M. Jacky Le Menn. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il semble de bon ton aujourd’hui dans les milieux patronaux et leur soutien parlementaire de parler du coût des 35 heures pour l’État et la société. Je voudrais pour ma part faire un parallèle entre les retombées positives de la loi sur les 35 heures et celles négatives de la loi du 21 août 2007 en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite « loi TEPA ».
Les lois de réduction du temps de travail ont créé au minimum 350 000 emplois, selon les estimations les plus basses, et vraisemblablement beaucoup plus. En revanche, il ne fait aucun doute que la loi TEPA est un puissant obstacle à la création d’emplois et qu’elle coûte fort cher aux contribuables.
L’exonération des heures supplémentaires prévue par la loi TEPA incite les employeurs à remplacer des hausses de salaire par des heures supplémentaires afin de payer moins de cotisations.
Dans certaines branches, la promulgation de cette loi a surtout permis de blanchir des heures supplémentaires, les employeurs ayant désormais tout intérêt à les déclarer ; ce qui ne crée aucun emploi nouveau.
Mme Raymonde Le Texier. Absolument !
M. Jacky Le Menn. Pour gagner plus, le salarié doit travailler plus, donc sans amélioration de sa condition, mais au contraire avec une détérioration possible de sa situation personnelle, familiale, voire de santé en ce qui concerne notamment les métiers les plus pénibles, ceux où les salaires sont aussi les plus bas et où les heures supplémentaires sont le plus facilement acceptées par les salariés, et pour cause…
En 2009, les heures supplémentaires comptabilisées s’établissaient à près de 676 millions, soit l’équivalent de 434 000 emplois à temps plein non créés. Ces heures supplémentaires ont par ailleurs coûté 2,7 milliards d’euros d’exonération de cotisations sociales et 1,3 milliard d’euros d’exonération d’impôts sur le revenu.
En deux ans, le dispositif relatif aux heures supplémentaires de la loi TEPA aura coûté 7 milliards d’euros. Dans le même temps, le nombre de chômeurs inscrits à Pôle emploi s’est accru de 588 000.
Mme Annie David. Et voilà !
M. Jacky Le Menn. À l’inverse de la réforme des 35 heures, la loi TEPA est donc une loi qui ne vise qu’à augmenter les profits, non seulement sans contrepartie nouvelle pour les salariés de la part de l’employeur – puisque c’est le budget de l’État qui prend en charge la défiscalisation et l’exonération des cotisations –, mais au détriment des contribuables et de l’emploi, sans parler de l’offense à l’idée de justice que représente le bouclier fiscal au cœur de cette loi, ainsi que le souligne notamment le président de la commission des finances de notre assemblée.
Je vous demande donc, madame la secrétaire d’État, quelles dispositions vous entendez prendre pour mettre fin aux effets pervers de la loi TEPA…
M. Charles Gautier. Voilà !
M. Jacky Le Menn. … qui contribue à augmenter les difficultés financières de l’État sans résoudre le problème du chômage, auquel s’étaient pour leur part courageusement attaquées les lois Aubry sur les 35 heures, avec des résultats positifs avérés qui ne peuvent être niés, nonobstant le présent débat, un brin surréaliste, vous me le concéderez ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. Effectivement, il est quelque peu surréaliste que, dans ce débat sur le coût des 35 heures, la loi TEPA, le bouclier fiscal, le bouclier social et que sais-je encore (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste)…
M. Alain Gournac. Oh oui !
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. … viennent animer la conversation dans la partie gauche de l’hémicycle !
C’est la raison pour laquelle je n’ai pas vu quelles réponses je pouvais apporter à certaines des questions qui m’ont été posées, comme si nous étions en train de modifier la loi de 2008 ! Cette loi a été votée dans les conditions qu’a rappelées Laurent Wauquiez. Pour que cela soit clair pour tout le monde, j’indique qu’il n’est pas question aujourd’hui d’un nouveau texte sur ce sujet.
M. Charles Gautier. Et bien voilà, c’est clair !
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. Cela dit, compte tenu de la situation de l’emploi, elle-même liée à la crise mondiale et à la chute de l’emploi dans tous les pays européens, …
Mme Annie David. Cela n’a donc rien à voir avec les 35 heures. Il faudrait savoir !
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. … la loi TEPA a eu des effets positifs, car elle a permis de libérer de l’activité supplémentaire.
