M. Jean Desessard. Absolument !
M. Michel Teston. Pour le cas où la majorité sénatoriale se laisserait aller à voter le changement de statut et la suppression du secteur réservé, il nous a semblé indispensable de déposer des amendements de repli.
L’un d’eux vise à maintenir les contractuels dans le régime complémentaire de retraite géré par l’IRCANTEC. Un autre tend à limiter les pouvoirs conférés à l’ARCEP, le rôle du politique devant être réaffirmé face à la multiplication des autorités indépendantes. Le ministère, la CSSPPCE et l’Observatoire national de la présence postale doivent avoir leur mot à dire sur la manière dont fonctionne le service universel postal. Un troisième amendement prévoit l’élargissement du champ des activités pour le calcul de la contribution au fonds de compensation.
Au cours des nombreux débats et échanges qui ont précédé l’examen de ce projet de loi, aucun argument solide n’a été présenté par le Gouvernement pour justifier l’abandon du statut d’EPIC. Nous affirmons qu’il est adapté, y compris à l’ouverture totale à la concurrence du secteur postal.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Michel Teston. En réalité, cette réforme est dogmatique.
M. Jacky Le Menn. C’est sûr !
M. Michel Teston. Le Gouvernement veut rapidement faire sauter le verrou que constitue le statut actuel pour pouvoir ouvrir le capital de La Poste lors de l’examen d’un texte de loi ultérieur. S’il était décidé, le changement de statut interviendrait au plus mauvais moment, en pleine crise économique.
Face à cette réforme qui pose plus de questions qu’elle n’apporte de solutions, notre groupe, mais aussi l’ensemble de la gauche, propose une alternative : elle consiste en un maintien du statut actuel, accompagné d’une bonne identification des besoins des usagers et des territoires auxquels doit répondre le service public postal, de la mise en place d’un financement enfin suffisant et pérenne et d’une régulation efficace.
Cette solution alternative n’est pas seulement celle de la gauche parlementaire. Elle est aussi et avant tout celle des plus de 2,2 millions de citoyens qui se sont exprimés et dont tous les élus de gauche seront les interprètes lors des débats.
Contrairement à ce qu’affirment certains membres du Gouvernement, notre position n’est pas conservatrice. Pour reprendre la terminologie gouvernementale, elle est au contraire moderne, au bon sens du terme, car elle tient compte non seulement de notre culture du service public, mais aussi d’une bonne compréhension de la profonde crise actuelle, qui devrait conduire le Gouvernement à mettre en veilleuse, pour le moins, l’idéologie libérale qui inspire son action.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Curieuse conception du modernisme !
M. Michel Teston. En adoptant cette position, nous sommes fidèles à nos valeurs et nous défendons le plus ancien et le plus emblématique des services publics, lesquels constituent dans leur ensemble le patrimoine de tous, et particulièrement de celles et ceux qui n’en ont pas ! (Bravo ! et applaudissements prolongés sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste se lèvent et congratulent l’orateur.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’avenir de La Poste est, bien sûr, un sujet de préoccupation pour chaque citoyen. En effet, cela a été rappelé sur toutes les travées, nous sommes tous particulièrement attachés à cette entreprise. Cet attachement s’explique non seulement par des raisons symboliques, La Poste étant l’un des plus anciens de nos services publics, mais aussi par des raisons concrètes, car il s’agit d’un service public de proximité indispensable, qui crée du lien social.
Messieurs les ministres, réformer La Poste est aujourd’hui, j’en conviens, une nécessité imposée par le contexte juridique et économique, notamment européen. Mais reconnaître cette nécessité ne nous autorise pas pour autant à donner un blanc-seing à toute réforme et à accepter comme tel un texte de loi qui, de notre point de vue – même si vous avez évoqué, monsieur le ministre chargé de l’industrie, l’adoption en commission d’un amendement déposé par le groupe du RDSE –, n’est pas suffisamment « bordé » pour empêcher la dérive à laquelle est déjà confronté cet établissement, à savoir la primauté absolue des exigences économiques sur les missions du service public.
