Mme la présidente. Mes chers collègues, en application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
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Recherches sur la personne
Discussion d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative aux recherches sur la personne (proposition de loi n° 177 rectifié, 2008-2009 ; texte de la commission n° 35, 2009-2010 ; rapport n° 34, 2009-2010).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. Mesdames les sénatrices, je salue la féminisation de cette séance : Mme la présidente, Mme la présidente de la commission, Mme le rapporteur et la ministre en charge de la santé ! J’espère que ces messieurs ne vont pas se trouver trop seuls ! (Sourires.)
Je tiens tout d’abord à remercier Mme le rapporteur, chère Marie-Thérèse Hermange, et la commission des affaires sociales, chère présidente Muguette Dini, pour la pertinence de l’analyse de la proposition de loi et l’importance des améliorations qu’ils lui ont apportées. La petite loi qui vient en discussion devant vous porte sur une des priorités du ministère dont j’ai la charge : la recherche médicale, la recherche sur la personne.
L’ambition de ce texte est d’augmenter la protection des personnes tout en simplifiant la réglementation actuelle, devenue au fil des années complexe, confuse, parfois, il faut bien le reconnaître, inapplicable.
M. François Autain. Oh !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Son idée maîtresse est l’élargissement du périmètre de la loi, qui s’étendra demain aux recherches observationnelles, ou non interventionnelles. La proposition de loi établit pour toutes les recherches sur la personne un socle réglementaire commun. Celui-ci comporte essentiellement l’avis obligatoire d’un comité d’éthique, le comité de protection des personnes, ou CPP, et la désignation d’un responsable de cette recherche, le promoteur.
Au sein de cet ensemble, trois catégories de recherche ont été identifiées, en fonction du niveau de risque encouru par les personnes qui se prêtent à ces recherches : les recherches interventionnelles, qui impliquent la possibilité d’un risque certain, même s’il n’est que potentiel, les recherches ne comportant qu’un risque négligeable et, enfin, les recherches non interventionnelles.
Cette distinction repose sur l’existence et la dangerosité potentielle de l’intervention qu’introduit la recherche, et qui diffère de la prise en charge habituelle des malades. Cette intervention peut modifier le soin des malades, mais aussi viser à changer le comportement des personnes, le plus souvent dans une optique de prévention. On parle alors de recherche interventionnelle épidémiologique, ou en population.
Votre commission a apporté des améliorations substantielles à cette proposition loi, en élargissant considérablement sa portée et ses ambitions.
Je n’en mentionnerai que trois.
D’abord, vous établissez une commission nationale des recherches impliquant la personne dont l’une des missions sera d’être une instance d’appel pour les projets ayant reçu un avis négatif en première analyse par un CPP. Dans le cadre de cette mission, l’indépendance de l’avis par rapport aux promoteurs des recherches devra être garantie. Cette commission sera également en charge de l’harmonisation des pratiques des comités, une demande récurrente depuis le rapport du sénateur Claude Huriet, en 2001, et celui de l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, en 2006.
Le périmètre d’intervention de l’AFSSAPS, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, a ensuite été étendu à l’ensemble des recherches sur les personnes, lui permettant ainsi d’exercer pleinement son pouvoir de police sanitaire.
Enfin, vous étendez aux CPP la possibilité de donner un avis sur des recherches dont le promoteur est français mais qui devraient se dérouler dans un pays tiers à l’Union européenne. Cette disposition répond aux préoccupations de nombreuses institutions internationales, comme le Conseil de l’Europe ou l’UNESCO.
Toutefois, j’ai déposé au Sénat plusieurs amendements destinés à ajuster le texte de votre commission, et je voudrais insister sur deux d’entre eux.
Le premier porte sur le rattachement de la commission nationale dont vous proposez la création à la Haute Autorité de santé, la HAS. Ce choix ne me paraît pas être le meilleur. La recherche n’est pas une mission de la Haute autorité ; elle n’en a ni l’expérience ni la culture. La HAS est elle-même défavorable à ce rattachement.
En revanche, il est pleinement légitime que la commission nationale soit rattachée au ministre de la santé. D’abord, parce que c’est lui qui porte l’ensemble de la politique de recherche clinique dans notre pays. Ensuite, et surtout, parce qu’il est le garant de la protection des personnes, et porte cette responsabilité devant les acteurs de la recherche, devant nos concitoyens, et devant vous, la représentation nationale.