M. Charles Gautier. Ah bon ?
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. Voilà à quoi a servi la loi TEPA. Elle est encore plus utile en période de crise que lorsque nous l’avons fait adopter. Ce que nous souhaitons, c’est amortir les pertes d’emplois.
Madame David, je vous entendais reprocher à Laurent Wauquiez tout à l’heure, pendant qu’il s’exprimait à la tribune, qu’il ne s’intéressait qu’à l’emploi ! Eh bien, oui, nous nous intéressons à l’emploi !
Mme Annie David. Je n’ai pas dit cela ! Nous, nous nous intéressons à l’emploi, mais vous aux employeurs !
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. En tout cas, l’emploi est pour nous la priorité, comme pour tous les Français. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Madame la secrétaire d’État, pour sortir de la caricature, il est utile de rappeler que deux critères sont essentiels pour juger de la situation d’un pays. Le premier, c’est l’évolution de la productivité par tête, le second, c’est le développement des exportations.
Je constate, à la lecture des rapports de l’OCDE, c'est-à-dire d’un organisme extérieur, que la productivité par tête en France a crû de 1 % à partir de 1996, alors que, de 1970 à la fin des années quatre-vingt-dix, elle avait progressé de 1,5 % à 2 % par an, soit plus que la productivité des pays européens comparables.
Mme Gisèle Printz. C’est hors sujet !
M. Jean-Pierre Fourcade. Il s’agit là de faits statistiques précis.
Par ailleurs, madame la secrétaire d’État, à quelle date les entreprises françaises ont-elles commencé à perdre des parts de marchés ? Chacun sait qu’elles en ont perdu beaucoup récemment du fait de la crise – c’est un facteur aggravant que personne ne peut nier –, mais les pertes de parts de marché ont commencé à partir de l’année 1995. Combien de parts de marché avons-nous perdu à l’échelon de l’Union européenne d’une part et hors de l’Europe d’autre part ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. Je tiens tout d’abord à souligner le grand intérêt des travaux effectués par le groupe UMP pour préparer ce débat (Rires et exclamations sur les travées du groupe socialiste), notamment la compilation d’un certain nombre de données tout à fait objectives de l’OCDE, du FMI, de l’OMC et du BIT. Ces travaux, que j’ai lus pour préparer mon intervention afin de remplacer Laurent Wauquiez, sont d’une très grande qualité et méritent d’être connus de tous.
Ces informations montrent que la France a amélioré sa productivité horaire du travail et qu’elle a fait baisser, grâce aux allégements de charges, mais aussi à la modération imposée en contrepartie de la mise en œuvre des 35 heures, le coût global du travail. Tout cela nous a permis de maintenir notre rang en termes de parts de marché mondiales, même si, dans le même temps, nous avons dû réduire les marges de nos entreprises, c’est-à-dire leurs capacités d’investissement et d’innovation.
Si l’on compare les courbes de la France et celles de l’Allemagne ou de l’Italie – ces pays, et non la Chine, sont nos principaux compétiteurs, comme le disait Gérard Longuet tout à l’heure –, on constate une rupture au début des années deux mille entre la compétitivité en matière de coûts de l’Allemagne et celle de la France. Cette rupture s’observe également sur les marges des entreprises et sur leurs capacités d’investissement.
Mme Gisèle Printz. Les Allemands travaillent 33 heures par semaine !
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. Jusqu’à l’année dernière, l’Allemagne était le premier exportateur mondial. Elle vient juste d’être dépassée par la Chine, mais elle conserve 10 % des parts de marché mondiales, alors que la France est malheureusement, depuis le milieu des années deux mille, à la suite des évolutions en termes de compétitivité et de coûts que je viens d’évoquer, passée en dessous de 4 %, talonnée par les Italiens.
Notre politique économique, qui est fondée sur la recherche de l’innovation et de la compétitivité et qui se traduit par les différentes mesures que vous connaissez, vise évidemment à nous permettre de nous mesurer valablement et positivement, de manière combative, à nos voisins, alors que nous subissons le contrecoup des divergences entre le coût du travail en France et celui de l’Allemagne.
M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.
M. Didier Guillaume. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce débat, organisé sur l’initiative du groupe UMP, est important. Or, alors qu’on parle depuis dix ans de la loi sur les 35 heures, je constate, madame la secrétaire d’État, que votre collègue n’a répondu à aucune des cinq questions posées par les orateurs du groupe socialiste.
