Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui revêt tous les aspects d’une mauvaise réponse à une vraie difficulté.
Comme cela a été dit lors des travaux de la commission des affaires sociales, tout le monde s’accordera à reconnaître que les élèves et étudiants travailleurs sociaux rencontrent d’importantes difficultés dans l’accès aux stages. De la même manière, les membres du groupe CRC-SPG considèrent qu’il est impératif et urgent de trouver une solution pérenne.
La formation des travailleurs sociaux – par alternance –, dont la durée globale est occupée pour près de 50 % par des périodes de stage, exige que nous fassions preuve de créativité politique. Nous devons trouver une réponse qui tienne compte de trois impératifs : permettre l’accès de tous les élèves et étudiants travailleurs sociaux aux stages ; garantir l’égalité de tous les élèves et étudiants, indépendamment de leurs filières ; répondre au formidable enjeu d’avenir qu’est la satisfaction de l’ensemble des besoins sociaux de notre pays.
Ainsi, c’est sous le prisme de ces trois enjeux que nous avons examiné la proposition de loi de nos collègues Nicolas About et Sylvie Desmarescaux et c’est la raison pour laquelle nous voterons contre.
En effet, la proposition de loi, en l’état, ne permettra pas de garantir l’égalité des élèves et des étudiants, puisque, temporairement du moins, elle créera une situation d’exception, supprimant aux élèves et étudiants travailleurs sociaux le droit à la gratification des stages. Une gratification qui, bien que n’étant pas à la hauteur des besoins des jeunes en bénéficiant, permet tout au moins de limiter les abus de certains employeurs et donne aux stagiaires la possibilité de survivre moins difficilement que sans cette gratification.
Comment ignorer que plus de 100 000 étudiants vivent sous le seuil de pauvreté et que plus d’un tiers des étudiants sont contraints de travailler pour financer leurs études ?
Selon une étude menée par l’institut de sondage IPSOS, un étudiant français dépense en moyenne 521 euros par mois et cela peut atteindre jusqu’à 800 euros pour les étudiants contraints de se loger auprès d’un bailleur privé.
Supprimer cette gratification…
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. La suspendre !
Mme Isabelle Pasquet. … aurait pour effet immédiat de faire basculer les étudiants concernés par cette proposition de loi de la précarité vers l’extrême précarité, ce qui est pour nous inconcevable, même de manière temporaire.
Par ailleurs, cette proposition de loi, si elle était adoptée, pourrait avoir pour effet d’écarter des formations de travailleurs sociaux les étudiants les plus pauvres, c’est-à-dire ceux dont le soutien familial est le plus faible.
Or, on sait déjà que ces formations ne sont pas suffisamment attrayantes et l’on estime que le manque de professionnels formés, en comparaison des personnels nécessaires, serait de l’ordre de 30 %.
Selon Marcel Jaeger, professeur titulaire de la chaire de travail social et d’intervention sociale du Conservatoire national des arts et métiers, le CNAM : « Dans les instituts de formation, le constat est fait d’une baisse significative du nombre de candidats aux admissions. La filière la plus touchée est celle des assistants de service social. » Il ajoute : « Très souvent, les instituts ne disposent pas d’un nombre de candidats suffisant pour procéder à une réelle sélection, voire pour remplir une liste complète de candidats admis ».
Et pourtant, dans un avenir proche, en raison même de la pyramide des âges et, de manière plus globale, de la prise en charge de la dépense, les besoins seront colossaux. Déjà aujourd’hui, les besoins ne sont pas satisfaits et, contrairement au secteur sanitaire où les réponses aux besoins en nombre – et pas nécessairement en implantation géographique – suivent les évolutions de la société, le secteur social est en grande difficulté.
La paupérisation de tout un pan de la société, la précarisation du travail et de la vie dans son ensemble, la crise économique durable dont sont victimes nos concitoyens nous montrent chaque jour l’importance des différentes formes d’aides sociales.
Prendre une mesure qui reviendrait à demander aux élèves ou étudiants travailleurs sociaux de financer eux-mêmes leurs études, alors que, dans d’autres secteurs, ils bénéficieraient d’une gratification aussi insuffisante soit-elle, pourrait avoir pour effet de les écarter de cette formation, creusant encore un peu plus l’écart entre les besoins constatés sur le terrain et le nombre de professionnels pour y répondre.
