, jamais, non plus, on n’a perçu aussi clairement une réelle attente de mesures radicales, allant jusqu’à la création d’un fonds monétaire européen ou à des dispositions contraignantes d’harmonisation des budgets. On peut sans doute appeler ce temps celui de la volonté politique. Madame le ministre, monsieur le ministre, le Conseil européen de demain vient à point. J’espère que cette attente ne sera pas déçue. Voilà pour le « double ».
J’en viens maintenant à notre responsabilité collective au sein de l’Union européenne. L’insuffisance de coordination économique s’est conjuguée avec une surveillance trop lâche. Pire, de mauvais exemples ont été donnés par des États, parmi les plus grands, qui ne sont pas forcément la France et l’Allemagne. Chacun appréciera…
Mais ne nous leurrons pas ! La nécessaire révision du fonctionnement économique de l’Union européenne ne peut se faire que dans le sens d’un renforcement des disciplines communes. Cela ne plaira pas à tout le monde, peut-être pas à la France, d’ailleurs. Or il s’agit bien d’attendre plus d’Europe. À partir du moment où nous sommes engagés sur la voie de l’Union économique et monétaire, comme le rappelait voilà un instant Jean Arthuis, il faut aller de l’avant, sauf à nous voir exposés au retour chronique de telles catastrophes.
Madame le ministre, vous avez fort justement insisté sur le rôle actif qu’a joué la France pour que soit dégagée une solution vraiment européenne. Je pense cependant qu’il faut dans le même temps veiller à ne pas stigmatiser l’attitude de l’Allemagne, qui pourrait, par comparaison, être alors présentée comme moins européenne.
Le Bundestag vient d’adopter le plan de soutien à la Grèce, et c’est bien. Mais il est clair que l’opinion allemande reste assez réservée, non pas tant parce que les Allemands sont moins généreux ou moins solidaires, mais parce que, outre-Rhin, tout ce qui touche à la monnaie reste hypersensible. Il ne faut jamais sous-estimer cette réalité.
De plus, les Allemands ont parfois le sentiment d’avoir été floués. Ils considèrent qu’ils ont offert leur mark sur l’autel d’un euro dont on leur avait affirmé qu’il serait stable et garanti par des règles sérieuses, mises en œuvre avec rigueur. Une clause rassurante de non-assistance, expressément introduite dans le traité de Maastricht, avait même été largement médiatisée en Allemagne, à l’époque.
Enfin, les Allemands apprécient vraiment très peu d’être montrés du doigt, alors même qu’ils éprouvent une réelle fierté pour avoir réalisé des progrès de compétitivité grâce aux efforts que tous leurs partenaires européens auraient dû engager, notamment en matière de modération salariale ou d’efforts à l’exportation. Ils ont le sentiment d’être un peu seuls à « ramer à contre-courant » dans une Europe dont le problème, à l’heure de la mondialisation, est précisément une perte générale de compétitivité. En l’espèce, nous avons peu de leçons à leur donner.
Ne vaut-il pas mieux assumer sans réserves et conjointement avec eux les décisions prises, comme les atermoiements qui les ont précédées, les responsabilités collectives à l’origine des difficultés actuelles et les ambitions pour les sorties de crise ? L’image de nos deux États en Europe y gagnera, tout comme l’Europe elle-même.
C’est au sein du couple franco-allemand, dont le bon fonctionnement est plus que jamais nécessaire, que s’est développé un double débat sur les rôles et les engagements respectifs de l’Europe et du FMI, ainsi que sur le caractère insuffisamment porteur d’avenir de l’aide apportée à la Grèce.
Je pense que le FMI ne doit pas être présenté comme venant se substituer à une Europe inexistante. Au contraire, il me semble bien qu’il joue son rôle normal aux côtés de l’Europe et en étroite coordination avec elle. N’oublions pas que le FMI, c’est également « nous » !
Quant à l’aide, nous avons compris qu’elle était parfaitement harmonisée avec celle du FMI, présentée en taux variables, et qu’elle inclut une marge pour couverture d’un reliquat de risque. Nous vous en donnons acte, non sans considérer que nous « sauvons » la Grèce sans lui faire de vrai « cadeau » et, surtout, sans lui donner complètement les moyens de repartir d’un meilleur pied vers la croissance, qui, seule, la mettra durablement hors d’affaire. Nous devrons rester attentifs à favoriser la « renaissance ».
Je me demande s’il ne faut pas envoyer quelques signes concrets d’encouragement au peuple grec, afin qu’il accepte moins mal les conditions très dures du plan que vient d’adopter le Parlement d’Athènes, comme vous venez de le rappeler, madame le ministre. Si la rue continue à refuser ce plan, la Grèce se retrouvera bien seule face à un destin foudroyé ! Nous n’aurons pas à en être fiers et la contagion gagnera, les spéculateurs avec elle.
Je veux citer en cet instant le plan de rigueur, assez comparable, mis en œuvre en Lettonie. Alors que récemment, à Riga, je m’inquiétais de savoir comment un tel plan pouvait être accepté, il m’a été répondu : « Nous en avons vu d’autres ! » Certes, aucune situation n’est transposable, et je me garderai de transposer celle que je viens d’évoquer au cas de la Grèce. Puisse simplement cette référence nous amener au moins à relativiser ce qui peut l’être, notamment lorsque nous engageons des réformes réputées difficiles dans notre pays !
Sur fond de difficultés au Portugal, en Espagne ou en Irlande, sur fond de difficultés à faire exister solidairement et fortement l’Eurogroupe, la crise que nous devons contribuer à éteindre a tourné au drame, hier, du fait des surenchères de casseurs. Elle est une véritable épreuve non seulement pour la Grèce, qui paie au prix fort des années d’insuffisance, mais aussi pour l’euro, devenu la cible des spéculateurs, et pour l’Europe, dont la cohésion est mise à mal.
Redonnons priorité au service de ces deux « filles de la Grèce » que sont l’Europe et la démocratie. Reprenons avec courage et détermination, monsieur le rapporteur général, la construction exigeante d’une Europe qui réponde à l’attente des Européens et du monde. Alors, cette crise n’aura pas été complètement vaine ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)