M. Bernard Frimat. Bonne recommandation !
M. Marc Laménie, rapporteur. Il insiste aussi sur la nécessité de mieux informer les salariés détachés sur leurs droits et de renforcer les moyens de contrôle afin de sanctionner plus efficacement les entreprises en infraction.
Il préconise en outre d’insérer dans le traité de Lisbonne une clause de progrès social – préoccupation tout à fait légitime –, qui affirmerait la supériorité des droits sociaux sur les libertés économiques.
En application du règlement du Sénat, la proposition de résolution a d’abord été instruite par la commission des affaires européennes, dont je salue le travail – notre collègue Denis Badré nous en dira un mot dans quelques instants –, puis par la commission des affaires sociales, compétente au fond, dont je remercie les membres, qui ont activement participé à ses travaux.
M. Alain Gournac. Merci !
M. Marc Laménie, rapporteur. Les analyses de nos deux commissions sont largement convergentes.
En premier lieu, nous ne sommes pas convaincus qu’une révision de la directive soit le meilleur moyen de parvenir à une remise en cause de la jurisprudence de la Cour de justice. En effet, les différences de niveau de vie au sein de l’Union européenne sont plus importantes qu’elles ne l’étaient au moment où la directive a été négociée, de sorte que les États membres ont aujourd’hui des intérêts très divergents. Dans ces conditions, sommes-nous certains que l’ouverture de négociations aboutirait obligatoirement à un compromis plus favorable aux salariés ?
En deuxième lieu, les États membres les plus concernés par la jurisprudence européenne, en l’occurrence l’Allemagne et les pays scandinaves, dont notre collègue a beaucoup parlé, ne réclament pas une révision de la directive. Ils ont plutôt choisi d’adapter leurs règles de droit interne pour tirer les conséquences de la jurisprudence communautaire.
La France, pour sa part, est peu affectée par cette jurisprudence, …
Mme Raymonde Le Texier. Ça va venir !
M. Marc Laménie, rapporteur. … car la plupart de nos normes sociales, qu’elles figurent dans le code du travail ou dans une convention collective étendue, sont d’application générale.
Sur la question du droit à l’action collective des syndicats, nous ne partageons pas non plus entièrement l’analyse du groupe socialiste. La. Cour de justice n’a pas consacré la primauté des libertés économiques sur le droit syndical. Elle s’est seulement efforcée de concilier ces différents droits et libertés selon une démarche qui n’est pas sans rappeler celle du Conseil constitutionnel. En droit français comme en droit communautaire, le droit de grève n’est pas un droit absolu et son exercice peut donc être encadré.
En ce qui concerne le principe de proportionnalité, il reste à apprécier quelle application il trouvera en droit français. S’il consiste simplement à sanctionner l’abus du droit de grève ou le comportement fautif des grévistes, il est compatible avec notre droit national.
J’en viens à l’éventuelle inclusion d’une clause de progrès social dans le traité de Lisbonne. Je rappelle que ce traité est finalement entré en vigueur le 1er décembre de cette année, au terme d’un long processus de ratification. Il est donc peu probable que sa modification soit envisagée par les Vingt-sept avant plusieurs années.
Mme Catherine Tasca. Il faut commencer le plus vite possible !
M. Marc Laménie, rapporteur. II n’est pas sûr non plus qu’elle soit juridiquement indispensable dans la mesure où l’article 3 du traité sur l’Union européenne consacre déjà avec force la finalité sociale de la construction européenne : l’Union « combat l’exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales, l’égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l’enfant. Elle promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres ».
Ce fondement juridique devrait suffire à assurer un équilibre entre les libertés économiques et la protection des droits sociaux.
La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne reconnaît par ailleurs sans ambiguïté le droit des travailleurs à l’action collective, y compris la grève, pour défendre leurs intérêts.
