M. François Marc. Eh voilà !
M. Pierre-Yves Collombat. Jean-Marie Le Pen ! Ca va être pareil !
M. Christian Poncelet. C’est dire si le mécontentement était profond ! Il avait donc fallu faire quelque chose. C’est pour apaiser le monde des entreprises que nous avions alors, mon collègue Jean-Pierre Fourcade et moi-même, fait adopter la taxe professionnelle, qui reposait à l’origine, de manière équilibrée, il faut le souligner, sur deux bases : l’investissement, d’une part, les salaires, d’autre part.
Cependant, au fil du temps, cet impôt a connu une évolution particulièrement néfaste : pas moins de soixante-huit textes en ont modifié la structure depuis sa création en 1975. C’est ainsi que la base « salaires » s’est complètement délitée et qu’elle a été supprimée sur l’initiative de M. Strauss-Kahn, alors ministre des finances. Ainsi déséquilibrée, cette taxe a freiné l’investissement productif, conduisant à une perte de richesses pour l’industrie française ; elle est à l’origine du décrochage de celle-ci par rapport à d’autres pays européens comme l’Allemagne, puisque sa part du marché européen s’en est trouvée sensiblement réduite.
Tenant compte des vives critiques émises contre la taxe professionnelle, tant par les agents économiques que par les élus – et non des moindres ! –, conscient que, malgré son caractère pénalisant, cette imposition constituait une ressource essentielle pour les collectivités territoriales, et singulièrement pour les communes, les intercommunalités et les départements, le Gouvernement en propose la suppression à compter du 1er janvier 2010, tout en assurant qu’il compensera intégralement les effets financiers de la réforme et qu’il le fera collectivité par collectivité. Vous allez nous le confirmer dans un instant, madame la ministre, en nous précisant par ailleurs les conditions de cette compensation.
La question qui se pose aujourd'hui est de savoir de quelles nouvelles ressources disposeront les collectivités territoriales à partir de 2011 – l’année 2010 sera considérée comme une année neutre – et comment, à compter de cette date, elles pourront continuer à apporter leur participation prépondérante, de l’ordre de 71 %, à l’investissement public de notre pays. Il faut savoir, en effet, que l’investissement public est financé entre 71 % et 73 % par les collectivités territoriales, en particulier par les départements et les communes. Sans l’intervention des collectivités locales, il n’y aurait plus, ou presque plus, d’investissement dans notre pays.
Il faut le souligner avec force : permettre à ces collectivités, en conservant leur liberté et leur responsabilité d’imposition, de recueillir les ressources dont elles ont besoin, c’est par là même garantir le développement de l’investissement public, puisque l’État, compte tenu de son endettement et de son déficit, n’est plus en mesure de faire face à ses obligations en la matière, même lorsqu’il s’agit d’équipements relevant de sa compétence.
À cet égard, nous avons enregistré avec satisfaction le fait que M. le Premier ministre ait permis aux collectivités territoriales de continuer à bénéficier du remboursement anticipé du Fonds de compensation pour la TVA pour les dépenses qu’elles se sont fermement engagées à réaliser en 2009, mais qu’elles n’ont pu réaliser ou mandater, comme cela leur était imposé initialement, avant le 31 décembre de cette année, compte tenu des délais de procédure de la commande publique. Elles ne seront donc pas pénalisées. M. le Premier ministre a également accepté de prolonger le dispositif de remboursement anticipé dudit Fonds en 2010. Pouvez-vous nous le confirmer, madame la ministre ?
M. Christian Poncelet. Les collectivités territoriales ont été invitées à signer une convention avec l’État, sous l’autorité du préfet, dans laquelle elles devaient s’engager à investir en 2009 au moins un euro de plus.
Elles doivent toutefois avoir honoré les factures pour le 31 décembre 2009.
M. Christian Poncelet. L’engagement a été pris qu’elles seraient remboursées au cours de l’année 2010. La crainte est donc levée ?...