En écoutant les interventions des uns et des autres, je me suis souvenu du soir où, alors que je venais d’être élu au Sénat, un de mes amis, beaucoup plus ancien dans cette assemblée, me donna cet avertissement : « Fais attention à ce que tu vas dire ! On dit dans l’opposition des choses que l’on ne fait pas quand on arrive au gouvernement et on fait au gouvernement des choses que l’on n’avait pas dites lorsqu’on était dans l’opposition. » (Sourires.) Moi qui arrivais avec la ferme croyance que l’on a dans ses principes quand on est jeune, je le trouvais bien sévère, me disant qu’il était tout de même possible de changer le monde ! Mais je dois avouer que j’ai peu à peu révisé mon jugement… Au demeurant, il suffit d’observer ce qui se passe depuis vingt ans s’agissant des activités postales.
Selon moi, il s’agit d’un débat quelque peu dépassé. En effet, depuis 1986, on constate un véritable consensus national en faveur de la libéralisation des services publics : à droite, à gauche, au centre, partout on est d’accord ! C’est un processus continu, poursuivi sous tous les gouvernements. En 1986, sous la présidence de François Mitterrand, Laurent Fabius étant Premier ministre, la France a signé l’Acte unique européen. Toute une série de directives, conformes à la politique que nous avions choisie de façon quasi unanime, s’est ensuivie. Faire croire que l’on peut agir autrement aujourd’hui, c’est manquer d’honnêteté politique !
Toutefois, la pensée politique elle-même a évolué. Ainsi, au moment de la création des établissements publics, le ministre de gauche de l’époque avait insisté sur leur nécessaire autonomie. Il considérait en effet, et à juste titre, que le Gouvernement n’avait pas à se mêler de la politique commerciale des établissements publics, en particulier de La Poste.
Il y a eu ensuite la période où l’on a décidé que, pour accomplir des missions de service public, il convenait de créer des sociétés d’économie mixte, sociétés de droit privé associant capitaux privés et publics.
Aujourd’hui, vous prévoyez de constituer une société à capitaux exclusivement publics, monsieur le ministre, et l’on vous accuse de vouloir privatiser La Poste ! En ce sens, il est vrai que vous n’avez guère de chance et que l’on vous fait un procès assez injuste. Mais ne vous réjouissez pas trop vite, monsieur le ministre, car j’ai aussi des choses moins plaisantes à vous dire ! (Sourires.)
M. le président. Il vous faudra les dire dans les trois minutes qui vous restent, mon cher collègue ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Pierre Plancade. Nous considérons que la forme juridique de l’entreprise qui accomplira la mission de service public n’est pas fondamentale. La preuve en est que le statut actuel de La Poste n’a pas empêché les mesures de compression du personnel et la fermeture de nombreux guichets et bureaux de poste.
S’il est vrai que la défense du statut juridique ne saurait donc être une religion, la satisfaction des besoins de nos concitoyens doit, en revanche, être intangible. Une entreprise de droit privé peut parfaitement remplir une mission de service public, mais il appartient alors au politique de fixer les conditions de sa réalisation, ce que le projet de loi ne fait pas.
Vous pourriez nous accuser, nous aussi, de vous faire un procès d’intention, monsieur le ministre, mais les exemples sont malheureusement nombreux où, après avoir créé des sociétés de droit privé pour exercer une ou plusieurs missions de service public, le politique s’est cru dégagé de toute responsabilité à l’égard du contenu de cette mission, oubliant trop souvent que transférer une mission ne veut pas dire transférer la responsabilité politique.
C’est pourquoi nos concitoyens sont perdus : ils ne savent plus où se situe réellement le centre de décision et finissent par douter de l’État et de sa classe politique. Ce sentiment est renforcé par le fait que ces sociétés, selon un mécanisme aisément compréhensible, s’enferment trop souvent dans une logique gestionnaire, commerciale et concurrentielle, en oubliant le service public qu’elles ont la charge d’assurer.
L’État, aujourd’hui contraint par l’histoire de mettre la mission du service public postal en concurrence, a la responsabilité de définir précisément les besoins et les missions qui s’imposeront à ce nouvel organisme, et d’établir un cahier des charges précis afin de pouvoir choisir l’organisme qui sera à même d’exploiter au meilleur coût le service public postal. C’est précisément là que le bât blesse : si le projet de loi énumère effectivement les missions du service public postal, il ne détaille pas suffisamment les conditions d’exploitation de ce dernier.
Je tiens à remercier le rapporteur de ses engagements, de sa conviction et de sa sincérité dans ce débat, même si nous ne partageons pas toujours ses positions.
