M. François-Noël Buffet. Monsieur le ministre, à la faveur d’une émission radiotélévisée, vous avez annoncé dimanche que vous souhaitiez mettre en place un grand débat sur le thème de l’identité nationale.
Un sénateur du groupe socialiste. C’est vraiment le moment !
M. François-Noël Buffet. C’est un sujet de société qui intéresse tous les Français. (Rires et manifestations d’incrédulité sur les travées du groupe socialiste.) Il suffit d’écouter la radio ou de « surfer » sur le Net pour se rendre compte à quel point les échanges sont amples, variés et productifs.
Ce débat ne laissera personne indifférent et il n’évitera ni les polémiques ni les excès. D’après ce que j’ai entendu tout à l’heure dans cet hémicycle et lu ce matin dans la presse, le parti socialiste estime que l’idée fleure le nationalisme.
M. Daniel Raoul. Eh bien oui !
M. François-Noël Buffet. Permettez-moi de rappeler la formule du général de Gaulle : « Être patriote, c’est aimer son pays, être nationaliste, c’est détester celui des autres. » (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Je ne suis pas nationaliste ; je suis profondément patriote, comme nous tous.
M. François Patriat. Sophisme !
M. François-Noël Buffet. Monsieur le ministre, vous allez confier le débat public aux préfectures, aux parlementaires que nous sommes, mais aussi à nos homologues européens, en prévoyant d’établir une synthèse au mois de janvier prochain.
Vous avez également proposé que quatre séances de formation à l’instruction civique pour tous les adultes, sur la base du volontariat, soient organisées à partir du mois de janvier 2010 dans deux départements : les Bouches-du-Rhône et le Rhône. Cette expérimentation me semble intéressante.
Ma question est la suivante : pourriez-vous, monsieur le ministre, nous livrer les modalités de la mise en œuvre de ces deux actions que vous souhaitez mener dans les jours qui viennent ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Eric Besson, ministre. Pourquoi ce débat sur l’identité nationale ? Parce que le Président de la République s’était engagé pendant la campagne électorale à proposer aux Français d’ouvrir un grand débat sur nos valeurs (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) et qu’il faut respecter les engagements pris pendant la campagne électorale.
Ce matin, j’étais en Grande-Bretagne…
M. Daniel Raoul. Vous auriez dû y rester !
M. Eric Besson, ministre. … en compagnie du ministre, travailliste, de l’immigration. Aux journalistes français qui lui ont demandé ce qu’il pensait du débat sur l’identité nationale il a répondu qu’il le jugeait totalement légitime et que les Britanniques, à la demande de Gordon Brown, avaient d’ailleurs engagé le même type de débat : qu’est-ce qu’être britannique en 2009-2010 ? Quelle est la vision moderne de l’identité nationale ? Je suis heureux que de tels propos aient été tenus par un travailliste.
Du Mexique au Cameroun, en passant par l’Algérie et le Mali, tous les peuples sont fiers de leur identité nationale, et ils l’affirment haut et fort. Cette question ne pose apparemment un problème, je ne sais pas pourquoi, qu’à une partie de la représentation nationale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Pour ce qui concerne la façon dont nous allons travailler, nous proposerons aux préfets et aux sous-préfets,…
M. François Patriat. Mais oui, ils n’ont que ça à faire…
M. Eric Besson, ministre. … mais aussi – et, je l’espère, d’abord – à tous les parlementaires qui voudront bien s’impliquer, d’organiser dans leur département, dans leur sous-préfecture, dans leur circonscription, des débats avec nos concitoyens, avec les associations, avec les forces vives.
Vous avez eu raison de souligner que les Français, eux, se sont déjà engagés dans le débat, et je suis, comme vous, très heureux d’avoir pu le constater hier. Les élites peuvent dire ce qu’elles souhaitent : elles ont le droit et la légitimité pour ce faire ; mais le peuple s’est déjà saisi du débat, qui submerge les radios, les blogs, etc., et a commencé à s’interroger sur ce qui nous relie, ce qui forge une nation, ce qui fait de nous les membres de la même communauté nationale.
Pourquoi voulons-nous vivre ensemble ? Où est notre héritage ? Où sont nos valeurs ? Quel est notre destin commun ?
M. Jean-Pierre Chevènement. Et tout cela, bien entendu, juste avant des élections…
M. Eric Besson, ministre. Nous n’allons tout de même pas rougir d’être capables de discuter ensemble de ce qui fait de nous les membres d’une même famille nationale ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour la réplique.