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. M. Gouteyron a déposé un amendement sur ce point !
M. Christian Poncelet. Je vous remercie de le confirmer !
Il nous faut souligner que ces collectivités sont aujourd’hui victimes à la fois de la crise financière et d’un manque à gagner lié à la décentralisation. À ce sujet, je tiens à préciser qu’aucun gouvernement, j’y insiste, qu’il soit de droite ou de gauche, n’a jamais respecté la loi de 1982, présentée par Gaston Deferre, qui prévoyait que tout transfert de compétences devait être accompagné du transfert de moyens à due concurrence.
Permettez-moi de vous donner l’exemple de mon département. À la perte nette résultant d’une collecte sensiblement diminuée au titre des droits d’enregistrement, il faut ajouter une compensation partielle, mais partielle seulement, contrairement à ce qui nous avait été annoncé, des transferts de certaines charges, telles que le RMI ou l’APA.
Je constate, toujours dans mon département, que 45 millions d’euros manquent à chaque exercice au titre des compétences transférées et non compensées. C’est l’occasion de rappeler que, pour l’État, comme l’a écrit la Cour des comptes, « l’objectif de péréquation […] devient, sinon lettre morte, du moins très marginal par rapport à la préservation des acquis budgétaires ».
Cependant, fort de la liberté fiscale qui lui est actuellement reconnue, et bien qu’il voie sa marge de manœuvre se restreindre année après année, le département des Vosges s’est engagé à investir à un niveau convenable en 2009, après avoir enregistré une progression de 14 % de ses investissements en 2008, la volonté du département étant en effet de réduire les crédits de fonctionnement et de privilégier les crédits d’investissement.
Ainsi, un tiers du budget – il s’élève à 510 millions d’euros exactement – du département des Vosges est consacré à l’investissement, en étroite coopération, bien sûr, avec les entreprises vosgiennes. C’est dire que, malgré les difficultés financières, le lien a été maintenu entre le territoire et les entreprises. Madame la ministre, qu’en sera-t-il demain ?
Une autre de mes préoccupations, qui est d’ailleurs partagée par de nombreux collègues, est de savoir sur quelles bases sera assuré le financement des collectivités territoriales pendant l’année 2010, donc la compensation de la perte de recettes de la taxe professionnelle.
D’après ce qui nous a été précisé, pendant cette année considérée comme neutre, les collectivités locales bénéficieraient des recettes qu’elles auraient perçues en l’absence de suppression de la taxe professionnelle. Vous nous l’avez confirmé, madame la ministre. Pourriez-vous nous indiquer sur quelles bases cette compensation sera établie ?
Il est urgent que nous sachions comment seront calculées ces recettes, car nous sommes pour le moment dans l’ignorance. À ce jour, il est impossible aux départements d’organiser le débat d’orientation budgétaire imposé par la loi. Ne connaissant pas leurs recettes, il leur est impossible de prévoir leurs dépenses. C’est d’ailleurs le Sénat qui avait décidé de cette disposition.
La question se pose également de savoir comment la cotisation complémentaire assise sur la valeur ajoutée confortera, comme le prévoit le Gouvernement, le lien entre la collectivité et le monde économique. L’objectif est que la collectivité puisse continuer – c’est indispensable – à s’intéresser à la situation économique de son territoire.
En outre, nous sommes en droit de nous demander comment fonctionnera le curseur du prélèvement sur la valeur ajoutée dans l’hypothèse où le nouveau système fiscal pénaliserait fortement soit les entreprises, au bénéfice de la collectivité locale, soit les collectivités locales. Il y a là un point à clarifier.
