M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, sur l'article.
M. Thierry Foucaud. Cet article porte sur la question de la lutte contre les paradis fiscaux, qui constituent, comme la crise financière de l’été 2008 l’a largement démontré, l’un des espaces où se sont développés les turbulences et les désordres qui ont marqué les marchés financiers et mis en cause le devenir des banques françaises et internationales, jusqu’à en conduire d’ailleurs quelques-unes à la faillite.
Les paradis fiscaux ne se situent pas forcément sous les latitudes exotiques de la mer des Caraïbes ou dans le si mystérieux Triangle des Bermudes. (Sourires.) Un grand nombre d’entre eux sont situés beaucoup plus près de chez nous, et parfois directement à nos portes.
Pour ma part, je soutiendrai l’amendement que nos collègues socialistes présenteront dans quelques instants pour étendre le dispositif institué à l’article 14 aux paradis fiscaux situés sur le territoire de l’Union européenne.
Je ne sais plus tout à fait si l’île de Man, les îles anglo-normandes ou le Rocher de Gibraltar font partie du territoire de l’Union européenne. En revanche, dans les banques luxembourgeoises, sur le registre des sociétés à Rotterdam ou à la City de Londres, il y a de quoi procéder aux mêmes manœuvres et jouer des mêmes possibilités d’optimisation fiscale que du côté, par exemple, des îles Caïmans.
C’est encore plus le cas lorsque les pays de l’Union européenne s’entendent pour faire de leurs régions ultrapériphériques, que ce soit les collectivités d’outre-mer, l’île de Madère, les îles Canaries ou les Açores, de véritables territoires d’expérimentation de l’optimisation fiscale, optimisation qui, on s’en doute, concerne seulement les impôts dus par les entreprises, et non la fiscalité des ménages.
En réalité, derrière les intentions affichées à l’article 14, nous ne croyons qu’assez peu aux conséquences des dispositions que l’on nous invite à adopter. Ne serait-ce que parce qu’il faudra s’entendre sur la liste des territoires dits « non coopératifs », liste qui avait été singulièrement expurgée l’an dernier. Par exemple, elle ne comprend pas des pays comme la Suisse ou la principauté du Liechtenstein, qui, nous le savons bien, sont régulièrement utilisés par certaines entreprises ou par des particuliers pour mener des opérations sans doute critiquables du point de vue de la sincérité fiscale.
S’il s’agit de poursuivre les quelques « innocents » qui auraient eu l’étrange idée de placer leurs liquidités dans des banques uruguayennes ou aux Philippines, autant dire que l’article 14 n’aura que peu d’effets sur les comportements les plus délictueux et les plus discutables. Sans volonté politique d’aller plus loin, et notamment d’interroger sur leur législation certains des pays de l’Espace économique européen ou situés hors de la zone euro, autant dire tout de suite que l’article 14 n’aura aucune portée réelle !
Mme Nicole Bricq. Bien évidemment !
M. Thierry Foucaud. Par conséquent, nous ne voterons pas cet article, sauf s’il venait à être modifié dans le sens que nous souhaitons.
M. le président. L'amendement n° 70, présenté par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer les mots :
non membres de la Communauté européenne
La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. À la suite des déclarations qui ont été faites pour lutter contre les paradis fiscaux lors des différentes réunions du G20, l’article 14 a pour objet de traduire une telle volonté dans la loi avant la fin de l’année. Mais sa rédaction ne nous satisfait pas, car elle exclut a priori les États membres de l’Union européenne du dispositif.
Monsieur le ministre, le Gouvernement a repris la liste de l’OCDE, qui, nous le savons, a donné lieu à d’intenses négociations diplomatiques. À l’origine, il y avait une liste blanche, une liste grise et une liste noire. Et on a tout de même quelque peu « blanchi » certains États pour leur permettre de figurer sur la liste blanche, de sorte qu’il ne reste plus grand monde sur la liste noire !
La restriction qui figure dans le projet de loi de finances rectificative n’est ni justifiée, ni raisonnable, ni acceptable ; chacun doit fournir des efforts. On ne peut pas s’ériger en donneur de leçons pour le reste du monde si on n’est pas capable de faire le ménage dans sa propre sphère d’influence ! Nous savons bien que certains États membres de l’Union européenne ne sont à l’heure actuelle manifestement pas exempts de toute critique en matière de coopération fiscale et de législation bancaire et financière.