Conformément à l’accord politique passé entre les groupes, la commission des affaires sociales n’a adopté aucun texte lors de sa réunion du 2 décembre dernier afin que nous puissions débattre cet après-midi de la proposition de résolution dans la rédaction voulue par ses auteurs. Ceux-ci m’ont fait savoir qu’une version modifiée de la proposition de résolution, tenant compte des remarques de la commission, ne recueillerait pas leur agrément. Le groupe socialiste est en effet tout particulièrement attaché à la demande de révision de la directive, qui, en revanche, ne nous paraît pas opportune, comme je l’ai indiqué. Si nous approuvons l’objectif de protéger les salariés contre le risque de dumping social – c’est l’objectif –, nous divergeons sur la méthode à suivre.
Il n’est pas non plus certain que le moment choisi soit le bon. En effet, la Commission européenne a lancé deux missions d’étude pour vérifier si la transposition de la directive de 1996 a été effectuée de manière satisfaisante et pour évaluer son impact socio-économique. Il serait sans doute utile que la Haute Assemblée ait connaissance des conclusions de ces travaux, attendues pour le premier semestre de 2010, avant de prendre position.
Enfin, je l’ai dit, la France n’étant pas véritablement affectée par la jurisprudence de la Cour de justice, elle n’est pas l’État le plus légitime pour demander une révision de la directive que ses partenaires, plus directement concernés, ne souhaitent pas nécessairement.
Pour ces différentes raisons, je vous propose le rejet de la proposition de résolution qui nous est soumise, tout en soulignant l’intérêt de ce débat qui devrait permettre à tous les orateurs et à tous les groupes d’exprimer largement leur point de vue sur une question qui n’est pas simple – il s’agit d’une question très technique, au carrefour du droit social, du droit du travail et du droit européen – et dont nous comprenons l’importance. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Alain Gournac. Bravo, mon cher collègue. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Denis Badré, rapporteur pour avis de la commission des affaires européennes. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales – je note que la parité progresse au-delà de toutes espérances ! –, mes chers collègues, après les interventions très claires de Richard Yung, au nom des auteurs de la proposition de résolution européenne, et de Marc Laménie, au nom de la commission des affaires sociales, je ferai simplement ici quelques observations à la suite des débats ouverts et très intéressants que nous avons eus au sein de la commission des affaires européennes, observations qui prolongent le rapport que j’ai eu l’honneur de présenter au nom de cette commission.
Sur les points essentiels, ces observations rejoignent assez largement l’analyse que vient de nous présenter Marc Laménie. Richard Yung, Marc Laménie et moi avons d’ailleurs veillé à coordonner toutes nos investigations afin d’avoir comme base un référentiel commun. Cela mérite d’être souligné.
Je souligne également, avec force, que les inquiétudes exprimées par les auteurs de la proposition de résolution européenne me paraissent parfaitement compréhensibles et totalement légitimes. Le droit communautaire ne doit en aucun cas favoriser ou encourager le dumping social ou remettre en cause le droit de grève. Les débats sur la directive « services » l’ont d’ailleurs bien montré.
Cela étant dit, il me semble que les auteurs de la proposition font une lecture un peu pessimiste de la jurisprudence de la Cour de justice en matière de détachement de travailleurs et des solutions qui sont ouvertes aujourd'hui pour progresser. Je pense donc que nous devrions essentiellement nous interroger sur le point de savoir quelle est la meilleure voie à emprunter pour progresser sur ce sujet essentiel.
La proposition de résolution est axée sur trois points de niveau et de nature assez différents, constat sur lequel nous sommes assez largement d’accord. Tout d’abord, elle met en cause la jurisprudence de la Cour de justice, qui reléguerait la protection des droits sociaux fondamentaux au second rang par rapport aux libertés économiques fondamentales. Ensuite, elle demande la révision de la directive de 1996 sur le détachement des travailleurs. Enfin, elle propose une clause de progrès social pour renverser la jurisprudence de la Cour de justice.
