M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, avec 292 millions d’euros, l’enseignement scolaire est le premier budget de l’État. Ces crédits permettent à celui-ci d’assurer l’une de ses principales missions régaliennes. À ce titre, ils ne doivent pas s’inscrire dans une logique purement financière de court terme, mais, au contraire, correspondre à des objectifs à long terme et de contenus.
Les sommes consacrées à cette mission doivent permettre de garantir l’égal accès de tous à un socle commun de connaissances et à un enseignement de qualité, quelle que soit la filière choisie, quel que soit le territoire.
En y regardant de plus près, ligne par ligne, programme par programme, ces chiffres ne sont malheureusement pas à la hauteur du défi à relever. Comment l’enseignement scolaire et l’éducation nationale peuvent-ils trouver un nouveau souffle pour conduire leur nécessaire modernisation avec un budget en hausse de seulement 1,6 % ? Rapportée au taux d’inflation de 1,2 % attendu pour cette année, la hausse nette est plus que modeste.
Je partage les inquiétudes du monde enseignant et des familles, car, à ce rythme, la qualité de l’enseignement dispensé aux générations futures pourrait être sérieusement hypothéquée. La question est donc bien celle des contenus. Avec des crédits pédagogiques pour le premier degré de l’enseignement public qui connaissent une baisse sans précédent, passant de 12,3 millions d’euros à 5,9 millions d’euros, quel type de citoyen l’État espère-t-il pouvoir former ?
M. Daniel Raoul. On se le demande !
Mme Françoise Laborde. Lors de votre audition par la commission, monsieur le ministre, vous avez même reconnu l’existence de certains dysfonctionnements, mais vous n’en avez pas tiré les conséquences dans l’élaboration de votre projet de budget.
Vous avez aussi rendu hommage « à la politique de gestion des ressources humaines de l’éducation nationale, qui participe à l’effort de redressement des finances publiques de l’État ». Malheureusement, nos conceptions de l’effort à réaliser en matière de gestion du personnel divergent considérablement.
Vous vous placez dans la logique de la RGPP. Pour ma part, je la déplore, même si une rationalisation de la gestion des ressources humaines est un principe comptable à respecter –encore faut-il savoir au service de quels objectifs.
J’estime que l’effort budgétaire devrait justement porter sur le personnel, avec une ouverture du robinet des recrutements, de la formation et de la titularisation des contractuels. Il devrait aussi permettre de tourner davantage l’école, le collège et le lycée vers des activités complémentaires : partenariats culturels, scientifiques, artistiques ou éducation à la santé et à l’environnement.
Il est vrai que l’on ne peut pas reprocher son immobilisme au gouvernement auquel vous appartenez. L’examen du projet de loi de finances intervient en effet dans un contexte de réformes tous azimuts. Conduites dans la précipitation, en particulier depuis un an, celles-ci ne vont pas sans provoquer oppositions et incompréhensions, dans le monde enseignant comme dans les familles.
Vous avez lancé conjointement, au cours de l’année qui vient de s’écouler, plusieurs réformes de taille : à l’école primaire, le service minimum d’accueil, les nouveaux programmes, la semaine des quatre jours et un dispositif d’accompagnement scolaire personnalisé des élèves parallèlement à la suppression, dite « sédentarisation », des postes affectés aux RASED ; au collège, l’aide au devoir ; au lycée, la réforme des programmes avec pour objectif de conduire 50 % d’une classe d’âge à un diplôme de l’enseignement supérieur, la rénovation de la voie professionnelle, le bac professionnel en trois ans, ainsi que l’amélioration des passerelles entre les différentes voies de l’enseignement secondaire, sans oublier la réforme des IUFM et celle des enseignements artistiques.
Ces réformes semblent plutôt creuser les inégalités. Sans pour autant dresser un catalogue à la Prévert des points noirs de votre budget, je voudrais évoquer plus longuement ceux qui me préoccupent. Mes collègues du groupe du RDSE compléteront ces interrogations par deux questions complémentaires, relatives au manque criant de remplaçants et à la carte scolaire.