De notre point de vue, dans un souci réel de lutte sincère et efficace contre les paradis fiscaux et l’évasion fiscale, il convient de préciser que l’ensemble des pays et territoires, sans exception, sont concernés par le dispositif prévu à l’article 14.
À mon sens, loin de gêner le rapprochement et les stratégies coopératives, une telle mesure aidera le Gouvernement. En effet, il s’agit au final d’une arme de dissuasion pour que certains États bien connus qui se situent au sein de l’Union européenne adoptent véritablement une stratégie coopérative.
Nous examinerons tout à l’heure un amendement, d’ailleurs adopté à l’unanimité en commission des finances, portant sur un pays qui ne fait, certes, pas partie de l’Union européenne, mais dont nous connaissons les difficultés à lever le secret bancaire… Et, vous le savez bien, monsieur le ministre, nous vous soutiendrons dans le bras de fer qui oppose la France à cet État.
Je pense que nous sommes plus forts lorsque nous agissons au sein de la sphère directe d’influence de la France, c'est-à-dire au sein de l’Union européenne. Notre pays est tout de même puissant en Europe. Quand il s’exprime, il est écouté et entendu.
Nous sommes, me semble-t-il, dans le droit fil de ce que nous avons évoqué tout à l’heure : nous voulons vous aider dans la lutte contre l’évasion et les paradis fiscaux.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Il me semble que c’est une initiative habile et intéressante, mais dans l’immédiat sans effet. Je voudrais m’en expliquer.
Ce qui importe, c’est le comportement déontologique, légal et fiscal des États, notamment dans la période que nous connaissons, où nous devons tirer toutes les conséquences de la crise.
Après la crise, les choses ne sont plus comme avant. (Mme Nicole Bricq s’exclame.) Nous devons tous, je le crois, unir nos énergies pour éviter que certains intermédiaires professionnels ou certains dirigeants, voire certains responsables politiques, ne veuillent recommencer à gérer comme avant leur petit fonds de commerce, même si les clients de ce fonds de commerce sont, nous le savons, des gens particulièrement impurs.
Alors, quid de l’Union européenne ?
En réalité, cet amendement soulève nombre de questions. En soi, le fait d’être membre de l’Union européenne n’est pas une garantie de moralité internationale. Parmi les vingt-sept États membres, il en est qui, nous le savons bien, doivent faire un effort considérable pour changer des comportements liés à leurs intérêts commerciaux ou ancrés dans leur tempérament national.
Après tout, le problème ne se limite pas seulement aux États qui nous sont géographiquement proches. Il concerne l’ensemble des vingt-sept États membres.
M. Adrien Gouteyron. Eh oui !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Et le message que nous envoyons aujourd'hui s’adresse également aux nouveaux pays adhérents.
Nous le savons, l’un des grands enjeux de l’Europe est d’arriver à unifier progressivement les comportements et à faire en sorte que les tentations encore présentes dans certains pays, comme la Bulgarie ou la Roumanie, disparaissent. C’est ainsi que l’on devient véritablement européen !
Pour autant, le dispositif proposé par Mme Nicole Bricq ne pourra pas se traduire par des effets très concrets.
D’abord, aujourd'hui, tous les États membres de l’Union européenne figurent, à tort ou à raison, sur la liste blanche de l’OCDE. Par conséquent, techniquement, aucun de ces États ne pourra figurer sur la liste prévue à l’article 14.
Au demeurant, même dans l’hypothèse où l’un d’entre eux serait sur cette liste, la procédure que nous pourrions déclencher à son encontre devrait, en tout état de cause, être conforme au droit communautaire. Est-ce le cas des modes de taxation de certains flux financiers prévus à l’article 14 ? Ce n’est pas certain.
Pour autant, malgré toutes les réserves que j’émets, je pense, et je crois traduire correctement la position exprimée par la commission des finances lorsqu’elle a examiné l’amendement, qu’il faut soutenir cette proposition. Certes, elle est un peu « cosmétique ». Mais elle a le mérite de montrer que tout le monde doit véritablement s’engager dans la lutte pour la moralité internationale, et ce qu’on soit membre ou pas de l’Union européenne. C’est encore plus vrai, a fortiori, lorsqu’il s’agit des influences qu’exercent des États membres sur des territoires aux marges de l’Union.