Sur le premier point, il me semble important, comme aux auteurs de la proposition de résolution, que nous affichions clairement notre vigilance concernant la jurisprudence de la Cour et ses éventuels décalages par rapport à l’esprit de la directive de 1996. Cela me paraît d’autant plus justifié que le traité de Lisbonne engage un nouvel équilibre entre l’impératif du développement du marché intérieur et la prise en compte du progrès social.
Sur la remise en chantier de la directive, je suis plus circonspect. Oui, il faut regretter l’interprétation trop stricte à mon goût faite par la Cour de la notion de règles impératives minimales. Cette interprétation donne l’impression que l’on est en présence d’une directive d’harmonisation maximale, les salariés détachés ne pouvant obtenir mieux que le minimum légal.
Pour autant, la révision de la directive ne s’impose pas de manière évidente. Ne négligeons pas le principe de réalité qui est bien au cœur de la méthode Schuman pour construire l’Europe. Ne perdons jamais de vue les véritables objectifs que nous cherchons à atteindre.
Au demeurant, aucun État membre ne demande aujourd'hui la révision de la directive, pas même ceux qui sont directement concernés, c'est-à-dire les États touchés par les arrêts de la Cour. Au contraire, ils réfléchissent à l’aménagement de leur modèle de relations sociales pour le rendre compatible avec la jurisprudence de la Cour. Ainsi des mesures ont-elles été annoncées en Suède en octobre dernier. En Allemagne, une loi a été adoptée en avril 2009.
Je rappelle également que la directive de 1996 a été négociée dans une Europe qui comptait quinze États membres dont les niveaux de développement étaient assez voisins. Dans l’Europe des Vingt-sept d’aujourd'hui subsistent des disparités économiques et sociales assez marquées, même si elles tendent à se réduire progressivement. Le contexte n’est donc pas du tout le même. Dans ce nouveau contexte, une révision de la directive pourrait aller à l’encontre du résultat souhaité par les auteurs de la proposition de résolution.
Ainsi, la liste des matières relevant du noyau dur serait sérieusement rabotée. Or nous savons que le noyau dur de la directive recouvre environ la moitié du code du travail, sans compter les dispositions dites d’ « ordre public ». Soyons intelligents, mais pas trop ! Ne jetons pas le bébé avec l’eau du bain…
D’un point de vue strictement juridique, la révision ne serait pas nécessairement la solution. Il faut rappeler le contexte de ces arrêts. Ils portaient sur des États membres dont le modèle social est très différent du nôtre. Comprenons que l’Europe est constituée d’États très différents.
Le modèle nordique ou rhénan repose sur des négociations collectives très décentralisées aboutissant à la conclusion de conventions ad hoc non étendues. Ce modèle est loin de prendre en compte des notions qui nous sont très familières comme celles de « salaire minimum » ou de « règles impératives minimales prévues par la loi ou des conventions collectives d’application générale », lesquelles sont très intégrées dans notre modèle de relations sociales. Il y a autant de pays que de référentiels. Veillons donc à ne pas vouloir imposer le nôtre en considérant qu’il est le meilleur. Faisons avec respect l’analyse des autres modèles et essayons de progresser avec les autres pays dans le contexte général de l’Union.
J’ajoute que, même si la directive était révisée pour soumettre les entreprises prestataires à des normes sociales allant au-delà des règles impératives de protection minimale, il n’est pas sûr que cela suffise à changer la jurisprudence de la Cour. Celle-ci se réfère en effet d’abord au texte lui-même du Traité.
J’en viens enfin au troisième point de la résolution : la proposition d’introduire une clause de progrès social dans les traités pour infléchir la jurisprudence de la Cour de justice dans un sens moins favorable aux impératifs du marché intérieur. Nous dépassons ici la seule question du détachement des travailleurs. On aborde la question beaucoup plus large de l’équilibre de la construction européenne. L’idée d’une clause ou d’un protocole de progrès social s’inspire directement du précédent de la clause Monti, dont Richard Yung parlait à l’instant.
