M. Thierry Foucaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question qui nous occupe aujourd’hui est l’illustration de l’affrontement de deux logiques.
L’une est portée par les groupes pétroliers, qui, à l’instar de Total, n’ont d’autre horizon que la rentabilité immédiate, l’accumulation de profits et le versement de dividendes toujours plus élevés à leurs actionnaires. Il suffit de regarder les chiffres, n’en déplaise à Aymeri de Montesquiou !
L’autre logique, qui fait appel à l’intelligence et qui se soucie de l’avenir industriel, du développement économique, de l’indépendance énergétique, est portée par les salariés, les représentants dont ils se sont dotés et leurs syndicats.
Inutile de préciser la logique que je soutiens.
Ne disposant que de cinq minutes de temps de parole, je concentrerai mon propos sur les trois raffineries et plateformes pétrochimiques qui se trouvent en Seine-Maritime.
Le site de Total à Gonfreville-l’Orcher, qui emploie 1 500 personnes, a vu ses effectifs amputés de 250 postes, en mars 2009, du fait d’une restructuration.
Les salariés de cette usine se sont mobilisés aux côtés du personnel d’autres raffineries du groupe pour montrer leur solidarité avec leurs collègues de Dunkerque. Au-delà de cette action, il s’agissait pour eux de défendre leur propre outil de travail.
La résistance et la détermination de tous ces salariés ont eu raison d’une partie des projets de M. de Margerie.
Leur mobilisation a également contraint le Président de la République à organiser une table ronde consacrée à l’avenir du raffinage. Néanmoins, le délai de cinq ans qui a été annoncé représente une véritable épée de Damoclès sur le devenir de ce secteur.
Les salariés du site de Gonfreville-l’Orcher avaient anticipé les éventuels retournements de conjoncture ou les modifications susceptibles d’affecter la consommation de carburants. La droite, quant à elle, semble découvrir la situation. Elle oublie surtout de citer certains chiffres, notamment les profits de Total.
Ces salariés avaient ainsi proposé la construction d’une unité dite de « conversion profonde », ce qui aurait permis de traiter ce que l’on appelle le fond de baril et de fabriquer des produits pétroliers légers. La pérennité du site aurait donc été assurée quoi qu’il arrive. Ils se sont malheureusement toujours heurtés à la surdité des dirigeants du groupe, dont la seule préoccupation était et demeure les résultats financiers.
Les 220 millions d’euros d’investissement promis par Total, dont vous nous parlerez peut-être dans votre intervention, monsieur le ministre, relèvent de l’effet d’annonce et ne créeront aucun emploi. J’ai en effet appris ce matin qu’un plan de suppression de 290 emplois, hors sous-traitants, est à l’œuvre. Pour mémoire, je le rappelle, car la droite se garde bien de donner ces chiffres, un emploi dans l’industrie pétrolière induit cinq emplois de sous-traitance.
La capacité de raffinage du site de Gonfreville-l’Orcher sera donc réduite d’un tiers, soit l’équivalent de la production de la raffinerie de Dunkerque. Onze millions de tonnes seront désormais raffinés, contre seize millions auparavant.
J’en viens à la raffinerie d’Exxon à Notre-Dame-de-Gravenchon, qui compte 1 100 salariés et qui est adossé à un site pétrochimique où sont employées 1 400 personnes.
Un plan de restructuration du secteur des huiles est là aussi actuellement à l’œuvre. Il vise à supprimer 70 emplois, qui viendront s’ajouter aux 500 postes déjà supprimés en 2000 lors de la fusion entre Mobil et Esso.
Les salariés et leurs représentants ne sont pas, là non plus, restés dans l’expectative. Depuis de nombreuses années, ils proposent que des investissements soient réalisés dans des installations permettant de produire plus de gazole afin de participer au rééquilibrage de la production intérieure de ce carburant.
Enfin, je voudrais évoquer la situation de la raffinerie Petroplus de Petit-Couronne, dans la banlieue de Rouen.
Cette entité était autrefois la propriété de Shell. En 2007, à l’image des projets actuels de Total, la multinationale anglo-néerlandaise a décidé de s’en séparer afin de délocaliser le raffinage dans les pays producteurs.
La mobilisation des salariés et le soutien des élus locaux ont permis, une fois encore, à cette usine d’échapper à ce destin funeste et de trouver un repreneur, à savoir une société dont le raffinage est le cœur de métier, même si le centre de recherche a été délocalisé en Chine.
