Mme Dominique Voynet. C’est par ces mots prometteurs que le Président de la République avait tenté, en présentant ses vœux aux parlementaires pour l’année 2009, de répondre aux inquiétudes suscitées, y compris au sein de sa majorité, par la frénésie législative qui semblait s’être emparée de lui.
Nous pouvons témoigner que Nicolas Sarkozy a tenu ses promesses en 2009 ! Ceux qui, parmi vous, espéraient que la loi serait élaborée minutieusement, avec sagesse et prudence, en sont encore pour leurs frais. Ceux qui n’avaient jamais imaginé que le Conseil constitutionnel, gardien de notre loi fondamentale, garantie de la démocratie et de l’État de droit, puisse être si ouvertement contesté, accusé de nuire aux ambitions « court-termistes » de ce régime, en perdent aujourd’hui leur latin. Silence, on réforme ! Procédure accélérée et vote conforme : telle est la méthode généralement employée.
Je l’admets, concernant le projet de réforme territoriale que nous examinons aujourd’hui, la recette est sensiblement différente, mais la saveur n’en reste pas moins familière : il est ici une nouvelle fois question de concentration des pouvoirs entre les mains de l’exécutif et d’affaiblissement de tout ce qui s’apparente, de près ou de loin, à un contre-pouvoir.
La nécessité d’améliorer l’organisation territoriale de la France fait pourtant l’objet d’un assez large consensus : rendre son cadre institutionnel plus lisible pour les citoyens est un enjeu démocratique majeur. C’est pourquoi personne dans cet hémicycle, me semble-t-il, n’est attaché au statu quo. La clarification de la répartition des compétences, de plus en plus nombreuses, assumées par les collectivités, la réaffirmation de leur autonomie financière – pourtant déjà inscrite dans la Constitution –, la simplification des circuits de décision : autant de pistes pour perfectionner l’architecture territoriale de notre pays.
En dépit des grands discours annonçant une véritable révolution territoriale, malgré la réunion d’un comité réunissant des compétences reconnues, ce projet de loi apparaît, en premier lieu, extrêmement décevant. Loin de simplifier le fameux millefeuille français, tant décrié, il le rend encore plus complexe !
Monsieur le ministre, je vous mets au défi d’expliquer de manière compréhensible aux citoyens la différence entre les métropoles, les pôles métropolitains, les communautés urbaines, les communautés d’agglomération et les simples communautés de communes ! Pourriez-vous préciser quelle simplification vous percevez dans le fait qu’un certain nombre de compétences, relevant jusqu’ici des conseils généraux, pourraient désormais être confiées aux métropoles ? Le projet de loi prévoit que, dans les départements comprenant une métropole, les conseils généraux exerceront des compétences différentes dans les territoires compris dans la métropole et dans le reste du département ! Pis encore : deux départements limitrophes n’auront pas les mêmes compétences selon qu’ils accueilleront ou non une métropole !
Par ailleurs, ce projet de loi entend faciliter les fusions de régions et de départements. Mais, concernant les départements, quel résultat pensez-vous donc obtenir, sinon la constitution de départements plus vastes, perdant en quelque sorte la proximité qui faisait jusqu’ici la pertinence de cet échelon en matière sociale, sans pour autant consolider leurs compétences ? Des compétences égales, voire diminuées s’ils accueillent une métropole, exercées sur des territoires plus étendus : est-ce là une amélioration ?
Bien sûr, ce texte prévoit l’élection des délégués communautaires au suffrage universel direct : il était temps ! C’était devenu une urgence démocratique compte tenu de la place qu’occupent à présent les intercommunalités dans le paysage local. Plus de la moitié des articles de ce projet de loi sont par ailleurs consacrés à l’achèvement de la carte de l’intercommunalité, qui constitue, en soi, une bonne chose. Mais dans la mesure où 93,1 % des villes françaises – ce chiffre figure dans votre rapport, monsieur Courtois – sont déjà impliquées dans une coopération intercommunale au 1er janvier 2009, vous conviendrez, monsieur le ministre, qu’il ne s’agit pas là d’une avancée si extraordinaire !
