M. Jacques Mézard. … aggravée par le recours à la procédure accélérée ? Il s’agit là d’une récidive législative réitérée en dépit des injonctions !
Il est également significatif que l’expression « amoindrir la récidive » ait été utilisée par le Président de la République dans son courrier du 25 février 2008 missionnant M. Lamanda, quatre jours après la décision du Conseil constitutionnel censurant deux dispositions de la loi relative à la rétention de sûreté, dont sa rétroactivité, contraire à un principe élémentaire de notre droit, comme l’avait d’ailleurs fort justement souligné la commission des lois.
Selon M. le rapporteur, dont nous saluons encore une fois le travail, le sens de l’humain et la capacité à amoindrir les excès de la majorité des députés, « le rapport Lamanda a suggéré de modifier sur certains points, d’ailleurs limités, la loi du 25 février 2008 […], afin d’en corriger les lacunes ou les insuffisances ». C’est dire les difficultés posées par des lois découlant d’affaires médiatiques.
Nous déplorons, une fois encore, la réaction législative à des faits divers médiatisés, suscitant à très juste titre l’indignation et l’exaspération de nos concitoyens ; mais ni les discours sécuritaires ni les lois sécuritaires ne résoudront les problèmes, et nous le savons tous. Je ne suis en effet pas convaincu que les analyses et les objectifs des uns et des autres soient très éloignés.
Ceux qui, voilà moins de trente ans, s’opposaient à l’abolition de la peine capitale, au motif qu’elle entraînerait une multiplication des crimes de sang, égaraient sciemment l’opinion ; ceux qui, aujourd’hui, soutiennent que l’alourdissement des peines freinera la récidive l’égarent tout autant.
Ces lois à répétition manifestent clairement une certaine défiance à l’égard des magistrats, qui n’appliqueraient pas la loi avec suffisamment de sévérité. Peines plancher, rétention de sûreté : il s’agit d’encadrer davantage leur pouvoir d’appréciation. Pour les gardes à vue, ne vous méfiez pas des avocats ! Pour les sanctions, ne vous méfiez pas des magistrats ! Quel triste constat, sinon, pour l’image de notre justice…
Le texte qui nous vient de l’Assemblée nationale est inquiétant. Il faut reconnaître qu’il diffère de celui du Gouvernement. Avec un grand sens de la mesure et de la diplomatie, M. le rapporteur a estimé que certaines orientations « soulevaient des difficultés juridiques et pratiques ». Hommage lui soit rendu !
Nous savons tous qu’il ne faut point considérer la récidive comme un problème général, que l’apparition de la sanction résoudrait. Les formes de récidive sont en effet très diverses, c’est pourquoi l’individualisation des peines est indispensable.
Nous savons tous que le problème de l’irresponsabilité pénale pour maladie mentale n’est toujours pas correctement réglé : l’ancien article 64 a-t-il vraiment été amélioré ? C’est une question que l’on doit se poser aujourd’hui.
Nous savons tous que le meilleur moyen d’éviter la récidive à l’expiration d’une peine d’emprisonnement, c’est de préparer la sortie du détenu, surtout lorsque l’incarcération fut longue. Car le danger de la sortie, c’est aussi la solitude !
Protéger les victimes, éviter la récidive : ce sont des objectifs que nous partageons tous, sans aucun angélisme, en tant que responsables convaincus que la société doit se protéger des comportements délictuels.
Je me souviens des propos du rapporteur du projet de loi pénitentiaire sur la variabilité des taux de récidive selon le type d’établissement pénitentiaire.
Il est particulièrement regrettable que le présent projet de loi ne soit pas accompagné des études d’impact nécessaires, notamment sur les traitements hormonaux.
Toute récidive est une récidive de trop. Cela étant, raisonnons au-delà de l’affichage et du sensationnel : en moyenne, le taux de récidive est de 2,5 % à 3 % pour les crimes – nous sommes d’accord pour dire que c’est beaucoup trop – et de 6,5 % pour les délits, mais avec des différences considérables selon le type de délinquance. Marteler l’opinion publique avec la récidive criminelle, ce n’est pas de la politique pénale, c’est de la politique à usage médiatique, voire électoral.
Ne pas tenir compte du rapport de la Commission d’analyse et de suivi de la récidive, qui concluait que « l’essence de la peine est d’être aménagée », ce n’est pas choisir l’efficacité.