Permettez-moi de commencer ma démonstration avec les emplois vie scolaire et les auxiliaires de vie scolaire. Le sort qui leur est réservé est symptomatique des effets d’annonce du Gouvernement.
Le nombre d’enfants handicapés accueillis en école banalisée n’a cessé d’augmenter, atteignant 185 000 élèves en 2009. Cependant, vos orientations budgétaires sont insuffisantes pour rendre possible cet accueil dans des conditions décentes.
Environ 1 300 accompagnants ont été licenciés en août dernier, à la fin de leur contrat. Vous nous avez affirmé avoir pérennisé les 17 000 contrats existants, mais il ne s’agira pas des mêmes personnes physiques. Je regrette que les compétences acquises se soient ainsi perdues dans la nature.
Se pose aussi la question des moyens qui pourraient être consacrés à la formation professionnelle. En effet, on n’intègre pas des enfants en difficulté avec du personnel qui n’est pas formé. Il est devenu urgent de mettre en place un véritable statut professionnel. Lui seul permettra de garantir un service d’accompagnement compétent et de qualité pour les enfants concernés.
J’en viens maintenant à la question des réseaux d’aide aux enfants en difficulté. Ils sont, eux aussi, traités selon la logique de la RGPP.
Comme je l’avais déjà exposé lors de l’examen des crédits de la mission pour 2009, le soutien scolaire ne peut pas remplacer le travail spécifique effectué par ces personnels spécialisés. Une équipe de chercheurs de l’université Paris-Descartes a d’ailleurs présenté les résultats d’une analyse comparative portant sur l’efficacité des aides personnalisées et des aides spécialisées du type de celle qui est apportée par les RASED.
Les aides personnalisées correspondent à deux heures hebdomadaires de soutien scolaire et permettent la révision de notions non acquises. Cette étude conclut que 20 % des élèves font effectivement des progrès grâce à cette méthode.
Les aides dispensées par les enseignants spécialisés des RASED sont beaucoup plus diversifiées et complexes. Parmi les élèves ayant bénéficié de cette forme d’aide, 70 % font des progrès, non seulement en matière d’acquisitions scolaires, mais également dans le domaine des compétences cognitives, sociales et relationnelles.
Les chercheurs concluent que « la nature de la réponse institutionnelle apportée à la difficulté scolaire a des conséquences directes sur la nature et les finalités de l’école. L’école doit-elle permettre aux élèves d’utiliser des notions de base telles que la lecture, l’écriture et le calcul ou doit-elle également former des citoyens capables de vivre dans une société, d’y apporter une contribution personnelle, de développer leurs compétences et leurs talents ? » Je crois que tout est dit !
Permettez-moi d’évoquer la question des autres personnels spécialisés, dont le recrutement est insuffisant : je veux parler des infirmiers, des médecins ou encore des psychologues scolaires. Comment comptez-vous améliorer la prévention en matière de santé, ainsi que l’écoute des enfants et des adolescents, en dehors du cadre strict de la classe, sans y consacrer plus de moyens humains, et donc financiers ? La question reste en suspens…
L’adéquation des compétences du personnel se pose également en ce qui concerne les enseignements artistiques. Avec le recul, il s’avère que confier ces enseignements aux professeurs d’histoire-géographie est inapproprié, le programme de ces disciplines étant déjà très chargé. Il faut franchir une étape supplémentaire, en mettant en place un programme à part entière et en recrutant des enseignants spécialisés. Garantir l’égalité d’accès à la culture pour tous par le biais de l’école est à ce prix. Comme je l’ai d’ailleurs déjà indiqué vendredi au ministre de la culture, il ne suffit pas de prendre des engagements, les moyens doivent suivre.
