M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d’État. L’article 3 crée un chapitre consacré au correspondant « informatique et libertés », le CIL, au sein de la loi de 1978.
Actuellement, la désignation d’un correspondant à la protection des données est une faculté ; elle doit le rester. En effet, l’état actuel du droit permet à celui qui fait usage de cette faculté et qui crée un traitement de données soumis à déclaration préalable d’être dispensé d’accomplir cette formalité auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL. Le dispositif est donc équilibré.
Le texte de la proposition de loi soulève plusieurs difficultés.
Tout d’abord, il serait difficile à mettre en œuvre. Ainsi, le seuil à partir duquel un correspondant devrait obligatoirement être nommé est particulièrement malaisé à identifier. Contrairement à l’identification du nombre d’employés travaillant dans un organisme, le nombre de personnes chargées de la mise en œuvre du traitement n’est pas facile à déterminer.
De surcroît, l’article 3 opère un bouleversement de la nature même de l’institution du correspondant. Actuellement, les correspondants à la protection des données sont un vecteur de diffusion de la culture de la protection des données d’autant plus efficace que leur création repose sur le volontariat, élément indispensable à la création d’un lien de confiance entre l’organisme et le correspondant. C’est d’ailleurs ce qu’indiquait M. Alex Türk, alors rapporteur au Sénat de la loi du 6 août 2004, qui a, vous le savez, transposé la directive de 1995.
À l’inverse, l’article 3 met en œuvre une logique de contrainte. D’une part, la désignation d’un correspondant deviendrait obligatoire, comme si, en son absence, les organismes concernés ne pouvaient satisfaire à leurs obligations en matière de protection des données. D’autre part, le choix de la personne désignée devrait nécessairement recueillir l’aval de la CNIL, exigence qui priverait les organismes susvisés d’une autonomie de gestion pourtant élémentaire.
Enfin, le correspondant serait tenu d’informer la CNIL de toute difficulté rencontrée dans l’exercice de ses missions, et la CNIL serait ipso facto dotée d’un pouvoir général d’intrusion dans les affaires internes de l’organisme concerné. Cette disposition risque de se révéler contre-productive et porterait atteinte à l’image dont jouit aujourd’hui la CNIL auprès tant des entreprises que des administrations : la CNIL sortirait en quelque sorte de son rôle, sauf à vouloir lui conférer une mission extrêmement intrusive, qui confinerait à l’inapplicabilité.
Une telle généralisation du correspondant « informatique et libertés » conduirait également à la désignation de nombreux correspondants dans les services de l’État, des collectivités locales, voire des assemblées délibératives. L’animation de ce réseau alourdirait plus la tâche de la CNIL qu’elle ne la faciliterait : cette commission n’a d’ailleurs pas demandé que l’institution du correspondant « informatique et libertés » devienne obligatoire.
Dans les administrations de l’État, cette obligation créerait la confusion avec les correspondants désignés dans chaque ministère qui assurent la coordination de l’application de la loi de 1978 au sein des administrations et qui sont des interlocuteurs privilégiés du commissaire du Gouvernement auprès de la CNIL. Enfin, le Gouvernement n’entend pas désigner de correspondants dans les services déconcentrés de l’État.
Il paraît donc préférable de ne prévoir l’institution des correspondants à la protection des données que dans des administrations et des entreprises volontaires. Dans les autres cas, conservons une séparation claire entre les obligations du responsable de traitement et le contrôle du respect de ces obligations par un organisme extérieur. Je rappelle que la CNIL dispose de pouvoirs de contrôle a posteriori depuis l’adoption de la loi du 6 août 2004.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement a déposé l’amendement n° 30, qui tend à la suppression de l’article 3.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Monsieur le secrétaire d’État, je suis très embarrassé parce que je suis obligé de défendre des arguments contraires aux vôtres. Je le regrette, mais il faut pourtant que je le fasse. (M. Bernard Frimat ironise.)