Le second amendement porte sur les modalités d’autorisation des recherches.
Il ne saurait y avoir de recherche sur la personne humaine sans des garanties fortes apportées aux personnes, et notamment l’avis préalable d’un comité d’éthique. Alors qu’aujourd’hui toute une catégorie de recherche en santé publique, dans le domaine de la prévention, se trouve dans une zone grise, la proposition de loi impose l’avis d’un comité de protection de personnes, et je me félicite de ce progrès majeur.
Pour autant, il me semble indispensable que les modalités de recueil du consentement des personnes soient adaptées et proportionnées à la nature de la recherche et aux risques encourus par les personnes. Il n’y a pas de raison, reconnaissez-le, d’avoir les mêmes exigences pour des recherches interventionnelles, avec un certain degré de risque, et pour des recherches où les risques sont minimes et souvent nuls.
Nos concitoyens ne comprendraient pas que des contraintes disproportionnées rendent matériellement impossible la réalisation de certaines recherches, alors que celles-ci présentent un intérêt en termes de santé publique.
Est-il raisonnable, quand on veut comparer l’efficacité de deux campagnes de prévention menées dans deux villes différentes de recueillir le consentement individuel et écrit de l’intégralité des habitants de ces deux villes ? Devons-nous renoncer à cette recherche s’il manque un seul formulaire de consentement ?
Pour cette raison, lorsqu’une recherche présente un intérêt en termes de santé publique, qu’elle est à risque minime voire nul et, enfin, que l’objet même de la recherche rend excessivement lourd le recueil du consentement individuel et écrit – comme en témoigne l’exemple que je viens de citer –, je vous propose que le CPP puisse l’autoriser, dès lors que les personnes concernées bénéficient d’une information collective sur la recherche et qu’elles ont, évidemment, la possibilité de ne pas y participer.
Madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes tout près d’adopter un grand texte législatif,…
M. François Autain. Il ne faut pas exagérer !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. … un texte qui marquera une date, comme la loi Huriet-Sérusclat l’a fait en son temps.
Il ne s’agit rien de moins que d’établir de façon durable l’encadrement de toutes les recherches sur la personne, en le fondant sur des garanties très fortes apportées aux personnes, notamment l’avis préalable d’un comité d’éthique, et ce pour toutes les recherches sur la personne.
Voilà le texte important que nous examinons cet après-midi ! Je remercie de nouveau la présidente Mme Muguette Dini et Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi relative aux recherches sur la personne, déposée par notre collègue le député Olivier Jardé, est maintenant soumise à notre examen. Celui-ci a été différé du fait de la discussion du projet de loi HPST, « Hôpital, patients, santé et territoires ». Ce délai a permis de prendre le temps de la réflexion, ce qui est toujours particulièrement nécessaire quand il s’agit de recherche et d’éthique.
Mais, vous en conviendrez, il est étonnant que l’on nous présente un texte d’une telle portée à la veille d’un week-end important, que l’on mobilise seulement deux heures de discussion, alors que l’on accorde trois semaines pour un texte sur les OGM ! Je tenais à formuler cette observation, connaissant votre ambition, chers collègues, en matière de recherche médicale, à laquelle vous tenez tout particulièrement.
La question qui nous est posée n’est rien de moins que de décider quel doit être l’équilibre entre le développement de la recherche appliquée en médecine et la protection des personnes qui s’y prêtent.
La recherche médicale est porteuse d’un mieux-être individuel et collectif que nous mesurons à l’aune de l’espérance de vie que nous gagnons chaque année. Entraver la recherche, c’est risquer de ralentir ce progrès social ou de ne pouvoir faire face aux nouvelles menaces sanitaires. Aussi faut-il nécessairement que nous fassions confiance aux chercheurs, car une société qui se défie de la science se destine à la paralysie et à l’obscurantisme.
Pour autant, quel prix sommes-nous prêts, collectivement, à payer pour quelques années de plus et quelles garanties devons-nous exiger de la part des chercheurs pour que les personnes malades engagées dans un protocole de recherche soient prises en compte au mieux de leur intérêt ?