Une fois de plus, l’action revendicative aura été payante : les emplois ont été préservés, 44 nouvelles embauches ont été acquises et 73 millions de dollars sont désormais consacrés à la maintenance et à la réinternalisation, là où Shell ne dépensait que 11 millions de dollars.
Oui, nous pensons qu’il faut l’intervention des salariés pour faire bouger les choses, n’en déplaise à nos collègues de l’UMP, qui, on l’a vu tout à l’heure encore, ne rendent pas compte de la réalité !
C’est pourquoi, monsieur le ministre, avant cette table ronde, notre groupe vous incite à prêter l’oreille non seulement aux syndicats, aux salariés - considérez leur intelligence, leur esprit de responsabilité, leur attachement à leur outil de travail -, mais aussi à tous les élus de la nation.
Je pense plus que jamais, avec Martial Bourquin et Jean-Claude Danglot, qu’il est d’actualité d’avoir un contrôle public pour servir l’intérêt général.
Je pense également plus que jamais que la question de notre indépendance énergétique est aujourd’hui posée. En la matière, monsieur le ministre, nous avons besoin de réponses.
Je pense enfin, au regard du dernier conflit qui s’est déroulé dans les usines de raffinage en France, qu’il est plus que jamais d’actualité d’octroyer – là comme ailleurs - un droit d’intervention et de décision aux salariés, à leurs représentants et à leurs organisations syndicales dans la gestion de leur entreprise.
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Andreoni.
M. Serge Andreoni. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, de nombreux faisceaux se sont récemment croisés pour mettre en lumière la question cruciale de l’avenir du raffinage, qui est en danger et, avec lui, toute la filière de la pétrochimie.
En Europe, il a clairement été annoncé que 10 % à 15 % des cent quatorze raffineries pourraient fermer pour cause de surcapacité de production.
En France, ne subsisteront bientôt plus que onze raffineries, puisque Total a annoncé la fermeture de celle des Flandres. Certes, le groupe s’est engagé à ne plus fermer aucune raffinerie d’ici à 2015 et il vous appartiendra, monsieur le ministre, de faire respecter cet engagement. Mais qu’adviendra-t-il ensuite ?
Quelle est la stratégie au regard de la situation de la France, où la consommation d’essence a baissé de moitié en trente ans et alors que, dans un marché majoritairement diesel, importer du gazole s’impose comme une nécessité ?
La consommation de produits pétroliers a reculé de 2,8 % en 2009 et la production de la chimie de 12,5 %, entraînant la fermeture d’Azur Chimie à Port-de-Bouc dans les Bouches-du-Rhône et la suppression de 108 emplois, de même que celle de l’unité de production de polyéthylène et de polypropylène de LyondellBasell à Fos-Feuillane, qui comptait 80 salariés, dont une cinquantaine ont fort heureusement été repris sur le site de Berre-l’Étang.
Les adaptations nécessaires pour répondre à des exigences légitimes du point de vue environnemental sont par ailleurs très coûteuses et les marges très faibles, puisqu’elles étaient de 23 euros par tonne en 1995, et de 15 euros, voire 10 euros, en 2008. De ce fait, on ne peut que craindre certaines fermetures. C’est là une raison de plus, monsieur le ministre, pour tout faire afin de préserver l’existant et pour se fixer comme objectif fort une véritable réindustrialisation du pays.
Dès lors, comment s’adapter à l’évolution du raffinage ? Comment encourager les investissements des opérateurs spécialisés qui tendent à remplacer les groupes pétroliers traditionnels ? Quelle sera votre politique environnementale après l’abandon de la taxe carbone ? Quid de l’application de la directive du Conseil du 24 septembre 1996 relative à la prévention et à la réduction intégrées de la pollution, dite IPPC ?
Il nous faut prendre acte du déplacement du marché mondial du raffinage depuis le bassin de l’Atlantique Nord vers le bassin Asie-Pacifique. Dans ce secteur, les trois quarts des projets concernent désormais l’Inde, le Vietnam ou la Chine. C’est en Asie et au Moyen-Orient que montent en puissance les producteurs de chimie de base, ces zones concentrant 50 % de la production mondiale de polyéthylène.
Pour autant, l’activité de raffinage est-elle définitivement condamnée en France ? Non ! Alors que nous ne maîtrisons pas notre approvisionnement en pétrole, le maintien de cette activité ne représente-t-il pas notre indépendance énergétique ? Il y a là un enjeu économique et politique essentiel, que nous ressentons très fortement en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, et plus particulièrement dans le département des Bouches-du-Rhône.
