M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Je profiterai de cette explication de vote pour répondre à notre collègue Hugues Portelli.
Je suis d’accord avec lui sur un point : il existe différentes conceptions des missions de service public.
Pour leur part, les Verts défendent une vision aussi globale et large que possible du service public. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Jean Bizet. On l’avait deviné !
M. Jean Desessard. Eh oui ! Ce qui nous différencie de vous, c’est que nous ne sommes pas d’accord avec le mode de management actuellement pratiqué par La Poste, lequel consiste à assigner des objectifs et à vérifier, au terme d’un pointilleux comptage de petites croix, ce que chacun fait quotidiennement.
Nous ne voulons pas d’un service public asservi aux critères de rentabilité, nous ne voulons pas que La Poste recoure aux mêmes méthodes que le privé.
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Jean Desessard. Vous persistez à vouloir motiver les salariés de La Poste pour que celle-ci fasse du profit.
M. Christian Cambon. Mais oui !
M. Jean Desessard. Or que veut dire « mission de service public », sinon rendre service aux gens, même quand cela prend du temps, même quand cela n’est pas rentable ?
M. Jean Bizet. Ce n’est pas durable, à terme !
M. Jean Desessard. C’est cela, le service public, rendre service aux gens même lorsque ce n’est pas rentable. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Vous voulez nous faire croire, en plus, que vous allez augmenter la rémunération des postiers ? Monsieur le rapporteur, savez-vous combien gagne un postier, aujourd’hui ?
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie. Ils ont la sécurité de l’emploi !
M. Jean Bizet. Cela, Besancenot ne veut pas le dire !
M. Jean Desessard. Savez-vous quelle est la différence de rémunération entre un postier fonctionnaire et un postier titulaire d’un contrat de droit privé à durée déterminée ou indéterminée ? Plus de 20 % !
Depuis que La Poste recrute des salariés sur des contrats de droit privé, salariés qui n’ont donc pas le statut de fonctionnaire, les rémunérations ont baissé. D’ailleurs, M. le ministre le sait bien, puisqu’une grève a éclaté à Nice, à l’issue de laquelle les postiers ont obtenu une prime pour le logement de 50 euros. Il est vrai que, avec un salaire de 1 100 euros, il leur était très difficile de se loger dans cette ville trop chère.
M. Guy Fischer. À Nice, les logements sont effectivement chers !
M. Jean Desessard. Et à Paris, comment voulez-vous vous loger quand vous gagnez 1 100 euros ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À Paris, un postier n’a pas les moyens de se loger !
M. Jean Desessard. Et comme les gens sont contraints d’habiter à cent kilomètres ou plus de leur lieu de travail, il faut construire des lignes de tramway ou de RER !
Comment vivre, dans ces conditions ?
Assurer un service public, c’est donc rendre service, bien évidemment, mais c’est aussi garantir la sérénité sociale, c’est-à-dire donner aux salariés les moyens de vivre décemment.
La mission de service public doit être vue sous cet angle.
La transformation de La Poste en société anonyme ne fera qu’accentuer le mouvement de précarisation, de baisse des salaires, de fixation d’objectifs de travail, un peu comme à France Télécom. Dans quelques années, il ne faudra pas s’étonner que les salariés de La Poste souffrent au travail.
M. Guy Fischer. C’est déjà le cas !
M. Jean Desessard. Il ne faudra pas s’étonner non plus des suicides, et il sera bien temps, alors, de convoquer M. Bailly pour lui demander ce qu’il compte faire. Mais c’est aujourd’hui que nous créons les conditions de la souffrance au travail et du stress que ne manquera pas de connaître La Poste dans quelques années !
Enfin, si, avec nos camarades communistes, nous défendons, à travers ces amendements identiques, une même proposition, c’est que nous considérons la possibilité pour les postiers d’acquérir des actions de leur entreprise comme le prélude à la privatisation. Dans quelques années, une fois partis à la retraite, ces actionnaires anciens salariés de La Poste céderont leurs titres et on aura beau jeu d’en tirer argument pour poursuivre le processus.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Augmentez les salaires !