M. François-Noël Buffet. Monsieur le ministre, je vous remercie de ces précisions.
Les sénateurs de l’UMP sont sereins face à ce débat important, qu’il faut aborder avec beaucoup de calme, mais aussi avec beaucoup de clarté et de simplicité, et non pas de simplisme. (Nouvelles protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Cela étant, je comprends parfaitement avec vous que, sur d’autres travées, on soit gêné de devoir répondre à cette question essentielle. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais évoquer la question sensible des mineurs étrangers isolés, et d’abord le problème de l’expertise médicale à laquelle la PAF, la police aux frontières, peut soumettre ceux-ci à leur arrivée en France en cas de doute sur leur âge réel. Sont alors suspects même ceux qui présentent un document d’identité, considéré comme faux, bien entendu…
Les services médico-judiciaires procèdent dans ce cas à des examens cliniques qui, selon le corps médical lui-même, ne peuvent que fournir une estimation très approximative de l’âge d’une personne : la marge d’erreur est de dix-huit mois. Comment admettre que le sort de ces jeunes puisse dépendre exclusivement de ces examens ? De plus, ceux-ci sont souvent pratiqués sans le consentement averti des mineurs eux-mêmes, qui ne bénéficient pas toujours de l’assistance d’un interprète.
Résultat : jusqu’à 60 % des personnes maintenues en zone d’attente se déclarant mineures ont été considérées par la PAF comme étant majeures.
Une telle procédure est indigne de la patrie des droits de l’homme. Tout mineur étranger isolé doit être présumé mineur en danger.
Que deviennent ensuite les mineurs « certifiés conformes » ?
Tout va à peu près bien jusqu’à leur majorité. S’ils ont été repérés, ils sont placés dans un centre d’accueil et scolarisés. Pourtant, une fois majeurs, ils ne sont plus protégés par un statut juridique. Ils se retrouvent sans ressources ni papiers, devenus irréguliers dans le pays où ils espéraient vivre et travailler. Leur avenir étant ainsi hypothéqué, ils deviennent la proie facile de filières criminelles. Ils ne peuvent même plus avoir de contacts avec les éducateurs et les travailleurs sociaux qui, pourtant, les ont suivis jusqu’à la veille de leurs dix-huit ans.
Que comptez vous faire, monsieur le ministre, pour mettre fin à cette situation honteuse, indigne de notre pays ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Eric Besson, ministre. Madame la sénatrice, je suis extrêmement surpris de la tonalité de votre question. (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
J’ai répondu tout à l’heure à propos de « la jungle », comme l’appelaient les migrants, que la France est l’un des rares pays au monde, l’un des rares pays en Europe à ne jamais reconduire à la frontière les mineurs étrangers isolés. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Éliane Assassi. C’est faux !
M. David Assouline. Cela ne vaut que jusqu’à leurs dix-huit ans !
M. Eric Besson, ministre. Je persiste et signe : la France est l’un des rares pays au monde et en Europe à ne jamais reconduire à la frontière les mineurs étrangers isolés, et je serais très heureux que quelqu’un m’apporte la démonstration du contraire !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Répondez à la question, qui est précise !
M. Eric Besson, ministre. Pour autant, devons-nous ignorer que nous faisons face à un afflux de mineurs étrangers isolés, notamment pour les raisons que je viens d’indiquer ? Car, à partir du moment où il est notoire que la France ne les reconduit jamais, il est logique que, pour les filières, pour les passeurs, elle devienne une destination particulièrement recherchée.
Cela étant, la France n’est pas seule à être confrontée à ce phénomène, qui est à ce point devenu un problème européen que l’actuelle présidence suédoise vient de décider d’en faire l’une des priorités de ce qui s’appellera le « programme de Stockholm » et que la future présidence espagnole l’inscrira parmi ses toutes premières priorités.
Oui, vous avez raison, madame la sénatrice, il y a une zone floue : nous accueillons des mineurs qui ont quatorze, quinze, seize ans, et dont la régularisation n’est pas automatique lorsqu’ils atteignent l’âge de dix-huit ans. C’est pourquoi j’ai créé un groupe de travail, auquel participent notamment France Terre d’asile et divers experts, pour étudier cette question.
Pour ce qui est de l’examen médical, madame la sénatrice, contrairement à ce que vous avez suggéré, nos règles et notre jurisprudence veulent que le doute sur l’âge profite toujours au mineur. Lorsque nous sommes dans la marge d’incertitude que vous évoquez, l’intéressé est donc toujours considéré comme mineur.