M. Jean-Claude Carle. Il mérite qu’on lui rende hommage !
M. Jean-Pierre Plancade. Parmi les amendements déposés par le groupe du RDSE, un seul a été retenu en commission. Nous continuons donc à penser que, en l’état, ce texte est insuffisant et n’offre pas toutes les garanties nécessaires. Notre groupe souhaite que le contenu de la mission de service public soit plus précisément défini et que les conditions d’exploitation de ce service soient nettement plus détaillées et formalisées qu’elles ne le sont actuellement. Nous allons donc suivre avec grand d’intérêt l’évolution que connaîtra ce texte au cours du débat. (Applaudissements sur les travées du RDSE - M. Jacques Blanc applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Demain mardi, comme tous les jours ouvrés, près de 2 millions de Français franchiront le seuil de l’un des 17 000 points de contact du réseau postal.
Demain mardi, 100 000 facteurs distribueront le courrier dans 30 millions de boîtes aux lettres. Ils apporteront bien sûr des lettres ou des colis, mais aussi une présence humaine, un sourire ou un regard à des gens qui en manquent, et souvent dans des lieux de profonde solitude.
C’est dire que, dans notre inconscient collectif, au-delà des services qu’elle rend, La Poste incarne sans doute la conception que nous nous faisons du service public à la française.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean Desessard. Pas mal…
M. Bruno Retailleau. Puisque le sujet est d’actualité, il se peut que le service postal, notamment à travers le service universel et sa mission d’aménagement du territoire, apporte une réponse concrète aux deux grandes passions françaises que sont l’égalité et son frère jumeau : l’universalisme.
Le lien affectif et objectif qui unit les Français au service postal est bien réel. Dès lors, notre mandat ne consiste certainement pas à jeter aux orties ce socle de services et de valeurs que représente La Poste,…
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Très bien !
M. Bruno Retailleau. … mais au contraire à le pérenniser et à le renforcer, et cela plus encore dans le monde de demain, fort différent de celui d’hier.
Hier, abritée derrière le monopole, La Poste agissait dans un univers centré sur la distribution d’objets matériels. Dans le monde de demain, celui de l’ouverture à la concurrence, de la révolution numérique et de la dématérialisation, La Poste distribuera toujours moins de courrier et toujours plus de courriels. Chaque jour, mes chers collègues, 150 milliards de courriels sont échangés à travers le monde, et la crise contribue paradoxalement à accélérer un peu plus cette mutation.
La modernisation de La Poste n’est donc pas une option : c’est une nécessité. Pour que La Poste puisse lutter à armes égales avec ses principaux concurrents et offrir un service de grande qualité à nos concitoyens, qui sont aussi ses clients, cette nécessité doit devenir une grande ambition. Celle-ci suppose de donner à La Poste suffisamment de moyens pour rénover son réseau et ses bureaux de poste, ainsi que pour industrialiser ses outils et ses systèmes de traitement du courrier.
Aujourd’hui, deux questions se posent principalement.
Premièrement, fallait-il un changement de statut ? Je le pense. Les autres solutions constituaient de fausses pistes, qu’il s’agisse d’alourdir encore la dette de l’établissement public, alors qu’il supporte déjà un endettement deux fois supérieur à tous les ratios prudentiels classiques…
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Exact !
M. Jean Desessard. C’est un mauvais critère pour un service public !
M. Bruno Retailleau. … ou de capitaliser ses filiales, au risque de faire imploser l’unité du groupe et de l’affaiblir, ou encore d’accorder des subventions puisque celles-ci sont interdites par Bruxelles au titre de la réglementation sur les aides d’État.
Pour renforcer les capitaux propres de La Poste, la modification du statut était donc inévitable.
Deuxièmement, la modernisation de La Poste est-elle compatible avec une très haute exigence pour le service public postal ?
Je le crois, à condition que La Poste ne soit pas privatisée. À cet égard, je me réjouis du verrou posé par la commission, et je félicite son président, M. Jean-Paul Emorine, ainsi que son rapporteur, M. Pierre Hérisson. Nous pourrions d’ailleurs en poser un second, sous la forme d’une référence à la jurisprudence de 2006 du Conseil constitutionnel, qui interdit a contrario de privatiser un service public de caractère national.