Disant cela, nous n’écartons pas le débat réel sur l’impossibilité pour les structures accueillant habituellement les stagiaires à financer les gratifications qui sont délivrées à ceux-ci et, par voie de conséquence, leur impossibilité à répondre favorablement aux demandes de stages.
Il s’agit en fait d’une question de ressources financières, ce qui rend encore plus inacceptable la suppression de cette gratification.
Incontestablement, le montant du prix de journée ne permet pas à lui seul, comme le préconise la direction générale des affaires sociales dans sa circulaire du 27 juillet 2008, de couvrir les dépenses liées à la gratification des stages.
C’est donc bien ailleurs qu’il faut trouver les ressources nécessaires pour garantir le maintien de la gratification.
À ce titre, je précise – mais j’y reviendrai plus tard – que la disposition proposée dans le dernier alinéa de l’article unique constituant la proposition de loi, qui revient à transférer cette charge des structures ou établissements aux régions, n’est pas acceptable. D’ailleurs, les organisations d’élèves et d’étudiants ne s’y sont pas trompées. En effet, dans un courrier en date du 22 avril dernier adressé aux sénatrices et sénateurs, elles ne demandaient pas moins que le retrait de cette proposition de loi et invitaient les parlementaires à trouver une solution nationale pour financer les périodes de stages des travailleurs sociaux, considérant que le renvoi aux régions serait un gage d’inégalités territoriales.
Ainsi, aussi tentante soit-elle en ce qu’elle permettrait une réponse immédiate aux difficultés que rencontrent les élèves et étudiants travailleurs sociaux, cette proposition de loi n’est pas acceptable.
Pour notre part, nous entendons profiter de l’occasion qui nous est donnée par la discussion de cette proposition de loi pour réaffirmer, avec force, notre attachement au principe de la gratification des périodes de stages et nous proposerons pour ce faire un autre mécanisme, ainsi que la suppression de la disposition introduite lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, qui constitue la première atteinte à un principe important, ayant même fait en avril 2009 l’objet d’un engagement présidentiel : « Il n’est pas normal que les stages soient synonymes de précarité ». (M. Jean-Pierre Godefroy applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.
Mme Jacqueline Gourault. Madame le président, madame le secrétaire d'État, mes chers collègues, la présente proposition de loi porte sur une question clé en matière d’insertion professionnelle des jeunes, celle de la gratification des stages de formation initiale.
Cette proposition de loi a été déposée par Nicolas About et Sylvie Desmarescaux et cette dernière nous l’a présentée tout à l’heure.
La recherche de stage est souvent un parcours du combattant. En tant que maire, je sais que les jeunes viennent souvent nous voir pour trouver des stages, pour savoir si nous connaissons une personne pouvant les accueillir, notamment dans une entreprise, dans une association ou dans un hôpital.
Mme Catherine Procaccia, vice-présidente de la commission des affaires sociales. En permanence !
Mme Jacqueline Gourault. Nous sortons d’une campagne pour les élections régionales au cours de laquelle nous avons beaucoup réfléchi, même si je n’étais pas candidate. Je suis de celles qui pensent que la région, lorsqu’elle aura une compétence claire dans le domaine économique en plus de celle de la formation, devrait être en charge de l’accompagnement des jeunes en matière de recherche de stages, car il y a, me semble-t-il, une véritable carence actuellement dans notre société.
Il existe aussi des abus dans ce domaine, cette remarque a déjà été formulée, mais je voudrais la souligner. Ce qui ne se voyait pas il y a encore quelques années est devenu monnaie courante, c'est-à-dire des jeunes ultra-diplômés embauchés à 417 euros par mois, souvent plusieurs mois d’affilée, parfois plus d’un an, avant de pouvoir prétendre même à un simple CDD. Et ce, sachant que les divers frais, tels que les déplacements et la restauration, s’imputent la plupart du temps sur l’indemnisation. L’effet d’aubaine est parfois trop facile pour certaines entreprises, il faut le souligner.
Dans ces conditions, bien sûr, un statut du stagiaire s’imposait.