Monsieur le ministre, qu’en est-il de la situation dans cette région, à laquelle vous êtes comme moi très attaché –nous avons d’ailleurs siégé ensemble pendant de nombreuses années au conseil régional. Elle compte 140 établissements et 18 000 emplois liés directement au raffinage et à la chimie. La chimie provençale assure 10 % de la production nationale, 44 % de la production d’éthylène et 50 % de celle de chlore. Le complexe industriel de Fos-Berre-Lavéra est le premier pôle d’Europe du Sud et représente 5 % de la chimie européenne. Les Bouches-du-Rhône comptent quatre raffineries : Esso à Fos-sur-Mer, Total à Lavéra, LyondellBasell à Berre-L’Étang et Ineos à Martigues, ces deux dernières ayant un site intégré et assurant donc une activité pétrochimique d’aval. Ces quatre raffineries représentent le tiers des capacités de raffinage de la France, soit 30 millions de tonnes, ainsi que 3 500 emplois directs et 11 000 emplois indirects répartis entre une centaine d’entreprises. Vous aurez compris, monsieur le ministre, que j’entends surtout défendre l’industrie pétrochimique de Fos-sur-Mer et de l’étang de Berre.
Il est en outre à noter que la Société du pipeline sud-européen a expédié, en 2009, 15,5 millions de tonnes depuis Fos-sur-Mer pour alimenter les raffineries de Feyzin, de Reichstett, de Cressier en Suisse et de Karlsruhe en Allemagne, tandis que le volume import-export de Dépôts pétroliers de Fos a atteint 6,3 millions de tonnes.
Le poids du secteur de la chimie est capital pour les sites de LyondellBasell et d’Ineos. Il représente 3 000 emplois et justifie à lui seul l’existence de l’activité de raffinage, car la synergie est totale et irremplaçable. La perte d’une raffinerie aurait de lourdes conséquences sur le secteur de la chimie, d’autant que l’aval de l’activité de raffinage dans les Bouches-du-Rhône comprend certes l’approvisionnement local en essence, en diesel et autres carburants, mais également l’alimentation d’autres sites pétrochimiques ne possédant pas de raffinerie, par exemple en Normandie, dans le couloir rhodanien et même dans certains pays européens.
L’activité de raffinage est donc essentielle pour le département des Bouches-du-Rhône et, au-delà, pour toute la région PACA. Les emplois directs représentent une masse salariale de 247 millions d’euros, qui concourt à dynamiser toute l’économie par le biais des dépenses des ménages. En 2009, les investissements ont atteint 180 millions d’euros, dont 101 millions d’euros pour la sécurité et l’environnement, ce qui stimule l’emploi indirect. Pour cette seule activité, la recette de taxe professionnelle et de taxe foncière s’élève à 49 millions d’euros, ce qui permet aux collectivités territoriales de conduire des politiques publiques dignes de ce nom, dans le contexte de terrible crise que nous subissons.
En outre, le simple respect des exigences environnementales, qui sont bien entendu parfaitement légitimes, nécessitera 500 millions d’euros d’investissements sur cinq ans, à partir de 2013. Cet effort important demandé aux entreprises sera, lui aussi, favorable à la création d’emplois indirects.
Je voudrais maintenant aborder un sujet précis, monsieur le ministre. Sur le Grand Port maritime de Marseille, les hydrocarbures représentent les deux tiers du volume global traité – 56 millions de tonnes sur 83. C’est ce trafic qui fait vivre le port et ses salariés. Pour la commune de Berre-l’Étang, le « grand arrêt » en cours entraîne un investissement de 65 millions d’euros, la présence de 2 000 salariés supplémentaires venus de toute la France et une dépense de 35 millions d’euros pour l’amélioration de la qualité de l’air.
Monsieur le ministre, vous comprendrez que, en tant que sénateur des Bouches-du-Rhône, mais aussi et surtout en tant que maire de Berre-l’Étang, où se trouve l’un des deux grands sites intégrés, je suive de très près tout ce qui peut avoir une incidence négative sur l’activité de raffinage. Notre inquiétude est grande !