Une autre garantie consisterait à financer les missions de service public à la juste hauteur de ce qu’elles coûtent. Sur ce point également, le travail en commission a permis de progresser. Tous les élus locaux attendent désormais un robuste processus de financement de la présence territoriale. Celui-ci passe par la réaffirmation du principe de compensation à l’euro près, par une évaluation annuelle effectuée par une autorité indépendante et, enfin, par une actualisation du financement de la compensation en fonction des résultats de l’évaluation. Ainsi, les choses seraient claires, et la présence postale sur le territoire s’en trouverait renforcée.
Le statu quo est intenable, car il conduirait à un déclin inévitable, comme l’a souligné Pierre Hérisson. À l’opposé, nous nous renierions en voulant copier des modèles qui se contentent d’une ouverture à la concurrence. La voie française du service public me semble passer par la combinaison d’une modernisation audacieuse et d’une forte exigence pour le service public postal. Merci de nous aider à suivre ce chemin, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur le banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Danglot. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Claude Danglot. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, 2 300 000 citoyens se sont déplacés dans toute la France pour se faire entendre du Gouvernement et du Président de la République ; 2 300 000 citoyens ont exprimé leur refus de voir ce projet de loi examiné en urgence et au pas de charge par le Parlement ; 2 300 000 citoyens ont exigé que l’avenir du service public postal fasse l’objet d’un référendum institutionnel !
Pourtant, nous sommes réunis, en ce 2 novembre – quel symbole ! –, pour engager le processus mortifère de transformation de l’entreprise publique en société anonyme. Utiliser les élus du peuple contre le peuple, voilà un bel usage de la démocratie parlementaire !
Le Gouvernement et la majorité n’ont pas trouvé de mots assez durs pour combattre l’organisation d’une votation citoyenne sur ce projet : « pantalonnade », « tromperie », « simulacre de démocratie »… Bref, une honte pour la République, rappelant « les plus belles heures de l’Union soviétique », selon M. Estrosi. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)
M. Sarkozy, lui, pour conduire sa politique, multiplie les sondages établis sur la base d’échantillons de 1 000 personnes ! Est-ce que le peuple que le peuple peut se résumer à 1 000 personnes ?
La question était tronquée, nous dit-on, puisqu’elle portait sur la privatisation et non sur le changement de statut. Notre éminent rapporteur a d’ailleurs fait savoir à cette occasion que lui-même n’était pas partisan de la privatisation de La Poste, mais que, en l’occurrence, il n’en était nullement question.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Je le confirme !
M. Jean-Claude Danglot. Sur tous les tons, les ministres ont fait savoir dans les médias qu’il ne s’agissait pas de privatisation. Quiconque prétendrait le contraire serait un menteur et un manipulateur, y compris les élus locaux qui ont soutenu cette votation. Celle-ci n’a peut-être aucune valeur à vos yeux, mais elle en a suffisamment aux yeux des préfets pour traîner les maires devant les tribunaux !
M. Roland Courteau. Bien dit !
M. Jean-Claude Danglot. Avez-vous donc si peur de l’expression citoyenne pour que vous vous sentiez ainsi obligés d’afficher un tel mépris ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ça, c’est sûr !
M. Jean-Claude Danglot. Monsieur Maurey, vous avez insulté non seulement l’opposition sénatoriale, mais aussi les nombreux élus qui ont participé à cette votation citoyenne aux côtés de leurs administrés. Vous préférez faire comme si personne dans ce pays ne se souvenait de ces entreprises qui, d’abord transformées en société anonyme, ont été ensuite privatisées : GDF, France Télécom et tant d’autres.
Puisqu’il le faut, je vais donc entreprendre un bref rappel historique, comme d’autres de mes collègues le feront ou l’ont déjà fait.
M. Roland Courteau. C’est nécessaire !
M. Jean-Claude Danglot. Nous verrons bien alors qui se rend coupable de manipulations et de mensonges.
Ainsi, Jacques Chirac affirmait le 19 mai 2004 : « EDF et GDF sont de grands services publics, ce qui signifie qu’ils ne seront pas privatisés. »
Sarkozy, alors ministre de l’économie, le 6 avril 2004, s’exprimait en ces termes : « Je redis qu’EDF et GDF ne seront pas privatisés. »
François Fillon, actuel Premier ministre, s’agaçait le 11 juin 1996 : « Devrais-je le répéter encore et encore, le caractère public de France Télécom est préservé dès lors que l’État détient plus de la moitié du capital social. »
Je ne saurais omettre, dans ce florilège, les propos que vous teniez, monsieur le président du Sénat, en tant que rapporteur de la loi sur France Télécom : le 10 juin 1996, vous nous exhortiez « à ne pas affirmer qu’il s’agit d’une loi de privatisation ». Aujourd’hui, l’État ne détient plus que 26 % du capital de France Télécom !