J’ajoute qu’avec un certain nombre de collègues il nous a paru utile d’obtenir de plus fortes garanties ; nous avons déposé des amendements en ce sens. D’une part, la compensation intégrale des charges nouvelles qui incomberaient aux départements du fait de l’exercice de compétences sociales transférées ou exercées doit être assurée ; nous avons d’ailleurs indiqué les moyens qui devraient permettre d’y parvenir dans les conditions fixées par la loi de 1982. D’autre part, l’État doit rétrocéder le produit de la taxe carbone aux collectivités territoriales et aux EPCI, ainsi qu’aux services départementaux d’incendie et de secours. Comment ces crédits seront-ils répartis ?
Telles sont, madame la ministre, monsieur le ministre, les questions que je souhaitais vous poser. Je vous remercie dès maintenant des réponses que vous pourrez m’apporter. Je pourrai ainsi en faire part aux élus locaux qui m’interpellent et apaiser leurs légitimes inquiétudes. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme tout ou presque a déjà été dit, à cette heure tardive, je m’en tiendrai à l’essentiel et poserai trois questions, certes liées, mais distinctes.
D’abord, faut-il modifier les bases de l’impôt économique territorial ? Ensuite, faut-il réduire et, à la limite, supprimer cet impôt ? Enfin, faut-il redistribuer les impôts locaux entre collectivités ?
Je crois que le consensus était possible sur le premier point. La durée de vie d’une taxe professionnelle reposant sur deux pieds de longueur très inégale, la valeur locative des immobilisations et les investissements, ainsi que sur une béquille de dotation d’État représentant près du tiers du produit, elle ne pouvait qu’être limitée.
Le rapport Fouquet avait fourni les grandes lignes de la réforme, avec un impôt assis sur une double assiette, le foncier bâti et la valeur ajoutée, sans liaison des taux. À cet égard, le projet du Gouvernement reprend une partie des préconisations du rapport Fouquet. S’il s’en était tenu là, nous n’aurions plus à débattre, me semble-t-il, que de détails, même s’ils sont importants. Malheureusement, l’objectif du Gouvernement était non pas de réformer la taxe professionnelle, mais de la supprimer, conformément à la promesse électorale du candidat Nicolas Sarkozy.
La suppression pure et simple posant quelques problèmes budgétaires, on a dû se contenter de la réduire de 9 milliards d’euros. Compte tenu de l’augmentation prévisible de l’impôt sur les sociétés et de la création de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau, l’IFER, cela représente une ristourne de 4 milliards à 4,5 milliards d’euros pour les entreprises.
Selon la version pour enfants qui nous est habituellement servie (Mme Nicole Bricq s’esclaffe), cette démarche aurait pour objet de doper la compétitivité de nos entreprises. Évidemment, personne n’y croit, pas même les chefs d’entreprises, sauf lorsqu’ils s’expriment dans les meetings syndicaux ou à la tribune du Sénat.
Mais il est impossible d’échapper au moulin à prières tournant pour la disparition de l’impôt « stupide ». Nous en avons encore eu quelques démonstrations tout à l’heure.
Pourtant, nous savons tous – cela a d’ailleurs été rappelé par un récent rapport du Conseil des prélèvements obligatoires – que le taux de taxe professionnelle arrive en queue de liste des critères déterminant les décisions d’implantation des chefs d’entreprises. En outre, la baisse de la taxe professionnelle n’affectera que marginalement les entreprises les plus soumises à la concurrence internationale.
En 2008, seulement 95 500 entreprises françaises, soit 3,2 % des entreprises qui paient la taxe professionnelle, ont été exportatrices. Les exportations ont représenté 410 milliards d’euros, soit presque cent fois plus que la baisse de taxe professionnelle dont bénéficieront la totalité des entreprises ! En d’autres termes, vous réduisez la contribution économique de toutes les entreprises pour améliorer, à la marge, la compétitivité de 3,2 % d’entre elles. Avouez qu’il y a tout de même de quoi douter de la pertinence de la méthode !
L’observation de l’évolution de l’indice des prix industriels en sortie d’usine à l’exportation ne montre pas non plus de sensibilité particulière de ces prix aux baisses de taxe professionnelle, qu’il s’agisse de la suppression progressive de la part salariale décidée entre 1999 à 2002 ou du plafonnement à 3,5 % de la valeur ajoutée mis en place à partir de 2007 ; je tiens les graphiques à votre disposition.