Ce qui est étonnant, c’est qu’il ait fallu attendre 2006 et la loi pour l’égalité des chances pour qu’un tel statut soit mis en place. L’article 9 de cette loi légalise la convention de stage et prévoit que les stages longs en entreprise doivent faire l’objet d’une gratification.
C’est en soi un immense progrès, mais il s’agit encore d’un cadre embryonnaire. Dès 2006, le groupe de l’Union centriste avait défendu la nécessité d’aller plus loin en garantissant une gratification égale à 50 % du SMIC, en limitant la durée maximale des stages, en imputant la période de stage sur la période d’essai lorsqu’un contrat de travail est conclu à son issue, ou encore en soumettant la convention de stage aux dispositions du code du travail.
M. Jean-Pierre Godefroy. Très bien !
Mme Jacqueline Gourault. C’est pourquoi nous n’avons pu que saluer les avancées consécutives à l’adoption de la loi de 2006 telles que l’élargissement de son champ aux stages effectués au sein d’une association, d’une entreprise publique, d’un établissement public ou des services de l’État.
Cependant, dans le même temps, nous avons défendu et voté l’article 59 de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, la loi HPST, qui exempte les employeurs de stagiaires auxiliaires médicaux de l’obligation de gratification.
Dès lors, pourquoi cautionner ce qui peut apparaître, à première vue, comme un recul ? Je me suis beaucoup interrogée.
Nicolas About et un certain nombre de mes collègues étant absents aujourd’hui, ont m’a demandé d’intervenir dans la discussion de cette proposition de loi. Je me suis renseignée, notamment auprès de personnes en qui j’avais totalement confiance. Ces dernières m’ont dit qu’il fallait adopter cette proposition de loi par réalisme. En effet, cela a déjà été souligné à plusieurs reprises, le principe général de la gratification des stages a, paradoxalement, conduit à fragiliser certains parcours de formation.
Ainsi avions-nous, au départ, été alertés par les étudiants en orthophonie sur les problèmes qu’ils rencontraient pour trouver des structures ou des professionnels pouvant les accueillir en stages de longue durée. Or, la validation des périodes de stage est indispensable à l’obtention de leur diplôme. On voit bien le problème et on comprend mieux aussi la solution d’exemption adoptée avec l’article 59 de la loi HPST.
Le même problème se pose aux étudiants et élèves travailleurs sociaux. D’où la présente proposition de loi, qui vise à exempter également ces stages de l’obligation de gratification.
Attention danger ! alerte le collectif « Génération précaire »…
M. Jean-Pierre Godefroy. Il n’y a pas qu’eux !
Mme Jacqueline Gourault. … et il indique qu’en multipliant les exemptions on met le doigt dans un engrenage vicieux pouvant conduire à vider le principe de toute substance. La question se pose sérieusement. Demain, d’autres secteurs d’activité pourront, à bon droit, faire valoir leur spécificité. Des spécificités qui d’ailleurs n’en seront pas, puisque, aujourd’hui, des périodes de stages à valider sont incluses dans à peu près toutes les formations initiales.
C’est pour parer à ce risque réel que le texte initial a été amendé par la commission des affaires sociales.
Soyons clairs : il s’agit maintenant d’un texte de transition destiné à répondre à l’urgence des élèves et étudiants travailleurs sociaux, qui aujourd’hui peinent à trouver un stage.
Je fais confiance à Mme Desmarescaux, de par sa formation, et à d’autres personnes qui m’ont bien expliqué la situation. Mais il est prévu que l’exemption soit étroitement limitée dans le temps. Elle prendra fin le 31 décembre 2012. Le délai qui va s’écouler d’ici là permettra de trouver une solution satisfaisante et pérenne.
Le texte prévoit que le Gouvernement doit étudier les conditions dans lesquelles les conseils régionaux pourraient prendre en charge le remboursement de la gratification des stagiaires. Mme le secrétaire d’État est intervenue sur ce point.
Cette étude viendra en complément des travaux de la mission d’inspection commandée à l’IGAS afin d’évaluer l’incidence de la réforme de la réglementation des stages.
On pourrait évidemment évoquer aussi les cursus, mais cela ne se décrète pas du jour au lendemain et c’est un autre sujet.
Le texte résultant des travaux de la commission des affaires sociales nous semble donc relativement équilibré. Cependant, il est encore perfectible.