M. Roland Courteau. Voilà la vérité !
M. Jean-Claude Danglot. Vous l’aurez compris, on pourrait en sourire s’il ne s’agissait pas de sujets aussi graves. Les accusations de malhonnêteté formulées par la majorité sur la démarche entreprise par le comité national de défense de La Poste sont, au mieux, mal placées, au pis, scandaleuses.
Nous maintenons donc qu’il s’agit d’un projet de loi de privatisation ou, s’il faut jouer sur les mots, d’un projet de loi qui appelle la privatisation à plus ou moins long terme de La Poste.
M. Roland Courteau. En effet !
M. Jean-Claude Danglot. Vous vous en défendez en arguant que le capital sera détenu par l’État et des personnes morales de droit public. Vous nous dites que par « personnes morales de droit public », vous entendez la Caisse des dépôts et consignations. Mais quand des amendements déposés en commission visent à dire les choses aussi clairement, vous incitez leurs auteurs à les retirer.
Comment donc ne pas croire qu’une fois le verrou symbolique du statut envolé, vous n’allez pas très vite enclencher l’étape suivante en cédant une partie du capital au privé ?
M. Roland Courteau. C’est sûr !
M. Jean-Claude Danglot. Les faits sont têtus ; nous pensons donc que ce projet de loi n’est qu’un prélude à la privatisation de La Poste.
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
M. Jean-Claude Danglot. Le rapport remis par la commission Ailleret en décembre 2008 a servi de base à la rédaction de ce projet de loi. Je rappelle que, à cette époque, le président de La Poste appelait de ses vœux une introduction en bourse pure et simple de l’opérateur public.
De façon intéressante, l’étude d’impact fait d’ailleurs écho à cette intention première. Il y est en effet affirmé qu’un « EPIC n’a pas d’actionnariat » et que « les investisseurs qui lui apporteraient des fonds propres n’auraient droit ni à participer au conseil d’administration ni à versement de bénéfices ».
Là est bien le problème : la possibilité pour les investisseurs de pouvoir prétendre à un retour sur investissement.
M. Jean Desessard. Bien sûr !
M. Jean-Claude Danglot. Il faut dire que La Poste a des arguments : voilà une entreprise, malgré tout ce que nous pouvons entendre, qui a vu sa rentabilité augmenter de 10 % entre 2002 et 2007.
M. Jean Desessard. Exactement !
M. Jean-Claude Danglot. Il s’agit d’un argument de taille pour changer le capital de La Poste : que la Caisse des dépôts puisse en tirer des dividendes. Je vise la Caisse des dépôts, car l’État, selon la législation actuelle, en a déjà le droit.
Malheureusement, la qualité publique d’un actionnaire n’induit pas toujours une action désintéressée. Mais, pour justifier le changement de statut d’un grand service public national, cet argument est irrecevable.
Officiellement, le changement de statut part d’un constat simple : La Poste a besoin d’être modernisée pour faire face à la concurrence organisée par les directives européennes et transposées en droit interne par ce projet de loi. Cette modernisation oblige l’entreprise à se doter de nouveaux fonds propres pour financer les investissements à réaliser. L’État et la Caisse des dépôts sont donc appelés à souscrire à une augmentation de capital à hauteur, respectivement, de 1,2 milliard d’euros et de 1,5 milliard d’euros.
Ainsi, vous nous soutenez, au regard de la législation européenne, que, pour moderniser La Poste, l’État ne pourra lui apporter son aide que si l’opérateur public change de statut. Pourtant, vous oubliez que l’Europe ne préjuge en rien le régime de propriété et que peu importe la forme juridique du destinataire, toute aide d’État étant simplement prohibée.
M. Jean Desessard. Absolument !
M. Jean-Claude Danglot. À cet égard, le point 39 de la directive de 1998 est particulièrement clair puisqu’il dispose que « cette directive n’entache pas le respect de la réglementation relative aux aides d’État ». Il s’agit donc d’un mauvais argument. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – M. Jean Desessard applaudit également.)