Oui, la récidive régresse lorsqu’il y a libération conditionnelle ; oui, elle régresse avec les peines alternatives à l’emprisonnement ; oui, elle régresse en fonction des conditions de détention ; oui, elle régresse grâce à un suivi socio-judiciaire. La surpopulation carcérale, souvent dénoncée à juste titre par M. le rapporteur, l’absence de préparation à la sortie : voilà des facteurs de récidive. Notre collègue Yves Détraigne, lors de la séance du 26 juillet 2007, avait précisément déclaré qu’« il faut en finir avec les sorties non préparées, c’est-à-dire les sorties sèches ».
Le rapport de M. Lecerf et celui, tout à fait admirable, de M. About contiennent des analyses pertinentes, humaines, correspondant à la réalité du terrain, témoignant d’une connaissance approfondie des problèmes. Mais nous estimons qu’il existe une certaine inadéquation entre ces analyses et les textes législatifs successifs.
Avant même que l’on ait eu le temps d’évaluer l’application des lois précédentes, l’Assemblée nationale a porté de un à deux ans renouvelables la durée de la surveillance de sûreté, abaissé de quinze à dix ans le quantum de peine prononcée permettant la surveillance de sûreté et de dix à sept ans le seuil de peine prononcée pour le placement sous surveillance judiciaire, le tout assorti d’un nouveau répertoire relatif aux expertises psychiatriques et de nouvelles obligations portant sur les fichiers existants. On n’attend même pas de voir comment le système fonctionne pour le modifier en fonction de l’affichage médiatique recherché.
Il s’agit là d’une dérive catastrophique ! Je vous remercie, madame le ministre d’État, des propos pertinents, et même indispensables, que vous avez tenus à la suite d’un récent fait divers concernant une personne âgée.
Vous l’avez noté, monsieur le rapporteur, une seule mesure de surveillance de sûreté a été prise à ce jour… Nous considérons que les dispositions législatives et réglementaires existantes permettaient dans une large mesure d’atteindre les objectifs en matière de lutte contre la récidive. Ce qui manque toujours, ce sont les moyens humains et matériels d’appliquer sur le terrain la loi pénitentiaire. Le rapport de M. Lecerf met à juste titre en exergue « l’absence de structures adaptées », en contradiction avec l’article 763-7, et même le manque de moyens dans les structures existantes. Il rappelle également la pénurie de psychiatres, la faiblesse du nombre de spécialistes formés à la prise en charge thérapeutique de la délinquance sexuelle, l’insuffisance du nombre de médecins traitants, le fait que quarante tribunaux de grande instance et dix-sept départements sont dépourvus de médecins coordonnateurs. Voilà la réalité !
Je salue à nouveau la sagesse de la commission des lois d’avoir réservé le répertoire des données à caractère personnel à l’autorité judicaire et de ne pas en avoir rajouté pour le fichier des délinquants sexuels, qui compte déjà 43 000 inscrits !
Quant au traitement anti-libido, il était temps d’affirmer que sa prescription relevait de la seule compétence du médecin traitant, en supprimant l’obligation, pour ce dernier, d’informer le juge de l’application des peines du refus ou de l’interruption du traitement. Nous savons gré aussi à M. About d’avoir rappelé qu’il ne fallait pas assigner à la médecine un rôle qui ne peut être le sien, que « soigner n’est pas la même chose qu’empêcher de nuire »,…
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Jacques Mézard. … qu’ « une attention disproportionnée était accordée aux traitements antihormonaux », qui doivent être prescrits comme tout autre médicament, et que, surtout, la médecine ne saurait être instrumentalisée à des fins de défense sociale.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jacques Mézard. Le serment d’Hippocrate a encore un sens : « Dans toute maison où je serai appelé, je n’entrerai que pour le bien du malade. »
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jacques Mézard. Le juge ne doit pas prescrire un traitement, le médecin ne doit pas juger.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jacques Mézard. La criminalité est l’une des expressions de la nature humaine, de sa profonde complexité, comme le concluait le magistrat Serge Portelli dans son ouvrage Récidivistes ; cette complexité est incompatible avec les « solutions toutes faites, toutes plus régressives les unes que les autres, qui font le bonheur des bateleurs de foire et le succès des démagogues ».