J’ajoute que si les regroupements de communes et la constitution d’intercommunalités doivent effectivement être encouragés, nous sommes quelque peu préoccupés à l’idée que les ordonnateurs en la matière, c’est-à-dire les préfets, puissent négliger le principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales. Nous restons vigilants sur ce point. N’y voyez pas une quelconque marque de défiance à l’égard des préfets, monsieur le ministre, mais comme un certain nombre d’entre eux dirigent également les cabinets de membres du Gouvernement, comprenez que nous souhaitions nous assurer que des considérations politiques, voire politiciennes, ne polluent pas exagérément ce processus.
En résumé, ce texte, pourtant intitulé « projet de loi de réforme territoriale », ne répond aucunement aux objectifs annoncés. Il ne simplifie pas l’organisation territoriale de la France et reporte à un projet de loi ultérieur l’examen de la question de la répartition des compétences. La juxtaposition des différentes mesures de ce projet de loi dresse en outre un tableau pour le moins flou de l’organisation territoriale de demain. Je prendrai un simple exemple à cet égard : le Gouvernement avait annoncé vouloir renforcer les régions françaises pour qu’elles puissent supporter la comparaison à l’échelle de l’Europe ; pourtant, ce projet de loi menace doublement les régions, d’abord parce qu’il prévoit de supprimer leur clause générale de compétence, réduisant d’autant leur capacité motrice, ensuite parce qu’il institue des conseillers territoriaux siégeant à la fois dans les conseils régionaux et dans les conseils généraux. Ces conseillers, élus au sein de leurs départements respectifs, pourraient bien être tentés d’adopter une vision des problèmes centrée sur les intérêts du département dont ils sont issus, aux dépens de considérations et d’enjeux régionaux plus globaux.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
Mme Dominique Voynet. Dans ces conditions, monsieur le ministre, quelle logique cohérente a bien pu présider à l’élaboration de ce texte ? Vous donnez l’impression de ne pas savoir quoi faire du département, mais vous le placez dans le même temps en position de sursis. Ceux qui faisaient mine de vous croire quand vous prétendiez ne pas vouloir étrangler financièrement les collectivités territoriales en réformant la fiscalité locale pourraient bien finir par ouvrir les yeux !
Alors, à quoi peut donc bien servir ce projet de loi ? L’essentiel semble dit en quelques mots dès l’article 1er : s’il consacre effectivement l’avènement des conseillers territoriaux après qu’un premier texte, en décembre dernier, eut annoncé leur création en 2014, le plus important, c’est-à-dire le mode de scrutin pour l’élection de ces nouveaux conseillers et les compétences qu’ils exerceront, est encore reporté à un futur projet de loi. Cette méthode a un nom : le teasing. Habilement organisé, ce teasing législatif nuit évidemment au fonctionnement démocratique de nos institutions. Je me permets de vous le rappeler, monsieur le ministre : les parlementaires sont censés connaître la loi qu’ils ont à voter, et les citoyens pouvoir la comprendre !
Néanmoins, nous sommes avertis : pour l’élection de 80 % des futurs conseillers territoriaux, c’est un scrutin uninominal à un tour qui reste prévu. On en discute encore, semble-t-il, en haut lieu, mais la logique est claire : il s’agit de reprendre le pouvoir qui échappe à l’UMP au sein des collectivités territoriales, en espérant remporter la mise avec une majorité relative de 30 % à 35 % des suffrages seulement au premier et unique tour de scrutin. Tel est le grand dessein de la réforme concoctée par le Président de la République !
Dérogeant ainsi aux principes démocratiques qui ont jusqu’ici prévalu, le projet de loi s’expose à un possible rappel à l’ordre constitutionnel. Peu importe : chantre d’une rupture qui conduit de toutes parts au délitement de la cohésion nationale, le Président de la République n’en est plus à une fracture près… Après l’audiovisuel public, l’hôpital, le projet recentralisateur du Grand Paris, dont l’examen a été prudemment reporté après les élections régionales, et en attendant une réforme de la justice qui suscite de nombreuses et légitimes inquiétudes pour l’indépendance de celle-ci, il fallait remettre la main, coûte que coûte, sur les pouvoirs locaux.