Il nous semble indispensable de préciser que l’exemption de gratification ne doit s’appliquer qu’aux stages accomplis au sein d’associations. (M. Jean-Pierre Godefroy s’exclame.) Seules ces dernières sont affectées par l’obligation de gratification et doivent donc bénéficier de la mesure. Nous vous présenterons un amendement en ce sens.
Par ailleurs, il existe des exemptions sectorielles : par exemple, les collectivités territoriales et leurs regroupements sont aujourd’hui exclus de l’obligation de gratification, ce qui conduit à des situations arbitraires.
Personnellement, je ne prends jamais un stagiaire sans le rémunérer. Il faut tout de même le rappeler : ce qui n’est pas obligatoire n’est pas interdit. (Mme le secrétaire d’État opine.) Évidemment, je sais bien que si ce n’est pas obligatoire, certains ne le font pas. Il convient de réaliser une avancée au sein des collectivités territoriales avec cette zone de non-obligation ; il faudra y revenir.
Il faut demander au Gouvernement de remettre au Parlement un rapport sur la pratique des gratifications accordées au sein des collectivités territoriales et de leurs groupements. Il faut faire avancer la gratification dans le sens de son universalisation, tout en créant une exemption temporaire de très courte durée pour les étudiants travailleurs sociaux dans les associations.
Madame le rapporteur, je sais que vous avez beaucoup travaillé. La présidente de la commission des affaires sociales, Mme Muguette Dini, m’a beaucoup informé. Les collègues de mon groupe membres de la commission Anne-Marie Payet, ici présente, et Jean-Marie Vanlerenberghe m’ont bien expliqué le dossier. Si nous adoptons cette démarche avec toutes les garanties de non-pérennisation, c’est pour répondre à la situation un peu difficile des personnes qui ne trouvent pas de stage. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et au banc de la commission.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’entrerai directement dans le vif du sujet : comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire en commission, le groupe socialiste est opposé à l’adoption de cette proposition de loi, qui, selon nous, apporte une mauvaise, une très mauvaise réponse à un vrai problème.
Je rappelle que c’est à l’issue d’une longue mobilisation – celle du collectif Génération précaire et des organisations étudiantes, qui ont alerté l’opinion sur le scandale des stages étudiants non rémunérés – que la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances a posé le principe de la gratification obligatoire des stages étudiants d’une durée supérieure à trois mois. En novembre 2009, ce seuil a été abaissé à deux mois, ce qui est une excellente chose.
Il est donc dorénavant impossible qu’un stagiaire soit recruté par une entreprise sans qu’une convention de stage entre le chef d’entreprise, l’étudiant et l’établissement d’enseignement ait été conclue.
Le décret du 29 août 2006, reprenant les termes de la charte des stages étudiants en entreprise signée par M. Gérard Larcher, alors ministre du travail, précise qu’aucune convention de stage ne peut être conclue pour remplacer un salarié absent ou licencié, pour exécuter une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent, pour faire face à un accroissement temporaire d'activité de l'entreprise ou pour occuper un emploi saisonnier. C’est là encore une excellente chose.
Le stagiaire perçoit une gratification, et non une rémunération au sens du code du travail. Elle n’est donc pas assortie de cotisations sociales ni génératrice, à terme, de prestations. C’est là, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, un aspect qu’il faudra revoir, lors de la prochaine réforme des retraites, dans l’esprit de la proposition de loi que j’avais eu l’honneur de déposer ici même en 2006.
La question du montant de la gratification a suscité de nombreux débats. Pour mémoire, on peut rappeler l’existence d’une proposition de loi de Valérie Pécresse, alors député des Yvelines, précisant en mars 2006 que « les stages d’une durée de plus de trois mois donnent lieu au versement d’une indemnité mensuelle au moins égale à 50 % du salaire minimum de croissance ». Mme Gourault nous a à l’instant rappelé que le groupe de l’Union centriste avait formulé la même demande, tout comme je l’avais fait dans la proposition de loi que j’avais déposée.