Comme l’affirme l’académicien Pierre Rosenberg, « l’histoire de l’art est peut-être l’une des meilleures idées de ces dernières années, encore faudrait-il que le ministère se donne les moyens de dispenser un enseignement de qualité plutôt qu’une culture du saupoudrage. C’est une discipline à part entière, l’enseigner est un métier qu’on apprend, on ne s’improvise pas professeur d’histoire de l’art. »
Venons-en à la réforme des IUFM et à la « mastérisation » de la formation des enseignants, qui sera effective en 2011. Mes chers collègues, je vous prie d’excuser le côté répétitif de mes interventions, mais Mme Pécresse ne m’a pas répondu sur ce point hier.
Rapatrier les IUFM au sein des facultés et créer des masters pour revaloriser le diplôme, soit ! Cependant, le contenu est inadapté à la réalité de ce métier, qui nécessite, d’une part, la maîtrise de connaissances polyvalentes, et, d’autre part, une formation à la dimension didactique et pédagogique de la profession, permettant la prise en charge d’une classe.
Par ailleurs, je m’oppose farouchement à la suppression de l’année de stage rémunérée, tout comme au fait que les enseignements soient essentiellement théoriques.
La formation professionnelle des enseignants devrait désormais être placée sous la responsabilité de l’université. Or, selon l’université et le parcours choisis, elle ne sera pas organisée dans les mêmes conditions, ce qui engendrera une véritable fracture territoriale. Se pose aussi le problème des IUFM installés dans des villes moyennes où n’existe pas d’université. Que deviendront ces établissements ?
La rupture d’égalité, je la constate aussi au vu de la différence de traitement entre l’enseignement privé et l’enseignement public. Ainsi, les suppressions de postes au titre du projet de budget pour 2010 interviendront lorsque la diminution d’effectifs sera de soixante-seize élèves dans l’enseignement privé, contre seulement trente-six élèves dans l’enseignement public. Cela se passe de commentaires…
Concernant l’accueil de la petite enfance, point dont nous avons déjà eu à débattre grâce à une question orale posée par notre collègue Françoise Cartron en octobre dernier, la réponse apportée n’est pas satisfaisante. Je regrette vivement que davantage de moyens ne soient pas mobilisés pour financer un service public d’accueil gratuit, notamment par la scolarisation en maternelle à partir de deux ans.
Pour terminer sur une touche positive, j’évoquerai rapidement l’initiative heureuse lancée en faveur de l’école numérique rurale en 2009. Cette opération est destinée à attribuer aux communes de moins de 2 000 habitants un crédit de 10 000 euros en vue d’acquérir du matériel informatique pour équiper leurs écoles. Cette opération, limitée à un quota de 5 000 dossiers, a connu un très vif succès, avec plus de 8 000 candidatures déclarées. Monsieur le ministre, comptez-vous pérenniser cette opération ? Si oui, de quelle façon ?
En conclusion, les membres du groupe du RDSE déplorent la précipitation dans laquelle sont conduites toutes ces reformes et vous demandent de prendre désormais du temps pour l’évaluation, afin de permettre les ajustements nécessaires en concertation avec les personnes concernées.
Par ailleurs, nous serons particulièrement attentifs aux questions relatives à la laïcité dans l’enseignement scolaire et l’enseignement supérieur.
Eu égard aux insuffisances relevées, nous ne voterons pas les crédits de la mission « Enseignement scolaire ». (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Vasselle. Sans négliger l’enseignement agricole, mon propos portera essentiellement sur les domaines qui ressortissent à la compétence directe de M. Chatel : je suis chargé de vous dire, monsieur le ministre, tout le bien que le groupe UMP pense de l’action que vous menez. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Ivan Renar. Auto-félicitations !
M. René-Pierre Signé. Quelle pommade !
M. Alain Vasselle. Mme Férat et MM. Longuet et Carle ayant déjà présenté dans le détail les crédits de la mission, avec plus de talent que je ne saurais en montrer, je me bornerai à solliciter de votre part quelque éclairage complémentaire sur trois points.
S’agissant en premier lieu de la réforme du lycée, nul ne contestera le fait, je pense, que chaque année 50 000 élèves quittent le lycée sans avoir obtenu le baccalauréat et qu’un étudiant sur deux échoue à l’issue de la première année d’université, parce qu’il a été mal orienté.