Je donnerai un exemple de l’application concrète de ce principe aux mineurs extraits de « la jungle » : savez-vous que mon ministère, pour 100 jeunes Afghans isolés, a mobilisé, afin qu’ils soient bien traités et que nous puissions leur proposer un parcours de vie, 700 000 euros ? Vous m’avez bien entendu : pour 100 jeunes Afghans, 700 000 euros ont été débloqués en urgence par mon ministère ! Si ce n’est pas là une preuve irréfragable de la générosité de la France, que vous faut-il ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage, pour la réplique.
Mme Claudine Lepage. Monsieur le ministre, c’est précisément sur le passage de la minorité à la majorité que j’ai insisté, car c’est à ce moment-là que surviennent le plus de problèmes et que ces jeunes, qui ne sont plus protégés, ont tendance à disparaître ou, pour certains, à sombrer dans la criminalité.
S’ils ont suivi un cursus scolaire en France durant un, deux ou trois ans, ils parlent français, ils ont acquis des compétences. Plus que quiconque, ils réunissent donc les conditions pour être naturalisés, ou tout au moins, dans un premier temps, obtenir un permis de séjour. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Bernard-Reymond, pour le groupe UMP. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Pierre Bernard-Reymond. Monsieur le ministre, les questions de fond ayant tout naturellement été abordées depuis le début de cette séance, vous me permettrez de vous interroger sur des aspects relatifs à l’organisation et aux moyens.
De ce point de vue, votre ministère présente à mes yeux trois caractéristiques.
Tout d’abord, il est à la fois récent et en pleine évolution. Il a en effet été créé en 2007 seulement et, depuis cette date, votre prédécesseur et vous-même avez su lancer d’importantes réformes de structure, notamment le rattachement de la Cour nationale du droit d’asile au Conseil d’État, la fusion de l’Agence nationale de l’accueil des étrangers et d’une partie de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances. Vous avez en outre procédé à des restructurations immobilières qui ont permis le regroupement de services jusque-là très dispersés.
Je voudrais savoir si ce mouvement de réorganisation et de restructuration est appelé à se poursuivre et quelles sont vos perspectives dans ce domaine.
Ensuite, votre ministère est loin de couvrir tout le champ de l’immigration. En effet, l’ensemble de cette politique intéresse dix ministères, quinze programmes et onze missions budgétaires, soit un total de 3,6 milliards d’euros, alors que les crédits dont vous disposez en propre ne représentent que 560 millions d’euros, c’est-à-dire 15,6 % de l’ensemble de ceux qui concourent à la politique générale de l’immigration.
En particulier, on l’oublie trop souvent, le ministère chargé des universités consacre 1,5 milliard d’euros à l’accueil des étudiants étrangers, et le ministère de la santé 535 millions d’euros à diverses actions sociales et de santé, soit presque autant que tous les crédits dont vous disposez directement. Ne devriez-vous pas, monsieur le ministre, aller plus loin dans le rassemblement de vos moyens ? Nous savons tous que le problème de l’immigration prendra toujours plus d’ampleur dans les années à venir et réclamera une plus grande coordination.
Enfin, monsieur le ministre, quand on examine les politiques et les moyens que le Gouvernement met en œuvre dans ce domaine, quand on sait que 60 000 personnes accèdent chaque année à la nationalité française,… (Manifestations d’impatience sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Éliane Assassi. Votre chronomètre entre dans le rouge !
M. Pierre Bernard-Reymond. … qu’en 2008 notre pays a accueilli plus de 42 000 demandeurs d’asile, que la même année plus de 100 000 contrats d’accueil et d’intégration ont été signés (Mêmes mouvements.), force est de constater que vous n’êtes pas seulement le ministre de « la jungle » de Calais et du retour en Afghanistan.
Pourquoi, au moins en matière de communication, semblez-vous plus attiré par la difficulté, le conflictuel et l’impopulaire ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Mon cher collègue, vous avez légèrement dépassé votre temps de parole, mais vous n’êtes pas le seul dans ce cas : à gauche aussi, c’est arrivé !
La parole est à M. le ministre.
M. Eric Besson, ministre. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mon rôle est très simple : j’applique la lettre de mission qui m’a été remise par le Premier ministre et par le Président de la République.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et vous l’appliquez avec zèle !
M. Eric Besson, ministre. Elle figure sur le site de mon ministère, vous pouvez la consulter, elle est très claire : elle me demande de conduire entre soixante-quinze et quatre-vingts actions, et je dispose pour ce faire de ce que l’on pourrait appeler un tableau de bord.