Que n’avons-nous pas entendu pour justifier cette entreprise ! Les élus locaux seraient trop nombreux, ils seraient de mauvais gestionnaires, se complaisant dans une gabegie dispendieuse. Ils sont devenus, dans la bouche du chef de l’État, la cause de tous les maux. Cette vision erronée ignore évidemment les mises en garde de la Cour des comptes, qui a récemment expliqué que, au-delà des déficits abyssaux qui caractérisent la conduite de la France par le gouvernement actuel, lorsque les collectivités territoriales se voyaient transférer des compétences jusque-là assumées par l’État, induisant le recrutement de personnels, sans pour autant percevoir les dotations financières correspondantes, l’administration centrale de l’État omettait d’ajuster ses propres effectifs. Par conséquent, on peut craindre que la vindicte présidentielle ne relève avant tout d’une posture tacticienne, étrangère à l’intérêt général.
J’en veux pour preuve qu’il fut une époque où Nicolas Sarkozy semblait voir dans les collectivités territoriales plus une opportunité qu’une menace pour la France. N’a-t-il pas lui-même écrit ces mots, dans un ouvrage publié en 2001 : « Une nation moderne est une nation qui revendique la décentralisation. Un État moderne est celui qui organisera son efficacité en reconnaissant qu’il lui est impossible de tout régenter, diriger, organiser. »
En conclusion de mon intervention, face aux visées jacobines et claniques qui semblent sous-tendre ce projet de loi, j’en appelle au sursaut républicain de l’ensemble des membres de cette assemblée, puisqu’ils représentent les collectivités territoriales, mises à mal par ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Éric Doligé. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Éric Doligé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’instar de M. Adnot, j’ai fait voter, voilà un mois et demi, le budget de mon département. Ce fut dur, mais j’y suis parvenu sans avoir augmenté les impôts et en maintenant toutes nos politiques. Je suis très heureux de mener cette action à la tête de mon conseil général, en dépit des difficultés.
Nous nous trouvons actuellement au beau milieu d’une révolution bien engagée, celle de la réforme des collectivités territoriales. Le processus s’annonce long, et il nous reste plusieurs étapes à franchir. La réflexion de fond a débuté dès 2008, au travers de la constitution de multiples groupes de travail, et débouché sur l’élaboration de rapports et de propositions intéressantes, que M. Hortefeux a cités cet après-midi. La littérature sur le sujet est donc déjà fort abondante.
Les grandes étapes sont la suppression de la taxe professionnelle, la réforme de l’organisation territoriale, la définition du mode de scrutin, la répartition des compétences, la révision des bases : tout cela devrait probablement nous occuper jusqu’en 2011.
Fallait-il se lancer dans l’aventure ? Le monde change, les entreprises changent, l’État change : que doit-on faire à l’échelon de nos collectivités, fort dépendantes de leur environnement économique et social ? Doivent-elles vivre dans une bulle ? Doivent-elles évoluer ?
La réponse apportée à ces questions permet de distinguer deux écoles, deux chapelles : celle des passifs, qui proposent de ne rien faire, et celle des actifs, qui entendent faire bouger les choses. La majorité a très clairement choisi le camp des seconds !
M. Daniel Raoul. C’est facile !
M. Éric Doligé. Alors que l’on se plaît à prôner la recherche, l’innovation, et donc l’évolution, certains souhaiteraient néanmoins que rien ne change et que le statut de nos collectivités demeure figé ou presque. S’ils sont prêts à accepter quelques réformettes, ils refusent la réforme.
Fort heureusement, le Président de la République et le Gouvernement osent proposer de vraies réformes ! Chacun sait ici que le conservatisme est souvent affaire d’opposition. Ainsi, mes chers collègues, souvenez-vous des grandes lois Deferre de décentralisation : en 1982, l’opposition au gouvernement de Pierre Mauroy était plus que frileuse ! Quant à l’actuelle opposition, elle est aujourd’hui tout simplement figée devant les importantes réformes proposées.
Nous venons de franchir la première étape : la taxe professionnelle a été supprimée au 1er janvier 2010. L’opposition présente aux élus locaux cette suppression comme une catastrophe, elle l’agite comme un épouvantail, annonçant la ruine des communes et des intercommunalités. Sans pouvoir apporter aucune preuve financière, en se fondant sur des approximations, on instille des idées fausses. C’est à mon avis faire là un très mauvais procès et engager le débat de la pire des façons.