M. Jean Desessard. Nous nous opposons formellement à l’actionnariat salarié.
En revanche, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, nous sommes tout à fait prêts à voter une augmentation des rémunérations des postiers et de l’ensemble des personnels !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Voilà !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l’économie. Cela ne figure pas dans le projet de loi !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 27 et 267.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Muller, pour explication de vote sur l'amendement n° 272.
M. Jacques Muller. Afin de ne pas abuser du temps du Sénat, mon explication de vote vaudra également pour les amendements nos 266, 265, 267, 268, 269, 270 et 272.
M. le président. Monsieur Muller, sur le plan de la méthode, mieux vaut éviter les explications de vote post mortem. (Sourires.) Nombre des amendements sur lesquels vous allez vous exprimer ont déjà été rejetés. Il eût été préférable d’intervenir avant leur mise aux voix, encore que cela n’aurait sans doute rien changé.
M. Jean Desessard. Les socialistes sont pour la vie, monsieur le président ! (Sourires.)
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Muller.
M. Jacques Muller. Vous aurez constaté que les Verts sont bien présents dans cet hémicycle et témoignent ainsi de leur attachement au service public de La Poste.
M. Jean Bizet. Ils ne sont pas encore majoritaires !
M. Jacques Muller. Nous refusons la privatisation rampante qui se profile, comme 90 % des Français qui se sont exprimés lors de la votation citoyenne.
Pour autant, nous n’avons pas adopté de posture d’obstruction. (M. le président de la commission de l’économie s’exclame.)
Les nombreux amendements de repli que nous avons déposés sont constructifs et destinés à éviter le pire.
Je constate que tous ces amendements ont donné lieu à un avis défavorable tant de la commission que du Gouvernement. Pourtant, leur objet était d’éviter la dilution du capital de La Poste, notamment par la clause d’incessibilité.
Notre objectif était très clair : empêcher l’adoption de dispositions dangereuses et injustes, dangereuses parce qu’elles risqueraient de réduire la capacité de La Poste d’assurer correctement sa mission de service public, injustes socialement puisque l’on veut rémunérer les acteurs du service public au moyen d’actions.
Monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, le rejet de nos amendements traduit clairement votre refus d’écouter la voix qui monte du terrain.
En fait, vous avez fait la preuve que vous refusez tout ce qui est susceptible d’atténuer la privatisation rampante qui est en cours.
Vous avez décidé d’imposer l’évolution de La Poste aux forceps. Vous manifestez ainsi une posture strictement idéologique. Nos concitoyens le verront et ils en tiendront compte pour la suite.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Mirassou. Mon intervention s’inscrit dans le même registre que celle de M. Michel Teston.
Remarquons au passage que nos collègues Verts sont sans doute un peu plus naïfs que nous. (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.). En effet, nous estimons que la ligne de partage se situe très exactement là où vous considérez que l’EPIC est disqualifié. Tout le reste est destiné à limiter la casse, comme vient de l’expliquer M. Jacques Muller.
Mais la détermination du ministre et du rapporteur est telle que, même sur ce point, ils refusent la moindre concession.
Au-delà des pensées, on trouve des arrière-pensées récurrentes. On ne peut donc pas s’empêcher d’imaginer que les incertitudes qui pèsent sur les conditions dans lesquelles s’effectuera l’actionnariat de la Caisse des dépôts et consignations, voire des salariés, pourraient tenter certains de faire entrer dans le dispositif un cheval de Troie afin d’engager, dans un second temps, une privatisation, la privatisation annoncée.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Je me félicite que la naïveté des Verts ait permis aux socialistes de souligner le machiavélisme du Gouvernement et du rapporteur. (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Ma foi, si notre naïveté peut être utile au progrès du monde, tant mieux ! À nous d’en garder l’expression dans notre idéologie et dans notre utopie.
M. Jean Desessard. Le ministre s’en était pourtant remis à la sagesse du Sénat !
M. Christian Cambon. Et, justement, nous sommes très sages !
M. Guy Fischer. Le voilà, le positionnement idéologique !
M. Jean Desessard. Sans faille !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On descendra à 51 %, puis ce sera la privatisation !