M. Jean-Marc Todeschini. Peut mieux faire !
M. Eric Besson, ministre. Il me paraît assez logique pour un ministre de respecter la mission que lui ont confiée le Président de la République et le Premier ministre !
Où en suis-je par rapport à la lettre de mission ?
Concernant les réformes de structure, vous avez bien voulu souligner, et je vous en remercie, l’ampleur du travail déjà accompli. S’agissant d’un ministère de taille réduite – il compte 675 agents –, vous conviendrez que les marges de manœuvre ne sont pas illimitées en matière de productivité.
Nous voulons privilégier deux pistes : la modernisation et la simplification de nos procédures, d’une part, la rationalisation du coût de certaines de nos actions, d’autre part. Je prendrai quelques exemples concrets pour illustrer mon propos.
L’instauration du visa de long séjour valant titre de séjour supprimera des formalités pour 100 000 étrangers qui, jusqu’ici, alors qu’ils avaient déjà demandé leur titre de séjour au consulat, devaient ensuite, lorsqu’ils arrivaient en France, renouveler leur démarche dans une préfecture. Nous ferons donc gagner du temps aux étrangers, mais aussi à nos fonctionnaires, qui pourront se consacrer, par exemple, à l’accès à la nationalité, puisque, vous le savez, nous accusons un certain retard en la matière.
Autre exemple : à Roissy, j’ai testé récemment les nouveaux sas automatiques, dont l’entrée en service améliorera le contrôle de nos frontières tout en simplifiant les formalités pour les passagers volontaires.
Je supprimerai également la double instruction, par les services centraux et par les préfectures, des dossiers de naturalisation : les préfectures seront chargées de l’instruction, le ministère veillant à l’homogénéité, à l’échelon national, des décisions prises.
Enfin, nous avons probablement des marges de progrès dans la délivrance des titres de séjour. (Manifestations d’impatience sur plusieurs travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
En revanche, je ne partage pas l’idée selon laquelle mon ministère devrait, à terme, disposer de l’ensemble des moyens budgétaires et humains qui concourent à la politique d’immigration et d’intégration, car c’est un ministère d’état-major.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est trop long !
M. Jean-Marc Todeschini. C’est fini !
M. Eric Besson, ministre. Un certain nombre de ministères, dont le ministère de l’intérieur, mettent divers moyens à notre disposition. Puisque cela fonctionne bien, il n’y a pas de raison d’essayer de les « cumuler », surtout dans une période où nous devons être particulièrement attentifs à l’utilisation de l’argent public. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. M. Pierre Bernard-Reymond ni aucun de ses collègues du groupe UMP ne souhaitant prendre la parole pour la réplique,…
M. Daniel Raoul. Encore heureux : entre les deux intervenants, il y a eu une minute de dépassement !
M. le président. … nous avons donc la possibilité, mes chers collègues, d’entendre une huitième et dernière question.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le ministre, mes collègues viennent de rappeler avec justesse le caractère profondément cynique et révoltant de la décision que vous avez prise de renvoyer trois Afghans vers un pays en guerre, les exposant ainsi à des risques certains pour leur vie. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Christian Cointat. Et les Anglais, que font-ils ? Et ils ont un gouvernement socialiste !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Je vais y venir, mon cher collègue, soyez patient !
Ce renvoi s’est fait au mépris des engagements internationaux de notre pays : convention européenne des droits de l’homme, charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Cette décision mérite que l’on se penche davantage sur la situation du droit d’asile en Europe, plus particulièrement au regard des instruments qui pourraient apporter une réponse digne, humaine et cohérente à cette situation catastrophique.
Or, comme hier la fermeture de Sangatte, l’évacuation de « la jungle » n’a rien réglé : à la recherche d’une protection, les migrants reviennent, et c’est normal. Je me demande d’ailleurs si, en fin de compte, ce n’était pas pour vous un simple coup médiatique, ou bien de la surenchère…
En ma qualité de corapporteur pour la commission des affaires européennes du paquet européen « Asile », je me suis rendue à Calais, où, avec mes collègues, j’ai entendu de nombreux intervenants. Nous avons formulé des propositions. Vous ne nous avez pas entendus.
Permettez-moi de vous rappeler qu’en 2001, lors de la crise des Balkans, l’Europe avait trouvé une solution : grâce à une directive permettant la protection temporaire, nous avions pu accueillir plus de 100 000 réfugiés de cette région. Cette directive obligeait les États à ne pas renvoyer les réfugiés qui fuyaient la guerre, tout comme la France devrait, aujourd’hui, s’engager à ne pas expulser des Afghans vers Kaboul, c'est-à-dire vers un pays en guerre.