Contrairement à une certaine idée reçue relative à la recherche clinique, celle-ci n’apporte pas nécessairement et systématiquement un bénéfice direct au patient qui y participe. Il peut arriver qu’un malade participant à un protocole expérimental voie sa santé améliorée. Cela est très heureux, mais pas automatique.
Certes, le but de la recherche est de parvenir à une amélioration des connaissances et donc, à terme, de la prise en charge thérapeutique. Mais la recherche est aussi un tâtonnement, une série d’erreurs et d’approximations conduites pour faire avancer la science, pour pouvoir dégager des certitudes. Dans certains cas, elle a une finalité collective, et non individuelle.
Dès lors, il ne s’agit pas de sauver une vie, mais d’étudier une problématique. Le sujet malade est alors considéré comme objet de la recherche. C’est la raison pour laquelle la relation entre le chercheur et le malade – contrairement à la relation entre le médecin et le patient, qui relève du colloque singulier – est régie par les impératifs d’un protocole de recherche.
Ce type de recherche qui n’implique pas nécessairement les soins relève de la science mais nécessite des personnes participantes pour faire progresser les connaissances.
Une personne qui accepte de s’engager dans une recherche médicale le fait pour elle-même mais également pour les autres. Cependant, elle supporte seule le risque qu’elle prend, alors que la société profitera de la connaissance acquise.
À l’évidence nous ne pouvons nous contenter de recueillir les fruits sans examiner ce qui est consenti par celles et ceux qui se prêtent à la recherche. Notre devoir est de limiter le risque le plus possible. Mais jusqu’où aller sans aboutir à l’interdiction pratique de la recherche ?
Cette question de la conciliation de la protection des personnes et de la connaissance est rendue moins complexe parce que nous avons la chance de nous trouver dans une époque où éthique et recherche médicale ne s’opposent plus.
En effet, après le sommet de l’horreur atteint durant la Seconde Guerre mondiale, la justice internationale a dégagé à l’occasion du procès des médecins nazis dix principes, connus sous le nom de « code de Nuremberg ». Ils déterminent les conditions d’une recherche qui, bien qu’elle soit effectuée sur l’homme, n’entache en rien sa dignité.
Plusieurs textes internationaux ont approfondi cette question. Le plus connu est la déclaration d’Helsinki élaborée par l’Association médicale mondiale en 1964. La convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine, signée par la France dans le cadre du Conseil de l’Europe en 1997, est même porteuse d’un droit commun à l’échelle de notre continent.
Si aucun de ces textes n’a encore force contraignante dans l’ordre juridique français, les principes dont ils sont porteurs figurent depuis au moins vingt ans dans notre droit.
Le socle de l’encadrement législatif est constitué par la loi du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales, dite « loi Huriet-Sérusclat », du nom des deux membres de la commission des affaires sociales du Sénat qui sont à son origine. Elle a été modifiée par la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique.
Ces textes ont permis de déterminer ce qui est acceptable en matière de recherche : c’est-à-dire d’offrir tout à la fois aux chercheurs un cadre juridique stable et des garanties en termes de responsabilité pour leur permettre de conduire leurs recherches, et aux personnes acceptant de participer à la recherche, l’assurance que leur intérêt primera toujours celui de la science.
Les instances permettant cette régulation sont, depuis 1988, les comités consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale, ou CCPPRB, devenus en 2004 les comités de protection des personnes, ou CPP. Ces collèges qui réunissent, depuis 2004 à parité, scientifiques et personnes qualifiées issues de la société civile contrôlent l’éthique des protocoles de recherche biomédicale qui ne peuvent être mis en œuvre sans leur accord.
Dans son examen de la proposition de loi, la commission des affaires sociales du Sénat a cherché à rester fidèle aux principes posés par Claude Huriet et Franck Sérusclat. Je tiens à souligner qu’elle a travaillé dans un esprit de complémentarité entre ses membres.
Tout d’abord, la commission a reconnu l’apport que constitue en matière d’éthique l’examen unifié de l’ensemble des protocoles par les comités de protection des personnes, et accepté la distinction entre recherche interventionnelle et recherche observationnelle proposée par ce texte.