En fin de compte, le décret du 29 août 2006 a repris le montant correspondant précédemment à la franchise de cotisations fixée par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, soit 360,22 euros mensuels, les sommes versées au-delà de ce montant étant assujetties aux cotisations et contributions sociales ; car, il est important de le rappeler, et nous y reviendrons, la gratification est exonérée de charges sociales. Le montant en franchise de cotisations a été revalorisé et s’élève depuis le 1er janvier 2010 à 417 euros mensuels. Il ne s’agit néanmoins que d’une gratification minimale, celle-ci demeurant fixée par accord collectif ou, à défaut, par le chef d’entreprise.
À titre personnel, je souhaiterais que nous allions beaucoup plus loin dans l’encadrement des stages, comme en témoigne la proposition de loi que j’avais déposée en juin 2006 et qui a été repoussée par le Sénat le 13 février 2007, au demeurant dans des conditions peu glorieuses pour notre assemblée : je le rappelle, les travées de la majorité étaient désertes ce jour-là et il avait fallu suspendre la séance près de trois quarts d’heure avant de trouver un sénateur du groupe UMP qui veuille bien se rendre dans l’hémicycle pour, grâce au recours au scrutin public, faire échouer la proposition de loi.
Mme Jacqueline Gourault. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la présidente, je me permettrai une parenthèse concernant notre assemblée : un sénateur qui dépose 140 bulletins de vote et fait échouer une proposition de loi qui aurait été adoptée si seuls avaient voté les sénateurs présents dans l’hémicycle, c’est en soi, me semble-t-il, un réquisitoire contre ce mode de scrutin totalement antidémocratique,…
Mme Jacqueline Gourault. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Godefroy. … voire anticonstitutionnel, et, à tout le moins, encourageant l’absentéisme parlementaire. (Mme Jacqueline Gourault applaudit.)
Mais je referme la parenthèse et je reviens, madame la secrétaire d’État, à des sujets qui vous concernent plus directement.
Pour mémoire, la proposition de loi en question visait à poser un cadre législatif complet pour clarifier le régime juridique des stages et apporter davantage de garanties aux stagiaires. Elle allait plus loin que les quelques mesures prévues dans la loi du 31 mars 2006 relative à l’égalité des chances ou dans la charte des stages étudiants en entreprise, notamment en matière de rémunération des stages et de droits acquis ; nous y reviendrons lorsque nous aborderons le problème des retraites.
A contrario, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui met l’accent sur ce que ses auteurs appellent « les effets pervers » de la législation relative aux stages et a pour objet de faciliter l’accès aux stages des étudiants et élèves en travail social. À cette fin, mes chers collègues, vous vous appuyez sur le précédent créé par la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST » : à la demande initiale des orthophonistes – mais le dispositif fut finalement étendu à l’ensemble des auxiliaires médicaux, qui n’en demandaient pas tant : on voit déjà les premiers effets de contagion ! –, son article 59 a prévu que les stagiaires accueillis dans leur cabinet puissent « bénéficier de l'indemnisation de contraintes liées à l'accomplissement de leurs stages, à l'exclusion de toute autre rémunération ou gratification au sens de l'article 9 de la loi no 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances ». Énoncé clairement, cela signifie qu’ils ne percevront aucune gratification pour le travail accompli. Or, cela a été rappelé tout à l’heure, si ces stages demandent que le praticien consacre du temps à la formation du stagiaire, l’apport de celui-ci n’en est pas moins réel.
Mme Sylvie Desmarescaux, rapporteur. Pas les premiers mois !
M. Jean-Pierre Godefroy. Nous y reviendrons ! Bien entendu, le groupe socialiste n’a jamais voté cet article, considérant qu’il ouvrait une première brèche très importante dans le dispositif. Il se confirme aujourd’hui que l’on peut s’y engouffrer. Qui plus est, nous avons toujours eu du mal à croire que les orthophonistes libéraux sont incapables de rémunérer un stagiaire 400 euros par mois exonérés de charges sociales. Au demeurant, nul n’est obligé d’accueillir un stagiaire si cette somme « exorbitante » risque de mettre en péril l’équilibre financier du cabinet !
Vous affirmez, mes chers collègues, que cette proposition de loi n’a pas pour objet de supprimer le principe de la gratification, mais qu’elle vise à répondre au cri d’alarme des étudiants travailleurs sociaux qui, faute de stages, ne pourraient pas valider leur diplôme.