L’article 3 est l’un des cœurs du dispositif. Avec l’accord des auteurs de la proposition de loi, la commission des lois l’a remanié pour lui donner une force nouvelle. Le correspondant « informatique et libertés » n’est pas l’observateur, ni l’homme ou la femme de la CNIL. Il représente l’assurance, pour tous ceux qui ont à traiter des fichiers importants, que tout se passera bien.
Si vous me permettez la comparaison, à une époque, l’assurance automobile était facultative : elle a été rendue obligatoire parce que la vie des citoyens et la protection de leurs droits étaient en cause. Des assurances couvrant de tels risques sont justifiées.
Le CIL est donc une assurance : il faut l’envisager selon une approche nouvelle et ne pas le considérer comme étant l’œil de la CNIL, à l’origine de contrôles tatillons, comme une charge nouvelle ou une entrave à la liberté d’entreprendre ! Pour le citoyen, il représente une protection, qui doit être assurée de manière interactive. D’une part, la CNIL doit savoir ce qui se passe sur le terrain, connaître les difficultés rencontrées par les gestionnaires des fichiers pour effectuer leur mission dans les meilleures conditions. Ainsi, elle pourra parfois prendre des décisions plus adaptées au monde dans lequel l’informatique circule et vit. D’autre part, les gestionnaires de fichiers pourront également mieux connaître les exigences de la CNIL. On travaille beaucoup mieux en étant informé. Surtout, si l’on sait que le correspondant « informatique et libertés » est disponible en cas de difficulté et peut prendre les choses en main, on dispose d’une assurance importante et utile.
Avec l’article 3, la commission des lois recherche donc un changement d’état d’esprit et d’approche.
Le CIL doit être non plus le représentant de la CNIL qui supervise les actions, mais un partenaire, celui que j’ai appelé, pour reprendre le néologisme que j’ai utilisé dans mon discours liminaire, le « facilitateur », le conseiller et non le contrôleur, celui qui aide et non celui qui bloque. Tel est l’esprit de l’article 3.
Le correspondant est donc vraiment au cœur du dispositif, et il faut le rendre obligatoire ; si sa désignation est facultative, elle n’interviendra pas et l’état d’esprit ne changera pas. Or il importe de donner un signal fort afin que l’on puisse aller de l’avant.
Certes, le seuil de cinquante personnes est peut-être trop bas. Mais, monsieur le secrétaire d’État, si nous l’avons retenu, c’est parce que votre décret autorise la mutualisation à partir de cinquante personnes. Nous avons pensé en toute honnêteté que si vous aviez fixé ce chiffre, c’était parce que vous saviez ce qu’il représentait. Donc nous avons suivi le Gouvernement.
Cela étant, comme je l’ai également souligné lors de la discussion générale, la commission des lois est ouverte à certaines adaptations, et nous examinerons tout à l'heure un amendement visant à porter de cinquante à cent ce seuil numérique. La commission s’en remettra alors à la sagesse de la Haute Assemblée, ce qui montre bien son ouverture.
Mais il faut changer l’état d’esprit actuel et bien montrer que le CIL n’est pas un contrôleur, mais vient aider les entreprises et protéger ceux dont les données font l’objet d’un traitement informatique.
Pour toutes ces raisons, vous comprendrez que la commission des lois émette un avis défavorable sur l'amendement n° 30.
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour explication de vote.
M. Yves Détraigne. Monsieur le secrétaire d’État, le correspondant « informatique et libertés » dans l’entreprise ne représente ni une contrainte ni une charge. D’abord, il est normalement choisi parmi le personnel déjà présent dans l’entreprise. Ensuite, il n’est pas là pour empêcher l’entreprise de fonctionner ; son rôle est au contraire de diffuser une culture de protection des données et, d’une certaine manière, d’assurer l’entreprise que personne, au sein de ses services, ne « bricole » de données sensibles. C’est une garantie, une assurance pour l’entreprise, pour reprendre l’expression qu’a utilisée M. le rapporteur, et c’est donc, selon moi, un élément tout à fait positif.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier, pour explication de vote.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le secrétaire d’État, vous avez utilisé le mot « intrusion », mais je ne vois pas en quoi l’obligation de nommer un CIL lui conférerait un caractère intrusif.