Assistons-nous à un jeu de rôle entre le Gouvernement et le groupe UMP ? Si tel est le cas, c’est réussi ! En revanche, chers collègues de la majorité, si votre but est de trouver des solutions pour la France et d’améliorer sa situation économique et si vous croyez vraiment à ce que vous dites, c’est simple : supprimez la loi sur les 35 heures, revenez aux 39 heures ! Mais vous savez très bien que ce n’est pas la solution. Aucun économiste sérieux – je dis bien aucun ! – ne fait une telle proposition, car elle est plus que caricaturale. Une telle solution est impensable, sauf, évidemment, pour vos amis du patronat !
En fait, vous cherchez un bouc émissaire pour satisfaire la frange dure de votre électorat, qui pense que les 35 heures sont une catastrophe. Telle est la raison pour laquelle vous avez souhaité l’organisation de ce débat. Son compte rendu sera publié au Journal officiel, mais rien ne changera. Ainsi iront les choses jusqu’en 2012. Le peuple vous a pourtant adressé un message il y a quinze jours. Continuez comme cela, et peut-être vous adressera-t-il le même message en 2012…
Pour notre part, nous pensons que les 35 heures ne sont peut-être pas la panacée, mais qu’elles sont néanmoins une avancée sociale…
Mme Annie David. Exactement !
M. Didier Guillaume. … créatrice d’emplois. Ainsi, dans mon département touristique, heureusement que des gens profitent de leurs RTT pour venir passer des vacances dans nos gîtes, dans nos chambres d’hôtes, et dépenser de l’argent. Où en serait l’économie sans cela ?
Enfin, permettez-moi de vous dire, madame la secrétaire d’État que, selon moi, c’est la loi TEPA qui plombe l’économie.
Mme Annie David. Bien sûr que c’est elle !
M. Didier Guillaume. Tout à l’heure, un orateur du groupe UMP a cité Manuel Valls avec délectation. Permettez-moi, pour ma part, de citer un candidat à l’élection présidentielle, l’un de vos amis, à savoir M. de Villepin. Lors d’une conférence de presse qu’il a donnée la semaine dernière, il a expliqué que, en période de crise, on ne ferait pas redémarrer l’économie en diminuant par deux le nombre de fonctionnaires ou en conservant le bouclier fiscal. Alors, si vous voulez vraiment faire redémarrer l’économie, …
Mme Annie David. Écoutez Villepin !
M. Didier Guillaume. … revenez sur les 35 heures, supprimez le bouclier fiscal, et on verra ce qu’il en est. En fait, vous ne ferez ni l’un ni l’autre. C’est dommage ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Ma question s’adresse à Mme la secrétaire d’État chargée du commerce extérieur, qui exerce sa mission sous l’autorité de Mme la ministre de l’économie.
Mme Lagarde a ouvert publiquement un débat, à l’occasion de l’interview qu’elle a donnée au Financial Times, sur la question de la coopération des grands pays européens en matière de soutien à la conjoncture, en particulier sur la contribution de l’Allemagne. Un tel débat est légitime.
En effet, nous avons soutenu l’Allemagne lors de sa réunification en acceptant des taux d’intérêt élevés, que seul justifiait l’échange entre le mark de l’Est et le deutschemark. Cet effort de solidarité, tous les pays européens, en particulier la France, l’ont assumé. Il s’est traduit pendant près de dix ans par des taux de croissance plus faibles que celui des États-Unis, par exemple, mais c’était le prix de la solidarité pour l’unité allemande.
Il n’est donc pas complètement anormal aujourd'hui, alors que nous connaissons une crise mondiale, que nous posions la question de la solidarité de l’Allemagne envers les autres pays européens. À cet égard, nous ne pouvons que nous réjouir de la réponse apportée à la crise grecque par l’entente entre Mme Merkel et M. Sarkozy.
Je vais maintenant m’adresser à notre collègue Didier Guillaume. Non, cher collègue, ce débat n’est pas un jeu de rôle. (Mme Annie David s’exclame.) Nous mettons en œuvre la Constitution et nous exerçons notre mission – qui est également la vôtre – de contrôle de l’action gouvernementale. (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Christiane Demontès. Quel contrôle ?
M. Gérard Longuet. Nous ouvrons un débat sur des questions auxquelles nous n’avons pas toujours obtenu de réponses et nous le faisons en séance publique, ce qui permettra à l’opinion d’être juge et des questions et des réponses. Vous devriez vous en réjouir. (Mme Christiane Demontès s’exclame.)