Madame le ministre d’État, une pause dans la frénésie législative sécuritaire, des moyens pour mieux préparer la sortie de prison des détenus et pour améliorer encore le système de libération conditionnelle, dont le rapport Lamanda met en lumière les résultats satisfaisants en matière de lutte contre la récidive : voilà la meilleure injonction de soins pour la tranquillité des bons citoyens, pour la réinsertion des délinquants et, tout simplement, pour la justice. (Très bien ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE et de l’Union centriste, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui concerne un sujet particulièrement grave. Comme vous le soulignez, madame le ministre d’État, « première des libertés, la sécurité est la condition de toutes les autres ». Vivre en sécurité dans une société démocratique telle que la nôtre est en effet un droit légitime de nos concitoyens ; c’est pour nous, parlementaires, un devoir de le garantir.
Les peines d’emprisonnement constituent la première réponse aux actes criminels les plus graves. Cependant, force est de constater qu’elles se révèlent parfois insuffisantes pour protéger efficacement notre société.
L’actualité médiatique nous rappelle fréquemment la réalité des drames engendrés par la récidive. Si notre action politique ne saurait être dictée par l’émotion que suscitent de tels événements, ce projet de loi répond concrètement à une attente essentielle des Français, que nous ne pouvons ignorer.
La sécurité constitue en effet une aspiration très forte de nos concitoyens. À ceux qui nous accuseraient de ne réagir que sous le coup de l’émotion, j’indiquerai que plusieurs de nos voisins européens ont déjà entrepris une telle évolution législative depuis plusieurs années.
Certes, les taux de récidive en matière criminelle sont faibles : 0,5 % pour les homicides et 1 % pour les auteurs d’agressions sexuelles sur mineurs. Néanmoins, il est de notre responsabilité de mieux protéger l’ensemble de nos concitoyens, de mieux protéger les victimes d’actes d’autant plus insupportables qu’ils sont commis en récidive de crimes d’une particulière gravité. Au-delà des pourcentages, il s’agit de centaines de personnes qui ont eu à connaître l’horreur.
Les évolutions législatives récentes intervenues au travers de la loi du 10 août 2007, qui a institué des peines plancher pour les multirécidivistes, et de la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté, ont déjà apporté de nombreuses réponses au problème qui nous occupe aujourd’hui.
Cependant, sur le fondement du principe de non-rétroactivité de la loi, le Conseil constitutionnel a censuré plusieurs dispositions essentielles de la loi du 25 février 2008. Les propositions formulées dans son rapport par M. Lamanda, Premier président de la Cour de cassation, qui ont été intégrées au texte qui nous est soumis permettront de remédier à ces différentes difficultés techniques.
Surtout, si ces lois ont apporté des réponses à la fois fermes et proportionnées au problème de la récidive, il nous faut aujourd'hui aller plus loin. Il s’agit non pas de voter un énième texte en la matière, mais de faire preuve de lucidité et de pragmatisme face à l’évolution constante de la délinquance et de la criminalité. Nous devons nous adapter en permanence. Tel est le sens de votre action au Gouvernement, madame le ministre d’État. Je m’en réjouis, comme l’ensemble des membres du groupe UMP.
Je voudrais maintenant évoquer les six apports du présent projet de loi qui me paraissent essentiels.
Premièrement, au-delà des dispositions censurées par le Conseil constitutionnel, ce projet de loi pallie certaines lacunes de la loi relative à la rétention de sûreté.
La rétention de sûreté pourra désormais s’appliquer aux auteurs de crimes de meurtre, de torture ou d’actes de barbarie, de viol, d’enlèvement ou de séquestration commis en état de récidive légale contre des personnes majeures, ce qui n’était pas le cas auparavant.
De plus, le texte vise à rendre effectives les interdictions de paraître dans certains lieux et de rencontrer la victime, dont il garantit ainsi la tranquillité. Il permet en effet aux forces de l’ordre d’être informées de l’installation des criminels libérés sur le territoire : l’identité et l’adresse des condamnés à une peine de cinq ans d’emprisonnement au moins devront être communiquées aux services de police et de gendarmerie à l’issue de leur détention.
En outre, le texte renforce la sanction prévue dans le cas où un condamné ne respecterait pas l’interdiction d’entrer en contact avec sa victime. Jusqu’à présent, la violation de cette interdiction ne constituait qu’un motif éventuel de réincarcération. Parce que cette violation ne constituait pas une infraction, les forces de l’ordre ne disposaient pas de la faculté de placer la personne concernée en garde à vue, même dans l’attente de sa présentation au juge de l’application des peines en vue de décider de sa réincarcération. Pour pallier ce vide juridique, il est instauré une mesure de rétention pendant vingt-quatre heures garantissant au condamné les mêmes droits que ceux de la garde à vue.