M. le ministre connaît bien certaines des situations en question. Il est, par exemple, un spécialiste des institutions de l’île de Man (Sourires),…
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. … qui a le plus vieux parlement du monde ! C’est donc une vraie démocratie !
Mais l’influence que les États de l’Union européenne peuvent exercer sur ces territoires dérégulés spécifiques est un élément très important.
Pour les raisons que je viens d’indiquer, afin d’engager le débat sur le sujet, la commission émet, de manière un peu symbolique, un avis favorable sur cet amendement.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Voilà !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Woerth, ministre. Monsieur le rapporteur général, pour les raisons que vous venez d’indiquer, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement. (Sourires.)
M. Jean-Jacques Jégou. Le père Fouettard !
M. Éric Woerth, ministre. En effet, comme vous l’avez dit vous-même, un tel dispositif n’emporterait pas de conséquences concrètes. Et, de mon point de vue, une mesure qui n’emporte pas de conséquences concrètes ne sert à rien !
La liste mentionnée à l’article 14 sera effectivement publiée au 1er janvier, et les sanctions prévues par le texte en découleront. Aucun État membre de l’Union européenne n’y figurera.
Mme Nicole Bricq. Mais cela pourrait être le cas à l’avenir !
M. Éric Woerth, ministre. En effet, la France a signé avec les États membres de l’Union européenne qui auraient pu figurer sur la liste des conventions fiscales ou des dispositions additionnelles aux conventions sur l’échange d’informations fiscales, en s’inspirant des modèles OCDE.
Par conséquent, un tel dispositif ne serait pas opérationnel.
Au demeurant, même si un État membre figurait sur la liste prévue à l’article 14, les sanctions qu’il faudrait lui appliquer seraient contraires au droit de l’Union européenne.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Il faut le réviser !
M. Éric Woerth, ministre. Nous allons en effet prendre des mesures extrêmement dures, ce qui est tout à fait positif. On ne peut donc pas être assis entre deux chaises…
Les sanctions que nous proposons sont très sévères. Il s’agit quasiment d’empêcher les échanges commerciaux et financiers avec les pays considérés comme non coopératifs. L’application de telles dispositions à des pays membres de l’Union européenne serait donc contraire au droit communautaire.
Nos relations en la matière avec les autres États membres de l’Union européenne sont régies par plusieurs directives. Je pense notamment à une directive qui date des années soixante-dix, à une directive de 2003 sur l’épargne ou à d’autres qui sont en cours d’actualisation. Leur efficacité est d’ailleurs en train d’être renforcée.
Dès lors, l’inscription d’un État membre sur la liste ne serait pas compatible avec le droit européen.
En outre, si nous faisions figurer des pays non susceptibles de sanctions sur la liste prévue à l’article 14, nous en affaiblirions, me semble-t-il, la portée. En effet, cette liste vise à déterminer les pays auxquels s’appliqueront les sanctions dont nous allons débattre dans quelques instants.
D’ailleurs, ces sanctions pourront être modifiées chaque année en fonction de l’évolution de la situation ou de la coopération internationale.
Voilà pourquoi le Gouvernement a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur le ministre, la crise est passée par là. Plus rien ne sera désormais comme avant et même l’Union européenne devra procéder à une révision de ses conventions et de ses pratiques. Au fond, si on vous écoute bien, il suffirait qu’un pays voisin de l’Union reconnu comme non coopératif devienne membre de l’Union pour qu’il cesse d’être non coopératif !
Or nous savons très bien aujourd’hui que nous rencontrons de vraies difficultés avec plusieurs États membres de l’Union européenne, dont les responsables exercent parfois des fonctions éminentes au sein de l’Union…
Mme Nicole Bricq. Oui !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. L’amendement n° 70 présenté par Nicole Bricq n’a peut-être pas une portée extraordinaire, mais les mots ont un sens : ainsi rédigé, le texte de l’article 14 ne créerait plus une présomption de respect des normes et d’engagement coopératif au profit des États membres de l’Union européenne. En effet, le fait d’être membre de l’Union européenne ne rend pas les États irréprochables de ce point de vue. Tel est l’intérêt que présente cet amendement et je n’ai pas le sentiment qu’il place le Gouvernement dans une position périlleuse sur le plan diplomatique. (M. le ministre sourit.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 70.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n’adopte pas l’amendement.)
Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas brillant !
M. le président. L’amendement n° 218, présenté par MM. Arthuis et Marini, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Sont également considérés comme non coopératifs, à la date du 1er janvier 2010, les États ou territoires qui, à cette date, ont conclu avec la France une convention d’assistance administrative permettant l’échange de tout renseignement nécessaire à l’application de la législation fiscale des parties et ont manifesté leur intention de suspendre sa ratification, de ne pas la ratifier ou de ne pas l’appliquer.
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Cet amendement décline une évidence.
Pour figurer sur la liste prévue à l’article 14, il faut être un État ou territoire non coopératif. Comment définir ce caractère non coopératif ? Selon les règles de l’OCDE, il désigne un État qui démontre sa volonté de ne pas être coopératif. Plus précisément, le projet de loi le définit comme un État qui ne veut pas conclure de convention d’assistance administrative. Notre amendement tend simplement à compléter cette définition, en ajoutant qu’il peut s’agir d’un État, quel qu’il soit, qui, ayant conclu une telle convention, manifeste clairement son intention de ne pas la mettre en œuvre, de ne pas honorer sa signature ou de ne pas aller au bout de sa démarche.
Tel est l’objet de cet amendement, que nous rectifions légèrement, afin d’offrir un peu de souplesse dans son application, en supprimant toute référence à la date du 1er janvier 2010.
M. le président. Il s’agit donc de l’amendement n° 218 rectifié, présenté par MM. Arthuis et Marini, au nom de la commission des finances, et qui est ainsi libellé :
Alinéa 7
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Y sont également ajoutés les États ou territoires qui ont signé avec la France une convention d’assistance administrative permettant l’échange de tout renseignement nécessaire à l’application de la législation fiscale des parties et ont manifesté leur intention de suspendre sa ratification, de ne pas la ratifier ou de ne pas l’appliquer.
Veuillez poursuivre, monsieur le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Mais que signifie l’expression « ont manifesté leur intention » ?
M. Nicolas About. C’est vague !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Une déclaration publique d’un responsable politique, même haut placé, ne suffit pas pour être reconnue comme une manifestation d’intention. (M. Nicolas About opine.) Il faut un acte juridique qui exprime l’intention de cet État de ne pas honorer sa signature.
Ce complément correspond donc tout à fait à l’esprit du dispositif qui nous est soumis, il ne préjuge, à la vérité, du comportement de personne (Sourires) et se réfère aux conditions dans lesquelles un État démocratique est appelé à assumer ses responsabilités vis-à-vis de son opinion publique et de son environnement international, par exemple, européen.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne souhaite pas en dire davantage à ce stade.
Cet amendement répond au souci de la commission des finances de bien légiférer et, surtout, d’accompagner les efforts du Gouvernement. En effet, dans cette période postérieure à la crise, nos opinions publiques manifestent des attentes considérables, car elles sont particulièrement choquées par certains phénomènes, certaines pratiques ou certains dysfonctionnements. Il faut répondre à ces attentes, sans populisme ni démagogie.
Il appartient à nos gouvernements de veiller à ce que l’on soit plus strict qu’on ne l’a été, à ce que l’on recherche des modalités juridiques plus efficaces que par le passé, afin de pourchasser les entorses à l’éthique, la fraude et les délits financiers, en particulier les délits financiers internationaux. Manifestement, une grande attente de nos concitoyens s’exprime dans ce domaine. Il ne s’agit d’ailleurs pas seulement de nos concitoyens, mais des habitants de tous les pays de l’espace occidental développé : ce mouvement d’opinion est très large, c’est même l’un des mouvements de l’opinion globale aujourd’hui.
L’article 14, assorti d’un dispositif juridique contraignant, est susceptible, sous forme d’une dissuasion progressive, de permettre une riposte graduée, avec des fondements juridiques et fiscaux bien exprimés : il représente donc un facteur de satisfaction pour la commission des finances. Il est logique que nous nous efforcions de poursuivre la démarche jusqu’à son terme et l’amendement que j’ai eu l’honneur de vous présenter y contribue.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Woerth, ministre. Je souhaite tout d’abord remercier M. le président de la commission des finances, M. le rapporteur général et le Sénat dans son ensemble pour le soutien très ferme qu’ils apportent au Gouvernement dans ce travail de remise à niveau de nos outils de lutte contre la fraude, notamment fiscale.