Selon l’étude d’impact annexée au projet, « la réforme cible les secteurs économiquement exposés à la concurrence économique internationale : la minoration de 15 % des valeurs locatives foncières des établissements industriels bénéficie par nature au secteur industriel, tandis que le passage d’une assiette constituée des EBM à une assiette valeur ajoutée est favorable à l’investissement ; à l’inverse, la proposition de maintien de l’assiette des bénéfices non commerciaux, qui ne sont pas soumis à la concurrence internationale, procède de la même volonté de cibler les effets de la réforme sur les secteurs exposés ». C’est du pur verbiage !
Toujours selon le Conseil des prélèvements obligatoires, la valeur ajoutée « particulièrement élevée dans le secteur industriel, qui est le plus affecté par la concurrence internationale […], ne permettrait pas d’alléger les coûts de production ».
D’ailleurs, à la lecture du tableau de l’étude d’impact, il est assez amusant de constater que, malgré la minoration des bases, la baisse de l’impôt économique bénéficie essentiellement non pas au secteur industriel, mais à la construction, à l’agriculture ou aux services aux particuliers, c'est-à-dire à des secteurs qui ne sont pas spécialement exposés à la concurrence internationale ! En outre, on se demande bien ce que les bénéfices non commerciaux viennent faire là-dedans…
La « compétitivité internationale » n’est qu’un cache-misère, invoqué pour faire payer les promesses électorales du candidat Nicolas Sarkozy par les collectivités locales.
On procède en diminuant le poids de l’impôt économique, comme nous l’avons vu, et en corsetant l’autonomie fiscale des collectivités par l’étatisation des taux de l’essentiel de la contribution économique, c'est-à-dire la cotisation complémentaire, par l’augmentation de la part des dotations et des impôts sous maîtrise étatique dans les recettes des collectivités, par le rétablissement de la liaison des taux entre impôts sur les ménages et contribution économique, enfin, par le transfert, à terme, sur les ménages de l’ajustement budgétaire des collectivités.
Plus encore que la recherche d’une spécialisation des impôts par collectivité – c’est le type même de la fausse bonne idée –, la complexe « plomberie » de redistribution de l’impôt local qui nous est proposée, avec ses vases d’expansion, ses siphons, sa tuyauterie et ses by-pass, trouve là son origine.
Mme Nicole Bricq. Il faut être plombier pour s’y retrouver ! (Sourires.)
M. Pierre-Yves Collombat. C’est parce qu’il manquait 9 milliards d’euros de taxe professionnelle et qu’il fallait ôter aux irresponsables locaux la possibilité d’augmenter la contribution économique des entreprises au développement du territoire qu’une telle redistribution alambiquée s’imposait !
Je salue votre ingéniosité, monsieur le rapporteur général. Mais que reste-il à discuter dès lors que vous avez accepté l’essentiel, c'est-à-dire la baisse de la contribution économique ?
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. Pierre-Yves Collombat. Que reste-t-il à revoir ? Le pourcentage de cotisation complémentaire affecté à chaque type de collectivité ?
Mme Nicole Bricq. Des cacahuètes !
M. Pierre-Yves Collombat. Le mode de redistribution de la cotisation complémentaire, « macro » ou « micro », pour jargonner ? M. le rapporteur général nous a donné quelques pistes là-dessus.
Même ce débat, qui aurait pu être celui de la péréquation, d’ailleurs absente du projet, n’a plus de sens, faute de recettes suffisantes. Que vous le vouliez ou non, puisque les recettes font défaut, il n’y aura plus rien à répartir. L’emportera le principe selon lequel il faudra qu’après la réforme les collectivités locales aient au moins les mêmes recettes qu’avant.
Bien entendu, on nous proposera toute une collection de rustines ; nous en avons déjà eu un avant-goût.