À l’inverse, le rôle des services publics est reconnu par les traités, qui laissent aux États membres le soin de les définir et de prévoir leur financement.
M. Jean Desessard. Absolument !
M. Jean-Claude Danglot. Je ne crois pas que la France, à aucun moment, ait fait l’objet de quelconques poursuites pour la compensation par l’État des charges de service public supportées par l’opérateur public.
Une véritable modernisation aurait pu passer par une meilleure définition des obligations de service public dans le sens de leur extension et, par conséquent, d’une meilleure compensation par l’État. Ce n’est qu’un exemple qui montre que d’autres solutions existaient.
Si vous souhaitez ouvrir le capital de La Poste, c’est donc bien dans une logique de privatisation de l’entreprise publique.
Certes, nous vous concédons que les politiques de libéralisation et de déréglementation menées par l’Union européenne et les gouvernements encouragent la perte de maîtrise publique. Les institutions européennes n’ont cessé, en effet, de prôner la concurrence libre et non faussée, contraignant les opérateurs à se lancer comme des prédateurs économiques dans de vastes opérations de fusion-acquisition à l’international.
Rappelons, par exemple, que cette course à l’international s’est soldée chez France Télécom par une dette abyssale atteignant 70 milliards en 2000.
M. Jean Desessard. Absolument !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Il s’agit de francs !
M. Jean-Claude Danglot. Tout cela pour quoi ? Ces entreprises concurrentielles rendent-elles aujourd’hui un meilleur service aux usagers ? Cette pseudo-modernisation est-elle bien utile ?
Partout en Europe, les services postaux ont été dégradés ainsi que les conditions de travail des agents du service public. Je vous parlais il y a quelques instants de France Télécom : la situation de cette entreprise devrait nous inciter à la prudence concernant l’avenir de La Poste.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Martial Bourquin. Certains ont eu droit à deux minutes supplémentaires, monsieur le président !
M. Jean Desessard. Si tu tapes sur l’opposition, tu auras droit à ces deux minutes ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Danglot. En Europe, rien que dans le domaine postal, 300 000 emplois ont été supprimés. En Allemagne, en Suède, les bureaux de poste ont fermé. La Grande-Bretagne, qui s’était séparée de la filiale bancaire, a été obligée de la racheter à prix d’or.
En France, depuis 2004, La Poste a supprimé 40 000 emplois au nom de la modernité. En revanche, le prix des services ne cesse d’augmenter.
Cela ne vous suffit donc pas ? Aimer La Poste, ce n’est donc pas la privatiser, c’est conforter ses missions de service public !
Vous justifiez également ce besoin de fonds propres par la dette supportée par l’entreprise publique, qui atteint les 6 milliards d’euros. Je souligne à cette occasion l’amalgame qui est régulièrement fait entre dette et déficit. Premièrement, l’entreprise n’est pas déficitaire en raison de la dette.
M. le président. Mon cher collègue, je vous demande instamment de conclure.
M. Jean-Claude Danglot. Je conclus, monsieur le président.
Il faut s’interroger non seulement sur l’origine de cette dette, mais également sur son utilité. Cette dette, rappelons-le, est en grande partie le fruit de la non-compensation par l’État des obligations de service public de La Poste. En outre, celle-ci a servi à financer la modernisation de l’entreprise et de ses bureaux.
Pour conclure mon intervention, monsieur le président, je formulerai quelques rapides propositions. (Rires.)
Nous ne voulons ni changement de statut ni statu quo. Notre logique est différente. À votre exigence de rentabilité maximum, nous opposons les complémentarités et les coopérations comme base du service public et de la cohésion nationale.
M. le président. Monsieur Danglot, vous n’allez guère laisser de temps de parole aux autres orateurs de votre groupe !
M. Jean-Claude Danglot. Je conclus, monsieur le président !
Mettre en œuvre des réseaux transeuropéens, cela a du sens. En revanche, organiser une guerre fratricide entre les services publics nationaux n’aboutit, à l’inverse, qu’à un gâchis humain et financier épouvantable.
À l’échelon national, nous opposons à votre projet le chantier de création d’un pôle public financier s’articulant autour de la Banque de France, de La Poste, de la Caisse des dépôts et consignations et d’OSÉO. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – M. Robert Tropeano applaudit également.)
M. le président. Monsieur Danglot, je vous signale que vous avez dépassé votre temps de parole de près de trois minutes.
La parole est à M. Jackie Pierre.