Je rappelle que cette clause a été insérée dans le règlement de 1998 sur la libre circulation des marchandises. Il s’agissait déjà d’une clause de progrès social dans un contexte économique et libéral, comme dirait Richard Yung. À cette époque, les traités ne comportaient pas de dispositions permettant d’assurer une juste balance entre les droits sociaux fondamentaux et les libertés économiques fondamentales des Communautés. Le sujet de fond est toujours le même.
Or, et c’est l’élément complètement nouveau aujourd'hui, le traité de Lisbonne rééquilibre désormais le système en conférant à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, cela a été dit, mais j’y insiste parce qu’on ne le dira jamais assez, une valeur juridique équivalente à celle des traités. On n’a pas assez souligné cette réalité, que les détracteurs du traité ont d’ailleurs toujours refusé de reconnaître. Maintenant que le traité est en vigueur, misons sur cet élément nouveau, ô combien fondamental, pour progresser. Ne faisons pas la fine bouche !
Passons donc sur le fait que l’introduction dans les traités d’une clause de progrès social ne pourrait plus être aujourd'hui annexée au traité de Lisbonne puisque celui-ci est entré en vigueur. Passons aussi sur le fait qu’il est peu probable que les États s’engagent en faveur d’une nouvelle révision des traités sur un sujet aussi sensible. À cet égard, l’expérience douloureuse du traité de Lisbonne est évidemment très peu encourageante.
Sur le fond, une telle clause n’est pas vraiment indispensable pour infléchir la jurisprudence de la Cour de justice. Le nouveau traité comporte déjà des dispositions de nature à la faire évoluer dans un sens moins favorable aux impératifs du marché intérieur. Le dialogue des juges, en particulier avec la Cour européenne des droits de l’homme – permettez au représentant de la Haute Assemblée auprès de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe que je suis de souligner cet élément avec force –, pourrait lui aussi être fécond. Appuyons-nous donc régulièrement sur la Cour européenne des droits de l’homme et sur l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Enfin, il ne faut pas occulter les points positifs – il y en a ! – des récents arrêts de la Cour de justice. Le droit à l’action collective est consacré comme un droit fondamental faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire dont la Cour assure le respect. Par ailleurs, elle y affirme que l’Union a « non seulement une finalité économique, mais également une finalité sociale ». Cela va sans dire, mais cela va encore mieux en le disant, surtout en matière juridique. Les prémices d’un infléchissement sont bien là. Je suggère d’avancer dans cette direction. Un compromis devrait pouvoir être trouvé dans ce sens.
Bref, il convient, je pense, de conforter la directive de 1996 plutôt que de s’engager sur la voie difficile, aléatoire et dangereuse, de sa remise en chantier. Le mieux peut être l’ennemi du bien !
Une piste a été ouverte par José Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, dans son discours d’investiture devant le Parlement européen. Il a alors évoqué la solution d’un règlement d’interprétation et d’application de la directive de 1996, ce qui permettrait de clarifier la directive, voire de la compléter, sans la fragiliser. C’est dire combien ce point important est reconnu comme tel par le président de la Commission et l’ensemble des autorités européennes, qui sont décidés à aller de l’avant sur cette question.
Je suis également totalement d’accord avec les suggestions des auteurs de la résolution en faveur d’une meilleure information des travailleurs et d’une meilleure effectivité des sanctions. Sur ces points, ils ont mille fois raison. Certains amendements déposés par le groupe CRC-SPG vont d’ailleurs dans ce sens et me paraissent parfaitement recevables.
Le Gouvernement doit porter son effort avant tout sur une meilleure application de la directive en matière d’information ou de coopération administrative entre les États membres. La lecture des arrêts de la Cour nous invite également à rendre plus lisibles et accessibles nos conventions collectives, notamment, puisqu’il s’agit du détachement de travailleurs, en traduisant leurs principales dispositions dans les langues de l’Union.