J’en viens à la question précise que je souhaite poser à Mme Idrac sur l’évolution des coûts du travail, en particulier dans les industries de biens d’équipements, qui sont tirées par l’exportation mondiale. L’Allemagne excelle dans ces industries, même si nous obtenons, nous aussi, de bons résultats, notamment dans les domaines de l’énergie, de l’aéronautique, des équipements spatiaux ou dans le secteur des télécommunications.
Madame la secrétaire d’État, pourriez-vous indiquer au Sénat comment ont évolué les coûts salariaux en Allemagne, en particulier après que le Gouvernement social-démocrate de Gerhard Schröder a lancé la politique dite de l’ « Agenda 2010 » ? Cette politique visait à ramener les coûts salariaux de l’industrie allemande dans des normes compatibles avec sa compétitivité internationale. Elle explique sans doute le fait que les parts de marché de l’Allemagne dans le commerce mondial atteignent 10 % lorsque les nôtres se maintiennent à 4 %. Je rappelle au demeurant que les populations allemandes et françaises ne sont pas les mêmes et que l’industrie allemande représente deux fois l’industrie française.
Pour finir, j’indique à nos collègues de l’opposition que les heures supplémentaires sont, en période de crise économique, la meilleure réponse, car elles permettent à l’entreprise de créer immédiatement de la richesse, laquelle est ensuite redistribuée à nos compatriotes. (Exclamations indignées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Annie David. Et les chômeurs en fin de droit ? Ce serait bien de redistribuer, en effet !
M. Gérard Longuet. Elles permettent à des entreprises de service, de commerce ou d’artisanat de profiter du pouvoir d’achat qui a ainsi été accordé aux salariés.
Mme Raymonde Le Texier. Et les chômeurs ?
M. Gérard Longuet. Elles sont une réponse rapide et immédiate. Elles permettent d’accélérer ou de freiner. Une voiture ne va jamais aussi vite que si elle est en mesure de s’arrêter au premier virage… (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. L’intervention de Gérard Longuet tombe d’autant mieux que Christine Lagarde assiste cet après-midi au conseil des ministres allemand pour y travailler avec nos amis d’outre-Rhin sur les questions de régulation bancaire et d’encadrement d’un certain nombre de pratiques financières.
M. Charles Gautier. Si ce n’est pas télécommandé, cela…
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d'État. Il est très important que nous travaillions main dans la main sur les problèmes d’ordre financier et industriel afin de favoriser une maîtrise commune de la reprise et de trouver des solutions aussi coordonnées que possible aux difficultés liées à la crise.
Pour répondre à votre question précise, monsieur le sénateur, je rappellerai qu’un certain nombre de données, y compris celles qui ont été publiées dans le rapport du groupe UMP que j’ai évoqué tout à l’heure, montre que l’évolution des coûts salariaux unitaires en France est demeurée proche de celle de la zone euro, mis à part celle de l’Allemagne.
L’Allemagne a effectivement, comme vous l’avez rappelé, et comme je le disais tout à l’heure, mené une politique tout à fait différente. L’Agenda 2010 de Gerhard Schröder a lancé l’Allemagne sur une trajectoire décalée par rapport à celle des autres pays de la zone euro, notamment de la France, marquée, quant à elle, par la mise en œuvre des 35 heures à la fin des années quatre-vingt-dix.
La France a mis en œuvre une modération salariale défensive, destinée à contrebalancer les effets des 35 heures, tandis que les Allemands menaient une politique de modération salariale décidée avec les partenaires sociaux, privilégiant l’emploi, notamment l’emploi industriel. La modération salariale à l’allemande est offensive. Son but est d’accroître la compétitivité des entreprises, ce que nous cherchons à faire désormais en France aussi.
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Claude Jeannerot.
M. Claude Jeannerot. Après avoir écouté attentivement M. le secrétaire d’État chargé de l’emploi et Mme la secrétaire d’État chargée du commerce extérieur, j’ai une pensée pour les citoyens de mon département.
Savez-vous que le chômage a progressé dans ma région, au cours des douze derniers mois, de plus de 35 %, du fait même de la vocation industrielle de ce territoire ?
Croyez-vous donc, sans rire, que la question des 35 heures est bien celle du moment et que c’est la préoccupation majeure de nos concitoyens ? Pour ma part, je ne le crois pas. Il suffit de les interroger pour savoir que la première question qui les préoccupe est celle de l’emploi, du chômage.