Mais elle a refusé, dès lors qu’il s’agissait d’une recherche interventionnelle impliquant une démarche de soins et une intervention sur la personne, de graduer le consentement des personnes en fonction du risque qu’elles sont supposées courir.
En effet, un risque, même supposé minime, dès lors qu’il y a soin et intervention sur la personne, change la nature de la relation entre le médecin et le malade. À partir du moment où l’on passe de l’intervention et du soin à la recherche, il est nécessaire que le malade qui se prête au protocole comprenne bien cette distinction et l’accepte.
La commission des affaires sociales a estimé – et c’est également ma conviction personnelle – que, dès lors que l’on interfère avec le soin, c’est-à-dire que la recherche est interventionnelle, le consentement « libre et éclairé » ne suffit plus. Il faut non seulement un consentement spécifique, mais un consentement écrit, seul à même d’attester que le patient a bien compris et accepté les risques qu’il va prendre au nom de la société tout entière.
Les arguments employés pour critiquer la lourdeur des modalités de recueil du consentement sont, me semble-t-il, bien inférieurs aux enjeux, comme si l’on considérait, d’une certaine manière, que le temps des chercheurs est trop important pour qu’ils le perdent auprès des personnes participant à ces recherches.
Mais la commission a également cherché à alléger le plus possible les contraintes administratives pesant sur la recherche et a pris en ce sens de nombreuses mesures. Ainsi, entre autres dispositions, elle a amorcé la simplification de l’examen des protocoles de recherche par la Commission nationale de l’informatique et des libertés et il vous appartiendra, madame la ministre, de la conduire à son terme en concertation avec l’ensemble des acteurs.
Ensuite, pour tenir compte de la réalité des chercheurs, ce même souci de pragmatisme m’a conduit à proposer également un amendement tendant à prévoir que les comités de protection des personnes pourront qualifier de manière différente les étapes successives d’une même recherche. Je pense que cette disposition est de nature à lever les inquiétudes des chercheurs.
En effet, les comités pourront ainsi distinguer, dans un même protocole de recherche, entre phases observationnelles et phases interventionnelles. Le niveau de consentement exigible pour la phase observationnelle ne nécessite pas un consentement écrit. Mais, à l’intérieur de ce protocole de recherche, s’il y a une phase interventionnelle, cela requiert un consentement écrit.
C'est la raison pour laquelle nous pensons que la commission des affaires sociales a entendu les chercheurs. Grâce à cette subtile distinction, la recherche ne sera pas entravée par des lourdeurs administratives qui, aux yeux des chercheurs, sont inutiles. Je suis en effet convaincue que les comités de protection des personnes feront une application judicieuses de ces dispositions.
Lorsque ce type de recherches est menée au niveau européen et que la France y participe, elle est contrainte, dans le cadre de protocoles européens, de recueillir un consentement écrit. Nous ne pouvons pas non plus déroger aux règles européennes.
Il faut, je l’ai dit, faire confiance aux chercheurs. Ils constituent obligatoirement la moitié des membres des comités de protection des personnes. C’est donc aux comités dans leur ensemble qu’il faut faire confiance pour préserver l’éthique de la recherche sans poser d’interdiction systématique ou idéologique tout en préservant fermement, madame la ministre, le consentement écrit des personnes.
Je tiens d'ailleurs à rendre hommage à l’action des comités mis en place par la loi Huriet, et la commission des affaires sociales a souhaité qu’ils puissent être renforcés et accompagnés dans l’exercice de leurs compétences étendues. À cette fin, la commission a voulu que la distribution des protocoles de recherche soit faite de manière aléatoire, afin de garantir que tous les comités aient une même expérience des dossiers, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui.
Une commission a également été créée pour harmoniser les pratiques. Nous avons prévu que cette commission nationale soit rattachée à la Haute Autorité de santé, ce qui est conforme à sa mission d’évaluation et d’harmonisation des pratiques. Je suis consciente que cette solution n’est pas parfaite, mais la préservation des finances publiques nous a interdit – alors qu’on le fait presque dans chaque loi ! – de créer une autorité indépendante réunissant la commission nationale et les comités dans un ensemble unique et cohérent. Je pense, madame la ministre, qu’il vous faudra pourtant un jour y parvenir, peut-être dans le cadre de la loi de santé publique.