Je souligne qu’il existe actuellement dans les services de différentes administrations – vous l’avez d'ailleurs indiqué – des délégués remplissant exactement la même mission que les CIL. Seule la terminologie diffère. Je ne comprends donc pas pourquoi, aujourd’hui, nous devrions, en vertu de votre remarque, sacrifier la création de ces correspondants « informatique et libertés », que demandent, comme je l’ai souligné dans mon propos liminaire, les collectivités locales. L’association de ces correspondants en a fait la demande expresse en soulignant l’intérêt qu’ils présenteraient pour les collectivités locales comme garants d’un bon fonctionnement de l’informatique.
M. le président. La parole est à M. Charles Gautier, pour explication de vote.
M. Charles Gautier. L’histoire de notre économie, de notre industrie, de notre société est constituée de différentes époques. Aujourd’hui, à travers la question dont nous discutons, nous constatons que nous sommes justement à l’orée d’une époque nouvelle, face à un domaine qui reste à défricher. Certes la tâche est difficile mais, par le passé, nous avons eu à connaître de problèmes similaires.
Plusieurs de mes collègues ont pris comme référence l’assurance. Sans rajouter à ce qui vient d’être dit – j’y souscris complètement –, je me permettrai de faire un parallèle avec ce qui, dans le monde du travail, relève de l’hygiène et de la sécurité. Après l’époque de la machine, celle de l’organisation du travail, on a imposé à un certain nombre d’entreprises la désignation, au sein de leur personnel, des personnes garantes de l’hygiène et de la sécurité au travail. Il s’agit non pas de la visite d’un inspecteur de la direction du travail mais bien de délégations à l’intérieur de l’entreprise.
La création des CIL est une initiative de même nature, à l’intérieur d’une entreprise, et non pas d’une petite entreprise qui serait dépassée par les problèmes. On reparlera tout à l’heure des chiffres, mais lorsque cinquante personnes ont à connaître et à gérer des fichiers, il s’agit là d’une entreprise de belle dimension. À l’intérieur de cette entreprise sera désigné le pilote, en quelque sorte, qui aura pour mission de protéger tout le monde. Il s’agit non pas d’être contre-performant mais de mettre l’entreprise ou l’administration à l’abri de difficultés inhérentes à la pratique d’une technologie qui n’est aujourd’hui pas très communément maîtrisée par tous.
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par Mme Troendle et MM. Béteille, Buffet, Lefèvre et Pillet, est ainsi libellé :
Alinéa 4, première phrase
Remplacer les mots :
cinquante personnes
par les mots :
cent personnes
La parole est à Mme Catherine Troendle.
Mme Catherine Troendle. M. le rapporteur a déjà largement abordé tout à l’heure l’objet de cet amendement, mais je vais y insister avec le ferme espoir de convaincre une majorité de mes collègues de l’adopter.
L’article 3 de la proposition de loi oblige toute autorité publique ou organisme privé qui recourt à un traitement de données à caractère personnel « pour lequel plus de cinquante personnes y ont directement accès ou sont chargées de sa mise en œuvre » à désigner un correspondant « informatique et libertés ».
Par le présent amendement, nous souhaitons relever le seuil de cinquante personnes ayant les missions précédemment énoncées à cent personnes, et ce pour deux raisons.
D’abord, il n’est pas sûr que la CNIL ait les capacités de gérer un dispositif aussi important puisqu’il s’appliquera immédiatement à un très grand nombre d’organismes si le seuil de cinquante personnes est maintenu.
Ensuite, et plus fondamentalement, il ne faut pas oublier que l’esprit de la directive européenne de 1995 aux termes de laquelle a été conçue l’institution du correspondant était le volontariat. En effet, l’institution d’un correspondant suppose, pour fonctionner efficacement, l’établissement d’un lien de confiance. Ce lien de confiance s’établira plus facilement sur la base d’une démarche volontaire.