Deuxièmement, le texte met en place une politique de prévention de la récidive.
En effet, en tant que législateur, notre responsabilité est non seulement de réprimer les actes de délinquance, mais aussi de les prévenir. Ce projet de loi me paraît ainsi véritablement complémentaire de la loi pénitentiaire que nous avons récemment adoptée, car la meilleure prévention de la récidive, c’est avant tout la réinsertion.
Seulement, nous ne pouvons être laxistes à l’égard des criminels qui présentent les risques les plus graves de récidive. Là aussi, le pragmatisme doit nous guider : à la déclaration de culpabilité doit correspondre une peine, à la reconnaissance de la dangerosité une mesure de sûreté.
Troisièmement, le présent texte protège les criminels contre eux-mêmes.
En réduisant la dangerosité des criminels, nous ne protégeons pas que nos concitoyens : nous protégeons aussi les intéressés contre eux-mêmes. C’est pourquoi le renforcement de leur suivi ne saurait être uniquement judiciaire ; il doit aussi être médical et psychiatrique. Le projet de loi prévoit ainsi, conformément à la décision du Conseil constitutionnel, que tout placement en rétention de sûreté sera désormais conditionné au préalable à une prise en charge médicale, sociale ou psychologique du condamné pendant sa détention.
Quatrièmement, le texte instaure des garanties en matière de suivi des criminels hors de la prison.
Le projet de loi ne fait pas que répondre à la décision du Conseil constitutionnel. Il instaure également, sur l’initiative des députés, de nombreuses garanties en termes de suivi des criminels en dehors de la prison : d’une part, le placement sous surveillance de sûreté pourra intervenir soit à l’issue d’une surveillance judiciaire, soit directement à la sortie de prison ; d’autre part, des mesures de contrôle pourront être mises en œuvre à l’égard de personnes remises en liberté dans l’attente d’une procédure de révision.
Cinquièmement, le projet de loi tend à améliorer la circulation de l’information à destination des magistrats et des équipes médicales.
L’organisation de notre système judiciaire et médical ne permet pas de rendre suffisamment compte de la dangerosité des criminels. Par exemple, jusqu’à aujourd’hui, les expertises réalisées pendant l’instruction n’étaient pas transmises aux équipes médicales amenées à soigner le condamné en détention. Ce cloisonnement et l’absence de centralisation des données ont parfois contribué à ce que certaines décisions judiciaires soient prises sans que le juge saisi dispose des informations pertinentes pour évaluer la dangerosité d’un criminel.
C’est pourquoi la création du répertoire des données à caractère personnel collectées dans le cadre des procédures judiciaires va dans le bon sens. Regroupant les « expertises, examens et évaluations psychiatriques, médico-psychologiques, psychologiques et pluridisciplinaires », ce répertoire permettra de faciliter la prise d’une décision éclairée quant à la dangerosité des personnes condamnées ou poursuivies pour une infraction passible d’un suivi socio-judiciaire.
Afin de favoriser une meilleure information des forces de l’ordre, le projet de loi renforce en outre les obligations de l’inscription au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles. Les personnes qui y sont inscrites devront ainsi justifier de leur adresse plus fréquemment, à savoir tous les six mois, voire tous les trois mois pour les plus dangereuses d’entre elles.
Sixièmement, le présent projet de loi renforce l’incitation au traitement inhibiteur de libido.
La référence à ce traitement dans le code de la santé publique constitue une innovation majeure de ce projet de loi. C’est une nouvelle pierre apportée à l’édifice de la lutte contre la récidive.
Cela étant, le droit à la sécurité nous paraît tout aussi essentiel que le respect des libertés individuelles. Dans un État de droit tel que le nôtre, l’un ne va pas sans l’autre. Si ce texte a pour objet principal de mieux protéger les victimes, nous ne saurions pour autant bafouer les droits fondamentaux des condamnés.
À ce titre, je tiens à souligner l’excellent travail de notre rapporteur, M. Lecerf, qui a su trouver un subtil équilibre entre respect du secret professionnel et volonté de décloisonner les relations entre le corps médical et les services judiciaires. Votre amendement, monsieur le rapporteur, visant à instituer l’obligation, pour le médecin traitant, d’informer le médecin coordonnateur lorsqu’un condamné, contre son avis, refuse ou interrompt un traitement proposé dans le cadre d’une injonction de soins, apporte un excellent outil de lutte contre la récidive.