En effet, nos concitoyens ne peuvent plus supporter tout un environnement, dans un monde qui change, qui bouge, comme l’a très bien dit Philippe Marini. Ils sont prêts à faire des efforts, mais ils ne supportent plus les abus qui résultent de la fraude, à la fois sur le plan social et fiscal. Sur l’ensemble de ces domaines, dans le cadre de la loi – je lis parfois le contraire dans la presse, mais c’est une plaisanterie ! – et dans le respect de l’état de droit, l’État français est fondé à se protéger contre la fraude et à protéger nos concitoyens contre les fraudes de toute nature, comme tous les autres États ont le droit de protéger leurs citoyens et leurs contribuables.
Ma détermination est totale : elle est totale pour respecter la loi, pour respecter le droit, pour nous inscrire dans une démarche d’État de droit, dans une démarche à long terme, mais également pour ne pas donner à ce combat une portée qui dépasserait sa signification. Or la signification de ce combat est simple : la loi doit s’appliquer à tous et un résident fiscal français est soumis à la loi fiscale française, rien de plus.
Je salue la réactivité du Sénat, car les auteurs de cet amendement réagissent, en réalité, à un épisode récent des relations franco-suisses, puisqu’il faut dire les choses telles qu’elles sont – et je ne vois aucune raison de les cacher !
Je souhaiterais que nos relations avec les autorités helvétiques s’apaisent. D’ailleurs, je ne pense pas qu’elles soient extrêmement dégradées : nos relations avec ce pays ami de la France sont anciennes, mais nous avons pu relever récemment un certain énervement. Nos relations bilatérales sont très denses, très riches et très amicales : elles sont tellement amicales que Christine Lagarde a signé, le 27 août dernier, une convention de coopération fiscale franco-suisse, plus ambitieuse que celle qui nous lie actuellement, car elle est destinée à permettre l’échange d’informations fiscales entre nos deux pays, en conformité avec les normes de l’OCDE. Bref, il s’agit de supprimer le secret bancaire dans le cadre des relations entre la Suisse et la France.
M. Thierry Foucaud. Et ça marche très bien ! (Sourires.)
M. Éric Woerth, ministre. J’observe que la levée du secret bancaire s’applique déjà dans le cadre des relations de la France avec tous les États avec lesquels elle a signé une convention de ce type. Avec la Suisse, nous ne faisons donc que normaliser nos relations sur le plan fiscal.
J’ai bien noté que les autorités suisses, hier ou avant-hier, ont évoqué non pas la remise en cause définitive de la ratification de l’avenant signé le 27 août, mais la « suspension » de l’examen du projet de loi de ratification. Le Gouvernement prend acte du fait que, compte tenu du changement que cet avenant représente pour un État comme la Suisse, il nécessite de sa part un délai de réflexion supplémentaire.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Ils n’ont qu’à organiser un référendum d’initiative populaire !
M. Éric Woerth, ministre. Mais l’officialisation de la suspension de cette ratification enverrait quand même, comme je le disais ce matin, un signal ambigu. J’ai eu le sentiment, quand j’ai discuté avec les autorités suisses, que telle n’était pas leur volonté. Mais la prolongation de cette suspension jetterait une ombre sur la volonté de la Suisse de participer au mouvement général de moralisation du capitalisme financier, pour reprendre l’expression souvent employée dans le cadre des réunions du G20.
En effet, l’origine de ce mouvement est à rechercher dans la crise et dans les résolutions prises dans le cadre des réunions du G20. Ce ne sont ni la France, ni la Suisse, mais l’ensemble des grandes puissances économiques, réunies à Londres et à Pittsburgh, dans le cadre du G20, qui ont tiré les enseignements de la crise et ont décidé de renforcer leur action contre les paradis fiscaux.
C’est donc une démarche collective et le gouvernement français n’imagine pas un instant que, pour des raisons circonstancielles, le gouvernement suisse ne mettrait pas ses propres règles fiscales au niveau des standards internationaux, auxquels, je le sais, il est attaché.