Pour autant, tout le monde s’accorde sur la nécessité de la présence d’un correspondant « informatique et libertés » dans tout organisme qui recourt à un traitement de données à caractère personnel. Aussi, il serait également important de promouvoir, par une communication largement diffusée, le recours volontaire à cette institution.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Ce qui est important, ce sont les flux, mais il faut bien aussi que soit fixé un nombre de personnes.
La commission des lois a retenu le chiffre de cinquante car, hormis le fait que ce seuil figure dans un décret, il peut inciter aussi des entreprises à rationaliser l’accès aux fichiers. En effet, comme certains me l’ont expliqué, le chiffre de cinquante est très vite atteint. « La secrétaire du patron peut, elle aussi, introduire un certain nombre de modifications au fichier », m’ont-ils dit. Non, elle n’a pas à le faire, c’est le rôle des spécialistes, et c’est une raison supplémentaire de faire appel à eux ! Le seuil de cinquante personnes avait pour finalité de rationaliser les accès aux fichiers ; ceux qui ne voulaient pas avoir de CIL ne souscrivaient pas l’assurance, mais au moins, par une telle rationalisation, ils prenaient moins de risques. Ils y avaient donc avantage.
Je me permets également de souligner que le Sénat a une correspondante « informatique et libertés » et qu’il s’en porte très bien. Je ne sais pas si l’Assemblée nationale est pourvue d’un CIL, mais, si tel n’est pas le cas, elle aurait, ainsi que l’ensemble des administrations, tout intérêt à en désigner un, car c’est une garantie, une assurance.
Cela étant, au-delà du passage de cinquante à cent personnes, l’essentiel est qu’il y ait un geste fort visant à montrer que le caractère obligatoire de cette disposition n’est pas contraignant. Il se veut simplement porteur d’un changement d’esprit ; il s’agit de faire en sorte que cette disposition représente une telle facilité qu’ensuite il ne sera plus nécessaire de la rendre obligatoire parce que tout le monde y trouvera son compte.
La commission des lois s’en remet donc à la sagesse de la Haute Assemblée sur l’amendement n° 8.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. L’excellent plaidoyer de Catherine Troendle montre bien que cette question n’est pas si anodine que cela. Si l’on parle d’un seuil, c’est parce que l’on a bien à l’esprit des lourdeurs possibles. Catherine Troendle a d’ailleurs repris l’argument du volontariat, qui est un élément de motivation, et je l’ai bien entendue.
Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 17, présenté par MM. Domeizel, C. Gautier et les membres du groupe socialiste, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 4, première phrase
Après le mot :
désigne
insérer les mots :
à partir d'un délai de deux ans après la promulgation de la présente loi
II. - Après l'alinéa 8
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Un décret pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés détermine les conditions d'application du présent article. »
La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. Je retire cet amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 17 est retiré.
L'amendement n° 10 rectifié bis, présenté par MM. Amoudry, Badré et J.L. Dupont, Mme Payet et M. Soulage, est ainsi libellé :
Alinéa 7, première phrase
Après les mots :
à la Commission
supprimer les mots :
qui peut la refuser s'il ne remplit pas les conditions de compétence visées aux deux alinéas précédents
La parole est à M. Jean-Paul Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry. L’alinéa 7 de l’article 3 prévoit que la CNIL peut refuser la désignation d’un correspondant « informatique et libertés » s’il ne possède pas les compétences requises.
Cette disposition soulève des difficultés quant au rôle de la CNIL à l’égard des organismes concernés, qu’il s’agisse des entreprises ou des administrations. En effet, il serait très difficile à la CNIL de déterminer les critères objectifs nécessaires à l’évaluation d’un défaut de compétence d’un correspondant « informatique et libertés ». Des critères tels que l’ancienneté de la personne, ses diplômes ou le poste qu’elle occupe doivent être mis en relation avec la taille de l’organisme concerné, le secteur d’activité dans lequel il évolue et la nature des données traitées.
Il apparaît ainsi que c’est le responsable de traitement qui est le mieux placé pour effectuer ce choix.
