Sommaire
Présidence de M. Roland du Luart
Secrétaires :
Mme Monique Cerisier-ben Guiga, M. Daniel Raoul.
2. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi
3. Saisines du Conseil constitutionnel
4. Action du fonds stratégique d’investissement. – Discussion d’une question orale avec débat
Mme Nathalie Goulet, auteur de la question orale ; MM. Aymeri de Montesquiou, Jean-Pierre Fourcade, Thierry Foucaud, Claude Biwer, Mme Nicole Bricq, MM. André Trillard, Martial Bourquin, Antoine Lefèvre, Jean-Paul Virapoullé.
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation.
Mme Nathalie Goulet, MM. Aymeri de Montesquiou, le secrétaire d'État.
MM. Martial Bourquin, le secrétaire d'État.
M. André Trillard.
MM. Jean Arthuis, le secrétaire d'État.
Clôture du débat.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
5. Complément à l'ordre du jour
6. Questions d'actualité au Gouvernement
MM. Roland Courteau, Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat.
situation sanitaire dans le nord - pas-de-calais
M. Ivan Renar, Rama Yade, secrétaire d'État chargée des sports.
engagement des forces françaises en afghanistan
MM. André Trillard, Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes.
réforme des collectivités territoriales
MM. François Fortassin, Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire.
réforme des collectivités territoriales
MM. Jean Boyer, Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire.
création de deux nouveaux fichiers de renseignements
M. Jean-Pierre Sueur, Mme Marie-Luce Penchard, secrétaire d'État chargée de l'outre-mer.
détournement de l'usage du gbl
Mmes Marie-Thérèse Hermange, Rama Yade, secrétaire d'État chargée des sports.
situation des aiguilleurs du ciel
M. Alain Gournac, Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie.
maltraitance dans les maisons de retraite
M. Antoine Lefèvre, Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés.
politique fiscale et tva dans la restauration
MM. Martial Bourquin, Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie.
Suspension et reprise de la séance
8. Débat européen sur le suivi des positions européennes du Sénat
I. – Brevets européen et communautaire
MM. Antoine Lefèvre, au nom de la commission des lois ; Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie.
Questions-réponses :
MM. Richard Yung, le ministre.
MM. Aymeri de Montesquiou, le ministre.
Mme Marie-Thérèse Hermange, M. le ministre.
II. – Droits des consommateurs
MM. Gérard Cornu, au nom de la commission de l’économie ; Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie.
Questions-réponses :
MM. Richard Yung, le ministre.
Mme Colette Mélot, M. le ministre.
III. – Transposition insuffisante d’une directive ferroviaire
MM. Roland Ries, au nom de la commission des affaires européennes ; Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports ; Jean-Paul Emorine, président de la commission de l’économie.
Questions-réponses :
MM. Michel Teston, le secrétaire d'État.
Mme Nicole Bricq, M. le secrétaire d'État.
MM. Roland Ries, le secrétaire d'État.
IV. – Coopération judiciaire et policière : situation en Bulgarie et en Roumanie
MM. Michel Billout, au nom de la commission des affaires européennes ; Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes.
Questions-réponses :
MM. Richard Yung, le secrétaire d'État.
MM. Robert del Picchia, le secrétaire d'État, Richard Yung.
9. Débat sur les prélèvements obligatoires
M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État.
MM. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances ; Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales ; Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales ; Jean Arthuis, président de la commission des finances.
MM. Thierry Foucaud, Charles Guené, Aymeri de Montesquiou, Mme Nicole Bricq, M. Nicolas About, Mme Raymonde Le Texier.
M. le ministre.
10. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Roland du Luart
vice-président
Secrétaires :
Mme Monique Cerisier-ben Guiga,
M. Daniel Raoul.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, déposé sur le bureau de notre assemblée.
3
Saisines du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel deux lettres par lesquelles celui-ci informe le Sénat que le Conseil constitutionnel a été saisi, en application de l’article 61, alinéa 2 de la Constitution, le 20 octobre 2009 par plus de soixante députés, d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution de la loi pénitentiaire et par plus de soixante sénateurs, d’une demande d’examen de la conformité à la Constitution de la loi relative à l’orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie.
Le texte de ces saisines du Conseil constitutionnel est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de ces communications.
4
Action du fonds stratégique d’investissement
Discussion d’une question orale avec débat
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 47 de Mme Nathalie Goulet à Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi sur le contrôle parlementaire de l’action du Fonds stratégique d’investissement.
Cette question est ainsi libellée.
« Mme Nathalie Goulet attire l’attention de Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi sur la nécessité d’instaurer un meilleur contrôle parlementaire de l’action du Fonds stratégique d’investissement.
« Né de la volonté du Président de la République et d’une annonce du 20 novembre 2008, le Fonds stratégique d’investissement, ou FSI, est composé de deux actionnaires, la Caisse des dépôts et consignations, ou CDC, et l’État, qui détiennent respectivement 51 % et 49 % du Fonds. Le Parlement, s’il a agréé au principe de la création de ce fonds, n’a été associé ni à son organisation ni à sa gouvernance. Le 6 juillet dernier, l’État et la CDC ont annoncé l’apport de 14 milliards d’euros de participations au FSI, portant ainsi sa dotation à 20 milliards d’euros.
« Comme toute filiale de la CDC, le FSI exerce ses activités sous le contrôle de la commission de surveillance de la Caisse. C’est dans ce cadre que les parlementaires représentant les deux assemblées au sein de la commission de surveillance exercent, quand ils sont présents, leur contrôle sur la stratégie et les investissements du FSI. De même, un rapport au Parlement est bien remis, mais il s’agit seulement d’une information a posteriori. Elle s’interroge sur le bien-fondé d’une telle gouvernance, à l’heure où l’ensemble des organismes financiers réclament plus de contrôle et plus de transparence. De la même façon, elle s’interroge sur le processus décisionnel qui a conduit l’État à apporter des participations dans des entreprises faisant l’objet d’un rapport annuel, jaune budgétaire annexé à la loi de finances. Ces procédés lui semblent peu en adéquation avec les impérieuses nécessités de la LOLF.
« Hormis ces questions de gouvernance et de stratégie, les annonces récentes du Président de la République le 3 septembre, à Caligny, dans l’Orne, quant à l’implication du FSI dans plusieurs actions visant à renforcer les fonds propres des entreprises, puis, le 25 septembre, quant à la participation du FSI dans un fonds de consolidation et de développement des entreprises destiné à soutenir les PME en difficulté, ne sauraient laisser le législateur indifférent. Là encore, compte tenu de la crise de l’ensemble du secteur industriel, elle estime nécessaire que les modalités de participation fassent l’objet d’un examen attentif non discriminatoire et soient justifiées économiquement.
« Compte tenu de l’importance des montants engagés, du caractère stratégique de son intervention, mais aussi du fait que le FSI a la pleine et entière responsabilité de ses actifs, elle estime souhaitable qu’une réflexion commune soit engagée rapidement afin de mettre en place un pilotage spécifique de ses actions. Il lui apparaît en effet essentiel que le Parlement soit pleinement associé dans la gouvernance et le contrôle des choix du FSI. Les exemples étrangers comme le Fonds structurel norvégien, qui associe en amont et en aval le Parlement norvégien à ses travaux, montre qu’il existe d’autres types de gouvernance.
« Elle souhaite par conséquent que la présente question orale avec débat permette de débattre des méthodes et des objectifs du FSI ainsi que du contrôle parlementaire sur son fonctionnement et ses choix. »
La parole est à Mme Nathalie Goulet, auteur de la question.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vous voyez aujourd’hui à cette tribune un parlementaire heureux. (Sourires.)
Heureux, parce que nous débattons d’un sujet qui m’est cher, le Fonds stratégique d’investissement. En effet, en février 2008, j’ai rencontré les collaborateurs de Mme Lagarde pour leur présenter un projet de fonds souverain à la française destiné à aider nos entreprises sans encourir les foudres de Bruxelles.
L’accueil a été mitigé, sauf de la part du chef du service juridique, qui d’ailleurs ne fait plus partie aujourd’hui du cabinet de Mme Lagarde, mais je rends grâce à ses encouragements.
Quelques semaines plus tard, c’est au service politique du Président de la République que je proposais le même projet, sans plus de succès !
N’étant pas une femme habituée à renoncer, j’ai publié dans La Tribune le 18 mars 2008 un article sur ce même thème.
C’est donc avec intérêt que j’ai suivi l’annonce, puis la mise en place, en novembre 2008, du Fonds stratégique d’investissement, avec la participation à 51 % de la Caisse des dépôts et consignations et à 49 % de l’État. Il fut abondé initialement par la loi de finances rectificative du 14 janvier 2009, puis par des participations en juillet 2009.
Ce fonds est, à mon sens, un excellent outil qu’il faut défendre et soutenir. Il n’est pas dans mes intentions de porter un jugement sur les compétences des responsables du FSI ou sur leur intégrité. C’est sur le système de gouvernance que je souhaite vous interpeller afin que nous améliorions, ensemble, le fonctionnement de cet outil récent, né en période de crise, qui dépend de la CDC et qui est impliqué dans tant d’actions et tant de secteurs d’activité.
Je suis un parlementaire heureux, mais je suis aussi un parlementaire inquiet. En effet, nous n’avons officiellement aucune information sur le fonctionnement du Fonds, sur ses critères de choix et sa stratégie.
Il s’agit d’une filiale de la Caisse des dépôts et consignations. Nous devrions donc être pleinement rassurés, puisque députés et sénateurs siègent au conseil de surveillance de la Caisse.
J’ai lu avec intérêt l’article publié hier dans Les Échos, qui répond par avance à notre débat, et celui qui est paru ce matin dans Le Figaro.
La présence de parlementaires au conseil de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations n’est pas synonyme, loin s’en faut, d’information du Parlement et encore moins d’information préalable.
Nous devrions également être rassurés par les nouvelles dispositions de la loi de modernisation de l’économie, sur lesquelles nous avons travaillé ensemble et qui renforceraient la gouvernance de la Caisse et le contrôle sur ses activités.
En réalité, nous ne sommes pas vraiment rassurés, car rien de tel n’existe pour le Fonds stratégique d’investissement, auquel aucun parlementaire ne participe au moins statutairement.
Quand bien même, d’ailleurs, ce serait le cas, je rappellerai les titres d’un article publié en 2007 : « La Caisse des dépôts et consignations au service d’elle-même », « Des centaines de milliards d’argent public sans contrôle ». Du point de vue de la gouvernance, quel modèle !
Qu’en disait M. Philippe Marini, interviewé à cette occasion et à qui nous pouvons, vous et moi, accorder quelque crédit ? (Sourires.)
« Rappelons que la Caisse des dépôts et consignations est un établissement public sui generis. On peut d’ailleurs considérer que la CDC et son groupe sont encore une monarchie absolue. » Il est vrai que c’était avant la modification apportée par la loi LME.
À la question : « Vous siégez à la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, que pensez-vous du contrôle exercé par le Parlement sur la CDC ? », Philippe Marini répondait : « Les ordres du jour sont pléthoriques. Je ne crois pas que la présence du Parlement dans l’organe de surveillance soit aussi efficace qu’on le dit. […] Lors des réunions de la commission, nous sommes seulement informés des principaux enjeux. J’ai siégé dans plusieurs conseils d’administration et aucun n’était comparable aux réunions de la commission de surveillance de la CDC. Elles sont interminables – entre quatre et cinq heures – et les exposés y sont longs et descriptifs. »
Il poursuivait : « À la Caisse, c’est la stratégie de l’étouffement qui domine : les dossiers sont très épais et on nous donne rarement de problématique avec choix. Cela montre le niveau de l’influence du Parlement sur la Caisse. Ce système est largement obsolète. »
Mme Nicole Bricq. C’est pour cela qu’elle a été réformée !
Mme Nathalie Goulet. En effet, et c’est tant mieux !
Vous comprendrez, monsieur le secrétaire d’État, que, dans ces conditions, puissent naître quelques interrogations.
Examinons brièvement certaines des dix-sept interventions du Fonds stratégique d’investissement depuis sa création. Parmi elles, on trouve les noms de Carbone Lorraine, Open Portal, Technip, sans oublier le plan de reprise de Mecachrome au Canada, Frey nouvelles énergies, Nexans, Gemalto, Photonics, Farinia, Daher et Valeo.
Arrêtons-nous sur ce dernier groupe. Valeo, sous-traitant automobile bien connu, a reçu de la part du Fonds stratégique d’investissement 24 millions d’euros. Cette prise de participation visait à accompagner, dans une période d’évolutions importantes du secteur, un acteur majeur de l’industrie européenne et mondiale de l’équipement automobile.
Nous avons tous ici le souvenir de la crise qu’a connue le secteur automobile et il semble tout à fait normal que les sous-traitants de ce secteur aient été soutenus, mais, dans la foulée de cette aide de 24 millions d’euros, le président-directeur général sortant a reçu une indemnité de départ de 3,2 millions d’euros !
Il y eut un concert d’indignation, mais aucune possibilité de récupérer cette somme versée au dirigeant.
En fait, tout ne va pas si mal maintenant pour Valeo : son chiffre d’affaires est en hausse de 3,5 % et l’équipementier enregistre une amélioration de sa marge brute de 310 millions d’euros.
Autrement dit, le Fonds stratégique d’investissement n’a pu éviter ni les licenciements dans l’entreprise, ni le versement d’un parachute doré de 3,2 millions d’euros au dirigeant congédié.
J’en viens à l’investissement dans Farinia, groupe de fonderie néerlandais, qui a reçu récemment 20 millions d’euros. Là non plus, les licenciements n’ont pas été évités et la société continue à racheter des entreprises prêtes à être mises à la casse, sans se soucier de l’emploi.
On pourrait au moins imaginer que, grâce à l’aide du Fonds stratégique d’investissement, cette société rapatrie son siège social en France. Ne serait-ce pas là une excellente idée ?
Gemalto, dont le nombre de salariés n’est pas mentionné, a aussi reçu une participation.
Nexans a reçu 58 millions d’euros par le biais du FSI, qui a acquis 5 % du fabriquant de câbles. Mon collègue Antoine Lefèvre vous en parlera sans doute mieux que moi.
En septembre, le groupe a annoncé des licenciements, notamment dans les Ardennes. Or, on trouve au conseil d’administration de Nexans un directeur de la Caisse des dépôts et consignations, qui est aussi censeur d’OSEO ! Je m’interroge donc sur l’existence d’une certaine consanguinité dans ce dossier.
Plus récemment, le FSI a investi 5 % dans la société Technip, bien connue dans le domaine pétrolier et qui n’a vraiment pas besoin de soutien financier !
Ce matin, à la lecture du Figaro, nous apprenons que le Fonds stratégique d’investissement va investir 7,5 millions d’euros dans Dailymotion. C’est intéressant pour Nadine Morano, si elle gagne son procès !
Rappelons-nous les objectifs annoncés lors de la création du Fonds, qui devait être un outil stratégique. Il s’agissait d’aider les entreprises à faire face à la crise économique et sociale, sur fond de patriotisme économique.
Ne croyez-vous pas qu’il faudrait instaurer des procédures posant des garde-fous et, à tout le moins, comme cela se fait dans d’autres pays, un comité d’éthique qui déterminerait les secteurs dans lesquels le Fonds ne pourrait pas investir et les créneaux prioritaires ?
Nous venons d’essuyer la plus grave crise économique de ces trente dernières années. Lors de tous les sommets internationaux, les institutions et les gouvernements ont compris – du moins en apparence – que cette crise était en partie due à un laxisme en matière de contrôle, de gouvernance et surtout de transparence. De l’affaire Kerviel à la faillite de Lehman Brothers, nous avons tous compris que la devise « too big to fail » a vécu.
Il faut une règle du jeu, c’est indispensable lorsque l’on manie des fonds publics. Il faut également une transparence des procédures, une traçabilité et une conditionnalité des investissements en fonction d’objectifs préétablis et un contrôle extérieur.
Comment les fonds d’investissement fonctionnent-ils à l’étranger ? Prenons l’exemple de la Caisse des dépôts du Québec. Sur les quinze membres de son conseil d’administration, dix sont considérés comme indépendants et viennent du privé. Leur assiduité est soigneusement contrôlée, ainsi que leur rémunération. La transparence de la Caisse est totale : ses comptes sont contrôlés et approuvés par le vérificateur général du Québec, qui dépend exclusivement de l’Assemblée nationale.
Le fonds stratégique norvégien fait, quant à lui, figure de modèle. Doté d’un comité d’éthique, il intervient et contrôle les investissements, avec un pouvoir de contrainte. Il possède de plus un contrôle que nous pourrions qualifier de « grenello-compatible ».
Ainsi, le 9 septembre 2008, le ministère des finances norvégien a décidé d’exclure du fonds d’investissement Rio Tinto, en raison de graves risques que cette entreprise faisait peser sur l’environnement. Le conseil d’éthique a conclu que Rio Tinto était directement impliquée dans de graves dommages écologiques causés par cette exploitation minière.
La ministre des finances a affirmé que le fonds ne pouvait détenir des participations dans une telle société, parce que la poursuite des investissements dans cette entreprise conduisait à prendre un risque inacceptable.
Dans une lettre du 28 avril dernier, elle a donc demandé au fonds de céder dans les deux mois les participations qui avaient été prises. Comme vous le voyez, pouvoir de contrainte et capacité d’analyse se combinent dans cet exemple.
Mais il existe également en Norvège un contrôle politique. Vous me pardonnerez d’ailleurs, puisque je suis vice-présidente du groupe d’information internationale France-Territoires palestiniens – dont la présidente, Monique Cerisier-ben Guiga, est elle aussi présente – de m’attarder sur une décision rendue par la Norvège le 3 septembre 2009.
Je suis certaine que vous aurez à cœur, monsieur le secrétaire d’État, de comparer cette position à celle qui a été adoptée officiellement par la France en ce qui concerne un contrat conclu par Alstom dans une affaire connue sous le nom de « tramway de la honte » à Jérusalem.
Le ministère des finances norvégien a exclu de son fonds la société israélienne Elbit Systems Limited, parce qu’elle fournit aux autorités israéliennes un système de surveillance qui constitue l’une des principales composantes de la barrière de séparation entre Jérusalem et la Cisjordanie et de son régime de contrôle.
Le système de surveillance a été spécialement conçu en étroite collaboration avec les autorités israéliennes et n’a pas d’autre application. En outre, Elbit est clairement informée de la destination de son produit.
La Cour internationale de justice a rappelé les obligations pesant sur tous les États parties à la quatrième convention de Genève. Il s’agit de prévenir d’éventuelles violations du texte telles que la construction de ce mur de séparation.