M. Jean-Pierre Godefroy. Très bien !
Mme Marie-Thérèse Hermange, rapporteur. Le rôle du ministère de la santé est d’orienter la recherche médicale en France et de permettre la mise en œuvre des résultats, le rôle des comités et de la commission nationale est de garantir l’éthique de la recherche, et nous avons pensé très légitimement qu’il était souhaitable que ces deux fonctions soient distinctes.
Au sein de la commission des affaires sociales, nous avons essayé, madame la ministre, mes chers collègues, d’être le plus pragmatique possible, tout en plaçant au plus haut niveau l’éthique de la recherche médicale. Nous sommes convaincus que recherche et protection des personnes ne sont pas antagonistes, qu’elles ne sont que deux aspects d’une même question, celle de la dignité de la personne humaine, préservée dans sa santé et protégée dans l’intégrité de son corps, confiante dans les soins qui lui sont donnés et libre de ses choix. Le texte de la commission et les amendements que nous vous proposons sont notre réponse à cet enjeu fondamental pour l’humanité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, la conférence des présidents avait décidé que le Sénat arrêterait aujourd'hui ses travaux vers 19 heures 30. Je serai donc dans l’obligation de lever la séance à 20 heures, au plus tard. Pour cette raison, je demande à chacun de respecter strictement le temps de parole qui lui est imparti.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. François Autain.
M. François Autain. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes plusieurs sur ces travées à nous interroger sur les raisons qui ont conduit le député Olivier Jardé à nous infliger, toutes affaires cessantes, une septième modification de la loi Huriet-Sérusclat.
Depuis sa promulgation en 1988, cette loi a en effet été modifiée à plusieurs reprises, notamment en 2008, en 2006, deux fois en 2004, etc. On a donc l’impression que cette réforme, pour autant qu’elle soit nécessaire, ne pouvait pas attendre l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique – ce dont je ne suis pas absolument certain – et je le déplore.
Nos collègues députés, sans doute parce qu’ils ne comprenaient pas non plus les raisons de l’empressement de M. Jardé, ont été tentés d’y apporter une justification a posteriori en inscrivant à l’article 1er du texte la nécessité de faire de la recherche sur la personne une priorité nationale. C’est, de mon point de vue, une initiative fort malheureuse. C’est même pour moi un point de total désaccord dans la mesure où ce type de recherche médicale ne doit avoir pour seule vocation que de servir la personne et ne peut consister en un projet à visée scientifique pure réduisant la personne à un objet d’investigation.
La déclaration d’Helsinki, à laquelle la France a souscrit, précise que « dans la recherche médicale sur les sujets humains, les intérêts de la science et de la société ne doivent jamais prévaloir sur le bien-être du sujet ».
La démonstration a donc été faite à l’Assemblée nationale : cette proposition de loi, sans doute parce qu’elle a été examinée en dehors du champ de la révision des lois de bioéthique, n’est pas une initiative judicieuse à mon sens, car elle incite le législateur à s’abstraire du cadre contraignant, mais nécessaire, qui encadre les recherches sur l’homme.
Je suis bien sûr très heureux de constater que je n’étais pas le seul à m’inquiéter de voir la recherche sur la personne – c’est ainsi que les recherches biomédicales sont désormais désignées – érigée en priorité nationale et que notre commission a su sagement rectifier le tir.
Par ailleurs, je dois reconnaître tout de même au texte le mérite de clarifier les différentes catégories de recherche sur la personne, en précisant de la sorte un certain nombre de règles concernant les recherches non interventionnelles qui, parce qu’elles n’étaient pas clairement balisées dans le code, ont fait parfois l’objet de dérives, il faut bien le reconnaître.
Pour ce qui est du travail amorcé au Sénat, je regrette de dire, et en cela je suis en désaccord avec Mme le rapporteur, qu’il a été entrepris dans de mauvaises conditions puisque nous n’avons pas disposé du temps nécessaire pour procéder à des auditions.
Celles-ci nous auraient été d’autant plus utiles que c’est là un sujet pointu qui, comme je le soulignais précédemment, soulève des questions d’éthique particulièrement complexes, subtiles et ardues.