Cette inquiétude tient d’abord à la crise mondiale, aux surcapacités européennes annoncées et à l’évolution mondiale du raffinage, mais aussi à des considérations locales. En effet, le Grand Port maritime de Marseille va construire une unité de stockage de produits déjà raffinés de 800 000 tonnes, pour un volume annuel importé ou exporté de produits finis de 5 millions à 6 millions de tonnes, voire 8 millions de tonnes : c’est le projet Oiltanking, qui équivaut à la capacité de raffinage d’au moins une de nos quatre raffineries, menacée donc à terme de fermeture, dans un secteur qui connaît une diminution de la demande et se trouve soumis à une réglementation européenne de plus en plus contraignante, la réglementation nationale étant plus sévère encore. Le Grand Port maritime de Marseille a de surcroît le projet d’augmenter ses capacités de stockage jusqu’à 13 millions de tonnes, soit l’équivalent de deux raffineries du pourtour de l’étang de Berre. Pensez-vous, monsieur le ministre, qu’une telle initiative soit judicieuse dans le contexte difficile que traverse actuellement le raffinage, surtout quand on sait que ce projet ne représente au maximum que 10 % des emplois dont la fermeture de l’une de nos quatre raffineries entraînerait la perte ? Si l’on voulait favoriser la délocalisation, on ne s’y prendrait pas autrement…
Je souligne que le Grand Port maritime de Marseille est un établissement public. De ce fait, nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour être vigilant et prendre les mesures nécessaires pour limiter autant que faire se peut l’effet catastrophique que la réalisation de ce projet pourrait avoir sur nos raffineries et les drames humains qui en découleraient.
Devant ce tableau peu réjouissant, que pouvons-nous faire et surtout espérer, voire exiger du Gouvernement ? De manière générale, il faut étudier comment attirer de nouveaux investisseurs, puisque nous constatons que les opérateurs historiques se concentrent sur des activités jugées stratégiques et surtout plus rentables, comme la recherche de nouveaux gisements. C’est ainsi que, dans notre département, Shell et BP ont vendu leurs installations respectivement à LyondellBasell et à Ineos, ne prenant en compte que le profit et se dégageant sans scrupules de leurs obligations sociétales. Le groupe Shell a même préféré construire un « monstre » en Chine plutôt que de rester sur notre sol.
Il faut se donner les moyens d’adapter les installations déjà présentes et les pérenniser si cela s’avère rentable. Cela passera par une fiscalité cohérente, une grande politique portuaire et une meilleure intégration des activités de raffinage et de pétrochimie, qui permettrait de réduire les investissements d’adaptation nécessaires. Cela passera aussi par un message clair aux grands groupes de votre part.
Nous ne lutterons pas contre l’évolution structurelle du secteur, mais il faut anticiper les mutations qu’elle impliquera en termes d’emploi et d’activité, de reconversion des outils et surtout des hommes. Il faut travailler dans la transparence avec les salariés, leurs syndicats et les élus locaux concernés.
L’UFIP, l’Union française des industries pétrolières, a d’ores et déjà indiqué que 2013 serait un tournant, la crise n’ayant fait que précipiter une évolution inéluctable. Les enjeux appellent une réflexion européenne afin de définir une politique concertée. Cependant, il faut déjà qu’en France nous soyons d’accord sur les objectifs et qu’une seule voix, forte, exige le maintien des emplois et de l’activité, sous une forme rénovée et adaptée si cela s’avérait nécessaire.
Ne nous leurrons pas : nous payons aujourd’hui le prix de politiques de l’État contradictoires depuis fort longtemps. L’État, en encourageant l’utilisation du diesel, a fragilisé les raffineries, les rendant dépendantes de leurs exportations aux États-Unis – elles représentent 26 % de la production, mais sont en constante diminution ; en prônant l’instauration du système des quotas d’émission de CO2, il a alourdi les coûts de fonctionnement des raffineries ; en favorisant le développement des substituts aux produits pétroliers, il a réduit la demande.
Ces mesures avaient certes toutes leur logique et étaient nécessaires. Cependant, elles auraient dû être accompagnées d’une réflexion sur l’évolution des outils de raffinage, qui sera, je l’espère, l’un des sujets majeurs de la table ronde du 15 avril prochain.
Il n’est pas concevable, monsieur le ministre, de continuer à laisser les grands groupes pétroliers décider seuls de la politique industrielle, de la politique énergétique et des éventuelles délocalisations, avec toutes les conséquences humaines que cela induit.