Pour la deuxième étape, que nous abordons aujourd’hui, on peut présager des actes de résistance, de blocage, avec des prises de position probablement excessives, voire agressives. Nous en avons déjà entendu quelques-unes. J’ai lu, dans les journaux départementaux que m’adressent mes collègues présidents de conseil général de gauche, que l’on appelle les territoires et leurs habitants à entrer en « résistance ». On y affirme qu’après la réforme, les départements ne pourront plus continuer à mettre en œuvre leurs politiques en faveur des personnes âgées ou handicapées, à faire fonctionner les collèges ou à entretenir le réseau routier. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Gérard Miquel. C’est la réalité !
M. Éric Doligé. On y annonce à tous les clubs sportifs et culturels la fin des subventions dont ils bénéficient actuellement. Pour ma part, en tant que président de conseil général, je ne tiens nullement un tel discours, au contraire. Il s’agit, pour certains, de pratiquer une politique de la peur, visant donc à inciter à la « résistance ». C’est à mes yeux une provocation scandaleuse, qui montre, s’il en était besoin, l’incapacité des intéressés à s’adapter ou à accepter les évolutions.
Supposons que nous ne fassions aucune réforme, chers collègues de l’opposition. Pouvez-vous m’affirmer que dans cette hypothèse nos collectivités seraient encore en mesure d’assurer, dans les deux prochaines années, leurs compétences actuelles ? Je ne le crois pas !
Un sénateur du groupe socialiste. C’est de la pommade !
M. Éric Doligé. Les dépenses sociales absorbent progressivement toutes nos marges de manœuvre et toute notre capacité d’autofinancement. Nos recettes au titre des droits de mutation se réduisent considérablement, la baisse atteignant en moyenne 35 %. L’affaiblissement économique diminue les recettes et augmente les dépenses sociales.
Une sénatrice du groupe socialiste. Et alors ?
M. Éric Doligé. Telle est la réalité actuelle, voilà tout !
Au fil du temps, tous les gouvernements ont imposé leur générosité, et les nouveaux ministres se présentent avec de bonnes idées, qui visent à prouver l’utilité de leur fonction mais entraîneront, en définitive, l’asphyxie des départements. Je pense, par exemple, à la décentralisation, aux 35 heures,…
M. Daniel Raoul. Cela faisait longtemps qu’on ne l’avait pas entendu !
M. Éric Doligé. … au revenu minimum d’insertion, à l’allocation personnalisée d’autonomie, au revenu de solidarité active, aux politiques relatives au handicap, etc.
Il est assez facile de faire voter de telles mesures et de se montrer généreux, mais qu’il est difficile de payer… sauf à demander à un tiers de le faire à sa place ! C’est ainsi que l’État détermine les prestations, fixe les taux et définit les prestataires, tandis que les collectivités financent…
Plus qu’un révélateur des déséquilibres structurels, la crise en a été un accélérateur. Rien ne sert de solliciter en permanence le Gouvernement pour qu’il veuille bien régler la totalité des arriérés découlant des nombreuses promesses non tenues par ses divers prédécesseurs depuis vingt-cinq ans. Il faut d’évidence changer de système, c’est-à-dire réformer. Je pense que nous ne trouverons une solution à nos difficultés financières structurelles que lorsque nous aborderons le cinquième risque : le Président de la République a évoqué ce sujet en présentant ses vœux, et il nous a écoutés sur ce point.
Par ailleurs, si le couple commune-intercommunalité fonctionne en général très bien, il n’en va nullement de même du couple département-région. En effet, les assemblées de ces deux collectivités n’ont ni le même mode d’élection ni les mêmes compétences, mais sont en compétition sur les mêmes dossiers, auprès des mêmes interlocuteurs. Les règles, les approches et les modes de gestion étant différents, cela ne peut évidemment pas fonctionner !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Tout à fait !
M. Daniel Raoul. C’est faux !
M. Gérard Miquel. Caricature !
M. Éric Doligé. Vous croyez, monsieur Miquel ? Sachez que, dans la région Centre, grande comme la Belgique, qui compte six départements et 2,5 millions d’habitants, les quatre présidents que nous avons connus en douze ans n’ont réuni que deux ou trois fois les présidents de conseil général ! Nous n’avons pu évoquer qu’en une seule occasion les sujets qui nous intéressaient : c’était au conseil général de l’Indre, présidé par notre collègue Louis Pinton. Dans ces conditions, vous comprendrez mieux mon impatience de voir créer le conseiller territorial. J’en avais rêvé, le gouvernement Fillon l’aura fait ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. –Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)
L’intercommunalité et les communes qui la composent sont gérées par les mêmes hommes et femmes. Le couple département-région ne pourra fonctionner que selon un schéma identique. Le conseiller territorial en sera le ciment. Il gèrera le quotidien au conseil général, tandis qu’au conseil régional il aura toute latitude pour réfléchir au devenir du territoire : il sera l’artisan de la clarification et de la simplification, et saura faire vivre et valoriser les deux collectivités.