Au bénéfice de ces observations, la commission des affaires européennes, conformément à l’accord passé entre les groupes politiques sur l’examen des textes inscrits à l’ordre du jour réservé aux groupes de l’opposition et aux groupes minoritaires, a choisi de ne pas apporter de modifications à la proposition de résolution européenne et de la transmettre telle quelle pour examen à la commission des affaires sociales, examen dont Marc Laménie vient de vous rendre compte à l’instant. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution européenne déposée par nos collègues du groupe socialiste et qui vise à réviser la directive de 1996 sur le détachement des salariés a été accueillie favorablement par les sénatrices et les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche, mais également avec des sentiments partagés.
Bien entendu, nous sommes favorables à toute initiative législative ayant pour objectif une amélioration des droits individuels et collectifs des travailleurs ; aussi cette proposition de résolution, qui vise le respect du droit à l’action collective et plus généralement des droits syndicaux en Europe dans le cadre du détachement des travailleurs ne nous est-elle pas indifférente. Nous en partageons pleinement les constats et soutenons notamment la demande d’introduction d’une clause de progrès social donnant la primauté aux droits sociaux sur ceux du marché intérieur.
Cependant, et c’est la raison de l’accueil mitigé que cette proposition a reçu de mon groupe, la démarche de nos collègues socialistes ne manque pas de susciter des interrogations, notamment concernant leur position à l’égard de l’Union européenne, qui contient selon nous de très grandes contradictions, voire constitue une véritable tentative de concilier l’inconciliable.
En effet, la dérive libérale et la remise en question des droits sociaux au sein de l’Union européenne, constatées et dénoncées avec justesse dans cette résolution, ne sont que les résultats de choix politiques approuvés par le Parlement européen avec les voix socialistes, le Parti socialiste européen ayant voté la plupart des textes européens dont la conjonction aboutit à la situation déplorée aujourd’hui.
Nos positions respectives sur l’Union européenne et le traité constitutionnel européen ont été longuement exposées au sein même de cet hémicycle. Nous avons été le seul groupe à voter et à appeler à voter « non » lors du référendum sur ce texte en 2005.
Non pas que nous soyons contre l’idée d’Union européenne ; et vous le savez bien, nos précédents votes et prises de position sont assez clairs sur ce point. Mais nous avions appelé à voter contre cette Europe-là, celle du marché et de la concurrence libre et non faussée, la même dont on déplore aujourd’hui les abus, et qui menace les droits des salariés, …
M. Denis Badré, rapporteur pour avis. Mais c’est aussi celle de la Charte des droits fondamentaux !
Mme Annie David. Mon cher collègue Denis Badré, je vous ai laissé parler, bien que n’étant pas en accord avec vos propos ; je vous remercie de faire de même.
M. Denis Badré, rapporteur pour avis. Je faisais juste un rappel !
Mme Annie David. … cette Europe, disais-je, dont nous redoutions le risque qu’elle conduise à un abaissement des exigences sociales et à un nivellement par le bas des droits des citoyennes et citoyens de l’Union européenne. Non, cette Europe-là, nous ne la cautionnons pas et ne la cautionnerons jamais.
Nous pensons que les risques sociaux contenus aujourd’hui dans l’Union européenne vont bien au-delà des craintes que suscitent les jurisprudences récentes de la Cour de justice des communautés européennes, la CJCE.
Ces jurisprudences ne sont que le révélateur d’une construction européenne qui prétend concilier développement économique et promotion des droits sociaux mais qui, en dernière analyse, a sciemment décidé de faire primer le premier sur la seconde.