Ce constat étant posé, quels sont les éléments de la réforme du lycée qui permettront de modifier la situation ?
M. Yannick Bodin. Cela fait sept ans que vous répétez la même chose ! Qu’avez-vous fait ?
M. Alain Vasselle. Ne critiquez pas trop l’action du Gouvernement : la situation ne s’est pas améliorée lorsque vous étiez aux affaires ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. René-Pierre Signé. Elle était meilleure !
M. Alain Vasselle. Monsieur le ministre, je tiens à saluer la méthode employée, qui est importante dans un ministère ô combien sensible.
M. René-Pierre Signé. La forme, à défaut du fond !
M. Alain Vasselle. Vous avez écouté attentivement l’ensemble des acteurs, engagé le dialogue avec les professionnels, les représentants des parents d’élèves et ceux des enseignants. C’était un préalable absolument indispensable, conforme d’ailleurs à la méthode que le Gouvernement a suivie dans le traitement de tous les dossiers dont il a la charge. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Daniel Raoul. Avec quel succès !
M. Alain Vasselle. Monsieur le ministre, quels changements les lycéens vont-ils connaître ? Surtout, quelles sont les grandes innovations pour les classes de seconde, de première et de terminale ? Comment allez-vous favoriser une orientation plus progressive, plus ouverte et plus juste ? Renforcerez-vous l’apprentissage des langues étrangères,…
Mme Nathalie Goulet. Ah !
M. Alain Vasselle. … l’accès à la culture et la connaissance de l’économie ?
En ce qui concerne la connaissance de l’économie, j’ai reçu de nombreux courriers d’enseignants qui s’inquiètent du contenu de la réforme et de la teneur de l’enseignement dispensé.
Nous pourrions aussi évoquer le nécessaire rééquilibrage entre la voie générale et la voie technologique,…
M. Bernard Frimat. Par exemple !
M. Alain Vasselle. … mais c’est incontestablement l’accompagnement personnalisé qui constitue la mesure phare de votre projet de budget. Le lycée va-t-il davantage soutenir l’élève en vue de la réussite de sa scolarité ? Comment les lycéens seront-ils mieux responsabilisés ? Je sais, monsieur le ministre, que vous êtes déterminé à faire en sorte que cette réforme soit une réussite et réponde aux attentes de notre jeunesse et à celles du pays.
En deuxième lieu, j’évoquerai brièvement l’enseignement primaire et la réforme de l’école élémentaire. Les enseignants et les parents se sont approprié les actions menées dans ce domaine, et les choses se passent assez bien. Cependant, il me semble que nous n’avons pas encore réussi à assurer dans des conditions satisfaisantes un enseignement précoce des langues étrangères, dès la maternelle. (Mme Nathalie Goulet applaudit.) J’ai déjà eu l’occasion de m’en entretenir à plusieurs reprises avec le président Legendre, qui est particulièrement sensible à cette problématique.
À cet égard, des expériences tout à fait concluantes sont menées dans certaines régions frontalières,…
M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. C’est exact !
M. René-Pierre Signé. Il faut commencer très tôt, dès deux ans !
M. Alain Vasselle. … notamment en Alsace-Lorraine ou dans le Nord-Pas-de-Calais, mais souvent elles s’essoufflent et ne sont pas poussées jusqu’à leur terme. J’ai moi-même lancé, dans mon département de l’Oise, une expérimentation d’enseignement précoce des langues, dès la moyenne section de maternelle, permettant aux enfants de bénéficier de six heures hebdomadaires d’enseignement d’une langue étrangère, alors que, à l’heure actuelle, trois quarts d’heure de cours de langue étrangère sont dispensés dans l’enseignement primaire.
Je vous adresse d’ailleurs mes remerciements, monsieur le ministre, car cette action volontariste a pu être menée grâce à un partenariat entre le conseil général, les collectivités territoriales et l’éducation nationale. Nous prenons en charge la moitié du coût de cet enseignement : cela pèse sur les budgets des collectivités, mais les résultats tout à fait intéressants que nous obtenons aujourd’hui, évalués par le rectorat et l’inspection académique, démontrent que l’expérience est positive et mériterait d’être étendue. Les enfants qui ont suivi un tel enseignement de l’allemand ou de l’anglais, selon les cas, arriveront en sixième avec un acquis.