M. le président. Toujours sur l’article 1er, je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 579 est présenté par M. Retailleau.
L'amendement n° 580 est présenté par MM. Fortassin, Tropeano, Collin et Charasse, Mme Laborde, MM. Mézard et Milhau et Mme Escoffier.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Cette transformation ne peut avoir pour conséquence de remettre en cause le caractère de service public national de La Poste.
La parole est à M. Bruno Retailleau, pour défendre l’amendement n° 579.
M. Bruno Retailleau. Il convient de lever toute ambiguïté : la modernisation de La Poste, oui, sa privatisation, non !
Cet amendement vise à inscrire très explicitement dans le projet de loi un second verrou contre la privatisation. Après la première garantie que nous a apportée la commission de l’économie par la voix de son rapporteur sur la nature publique du capital social de la future SA, cet amendement reprend une jurisprudence du Conseil constitutionnel, récente puisqu’elle date de 2006, qui affirme, pour la première fois, que le législateur ne peut pas privatiser un service public national, sauf à lui faire perdre son caractère de service public national.
En d’autres termes, cet amendement vise à inscrire dans le projet de loi le caractère de service public national de La Poste.
Depuis quelques jours, certains collègues qui siègent à gauche de cet hémicycle se réfèrent à cette jurisprudence. Toutefois, ils ne lisent qu’un membre de la phrase intéressante. Permettez-moi de vous donner lecture du second membre de cette phrase : « le transfert [au secteur privé] suppose que le législateur prive ladite entreprise des caractéristiques qui en faisaient un service public national ».
J’attends avec impatience les objections que nos collègues socialistes et communistes ne manqueront pas de m’opposer.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Notre lecture ressemble à celle de M. Guaino !
M. Bruno Retailleau. Nos collègues prennent par ailleurs deux autres exemples : France Télécom, que je connais un peu, et Gaz de France. Quels enseignements nous apportent ces deux exemples au regard de ce que nous voulons faire en inscrivant le caractère de service public national dans la loi ?
France Télécom n’a pu être privatisée qu’après qu’une loi lui a fait perdre son caractère de service public national. Nous pourrons nous expliquer sur ce sujet si vous le souhaitez dans quelques instants.
Pour Gaz de France, la démonstration est plus flagrante encore parce que le Conseil constitutionnel, dans sa jurisprudence de 2006, avait posé une réserve d’interprétation en indiquant que l’on ne pouvait pas privatiser cette entreprise avant le 1er juillet 2007, car, jusqu’à cette date, elle conservait son caractère de service public national. Elle n’a pu être en effet privatisée qu’à partir du moment où on lui a fait perdre cette caractéristique.
C’est la raison pour laquelle nous souhaitons inscrire dans le projet de loi, et de la façon la plus claire possible, le caractère de service public national de La Poste.
Cet amendement est utile. En explicitant la volonté du législateur, on évite au Conseil constitutionnel d’avoir à reconstituer le faisceau d’indices qui peuvent l’amener à décider qu’il s’agit, ou non, d’un service public national.
J’en apporte une illustration.
Dans le commentaire de la décision du Conseil constitutionnel figurant aux Cahiers du Conseil constitutionnel no 22, publiés en 2007, la question est posée de savoir « comment reconnaître la volonté du législateur de confier à une entreprise un service public national, à défaut [...] de trouver dans les textes une qualification explicite en ce sens ».
Autrement dit, lorsque le législateur explicite le caractère de service public national, le Conseil constitutionnel en prend acte aussitôt.
Si, demain, un gouvernement de gauche, par exemple, voulait privatiser La Poste (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.),...
M. Jean Bizet. Cela pourrait arriver !
M. Bruno Retailleau. ... il lui faudrait au préalable déposer un nouveau texte de loi pour supprimer la mention du caractère de service public de La Poste.
Alors, mes chers collègues, cessons les procès d’intention. Ce projet de loi est-il, oui ou non, un projet de loi de privatisation ? La réponse est sans ambiguïté négative, car il y a deux garanties : celle de la commission et celle qu’apporte cet amendement.