Tenant un discours offensif lors des états généraux de l’industrie, le Président de la République a souhaité placer l’État au cœur d’une politique de redressement industriel. Mais, des discours aux actes, il y a un pas, qu’il faudra un jour franchir…
Aussi aimerions-nous savoir quelles sont vos intentions concrètes et celles du Gouvernement pour relancer durablement l’activité de raffinage en France. Comment comptez-vous à la fois poursuivre une politique environnementale tout à fait légitime et souhaitable et maintenir le tissu industriel lié au raffinage, garant de notre indépendance énergétique ? J’ai entendu tout à l’heure un orateur déplorer que les régions ne fassent rien en ce sens. Certes, les régions peuvent s’impliquer, mais cela n’est possible que si l’État s’engage.
Le maintien du tissu industriel lié au raffinage est indispensable à plus d’un titre, monsieur le ministre. Il l’est en particulier au regard des ressources des collectivités territoriales concernées, surtout depuis la suppression de la taxe professionnelle, dont le mode de compensation annoncé n’a pas totalement dissipé nos craintes, ne serait-ce qu’en termes de pérennité. Dans les Bouches-du-Rhône, monsieur le ministre, les dotations de compensation et les compensations représentaient, avant la réforme, 16 % des ressources pour le syndicat d’agglomération nouvelle d’Istres-Fos, 14 % pour la communauté d’agglomération Agglopole Provence ; ces pourcentages s’élèveront respectivement à 70 % et à 52 % après la réforme : cela nous place au nombre des collectivités qui seront lésées par celle-ci. Pour mémoire, je rappelle que la suppression de la taxe professionnelle fera perdre au syndicat d’agglomération nouvelle et à l’ensemble des collectivités qui nous entourent, qu’il s’agisse d’Agglopole Provence ou de la communauté d’agglomération de Martigues, la plus grande part de leurs ressources fiscales.
Il est prévu des clauses de revoyure, monsieur le ministre. Soyez persuadé que nous participerons au débat, en y mettant tout le dynamisme dont la disparition de la taxe professionnelle nous aura privés.
Le maintien du tissu industriel est aussi et surtout indispensable pour la sauvegarde des emplois de milliers de salariés confrontés aux éventuelles fermetures de raffineries, comme c’est le cas à Dunkerque, et qui vivent eux aussi dans l’angoisse. Il faut remettre l’homme et le social au cœur de toutes nos préoccupations.
Vos réponses sont attendues avec impatience, monsieur le ministre. Vous appartenez à un gouvernement qui prône la revitalisation de notre industrie, laquelle vient cependant de perdre 100 000 emplois en quinze mois, et 500 000 entre 2002 et 2008. Il faut mettre un terme à la casse industrielle, ces emplois perdus n’ayant pas été compensés dans les autres secteurs d’activité.
L’heure n’est plus aux paroles, monsieur le ministre, mais à des décisions concrètes et salvatrices, qu’attendent ensemble et de façon solidaire les entreprises, les salariés à titre direct ou indirect, leurs syndicats et les élus des territoires concernés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Billout.
M. Michel Billout. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que sénateur de la Seine-et-Marne, j’aurais pu insister sur la nécessité de conserver, dans la région d’Île-de-France, cet exceptionnel outil industriel qu’est la raffinerie de Grandpuits, pour des raisons à la fois économiques, industrielles – des synergies ont été créées, notamment, avec les secteurs de la chimie et de l’extraction du pétrole seine-et-marnais – et environnementales. Toutefois, en tant que vice-président du groupe d’études de l’énergie du Sénat, je préfère mettre l’accent sur la nécessité de préserver l’indépendance énergétique tant de la France que de l’Union européenne.
Sur le site internet du groupe Total, nous trouvons cette affirmation : « Beaucoup [de raffineries] se trouvent dans les pays riches gros consommateurs, même chez ceux qui n’ont pas de pétrole ! En construisant des raffineries chez eux, ils se sont assurés une politique de raffinage indépendante. »
Tel est le constat simple et clair fait par ce pétrolier. C’est une évidence, le mouvement de désengagement des groupes pétroliers de l’industrie du raffinage amorcé aux échelons national et européen pose question en termes d’indépendance énergétique.
Pourtant, la politique de Total, propriétaire de la majorité des sites de raffinage français, ne laisse pas de place au doute : on assiste bien à un repli motivé exclusivement par des considérations financières.
Tout d’abord, soyons francs, monsieur le ministre : si rien n’est entrepris pour sauver l’industrie du raffinage, notamment pour maintenir le site des Flandres en activité, dans quelque temps les fermetures concerneront d’autres usines. Lorsque Nicolas Sarkozy a demandé au directeur général de Total de s’engager à ne pas fermer d’autres sites à l’avenir, celui-ci n’a donné des assurances que pour les cinq prochaines années. Or la question de l’avenir des raffineries se pose précisément tous les cinq ans, au moment des grands arrêts techniques. En conséquence, l’engagement de Total pour une si courte durée n’est guère convaincant.