Aux dires de la ministre norvégienne des finances, les autorités de son pays agissent conformément à ces prescriptions. Affirmant que la décision d’exclure Elbit Systems Limited n’était pas liée à la nationalité de cette entreprise, elle a déclaré : « Nous ne voulons pas financer les entreprises qui contribuent ainsi directement aux violations du droit humanitaire international. »
Mme Monique Cerisier-ben Guiga et M. Aymeri de Montesquiou. Très bien !
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le fonctionnement de cette autorité de contrôle qu’est le comité d’éthique norvégien est très intéressant : il peut soit s’en tenir à vérifier ce que l’on pourrait appeler le caractère « grenello-compatible » des investissements effectués, soit s’attacher à des considérations beaucoup plus politiques.
Ses décisions sont d’ailleurs réversibles. C’est ainsi que la société Thales, exclue de la sphère d’investissement du fonds en 2005 au motif que l’une de ses filiales était impliquée dans la fabrication de bombes à fragmentation, a été réintégrée après la cessation de cette activité. Et c’est justement parce que le fonds norvégien considère EADS et Safran comme des fabricants de bombes ou d’armes qu’il se refuse à contribuer à leur financement.
En l’espèce, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, reconnaissons-le, nous sommes tout de même assez loin de la gouvernance du fonds français ! À cet égard, j’aurai trois idées à vous soumettre.
La première, sans doute la plus simple à mettre en place, réside dans l’élaboration d’un code d’éthique. Le contrôle de sa bonne application serait confié à un organisme extérieur, qui disposerait d’un pouvoir de contrainte en cas de violation des règles fixées. Cette nécessité absolue d’un régulateur financier indépendant a d’ailleurs été soulevée par le Fonds monétaire international lui-même.
La deuxième idée consiste à poser un certain nombre de conditions.
Monsieur le secrétaire d’État, nous sommes nombreux à souhaiter que l’on remette la question de l’emploi, totalement absente des préoccupations du FSI – du moins dans les motivations annoncées –, au cœur de l’activité du fonds. Il n’est pas concevable qu’une entreprise ayant reçu des fonds publics procède à des licenciements. L’affaire Nexans est, de ce point de vue, exemplaire !
Dans la mesure où les entreprises concernées ont perçu des fonds publics, il importe de définir les conditions de rémunération des dirigeants, s’agissant, notamment, des bonus et des retraites chapeau.
Lors du dernier sommet sur la régulation financière, le Président de la République, usant de toute son influence, a affirmé devant le monde entier qu’il fallait moraliser le capitalisme. Qu’il commence donc par imposer quelques règles de conduite au FSI, à ce fonds, qui, finalement, est « sa » création !
La troisième idée est d’instaurer une obligation de contrôle externe dans les dossiers complexes.
Il faudrait sans doute effectuer de façon plus claire et plus lisible une distinction entre, d’une part, les participations à visée purement spéculative ou prospective, qui ne sont d’ailleurs ni contestables ni même critiquables, et, d’autre part, les actions de soutien aux entreprises stratégiques. L’investissement de 7,5 millions d’euros dans Dailymotion, annoncé ce matin, relève manifestement du premier cas, tout comme les prises de participation dans les entreprises du secteur de la biotechnologie ou de la biodiversité.
À mon sens, il s’agit de deux démarches bien distinctes, qui ne peuvent pas se voir appliquer les mêmes règles de fonctionnement. Le directeur général du FSI l’a dit, le fonds n’est pas un « pompier » : il lui revient de nous indiquer clairement quelle est sa ligne d’action !
L’analyse des dossiers complexes – je pense en particulier aux difficultés rencontrées par un armateur de Marseille – doit faire l’objet d’un examen contradictoire effectué par un organisme externe et pas seulement par les services de Bercy. Les salariés des entreprises concernées doivent y être associés. L’objectif est de contrôler en détail les comptes et l’activité des filiales, quand elles existent, afin que le principe de précaution trouve sa pleine application dans le domaine de la gestion de l’argent public.
Auditionné par la commission des finances du Sénat, M. Augustin de Romanet a d’ailleurs déclaré que la Caisse des dépôts et consignations devra être « plus sélective dans ses investissements ». Ces propos ont été largement repris dans la presse, notamment par Les Échos.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, réglementation des procédures, contrôles extérieurs, principes de gestion prudentielle et code éthique, tels sont les éléments qui doivent servir de base au FSI pour qu’il trouve sa place dans notre économie, qui a bien besoin d’un tel outil.
Quant aux participations des fonds d’Abou Dabi ou des fonds souverains chinois, il faudrait, là encore, que les conventions soient visées par une autorité extérieure et que leur utilisation soit fléchée, afin de disposer d’une certaine traçabilité en la matière. Que n’a-t-on entendu voilà quelques mois sur l’opacité de ces fonds étrangers, à qui l’on vient aujourd’hui demander de l’aide !
Si le Fonds stratégique d’investissement entend défendre l’industrie française à l’étranger et la compétitivité de nos entreprises, il doit aussi être attentif à sa notation. Les fonds sont en effet notés en fonction de critères objectifs de gouvernance.
Ensemble, nous devons rendre plus pertinent cet outil, sans hésiter à proposer des solutions innovantes pour accroître la transparence en la matière et assurer une gouvernance efficace.
Nous avons en France des entreprises stratégiques. Je pense notamment aux Chantiers de l’Atlantique, société pour laquelle M. le secrétaire d’État sait que j’ai les yeux de Chimène ! Au mois de juillet dernier, l’État, par le biais du FSI, y a apporté sa participation, et c’est très bien ainsi. L’entreprise sera ainsi en mesure de renforcer sa stratégie de développement et de maintien d’un savoir-faire véritable et exceptionnel.
Mais il faut aussi tenir compte de ces milliers de PME et de PMI qui maillent notre territoire : elles aussi ont besoin du soutien du Fonds stratégique d’investissement ! Et que dire de l’agriculture et de la filière laitière : voilà un autre secteur stratégique ! Nous pourrions nous inspirer de ce qui est prévu pour la filière bois, laquelle va bénéficier d’un fonds de soutien spécifique de 20 millions d’euros. Mon collègue Claude Biwer évoquera sans doute ce sujet tout à l’heure.
Monsieur le secrétaire d’État, en cette période de disette budgétaire, tout le monde reste sur sa faim ! Nos entreprises sont inquiètes. Comprenez ma démarche : il faut veiller à ce que l’argent du contribuable soit bien employé. Nous avons tous à y gagner, et la compétitivité de notre pays en sortira renforcée ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « notre pays vit comme le reste du monde une situation de crise économique brutale », qui a perturbé et désorienté les acteurs économiques et a répandu une anxiété universelle et un stress « irrationnel ».
Nicolas Sarkozy a réagi rapidement et efficacement à cette tornade pour rétablir la stabilité, regagner la confiance des acteurs économiques et tenter d’apaiser les craintes. Le plan de relance, concernant les entreprises et les collectivités locales, s’inscrit dans cette logique et se consacre en priorité à l’investissement, pour renforcer la compétitivité du pays et créer de l’emploi.
En pleine tourmente économique, les banques ont vu se multiplier les structures chargées de les secourir. Quant aux entreprises, il nous faut persévérer dans l’aide qui leur est apportée. Le plan de relance représente un effort de soutien à l’activité de 26,5 milliards d’euros, soit 1,3 % du PIB.
C’est dans ce contexte qu’est née l’idée d’un fonds stratégique d’investissement, mis en place avec la Caisse des dépôts et consignations, pour disposer d’une force de frappe souple et pouvant être mise en œuvre rapidement.
Le FSI dispose d’une dotation totale de 20 milliards d’euros, dont 14 milliards en fonds propres et 6 milliards en dotation numéraire. C’est à la fois modeste face aux besoins et important au regard de notre faible capacité d’investissement. C’est en tout cas une première dans l’histoire économique de la France.
Son volume annuel est estimé à 2,5 milliards d’euros. Les deux actionnaires, la CDC et l’État, ont un double objectif : soutenir le développement des grandes entreprises dans les secteurs sensibles ainsi que celui des PME prometteuses et sécuriser le capital de certaines entreprises stratégiques. Il vise ainsi à constituer à la fois une garantie et un supplément de puissance.
Avec la contraction du crédit bancaire et la baisse de la consommation, un grand nombre d’entreprises se sont retrouvées fragilisées, en particulier dans les secteurs où chiffre d’affaires et taux de croissance sont fortement corrélés. Un certain nombre de groupes cotés ont ainsi vécu une situation particulièrement préoccupante, leur financement en fonds propres étant enrayé par la chute des cours boursiers et la méfiance des investisseurs individuels et institutionnels. En effet, la propension de ces derniers à souscrire à des augmentations de capital avait parfois disparu à mesure qu’augmentait leur aversion au risque.
La création du Fonds stratégique d’investissement procède de l’accélération de la mondialisation des échanges et de l’émergence d’un nouvel équilibre économique mondial entre, d’une part, certains pays dotés d’importantes ressources, en particulier les grands pays émergents et les États pétroliers, placés en position plutôt « offensive » et, d’autre part, les principaux pays industrialisés, qui disposent de groupes puissants et d’un savoir-faire reconnu dans des domaines stratégiques, mais dont la capacité d’action est entravée par les déficits publics.
Le rôle du FSI peut s’avérer déterminant et même parfois vital dans le renforcement de nos entreprises sur un marché international très concurrentiel. La gouvernance du Fonds met en pratique ce conseil du « père » de la publicité, David Ogilvy : « Encouragez l’innovation. Le changement est notre force vitale, la stagnation notre glas. »
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État chargé du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. Le FSI ne prête pas, il investit. Investir, c’est s’intégrer à la vie des entreprises, pour partager leur avenir et encourager leur développement. Ce fonds est tout récent, mais il a déjà investi 450 millions d’euros en direct dans 13 entreprises, dont 6 PME. Les perspectives d’investissement permettent d’envisager le doublement de ce montant d’ici à la fin de l’année.
Il est toutefois indispensable d’apporter quelques modifications, afin de rendre le Fonds plus efficace dans son soutien aux PME, lesquelles restent structurellement sous-capitalisées.
M. Martial Bourquin. Absolument !
M. Aymeri de Montesquiou. Alors qu’elles constituent pour la France le plus grand bassin d’emploi de France et un tissu économique vital, les petites et moyennes entreprises sont souvent « coupées » des investissements, à la différence des grandes qui ont accès aux marchés boursiers.
Par conséquent, les PME ne sont pas en mesure de développer des technologies qu’elles ont pu ébaucher. N’oublions pas que, dans un tel contexte de crise, leur situation économique est devenue dangereusement critique. Hormis les secteurs fragilisés, comme l’automobile, ce sont elles qui ont le plus besoin d’investissements. Nos grandes entreprises ont des réserves pour faire face à la crise, alors que les PME souffrent de leur fragilité financière et d’une assise insuffisamment puissante.
Le FSI cible aujourd’hui les PME avec un potentiel de croissance et investit dans des entreprises présentant une forte capacité d’innovation. Il choisit ses partenaires, refuse d’être la « voiture-balai » des entreprises en difficulté et sélectionne les entreprises compétitives, celles qui sont, je le répète, porteuses de croissance, d’innovation, d’exportation, d’hégémonie et d’emploi.
Nous devons nous interroger sur la stratégie à tenir.
Faut-il privilégier certains secteurs particuliers de l’économie et ainsi préparer la France à y être leader ? C’est ce qu’ont fait les Japonais dans les années soixante : leur stratégie de laser beaming leur a permis d’acquérir un quasi-monopole dans la production de télévisions, caméras ou appareils photos.
Faut-il, au contraire, considérer l’économie de façon horizontale et choisir d’investir dans les entreprises dont l’activité est considérée comme déterminante pour l’avenir ?
Dans la mesure où nous avons choisi de soutenir une politique industrielle, il est indispensable de privilégier les entreprises occupant une position stratégique.
Les PME jouent un rôle clé dans l’innovation, mais elles pâtissent d’un manque de fonds propres et ne peuvent donc se consacrer à une prospection qui s’avère coûteuse. Parfois, elles n’ont pas la capacité de se protéger par des brevets mondiaux ou même européens. Chacun en conviendra, il nous faut absolument développer la taille et les capacités de nos petites et moyennes entreprises.
Les entreprises ont besoin d’investisseurs de confiance, stables, qui, loin de privilégier la logique financière au détriment de la vocation entrepreneuriale, consacrent leurs fonds propres à leur développement.
Il est toujours plus facile d’avoir la confiance des banques quand on est une grande entreprise. Pour les autres, le FSI propose une solution alternative de sécurisation, notamment à l’égard des entreprises stratégiques. C’est, à mon sens, une excellente initiative.
En revanche, comme l’a souligné le président de la commission des finances du Sénat, Jean Arthuis, les dossiers « baladeurs » qui ne trouvent pas de guichet présentent un risque systémique et peuvent conduire à la disparition définitive d’emplois dans le secteur industriel.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, ne serait-il donc pas opportun de créer un fonds spécifique pour les PME en difficulté, lesquelles doivent absolument disposer d’un adossement financier ?
Par ailleurs, l’accès au crédit des très petites et moyennes entreprises constitue une problématique récurrente ô combien inquiétante. Selon une étude récente, sur les neuf derniers mois, 15 000 d’entre elles se sont retrouvées dans l’obligation de saisir le Médiateur du crédit en raison d’un durcissement des conditions d’accès au crédit. La baisse de 10,8 % du crédit de trésorerie aux entreprises, observée depuis le mois de juillet 2008, est pour le moins inquiétante.
Le plan FSI-PME, lancé le 5 octobre 2009 par le Président de la République, prévoit un renforcement des dispositifs d’investissement en faveur des PME.
Ce programme équilibré comprend quatre outils : l’apport en fonds propres en direct, l’intervention via les fonds habituels, le fonds de consolidation des PME et, surtout, la création d’obligations convertibles.
Un an après, monsieur le secrétaire d’État, il vous est demandé de dresser un premier bilan. L’initiative de notre collègue Nathalie Goulet s’inscrit parfaitement dans la recherche de solutions pour affronter la crise et préparer le futur.
Est-il aujourd’hui possible de tirer des conclusions sur les premiers résultats du FSI ? Comment associer le Parlement dans la gouvernance et le contrôle des choix du FSI ? Le Président de la République s’est engagé à ce que les parlementaires membres du Conseil de surveillance suivent de près l’action de ce fonds et participent à son orientation.
Je pense que le contrôle parlementaire de l’action du FSI peut être renforcé. Le Parlement n’a été associé ni à l’organisation, ni à la gouvernance de ce Fonds. La commission de surveillance de la CDC compte, bien sûr, des parlementaires représentant les deux assemblées et exerçant leur contrôle sur la stratégie et les investissements du FSI. Mais le rapport remis au Parlement est une information a posteriori.
Davantage de contrôle et de transparence sont nécessaires dans l’action même du FSI : compte tenu de l’importance des montants engagés, du caractère stratégique de son intervention et du fait qu’il a l’entière responsabilité de ses actifs, il est essentiel que le Parlement soit pleinement associé dans la gouvernance et le contrôle du FSI.
Je partage l’analyse de Mme Goulet, qui demande une réflexion commune pour mettre en place un pilotage spécifique des actions du Fonds.
En conclusion, je citerai Sir Winston Churchill : « Que la stratégie soit belle est un fait, mais n’oubliez pas de regarder le résultat. » Monsieur le secrétaire d’État, c‘est le rôle du Parlement ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens, d’abord, à remercier Mme Goulet d’avoir attiré notre attention sur les problèmes que pose le Fonds stratégique d’investissement.
Si l’idée de créer cet outil pour faciliter la compétitivité des entreprises était bonne, son fonctionnement actuel pose un certain nombre d’interrogations.
Comme nous sommes en France où rien n’est simple, où rien n’est lisible, les modalités de contrôle de ce Fonds sont compliquées et multiformes. Exercé à trois échelons, le contrôle passe, d’abord, par la Caisse des dépôts et consignations et sa commission de surveillance. Il se poursuit par la surveillance parlementaire du plan de relance ; quand tout sera débloqué, monsieur le secrétaire d'État, le Fonds devrait recevoir 3 milliards d’euros d’argent frais. Il s’achève avec l’intervention de l’Agence des participations de l’État. Rapporteur spécial de la commission des finances, chargé d’examiner le compte spécial « Participations financières de l’État, j’ai auditionné les responsables de l’Agence des participations de l’État et examiné de plus près le fonctionnement du Fonds stratégique d’investissement.
Contrairement à Mme Goulet, je ne pense pas que le Parlement doive participer à la gouvernance du Fonds pour améliorer la lisibilité et garantir l’efficacité. Le rôle du Parlement est, selon moi, non de participer à la gouvernance, mais de contrôler. Pour ma part, je récuse tous les mécanismes qui ont pour objet d’associer des parlementaires à toute une série d’organismes. Je veux bien les admettre tant qu’ils ont une fonction de contrôle. Mais, dès lors qu’il s’agit de gouvernance, la participation des parlementaires se fait au détriment de l’efficacité. Les parlementaires américains ou britanniques ne participent pas à la gouvernance des institutions. Mais leur droit de contrôle est total, et ils ne se privent pas de l’exercer ! Le rôle de contrôle des commissions du Sénat est beaucoup plus important aux États-Unis qu’en France.
Monsieur le secrétaire d’État, je voudrais vous soumettre quatre interrogations sur ce Fonds.
Première interrogation, comment le Fonds va-t-il gérer les 14 milliards d’euros de participations qui lui ont été transférés en plein été, à un moment important, le 15 juillet ? L’Agence des participations de l’État a transféré trois types de participations. La Caisse des dépôts et consignations a rassemblé des participations d’origines très diverses. Le Fonds est-il outillé pour gérer ces sommes ? Revendra-t-il certaines participations ? Je pense, notamment, à celles qui viennent de France Télécom. Les fera-t-il fructifier ? Confiera-t-il leur gestion à la Caisse des dépôts et consignations, son actionnaire principal, à hauteur de 51 % ? Toutes ces questions sont ouvertes et j’aimerais avoir quelques explications.
Deuxième interrogation, comment seront ciblés les investissements du Fonds. Sa vocation n’est pas de venir en aide aux entreprises en difficulté. Pour avoir créé moi-même, il y a très longtemps, un mécanisme d’aide aux entreprises en difficulté, le comité interministériel de restructuration industrielle, le CIRI, dont je constate, toujours avec un égal plaisir, qu’il fonctionne toujours, je crois qu’il ne faut pas multiplier les mécanismes d’aide aux entreprises en difficulté. Le Fonds stratégique d’investissement doit, au contraire, se concentrer sur les entreprises – grandes, moyennes ou petites – capables de jouer leur rôle dans la mondialisation, de créer des emplois et d’accroître la compétitivité globale de l’économie française.
Tous les économistes le savent, tous les hommes politiques commencent à en être persuadés, ce qui nous manque dans notre pays, ce sont des entreprises moyennes – jusqu’à 5 000 salariés – capables, comme en Allemagne, comme aux États-Unis, de jouer leur rôle sur le plan international.