Cette protection temporaire ne saurait être efficace si elle ne procédait pas d’une action commune des États européens agissant au titre de la solidarité européenne. On sait que la solution est européenne avant d’être française ! Ce que nous avons été capables de faire ensemble hier pour ceux qui fuyaient la guerre dans les Balkans, nous devons être capables de le faire aujourd’hui pour les Afghans.
Dès lors, allez-vous décider de régler de manière cohérente, concertée, globale et dans la dignité le sort des Afghans ou allez-vous continuer dans la voie du cynisme, du mensonge, en procédant à des expulsions contraires au droit européen et sans tenir le moindre compte des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Jacques Mézard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Besson, ministre. Madame la sénatrice, pourquoi vous obstinez-vous à ne pas vouloir entendre que la Cour européenne des droits de l’homme, dont je n’ai pas eu le sentiment qu’elle était peu exigeante en matière de respect des droits de l’homme, a validé nos procédures ?
M. David Assouline. On n’arrête pas de les condamner !
M. Éric Besson, ministre. Pourquoi ne voulez-vous pas entendre que nous appliquons à la lettre les recommandations et les règles du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés ? Nous allons même plus loin que ces recommandations.
Tout à l’heure, je l’ai noté, vous n’avez finalement pas contesté le fait que la France ne reconduisait jamais à la frontière les mineurs étrangers isolés et, en cela, vous avez bien fait. (Mme Nicole Bricq s’exclame.) Mais savez-vous que nous allons bien au-delà des recommandations du HCR ? Le HCR dit que l’on peut reconduire un mineur étranger isolé dans son pays d’origine à condition qu’il y bénéficie sur place d’un abri acceptable. La France fait bien plus.
Par ailleurs, je le répète, les moyens que nous consacrons à l’asile sont extrêmement importants. Nous avons évoqué, voilà un instant, le budget du ministère de l’immigration, budget qui s’élève à environ 600 millions d’euros : la moitié est consacrée à l’asile. Nous allons ouvrir des budgets supplémentaires extrêmement importants pour les centres d’accueil des demandeurs d’asile, les CADA.
M. David Assouline. Il y a deux fois plus d’argent pour les reconduites à la frontière !
M. Éric Besson, ministre. La demande d’asile a augmenté de 20 % depuis le début de l’année 2009, comme en 2008, et l’octroi de l’asile a, lui aussi, sachez-le, augmenté de 20 %.
Ce qui nous sépare peut-être, c’est que nous croyons, nous, à la nécessité de réguler les flux migratoires. La régulation des flux migratoires et l’intégration sont les deux faces d’une même médaille. Si nous voulons bien intégrer en France les étrangers en situation régulière, nous devons lutter contre l’immigration irrégulière. L’asile est une trop noble cause pour qu’il soit détourné. Or nous assistons actuellement en Europe à des procédures qui visent à détourner ce bel héritage qu’est l’asile. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour la réplique.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le ministre, je ne reviendrai pas sur la Cour européenne, qui condamne assez régulièrement la France, ni sur le HCR et France Terre d’asile, qui ont lancé appel pour une solution différente de la vôtre.
Lors du Conseil européen des 29 et 30 octobre, la France, qui a pesé lourdement dans la mise en place du Pacte européen sur l’immigration et l’asile, pourrait alors peser de tout son poids pour la mise en œuvre d’un instrument de protection européen spécifique. À situation spécifique, solution spécifique.
La directive de 2001 doit être réactivée d’urgence. Elle a permis d’accueillir les réfugiés des Balkans, elle doit permettre d’accueillir aujourd’hui les Afghans.
Si vous en avez la volonté, vous en avez les moyens. Chaque État membre pris individuellement ou l’ensemble des États membres pris collectivement ont le pouvoir et les outils permettant de reconnaître des protections temporaires ou humanitaires : c’est le texte de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Monsieur le ministre, relisez cette charte et, à long terme, construisons une politique européenne d’asile harmonisée, protectrice, respectueuse des droits humains, qui permette enfin d’instaurer un régime d’asile européen commun, solidaire et qui soit défini, pourquoi pas, de manière « concertée », puisque vous aimez ce terme ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions cribles consacrées au thème de l’immigration.
Avant d’aborder la suite de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante, est reprise à dix-huit heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.