La commission des lois, constamment guidée, sous l’impulsion notamment de son président, M. Hyest, par la recherche d’un équilibre entre respect des libertés individuelles et nécessité de prévenir la récidive, a apporté des modifications essentielles au texte. Le projet de loi, tel qu’il a été modifié par la commission des lois, prévoit explicitement la faculté de mainlevée de la surveillance de sûreté, dont la durée a été portée de un à deux ans par l’Assemblée nationale. C’est un point très important.
En outre, nous nous félicitons de ce que, sur l’initiative de M. le rapporteur, le seuil de la peine pour l’application de la surveillance de sûreté ait été rétabli à quinze ans. En respectant l’avis du Conseil constitutionnel, le Sénat est bien dans son rôle de garant des libertés.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe UMP votera le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la discussion de ce texte était attendue depuis que le Conseil constitutionnel avait censuré une partie des dispositions de la loi relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental et que le Président de la République avait chargé le Premier président de la Cour de cassation de lui faire des propositions en vue d’amoindrir le risque de récidive criminelle.
Cela étant, le texte que nous examinons aujourd’hui n’est plus tout à fait celui qui avait été déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 5 novembre 2008, lequel ne comportait que quelques articles destinés principalement, comme l’a d’ailleurs rappelé M. le rapporteur, à tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel et à prendre en compte les propositions du rapport Lamanda.
À la suite d’une affaire tragique et largement médiatisée impliquant un récidiviste, le Gouvernement a soudainement décidé d’engager la procédure accélérée alors que le texte était depuis onze mois déjà sur le bureau de l’Assemblée nationale. En outre, de nouvelles dispositions, destinées en partie, il faut bien le dire, à rassurer l’opinion publique, ont été ajoutées au cours de l’examen du texte à l’Assemblée nationale.
Nous voici donc à nouveau, je le crains, devant ce que l’on appelle parfois la « législation d’émotion », c’est-à-dire devant un texte dont on peut se demander si sa finalité principale n’est pas tant d’améliorer et de rendre plus efficace notre arsenal juridique que d’apaiser l’émotion populaire. Car enfin, nous examinons aujourd’hui le quatrième texte sur la récidive en à peine quatre ans, après la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, la loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs et la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. J’ajoute que n’entrent pas dans ce décompte les textes sur la sécurité intérieure, qui ne cessent, eux aussi, de se multiplier…
En 2005 déjà, à la suite d’un rapport d’information de la commission des lois de l’Assemblée nationale sur le traitement de la récidive des infractions pénales, les députés Pascal Clément et Gérard Léonard déposaient un texte ayant pour objet de « placer la lutte contre la récidive au cœur de la politique pénale », selon deux grands axes : réprimer plus sévèrement les récidivistes ; prévenir plus efficacement la récidive grâce à un meilleur suivi des condamnés les plus dangereux.
À l’époque déjà, les sénateurs centristes s’inquiétaient que l’on veuille compléter le dispositif existant en matière de lutte contre la récidive sans s’interroger d’abord sur la manière dont étaient appliquées les dispositions en vigueur du code pénal.
À l’époque déjà, nous souhaitions qu’il soit d’abord remédié au fait que le tiers des peines de prison prononcées ne soient pas exécutées…
À l’époque déjà, nous réclamions qu’aucune remise de peine ou libération conditionnelle ne soit accordée sans qu’ait été préalablement pris en compte l’état de dangerosité du condamné.
À l’époque déjà, nous voulions d’abord que plus de moyens financiers soient consacrés au suivi et à la réinsertion des détenus, que des moyens humains et matériels suffisants permettent d’assurer en prison le suivi médical nécessaire à certains d’entre eux, en particulier aux condamnés pour infractions sexuelles, et d’éviter qu’un détenu ne soit livré à lui-même à sa sortie de prison.
À l’époque déjà, nous savions que la vacance de 3 000 postes de psychiatre était éminemment symptomatique de l’abandon d’une partie de la chaîne pénale. Nous savions aussi que la France comptait vingt-six services médico-psychologiques régionaux pour environ 190 établissements pénitentiaires et que ces services ne pouvaient prendre en charge que 40 % de la population carcérale.
Aujourd’hui, où en est-on ?