Il me semblerait souhaitable d’encourager, de conforter et d’évaluer ces expériences, monsieur le ministre, pour en tirer les enseignements avant de les généraliser sur l’ensemble du territoire. Quelle action le Gouvernement entend-il mener pour aller au-delà des trois quarts d’heure hebdomadaires de cours actuellement dispensés à l’école élémentaire, qui sont largement insuffisants ?
En troisième lieu, je voudrais revenir, à la suite de Mme Laborde, sur l’école numérique rurale, qui a remporté un tel succès que le ministère a été quelque peu débordé et n’a pu satisfaire qu’une partie des demandes. Entendez-vous prolonger l’opération ?
Je relève quelques difficultés pratiques dans sa mise en œuvre à l’échelon des communes. Actuellement, dans mon département, sur 160 candidatures, 120 ont été retenues. Pour une douzaine de communes, nous ne savons pas si le financement pourra être assuré. Une difficulté tient à la communication des procès-verbaux de recettes par les communes pour encaisser la subvention de 20 % permettant de boucler le financement. Cette subvention pourra-t-elle être débloquée avant la fin de l’année ? Cela dépend de la fourniture des équipements par les entreprises. L’inspecteur d’académie a pris quelques mesures d’assouplissement concernant les justificatifs à fournir, mais nombre de communes continuent d’interpeller régulièrement l’Union des maires de l’Oise, que je préside, pour savoir si votre ministère pourrait accorder des facilités supplémentaires.
En conclusion, monsieur le ministre, je vous confirme que vous pouvez compter sur le soutien du groupe UMP, qui votera ce projet de budget. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je déplore que l’examen des crédits de la mission « Enseignement scolaire », fondamentale pour notre pays et pour l’avenir de notre jeunesse, premier budget de l’État, intervienne à une heure aussi tardive. Cette situation est d’autant plus regrettable que ce projet de budget marque une nouvelle étape décisive dans la déconstruction du service public de l’éducation que le Gouvernement a engagée depuis plusieurs années.
Vous vous êtes fixé pour objectif de réduire la dépense et les emplois publics. Ainsi, budget après budget, s’égrènent les suppressions d’emplois : 16 000 sont annoncées pour 2010, s’ajoutant aux 13 500 de 2009 et aux 11 200 de 2008. Je dis « annoncées », car l’exécution budgétaire de 2008 a montré que plus de 13 000 postes avaient finalement été supprimés cette année-là, notamment au détriment du premier degré, pour lequel le plafond d’emplois a donc été sous-utilisé, à concurrence de 1 232 postes.
Malgré l’augmentation des effectifs d’élèves en 2008, les créations de postes affichées et votées par le Parlement n’ont pas eu lieu. Ainsi, pour les enseignants du premier degré, alors que le plafond d’emplois de chaque projet de loi de finances était annoncé à la hausse depuis 2006, l’exécution de 2008 s’avère en fait inférieure, à hauteur de plus de 1 000 emplois, au plafond de 2006. Voilà pour les promesses non tenues ! C’est là toute la perversité de la notion de plafond d’emplois, qui recouvre finalement une réduction d’effectifs.
Au lieu de créer des postes, vous généralisez et institutionnalisez les heures supplémentaires, au point d’en faire un mode de gestion qui, en définitive, favorise le développement de la précarité. Cela apparaît de façon tout à fait criante dans le second degré, où le nombre de contractuels s’est accru de 21 % en deux ans, et au collège, qui a perdu 8 000 postes parallèlement à une augmentation de 18 % des effectifs de contractuels.
Cette situation gagne aussi le premier degré. Ainsi, le nombre de postes de professeur des écoles mis au concours est en baisse depuis 2008, et le recours aux listes complémentaires a considérablement diminué, quand il n’a pas disparu.