Il faut mettre en place les outils nécessaires à ce développement. À cet égard, la question s’est posée de savoir s’il était envisageable d’inclure dans le champ d’intervention du Fonds les entreprises en phase de restructuration ; je pense, par exemple, à Nexans.
Dans cette affaire, gardons-nous des tabous et des réglementations préétablies. Quand une entreprise peut, grâce à la technologie qu’elle développe et aux parts de marchés qu’elle a su gagner, se développer, il faut l’aider et investir, même si elle doit passer par un plan social.
Le Fonds ne saurait se contenter d’investir dans les entreprises très fortement capitalisées, dont les résultats sont si satisfaisants qu’ils font la splendeur du CAC 40 !
On ne saurait écarter de sa cible les entreprises qui ne peuvent accéder à un niveau de performances mondiales qu’au prix d’un plan de restructuration conforme aux normes sociales en vigueur.
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Fourcade. Troisième interrogation, monsieur le secrétaire d’État, le grand emprunt servira-t-il à renforcer la masse critique du Fonds spécial d’investissement ? Entend-on lui faire jouer un rôle important dans le cadre de la mise en œuvre des orientations qui sont enfin arrêtées après avoir recueilli l’avis de commissions savantes et de personnes autorisées ?
Pour en finir sur le ciblage des investissements, il me paraît souhaitable de pouvoir aider les entreprises, petites, moyennes ou grandes susceptibles d’apporter une valeur ajoutée à la compétitivité nationale. Mais, une fois les cibles de l’emprunt déterminées, il faudra s’assurer que l’intervention du Fonds spécial d’investissement se situe bien dans ces cibles et n’augmenter ses dotations que si cette condition est remplie. Or pour l’instant, nous ne savons rien. Nous espérons que vous pourrez nous apporter quelques réponses, monsieur le secrétaire d’État.
Dernière interrogation, qu’en est-il de la cohérence de l’action publique en faveur de la compétitivité des entreprises.
Après les annonces du Président de la République, après la création du Fonds, pas moins de quatre organismes - plus leurs filiales ! – s’occupent des mêmes sujets. Outre le Fonds lui-même, il y a Oséo pour les petites et moyennes entreprises, l’Agence des participations de l’État, en capacité de vendre, d’acheter ou de soutenir un certain nombre d’opérations, et la Caisse des dépôts et consignations, avec sa filiale CDC-Entreprises ! Comment peut s’y retrouver le chef d’entreprise de base, celui qui veut développer son entreprise et sa technologie ?
Auditionné hier par la commission des finances, le président d’Oséo nous a expliqué qu’il dispose de nombreux prêts participatifs. Il nous a dit que les obligations convertibles seraient réservées au Fonds spécial d’investissement.
Imaginons, monsieur le secrétaire d’État, une entreprise de 500 salariés qui a une bonne technologie et dont il faut renforcer le capital : en phase d’expansion, elle a absolument besoin d’être modernisée. Pourra-t-on ajouter les prêts participatifs d’Oséo et les obligations convertibles du Fonds ? Le Fonds interviendra-t-il ? Si oui, de quelle manière ?
Comme nous sommes en France, chacun défend sa paroisse ! Il est pourtant clair qu’on obtiendrait de meilleurs résultats en procédant à des décloisonnements et en donnant au Fonds spécial d’investissement et à Oséo un rôle équivalent, l’un et l’autre intervenant pour des entreprises de tailles différentes. C’est un problème de cohérence !
Pour autant, je ne crois pas que le guichet unique soit la solution. Il est clair que les statuts du Fonds spécial d’investissement lui imposent de respecter les conditions du marché et les règles de la concurrence. Il demeure actionnaire toujours minoritaire.
Il faut répondre aux questions sur la concordance entre le grand emprunt et le Fonds spécial d’investissement et sur la cohérence de l’action publique entre tous les organismes en charge des mêmes sujets, si nombreux en France !
Sur le problème des gouvernances, j’ai constaté qu’un parlementaire participe au contrôle interne de l’opération en sa qualité de membre du comité d’orientation du FSI. Cela ne me paraît pas être une bonne chose. Je ne souhaite pas qu’il y en ait plusieurs.
Il faut bien séparer les questions : le Fonds stratégique investit, étudie, travaille avec le milieu bancaire, discute de l’ensemble des problèmes que peuvent rencontrer les entreprises. Le Parlement contrôle, dans des conditions qu’il faut améliorer.
Si le Fonds parvient, grâce à ces 20 milliards d’euros de dotations, à accompagner le développement des PME capables d’exporter et de soutenir notre commerce extérieur, je suis persuadé, monsieur le secrétaire d’État, que nous aurons gagné ! Nous réussirons à stabiliser la position de la France sur les marchés internationaux, à stopper le recul et, ensuite, à regagner des parts de marché. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la question orale avec débat déposée par notre collègue Nathalie Goulet présente un certain nombre de caractéristiques pour le moins intéressantes.
Elle permet d’ouvrir un débat que la loi de finances devrait encore approfondir, ce qui ne peut manquer de donner sens à l’initiative parlementaire, sous tous ses aspects.
Les parlementaires du groupe CRC-SPG ont d’ailleurs pour eux d’avoir, lors de la création du Fonds stratégique d’investissement, marqué leur interrogation quant aux attendus et aux missions confiées à ce qui nous était présenté comme un « fonds souverain à la française ».
Permettez-moi de procéder à un rappel.
S’inspirant sans doute de l’exemple du fonds norvégien Statoil, qui capitalise les bénéfices des investissements réalisés à partir des revenus tirés de l’exploitation des ressources énergétiques de la mer du Nord pour prendre en charge, entre autres choses, le financement de la protection sociale de ce pays nordique, le Président de la République a souhaité mettre en place le FSI pour répondre aux défis de la désindustrialisation.
En mettant sur la table 20 milliards d’euros, apportés à parts quasi égales par l’État et par la Caisse des dépôts et consignations, et destinés à financer des prises de participation dans toute entreprise industrielle de notre pays, on tentait de donner une réponse, que d’aucuns qualifiaient d’ailleurs, à l’époque, de « colbertiste », au problème de l’hémorragie constante d’emplois et d’activités industrielles dans notre pays.
De fait, ainsi que le souligne l’auteur de la question orale, le Fonds d’investissement stratégique est une forme de filiale de la Caisse des dépôts et consignations – dont la spécificité, je le rappelle, est d’être soumise au contrôle du Parlement – alors même que la majorité du capital du Fonds est détenue par la CDC.
Pour le moment, comme chacun le sait, le Fonds n’a qu’une existence juridique particulièrement ténue, découlant de l’application de l’article 5 de la loi de finances rectificative de février dernier, et je me permets de rappeler ce que nous en disions déjà alors.
« Le collectif consacre la création du Fonds stratégique d’investissement, structure dont la gestion est confiée à la fois à Augustin Romanet de Beaune, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, et au P-DG de Citroën, qui sort juste d’un plan social massif à Rennes...
« Déjà, avec une telle “carte de visite”, cela promet...
« Mais voilà aussi qu’on apprend que la Caisse des dépôts et consignations s’apprête à apporter 3 milliards d’euros de “cash” pour le capital de ce fameux “fonds souverain à la française”...
« Comment le fait-elle ? En cédant des actifs immobiliers et, en l’espèce, 35 000 logements sociaux appartenant aux filiales immobilières de la CDC et situés notamment dans de nombreuses communes de la proche banlieue parisienne.
« La vente de ce patrimoine, dont la Caisse espère donc obtenir une plus-value de 3 milliards d’euros, risque fort de conduire à la mise sur le marché de ces logements, en dehors de la législation HLM !
« De fait, pour financer des prises de participation prétendument publiques dans des entreprises considérées comme stratégiques, on va commencer par dilapider le logement social ! »
Cette observation liminaire nous amène directement au sujet qui nous préoccupe.
Non content d’avoir fait d’un cadre du groupe PSA le directeur général du Fonds, on a nommé le fils du ministre chargé de la mise en œuvre du plan de relance directeur général adjoint !
Venons-en aux faits plus récents qui ressortent de l’action du Fonds stratégique d’investissement.
Préservation des emplois et des activités industrielles sont la raison d’être du Fonds, si l’on doit croire ses créateurs.
Le problème est que quelques salariés d’entreprises d’ores et déjà recapitalisées par le FSI n’ont pas cette lecture des faits ou, plutôt, ils constatent qu’il y a loin de la coupe aux lèvres et que les faits n’ont qu’un lointain rapport avec les intentions !
Je présenterai ici un exemple significatif de l’intervention du Fonds, que la presse a d’ailleurs traité, celui de la société Nexans, à Chauny dans l’Aisne.
Je confesse que le journal dont j’ai tiré cet exemple n’est pas vraiment favorable à la politique gouvernementale actuelle, puisqu’il s’agit de l’Humanité (M. le secrétaire d'État sourit), mais les faits sont les faits et, Mme Goulet ayant cité Le Figaro, permettez-moi de citer un article dont le titre ne présente pas d’équivoque – « L’État boursicote, les salariés trinquent » – et que son auteur résume lui-même de la façon suivante : « Le Fonds stratégique d’investissement était “l’arme anticrise” de Sarkozy. Voilà qu’elle s’est transformée en bombe contre l’emploi. Dans l’Aisne, la multinationale Nexans va raser l’un de ses berceaux avec l’aide de l’argent public. C’est un scandale qui tient à deux chiffres : 60 millions d’euros et 387 chômeurs ! »
L’article compte ensuite l’histoire de Chauny, cette petite bourgade de l’Aisne qui, depuis 1922, « vit au rythme de ses usines de câbles passées de la Compagnie générale d’électricité à Thomson, puis Alcatel, puis Nexans ».
« Début juillet, la multinationale française Nexans – 22 400 salariés dans le monde, dont 3 000 en France, une marge opérationnelle à 8,9 % et 195 millions d’euros de profits en 2008 – a bénéficié d’un investissement de 60 millions d’euros de la part du Fonds stratégique d’investissement tant vanté par Nicolas Sarkozy comme sa véritable “arme anticrise” censée défendre le travail et les usines en France. À peine trois mois plus tard, voilà qu’avec les largesses de ce fonds à capitaux exclusivement publics, le groupe programme le saccage de l’emploi, en supprimant 14 % de ses effectifs sur le territoire de son berceau historique, qui demeure aussi son principal marché ! “ Cet argent ne peut pas servir pour investir dans des unités déficitaires”, ont osé arguer, devant les salariés, les dirigeants de Nexans.
« Sur place, le vacarme du scandale commence à parasiter la complainte des licenciements. Le délégué syndical central CGT, soupire : “Franchement ? Je sais que le FSI est rentré dans le capital du groupe, mais c’est tout !” À Fumay, dans les Ardennes, sur un autre site de Nexans où cinquante-trois licenciements viennent d’être annoncés, le délégué CGT et membre du comité de groupe européen réclame, par courrier recommandé, une entrevue avec Gilles Michel, le directeur général du FSI. “Ce fonds devait servir à consolider les positions des fleurons industriels et à préserver les emplois en France, se souvient-il. Il ne peut en aucun cas être utilisé pour restructurer ou délocaliser. Or, dans le cas de Nexans, il y a manifestement un petit doute…” À Paris, au conseil d’orientation stratégique, censé être, selon Nicolas Sarkozy, le “gardien de la cohérence et des équilibres de l’action du fonds”, les syndicats sont pour le moins fumasses. “Nous n’avions aucune information sur les conséquences sociales du projet, s’insurge l’un de leurs représentants. N’ayant aucun pouvoir réel dans la gouvernance du FSI, nous ne disposons que de l’information qu’ils veulent bien nous donner. Manifestement, le patron de Nexans se sert du FSI pour améliorer ses fonds propres. Après, c’est vraiment : “Circulez, il n’y a rien à voir !” »
« Dans toute sa communication financière, le groupe, plutôt florissant, avoue ne viser qu’un objectif : “Faire de Nexans, un groupe plus rentable.” Sur le terrain, cela signifie par exemple que, depuis des années, la direction de l’usine organise la sous-activité de son site industriel à Chauny. “Le groupe a trois coulées continues de cuivre en Europe et celle de Chauny est à la fois la plus performante et la plus productive, pointe le délégué syndical. Chez nous, toutes les installations sont doublées, c’est unique au monde ! Mais la direction de Nexans s’en fiche, ils ont décidé qu’on était en surcapacité et que, de toute façon, cette activité ne produisait plus assez de valeur ajoutée.” Au FSI, où travaille un petit commando d’as de la finance débauchés dans les banques d’affaires et les fonds d’investissement traditionnels, on s’excuse de ne pas s’immiscer du tout dans la stratégie industrielle de Nexans. “Moi, je ne sais pas quand le plan social a été préparé, avance le porte-parole du FSI. Nous n’avons pas à décider de la stratégie de l’entreprise, ni de sa gestion. Si on arrivait en disant à l’entreprise qu’on veut jouer un rôle important, elle n’accepterait pas que l’on entre dans son capital. Nous pouvons discuter par exemple du reclassement des salariés, mais c’est l’entreprise qui garde la main.”
« Opacité complète pour les ouvriers et leurs représentants, transparence totale pour les patrons et leurs actionnaires, privés… ou publics ! En avril, Nexans promet “d’accentuer très fortement ses actions de restructuration” et, en juillet dernier, au moment de l’entrée officielle du FSI dans le capital de la multinationale, Frédéric Vincent, son P-DG, se félicite bruyamment : “Le FSI connaît les enjeux auxquels un groupe industriel global comme le nôtre doit faire face.” Détail piquant, à la limite du conflit d’intérêts : le FSI connaît d’autant mieux la stratégie de Nexans qu’un des membres du comité exécutif du fonds, Jérôme Gallot, président de CDC Entreprises, filiale de capital-investissement de la Caisse des dépôts et consignations, siège au conseil d’administration du leader mondial du câble depuis 2007. Alors que Nexans a provisionné des dizaines de millions d’euros pour la restructuration envisagée et qu’il vient de distribuer près de 56 millions d’euros à ses actionnaires, à quoi servent donc les 60 millions d’euros du FSI ? À Chauny comme à Fumay, ou sur les autres sites de Nexans en France, les ouvriers en sont de plus en plus convaincus, le FSI est un fonds d’investissement comme les autres. Ni plus ni moins rapace que les autres. Un fonds qui ne crache même pas sur les “licenciements boursiers” de ceux qui l’ont abondé par leurs impôts… »
Mes chers collègues, s’il convenait de se demander quel sens donner à la réponse à la question posée par notre collègue Nathalie Goulet, ce serait sans doute assez aisé à définir.
Premier aspect, le Fonds stratégique d’investissement doit effectivement être placé sous la responsabilité de la Caisse des dépôts et consignations et, par là même, de sa commission de surveillance, où siègent des parlementaires.
Second aspect, oui, l’argent public est une chose bien trop précieuse et une denrée bien trop rare pour qu’il soit utilisé aux fins de financer des stratégies d’externalisation d’activité – c’est bien ce qui s’est produit dans l’affaire Nexans – et des plans sociaux dont souffrent au premier chef les salariés, leurs familles et les territoires où ils résident !
Au-delà des étranges choix stratégiques qui président au fonctionnement du FSI, on peut remarquer, dans cette affaire, que l’intervention du Fonds se fait sans la moindre information des salariés et, plus encore, sans la moindre participation des premiers intéressés aux choix de gestion opérés par le Fonds.
On ne peut, mes chers collègues, faire le bonheur des gens contre leur gré. C’est une tendance qui semble guider la manière de gérer les affaires du pays et qui prévaut singulièrement depuis le printemps 2007 ; les salariés de notre pays sont suffisamment intelligents pour s’intéresser au premier chef à la gestion de l’entreprise où ils travaillent !
Ce que nous venons de décrire n’empêchera nullement Nexans de tirer pleinement parti de la réforme de la taxe professionnelle, présentée comme la mesure phare du projet de budget pour 2010 et qui ne servira, dans le cas précis, qu’à assurer encore plus aisément le financement du plan social !
Si le Fonds stratégique d’investissement devient l’auxiliaire des plans sociaux et des liquidations d’activité, comme chez Nexans, Technip, Trèves, Valeo ou encore dans la holding des aventuriers qui avaient promis à Jean-Luc Warsmann monts et merveilles lors du rachat, avant la liquidation que l’on sait, de Thomé-Génot, nous sommes en présence d’une opération pure et simple de détournement de fonds publics au profit d’on ne sait trop quoi !
Il est grand temps, et Mme Goulet a eu raison de soulever la question ce matin, que le Fonds stratégique d’investissement soit soumis au contrôle parlementaire, que son action réponde à une éthique plus précise et que les salariés des entreprises où il est appelé à intervenir soient pleinement associés à l’évaluation de l’efficacité de son implication.
Nous nous attacherons à faire valoir cette exigence le moment venu.
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, mon propos sera probablement moins pessimiste que celui de mon prédécesseur à cette tribune !
Je remercie notre collègue Nathalie Goulet d’avoir posé cette question orale qui nous donne l’occasion de débattre d’un sujet particulièrement important en cette période de crise économique, à savoir le financement de nos entreprises, en particulier de nos PME.
La création du Fonds d’investissement stratégique en 2008 procède de la volonté du Président de la République d’aider les entreprises françaises qui ont besoin de trouver des investisseurs stables pour financer leurs projets de développement.
Il s’agissait notamment de soutenir le développement de PME prometteuses qui ont souvent des difficultés à accéder à des financements, de sécuriser le capital d’entreprises stratégiques ou encore d’intervenir pour développer ou aider temporairement des entreprises à fort potentiel ou des projets industriels novateurs et audacieux, avant de s’en désengager à moyen terme lorsque les objectifs qui avaient été définis auront été atteints.
Afin d’accomplir le plus efficacement possible les missions qui lui ont été confiées, le FSI doit investir dans des projets rentables et qui engendrent des revenus, détenir une minorité du capital des entreprises dans lesquelles il investit, agir de préférence avec des partenaires privés et ne pas investir à long terme, afin de faire « tourner » son portefeuille de manière à disposer de liquidités pour agir rapidement.
Nul doute qu’en incitant à la création du FSI, le chef de l’État avait à l’esprit le rôle de plus en plus important que jouent dans l’économie mondiale les fonds souverains, notamment moyen-orientaux, chinois, russe ou norvégien.
En réalité, on a assigné au FSI non pas la stratégie offensive de ces fonds souverains, mais une stratégie plus défensive, ne serait-ce qu’à cause de la faiblesse de sa capitalisation originelle : 20 milliards d’euros, dont 14 milliards d’euros sous forme de participations déjà détenues par la CDC ainsi que par l’État dans de très grandes entreprises et 6 milliards d’euros de fonds nouveaux apportés à parité par l’État et par la CDC. La taille de ce fonds le situe donc seulement au vingtième rang mondial des fonds souverains.