Mes chers collègues, je souhaite revenir sur un sujet d’actualité, que Jacky Le Menn a abordé de façon très argumentée.
Ne croyez pas que nous soyons obsédés par la loi TEPA ; mais il faut bien rappeler qu’elle a été imaginée dans un contexte d’avant-crise. Je vous demande d’accepter, car c’est notre rôle de parlementaires, de reconsidérer la disposition instaurant la défiscalisation des heures supplémentaires et d’admettre cette idée très simple : cette disposition n’est plus adaptée à la situation actuelle.
La défiscalisation des heures supplémentaires peut se comprendre dans un contexte de suremploi, car c’est une manière d’inciter les travailleurs à s’engager dans cette voie. Mais vous reconnaîtrez que cette mesure est une aberration économique dans un contexte de sous-emploi et de crise ; tous s’accordent à le reconnaître.
Savez-vous que nous sommes le seul pays dans le monde à subventionner la destruction d’emplois ? Car c’est bien ce que signifie cette défiscalisation des heures supplémentaires !
Mme Christiane Demontès. Eh oui !
M. Claude Jeannerot. Jacky Le Menn a indiqué quel était le nombre d’emplois correspondant aux heures supplémentaires financées : cette mesure revient à subventionner, avec des fonds publics, la destruction organisée d’emplois. Comment pouvons-nous accepter une telle situation ?
Madame la secrétaire d’État, je vous le demande à nouveau au nom de mon groupe : quand allez-vous revenir sur cette disposition, qui est une véritable aberration sur le plan tant économique que social ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État. Bien évidemment, monsieur le sénateur, la question de l’emploi, ou plutôt – malheureusement ! – du chômage qui frappe notre pays, ne peut être abordée qu’avec gravité et engagement, comme le font Laurent Wauquiez et les membres du Gouvernement.
M. Charles Gautier. M. Wauquiez n’a pas jugé bon d’en parler !
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État. M. Longuet a fait une très bonne analyse de la défiscalisation des heures supplémentaires : en période de crise, il s’agit d’une souplesse permettant de donner davantage de pouvoir d’achat, et donc de soutenir la consommation.
Mme Christiane Demontès. Pour quelques-uns !
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État. Si l’on compare la France à ses voisins européens, on constate que la consommation y est le moteur le plus important de l’activité économique. Je vous rappelle également qu’entre 2008 et 2009 il y a eu 50 millions d’heures supplémentaires en moins. Ces deux arguments nous permettent d’affirmer que le dispositif de la loi TEPA joue d’abord et avant tout un rôle d’amortisseur de la crise,...
Mme Christiane Demontès. Vous croyez vraiment ce que vous dites ?
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État. ... et facilite les adaptations nécessaires en cette période difficile.
M. Paul Blanc. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Nous débattons depuis une heure environ et j’ai l’impression que nos collègues de la majorité ne se rendent pas compte que le temps de travail diminue actuellement dans notre pays.
Il y a deux façons de faire diminuer le temps de travail : en mettant de nombreuses personnes au chômage, ou bien en réduisant le temps de travail pour tous afin que chacun ait un emploi.
Effectivement, il y a une ligne de clivage entre nous. Nous avons choisi de diminuer le temps de travail pour tous afin que tout le monde puisse travailler. Quant à vous, vous préférez qu’une minorité ou une partie de la population travaille de plus en plus, tandis que l’autre partie est au chômage ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Fouché. Il n’y a pas de crise, selon vous !
M. Alain Gournac. Les 35 heures, cela ne marche pas !
M. Martial Bourquin. Pourquoi cela ? Parce que le chômage de masse permet d’exercer une pression intolérable sur les salariés, qui doivent travailler plus et dans de mauvaises conditions.
Mme Annie David. Et ne plus revendiquer !
M. Martial Bourquin. Cela permet de dire à ceux qui ne sont pas contents que vingt personnes attendent à la porte de l’entreprise pour occuper leur emploi ! Voilà pourquoi vous avez choisi la première solution : parce qu’elle correspond à votre conception ultralibérale de la société.
Pour notre part, nous avons une conception keynésienne de la société, dans laquelle le plein-emploi doit être une obsession.
M. Alain Fouché. C’est facile à dire !
M. Martial Bourquin. Enfin, il ne faudrait pas dire n’importe quoi s’agissant de l’Allemagne. Nous sommes en contact avec des syndicalistes allemands de Volkswagen : le temps de travail dans cette entreprise y est de 33 heures par semaine !