La création du conseiller territorial est la pierre angulaire du projet de loi de réforme des collectivités territoriales. Elle devrait intervenir, dans quelques heures au plus tard – du moins je l’espère –, grâce à l’adoption de l’article 1er de ce texte. Il restera alors à définir, dans un texte ultérieur, les contours exacts de sa fonction, son mode d’élection, ainsi que toutes les règles afférentes. Il faudra préciser le périmètre de la circonscription, sa dimension, sa population, en veillant à ne pas écorner le caractère rural de nos départements par une réduction massive du nombre des cantons ruraux. Il faudra aussi traiter au fond le sujet du cumul des mandats, de manière pragmatique.
Enfin, il faudra régler les conditions d’accès au mandat, qui ne doivent pas être passées sous silence. Si celui-ci est réservé à certains, nous ne serons plus en démocratie ! Or, monsieur le ministre, l’application stricte du texte dans sa rédaction actuelle poserait problème à cet égard. Il s’agirait alors d’une question de parité non plus entre hommes et femmes, mais entre public et privé. En effet, le mandat de conseiller territorial risquerait de n’être accessible en pratique qu’aux seuls retraités et fonctionnaires.
M. Jean-Pierre Sueur. Eh oui !
M. Éric Doligé. Selon moi, les incompatibilités professionnelles devront également être revues.
Ce projet de loi aborde de nombreux autres sujets importants.
Je suis persuadé que certains départements ou régions pourraient être intéressés par la possibilité de fusionner. L’article 35 du projet de loi, relatif à la clarification des compétences des collectivités territoriales, était nécessaire. Il apporte de vraies réponses et mettra fin à certaines interrogations.
Enfin, la création des métropoles et des communes nouvelles constitue un vrai sujet, mais prenons garde à ne pas inquiéter sans raison les communes.
Monsieur le ministre, ce texte est à mes yeux très positif, même s’il mérite d’être encore travaillé et enrichi de nos échanges. Je vous remercie de nous le présenter. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Collomb.
M. Gérard Collomb. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je suis de ceux qui pensent que le travail parlementaire doit permettre d’améliorer les projets de loi, comme ce fut le cas, par exemple, à l’occasion de la réforme de la taxe professionnelle.
M. Jacques Blanc. C’est vrai !
M. Gérard Collomb. Si les sénateurs n’avaient pas contribué à modifier de manière fondamentale le texte initial du Gouvernement, nous rencontrerions sans doute aujourd’hui encore plus de difficultés dans nos collectivités locales.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Gérard Collomb. Pour ma part, c’est dans cet esprit que j’aborde le présent débat.
Les collectivités locales sont, à l’heure actuelle, un acteur important, peut-être essentiel, du développement de notre pays. Si l’action du Gouvernement est évidemment fondamentale, elle n’a à mon avis aucune portée si celui-ci ne fait pas confiance aux collectivités territoriales. C’est pourquoi la réforme ne pourra se faire contre elles ou sans elles.
Cela étant, que devons-nous nous fixer comme objectif ? Le rapport Belot est clair : nous devons viser l’excellence des territoires, tant dans la performance économique que dans la prise en compte des besoins sociaux de la population ou dans la création d’un cadre de vie permettant à nos concitoyens de s’épanouir au mieux.