Or, dans le même temps, les effectifs d’élèves croissent. La hausse est confirmée pour 2010, aux niveaux tant élémentaire que préélémentaire, et la tendance ne va pas s’inverser, si l’on se réfère aux chiffres de l’INSEE sur l’augmentation des naissances. Je m’interroge d’ailleurs, monsieur le ministre, sur la manière dont vos services intègrent ces données dans les statistiques.
Cette évolution démographique se conjuguera aux départs massifs à la retraite d’enseignants « baby-boomers ». Comment ferez-vous alors pour pallier les vacances de postes et garantir le « face-à-face pédagogique » ?
Certains recteurs ont d’ores et déjà trouvé la solution et se tournent maintenant vers des vacataires. En effet, à la différence des candidats inscrits sur les listes complémentaires – qui deviendront des enseignants stagiaires, avant d’être titularisés –, le vacataire présente l’avantage, si j’ose dire, de permettre la réalisation d’économies tant sur la formation que sur la rémunération.
Cette question se posera avec plus d’acuité encore à la rentrée de 2010. En effet, dans le présent projet de budget, vous prévoyez la suppression de 9 182 postes d’enseignant stagiaire dans le premier degré. Employés à quart de temps, ils représentent tout de même 2 296 emplois. Or vous affichez la création de 2 182 postes seulement : le solde est, là encore, négatif, alors même que vous prévoyez d’accueillir 5 300 élèves supplémentaires.
Dans les écoles, ces suppressions de postes auront des conséquences très concrètes, au premier chef sur le taux d’encadrement des élèves.
Permettez-moi, à ce sujet, de formuler une remarque sur les conditions d’accueil à la maternelle. Les effectifs du préélémentaire sont revus à la hausse pour 2010. Or le Gouvernement s’est clairement déclaré hostile à la scolarisation des enfants âgés de deux à trois ans. Ce projet de budget ravive donc nos inquiétudes quant à la fin programmée de la scolarisation des tout-petits, qui est en chute libre du fait de la pression démographique et faute de postes et de classes en nombre suffisant. Le problème touche aussi les enfants atteignant l’âge de trois ans en fin d’année.
L’État, volontairement, ne se dote plus des moyens de remplir les obligations imposées par le code de l’éducation. Le développement des jardins d’éveil n’est pas une réponse adaptée – j’ai déjà eu l’occasion d’expliquer les raisons de mon opposition à ce projet.
Ce qu’il faut, au contraire, c’est offrir « plus » et « mieux » d’école maternelle, en ouvrant la possibilité d’accueillir les enfants de deux ans quand les parents le souhaitent. Investir dans l’école maternelle, c’est investir pour l’avenir de chaque élève.
Par ailleurs, ces suppressions de postes auront des conséquences sur la formation même des enseignants. Vous affirmez que celle-ci sera « revalorisée » par votre réforme, mais cette analyse est largement contestée par la communauté éducative, qui redoute au contraire une détérioration de la formation initiale et des conditions d’entrée dans le métier, ainsi qu’un risque accru de précarisation pour ceux qui resteront « sur le carreau » à l’issue de leur master. Nous sommes loin de la revalorisation promise !
À l’inverse, ce que nous constatons avec certitude, à la lecture de ce projet de budget, c’est que cette réforme sera source d’économies. Ce sera même un véritable jackpot : plus de 173 millions d’euros d’économies dans le premier degré, et 252 millions d'euros dans le second !
Ce budget est donc aussi celui de l’instrumentalisation de la réforme de la formation. Sous le vernis de la « revalorisation », l’objectif reste le même : supprimer des emplois. Pour y parvenir, vous exploitez cette année la source des enseignants stagiaires, mais celle-ci n’en est pas moins tarissable… Que ferez-vous l’année prochaine ? Et comment, après avoir supprimé en trois ans plus de 40 000 postes, qui s’ajoutent aux 35 000 détruits depuis 2003, pouvez-vous continuer à affirmer aux familles que l’offre éducative n’est pas dégradée ?