Ensuite, les pétroliers avancent plusieurs arguments pour justifier qu’ils implantent leurs sites de raffinage ailleurs, notamment dans les pays producteurs de pétrole.
En effet, les pétroliers ont multiplié les projets de raffineries dans le Golfe ou en Asie. À titre d’exemple, Total et Aramco vont investir 9,6 milliards de dollars dans la construction d’une raffinerie à Jubail, en Arabie saoudite. Ce site devrait être opérationnel fin 2013. Notons que les raffineries construites sont à la pointe de la technologie, les investissements réalisés étant destinés à faire de la conversion profonde et principalement financés par les pays producteurs. Ainsi, l’Arabie saoudite, au travers d’Aramco, supportera 59 % de l’investissement. On comprend donc l’intérêt de Total pour ce type de solution !
Cependant, l’argument central avancé par Total pour justifier la délocalisation du raffinage tient à la surcapacité des sites français. En réalité, il s’agit plutôt d’une inadaptation de l’outil industriel, due au manque d’investissements du groupe pétrolier. Le nombre de véhicules roulant au diesel ayant augmenté, la demande de gazole s’est accrue. Or toutes les raffineries ne sont pas techniquement en mesure d’en produire. Ainsi, la France exporte 7 millions de tonnes d’essence, mais importe 9 millions de tonnes de gazole.
Dans ce contexte, il est intéressant de noter que, à Fos-sur-Mer, Esso va accroître sa capacité de production de 14 000 barils par jours. La demande existe bien ! Il suffit donc d’investir dans l’outil industriel pour mieux adapter la production aux besoins. Le groupe Total, pour ne citer que lui, a les moyens de tels investissements, compte tenu des profits colossaux qu’il réalise.
La fin de l’ère pétrolière n’est donc pas encore d’actualité. Toutefois, la fermeture progressive des sites de raffinage en France et en Europe, si elle se confirmait, aurait pour conséquence la concentration entre les mains des pays producteurs de tous les outils industriels nécessaires, avec la complicité intéressée des grands groupes pétroliers.
Rappelons que les pays membres de l’OPEP détiennent plus de 70 % des réserves mondiales, correspondant à environ quatre-vingt années de production. À titre de comparaison, les réserves prouvées des États-Unis et de la Russie ne représentent, respectivement, que douze et dix-sept années de production.
Aujourd’hui, 60 % du transport mondial de brut est assuré par la mer. La flotte dédiée au transport de brut est plus importante que celle qui charge des produits raffinés. Mais le rapport pourrait rapidement s’inverser, grâce aux progrès techniques en matière de sécurité des navires pétroliers, notamment avec les bâtiments à double coque.
Or le transport par voie maritime des produits raffinés, outre qu’il a un coût environnemental, présente l’inconvénient majeur, pour les pays importateurs, d’aggraver l’instabilité des prix. En effet, un bateau peut se dérouter facilement pour livrer sa cargaison au demandeur le plus offrant, comme cela s’est passé pour le gaz naturel liquéfié voilà quelques années. L’instabilité est encore renforcée si le produit livré est déjà raffiné. Jusqu’à présent, l’implantation des sites de raffinage permettait une certaine sécurité dans l’exécution des livraisons, le produit – le brut – devant être transformé. Désormais, il suffira de disposer d’une unité de stockage pour réceptionner les produits raffinés, le point de livraison étant fonction du plus offrant et du jeu de la spéculation.
La délocalisation du raffinage, outre les graves conséquences qu’elle aurait sur l’emploi industriel, entraînerait inévitablement une hausse du prix du carburant à la pompe et de la matière première indispensable, notamment, à la pétrochimie. La France, si elle abandonnait cette industrie, accroîtrait donc sa dépendance au pétrole, en devenant rapidement un importateur de produits pétroliers raffinés, très sensibles à la spéculation.
C’est pourquoi nous attendons du Gouvernement, qui prétend fréquemment vouloir moraliser le capitalisme, qu’il prenne des décisions contraignantes à l’égard des grands groupes pétroliers afin de préserver l’activité de raffinage en France, ce qui permettra de garantir l’avenir énergétique et industriel de notre pays et de contribuer à assurer celui de l’Europe.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.