Cependant, une fois rappelée notre volonté de construire une Europe des peuples, une Europe solidaire et fraternelle, plutôt que de nous abstenir, nous avons décidé de soutenir ce texte et de saisir cette occasion pour tenter de changer ce qui peut l’être. Nous ferons donc des propositions pour renforcer encore les exigences de ce texte quant aux droits à l’action collective des travailleurs, même si nous sommes bien conscients que notre marge de manœuvre est pour le moins réduite.
Ainsi, dans quatre arrêts qui illustrent cette question, et je vous proposerai dans un instant un amendement qui ajoute ce quatrième arrêt dans la résolution, les droits du marché ont-ils primé sur les droits des salariés à exercer une action collective.
Aujourd’hui, si le droit de mener une action collective est considéré par la CJCE comme « un droit fondamental », son exercice est soumis à des restrictions qui l’obligent à s’effacer devant un autre principe jugé plus fondamental encore, celui du libre exercice des prestations de service. Notre collègue Richard Yung a d’ailleurs mentionné tout à l’heure le cas de ces marins finlandais à qui on voulait imposer le droit letton, et dont le mouvement de grève a été déclaré illicite.
L’adoption de la directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services a certes présenté un progrès par rapport à la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles, qui aboutissait souvent à appliquer au contrat de travail la loi du lieu de résidence habituelle du travailleur détaché, c’est-à-dire la loi la « moins-disante », avec tous les risques de violation des droits des travailleurs et de dumping social que cela pouvait comporter.
La directive de décembre 1996 impose au contraire le droit du travail du pays d’accueil pour les travailleurs détachés. Ainsi, elle donne corps au vieil adage selon lequel « À Rome, il faut vivre comme les Romains ! ».
Cependant, l’interprétation faite par la CJCE de l’article 49 du traité instituant la Communauté européenne fait que cette directive se retrouve aujourd’hui presque entièrement vidée de sa substance.
Le noyau dur de règles impératives qu’elle contient se réduit et toutes les actions que les salariés mettent en place pour en faire assurer le respect sont condamnées comme étant contraires au principe de libre exercice des prestations de service.
Aujourd’hui, malgré toutes les déclarations d’intention des textes fondateurs, les droits économiques priment sur les droits sociaux. Il faut d’urgence changer le curseur de place. Si un juste équilibre de ces intérêts peut être atteint, nous l’appelons de nos vœux. Mais s’il doit y avoir hiérarchie des normes, nous pensons que celle-ci doit se faire en faveur des salariés.
Pour conclure, après avoir rappelé notre souhait de construire une Europe des peuples et notre entente sur les constats formulés, nous vous proposerons de compléter cette résolution par l’inscription d’une série de droits pour les salariés qui s’articuleront autour de trois axes.
Tout d’abord, nous souhaitons améliorer l’information dont vont pouvoir disposer les travailleurs détachés au sein de l’Union.
Nous souhaitons ensuite développer la coordination entre les administrations des États membres et renforcer l’effectivité des sanctions qui pourront être prononcées en cas de violation des obligations découlant de textes communautaires.
Enfin, devant la remise en question du droit à l’action collective - et notamment du droit de grève -, nous proposerons également que celui-ci soit intégré dans le noyau dur des droits que tout État doit accorder à un salarié détaché.
Certes, nous avons bien conscience qu’au sein des 27 États membres, ces droits n’ont pas le même contenu et n’offrent pas le même niveau de protection juridique. Cependant, et c’est là l’objectif de la construction européenne, nous estimons qu’il faut tendre à améliorer les conditions de vie et de travail de chacune et chacun de nos concitoyens européens et mettre en œuvre, en quelque sorte, l’Europe du mieux-disant social ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de résolution européenne soumise au débat de notre assemblée s’inscrit dans notre volonté de conjuguer la lutte contre le dumping social et la promotion de l’harmonisation sociale entre les pays de l’Union.
Sa discussion intervient deux semaines après la présentation de la Commission Barroso II, qui prépare actuellement son programme législatif.