Puisque l’essentiel manque, de telles questions perdent l’essentiel de leur intérêt. Il n’y a pas si longtemps, un sénateur de la majorité, qui se reconnaîtra, me résumait la situation par cette formule : « Ils vont réussir l’exploit de nous faire battre devant un râtelier vide ! » (Sourires.)
Mme Nicole Bricq. Qui est-ce ?
M. Pierre-Yves Collombat. On ne saurait mieux dire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment d’aborder l’examen de ce projet de loi de finances pour 2010, qui, au travers de la réforme de la taxe professionnelle, bouleversera profondément le mode de financement de nos collectivités locales, je veux tout d’abord saluer l’état d’esprit qui prévaut depuis quelques jours du côté du Gouvernement et qui devrait nous permettre, je l’espère, de parvenir à un compromis acceptable : acceptable d’abord par le Gouvernement, parce que ce compromis permettrait, conformément au souhait du Président de la République, de supprimer la taxe professionnelle dès le 1er janvier prochain ; acceptable ensuite par le Parlement – c’est le souhait que je forme –, parce qu’il lui permettrait de disposer du temps nécessaire pour travailler dans de bonnes conditions.
N’en doutons pas, l’exercice sera difficile, d’autant qu’à l’occasion de la réforme de la taxe professionnelle le Gouvernement a souhaité redistribuer les cartes de la fiscalité locale et des dotations entre les différentes strates de collectivités.
Nous aurions pu faire différemment, en procédant, comme souvent par le passé, par exonérations compensées pour les collectivités locales. Le Gouvernement a préféré rebattre les cartes ; je n’y vois que des avantages, à deux conditions : d’une part, il faudra faire preuve d’humilité et bien mesurer l’ampleur de la tâche, ainsi que les risques inhérents à l’exercice ; d’autre part, il faudra tout remettre à plat, y compris les mécanismes de péréquation.
Cette réforme, difficile en soi, se révèle plus compliquée encore, en raison du contexte économique et budgétaire, qui nous contraint très fortement. Raison de plus, faute de grain à moudre, pour prendre le temps nécessaire à la réflexion.
Or, ce temps, et ce n’est pas si souvent le cas, nous l’avons ! En effet, le volet « collectivités locales » de la réforme ne s’appliquera qu’à partir du 1er janvier 2011. Dès lors, pourquoi nous précipiter ?
Voilà pourquoi je salue la proposition de notre rapporteur général, visant à scinder l’article 2 du présent projet de loi de finances, repoussant ainsi à la seconde partie l’examen des dispositions relatives aux collectivités locales.
Dix jours supplémentaires seront les bienvenus, certes, mais resteront insuffisants, d’une part, pour évaluer des dispositions qui auraient un caractère quasi définitif, parce que rentrant, en tout point, dans le détail des choses, d’autre part, pour mettre sur pied les nouveaux mécanismes de péréquation.
C’est pourquoi je soutiendrai également l’idée de nous limiter, en seconde partie, à formuler des hypothèses de travail, qui devront, au cours de l’année 2010, faire l’objet de simulations précises, afin de retenir, dans un projet de loi ultérieur, la meilleure solution.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !
M. Philippe Dallier. Est-ce l’incertitude qui créée l’angoisse perceptible chez les élus locaux et qui justifierait donc l’urgence de trancher ce débat ? Je ne le pense pas ! C’est, au contraire, la crainte de voir boucler trop rapidement une réforme aussi importante, sans être capable d’en mesurer précisément l’impact, qui suscite le doute chez les élus locaux.
C’est la raison pour laquelle me semble également très judicieuse la proposition d’inscrire dans ce projet de loi de finances deux clauses de revoyure obligatoires, permettant, d’une part, de corriger le tir lorsque nous disposerons des simulations relatives aux hypothèses de répartition des recettes fiscales et, d’autre part, de tirer les éventuelles conséquences de la prochaine réforme des collectivités locales, dont nous ne connaissons pas encore précisément le contenu en matière de redistribution des compétences.