M. Gérard Cornu. Et le traité de Lisbonne !
M. Bruno Retailleau. Les choses doivent être carrées. Mais, en tout état de cause, reconnaître à La Poste son caractère de service public national est un geste juridique extrêmement fort. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste et du RDSE.)
M. Guy Fischer. C’est le premier pas vers la privatisation !
M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour présenter l'amendement n° 580.
M. François Fortassin. Je n’ai rien à ajouter aux propos de M. Retailleau. Il est bien évident que cet amendement apporte à nos yeux une garantie supplémentaire.
J’ajoute que, pour l’opinion publique, d’un point de vue sémantique, il y a quelque chose de fort dans l’expression « service public national de La Poste ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Cet amendement porte sur la réaffirmation du caractère de service public national de La Poste.
M. Retailleau avait présenté un amendement analogue lors de la première réunion de la commission. Nous en avions alors demandé le retrait dans l’attente d’un complément d’expertise juridique.
Il nous apparaît en fin de compte qu’il s’agit d’une très bonne idée. En affirmant le caractère de service public national de La Poste, on confirme l’impossibilité de sa privatisation, conformément au préambule de la Constitution de 1946.
La commission a donc émis un avis favorable sur ces deux amendements. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Estrosi, ministre. L’amendement n° 579, qui se situe au cœur du débat, a fait beaucoup parler de lui et m’a amené à prendre position. J’ai même utilisé un néologisme, qui a été caricaturé par certains alors que d’autres y ont vu au contraire une forme d’originalité destinée à bien faire comprendre quel était l’état d’esprit du Gouvernement et ainsi apaiser les inquiétudes d’un certain nombre de parlementaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la première fois que je me suis présenté devant vous en commission, je vous ai indiqué que j’étais déterminé à accepter un certain nombre de garanties supplémentaires, même si le texte initial du Gouvernement me paraissait suffisamment explicite, pour confirmer à chacun que la modification statutaire de La Poste n’entraînerait à aucun moment la perte de son caractère à 100 % public.
C’est ce qui m’a conduit, pour renforcer encore cette position, à accepter en commission un amendement du rapporteur visant à ce que soit bien prévue la mention de ce caractère à 100 % public, ce qui a été fait.
Je tiens à souligner que, lorsque M. Retailleau a déposé son amendement en commission, j’avais dit très clairement que sa proposition me paraissait particulièrement intéressante. Cependant, ne disposant pas de toutes les analyses juridiques nécessaires à ce moment-là, j’avais demandé à son auteur de bien vouloir retirer l’amendement, quitte à le redéposer, le cas échéant, en séance publique. Je tiens à remercier M. Retailleau d’avoir accepté.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il vous suffit de vous référer au compte rendu de la réunion de la commission pour vérifier que les choses se sont passées dans ces conditions.
Entre-temps, nous avons poussé plus avant notre analyse. Je ne reviendrai pas sur l’éloquent et remarquable plaidoyer de M. Retailleau. Je dirai simplement que si, dans quelques instants, les amendements identiques n° 579 et 580 sont adoptés, La Poste sera rendue « imprivatisable », pour reprendre ce néologisme, que j’assume.
Pour que toutes les conditions soient réunies afin que La Poste soit privatisable, il faudrait d’abord un changement de majorité. (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Guy Fischer. C’est de la provocation !
M. Christian Estrosi, ministre. Des bouleversements importants sont possibles dans notre pays, mais je ne vois pas comment une majorité qui, lors de l’examen d’un amendement, prend toutes les mesures nécessaires pour renforcer ce caractère à 100 % public, se renierait demain.
M. Jean-Claude Danglot. Et GDF ?
M. Christian Estrosi, ministre. Comme l’a dit Bruno Retailleau, pour qu’une entreprise puisse être qualifiée de service public à caractère national, elle doit répondre à trois critères : l’entreprise doit être chargée d’une mission de service public ; cette mission doit être décrite dans la loi et elle doit être exercée sur l’ensemble du territoire.