Comme l’a précisé notre collègue Nathalie Goulet, le FSI est dirigé par une double structure : un conseil d’administration présidé par le directeur général de la CDC et un directeur général. Il comprend en outre un comité d’investissement et un comité d’orientation composé de représentants des entreprises, des organisations syndicales et de personnalités qualifiées, qui doit garantir la cohérence et les équilibres du fonds.
Premier sujet d’étonnement pour moi : comment se fait-il que le Parlement ne soit pas représenté au sein du comité d’investissement ou du comité d’orientation du FSI ? M. Fourcade nous a certes expliqué qu’une telle représentation ne lui paraissait pas souhaitable, mais je pense pour ma part qu’il serait tout de même préférable que le Parlement soit associé d’une manière ou d’une autre au fonctionnement du FSI, ne serait-ce que pour assurer une meilleure circulation de l’information.
Mon étonnement croît encore lorsque j’apprends, de la bouche du secrétaire général de Force ouvrière, que si les organisations syndicales sont bien représentées au sein du comité d’orientation, elles ne sont pas véritablement informées de ce qui se passe au sein du FSI. Et ce responsable syndical d’ajouter par ailleurs qu’il lui paraissait anormal que ce fonds soit venu en aide à une entreprise ardennaise qui, finalement, licencie une partie de son personnel. Cela étant, on peut aussi considérer, me semble-t-il, qu’une véritable restructuration peut aussi passer par là.
Quoi qu’il en soit, les malheureux parlementaires que nous sommes disposent de moins d’informations encore. Tout au plus apprenons-nous, en lisant la presse, que le FSI est venu en aide à certaines grandes entreprises, comme Valeo, Daher ou Heuliez, pour assurer le développement du véhicule électrique. Ces choix, il faut le reconnaître, sont néanmoins tout fait cohérents avec les politiques que nous définissons.
Dans le même temps, et malgré la mission confiée à France Investissement, de nombreuses PME souffrent sur l’ensemble du territoire, et sont victimes de la frilosité des banques. Le Président de la République et le Gouvernement l’ont bien compris : le FSI a lancé ce mois-ci, à leur demande et dans le cadre du plan d’aide aux PME, un programme FSI-PME doté, je crois, de 1,5 milliard d’euros.
Ces crédits sont certes destinés aux PME relevant de secteurs stratégiques, mais j’estime qu’ils devraient aussi permettre d’aider les entreprises du secteur agricole et agroalimentaire, qui en ont grand besoin en cette période difficile.
Ne l’oublions pas, la production agricole a également une importance stratégique à l’échelon mondial. Cela est tellement vrai que la Chine et l’Inde ont fait l’acquisition de plusieurs milliers d’hectares de terres cultivables en Afrique, afin d’y développer de nouvelles productions.
Nous avons la chance d’avoir un potentiel agricole et agroalimentaire parmi les plus importants au monde. Or ce secteur souffre terriblement, et la crise touche toutes les productions : le lait et les fruits et légumes, bien sûr, mais également l’élevage et les céréales.
Notre groupe a calculé qu’il faudrait mettre en place, pour la seule filière laitière, un plan de financement de 675 millions d’euros, et il a proposé que cette somme soit avancée par le FSI sous forme de prêts, selon le schéma qui a été utilisé pour le secteur bancaire, mais avec de faibles taux d’intérêt.
À l’instar de la majorité des élus de l’Union centriste, j’ose espérer que le Gouvernement sera sensible au désarroi et aux difficultés des hommes et des femmes qui dirigent les entreprises de notre pays. Nous espérons également que le Fonds stratégique d’investissement sera utilisé, à l’avenir, de façon optimale et servira à l’ensemble des activités économiques qui ont besoin de son aide.
Ce que vous mettez en place progressivement, monsieur le secrétaire d’État, améliore déjà notre politique d’investissement. Nous devons poursuivre ensemble les efforts et assurer une meilleure circulation des informations, afin qu’aucune entreprise ne soit laissée sur le bord du chemin. Je souhaite pour ma part que les élus, souvent sollicités lorsque des difficultés apparaissent dans les entreprises, puissent au moins relayer l’information et accompagner votre démarche. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à partir d’une réflexion sur l’organisation et la gouvernance du Fonds stratégique d’investissement, ainsi que sur ses choix d’investissement, notre collègue Nathalie Goulet s’interroge sur le rôle de la Caisse des dépôts et consignations et sur le contrôle qu’exerce le Parlement sur celle-ci. Étant, depuis la récente entrée en vigueur de la loi de modernisation de l’économie, qui a notamment modifié la gouvernance de la CDC, représentante de l’opposition sénatoriale au sein de la commission de surveillance de cette dernière, c’est bien volontiers que je participe au présent débat.
Mme Goulet note avec raison que le FSI est né de la volonté du Président de la République. Dans ce langage qui n’appartient qu’à lui, celui-ci a exposé sa vision du Fonds : « Je veux que l’on arrête le processus de délocalisation. […] l’État est là, et naturellement, quand la situation sera meilleure, eh bien on revendra notre part, s’il le faut on prendra un bénéfice, tant mieux pour le contribuable. Cela, c’est la première vocation de ce fonds. »
Cette vision est-elle simplificatrice ? Peut-être. En tout cas, c’est une vision circonstancielle, qui conduit, si on la suit à la lettre, à faire du FSI un pompier dans la crise.
Le 20 avril dernier, la commission des finances a pris l’initiative d’auditionner Michel Bouvard, président de la commission de surveillance, Augustin de Romanet, directeur général de la CDC, et Gilles Michel, directeur général du FSI. Ce dernier a donné sa vision de la société qu’il dirige : « La mission du FSI est d’investir dans les entreprises françaises afin de renforcer la compétitivité de notre pays. À cet égard, le Fonds prend en compte la rentabilité de l’opération et le retour sur investissement, qui sont des conditions de la pérennité du FSI, et le projet économique de l’entreprise. »
Entre les deux conceptions que je viens d’exposer, il y a, on le voit bien, plus qu’une nuance, d’où certainement une ambiguïté amenant les élus à s’interroger légitimement, notamment sur les critères présidant aux choix d’investissement du FSI.
Ce qui intéresse au premier chef la commission de surveillance, ce n’est pas trahir un secret que de le dire, c’est le « S » du FSI : la stratégie. En effet, elle s’interroge régulièrement et avec constance sur la doctrine d’emploi commandant les choix stratégiques destinés à muscler notre appareil productif pendant la crise, et surtout en période de sortie de crise. Nous auditionnons régulièrement le directeur général et nous faisons un point, tous les quinze jours, sur l’avancement de la mission du FSI. Notre collègue député Michel Bouvard est, quant à lui, l’invité permanent du comité des investissements du FSI.
D’une manière générale, nous, parlementaires, devons poser la seule question qui vaille à l’exécutif, celle de l’existence d’une politique industrielle qui mobilise les choix économiques de la nation. Une société, fût-elle érigée à partir de fonds publics, peut-elle, doit-elle être à elle seule le lieu de définition d’une stratégie industrielle ? Pour sa part, le groupe socialiste répond : certainement pas !
Après l’éphémère Agence de l’innovation industrielle, l’A2I, voulue par le président Chirac, nous doutons de l’efficacité du Fonds stratégique d’investissement lancé par le président Sarkozy pour renforcer notre appareil productif, qui était déjà bien faible avant la crise : des diagnostics ont été établis et de multiples rapports publiés sur le sujet, notre pays manquant, comme l’a dit M. Fourcade, de grosses PME capables d’être offensives et bien placées sur les marchés mondiaux. Il faut prendre la crise pour ce qu’elle est : un bouleversement du monde. Après le coup d’arrêt de la crise financière, les nouvelles puissances industrielles, c’est-à-dire la Chine, le Brésil, l’Inde, la Russie, voient redémarrer leur production, alors que celle de l’Europe a simplement cessé de chuter, tandis que les investissements sont gelés. C’est l’Union européenne qui a besoin d’une politique industrielle de coopération entre les nations qui la composent, fondée sur l’innovation et l’écologie. Traduit-on cet impératif, en France, par le biais du FSI ? Lit-on cela dans la doctrine d’emploi de ce dernier ? Je ne le crois pas.
Les états généraux de l’industrie lancés par le Gouvernement suffiront-ils à guérir notre industrie malade depuis trop longtemps ? Le débat autour de l’affectation du produit de l’emprunt suffira-t-il à engager enfin notre pays dans la voie de l’avenir ? Ces questions sont ouvertes, et nous y reviendrons certainement lors de la discussion du projet de loi de finances, et surtout du projet de loi de finances rectificative pour 2010 que l’on nous annonce d’ores et déjà comme devant faire suite aux propositions de la commission présidée par MM. Rocard et Juppé, qualifiée de « savante » par notre collègue Jean-Pierre Fourcade.
En revanche, les parlementaires siégeant à la commission de surveillance ont toute légitimité pour contrôler non seulement les investissements du FSI, mais aussi, le moment venu, les choix de cessions éventuels des actifs qui lui ont été transférés par l’État et par la CDC, son actionnaire principal. Au regard de l’autonomie d’initiative et de décision du FSI dans la gestion de ces actifs, telle qu’elle a été revendiquée par sa direction générale, la marge est étroite.
La croissance du Fonds stratégique d’investissement est un défi que la CDC doit relever. Il lui faudra concilier sa présence au FSI avec le rôle d’investisseur de long terme que lui a conféré expressément la loi de modernisation de l’économie, la LME. Il est certain que, dans la période récente, la Caisse des dépôts et consignations a été sur tous les fronts. Faut-il rappeler qu’elle a joué son rôle d’actionnaire historique de Dexia, transféré des actifs et des liquidités au FSI, soutenu une intervention auprès des entreprises, assuré la gestion du fonds d’épargne après la banalisation du livret A, veillé au respect du niveau des ressources fixé par la LME, accru ses financements au logement social, contribué au plan université et assuré la trésorerie de l’ACOSS, sans oublier de verser son écot au budget de l’État, soit 900 millions d’euros au titre de 2009 ?
Dans le même temps, les sollicitations multiples auxquelles la CDC est soumise en cette période de crise ont mis en lumière la nécessité de redéfinir ses relations financières avec l’État. Ce travail est en cours, sur l’initiative de la commission de surveillance et de son président.
En outre, depuis l’entrée en vigueur de la LME, la commission bancaire, via la commission de surveillance, exerce son droit de regard sur les activités bancaires et financières, par conséquent sur les ratios de fonds propres et sur la capacité d’endettement. Un comité des investissements a été créé, qui vise toutes les cessions et acquisitions. Je rappelle par ailleurs que lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative portant plan de relance, le groupe socialiste a soutenu, avec le groupe de l’Union centriste, M. Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, quand il a voulu encadrer le décret en Conseil d’État relatif aux rémunérations variables que le Gouvernement devait prendre. Nous avons obtenu, malgré les fortes réticences du Gouvernement, que soient précisées les conditions dans lesquelles les actions gratuites, les stock-options, les bonus, les indemnités de départ cesseront d’être attribués, pendant la durée de la crise, aux dirigeants et mandataires sociaux de toute entreprise financièrement aidée par l’État, directement ou indirectement. Le Fonds stratégique d’investissement est concerné.
Pour que le contrôle du Parlement soit effectif, il suffit donc que les parlementaires se saisissent de leurs droits. Du reste, puisque la Caisse des dépôts et consignations est placée sous le contrôle du Parlement, il serait bienvenu que le Sénat, qui s’était beaucoup investi dans l’élaboration de la loi de modernisation de l’économie, procède à l’évaluation complète de l’application de cette dernière, y compris les modifications intervenues dans la gouvernance de la CDC. Le groupe socialiste, depuis l’été dernier, demande régulièrement en conférence des présidents l’inscription de cette évaluation à l’ordre du jour des semaines réservées au Parlement. J’invite les autres groupes politiques, notamment le groupe de l’Union centriste, à appuyer cette revendication. C’est ainsi, me semble-t-il, que nous pourrons exercer pleinement notre vigilance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur celles de l’Union centriste.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. André Trillard.
M. André Trillard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Mme Nathalie Goulet appelle notre attention sur l’importance du contrôle parlementaire de l’action du Fonds stratégique d’investissement, dont la création avait été décidée en 2008 par le Président de la République, Nicolas Sarkozy, et qui est opérationnel depuis le début de cette année.
Doté aujourd’hui de 20 milliards d’euros, le FSI a investi directement, depuis sa création, 450 millions d’euros dans treize entreprises. Les perspectives d’investissement permettent d’envisager un doublement de ce chiffre d’ici à la fin de l’année.
Pour ce qui concerne le contrôle de la pertinence des choix stratégiques d’investissement, en fonds propres ou par le biais de prises de participations de l’État dans les entreprises au travers du FSI, j’estime que le Parlement doit encourager toute décision d’investir dans des entreprises stratégiques ou d’avenir. Toutefois, ces investissements ne doivent pas concerner seulement les technologies ou l’économie verte, mais porter sur tous les secteurs de pointe, ainsi que sur les transferts de technologies entre domaine militaire et domaine civil.
Le FSI doit ainsi se concentrer sur les investissements d’avenir hautement technologiques. Je sais que ce débat aura lieu lors de l’examen du collectif budgétaire relatif au grand emprunt, au mois de janvier 2010, mais la problématique reste la même : l’État doit concentrer ses dépenses et ses investissements dans ces domaines stratégiques ou à fort potentiel de croissance.
C’est la raison pour laquelle je me félicite de certains investissements réalisés par le FSI en 2009. Il a, par exemple, investi 160 millions d’euros dans l’entreprise Gemalto, leader mondial des technologies numériques stratégiques. Cet investissement a permis de sécuriser un important bloc d’actions – 8 % du total – mis en vente par le deuxième actionnaire, américain. Évoquons également les 2 millions d’euros investis par le FSI pour financer la croissance de Led To Lite, petite entreprise très innovante dans le domaine de l’éclairage à base de diodes électroluminescentes à haute luminosité.
Pour ce qui concerne les domaines des technologies militaires et civiles stratégiques, je me réjouis que le FSI ait investi plus de 65 millions d’euros dans l’entreprise Daher, qui fournit des équipements et des services pour l’aéronautique, le nucléaire et la défense, mais dont la structure capitalistique familiale limitait la capacité de développement et soulevait des problèmes de partenariat à Airbus et au groupe EADS. La société Daher a repris Socata à Airbus et vient de lancer la construction d’une nouvelle usine à Nantes pour la fabrication d’aérostructures de pointe. Je ne saurais y être insensible, en tant que sénateur de Loire-Atlantique… L’investissement du FSI dans la société Daher a permis de soutenir le programme d’investissements de l’entreprise et de financer l’implantation dans mon département d’une nouvelle usine qui produira des composants pour l’A350 et le futur A400M. L’usine sera réalisée en deux phases : la première, cet été, a abouti à la création de 400 postes, et la seconde, qui devrait intervenir à la mi-2010, débouchera sur la création de 1 000 postes au total.
Aujourd’hui, le FSI intervient directement dans le financement du secteur aéronautique par l’intermédiaire des fonds publics-privés Aerofund I et Aerofund II, qu’il abonde à hauteur de 20 % à 30% chacun.
Par ailleurs, le niveau d’investissement des entreprises dans la recherche et développement figure parmi les principaux critères d’investissement du FSI, quel que soit le secteur.
D’une manière plus générale, l’orientation stratégique du fonds doit reposer sur l’amélioration de la compétitivité et de la position concurrentielle de nos entreprises, afin de dynamiser l’emploi, la recherche et les exportations. À mes yeux, je n’ai pas peur de le dire, le critère essentiel doit être la rentabilité des capitaux investis, signe du succès. Le rendement du capital en France demeure en effet encore largement inférieur à la moyenne de nos concurrents ; il n’y a aucune raison de s’en glorifier. L’objectif d’un retour sur investissement de 10 % fixé par le président du FSI doit être tenu. Le rôle du Parlement est d’y veiller. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie Mme Goulet d’avoir demandé l’inscription à l’ordre du jour de cette question, la gouvernance du FSI étant un sujet d’une importance déterminante pour la politique industrielle de la France, eu égard aux moyens considérables que ce fonds déploie.
Le FSI est en effet doté de 20 milliards d’euros de fonds propres, dont 14 milliards d’euros de participations. Les parlementaires doivent être étroitement associés au contrôle financier, en temps réel, mais surtout politique, de la destination de ces sommes.
La Caisse des dépôts et consignations a été créée en 1816, après l’épisode des Cent-Jours, avec l’exigence morale et éthique de « restaurer une confiance du citoyen dans le crédit d’État ». Cette exigence est d’une saisissante actualité ! Quand l’État intervient massivement pour soutenir Valeo, et qu’ensuite un dirigeant de cette entreprise déclenche un parachute doré, comment ne pas s’interroger ?
La confiance suppose que nos concitoyens puissent être certains que tout investissement public est transparent, efficace et, dans le cas d’espèce, stratégique. Or, je ne suis pas sûr que tous ces objectifs soient vraiment atteints.
Cet après-midi, des milliers de salariés manifesteront contre les licenciements dans l’industrie. Il est bon que notre ordre du jour nous permette de faire un point d’étape sur le fonctionnement du Fonds stratégique d’investissement.
Je suis un élu du pays de l’automobile, le siège de PSA se trouvant à Sochaux. Aujourd’hui, de nombreuses PME et TPE de ce secteur, souvent innovantes et ayant parfois beaucoup investi dans l’ingénierie, sont confrontées à de grandes difficultés financières. Mois après mois, elles se demandent si elles pourront honorer les salaires et « boucler » leurs comptes. Dans le même temps, de grands constructeurs persistent à confondre compétitivité et stratégie low cost. Il faudra que l’on parvienne un jour à comprendre que les stratégies low cost n’aboutissent qu’à freiner l’innovation. La recherche à tout prix de la baisse des standards sociaux, la délocalisation systématique ne sont pas des stratégies qui mènent à l’innovation.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Martial Bourquin. En externalisant au-delà de nos frontières certaines productions, les entreprises concernées manifestent qu’elles n’ont pas la volonté d’innover et de faire en sorte que l’Europe et la France puissent mettre en place une économie de la connaissance.
J’ai demandé que soit constituée une commission d’enquête parlementaire sur les aides et les prêts dédiés à la filière automobile. En effet, ma curiosité à cet égard n’est pas toujours satisfaite, et se trouve ravivée aujourd’hui du fait que le FSI a apporté 200 millions d’euros au Fonds de modernisation des équipementiers automobiles, le FMEA, et va investir certainement plusieurs dizaines de millions d’euros supplémentaires dans la création d’un fonds de soutien aux sous-traitants automobiles de deuxième rang. Or, à ce jour, monsieur le secrétaire d’État, nous ne connaissons toujours pas exactement les critères industriels et économiques d’éligibilité des entreprises au FMEA.