Enfin, le fait que la CNIL puisse s’opposer au choix initial d’un responsable de traitement pourrait être vécu par ce dernier comme une perte de contrôle quant à l’organisation de ses services, ce qui n’est pas souhaitable.
C’est pourquoi le présent amendement a pour objet de supprimer la possibilité pour la CNIL de refuser la nomination d’un CIL.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. Comme vous l’avez constaté à la lecture de cet alinéa, il n’est pas écrit que la CNIL doit refuser la désignation du correspondant s’il ne remplit pas les conditions de compétence mais qu’elle « peut la refuser ».
En effet, il n’est pas question que la CNIL devienne la direction des ressources humaines de toutes les entreprises de France et de Navarre ! Mais il faut aussi lancer un signal, compte tenu de ce que j’ai expliqué auparavant à propos du lien qui doit exister entre les gestionnaires de fichiers et la CNIL. Il faut que le CIL serve d’interface et qu’il ait tout de même un minimum de compétences. Cela signifie que la CNIL doit avoir la possibilité, en cas d’abus manifestes, de s’opposer à une nomination.
L’obligation de nommer un CIL peut exposer certains chefs d’entreprise à la tentation de désigner à ce poste une personne qui n’a aucune connaissance, aucune pratique en ce domaine. Il faut tout de même pouvoir s’y opposer ; sinon, tout le raisonnement que je vous ai exposé tout à l’heure sur l’assurance apportée à l’entreprise gestionnaire n’a plus de sens, et c’est cette entreprise qui paiera les pots cassés, car, entre-temps, les données personnelles d’un certain nombre de citoyens risquent de connaître de graves perturbations.
Voilà pourquoi je ne peux pas donner un avis favorable à cet amendement, même si les arguments présentés par M. Amoudry sont tout à fait pertinents. Il n’est pas question – en tout cas du point de vue du législateur – que la CNIL devienne une direction des ressources humaines. Mais elle doit garder la faculté de s’opposer à une nomination manquant de sérieux. De toute façon, ces correspondants « informatique et libertés » doivent être en contact avec la CNIL, et celle-ci se rendra très vite compte, indépendamment de tout dossier, si la personne est compétente ou non.
C’est la raison pour laquelle je souhaite que vous retiriez votre amendement, monsieur Amoudry, tout en reconnaissant qu’il part d’une très bonne analyse.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. J’ai écouté avec beaucoup d’attention votre brillante argumentation, monsieur le rapporteur. Néanmoins – j’espère que vous me pardonnerez –, il est un point sur lequel vous ne me convainquez pas entièrement ou, plus exactement, vous confortez mes doutes. Même si, je l’ai bien compris, telle n’est pas votre intention, vos propos me donnent l’impression que, au fond, ce correspondant dépendra réellement de la CNIL.
M. Christian Cointat, rapporteur. Pas du tout ! Il sera l’interface.
M. Bernard Frimat. Vous n’avez rien compris, monsieur le secrétaire d'État !
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Je pense avoir compris ! Mais on peut comprendre et exprimer un désaccord, sans pour autant devoir être désagréable ! Chaque point de vue se défend.
Donner un droit de veto à la CNIL revient, comme je l’indiquais précédemment, à lui donner un droit d’ingérence dans la gestion courante des entreprises et des administrations, point sur lequel porte notre désaccord.
Le Gouvernement s’en remet à la sagesse positive de la Haute Assemblée.
M. le président. Monsieur Amoudry, l’amendement n° 10 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Jean-Paul Amoudry. Je voudrais bien accéder à la demande de retrait de M. le rapporteur, mais l’intervention de M. le secrétaire d’État n’a fait que renforcer mon point de vue.
Si la CNIL dispose de la faculté de refuser une nomination, les entreprises, les services, les administrations sollicitant son avis prendront rapidement l’habitude de considérer une absence de refus comme un accord tacite. Si, par la suite, il s’avère que le correspondant ne remplit pas sa fonction de façon satisfaisante, la responsabilité de la CNIL ne manquera pas d’être engagée. Cette simple faculté engendre un lien hiérarchique de fait. C’est pourquoi je maintiens mon amendement.