Dans ce contexte de fermeté absolue dans la lutte contre la fraude, le gouvernement français est en droit, comme tout gouvernement – j’insiste sur ce point –, de lutter contre la fraude qui affecte ses propres finances.
M. Michel Charasse. C’est une obligation constitutionnelle !
M. Éric Woerth, ministre. Tout cela est clair sur le plan du droit et de la loi et c’est dans ce cadre que la France a agi. Dans le même temps, s’agissant de nos relations diplomatiques, nous n’entendons pas jeter de l’huile sur le feu.
C’est pourquoi, monsieur le rapporteur général, après l’explication que vous venez de donner, je souhaiterais que vous acceptiez de retirer cet amendement. Ce retrait nous permettrait d’apaiser les tensions, de ne pas réagir à chaud, de ne pas compliquer la relation en question, tout en envoyant à la nation un message confirmant que les sénateurs soutiennent la lutte du Gouvernement contre tous les types de fraude.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur le ministre, vous avez pu relever que cet amendement tend à apporter un soutien clair au combat que vous engagez contre les paradis fiscaux au nom du gouvernement français.
On ne peut pas tenir des réunions aussi solennelles et prometteuses que celles du G20 sans en tirer les conséquences. Aussi, nous considérons que tout ce qui pourrait ressembler à une forme d’hypocrisie, de proclamation qui ne serait pas suivie par des actes ne ferait qu’affaiblir la confiance entre les responsables politiques et les citoyens.
C’est dans ce cadre que s’inscrit cet amendement, qui, je crois pouvoir le dire, est soutenu par l’ensemble de la commission des finances.
Aucun pays en particulier n’est visé, pas plus la Suisse que les autres États.
Au lendemain du sommet de Pittsburgh, les signatures de conventions se sont multipliées. Il faut sûrement s’en réjouir. Il paraît même que les espaces non coopératifs ont signé entre eux des conventions,…
M. Joël Bourdin. Oui !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. … ce qui est tout à fait encourageant.
Notre amendement n° 218 rectifié vise simplement à indiquer que la signature d’une convention ne suffit pas à emporter la conviction que celui qui s’engage est vraiment déterminé à tenir les promesses de ses actes. Il ne faut pas y voir d’autre intention.
C’est pourquoi il serait bon, me semble-t-il, d’aborder la commission mixte paritaire avec un texte enrichi par la contribution du Sénat.
M. le président. L’amendement n° 218 rectifié est donc maintenu. (M. le président de la commission des finances opine.)
La parole est à M. Nicolas About, pour explication de vote.
M. Nicolas About. Mes chers collègues, après la TVA dans le secteur de la restauration, la commission des finances apporte une nouvelle fois son aide au Gouvernement et manifeste très clairement la position du Parlement, et, je pense, contribue à l’effort réalisé pour faire progresser les dossiers.
Toutefois, comme l’a rappelé le président Arthuis, les mots ont un sens et la rédaction proposée, en frappant les intentions, va sans doute un peu loin. Il serait préférable de se limiter aux actes ou aux décisions avérées.
J’ai bien compris la volonté de Jean Arthuis de pouvoir discuter cette question en commission mixte paritaire. Afin que la commission des finances apporte une aide totale au Gouvernement et que nous ne courrions pas le risque que sa proposition soit contre-productive, je propose un sous-amendement visant à rédiger ainsi la fin de la phrase : « … ont manifesté leur volonté de ne pas la ratifier ou de ne pas l’appliquer ».
En effet, il me reste quelques souvenirs de la commission des lois dans laquelle j’ai sévi : la formulation « ont manifesté leur intention de suspendre » est juridiquement floue. Qui a manifesté son intention de suspendre et sous quelle forme ? Une volonté, au contraire, s’exprime à travers une décision.
Je préférerais donc, dans un premier temps, que nous nous en tenions à cette notion de volonté de ne pas ratifier ou de ne pas appliquer la convention. Cette formulation recouvre l’ensemble des idées défendues dans l’amendement. En effet, suspendre la ratification revient à ne pas appliquer la convention.
Cette modification permettrait d’adopter une rédaction sans doute moins provocante.