Cette situation n’est pas normale. Pourquoi une telle obscurité ? Pourquoi ne pas développer une stratégie complètement transparente ? Pourquoi un contrôle parlementaire régulier ne s’exercerait-il pas sur ces aides et sur leur attribution ? Le FSI a rendu publique une liste de huit entreprises aidées par le biais du FMEA, mais combien se sont heurtées à un refus, et pour quel motif ?
Certes, vous me répondrez, monsieur le secrétaire d'État, que le Parlement exerce un contrôle sur la gouvernance de la Caisse des dépôts et consignations, comme l’a rappelé Nicole Bricq tout à l'heure, mais j’estime que nous devrions être davantage associés aux actions menées en amont, sur le terrain.
Ainsi, le Gouvernement a mis en place dans les préfectures des cellules de veille qui, chaque semaine, examinent la situation des entreprises en difficulté. Je souhaiterais que les parlementaires, ainsi que les salariés et leurs représentants, puissent participer à cette démarche. Nous ne pouvons, dans cette enceinte, aborder les cas particuliers de milliers d’entreprises, mais nous pourrions prendre part, dans nos départements, aux travaux conduits dans les cellules de veille.
En tant que membre du groupe d’études sénatorial sur l’automobile, je n’ai jamais eu l’occasion de discuter des modalités des aides versées à ce secteur, ce qui est extrêmement regrettable. Quant aux collectivités territoriales, qui sont particulièrement engagées dans le soutien à l’économie, elles éprouvent les plus grandes difficultés à comprendre les rouages des décisions prises, notamment par le FSI. Celui-ci gagnerait en efficacité et en transparence s’il communiquait systématiquement avec ses partenaires.
En Europe du Nord, les salariés et leurs représentants sont systématiquement associés aux décisions. Monsieur le secrétaire d'État, ne serait-il pas plus simple que, en France aussi, ils puissent siéger dans les conseils d’administration et donner leur avis ? Nous en sommes encore loin aujourd'hui !
Que l’on ne se méprenne pas : nous ne demandons pas des postes de personnalités qualifiées, mais seulement la possibilité de faire valoir notre expérience de terrain et notre connaissance du tissu économique dans les bassins d’emploi dont nous sommes les élus.
De plus, les informations dont nous disposons nous conduisent à penser que le FSI sélectionne des dossiers selon des critères strictement économiques auxquels nous ne souscrivons pas toujours. Nous traversons une crise sans précédent : ce n’est pas parce que le système bancaire se porte un peu mieux et qu’il s’est refait une santé, souvent sur le dos de ses clients,…
M. René-Pierre Signé. Tout à fait !
M. Martial Bourquin. … et grâce à des aides d’État d’un montant impressionnant, que l’économie dans son ensemble s’est rétablie !
M. René-Pierre Signé. Bien sûr !
M. Martial Bourquin. Aujourd'hui, hormis dans quelques secteurs, nous pouvons nous attendre à une année 2010 extrêmement difficile. Il faudrait repenser le fonctionnement du FSI et du FMEA dans ce contexte.
Quel est, aujourd'hui, le principal problème des petites et moyennes entreprises ? C’est l’absence de liquidités, car ces sociétés manquent de fonds propres, même quand elles se sont modernisées. Nous devons donc mettre en place un filet de sécurité qui soit le plus serré possible, afin qu’aucune entreprise ne ferme en raison d’un manque de liquidités. Si nous laissons faire le marché, tel qu’il existe aujourd'hui, nous perdrons des PME innovantes et d’une qualité exceptionnelle, qui, parfois, se sont dotées de moyens d’ingénierie de haut niveau pour affronter la concurrence mondiale.
Les banques qui se trouvaient au bord de la faillite voilà un an ont retrouvé des marges de manœuvre confortables. Elles veulent à présent rembourser les aides qu’elles ont reçues, afin de pouvoir accorder de nouveau à certains de leurs cadres des bonus considérables !
Mme Nicole Bricq. En effet !
M. René-Pierre Signé. Et pour se libérer de la tutelle de l’État !
M. Martial Bourquin. Or, dans le même temps, le volume des crédits consentis aux entreprises et aux particuliers s’est réduit d’un quart en 2009. Monsieur le secrétaire d'État, cette situation n’est pas acceptable ! Vous ne pouvez pas la tolérer, car elle nuit à notre tissu économique ! S’en remettre au laisser-faire est inconcevable : nous devons réorienter en profondeur l’action du FSI, pour que ses investissements répondent à des critères pertinents, à savoir la création d’emplois, tout d’abord, la protection de l’environnement, l’aménagement du territoire, le maintien des filières et le développement de l’emploi industriel, l’innovation.
Nous avons approuvé l’attribution d’aides très importantes aux deux grands constructeurs automobiles nationaux. Or nous sentons que deux stratégies s’opposent : voilà quelques jours, nous apprenions que PSA relocalisait à Sochaux des centres d’ingénierie ; de son côté, Renault persévère dans une stratégie de délocalisation. Lors des états généraux de l’automobile, j’ai été surpris que Carlos Gohsn intervienne uniquement pour déplorer le coût de la main-d’œuvre en France… Ce qui compte aujourd'hui, ce qui devrait être notre priorité, c’est que notre économie soit compétitive et fondée sur la connaissance.
Le groupe Trèves a reçu 55 millions d’euros du FSI, or il a des projets de délocalisation en Afrique du Nord. Pour ma part, cela ne me dérange pas dans la mesure où il s’agit de conquérir des marchés dans cette région du monde. Ce qui me gêne davantage, ce qui me semble même insupportable, ce sont des investissements visant à mettre nos salariés en concurrence avec la main-d’œuvre d’autres pays et, à terme, à fermer des unités de production sur notre territoire ! (Mme Nathalie Goulet approuve.)
Nos compatriotes ne supportent plus de telles situations, auxquelles il faut remédier. Dans cette optique, le FSI devrait pouvoir verser des primes à la relocalisation et à l’innovation, afin d’inciter les entreprises à contribuer à la redynamisation de l’industrie française, plutôt que de licencier ou de réduire les standards sociaux en déplaçant leurs activités à quelques centaines de kilomètres de nos frontières.
Aujourd'hui, les élus, les salariés et, plus largement, nos compatriotes sont très attentifs aux politiques publiques. Quand celles-ci sont dotées, de surcroît, de moyens considérables, nous devons faire en sorte qu’elles soient lisibles, transparentes, et surtout que les fonds publics engagés servent à la mise en place d’une politique industrielle digne de notre pays.
Monsieur le secrétaire d'État, je voudrais que vous nous apportiez des réponses précises, parce que le temps presse. Nous ne voudrions pas que l’année 2010 soit marquée par une nouvelle explosion du chômage, qui atteint déjà des niveaux insupportables. Nous devons conserver ces joyaux que sont nos PME et nos TPE, qui accomplissent des efforts considérables pour être à la hauteur des défis du monde économique actuel, mais qui, aujourd'hui, supportent un poids terrible, notamment à cause de cette absence de liquidités que j’évoquais tout à l'heure. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Nathalie Goulet et M. Jean-Paul Virapoullé applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je souhaite réagir aux propos de notre excellente collègue Nathalie Goulet, dont la question trouve d’autant plus d’écho chez moi que le département dont je suis l’élu, l’Aisne, est directement concerné par l’action du Fonds stratégique d’investissement.
En effet, la ville de Chauny accueille deux des sites du fabricant français de câbles électriques Nexans, leader mondial dans ce domaine, qui emploie 24 000 salariés dans le monde, dont 3 000 en France.
Nexans exerce son activité dans un secteur sensible et de haute technologie. Ce groupe est entièrement maître de la chaîne de production, depuis le minerai de cuivre jusqu’aux produits finis, comme les câbles pour le transport de l’énergie ou les télécommunications. Le cours de bourse de son action n’a cessé de progresser ces derniers mois, les marchés évoquant « une situation financière parmi les plus saines de son secteur, lui permettant de se développer sur des segments à forte valeur ajoutée ». Nexans occupe la première place sur le marché mondial des câbles d’énergie sous-marins, ainsi que sur le marché européen des câbles de cuivre, des câbles spéciaux et d’équipement. Le groupe vient d’ailleurs de signer des contrats d’un montant de 3,3 millions d’euros en Turquie et de 2 millions d’euros en Arabie Saoudite. Il doit également fournir 500 kilomètres de câbles pour l’aéroport international du Caire, et cette liste n’est pas exhaustive.
Toutefois, la fermeture prochaine de l’unité de Chauny, qui compte 220 salariés, soit 14 % des effectifs du groupe sur le territoire français, et qui coule et tréfile du cuivre depuis 1922, vient d’être annoncée. Dans les Ardennes, le site de Fumay se voit quant à lui amputé de 53 emplois, après en avoir déjà perdu 123 en 2003.
Or, voilà quelques mois, Nexans a bénéficié de 58 millions d’euros d’aides du Fonds d’intervention stratégique, dont la vocation est de sauver les entreprises en difficulté et de sauvegarder l’emploi sur le territoire national. Le Président de la République avait annoncé que l’objectif assigné au fonds serait de contribuer à maintenir sur le territoire national une industrie et des services, pour que la France ne devienne pas « une simple réserve pour touristes ». Il appartient donc au fonds de sélectionner les bons dossiers, de façon à aider les entreprises qui ont des projets d’avenir.
Au vu des chiffres que je viens de rappeler, la société Nexans semble avoir un bien bel avenir, et son carnet de commandes ne paraît absolument pas justifier les importantes suppressions d’emplois annoncées et la fermeture du site de Chauny !
Les acteurs locaux ne comprennent donc pas que Nexans, après avoir reçu près de 60 millions d’euros de fonds publics et distribué près de 56 millions d’euros à ses actionnaires, se permette ce type d’annonce, au moment même où l’observatoire économique des URSSAF de Picardie note que l’emploi salarié a régressé de 7 % dans le département de l’Aisne durant le deuxième trimestre de cette année.
Comme l’a souligné M. Thierry Foucaud, le FSI connaît d’autant mieux la stratégie de Nexans qu’il semble que l’un des membres de son comité exécutif siègerait au conseil d’administration de cette société depuis 2007… Est-ce bien normal ?
Mme Nathalie Goulet. Non !
M. Antoine Lefèvre. Tout comme Mme Goulet, je m’interroge sur les choix et la gouvernance du FSI, qui aboutissent à détourner de son objectif premier ce dispositif de soutien financier aux entreprises en temps de crise. Il convient aujourd'hui de remettre l’emploi au cœur de l’action du Fonds stratégique d’investissement.
Monsieur le secrétaire d'État, je vous remercie par avance de nous apporter des éclaircissements sur ces différents points et de vous montrer particulièrement attentif à la situation des salariés du groupe Nexans dans l’Aisne, qui rencontreront demain matin le préfet du département et les élus locaux pour évoquer cette crise. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Virapoullé.
M. Jean-Paul Virapoullé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je remercie Mme Goulet d’avoir posé cette question très intéressante sur la gouvernance du Fonds stratégique d’investissement et la stratégie d’emploi des crédits de celui-ci.
M. Bourquin a évoqué avec beaucoup d’émotion les conséquences de la stratégie de démantèlement appliquée par certaines entreprises. Je voudrais lui indiquer, en toute sincérité, que je partage à la fois son analyse et ses interrogations. En d’autres temps, dans d’autres secteurs économiques, j’ai eu à connaître et à vivre des crises qui condamnent au chômage des salariés qualifiés, parce que des délocalisations ou des fermetures de sites les privent de leur travail, c'est-à-dire de leur dignité.
Le Président de la République, avec courage, a pris l’initiative de créer le FSI. Je n’interviendrai pas sur la gouvernance de ce dernier, n’étant pas compétent pour le faire. Il vous reviendra, monsieur le secrétaire d'État, de répondre aux interrogations formulées par des collègues plus qualifiés que moi.
Toutefois, je représente ici une autre facette de la France, des territoires que l’Union européenne considérait jusqu’à présent comme une charge, c'est-à-dire les régions ultrapériphériques. J’ai d'ailleurs une bonne nouvelle à vous annoncer, mes chers collègues : voilà quelques mois, alors que je me trouvais à Bruxelles, j’ai vu qu’un rapport rédigé par la Commission s’intitulait : Les Régions ultrapériphériques, une chance pour l’Europe ! Je me suis alors dit que les temps changeaient ! (Sourires.)
Mme Nathalie Goulet. Enfin !
M. Jean-Paul Virapoullé. Puisque nous sommes une chance pour l’Europe et puisque le Président de la République et le Gouvernement ont pris l’initiative – heureuse, nul ne le conteste ici – de créer un fonds doté de 20 milliards d'euros, j’en réclame notre part afin de développer les régions ultrapériphériques, dans un esprit de responsabilité, et de les transformer en de véritables atouts !
Je le rappelle, nous sommes les vecteurs de la puissance maritime de la France, nous participons à la conquête spatiale européenne avec la base de Kourou, nous détenons la plus grande biodiversité marine du pays, depuis les îles Kerguelen jusqu’à Saint-Pierre-et-Miquelon, nous sommes au cœur de la problématique du changement climatique, qui s’opère à partir des masses océaniques, enfin nos richesses naturelles constituent un atout pour l’industrie pharmaceutique française, dont on connaît la puissance : l’intervention du FSI pourrait permettre de valoriser la forêt guyanaise non pas en coupant ses arbres, mais en développant la pharmacopée.
Enfin, monsieur le secrétaire d'État, vous qui êtes un homme ouvert au développement, vous conviendrez qu’il n’y a aucune raison que nous soyons les oubliés des nouvelles technologies.
À cet égard, je formulerai trois propositions.
Premièrement, grâce au FSI, nous pourrions créer un fonds d’intervention de proximité pour les départements d'outre-mer, un « FIP DOM », dans le domaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication, les NTIC, où le rapport qualité-prix actuel des prestations offertes relève d’un temps révolu, ce qui prive notre jeunesse de l’accès à la connaissance. Le comité interministériel de l'outre-mer du 6 novembre prochain pourrait être l’occasion, pour la secrétaire d’État chargée de l’outre-mer et vous-même, d’indiquer avec force que le Fonds stratégique d’investissement interviendra, davantage qu’il ne le fait déjà, dans ce secteur stratégique, pour que l’outre-mer puisse connaître un décollage économique.
Deuxièmement, nous souhaitons également l’intervention du Fonds stratégique d’investissement dans le domaine des énergies renouvelables, pour lequel la Réunion sera une région de pointe. Monsieur le secrétaire d'État, vous accompagnerez certainement le Président de la République lors de son prochain déplacement sur notre île. Notre objectif est l’autonomie énergétique. Dans cette perspective, nous souhaitons expérimenter de nouvelles technologies qui nous permettront de porter haut les couleurs de la France.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Jean-Paul Virapoullé. Troisièmement, il conviendrait de réduire la fracture numérique. Rien ne justifie que les câbles déjà en place ne nous permettent pas de bénéficier du haut débit, voire du très haut débit.
Je partage l’inquiétude de mes collègues de métropole et fais miennes les interrogations légitimes qu’ils ont formulées à cette tribune.
Si vous voulez vous aussi, monsieur le secrétaire d’État, faire de l’outre-mer une chance pour la France, donnez-nous un coup de main dans les domaines que je viens d’évoquer, afin que nous puissions être l’un des fleurons de la France ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Martial Bourquin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services et de la consommation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici au terme de ce débat sur le Fonds stratégique d’investissement et, plus généralement, sur l’action de l’État face à ce que vous avez été nombreux à qualifier de crise majeure, sans précédent, dont les conséquences affectent l’emploi et les entreprises sur l’ensemble du territoire national, tant en métropole qu’outre-mer.
Le Président de la République, le Gouvernement et le Parlement ont décidé d’affronter cette crise, et non de la subir.
Pour toute la communauté internationale, notamment pour les pays membres du G20, l’urgence a été de garantir la stabilité du système financier. Toutefois, la France s’est démarquée dans la mesure où, dès le 2 octobre dernier, elle a adopté des mesures spécifiques pour soutenir les PME. Cette attention portée aux petites et moyennes entreprises a caractérisé l’action de notre pays durant toute cette période.
Le Gouvernement a bâti un véritable arsenal pour tenter de juguler la crise. Ainsi, un soutien financier de 27 milliards d'euros a été apporté aux PME et aux entreprises de taille intermédiaire, les ETI, reconnues par loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008. Un certain nombre d’orateurs ont rappelé que l’Allemagne comptait près de deux fois plus de ces entreprises moyennes que notre pays.
Par ailleurs, la médiation du crédit a été instaurée. Cette instance innovante, qui a été pérennisée au moins jusqu’à la fin de l’année 2010, a joué un rôle majeur à l’échelon local, monsieur Bourquin, un maillage ayant été mis en place pour accompagner les petites et moyennes entreprises. En outre, les compléments d’assurance-crédit publics ont été mis au point. Enfin, le Fonds stratégique d’investissement a été institué. Doté de 20 milliards d'euros, sa mission est de renforcer les fonds propres d’entreprises françaises.
Avec le plan de relance, jamais autant de moyens n’avaient été mobilisés en faveur des PME et des ETI. Cela suffit-il ? Assurément non. Vous avez été nombreux, mesdames, messieurs les sénateurs, à souligner les difficultés que connaissent vos territoires.
J’attire votre attention sur le fait que, selon une enquête de la Banque centrale européenne, les conditions de financement des entreprises par les banques sont globalement meilleures en France que dans les autres pays européens.
M. René-Pierre Signé. Cela reste insuffisant !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Devons-nous pour autant relâcher notre action ? Absolument pas !
Durant toute cette période, la nouveauté a consisté à agir à l’échelon local. Les médiateurs départementaux du crédit et les comités de suivi du financement de l’économie ont été mis en place dans l’ensemble des départements. Nous avons actionné tous les leviers disponibles : le FSI, bien entendu, mais aussi OSEO, qui, au cours de cette période, a acquis une place centrale dans le financement des petites et moyennes entreprises, qu’il s’agisse de la trésorerie, du crédit, par des cofinancements ou des garanties, ou des quasi-fonds propres après l’annonce récente du Président de la République.
M. René-Pierre Signé. Ce n’est pas ce qu’elles disent !
M. Thierry Foucaud. Nous avons des exemples !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Je n’en doute pas, on peut toujours en trouver ; je peux, pour ma part, vous donner des exemples de réussite, mais ce n’est pas ainsi que se juge une politique.
Je voudrais souligner un point qui n’a jamais été évoqué : le soutien en fonds propres apporté grâce au dispositif « ISF-PME », dont le succès a permis d’alimenter à hauteur de plus de 1 milliard d'euros le développement des fonds propres de nos PME.