Par ailleurs, la proposition de loi prévoit un verrou de sécurité, si j’ose dire, puisque l’article 3 dispose que, « en cas de manquement constaté à ses devoirs, le correspondant est déchargé de ses fonctions sur demande, ou après consultation, de la Commission ». Mais cette décision est prise en cours d’exercice de la fonction, et non a priori.
M. le président. L'amendement n° 15, présenté par M. C. Gautier et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 8, seconde phrase
Remplacer le mot :
consultation
par les mots :
avis conforme
La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. En déposant cet amendement, nous avons souhaité revenir aux principes qui ont guidé les auteurs de la proposition de loi.
La protection des données personnelles doit relever plusieurs défis, dont celui de l’accélération des progrès technologiques et de leur diffusion dans toutes les entreprises et sur tout le territoire.
Les chances de relever ces défis dépendent fortement des moyens qui seront dévolus à la CNIL, autorité indépendante. Si nous sommes d’accord sur l’importance grandissante des missions de cette dernière, nous devons être cohérents et lui allouer les moyens d’agir. C’est ainsi que nous renforcerons sa crédibilité et sa légitimité.
Dans le cas d’une démission d’office du correspondant « informatique et libertés », le texte initial de la proposition de loi faisait le choix d’un avis conforme de la CNIL. La commission des lois a souhaité remplacer cet avis conforme par le terme « consultation », c’est-à-dire par un avis simple.
Or l’indépendance du correspondant « informatique et libertés » est une exigence posée par le III de l’article 22 de la loi du 6 janvier 1978, et l’avis conforme de la CNIL est un élément substantiel garantissant cette indépendance.
Enfin, la notion de salarié protégé, que M. le rapporteur a évoquée à l’appui de son argumentation, relève davantage du droit social et n’est pas adaptée en la circonstance.
Nous proposons donc de rétablir l’exigence d’avis conforme inscrite dans la proposition de loi initiale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christian Cointat, rapporteur. L’examen de la présente proposition de loi est extrêmement intéressant, dans la mesure où je suis appelé à défendre une thèse et son contraire !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Vous devez plutôt répondre à des thèses contraires…
M. Christian Cointat, rapporteur. Tout à fait, c’est la défense d’un texte situé sur une ligne de crête qui m’oblige à répondre à des thèses contraires. Il s’agit d’éviter de tomber à gauche ou à droite, et bien d’aller tout droit.
Je reprendrai donc, ici, l’argument de notre collègue Jean-Paul Amoudry : il n’est pas question que la CNIL devienne la direction des ressources humaines des entreprises pour les correspondants « informatique et libertés ». C’est pourquoi l’exigence d’un avis conforme nous a paru beaucoup trop forte.
Pour aller justement dans le sens de l’équilibre, il faut veiller, tout en permettant la récusation d’un correspondant qui n’aurait pas les compétences nécessaires et aurait été désigné d’une manière un peu hâtive, à ne pas tomber dans l’excès inverse en optant pour un avis conforme. Le chef d’entreprise reste le patron.
C’est pourquoi, monsieur Gautier, je vous demande de bien vouloir retirer l’amendement n° 15, faute de quoi j’émettrai, au nom de la commission des lois, un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Gautier, l'amendement n° 15 est-il maintenu ?
M. Charles Gautier. Oui, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 39, présenté par M. Cointat, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Remplacer la référence :
31 bis
par la référence :
31-1
La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Cointat, rapporteur. Il s’agit simplement de corriger une erreur matérielle.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. L'amendement n° 11 rectifié, présenté par MM. Amoudry, Badré et J.L. Dupont, Mme Payet et M. Soulage, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 10
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
... - Les dispositions du présent article entreront en vigueur vingt-quatre mois après la date de promulgation au Journal Officiel de la présente loi.
Douze mois après la promulgation de la présente loi, le Gouvernement déposera devant le Parlement une étude d'impact sur les modalités de mise en œuvre des dispositions du présent article.
La parole est à M. Jean-Paul Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 11 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)