Cet objectif ne saurait être atteint si nous nous enfermons dans une caricature de débat, opposant territoires ruraux et territoires urbains, petites villes et grandes agglomérations, centre et périphérie.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Gérard Collomb. Si nous abordons le débat de cette manière, le texte issu de nos travaux ne représentera pas une avancée positive pour l’avenir de notre pays. La France, pour gagner, pour permettre à tous ses citoyens de vivre bien, a besoin de tous ses territoires, qu’ils soient grands ou petits, urbains ou ruraux : leur diversité est pour elle une chance.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Gérard Collomb. Il convient donc que la loi prenne en compte cette diversité. En examinant ce projet de loi, j’ai vu par exemple une métropole qui dépouillait les communes la composant de tous leurs pouvoirs, sauf en matière d’état civil, de crèches et de petite enfance. Ayant quelque expérience de l’intercommunalité, j’ai alors pensé que si certains élus étaient prêts à assurer en commun des services urbains, à mettre en place une stratégie métropolitaine communautaire, ils n’étaient pas disposés à accepter que la gestion quotidienne soit transférée totalement des communes à la métropole.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Gérard Collomb. En commission des lois, j’ai donc prôné à vos côtés, monsieur Braye, un juste équilibre entre métropole et échelon de proximité, entre centre et périphérie. Cela ne doit cependant pas conduire à proposer, comme vous le faites aujourd’hui, d’abolir la notion de centralité : seule importerait la périphérie, le cœur des villes devant être négligé. En définitive, les élus représentant très peu d’habitants devraient, selon ce schéma, l’emporter au sein de l’intercommunalité ou de la métropole !
M. Dominique Braye. Absolument pas ! Caricature !
M. Gérard Collomb. Pour l’élection des délégués communautaires, nous avons par exemple proposé, monsieur Braye, que tous les territoires soient représentés, que chaque commune soit représentée,...
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Gérard Collomb. … mais qu’il y ait en même temps une certaine adéquation entre la réalité démographique et le nombre de sièges.
M. Jacques Blanc. Non !
M. Gérard Collomb. S’il n’en était pas ainsi, c’est le fondement même de notre République qui serait remis en cause.
Il faut une certaine égalité devant le suffrage universel.
M. Jacques Blanc. Non ! Non ! Non !
M. Dominique Braye. Les communes nouvelles, alors ?
M. Gérard Collomb. Si nous voulons continuer à progresser dans la construction de métropoles d’intérêt national, ce sera nécessairement par la recherche d’une complémentarité entre les fonctions majeures et les fonctions de proximité.
M. Jacques Blanc. Danger !
M. Dominique Braye. Il s’est trahi !
M. Gérard Collomb. C’est ce que doit permettre le texte issu des travaux de la commission des lois.
Au-delà des villes qui ont la capacité de devenir des métropoles d’intérêt national, il fallait aussi répondre aux problématiques de nos plus grandes agglomérations. C’est pourquoi la création de pôles métropolitains me semble être une bonne idée, qu’il conviendra certes de préciser au cours des débats.
Nous savons bien aujourd’hui que les plus grandes villes de notre pays sont en compétition non pas entre elles, mais avec les autres grandes villes, en Europe voire dans le monde.
Si nous voulons éviter ailleurs l’étalement urbain constaté en région parisienne, il faut donner à ces villes les moyens de coopérer entre elles. Pour rivaliser avec Barcelone ou Milan, ces agglomérations doivent pouvoir se développer d’un point de vue non seulement quantitatif, mais aussi qualitatif, cher Edmond Hervé, car le propre d’une grande ville, ce n’est pas sa démographie (Ah ! sur les travées de l’UMP.- M. Jacques Blanc applaudit), c’est la qualité dans les domaines universitaire et économique, mais aussi la qualité de la vie et l’équilibre social.
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Gérard Collomb. C’est ainsi que nous bâtirons les villes d’avenir.
Mes chers collègues, je souhaite que nous puissions progresser ensemble au cours de ces débats, car il me semble que les points de convergence sont nombreux. Finalement, le seul véritable blocage concerne le conseiller territorial.
M. Jacques Blanc. C’est la clé : sans conseiller territorial, il n’y a pas de réforme !
M. Gérard Collomb. Monsieur le ministre, vous savez bien qu’entre les compétences d’un conseil général et celles d’un conseil régional le champ est très divergent.
M. Dominique Braye. Il a dépassé son temps de parole de 100 % !
M. Gérard Collomb. C’est, à mon sens, ce qui fait la qualité de ces deux assemblées : l’une se caractérise par la proximité, la prise en compte de la vie quotidienne et des problèmes sociaux ; l’autre essaie plus largement de construire l’avenir, afin que notre pays soit compétitif au niveau mondial.