Le 5 octobre dernier, le Président de la République a décidé de renforcer le haut de bilan des petites et moyennes entreprises et des ETI, à hauteur de 2 milliards d’euros : 1 milliard d'euros proviendra du fonds souverain à la française, le FSI, 1 milliard d'euros sera apporté en quasi-fonds propres par OSEO.
M. Fourcade a déploré avec raison la complexité du dispositif français. Le système de financement a du moins été simplifié, OSEO, né de la fusion de l’Agence nationale de valorisation de la recherche, l’ANVAR, de la Banque de développement des petites et moyennes entreprises, la BDPME, de la Société française pour l’assurance du capital-risque des PME, la SOFARIS, et de l’Agence de l’innovation industrielle, l’AII, étant désormais l’agence publique de financement des PME. Cette évolution me semble tout à fait pertinente.
Je précise que le milliard d’euros mobilisable auprès du Fonds stratégique d’investissement sera accessible au travers notamment de deux structures.
D’une part, le Fonds de consolidation et de développement des entreprises pourra mettre à la disposition des entreprises en médiation du crédit 200 millions d'euros –95 millions d'euros sont apportés par le FSI et 105 millions d'euros par les banques et les assureurs.
D’autre part, la souscription d’obligations convertibles est prévue, grâce à un montage juridique et financier « standardisé », avec engagement de réponse sous quatre semaines. Cela représentera 300 millions d'euros de quasi-fonds propres efficaces. Cette mesure répond à un besoin fort, car, en période de crise, les entreprises sont sous-évaluées.
Mme Goulet et M. Fourcade se sont plus particulièrement interrogés sur l’articulation entre les différents véhicules d’intervention publics, OSEO, le FSI et l’Agence des participations de l’État. En effet, il faut toujours veiller à canaliser notre esprit français, qui tend à créer naturellement, si j’ose dire, de la complexité !
Ces trois outils répondent à des objectifs différents.
Le FSI intervient exclusivement pour renforcer les fonds propres des entreprises, qu’elles soient petites, moyennes ou grandes, tandis qu’OSEO est la banque publique généraliste des PME et des ETI, dont l’action porte sur tous les segments du financement.
Quant à l’articulation entre l’APE et le FSI, elle est très claire : la mission confiée au FSI est différente de celle qui a été assignée à l’APE, laquelle gère un portefeuille de participations historiques de l’État comprenant une part importante de participations majoritaires. Le FSI a été créé, madame Bricq, pour prendre des participations au capital d’entreprises stratégiques pour l’économie française et présentant des besoins en fonds propres.
Mme Nicole Bricq. Justement !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Le Fonds stratégique d’investissement a pour vocation essentielle de réaliser des investissements minoritaires pour une durée limitée, même s’il est un investisseur de long terme. À ce titre, il investit aussi bien dans des PME de croissance ou dans des entreprises de taille moyenne présentant un potentiel de création de valeur, par le biais de la maîtrise de technologies innovantes ou de la construction de positions concurrentielles favorables, que dans de grandes entreprises ayant besoin de stabiliser leur capital.
L’APE, pour sa part, exerce son rôle d’actionnaire du FSI via sa participation aux réunions des organes de gouvernance de ce dernier aux côtés de la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services, la DGCIS, qui y apporte la vision industrielle de l’État. Madame Bricq, vous avez eu raison de souligner que la vision industrielle de la France ne se limitait pas à l’action du FSI.
Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas évident !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Le directeur général de l’APE et le directeur général de la DGCIS ont ainsi été nommés administrateurs du FSI.
Mme Goulet a fait allusion à la gouvernance du FSI et au rôle de la Caisse des dépôts et consignations. Sur cette question, il y a un avant et un après la loi de modernisation de l’économie.
En effet, la LME a renforcé les prérogatives de la commission de surveillance pour les décisions stratégiques et créé un comité des investissements. Elle a en outre élargi la composition de la commission de surveillance à des personnalités qualifiées indépendantes et renforcé les capacités de contrôle de celle-ci, qui peut notamment s’appuyer sur la commission bancaire pour améliorer la surveillance prudentielle du FSI.
Les deux actionnaires du FSI – la CDC détient 51 % des parts, l’État 49 % – ont porté une attention toute particulière à son mode de gouvernance, qui se situe au niveau des meilleurs standards de place actuels.
Ainsi, le FSI est administré par un conseil d’administration restreint de sept membres, équilibré entre les représentants de ses actionnaires, la CDC et l’État, et trois personnalités qualifiées aux compétences reconnues : Patricia Barbizet, Xavier Fontanet et Denis Kessler.
Les travaux du conseil d’administration sont préparés par des comités spécialisés auxquels participent les administrateurs du FSI, dans leur ensemble ou non. Il existe ainsi, au sein du FSI, trois comités permanents : un comité d’investissement, chargé de donner au conseil d’administration un avis sur les projets de prise de participation qui lui sont présentés, un comité d’audit et des risques et un comité des rémunérations et des nominations. À ces trois comités permanents s’ajoute un comité d’orientation stratégique, présidé par Jean-François Dehecq, rassemblant les représentants des entreprises et des entrepreneurs, les grandes confédérations syndicales et des personnalités qualifiées. Sa mission est d’être le gardien de la cohérence et des équilibres de la doctrine d’investissement, ainsi que des grandes orientations stratégiques du FSI.
En tant que filiale de la Caisse des dépôts et consignations, le FSI exerce ses activités sous le contrôle de la commission de surveillance de cette dernière, présidée par Michel Bouvard et où siègent également deux sénateurs et deux députés. En particulier, le FSI est auditionné tous les quinze jours par la commission de surveillance de la CDC. En outre, M. Bouvard, président de la commission de surveillance, est l’invité permanent des réunions du comité d’investissement du FSI.
S’agissant des débats sur le contrôle du FSI par le Parlement, La Tribune, quotidien généralement bien informé, indique ce matin que, selon M. Bouvard, ils seraient « infondés » : « Pendant ses sept premiers mois d’existence, explique-t-il, le FSI a fait des rapports tous les quinze jours à la commission de surveillance, laquelle n’a jamais rassemblé autant de parlementaires ». Informé a priori des décisions d’investissement du FSI, il affirme en outre n’avoir eu « à ce jour aucun point de désaccord sur les investissements qui ont été réalisés par l’équipe du FSI ». Ce témoignage montre que les parlementaires sont attentifs et jouent pleinement leur rôle de contrôle et de surveillance.
À ce propos, M. Fourcade a posé à juste titre le problème de la répartition des rôles. Je partage sans réserve son jugement sur ce point : il appartient aux parlementaires de contrôler, et non pas de gérer. La distinction doit être claire, car être à la fois juge et partie, contrôleur et acteur, mène immanquablement à des dérives.
Comme l’indique le rapport de la commission des finances du Sénat sur le projet de loi de finances rectificative pour 2009, « c’est dans ce cadre que les parlementaires représentant les deux assemblées au sein de la commission de surveillance devront exercer leur contrôle sur la stratégie et les investissements du FSI ».
Au cours du premier semestre, la commission des finances du Sénat a examiné l’organisation et la stratégie du FSI à l’occasion de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2009, qui a ouvert des crédits à hauteur de 3 milliards d’euros sur le budget général et sur le compte d’affectation spéciale « Participations financières de l’État », afin de permettre à l’État de remplir ses engagements envers le FSI.
En outre, le Parlement a naturellement la faculté d’interroger le Gouvernement sur la gestion du FSI, sur ses investissements et ses résultats, par le biais de questions écrites ou orales. Mme Goulet a parfaitement utilisé cette possibilité aujourd’hui. Le Parlement peut aussi auditionner directement le FSI, comme l’a déjà fait la commission des finances du Sénat, ainsi que l’Assemblée nationale, dans le cadre de l’évaluation du plan de relance.
Enfin, le député Bernard Carayon siège au sein du comité d’orientation stratégique du FSI, qui a pour mission d’assurer la cohérence et les équilibres de la doctrine d’investissement et des grandes orientations stratégiques du fonds. M. Carayon a été désigné pour cette fonction non pas en qualité de parlementaire, mais en raison de ses compétences éminentes en matière d’intelligence économique et de stratégie.
Le Parlement dispose donc des moyens lui permettant d’être associé à la définition de la stratégie du FSI et au contrôle de son action.
Certains ont fait allusion à l’exemple norvégien pour justifier que les décisions d’investissement du FSI soient soumises au Parlement. Or, à notre connaissance, aucun investissement du fonds souverain norvégien n’a été approuvé par le parlement national, et aucune discussion sur des dossiers précis n’y a eu lieu.
La gouvernance resserrée du FSI doit, en effet, lui permettre une grande réactivité – indispensable, surtout en période de crise –, ainsi que la confidentialité absolument nécessaire à l’exercice de sa mission, notamment pour ne pas fragiliser les sociétés cotées dans lesquelles le fonds est susceptible d’investir.
Par ailleurs, le FSI doit exercer la pleine et entière responsabilité de la gestion de ses actifs. Il ne saurait donc être question d’affaiblir cette responsabilité en substituant, même partiellement, un système de pilotage spécifique aux organes de direction du fonds.
J’en viens aux investissements du FSI.
Monsieur Biwer, le FSI peut décider d’investir dans des activités agricoles et des entreprises agroalimentaires, et il ne s’en privera pas si de tels investissements sont en cohérence avec sa stratégie.
Madame Bricq, la doctrine d’investissement du FSI, dont j’ai déjà donné les grandes lignes, a été affinée au fil des mois à la suite des multiples échanges avec le comité d’orientation stratégique du fonds. Ce processus a permis au FSI de trouver un bon équilibre, respectant à la fois sa mission d’investisseur avisé, soucieux de l’argent public, et la nécessité de prendre en compte les difficultés économiques actuelles. Le FSI n’est pas, cela est vrai, un fonds d’investissement comme les autres. Ses principes d’investissement sont publics et s’inscrivent dans la politique industrielle nationale définie globalement que j’évoquais tout à l’heure.
Le FSI a contribué à la création de fonds dédiés, notamment celui du secteur automobile, sur lequel M. Bourquin a insisté à juste titre. Le FMEA ne résulte pas de la seule initiative du FSI, puisque les constructeurs automobiles ont bien entendu apporté leur concours. La stratégie de ce fonds doit être précisée, notamment en matière d’investissement dans les sociétés sous-traitantes de deuxième rang. Le FSI est intervenu dans la mise en place d’autres fonds spécifiques, concernant en particulier les secteurs du bois ou des biotechnologies, ainsi que dans celle du fonds de consolidation.
En ce qui concerne l’action du FSI en direction des territoires ultramarins, monsieur Virapoullé, je me rendrai à la mi-novembre dans ces derniers avec Mme Marie-Luce Penchard, mon champ de responsabilité comprenant notamment le tourisme, secteur qui représente un fort enjeu pour l’outre-mer. Les états généraux de l’outre-mer ont mis en évidence un besoin en fonds propres des entreprises ultramarines. Je vous indique, monsieur le sénateur, que, en complément des dispositifs existants, le FSI et l’Agence française de développement, l’AFD, créeront un fonds commun de placement à risque pour les Antilles.
S’agissant du cas spécifique de Nexans, évoqué par MM. Foucaud et Lefèvre, il est vrai que l’investissement du FSI dans cette entreprise est intervenu alors même qu’un important plan de restructuration était annoncé. Cet investissement, d’un montant de 58 millions d’euros, a été réalisé sous la forme d’un rachat de titres sur les marchés financiers ; il ne s’est pas agi d’une injection d’argent frais dans l’entreprise, et l’on ne saurait donc prétendre que le FSI aurait en quelque sorte financé des plans sociaux. Le FSI a pour rôle d’accompagner Nexans dans son développement, les restructurations faisant partie, il faut bien le reconnaître, de la vie d’une entreprise. En tout état de cause, le FSI s’assurera que les ajustements que vous avez évoqués, messieurs les sénateurs – cela va d’ailleurs au-delà de simples ajustements dans certains bassins d’emploi –, ne seront opérés qu’en dernier recours et seront assortis de mesures d’accompagnement exemplaires, notamment sur les sites de Chauny et de Fumay.
Faut-il donner au FSI un rôle plus important en matière de sauvegarde de l’emploi, comme certains d’entre vous l’ont souhaité ?
La réalité économique fait qu’aucune entreprise ne saurait s’engager à ne jamais restructurer ses activités. Empêcher une entreprise d’adapter ses structures de production à des situations mouvantes aboutirait certainement à la condamner, et avec elle les emplois que l’on entendait protéger.
En revanche, les entreprises qui acceptent l’aide du FSI et par conséquent son intervention dans leur gouvernance savent que ses représentants seront particulièrement attentifs, plus que des investisseurs privés, à la motivation réelle et à la qualité d’éventuels plans sociaux.
Ce sujet est systématiquement abordé avant l’entrée du FSI dans le capital d’une entreprise, mais interdire au FSI d’entrer au capital d’entreprises fragilisées au motif qu’elles doivent lancer un plan social risquerait d’exposer ces dernières aux appétits d’autres actionnaires socialement moins responsables, ce qui aurait des conséquences sans nul doute plus négatives encore pour l’emploi.
Mme Goulet a interrogé le Gouvernement sur le processus décisionnel qui a conduit l’État à apporter des participations au FSI. Comme vous l’avez indiqué, madame la sénatrice, le rapport annuel sur l’État actionnaire dresse une présentation détaillée de cette opération.
L’apport de participations de l’État au FSI du 15 juillet 2009 sur lequel vous appelez notre attention porte sur 13,5 % du capital de France Télécom, 8 % du capital d’Aéroports de Paris et 33,34 % du capital de STX France. Le choix de telles participations minoritaires cotées s’est fait en accord avec la Caisse des dépôts et consignations. Cette opération constitue, de fait, un reclassement de titres au sein de la sphère publique. L’État a reçu une juste rémunération en contrepartie de son apport, sous la forme d’actions nouvellement émises par le FSI. Concernant les apports de la CDC, j’en tiens, monsieur Fourcade, la liste à votre disposition.
Pour conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à vous remercier de vos interventions. Il est très important que le Parlement joue son rôle de contrôle sur l’outil innovant qu’est le FSI. En moins d’un an, la gouvernance de ce dernier a été mise en place, le fonds a été doté, a réalisé 450 millions d’euros d’investissements directs et s’est engagé à hauteur de 650 millions d’euros dans des fonds spécifiques. Le FSI a également mis l’accent sur le financement des PME.
Dans un contexte de reprise que nous appelons tous de nos vœux, l’action du FSI se justifiera demain plus que jamais pour soutenir la croissance et stabiliser le capital d’entreprises stratégiques riches de compétences, de technologies et d’emplois précieux pour l’économie nationale. Nous pourrons ainsi, chose très importante en une telle période, accroître la compétitivité de notre pays. C’est cette préoccupation qui nous a guidés face à la crise que nous continuons d’affronter. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. En application de l’article 82 du règlement, chaque orateur peut, s’il le souhaite, utiliser une partie de son temps de parole pour répondre au Gouvernement.
La parole est à Mme Nathalie Goulet, auteur de la question.
Mme Nathalie Goulet. Je vous remercie de vos explications, monsieur le secrétaire d'État.
Comme l’a indiqué Mme Bricq, les interrogations sur la gouvernance du FSI proviennent du hiatus, qu’elle a mis en lumière, entre la vocation initiale de ce fonds, à savoir le soutien aux entreprises nationales, et le fait qu’il s’agit finalement d’un fonds souverain comme les autres. Nous pouvons être pleinement rassurés.
Je reste cependant quelque peu sur ma faim en ce qui concerne le comité d’éthique, notamment eu égard à la conditionnalité de certains investissements. Certes, je comprends que l’outil doit rester souple et réactif, je comprends également que les investissements doivent produire des intérêts financiers, néanmoins, péchant probablement par jeunesse, je pensais que les fonds publics devaient servir à protéger l’emploi.
Quoi qu’il en soit, nous exercerons notre vigilance lors de l’examen du projet de loi de finances et du projet de loi de finances rectificative et veillerons à ce que les investissements du FSI servent bien à renforcer la compétitivité de nos entreprises et à leur assurer un meilleur positionnement sur le plan international, car notre commerce extérieur est tout de même en mauvaise posture…
Personne ici n’a contesté l’intérêt du FSI, mais il m’a semblé qu’il convenait d’en préciser les contours et la gouvernance. C’est ce que vous avez fait aujourd'hui, monsieur le secrétaire d'État, et nous avons joué notre rôle de parlementaires en obtenant davantage d’explications que nous n’en avions eues initialement. Chacun a donc fait sa part du chemin, ce qui nous permettra de rassurer nos concitoyens, qui s’interrogent parfois sur la pertinence de l’utilisation de sommes extrêmement importantes. Nous suivrons avec beaucoup d’intérêt les investissements du fonds, qui doit rester un outil souple et réactif. Cela est indispensable pour nos entreprises. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le secrétaire d'État, le FSI est un fonds stratégique. J’aurais donc souhaité que vous nous éclairiez sur votre stratégie.
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. Aymeri de Montesquiou. Le Japon, voilà bien des années, est entré dans le monde industriel moderne en pratiquant le laser beaming, c'est-à-dire en se concentrant sur certains secteurs : la photographie, l’automobile, l’électronique, etc. Appliquerez-vous la même politique ou privilégierez-vous, au contraire, certaines entreprises dans certains secteurs ? Vous ne pouvez pas tout faire et devez donc choisir une stratégie : laquelle ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Monsieur de Montesquiou, le problème est celui de l’articulation entre les investissements du FSI et la définition stratégique de la politique industrielle.
Mme Nicole Bricq. Voilà !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Je vous demande un peu de patience, madame Bricq, car il serait paradoxal que l’on ne s’appuie pas sur les conclusions de la commission Juppé-Rocard, dite du « grand emprunt », qui a justement pour mission de déterminer les investissements d’avenir. Il nous reste donc encore quelques semaines à attendre : quand elle aura remis ses conclusions, nous croiserons les priorités assignées pour l’utilisation du grand emprunt avec les investissements stratégiques du FSI.
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Monsieur le secrétaire d'État, les parlementaires souhaitent être beaucoup plus étroitement associés, à l’échelon local, aux réunions hebdomadaires qui se tiennent en préfecture et aux réunions organisées en urgence lorsqu’une entreprise est en difficulté.
Par ailleurs, il conviendrait d’éviter que des aides publiques ne soient accordées quand il existe des projets de délocalisation. Il faut, au contraire, donner des primes à la relocalisation, faute de quoi nos compatriotes ne comprendront pas l’action du FSI.
Monsieur le secrétaire d'État, je n’ai pas entendu de votre part de réponse très claire sur ces points.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Sur le plan local, la situation est très variable, selon la décision du préfet d’associer ou non les parlementaires aux réunions.
Mme Nicole Bricq. Donnez-leur une instruction !