Je me réjouis du travail effectué en commission, et je tiens à saluer tout particulièrement l’ouverture d’esprit de notre rapporteur, Marie-Thérèse Hermange, qui a accepté un certain nombre de nos amendements, ce fait inhabituel méritant d’être souligné.
Aussi la proposition de loi de l’Assemblée nationale a-t-elle pu être corrigée sur deux points fondamentaux à mon sens.
Premier point : les recherches interventionnelles pouvaient, au départ, être menées sur des individus ne bénéficiant pas d’un régime d’assurance maladie, mais, grâce à un amendement adopté en commission, cela n’est plus possible.
Second point : les enfants pouvaient être soumis à de telles recherches avec le seul accord d’un des parents, ce qui nous semblait tout à fait contraire aux règles du droit pénal et, par conséquent, nous avons rétabli la nécessité du double accord.
La commission a également jugé utile de créer une commission nationale chargée d’évaluer, d’harmoniser et de coordonner les activités des comités de protection des personnes. À cet égard, je ne pourrai pas souscrire à l’amendement que vous avez déposé, madame la ministre, consistant à extraire cette commission de la Haute Autorité de santé, la HAS, pour la placer sous votre tutelle directe.
Sa création est pourtant nécessaire en ce qu’elle permet la répartition aléatoire des projets soumis aux comités par les promoteurs, seule garantie de la répartition équitable et de l’indépendance de l’examen de chaque dossier.
Sa création est aussi plus que bienvenue, madame la ministre, car, depuis la promulgation de la loi du 9 août 2004, ni vous ni vos prédécesseurs n’avez jugé bon de permettre l’évaluation effective des comités de protection des personnes, les CPP, alors que c’est en fonction de cette évaluation que vous deviez apprécier la qualité de leur travail pour, le cas échéant, leur retirer leur agrément, conformément aux dispositions de l’article L. 1123-5 du code de la santé publique.
En l’absence en effet de publication de l’arrêté fixant le règlement intérieur des CPP, le groupe de travail, qui avait pourtant été constitué en 2006 au sein de la HAS, a été suspendu en juillet 2008. Il n’a donc pas pu élaborer de référentiel, contrairement à l’engagement pris par vous-même ou par votre prédécesseur.
Grâce à la commission des affaires sociales du Sénat, vous disposerez – enfin ! – avec la création de la commission nationale des recherches impliquant la personne humaine, de l’outil qui vous faisait défaut.
Enfin, même si je considère que certaines dérives ont été contenues grâce au travail de la commission, je constate que, sur la question du financement des recherches, elle a laissé l’article 2 de la proposition de loi en l’état, peut-être par faute de temps et de réflexion suffisante. En effet, il s’agit d’un changement radical dans le financement des recherches interventionnelles qui avait d’ailleurs été amorcé en 2004 dans la loi relative à la politique de santé publique et qui consiste à le faire supporter en quasi-totalité par l’assurance maladie, laquelle, on le sait, dispose d’énormément de moyens financiers en ce domaine !
Cette mesure est inacceptable, même si, dans un effort de générosité sans doute insuffisamment apprécié, les promoteurs, reconnaissants, fournissent « gratuitement les médicaments expérimentaux et, le cas échéant, les dispositifs médicaux utilisés pour les administrer ». Si ces recherches, in fine, débouchent – divine surprise ! – sur un résultat permettant une commercialisation, le promoteur rembourse les sommes engagées aux régimes d’assurance maladie. Encore faut-il veiller à ce que le remboursement de l’indu soit total et il ne semble pas que, sur ce point, toutes les garanties soient offertes.
Ainsi, l’assurance maladie devient, pour ce qui concerne les recherches interventionnelles, une sorte de « capital-risqueur », si j’ose ce néologisme, un mécène indifférent au retour sur investissement.
C’est, de mon point de vue, un rôle qu’elle ne doit pas jouer, et j’aurais préféré que soit mis en place un mécanisme inverse permettant le remboursement total a posteriori des recherches qui se seraient avérées à finalité non commerciale et dont le contenu serait rendu public pour toute la communauté scientifique.
Vous l’aurez compris, même si je me réjouis que notre commission ait rendu ce texte plus acceptable sur le plan éthique, je ne peux le voter en l’état car il pervertit l’idée que j’ai de la finalité de la recherche biomédicale et de sa prise en charge. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)