Dix ans après la création du suivi socio-judiciaire, quarante tribunaux, répartis entre dix-sept départements, n’ont toujours pas de médecins coordonnateurs, ce qui rend le dispositif inapplicable.
La première des UHSA, les unités hospitalières spécialement aménagées créées, voilà huit ans, par la loi d’orientation et de programmation pour la justice de 2002 et qui doivent permettre la prise en charge psychiatrique en détention des criminels et délinquants sexuellement dangereux, n’ouvrira que dans un mois…
Par ailleurs, la réduction des budgets consacrés aux frais de justice ne permet pas toujours de payer correctement les expertises demandées.
Bref, alors qu’un hebdomadaire paru ce matin rappelait que nous avons voté vingt-trois lois depuis 2002 pour durcir le code pénal, avec la création chaque fois de nouveaux délits, il est temps de se demander si, avant d’adopter d’autres mesures législatives encore, auxquelles l’opinion finira par ne plus croire, on ne devrait pas d’abord se donner les moyens, d’une part, d’améliorer les conditions de détention afin d’éviter que la prison ne transforme de petits délinquants en criminels, d’autre part, de rendre plus effectives en même temps que plus efficaces les mesures de suivi et de réinsertion existantes, afin de réduire le risque de récidive.
En effet, si la prison a pour rôle de punir, elle doit aussi avoir pour mission de préparer la sortie du détenu et sa réinsertion dans la société, ce qui permettrait, plus sûrement que par le simple durcissement des peines d’enfermement, de limiter le risque de récidive, sachant que, quoi que l’on fasse, celui-ci ne sera jamais nul.
Nous sommes conscients du fait que l’état de nos finances publiques ne permet pas forcément de remédier au rythme souhaitable à l’insuffisance des moyens consacrés, dans la chaîne pénale, à la prise en charge médicale et psychiatrique du détenu, ainsi qu’à la préparation et au suivi de sa sortie.
En tout état de cause, faisons en sorte, madame le ministre d’État, que cette nouvelle loi ne soit pas un simple cache-misère.
Cela étant dit, comme l’ensemble des orateurs précédents, je tiens à féliciter et à remercier M. Lecerf, qui, après avoir marqué de son empreinte et de son humanisme la loi pénitentiaire, a su examiner ce texte sur la récidive en dépassant la simple réaction émotionnelle et en évitant de tomber dans la surenchère.
Nous ne pouvons donc qu’approuver les dispositions proposées par M. le rapporteur et adoptées par la commission des lois, telles que celles qui tendent à revenir sur le durcissement du texte voté par l’Assemblée nationale ou celles qui rendent au médecin toute sa place dans la prescription et le suivi des soins.
Compte tenu des améliorations apportées au texte en commission, et sous réserve que l’équilibre trouvé ne soit pas remis en cause au cours du débat, le groupe de l’Union centriste votera majoritairement le présent projet de loi, en souhaitant toutefois qu’il ne nous en soit pas soumis d’autre sur ce thème sans que l’on se soit d’abord donné les moyens de mettre en œuvre les mesures existantes. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, si seulement on pouvait parler de sécurité avec sérénité, selon des objectifs inscrits dans la durée, avec lucidité, à l’abri de l’émotion – aussi vive soit-elle pour les victimes – que soulève inévitablement tout fait divers…
Si seulement on pouvait parler de sécurité sans autre objectif que l’efficacité dans le respect des fondements de la République, c'est-à-dire hors de toutes visées électoralistes, sans démagogie ni populisme…
Mais voilà, une fois de plus, nous en sommes réduits à examiner un projet de loi qui n’est que la traduction d’un emballement, voire d’un affolement, tant législatif que technologique !
La loi et le progrès technologique sont effectivement deux outils qui devraient être au service de la société, et notamment bien sûr de sa sécurité, mais il importe avant tout de nous interroger d’une part sur nos besoins réels et sur nos objectifs, d’autre part sur la réelle efficacité de ces outils et sur leurs limites. L’avons-nous fait ?
Autrement dit, nous sommes-nous posé la question du comment et du pourquoi ? La réponse, malheureusement, est « non ». Une fois de plus, on a confondu besoin et envie.
Tant à l’égard de la législation que des technologies, le Gouvernement se fige dans une forme de « consumérisme » incontrôlé et frénétique. C’est certes une attitude qui relève du phénomène de société, mais que les décideurs cèdent à la pression de celui-ci est grave, d’autant qu’il s’agit ici de sécurité.