C’est bien en ne bouclant pas définitivement le débat que le Sénat montrera aux élus locaux son souci d’adopter un texte clair, compréhensible par tous, et équitable.
Mme Nicole Bricq. Oh la la !
M. Philippe Dallier. En l’état actuel, qui pourrait soutenir que les 135 pages de l’article 2 sont claires et compréhensibles par tous ? Personne ! Et Jean Arthuis nous l’a démontré. Nous ne pouvons pas, selon la formule du président de la commission des finances, prendre le risque d’acheter un lapin dans un sac.
Si nous adoptons un texte complètement ficelé, aucun gouvernement ne sera pressé de rouvrir la boîte de Pandore. Tant pis alors pour les collectivités locales victimes des inévitables effets de bord, que nous découvrirons forcément a posteriori dans une matière aussi complexe !
Raison de plus, mes chers collègues, pour ne pas trancher ce débat avant de disposer des outils nous permettant d’apprécier la portée des dispositions que nous adopterons. Pour cela, il nous faut des simulations fiables. Est-ce le cas aujourd'hui ? À l’évidence, non !
Pour ma part, alors que, sur le texte du Gouvernement, j’avais obtenu, certes par la bande, de telles simulations assez facilement, sur le texte issu de l’Assemblée nationale, je ne dispose que des simulations concernant les communes de mon département, et ce depuis deux jours seulement. Madame la ministre, alors que, une énième fois, je réclamais à un membre de votre cabinet les simulations sur les communes des autres départements, notamment d’Île-de-France, je me suis entendu répondre : « on ne va tout de même pas donner à tous les sénateurs les simulations pour toutes les communes, et puis il y a le secret fiscal ». Vous entendez bien : on m’a opposé le secret fiscal !
Mme Nicole Bricq. Exactement !
M. Philippe Dallier. Les bras m’en sont tombés, car je ne savais pas que le secret était opposable aux sénateurs en matière de fiscalité des collectivités locales !
Avec l’indulgence qui me caractérise, je mettrai bien volontiers cette réponse étonnante sur le compte d’un écart d’humeur lié à la fatigue du moment, mais j’espère, madame la ministre, que vous donnerez les consignes nécessaires, afin que, dans les plus brefs délais, chaque sénateur qui le souhaite puisse obtenir l’ensemble des simulations disponibles.
À défaut, comment évaluer dans une région aussi disparate que l’Île-de-France, par exemple, les conséquences des inévitables transferts de base imposable en matière de valeur ajoutée entre, d’une part, les territoires accueillant aujourd’hui des entreprises à caractère industriel ou des entreprises de transports et, d’autre part, les territoires sur lesquels sont plutôt implantées des banques, des assurances et des entreprises de services ?
Ce risque de transfert de base d’imposition, donc d’appauvrissement de certaines communes ou départements au bénéfice d’autres, est bien réel et nous avons pour devoir, faut-il le rappeler, de veiller au respect du principe constitutionnel de péréquation financière entre collectivités locales. Il est impossible de le faire sans disposer de simulations.
Aujourd’hui, chacun le sait, la DGF ne joue plus son rôle de péréquation. Les écarts entre collectivités de même nature et de même taille sont exorbitants, allant parfois du simple au double en Île-de-France, selon que la commune se soit trouvée, avant 1964, dans l’ancien département de la Seine ou dans celui de la Seine-et-Oise ; telle est en tout cas l’explication que l’on m’a donnée ! Il semblerait que cette situation pèse encore aujourd'hui sur les communes.
À l’évidence, en Île-de-France comme ailleurs, les autres mécanismes de péréquation ne parviennent que très imparfaitement à corriger cela. Cette réforme nous offre enfin l’opportunité de tout repenser en revenant sur la sédimentation des situations acquises, qui a marqué les réformes précédentes de la fiscalité locale et des dotations.