C’est dans ce contexte que nous avons souhaité, par le dépôt de cette proposition de résolution, aborder les problématiques relatives aux droits des travailleurs détachés, dont on évalue le nombre à un million, notamment dans le domaine du bâtiment et des travaux publics.
La directive sur le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services, adoptée en 1996, est aujourd’hui remise en cause par plusieurs arrêts de la CJCE. Notre résolution en propose la révision, afin que les objectifs qui lui étaient initialement assignés soient réaffirmés et respectés.
La directive sur le détachement des travailleurs établit un ensemble de règles minimum obligatoires qui doivent s’appliquer aux travailleurs détachés dans le pays d’accueil : durée maximale du travail, salaire minimum, conditions de mise à disposition des travailleurs. Elle consacre, par l’instauration d’un noyau dur de règles, un principe d’égalité de traitement entre travailleurs sur un même lieu, quels que soient leur statut et l’État d’établissement de l’entreprise.
Elle affirme clairement un objectif : la lutte contre le dumping social.
La directive se trouve confrontée à des obstacles dans sa mise en œuvre. Elle pâtit du défaut d’information des travailleurs détachés sur leurs droits et de l’insuffisance des contrôles, rendant plus difficile l’emploi des sanctions pourtant prévues par la directive en cas de manquement au respect des règles minimum obligatoires.
Soucieux de lever ces difficultés, les États ont considéré que la meilleure voie à suivre était sans doute la recherche d’une meilleure coopération administrative entre les États. Au regard des développements récents, on peut douter que ceux-ci y soient véritablement incités.
Par trois arrêts récents, la CJCE opère une forte remise en cause de la directive : de son objet, de son contenu et de son champ d’application.
Ces trois arrêts subordonnent l’exercice du droit de grève à la liberté d’établissement s’agissant de l’arrêt « Viking », à la négociation collective s’agissant de l’arrêt « Laval », et à l’existence d’un salaire minimum pour l’arrêt « Rüffert ».
Ils opèrent tous les trois, par une interprétation très restrictive de la directive, une hiérarchie entre, d’une part, la libre prestation des services et, d’autre part, les droits sociaux, notamment les droits à l’action collective.
La CJCE, par ces arrêts, oppose des droits que la directive s’attache à concilier. De fait, c’est l’objectif d’égalité de traitement entre travailleurs et, par conséquent, l’esprit même de la directive qui sont contredits.
L’objet de la directive est de garantir aux travailleurs détachés un niveau de protection minimale en termes de rémunération et de conditions de travail. Le législateur européen n’a pas souhaité faire de cette directive un outil contribuant principalement à faciliter la prestation transnationale de service.
Constatant que la volonté du législateur a été contredite par ces arrêts, il importe de la réaffirmer.
Il y a urgence à préciser le champ d’application de la directive, devenu incertain : est-ce une directive d’harmonisation minimale laissant les États libres de hausser par la loi et les conventions collectives le niveau de protection des salariés, ou est-ce une directive dont le noyau dur serait un plafond, préfigurant un nivellement par le bas ?
La CJCE remet en question les systèmes de conventions collectives négociées entreprise par entreprise, car celles-ci ne définiraient pas un droit « d’application générale » ainsi que l’exige le paragraphe 8 de l’article 3 de la directive. De fait, ce qui est mis en cause, c’est le modèle scandinave d’autorégulation et de négociation sociale qui s’est construit sur des syndicats forts.
Des clarifications paraissent nécessaires. Elles témoigneraient de la volonté de mettre un terme aux incertitudes nées des arrêts de la CJCE. Celles-ci appellent une révision de la directive, seule à même de soustraire les droits des travailleurs détachés aux aléas de la jurisprudence et de garantir une sécurité juridique suffisante.
Ce n’est pas la Cour qui est défaillante, c’est la législation.