M. Jacques Blanc. Pourquoi ne pas les regrouper ?
M. Gérard Collomb. Nous devons donc essayer de progresser ensemble, mes chers collègues, pour éviter de réitérer les erreurs commises lors de la réforme de la taxe professionnelle.
M. Jean-Pierre Sueur. Parlons-en !
M. Gérard Collomb. Je me rappelle être intervenu à cette tribune pour attirer l’attention sur le fait que les villes, les agglomérations, les départements les plus industrialisés seraient les plus grandes victimes de la réforme.
Le ministère de l'économie, de l'industrie et de l'emploi vient de nous faire parvenir ses chiffres. Je vous en cite quelques-uns : Dunkerque subit une perte d’autonomie de 65 %, Montbéliard de 56 % et Fos de 75 %. Dans le même temps, les communes résidentielles sont gagnantes. Est-ce ainsi que nous soutiendrons l’industrie française ?
Mes chers collègues, tirons les leçons du passé pour essayer de préparer ensemble l’avenir ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Richert. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Philippe Richert. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à ce stade de la discussion générale, il serait prétentieux de vouloir se lancer dans une analyse globale de ce texte. Je me limiterai donc à exprimer quelques remarques et attentes.
Je souhaite d’abord exprimer une certitude. Chers collègues, j’ai été élu conseiller général pour la première fois en 1982, avant l’adoption des lois de décentralisation. J’ai eu la chance de vivre les transferts de compétences au profit de collectivités débarrassées de la tutelle de l’État, mais confrontées à de nouvelles obligations, à des choix difficiles, parfois, en matière de financement ; des collectivités dont les ressources étaient également de plus en plus encadrées. Nous l’avons tous souligné.
Depuis plus de vingt-cinq ans, nous pouvons constater les effets bénéfiques de la « république des libertés locales » que constituent nos collectivités. Elles sont au service de plus de proximité, de plus de démocratie, de plus d’efficacité.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est fini !
M. Philippe Richert. Mais nous constatons tout autant combien le contexte a changé en un quart de siècle. La mondialisation, la concurrence de plus en plus exacerbée, le défi de la maîtrise des moyens pour faire face aux enjeux du financement des retraites, de la prise en charge de la dépendance, de l’allègement des charges pour permettre plus de compétitivité, le besoin d’alléger les procédures pour plus de lisibilité et d’efficacité ont poussé l’État à se réformer en profondeur : réforme des armées, de la justice, de la présence territoriale, création notamment de Pôle emploi, révision générale des politiques publiques…
Nous, les décentralisateurs, qui étions habitués à répéter que l’État devait apprendre à se moderniser, constatons que l’État se réforme, alors que les collectivités territoriales, disons-le, restent en retrait de cette évolution.
Jamais l’État n’a osé aller aussi loin dans la remise à plat de son organisation et de son fonctionnement. Les collectivités ne peuvent pas rester à l’écart de ce mouvement en refusant la réforme, en s’arc-boutant sur l’existant. À mon avis, ce serait contre-performant pour les collectivités, voire pour le principe de décentralisation.
Ces réformes sont indispensables pour permettre, une fois la clarification opérée, de transférer de nouvelles compétences en utilisant mieux et plus souvent l’expérimentation.
Si nous décidions de ne pas entrer dans le cycle de réforme des collectivités voulu par l’État, nous donnerions du poids à ceux que nous pourrions qualifier de « jacobins », qui ne veulent toujours pas confier de responsabilités aux collectivités locales. Ceux qui, aujourd’hui, sous prétexte de défendre les collectivités, veulent le statu quo, font en réalité le jeu de ceux qui souhaitent revenir sur les différentes étapes de la décentralisation.
La réforme est donc indispensable à mes yeux.
La création de métropoles est sans doute une bonne chose, même si cette notion reste à préciser. D’ailleurs, les élus de Strasbourg sont presque tous favorables à une telle évolution pour leur ville.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. C’est vrai !
M. Philippe Richert. J’approuve également l’achèvement de la carte de l’intercommunalité : qui pourrait ici prétendre le contraire sous prétexte que nous aurions déjà fait beaucoup ?
La simplification, la précision des compétences des différents niveaux de collectivité constituent également un point essentiel : qui pourrait prétendre aujourd’hui que les régions et les départements ne se marchent pas quelquefois sur les pieds,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ils le font tout le temps !