M. Hervé Novelli, secrétaire d'État. Non, madame Bricq, car tous les parlementaires ne s’impliquent pas au même degré sur ces questions, et la réalité est très diverse sur le plan local. J’ai suffisamment installé de comités locaux de suivi du financement pour le savoir : chaque préfet tient compte de la situation locale.
En ce qui concerne les délocalisations, monsieur le sénateur, il faut veiller à ne pas les diaboliser. La création d’activités hors de nos frontières peut avoir des effets bénéfiques, en retour, sur l’entreprise concernée. Il ne faut donc pas diaboliser a priori, comme vous semblez vouloir le faire, une démarche qui peut être nécessaire au développement des entreprises dans un schéma d’internationalisation bien compris. Bien sûr, il faut éviter de transférer à l’identique à l’étranger des activités auparavant exercées en France, mais cela n’est qu’une vision très partielle de la situation. L’internationalisation des entreprises doit s’apprécier de manière globale, en fonction de leur stratégie.
M. le président. La parole est à M. André Trillard.
M. André Trillard. Monsieur le secrétaire d'État, en tant que parlementaire de Loire-Atlantique, je puis témoigner de la grande satisfaction des habitants de mon département devant l’intérêt manifesté par l’État pour les filières aéronautique et navale.
Je pense très sincèrement que notre politique industrielle ne doit pas être définie dans le cadre d’un partenariat trop poussé avec les parlementaires. Mes chers collègues, je me souviens des Chantiers de l’Atlantique de la haute époque, quand des parlementaires promettaient la commande d’un bateau. En ce temps, les chantiers construisaient 0,8 bateau en moyenne, et cela coûtait cher à l’État. J’ai vécu la fin de l’ancien système et la mise en œuvre du plan Cap 21, qui a changé la logique de fonctionnement. Nous sommes alors passés à un rythme de construction de trois bateaux par an, exception faite de la période difficile que nous vivons actuellement. Je préfère donc une dynamique industrielle soutenue par l’État à une industrie dirigée…
M. le président. À titre exceptionnel, dans la mesure où il ne figure pas sur la liste des orateurs inscrits, et parce que l’intérêt de la question de Mme Goulet le justifie, je donne la parole à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, je vous suis infiniment reconnaissant et j’ai conscience de bénéficier d’un privilège. J’ai rejoint tardivement cet hémicycle, car je devais présider une réunion de la commission des finances, mais ne pas participer du tout à ce débat aurait été pour moi une véritable punition !
J’ai entendu évoquer la possibilité d’instaurer une prime aux relocalisations. Monsieur le secrétaire d’État, il ne s’agit pas, dans notre esprit, de diaboliser les délocalisations, mais de prendre conscience de la réalité de ce phénomène, que les discours officiels ont peut-être trop tendance à gommer.
Il s’agit d’ailleurs moins aujourd’hui de délocalisations que de « non-localisations ». Dans les entreprises, lorsqu’une ligne de production arrivait en fin de cycle, il était d’usage qu’une autre prenne le relais. Tel n’est plus le cas aujourd’hui : la nouvelle ligne de production démarre hors du territoire national, là où se trouvent les nouveaux marchés et d’où il sera facile d’exporter vers les vieux marchés, dont le nôtre.
Ce phénomène ne touche pas que l’industrie, monsieur le secrétaire d’État. Les grandes entreprises, celles de l’automobile ou de l’aéronautique, par exemple, externalisent les travaux de recherche et les confient à des cabinets d’ingénieurs. Les représentants d’une de ces sociétés étaient d’ailleurs assez gênés, lorsque je les ai reçus, à la veille de l’été, de m’exposer ce qu’ils subissaient, car ils prenaient ainsi le risque de perdre leurs marchés. Ils m’ont expliqué que leurs donneurs d’ordres les poussent maintenant à établir leurs cabinets en Europe centrale plutôt qu’en France, pour réduire les coûts.
Ces phénomènes existent, et vous verrez que nous sortirons de la crise que nous vivons actuellement – nous en sommes peut-être d’ailleurs déjà sortis – en ayant perdu une partie de notre potentiel de croissance. Nous devons donc prendre conscience de la nature des facteurs de compétitivité. Dans cette perspective, j’apprécie la réforme de la taxe professionnelle, mais je m’étonne que l’on introduise la valeur ajoutée dans son assiette, car la valeur ajoutée inclut les salaires.
Monsieur le secrétaire d’État, nous avons donc de vraies réformes à entreprendre pour rendre leur pleine compétitivité à nos entreprises et à nos territoires. Il s’agit non pas de diaboliser les délocalisations, mais de souligner qu’elles reflètent nos propres hésitations et nos retards à nous adapter, à nous transformer pour être compétitifs, qui font qu’aujourd’hui, certains pays ont des fonds souverains, et d’autres une dette souveraine ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Je suis d’accord avec M. le président de la commission des finances pour reconnaître que les délocalisations sont révélatrices des handicaps de compétitivité de nos territoires. Mais, au-delà de la réforme de la taxe professionnelle, notre action en matière de crédit d’impôt-recherche, par exemple, représente une avancée majeure.
Mme Nicole Bricq. On en reparlera !
M. Hervé Novelli, secrétaire d’État. Notre dispositif est aujourd’hui le plus important du genre de tous les pays de l’OCDE ! L’action du Gouvernement en faveur de l’innovation, qui est un des facteurs clés de la compétitivité, au-delà du travail et des investissements, a donc été forte. Je pourrais entrer dans le détail, mais c’est là un autre débat…. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. En application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à midi, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
5
Complément à l'ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, avant que nous commencions la séance des questions d’actualité au Gouvernement, et en complément aux conclusions de la conférence des présidents qui vous ont été communiquées hier soir, je tiens à vous confirmer officiellement que le débat sur l’Afghanistan, demandé par les groupe socialiste et CRC-SPG et dont nous avions retenu hier le principe, aura bien lieu le lundi 16 novembre prochain, dans le cadre d’une semaine sénatoriale.
Avec M. le ministre chargé des relations avec le Parlement, nous nous assurons de la présence de M. le ministre de la défense, M. Hervé Morin, et de M. le ministre des affaires étrangères et européennes, M. Bernard Kouchner, qui, nous l’espérons, pourra également participer à ce débat.
Lors de la prochaine conférence des présidents, qui aura lieu le 4 novembre prochain, nous préciserons l’horaire exact ainsi que les modalités pratiques de ce débat.
Je tiens à remercier le Gouvernement d’avoir répondu favorablement à cette demande de débat, dont chacun ici comprendra l’importance.
6
Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que l’auteur de la question de même que la ou le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes trente.
Comme vous pouvez tous le constater, nous avons cherché à faciliter la tâche des orateurs. (M. le président désigne les afficheurs chronomètres installés dans l’hémicycle.)
prix de l'énergie
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. Monsieur le président, mesdames, messieurs les membres du Gouvernement, les Français doivent savoir que leur prochaine facture d’électricité risque d’en faire sauter plus d’un au plafond ! (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.) En effet, le bouleversement du système tarifaire régulé de l’électricité opéré en plein mois d’août est tout, sauf innocent !
Qu’on en juge : l’abonnement pour certaines des plus petites installations augmentera de 172 %, et de 24 % pour celles dont la puissance est juste supérieure.
M. Guy Fischer. Scandaleux !
M. Roland Courteau. Nous sommes loin de l’esprit qui a prévalu lors de l’élaboration de la charte des services publics, laquelle stipulait que les prix ne devaient pas dépasser l’inflation !
Merci pour la charte !
Selon la Commission de régulation de l’énergie, cette révolution tarifaire fera grimper la facture, pour 78 % des petits consommateurs, dans une fourchette allant de 2 % à 15 %, tandis qu’elle diminuera celle des consommateurs qui disposent d’installations plus importantes.
Mme Michèle André. C’est sûr !
M. Guy Fischer. Merci, monsieur Gadonneix !
M. Roland Courteau. Les particuliers bénéficiant de tarifs bleus résidentiels de petite puissance auront à payer des factures d’autant plus élevées que leur consommation sera faible… et l’augmentation pourra être supérieure à 10 % !
En revanche, la facture baissera d’autant que la consommation s’élèvera.
C’est clair, les petits vont payer pour les gros ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.- Protestations sur les travées de l’UMP.)
Merci pour la crise ! Merci pour le cynisme ! Merci pour le Grenelle de l’environnement !
M. Guy Fischer. Voilà la réalité !
M. Christian Cointat. C’est toujours la même rengaine !
M. Alain Gournac. Changez de disque !
M. Roland Courteau. Ainsi, le thème des économies d’énergie reste cantonné aux estrades publiques !
Nous sommes bien loin de l’annonce d’une hausse de 1,9 % faite, en août dernier, par Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi !
En vérité, il s’agit là d’une révolution tarifaire sans précédent et d’une vraie cachotterie !
En fait, le Gouvernement était bien d’accord avec le président-directeur général d’EDF, lorsque celui-ci demandait une augmentation de 20 % des tarifs sur trois ans. Le seul tort de Pierre Gadonneix est d’avoir vendu la mèche aux Français !
Monsieur le ministre d’État, à quoi joue-t-on ?
M. le président. Il vous reste trente secondes, mon cher collègue !
M. Roland Courteau. Voulez-vous faire payer à l’usager certains choix industriels hasardeux d’EDF, tels que l’acquisition de British Energy ?
Préparerez-vous la fin des tarifs régulés, qui ne sont pourtant pas interdits par la Commission européenne ?
Souvenez-vous que c’est au nom de la baisse des tarifs d’électricité qu’un certain Nicolas Sarkozy avait ouvert le capital d’EDF en 2004 !
Tous ces faits exigent que vous fournissiez aux Français les explications qu’ils attendent, au même titre d’ailleurs qu’ils en attendent sur la non-application de la baisse des tarifs du gaz tant de fois annoncée ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. Je vous félicite, mon cher collègue, d’avoir respecté le temps de parole qui vous était imparti.
La parole est à M. le ministre d'État.
M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat. Monsieur Courteau, ce débat mérite clarté et précision.
M. Roland Courteau. C’est normal : l’énergie, c’est vital !
M. Didier Boulaud. Faites la lumière ! (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. René-Pierre Signé. Éclairez-nous !
M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État. Votre intervention recoupe, vous le savez bien, deux sujets, à savoir, d’un côté, les tarifs de l’électricité en France, avec toutes les nuances que l’on connaît pour les ménages et les consommateurs dits électro-intensifs et, de l’autre, la gestion de l’accès à l’énergie, c'est-à-dire, pour faire simple, le rapport Champsaur, à l’élaboration duquel ont participé des sénateurs de la majorité comme de l’opposition.
Les tarifs de l’énergie sont fixés de manière régulée, en fonction des catégories. Vous le savez, les prix ont suivi, à une exception près, une « pointe » qui a été l’affaire d’une journée, les tarifs régulés, lesquels sont directement liés aux coûts de l’exploitation, de l’entretien du parc et du transport.
Le rapport Champsaur prend en compte l’évolution à terme de notre marché. Il prévoit de permettre un accès à l’énergie ouvert à tous, producteurs et consommateurs, s’inscrivant dans un droit à la concurrence, à partir des prix réels de production, de renouvellement et d’exploitation.
D’ici à l’été prochain, nous reviendrons devant la Haute Assemblée pour examiner les conditions tout à la fois de l’ouverture et de la maîtrise des prix de l’énergie, mais je tiens d’ores et déjà à vous rappeler, monsieur Courteau, que la France a les prix les plus faibles d’Europe ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.- Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Guy Fischer. Vous n’avez rien répondu ! On sait que les prix vont augmenter !
M. Roland Courteau. Votre réponse est un peu courte !
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar. Il y a quelques jours, La Voix du Nord a publié une enquête sur l’état sanitaire du Nord – Pas-de-Calais destinée à mesurer l’évolution de la situation depuis mars 2007, date à laquelle ce journal avait publié sa première enquête sur le sujet.
Le constat était alors particulièrement accablant.
Classée vingt-deuxième sur vingt-deux au niveau national, la région se distinguait notamment par l’espérance de vie la plus faible de France, une surmortalité préoccupante, un manque criant de moyens et de personnels médicaux.
Le Président de la République, nouvellement élu, s’était ému de cette situation et avait fait part de sa volonté de « prendre le problème à bras-le-corps ».
Cependant, deux ans plus tard, la situation n’a guère évolué. Si quelques progrès ont été réalisés, notamment en matière de mortalité des moins de soixante-cinq ans, les écarts continuent à se creuser avec les autres régions françaises.
Malgré le dévouement des médecins, chirurgiens, infirmières, aides-soignantes, malgré un centre hospitalier régional universitaire très performant, malgré l’engagement déterminé des élus locaux et de tous ceux qui, au quotidien, agissent pour améliorer l’état sanitaire de cette région, la surmortalité y est aujourd’hui supérieure de 30 % à la moyenne nationale pour les femmes et de près de 40 % pour les hommes.
Pis encore, dans certains arrondissements, comme ceux de Lens ou de Valenciennes, la surmortalité atteint des taux record, dépassant largement 40 % pour les femmes et 50 % pour les hommes.
Manque historique de moyens médicaux ; pénurie de spécialistes et, désormais, de généralistes, avec 277 médecins, toutes catégories confondues, pour 100 000 habitants, contre 290 pour la moyenne nationale ; insuffisance des actions de prévention, de la médecine scolaire, universitaire et de la médecine du travail, tels sont les facteurs qui peuvent expliquer la dramatique situation sanitaire de la population du Nord - Pas-de-Calais.
En plaidant pour ma région, je plaide également en faveur de tous ces territoires en déshérence où l’effort de l’État dans le domaine de la santé demeure par trop insuffisant, quand il ne régresse pas. Il s’agit en général de secteurs où la fracture sociale est plus importante qu’ailleurs.
Il est donc temps que le Gouvernement prenne enfin des mesures inégalitaires en faveur d’une région qui compte plus de quatre millions d’habitants, afin qu’elle puisse rattraper au minimum son retard sur les autres régions françaises. Ce ne serait que justice !
Et, puisque je veux chanter La Marseillaise pour toute l’Humanité, je tiens à vous dire notre émotion, et à élever une protestation, après le renvoi en Afghanistan, en pleine guerre et en plein chaos, de trois citoyens de ce pays. (Marques d’impatience sur les travées de l’UMP.)
Les droits de l’homme si chers à la France et auxquels vous affirmez vous-même être très sensible, madame la secrétaire d’État, ont été honteusement bafoués et outragés ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des sports. Monsieur le sénateur, Mme Bachelot-Narquin, en déplacement, vous prie d’excuser son absence et m’a demandé de vous apporter la réponse suivante.
La région du Nord-Pas-de-Calais connaît, il est vrai, une problématique de santé spécifique. Je tiens d’ailleurs à souligner que Mme la ministre s’est rendue à de nombreuses reprises, depuis sa prise de fonction, dans votre département, monsieur le sénateur.
L’effort de la nation en faveur de la région Nord - Pas-de-Calais est particulièrement important en termes de moyens financiers.
Ainsi, à titre d’exemple, les ressources de l’assurance maladie affectées au financement des établissements de santé de la région se sont élevées, en 2008, à un peu plus de 4 milliards d’euros. Rapportés à la population, ces budgets placent le Nord - Pas-de-Calais dans la moyenne haute à l’échelle nationale.
Le plan Hôpital 2012, dont l’objet est d’aider les établissements de santé à financer leurs projets d’investissement, que ce soit dans le domaine immobilier ou dans les systèmes d’information, constitue un autre exemple de l’effort consenti.
L’objectif d’investissement relatif à la première tranche de ce plan a été fixé à près de 300 millions d’euros. Or le ministère de la santé a souhaité participer à ces projets au taux maximum autorisé par la loi, soit à hauteur de 50 %, ce qui correspond à près de 150 millions d’euros d’aide.
Concernant l’accès de la population aux examens d’imagerie, je tiens à rappeler quelques chiffres.
La région Nord - Pas-de-Calais dispose de 78 scanners autorisés, soit 1,93 scanner pour 100 000 habitants, étant précisé que la moyenne nationale s’établit à 1,37.
M. Alain Gournac. Tout est dit !
M. René-Pierre Signé. Les scanners ne guérissent personne !
Mme Rama Yade, secrétaire d'État. Par ailleurs, la région compte 54 machines d’IRM autorisées, ce qui correspond à 1,33 équipement pour 100 000 habitants, contre 0,74 au niveau national.
L’accès des habitants du Nord - Pas-de-Calais aux équipements hospitaliers est donc de qualité.
Enfin, au sujet de la démographie médicale,…
M. le président. Il vous reste trente secondes, madame la secrétaire d’État.
Mme Rama Yade, secrétaire d'État. … le numerus clausus attribué à cette région a été multiplié par deux depuis 1999. Le nombre de postes ouverts à l’internat, qui s’élevait à 295 en 2005, a atteint 431 à la rentrée 2009-2010.
De manière générale, le Gouvernement conteste donc l’affirmation selon laquelle il ne consacre pas assez de moyens aux hôpitaux. D’ailleurs, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, les ressources de l’assurance maladie consacrées au financement des hôpitaux ont augmenté de 3,1 %.
De plus, dans la loi « Hôpital, patients, santé et territoire » ont été créées les agences régionales de santé afin de prendre en compte les difficultés locales. C’est même tout l’esprit de cette réforme.
M. Guy Fischer. Alors, tout va bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui, tout va très bien…
Mme Rama Yade, secrétaire d'État. Il n’y a donc aucune raison de penser que la région Nord - Pas-de-Calais est exclue de la réforme.
Au contraire, nous nous rejoignons sur le constat d’une impérieuse nécessité d’adapter les politiques publiques aux particularismes des régions. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. - M. Aymeri de Montesquiou applaudit également.)
engagement des forces françaises en afghanistan
M. le président. La parole est à M. André Trillard. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. André Trillard. Ma question concerne la situation en Afghanistan.
La semaine dernière, un journal britannique affirmait – sans aucun scrupule et sans le moindre respect – que des soldats italiens combattant en Afghanistan sous l’égide de l’OTAN avaient payé des talibans dans la zone de Saroubi et de Kapisa pour maintenir la paix. Je rappelle que c’est précisément dans cette région que les forces françaises ont, en août 2008, relayé les forces italiennes et que dix soldats français ont trouvé la mort.
Toujours selon ce journal, ces pratiques auraient conduit à une mauvaise évaluation des risques, que nos soldats auraient payée de leur vie.
Ces prétendues révélations sont graves. Elles sont une insulte à nos soldats et aux forces de l’OTAN, qui travaillent ensemble pour le rétablissement de la paix.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens à rendre hommage, devant vous tous, à la mémoire de ces soldats, et je salue le courage et le professionnalisme de ceux qui, sur place, n’ont nul besoin de telles allégations !