Je me réjouis qu’en commission des affaires européennes nous soyons parvenus à une analyse partagée sur la réalité des remises en cause de la directive et leurs conséquences sur son effectivité.
Néanmoins, certains continuent à s’opposer à sa révision. Je souhaiterais répondre aux principales objections formulées.
D’abord, on prétend que les remises en cause opérées par la jurisprudence de la Cour auraient des effets limités, circonscrits aux pays nordiques. Elles restent dans tous les cas contraires au considérant 12 de la directive, qui met à égalité législation et conventions collectives de travail conclues par les partenaires sociaux. Au-delà, plusieurs développements récents invalident l’hypothèse selon laquelle ces arrêts n’auraient d’influence que sur le droit conventionnel des pays nordiques.
Au Royaume-Uni, début 2009, des grèves ont été déclenchées dans une raffinerie contre l’emploi de travailleurs portugais et italiens à des conditions de travail et de rémunération différentes de celles offertes aux ouvriers locaux. L’Allemagne connaît les mêmes phénomènes. Remettre en cause le traitement à égalité de la loi et des conventions collectives ouvre à l’évidence une brèche dans le dispositif global et cohérent porté par la directive.
Ensuite, on dit craindre que la révision de la directive ne soit pas sans risque ; certains pays pourraient profiter de celle-ci pour opérer son détricotage.
La mise en garde est légitime, mais reste floue quant à l’origine de ces attaques possibles. De qui parle-t-on ? Pas du Parlement européen qui, dans une résolution du 22 octobre 2008, a demandé que « l’équilibre entre les droits fondamentaux et les libertés économiques soit réaffirmé dans le droit primaire pour contribuer à prévenir un nivellement par le bas des normes sociales ». Il ne s’agit pas non plus de la Confédération européenne des syndicats, la CES, qui a fait savoir son soutien à une révision de la directive. Quant aux vingt-sept partis socialistes et sociaux démocrates, ou au PSE, ils portent dans leurs parlements nationaux, et au Parlement européen, une demande de révision de la directive.
S’il y a risque de détricotage dans le cadre d’une révision de la directive, il vient principalement du groupe du parti populaire européen, le groupe PPE, au Parlement européen. Je ne doute pas - je m’adresse à nos collègues de la majorité - que vous saurez conjurer ce risque et convaincre vos homologues d’opérer une révision non pas dans le sens du nivellement par le bas, mais dans celui d’une consolidation juridique.
Enfin, José Manuel Barroso aurait pris des engagements rendant caduque la révision que nous demandons dans notre proposition de résolution.
Lors de son audition par le Parlement européen, José Manuel Barroso a présenté les orientations politiques de la prochaine commission. Il a déclaré ne pas tolérer que « des droits sociaux fondamentaux, tels que le droit d’association ou le droit de grève, qui sont essentiels pour le modèle de société européen, soient menacés » et juger nécessaire de « faire en sorte que nos valeurs d’intégration, d’équité et de justice sociale soient reprises dans une nouvelle approche ».
En réalité, l’approche nouvelle prônée par José Manuel Barroso reprend la voie déjà empruntée par la précédente commission de normes interprétatives, avec les limites que nous connaissons s’agissant de leur portée juridique. Surtout, le choix d’une norme interprétative de la Commission européenne met de côté le Parlement européen et le Conseil des ministres.
À nos yeux, la révision de la directive, qui est à la fois opportune au regard du calendrier et nécessaire en termes de lutte contre le dumping social, s’impose. S’en tenir au simple rappel des normes portées par la directive témoignerait d’une volonté de freiner toute consolidation juridique. En adoptant cette résolution, notre assemblée enverrait un signal fort à la Commission au moment où celle-ci travaille à son programme législatif. Elle donnerait surtout aux travailleurs des Vingt-sept un espoir réel dans la construction de l’Europe sociale.
C’est pourquoi le groupe socialiste vous demande, mes chers collègues, d’adopter cette proposition de résolution européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)