Il est grave que le Gouvernement cède aux pressions médiatiques mais aussi aux pressions que suscite l’émotion, car si l’émotion des victimes est normale, humaine, légitime, elle ne prend pas en compte l’intérêt public.
Ce texte est liberticide, mensonger et inefficace.
Il est liberticide parce qu’il punit une intention, et même une probabilité d’intention, probabilité de surcroît estimée selon des méthodes elles-mêmes très contestables.
Il est liberticide parce qu’il prévoit la création de nouveaux fichiers sans définir la moindre procédure d’utilisation, qu’il s’agisse de la consultation, de la correction ou de l’effacement des données, ce qui est d’autant plus critiquable que ces nouveaux fichiers sont inutiles : donnons-nous plutôt les moyens d’entretenir et d’utiliser efficacement les fichiers, en nombre bien suffisant, qui existent déjà !
Il est mensonger parce qu’il donne de l’homme une image binaire et robotique, pas même vétérinaire.
Il fait de l’individu la somme de gènes et d’hormones dont tout le comportement humain découlerait. Ces hormones, nous les sécrétons tous ! L’individu ne peut se réduire à son patrimoine génétique et à son système hormonal : il a un cerveau, une intelligence qu’il utilise, des émotions qu’il ressent. C’est la maîtrise de ses émotions et de son intelligence qui distingue l’homme tant du robot que de l’animal.
Votre vision binaire et robotique de l’individu conditionne pourtant vos conceptions en matière de traitement des délinquants sexuels, le présent texte se cantonnant presque exclusivement aux traitements chimiques. Mais comment imaginer qu’une simple injection d’hormones puisse modifier un comportement humain ?
Oui, la chimie peut aider certains délinquants, dans le cadre d’un traitement général et d’un suivi médical faisant appel à d’autres thérapeutiques, et permettre la maîtrise de certaines pulsions, mais il ne s’agit en aucun cas de la potion magique d’Astérix et Obélix, comme on voudrait nous le faire accroire.
Ce texte est inefficace – et toujours mensonger –, car, alors qu’il devrait prétendument tendre à une récidive nulle, il est au contraire « promoteur » de récidive.
En premier lieu, il est déresponsabilisant pour le délinquant : si celui-ci récidive, ce ne sera pas sa faute, mais celle du juge, qui l’aura laissé sortir, du médecin, qui l’aura mal évalué, du travailleur social, qui l’aura mal suivi. Ce texte entretient ainsi le délinquant dans une illusion, celle d’être incapable de se développer et de changer.
En second lieu, ce n’est pas en persistant dans l’erreur qui consiste, comme d’autres l’ont dit avant moi, à aggraver les peines de loi en loi que l’on rendra la prison dissuasive.
Les textes existants devraient déjà être suffisamment dissuasifs pour que l’on ne compte pas sur des rétentions de sûreté pour empêcher tous les passages à l’acte liés à des pulsions.
Personnellement, je n’ai aucun complexe à parler de sécurité, de prison et de répression – j’ai été confrontée à suffisamment de cas, ne serait-ce que dans ma commune –, mais, pour améliorer la prévention comme la répression de la récidive, je préfère m’attacher à analyser les succès et à mettre en place les moyens nécessaires pour qu’ils puissent être reproduits.
Ayons le courage de dire que la sortie de prison se prépare dès l’incarcération.
Ayons le courage de dire que la meilleure prévention de la récidive est la réinsertion ainsi que la prise de conscience de leur responsabilité par les auteurs des actes.
Ayons le courage de dire que jamais le taux de récidive ne sera nul.
Ayons le courage de dire que la surveillance peut passer par d’autres moyens que le bracelet électromagnétique. Ainsi, comme l’a écrit M. Lamanda dans son rapport, un téléphone portable permettant à un délinquant et à son médecin de se parler en cas de difficulté serait beaucoup plus efficace, même si un effort de pédagogie serait nécessaire pour l’expliquer à la population.
On a le droit de se tromper, pas celui de mentir. Dans la mesure où l’on confond punition et prévention, éducation et surveillance, autorité et création d’angoisse, protection et espionnage, je ne pourrai que voter contre le présent projet de loi, justement parce que je respecte beaucoup trop les victimes pour leur mentir en leur disant qu’il va mieux les protéger et mieux protéger la société. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.