Les familles et les personnels constatent d'ailleurs déjà les dégâts : classes surchargées, enseignants non remplacés, options supprimées ou non assurées…
Nous ne sommes plus dans l’anecdote, le cas isolé, dissimulable derrière des moyennes ! La vérité est tout autre, et elle vient d’être confirmée par M. Longuet. « Si l’on veut par la suite continuer à diminuer les emplois, dans une optique de réduction de la dépense publique à long terme, il faudra alors modifier en profondeur le système éducatif et les méthodes d’enseignement », souligne d'ailleurs Yves Censi, député UMP et rapporteur spécial pour le budget de l’enseignement scolaire à l’Assemblée nationale.
Réforme des programmes du primaire, fin des cours le samedi, suppression de postes en RASED, préparation du baccalauréat professionnel en trois ans, réforme du lycée demain, avec une diminution des heures d’enseignement, réforme de la formation des professeurs, avec la « casse » de leur statut : en échange de ces pilules amères, vous généralisez l’aide individualisée, présentée comme une solution miracle !
En effet, cette mesure devrait, à elle seule, résoudre les difficultés de tous les élèves et améliorer l’orientation – élément pourtant décisif, qui mérite et réclame un véritable engagement.
Ces « nouveaux services », comme vous les appelez, ont surtout l’avantage de correspondre au mode de gestion que vous avez institutionnalisé en généralisant les heures supplémentaires et de ne s’inscrire dans aucun cadrage national. Il revient aux enseignants et aux établissements de se débrouiller, comme on a pu le voir avec la mise en place catastrophique de l’aide individualisée dans les lycées professionnels, et cela en faisant fi de l’égalité de traitement entre les élèves.
C’est à tel point vrai que, depuis trois ans, et en toute logique, tous les postes et les crédits qui participent de ces missions fondent dans le budget comme neige au soleil : les RASED, les conseillers d’orientation-psychologues et les conseillers principaux d’éducation sont supprimés, tandis que les crédits pédagogiques sont divisés par trois dans le primaire alors qu’ils financent des activités complémentaires dans les domaines artistique, littéraire, culturel, scientifique, dans l’enseignement des langues vivantes, le développement des nouvelles technologies, l’éducation à la santé, à la sécurité et à la connaissance du patrimoine… En outre, les subventions aux établissements publics locaux d’enseignement baissent de 14 %. Partout, la dotation par élève diminue. Le collège est particulièrement touché, avec une diminution de ses crédits de 12 %, alors que le nombre d’élèves augmente depuis 2007.
Pour les établissements, vous revendiquez toujours plus d’autonomie. C’est déjà le cas pour les lycées, qui seront mis en concurrence, et ce le sera bientôt pour les écoles, si le projet des EPEP venait à se réaliser.
Budget après budget, vous orchestrez un projet de société qui remet en cause les fondements de notre système éducatif, celui d’un service public de l’éducation gratuit et laïc, dont l’ambition est d’assurer l’égalité d’accès pour tous, sur l’ensemble du territoire, à un haut niveau de culture générale, et d’aider chacun à relever le défi de l’émancipation.
En réalité, votre projet promeut une visée utilitariste d’employabilité immédiate pour l’économie, qui est source d’inégalités et qui est portée, faut-il le rappeler, par la stratégie dite de Lisbonne, à laquelle vous vous référez.
Ce projet est déjà particulièrement avancé, aujourd'hui même, dans un enseignement qui constitue pourtant une voie de réussite incontestée et un levier indispensable pour le développement de nos territoires : l’enseignement agricole. À force d’arbitrages et de restrictions budgétaires, cette filière, notamment sa composante publique, est en état de choc.
Mes chers collègues, c’est donc aujourd’hui l’épreuve de vérité : apporter son soutien au projet de budget pour 2010, c’est prendre la responsabilité de voir se généraliser ce que tout le monde aujourd’hui semble prêt à dénoncer pour l’enseignement agricole. C’est pourquoi mon groupe votera contre ce projet de budget. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et du RDSE.)