Je n’ignore pas qu’il y a un véritable problème d’offres de stage, nous le savons tous. Mais peut-être faudrait-il préciser que les étudiants et tous les acteurs du secteur social et médico-social, en particulier les organismes de formation et les fédérations d’établissements, ne remettent pas en cause le principe de la gratification : ils demandent les moyens financiers correspondants afin de pouvoir rémunérer les stagiaires.
Mes chers collègues, vous avez reçu comme moi cette lettre du collectif national des étudiants en travail social dans laquelle ils demandent très clairement le rejet de cette proposition de loi, qui « ne répond ni à [leurs] attentes, ni à [leurs] exigences » et qui se disent « très attachés au principe de gratification, qui permet, d’une part, la reconnaissance et la valorisation de [leur] travail et, d’autre part, de lutter contre la précarité étudiante, pendant la période des stages ». C’est pourquoi ils s’opposent « de toutes [leurs] forces à votre proposition de loi, qui ne ferait que repousser le problème financier sans proposer de réelles solutions ». On ne saurait être plus clair !
En fait, ce problème de la gratification révèle avant tout les difficultés financières auxquelles est confronté l’ensemble du secteur social et médico-social – aide à la personne, maintien à domicile… Celui-ci traverse une crise financière sans précédent, qui l’asphyxie peu à peu. Il faudrait que la commission des affaires sociales aussi bien que le Gouvernement se penchent sur cette question, qui, je le sais, préoccupe tout le monde.
La présente proposition de loi est un très mauvais signal donné à ce secteur. Elle va à l’encontre des dispositions adoptées par le législateur en 2006 et contredit les préconisations de la commission Hirsch et de la mission commune d’information du Sénat sur la politique en faveur des jeunes : favoriser l’insertion professionnelle et l’autonomie de la jeunesse. En suspendant la gratification, elle entérine la situation de précarité dans laquelle se trouvent aujourd’hui de nombreux étudiants et elle dévalorise la filière sociale, qui a pourtant besoin de recruter. Enfin, elle crée une discrimination entre la filière sociale et les autres formations, mais aussi entre les étudiants eux-mêmes selon qu’ils seront ou non soutenus financièrement par leurs parents pendant leur période de stage : les plus démunis, les plus pauvres seront les plus pénalisés.
J’estime qu’il vaudrait mieux se pencher sur les incohérences du système de rémunération des jeunes en formation. Mes chers collègues, j’attire votre attention sur ce point : si des moyens financiers sont dégagés pour rémunérer les élèves de Polytechnique ou de l’École nationale de la magistrature, pourquoi n’en irait-il pas de même pour les étudiants de la filière sociale et médico-sociale ? Il me paraît impensable que le législateur puisse vouloir supprimer la gratification pour ces jeunes alors que la précarité étudiante est une réalité alarmante, qui mène souvent à de vrais drames : on sait à quelles extrémités sont malheureusement conduits certains afin de pouvoir financer leurs études ! Les textes que nous avions adoptés avaient réglé ce problème, et voilà que vous revenez en arrière. Car la proposition de loi concernera beaucoup de personnes !
Une véritable solution au problème du financement de cette mesure doit être trouvée, et il faut y travailler dès à présent. En aucun cas les stagiaires travailleurs sociaux ne sauraient être moins bien traités que les autres, d’autant qu’ils sont souvent chargés d’interventions éprouvantes auprès de familles en difficulté. Ce sont eux qui seront pénalisés, et aucun autre, nous y reviendrons dans le cours du débat.
Lors de l’examen du texte en commission, madame le rapporteur, vous avez fait adopter un amendement prévoyant que la mise en œuvre de cette dérogation serait limitée dans le temps, à savoir jusqu’au 31 décembre 2012. Madame la secrétaire d’État, le choix du 31 décembre 2012, c’est-à-dire après les élections présidentielle et législatives, relève-t-il du hasard ? Après cette date, il reviendrait à l’État de formuler des propositions pour que les conseils régionaux puissent prendre en charge – allons-y gaiement ! – le remboursement de la gratification des stagiaires au motif qu’ils ont des compétences en matière de formation.
Madame la secrétaire d’État, l’IGAS vous remettra un rapport dès le mois de mai : nous avons tout le temps de prendre des dispositions ! Et si vraiment il faut une mesure de suspension, madame le rapporteur, de grâce, pas jusqu’au 31 décembre 2012 !