M. Gérard Longuet. Mais combien de semaines par an ? Ce chiffre ne veut rien dire !
Mme Annie David. Eux aussi, ils ont des congés payés !
M. Martial Bourquin. La taxe professionnelle existe en Allemagne : Volkswagen la paie et verse des salaires supérieurs de 20 % à 30 % aux salaires français. Et pourtant, les voitures allemandes sont fabriquées à 80 % en Allemagne.
Il s’agit d’un choix politique du gouvernement allemand, mes chers collègues ! Les Länder et l’État allemand ont décidé, à un moment donné, de mener une véritable politique industrielle, notamment dans le secteur de la machine-outil, alors même que la France se perdait dans la finance. Voilà la réalité ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Alain Gournac.
M. Alain Gournac. Je souhaite insister, madame la secrétaire d’État, sur la question du coût humain des 35 heures.
Alors même qu’une mission sénatoriale se penche sur les difficultés rencontrées par les salariés au sein des entreprises, nous devons convenir que la mise en place des 35 heures a bien souvent créé de la souffrance au travail et des situations de non-communication. (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Christiane Demontès. C’est faux ! C’est scandaleux !
Mme Annie David. Ce ne sont pas les 35 heures, mais les conditions de leur mise en œuvre !
M. Alain Gournac. Laissez-moi parler ! Nous vous avons écouté, même avec vos histoires de 33 heures...
M. Martial Bourquin. C’est pourtant vrai !
M. Jean-Jacques Mirassou. Ce ne sont pas des histoires, c’est la vérité !
M. Alain Gournac. Sur combien de semaines ? Et cela ne concerne pas toute l’Allemagne !
Nous devons donc prendre en compte, disais-je, les difficultés humaines que les 35 heures ont créées au sein des entreprises : on n’y a même plus le temps de prendre un petit café, de se passer les consignes, bref de travailler de façon digne.
Mme Christiane Demontès. Arrêtez !
Mme Annie David. Ce n’est pas la faute des 35 heures !
M. Alain Gournac. Regardez l’hôpital ! Je le déclare ici : vous avez tué l’hôpital...
M. Jacky Le Menn. Et votre réforme hospitalière, elle ne l’a pas tué ?
M. Alain Gournac. Il faut aussi considérer l’aspect humain des choses !
J’ai entendu nos collègues socialistes dire que les 35 heures permettaient le partage du travail. Mais où ? Et quand ? Dans quelle situation ? Le partage du travail n’a fonctionné nulle part ! Si c’était le cas, ce serait miraculeux...
Je n’ai pas entendu M. Wauquiez évoquer le coût humain des 35 heures, cette souffrance des personnels que l’on a « bousculés ». Comme l’a dit devant la mission le représentant de la CFDT, lorsque la mise en place des 35 heures a été décidée, on a négligé le problème des conditions de travail.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État. C’est effectivement l’un des aspects des 35 heures. (M. Alain Gournac opine.)
Ce problème est patent à l’hôpital, pour les infirmières, les médecins et les malades, mais également dans la fonction publique d'État et au sein de nombreuses entreprises, en tout cas pour les salariés qui ont dû supporter les efforts de productivité consécutifs à la mise en place des 35 heures.
Mme Annie David. Consécutifs à la nouvelle organisation mise en place, pas aux 35 heures !
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État. Ces salariés, ces ouvriers, ont fait des efforts de productivité extraordinaires, imposés par les 35 heures, et nous avons pu en observer les conséquences négatives, notamment en termes de stress au travail.
Mme Annie David. C’est faux !
Mme Christiane Demontès. Avez-vous entendu les Français vous dire cela ?
Mme Anne-Marie Idrac, secrétaire d’État. Certes, de nombreux cadres ont pu trouver cette réforme sympathique, grâce aux jours de RTT, mais ce n’est pas notre vision des choses. Ce que nous voulons, c’est une durée du travail négociée et adaptée à chaque entreprise, afin de permettre une meilleure compétitivité et un meilleur équilibre de vie pour les salariés. C’est exactement ce que nous enseigne le modèle allemand : une négociation entreprise par entreprise, avec comme objectif l’emploi par la croissance de l’activité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Annie David. C’est incroyable !
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier.
Mme Raymonde Le Texier. M. Gournac considère que les 35 heures sont la cause du stress au travail et des drames qui peuvent s’ensuivre.
M. Alain Gournac. Oui, c’est vrai !