Mes chers collègues, cette réforme de la taxe professionnelle est difficile et naturellement anxiogène. Mais, si le Gouvernement l’accepte, elle peut être l’occasion de refonder pour vingt ou trente ans, sur de bonnes bases – justes, équitables et donc durables – le financement de nos collectivités locales.
Pour cela, il nous faut un peu de temps, des simulations et la volonté politique de mettre un terme à des situations acquises au fil des années, sans que, forcément, il y ait un lien direct entre le niveau de richesse de certaines collectivités et le talent de leurs élus, qui, souvent, se sentent responsables, alors que bien d’autres causes existent. Contrairement à ce qu’osent affirmer certains, les élus qui réclament une réforme des mécanismes de péréquation ne sont pas tous des incapables qui n’ont pas su développer leur territoire, comme je l’ai, hélas ! entendu dire. Il y a de bons gestionnaires dans les villes pauvres et, à l’inverse, toutes les villes riches ne sont pas nécessairement bien gérées.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est vrai !
M. Philippe Dallier. On connaît de fameux exemples, à droite comme à gauche. Tout un chacun devrait s’en souvenir !
Mes chers collègues, il est temps de redéfinir ce que devraient être des mécanismes de péréquation conformes aux valeurs de notre République : c’est la condition de la réussite de la réforme de la taxe professionnelle.
Cette réforme devra porter non pas seulement sur le flux de création de richesse, comme l’a proposé M. Fourcade, mais aussi sur le stock. C’est d’ailleurs le cas aujourd’hui avec le fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France, le FSRIF, et la dotation de solidarité urbaine, la DSU. Si les effets de cette réforme doivent naturellement être progressifs, nous ne pouvons plus différer celle-ci.
Je souhaite donc que nos travaux ouvrent la voie à cette réforme ô combien ! nécessaire, pour qu’elle prenne effet au 1er janvier 2011, en même temps que la nouvelle distribution des cartes de la fiscalité locale. En agissant ainsi, le Sénat aura pleinement rempli son rôle. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, souvenez-vous de l’époque où les gouvernements ont lancé les programmes nucléaires. Pour les faire accepter par l’opinion publique, ils ont parlé d’avancées énergétiques, de performance, d’absence de pollution, d’énergie propre, mais aussi de créations d’emplois et de taxe professionnelle. Ces points ont été essentiels pour faciliter la réussite de ces programmes nucléaires.
Ma question, qui tracasse de nombreux élus, porte sur les incidences de la réforme de la taxe professionnelle sur le fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle pour les grandes entreprises du nucléaire.
Le système actuel permet non plus à la seule commune sur laquelle est implanté le site, mais aussi à une grande partie des communes du département, voire d’un autre département, de percevoir les revenus de la taxe professionnelle. Aujourd’hui, près de vingt départements qui accueillent des centrales nucléaires sont concernés.
Le fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle permet aux communes de rembourser des annuités d’emprunts dus aux grands chantiers et de répondre, par des investissements lourds, à l’arrivée de nouveaux résidents ou au maintien de la population existante. Les crédits alloués par ce fonds étant sans affectation d’utilisation, les communes en disposent pour élaborer leur budget. Ils sont donc indispensables pour la vie et le développement de petites communes.
Dans mon département, la Vienne, plus de 250 communes sur 283 sont concernées par ce fonds, et elles ont pris des engagements. Les sommes sont ventilées par les conseils généraux, qui déterminent eux-mêmes les pourcentages accordés aux communes d’accueil et aux communes dites « défavorisées », dans le cadre d’une règle.
Le projet de loi de finances prévoit la suppression de la taxe professionnelle. La commission des finances propose de maintenir le système en l’état en 2010 et de définir un autre système, qui se substituera ensuite au dispositif actuel. Monsieur le ministre, cette suppression sera-t-elle entièrement compensée par l’État en 2010, particulièrement pour ce qui concerne le nucléaire ?