Ce que vous nous proposez, c’est un enterrement définitif de la gratification des stages des professions sociales ! Faut-il tant de temps pour élaborer des propositions ? Je pose la question ! De plus, il est pour nous inacceptable que l’on veuille a priori faire supporter la charge de cette mesure par les régions. Et si tel devait être le cas, encore faudrait-il que celles-ci disposent des moyens financiers adéquats : à tout transfert de compétence doit correspondre un transfert de moyens, c’est maintenant constitutionnel !
Aujourd’hui, le cursus de formation des étudiants et élèves travailleurs sociaux est fixé non par la région, mais par l’État. Puisqu’il est du ressort de l’État de prendre en charge le coût de la formation initiale, la dépense entraînée par les rétributions des stagiaires doit logiquement lui revenir aussi : elle fait partie du coût global de la formation.
C’est pourquoi nous avons rédigé, avec le concours de l’Assemblée des départements de France, l’ADF, deux amendements visant à conforter le principe de la gratification obligatoire des stages étudiants dans le secteur médico-social et à le rendre effectif en créant au sein de l’ONDAM médico-social une enveloppe financière à la charge des ministères sociaux responsables de ces diverses formations.
S’il était adopté, ce dispositif permettrait, d’une part, d’apporter un soutien financier aux étudiants et, d’autre part, de ne pas pénaliser les structures d’accueil des stagiaires, aujourd’hui fortement invitées à s’inscrire dans des logiques de maîtrise des coûts et de convergence tarifaire. En effet, il conduirait, au sein des différentes enveloppes de crédits limitatifs pour le financement de ces structures, à dédier des fonds au financement des stages, qui sont de véritables missions d’intérêt général puisqu’ils sont essentiels à la validation des formations des étudiants en travail social.
J’espère, madame le rapporteur, que vous accueillerez favorablement cette proposition, même si la discussion a déjà pris une tonalité qui m’amène à en douter. Quoi qu’il en soit, en l’état, le texte est pour nous totalement inacceptable, et vous le savez bien puisque nous avons eu l’occasion d’en débattre longuement.
Madame la secrétaire d’État, le début de votre intervention m’a donné à espérer que l’accord qui régnait jusqu’à présent sur la question des stages allait persister. Mais la fin de votre propos m’a déçu. Je vous pose la question, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues : ne craignez-vous pas, à force d’exceptions, de vider totalement ces textes de leur substance ? Et que répondrez-vous quand on vous adressera d’autres demandes en ce sens ? Que répondrez-vous, par exemple, au secteur de l’automobile, au secteur des banques, qui se disent en crise ?
Madame la secrétaire d’État, ce qui est tout à fait dramatique dans la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, c’est que seront seuls pénalisés ceux qui s’engagent dans ce travail social que vous connaissez bien et qui est si important, et ce jusqu’en 2012 ! D’exception en exception, les bonnes dispositions vont finir par disparaître.
Quand des dispositions ont été prises en 2006, quand le décret a été pris en 2009, on s’est forcément posé le problème du financement ! Peut-on imaginer que l’on aurait sciemment « dégagé en touche » en laissant les suivants se débrouiller ? Je n’ose ! Si pourtant cet aspect a été effectivement négligé, il nous revient aujourd’hui de réparer cela très vite, parce qu’il n’y a aucune raison que ce soient les étudiants qui soient pénalisés, absolument aucune ! Ils seraient pénalisés parce que nous avons manqué, tous, disons-le ainsi, à notre devoir d’anticipation sur le financement qu’il fallait prévoir ?
Dans ces conditions, ce texte est, à nos yeux, inacceptable.
Mes chers collègues, lorsque nous légiférons – même sur des textes que nous ne votons pas ! –, il ne faut pas penser que nous pourrons revenir sur certains textes et pas sur d’autres ! Pour être très clair, il est possible de revenir sur un texte relatif aux stages des étudiants, qui concerne donc des jeunes en formation, en leur ôtant toute gratification – 417 euros par mois, pour éviter l’hyperpauvreté ! –, mais tel n’est pas le cas pour les dispositions relatives au bouclier fiscal, aux stock-options ou encore à la fiscalisation des retraites chapeau, car elles sont sanctuarisées !