C’est clairement le cas de La Poste, qui exerce, sur l’ensemble du territoire, quatre missions de service public définies dans la loi : la distribution du courrier, l’aménagement du territoire, le transport de la presse et l’accessibilité bancaire, notamment le livret A.
Autrement dit, pour rendre demain La Poste privatisable, il faudrait que les deux assemblées votent en termes identiques la suppression par la loi des quatre missions de service public.
Sincèrement, je ne pense pas que cette majorité, qui s’apprête à voter ce texte avec l’inscription de ces quatre missions de service public, serait prête demain à en sacrifier ne serait-ce qu’une seule, encore moins les quatre. Or c’est pourtant la seule condition requise pour que l’ouverture de La Poste à des capitaux privés soit de nouveau en débat. Sans la suppression de ces missions, La Poste ne peut être privatisée.
La Poste peut donc être qualifiée de service public à caractère national, ce qui, en application du préambule de la Constitution de 1946, la rend insusceptible d’être privatisée.
Je me permets de réaffirmer, en émettant un avis plus que favorable sur les deux amendements identiques de MM. Retailleau et Fortassin,…
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Très bien !
M. Christian Estrosi, ministre. … que, si vous adoptez ces amendements en l’état, mesdames, messieurs les sénateurs, La Poste deviendra « imprivatisable » ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous avons déjà eu ce débat.
M. Retailleau brandit la décision du Conseil constitutionnel, mais nous avons une autre interprétation que lui, celle de M. Henri Guaino... Ceux qui défendent la libéralisation des services publics devraient au moins se mettre d’accord !
Que dit le Conseil constitutionnel, en 2006 ? « Considérant [...] que le fait qu’une activité ait été érigée en service public national sans que la Constitution l’ait exigé ne fait pas obstacle au transfert au secteur privé de l’entreprise qui en est chargée ; que, toutefois, ce transfert suppose que le législateur prive ladite entreprise des caractéristiques qui en faisaient un service public national ».
M. Bruno Retailleau. Le considérant est clair !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les explications de M. le ministre, ne nous ont pas convaincus. En effet, avec l’ouverture à la concurrence des activités postales, on sort du cadre du préambule de la Constitution de 1946, qui faisait des services publics des monopoles.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l’économie. Nous sommes en 2009 !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il y a fort à parier que La Poste n’exercera plus exclusivement le service public national et qu’elle perdra son monopole, y compris au regard de la continuité des services publics sur le territoire, qui est pourtant une condition essentielle.
Le Conseil constitutionnel a posé un certain nombre de conditions, et, selon lui, elles étaient remplies. Gaz de France a donc été privatisée par la loi !
La loi que vous allez voter, chers collègues, pourra être défaite demain par une loi simple : le capital pourra passer de 100 % à 51 %, comme le prévoit déjà M. Merceron, puis à 30 % ou même à 0,1 % !
Par ailleurs, la loi qui fait qu’aujourd’hui La Poste exerce un monopole au titre du service public de la distribution du courrier sur l’ensemble du territoire sera amendée lorsque les activités postales seront ouvertes à la concurrence en vertu de la directive européenne. Dans ce cas, nous ne serons plus dans une situation de service public national au sens du préambule de la Constitution de 1946. (M. Bruno Retailleau proteste.)
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Mais si !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez beau vous agiter, monsieur Retailleau, ces arguments ne sont pas du tout convaincants, et surtout pas au regard du préambule de la Constitution de 1946 !
Je tiens à signaler que nous avions déposé un amendement de repli avant l’article 1er pour préciser les missions de service public que devait exercer un service public national. Or vous avez voté contre ! Cela prouve que vous ne voulez absolument pas garantir que La Poste restera un service public national au sens du préambule de la Constitution de 1946. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Teston, pour explication de vote.
M. Michel Teston. Monsieur Retailleau, vous voudriez nous faire croire que le fait d’inscrire à l’article 1er la phrase suivante : « Cette transformation ne peut avoir pour conséquence de remettre en cause le caractère de service public national de La Poste » nous apporterait toutes les garanties.
Mon cher collègue, vous vous appuyez sur une décision du Conseil constitutionnel de 2006 relative au service public de l’énergie. Je ne reviens pas sur le considérant principal, puisque Nicole Borvo Cohen-Seat vient de l’évoquer, mais, en tout cas, la référence est explicite au neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.
Qu’en est-il réellement ?
Pour notre part, nous considérons qu’il existe en droit public français une hiérarchie des normes : la Constitution, la loi et les actes réglementaires. Je l’ai dit lundi soir, il n’y a pas de « supra-légalité », il n’y a pas de lois intouchables auxquelles on ne pourrait plus à l’avenir apporter la moindre modification. C’est le principe juridique du parallélisme des formes qui s’applique : ce qu’une loi a fait, une autre peut le défaire.
Donc, sur le plan strictement juridique, et s’agissant des pouvoirs du Parlement, on ne peut pas dire que le présent amendement rendrait La Poste « imprivatisable ».
Si l’on voulait introduire une garantie plus forte en la matière, il faudrait que cette disposition figure dans la Constitution, beaucoup plus difficile à modifier que la loi. Or tel n’est pas le cas, et je ne vois pas, d’ailleurs, comment justifier cette inscription dans la Constitution.
Un conseiller très proche du Président de la République a repris exactement les mêmes arguments, sans que nous ne nous soyons concertés. (Sourires.)
J’en viens à un autre argument, qui a été évoqué à l’instant par Nicole Borvo Cohen-Seat. Si nous lisons bien le considérant 14 de la décision du Conseil constitutionnel de 2006 relative au service public de l’énergie, cité par Bruno Retailleau et Nicole Borvo Cohen-Seat, le fait, pour le législateur, de modifier le statut de La Poste priverait l’entreprise des caractéristiques qui en faisaient un service public.
Avec cette disposition et la suppression du secteur réservé au 1er janvier 2011, qui est imposée par la troisième directive postale, le monopole de La Poste sera écarté et d’autres opérateurs de services postaux arriveront sur le marché. Rien n’empêchera donc par la suite d’amener la participation publique en deçà des 50 % et de s’engager dans une privatisation progressive du capital de La Poste.
M. Guy Fischer. Tout à fait !
M. Michel Teston. Donc, je le répète, en raison tout à la fois de l’évolution législative imposée par l’Europe et des décisions imposées par le Gouvernement – et elles risquent d’être actées par le Parlement -, La Poste va être privée des caractéristiques qui en faisaient un service public.
C’est la raison pour laquelle la formule retenue dans ces amendements ne nous paraît absolument pas opportune et que nous n’approuvons pas son inscription dans le projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, pour explication de vote.
Mme Bariza Khiari. Je voudrais tout d’abord remercier notre collègue Bruno Retailleau de ses efforts de pédagogie. Je pense qu’il souhaite de bonne foi verrouiller le système, mais ses arguments ne sont pas convaincants.
Selon un éminent constitutionnaliste, spécialiste des services publics, le service public national avait autrefois un sens organique. Notre collègue Mme Nicole Borvo Cohen-Seat l’a d’ailleurs expliqué.
Mais, depuis plus de vingt ans, il est acquis qu’une entreprise nationale assurant plusieurs activités dont certaines sont concurrentielles peut être privatisée tout en conservant de par la loi l’obligation d’assurer une activité de service public.
Votre argument, mon cher collègue, ne tient donc pas, ainsi que le montre cet avis de M. Guglielmi, éminent spécialiste et constitutionnaliste.
Cela étant, je tiens à vous remercier de vos efforts.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Je voudrais d’abord remercier à mon tour Bariza Khiari. Bien sûr, j’aurais préféré la convaincre, mais je ne désespère pas... (Sourires.)
M. le ministre a rappelé les conditions dans lesquelles j’avais déposé cet amendement : je voulais m’assurer que l’on ne pourrait pas, à travers cette loi, privatiser La Poste. C’était ma conviction, et vous m’accorderez au moins, mes chers collègues, où que vous siégiez dans cet hémicycle, que je tiens une ligne quand j’estime devoir la tenir.
M. Jean Desessard. Absolument !