À l’heure où les forces de l’OTAN mettent en place des opérations de tutorat, les OMLT, ou Operational Mentoring and Liaison Team, pour former les soldats afghans et rendre totalement autonome l’armée afghane, ces affirmations, qu’elles soient fondées ou non, discréditent les forces internationales face aux talibans, nuisent à leur mission, qui est suffisamment rude, et confortent les talibans dans leurs motivations anti-occidentales.
Il est facile de faire la « une » des journaux à des milliers de kilomètres des combats, mais a-t-on pensé aux conséquences ? Depuis 2001, l’Afghanistan, pays en guerre, essaie de retrouver la voie de la démocratie et de la liberté. Et cela serait impossible sans les forces de l’OTAN au sein desquelles, rappelons-le, nos soldats se battent contre le terrorisme.
Qu’ils soient Italiens, Français ou Américains, aucun de ces soldats n’a à subir de telles insultes.
Alors, monsieur le secrétaire d'État, une semaine après le redéploiement des OMLT françaises dans la région de Saroubi, pouvez-vous nous dresser un point de situation sur l’action de nos soldats et nous faire le bilan de la coopération avec l’armée afghane ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Monsieur Trillard, je vous prie de bien vouloir excuser mon collègue Hervé Morin, qui est retenu aujourd’hui par une rencontre des ministres de la défense de l’OTAN, à Bratislava, en Slovaquie.
M. René-Pierre Signé. On s’en était aperçu !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. Vous venez de faire allusion aux révélations d’un journal britannique. J’étais à Rome lundi et mardi, et je me suis expliqué clairement devant la presse italienne et devant nos homologues italiens.
Je juge totalement détestables les spéculations de la presse sur l’hypothèse selon laquelle des militaires italiens auraient acheté la non-belligérance des talibans.
J’ai redit notre solidarité envers le contingent italien, qui compte plus de 3 000 hommes et qui, comme tous les autres contingents européens, se bat avec courage dans des conditions particulièrement difficiles. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Nous avons besoin de plus d’Europe, nous n’avons pas besoin de nous tirer les uns sur les autres, si j’ose dire, par voie de presse ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Comme je l’ai indiqué, je n’entends pas du tout remettre en question la parole du gouvernement italien, qui a formellement démenti ces informations. Nous faisons confiance au gouvernement de Rome. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Sur le fond, comme l’a dit le Président de la République, il nous faut rester en Afghanistan pour gagner non contre l’Afghanistan, mais pour l’Afghanistan, car, si nous partons, c’est le Pakistan, puissance nucléaire, qui sera menacé.
Nous sommes tous engagés là-bas pour lutter contre le terrorisme et permettre la reconstruction d’un pays ruiné par trente années de guerre. C’est le sens du message délivré par Bernard Kouchner, la semaine dernière, à Kaboul, où, avec les États-Unis, nous avons su convaincre le président Karzaï d’appliquer la Constitution en acceptant un second tour pour l’élection présidentielle.
S’agissant de notre déploiement militaire, à partir du mois prochain, notre dispositif sera beaucoup plus robuste dans la région Est, qui verrouille l’accès à Kaboul.
L’objectif est de concentrer nos efforts pour la sécurité et le développement dans la zone de Kapisa-Saroubi. Ce sera notamment le cas avec le déploiement d’une force de gendarmerie française pour former les forces de sécurité afghanes.
Enfin, comme l’a dit tout à l’heure le président Larcher, des explications plus détaillées vous seront données le 16 novembre par le ministre de la défense. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
réforme des collectivités territoriales
M. le président. La parole est à M. François Fortassin. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. François Fortassin. En l’absence de M. le Premier ministre,…
M. René-Pierre Signé. Il ne vient plus !
M. François Fortassin. … ma question s’adresse à M. le ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire.
Les différents projets de loi constituant la réforme des collectivités territoriales, qui ont été adoptés hier en conseil des ministres, notamment la suppression de la taxe professionnelle, ont suscité une vive émotion.
En supprimant d’abord les recettes avant d’aller plus loin dans la réflexion, on donne le sentiment que l’on a mis la charrue devant les bœufs.
M. Guy Fischer. Très bien !
M. François Fortassin. Au demeurant, cette incohérence du calendrier a été reconnue par certains de vos amis, monsieur le ministre, qui ont déclaré que l’on se moquait du monde.
Mme Nicole Bricq. Ah ça, oui !
M. François Fortassin. La préparation du budget des collectivités pour 2010 va être dominée par deux points essentiels.
Tout d’abord, la suppression de la taxe professionnelle. Plus qu’une amputation fiscale, c’est une rupture qui risque d’être irrémédiable entre les entreprises et les territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est sûr !
M. François Fortassin. Ensuite, avec des recettes identiques en 2010 par rapport à 2009, l’augmentation des dépenses obligatoires - RSA, APA, SDIS, APAH - va peser sur les « impôts ménages ». (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. François Fortassin. En période de crise, c’est absolument insupportable !
J’en viens au second point fondamental de la réforme en question.
Les conseils généraux, entre autres, pourront-ils continuer à aider les communes, notamment celles qui sont les plus défavorisées, les plus démunies ? (Oui ! sur les travées de l’UMP. - Non ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Par ailleurs, le chef de l’État a stigmatisé l’usure des élus locaux, qui ont pourtant géré en bonne intelligence et en pères de famille, ce qui a évité l’accumulation des dettes,...
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. François Fortassin. ... alors que les athlètes fringants, racés, à l’imagination débordante et fertile qui pilotent les finances de l’État nous ont amenés à la ruine !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument !
M. François Fortassin. Je citerai un seul exemple, celui du conseil général des Hautes-Pyrénées, que j’ai eu l’honneur de présider pendant seize ans : la dette est égale à celle de 1992 ! L’État ne peut pas en dire autant, lui dont la dette n’a cessé d’augmenter ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. - Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Veuillez terminer, monsieur Fortassin !
M. François Fortassin. Je termine par deux questions très rapides, monsieur le président. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
Monsieur le ministre, le blocage des recettes va-t-il entraîner de votre part le blocage des dépenses ?
M. le président. Mon cher collègue, vous avez dépassé votre temps de parole de quarante secondes !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais il a raison et c’est intéressant. Alors, écoutons-le ! En plus, cela vous concerne aussi !
M. François Fortassin. Que comptez-vous faire, monsieur le ministre, pour que la solidarité territoriale perdure dans ce pays ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. - Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire.
M. Didier Boulaud. En l’occurrence, c’est le « déménagement » du territoire !
M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire. Cher François Fortassin (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP), j’ai bien compris votre question. Peut-être suis-je même l’un des seuls à l’avoir bien comprise ! (Sourires.)
M. Yvon Collin. Merci !
M. Michel Mercier, ministre. Avant de vous répondre, permettez-moi tout d’abord d’excuser M. le ministre de l’intérieur. Vous n’aurez que moi pour vous répondre, ce que je vais essayer de faire le mieux possible. (Nouveaux sourires.)
Selon vous, supprimer la taxe professionnelle revient à mettre la charrue devant les bœufs.
Comme vous, je suis élu local et j’ai toujours considéré que mon premier rôle était de créer des emplois.
M. René-Pierre Signé. Mais vous êtes ministre !
M. Michel Mercier, ministre. Monsieur Signé, de vous voir si visiblement en forme me rassure toujours ! (Sourires.)
En tant qu’élu local, moi qui ai toujours voulu créer des emplois dans ma commune et dans mon département, je sais que la taxe professionnelle est un handicap.
Mme Nicole Bricq. Démontrez-le !
M. Michel Mercier, ministre. Aujourd’hui, le Gouvernement propose de la supprimer et de mettre en place un nouvel impôt économique plus juste, plus efficace (Applaudissements sur les travées de l’UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG),...
M. Robert Hue. Encore un impôt !
M. Michel Mercier, ministre. ... et respectant les activités de production, ce que précisément nous recherchons. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Pierre Bel. Qui va payer ?
M. Michel Mercier, ministre. Monsieur Bel, nous cherchons à faire en sorte qu’il soit possible dans notre pays de travailler et de produire.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Comment travailler sans emploi ?
M. Michel Mercier, ministre. Nous voulons d’abord lutter contre les délocalisations, c’est notre rôle à tous ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et ceux qui ne peuvent pas travailler ?
M. Robert Hue. Vous retournez votre veste !
M. David Assouline. Vous n’y croyez pas vous-même !
M. Michel Mercier, ministre. Tel est l’objet de la suppression de la taxe professionnelle.
Nous conservons un impôt économique au profit des collectivités locales, car il faut garder un lien entre l’activité économique et les collectivités territoriales.
M. Guy Fischer. Les ménages paieront !
M. Michel Mercier, ministre. Cela se fera dans la loi de finances. L’Assemblée nationale travaille sur le sujet. Le Sénat apportera sa pierre. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Je suis sûr qu’en diminuant l’impôt sur les entreprises, en gardant le lien avec les collectivités locales, nous travaillerons à maintenir une activité économique forte dans notre pays.
Quant aux conseils généraux, ils continueront à aider les communes, compétence qu’ils tiennent de la loi Rocard de 1982 (Exclamations sur les travées de l’UMP), qui n’est pas remise en cause. Les conseils généraux continueront à être les animateurs du territoire rural avec l’ensemble des communes. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
réforme des collectivités territoriales
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme vous le savez, les 22 et 23 septembre, les élus départementaux réunis en congrès à Clermont-Ferrand, donc en Auvergne, ont exprimé leur inquiétude sur l’avenir de nos départements.
Auront-ils encore une raison d’être et des moyens d’exister demain, après la réforme des collectivités territoriales ?
M. Guy Fischer. Oh non !
M. Jean Boyer. Mardi, à Saint-Dizier, le Président de la République a voulu rassurer.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n’y est pas parvenu !
M. Jean Boyer. Toutefois, certaines craintes subsistent que je résume avec cette question fondamentale : veut-on toujours entendre les messages de la France rurale, de la France d’en-bas, celle des territoires ? (Non ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Les élus comprennent mal, car, demain, ils seront mis au pied du mur, et l’on peut dire qu’il manquera à ce mur bien des pierres !
M. René-Pierre Signé. C’est le mur des Fusillés !
M. Jean Boyer. Aujourd’hui, l’économie est certes ébranlée, sinistrée. La crise est devenue sociale.
Dans ce contexte difficile, monsieur le ministre, fallait-il vraiment aborder un sujet qui ne semblait pas urgent ?
Oui, l’inquiétude est à la fois actuelle et future.
Elle est actuelle, car nous constatons la disparition progressive de tout mécanisme de péréquation pour les départements en zone difficile. Je ne veux pas grossir le trait, car il faut rester objectif, mais le problème est inquiétant. Dans ce domaine, je pourrais d’ailleurs, comme vous, citer des exemples.
Mais nous nous interrogeons aussi sur le futur. Nous redoutons très fortement que notre vouloir ne puisse se transformer en pouvoir dans un système où le fonctionnement consommerait tous les crédits, particulièrement en matière d’action sociale. Dans nos départements, les décisions modificatives du budget 2009 ont déjà été très difficiles !
Que faire avec plus de dépenses et moins de recettes ?
M. le président. Vous ne disposez plus que de trente secondes, monsieur Boyer !
M. Jean Boyer. En continuant dans cette direction, les départements ne sont-ils pas condamnés à ne faire que du social, compromettant l’équilibre de nos territoires ?
Monsieur le ministre, il faut clarifier la situation afin d’en finir avec les interrogations présentes et sortir du brouillard actuel : les élus communaux et départementaux veulent savoir ce qu’ils auront à faire demain et avec quels moyens.
M. Robert Hue. Les moyens auront disparu !
M. Jean Boyer. Comme cela a été dit, nous ne connaissons ni la nature, ni le redéploiement de la TP. Les maires aussi s’interrogent.
M. Dominique Braye. La question !
M. Jean Boyer. Nous ne connaissons ni la nature, ni les bases d’autres recettes fiscales. Nous ne connaissons ni la place, ni la raison d’être d’un conseil général dans un ensemble bouleversé, mais toujours compliqué.
Monsieur le ministre, je vous remercie des réponses que vous pourrez nous apporter. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire. Monsieur Boyer, je vous prie d’excuser M. Hortefeux, ministre de l’intérieur, qui ne peut pas être parmi nous aujourd'hui. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Cela commence à faire beaucoup !
M. Michel Mercier, ministre. Monsieur Boyer, je peux comprendre que vous vous inquiétiez, et vos questions sont légitimes. Je vais donc vous apporter plusieurs éléments de réponse qui figurent dans le projet déposé récemment…
M. le président. Hier !
M. Michel Mercier, ministre. … sur le bureau du Sénat par le Gouvernement et qui correspondent à la stricte vérité.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vérité pas vraiment bonne à dire !
M. David Assouline. Embarrassante !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est sûr : celui de supprimer les communes et les départements !
M. Michel Mercier, ministre. On pouvait supprimer un échelon. Le Gouvernement a confirmé l’utilité de tous les échelons administratifs, mais il a fait le choix de l’efficacité pour les collectivités locales.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est faux !
M. Michel Mercier, ministre. Il y a un couple commune/intercommunalité, un couple département/région, un couple État/Europe.
Nous avons donc choisi de conserver tous les niveaux d’administration, mais de rapprocher le département et la région à travers le conseiller territorial. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. David Assouline. Impossible !
M. Michel Mercier, ministre. Je veux dire à tous les élus que, quel que soit leur avis sur le conseiller territorial, il apparaît à l’évidence que ce dernier sera demain un élu local puissant, car il disposera des moyens et du département et de la région. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Le projet de loi ne porte donc pas atteinte à la décentralisation ; au contraire, il la renforce. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. - Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Monsieur Signé, vous auriez dû faire voter un tel texte depuis longtemps ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Quant aux mécanismes de péréquation, laissez-moi vous dire que le fondement de la réforme de la taxe professionnelle est d’abord la lutte contre les délocalisations et ensuite l’assurance d’une plus grande équité fiscale entre les territoires !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous voulez nous faire prendre des vessies pour des lanternes !
M. David Assouline. Vous n’y croyez même pas !
M. Michel Mercier, ministre. Le système, tel qu’il est bâti, permet une péréquation importante, qui sera assurée par la deuxième part du nouvel impôt local. Cela devrait vous rassurer, monsieur Boyer.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est la méthode Coué !
M. Michel Mercier, ministre. Les conseillers territoriaux de la Haute-Loire auront, demain, le pouvoir et les moyens d’agir pour le développement des territoires ruraux. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste - Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Personne n’y croit !
création de deux nouveaux fichiers de renseignements
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, mes chers collègues, je m’adresse en cet instant à M. le ministre de l’intérieur. (Plusieurs sénateurs socialistes s’étonnent de son absence.)
Monsieur le ministre de l’intérieur, nous sommes indignés (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP) par le renvoi de personnes, d’êtres humains, en Afghanistan.
Monsieur le ministre de l’intérieur, en quoi cela est-il nécessaire à la sécurité de la France ? Pouvez-vous garantir la sécurité de ces personnes, de ces êtres humains, là-bas ? En quoi cela est-il conforme à l’idée que nous nous faisons de la France, de son image et de son rayonnement dans le monde ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Christian Cointat. Le gouvernement britannique – un gouvernement socialiste - a pris la même décision !
M. Dominique Braye. Accueillons donc toute la misère du monde !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre de l’intérieur, vous avez publié dimanche dernier deux décrets.
Nous le savons, il faut lutter contre la violence organisée et contre le terrorisme, en utilisant les moyens à notre disposition, donc le renseignement. Mais une telle nécessité ne justifie pas les décrets que vous avez publiés en catimini dimanche, alors que Mme Alliot-Marie s’était engagée à encadrer par la loi les futurs décrets sur les fichiers.
Je rappelle qu’une proposition de loi relative aux fichiers de police de Mme Batho et M. Bénisti a été adoptée à l’unanimité par la commission des lois de l’Assemblée nationale. Un accord avait pu être trouvé pour prévoir un encadrement législatif sur ces questions si importantes.
Monsieur le ministre de l’intérieur, en quoi est-il nécessaire, pour la sécurité, de ficher les opinions politiques, syndicales, religieuses et philosophiques des citoyens ?
Madame la secrétaire d’État chargée des sports, en quoi est-il nécessaire de connaître les opinions religieuses et philosophiques des dirigeants sportifs, puisque ces mentions figurent dans les décrets ?
M. Guy Fischer. C’est scandaleux !
M. le président. Vous n’avez plus que trente secondes, mon cher collègue !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre de l’intérieur, hier, mercredi, à l’Assemblée nationale, vous vous êtes dit prêt à organiser un débat parlementaire sur ces décrets. Cela ne vous a pas empêché de les publier le dimanche précédent.
Ma question est donc très simple : allez-vous retirer ces décrets ? (Non ! sur les travées de l’UMP.)
Mes chers collègues, nous en sommes en droit d’avoir un débat parlementaire sur ces questions, qui relèvent de la loi !
M. Dominique Braye. Non !
M. Jean-Pierre Sueur. J’attends une réponse précise à cette question précise. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Marie-Luce Penchard, secrétaire d'État chargée de l'outre-mer. Monsieur Sueur, en l’absence du ministre de l’intérieur, que mon collègue Michel Mercier a déjà excusé (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.), il me revient de répondre à votre question, qui, en réalité, est double, puisqu’elle porte à la fois sur le fond et sur la méthode.
Sur le fond, la question est de savoir si nous devons, oui ou non, être capables d’anticiper les atteintes à la sécurité publique en donnant à la police nationale les moyens de travailler efficacement et en nous appuyant sur des renseignements fiables enregistrés dans des bases de données parfaitement contrôlées, en toute transparence et dans le respect des libertés. À cette question, la réponse est « oui ». (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Yannick Bodin. Répondez à la question posée !
Mme Marie-Luce Penchard, secrétaire d'État. Cette position de bon sens est d’ailleurs partagée par des responsables venus de vos rangs, comme le député-maire de Poitiers ou l’ancien Premier ministre Laurent Fabius, qui se sont tous deux exprimés en ce sens après les violences survenues à Poitiers. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Dominique Braye. Très bien !
M. David Assouline. Cela n’a rien à voir !
Mme Marie-Luce Penchard, secrétaire d'État. En effet, comme votre collègue Jean-Pierre Chevènement l’a déclaré, il est nécessaire de donner à la police un certain nombre de moyens.
À cet égard, monsieur le sénateur, les fichiers sont tout à fait essentiels.
M. Yannick Bodin. Il y a un Parlement, en France !
Mme Marie-Luce Penchard, secrétaire d'État. Oui, les fichiers sont essentiels en ce qu’ils permettent de respecter l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui consacre le droit à la sûreté au même titre que le droit à la liberté. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.)
M. Jacques Mahéas. Ce n’est pas la réponse à la question posée !
M. Jean-Pierre Sueur. Cela ne relève pas de la loi ?
Mme Marie-Luce Penchard, secrétaire d'État. C’est pourquoi le Premier ministre et le ministre de l’intérieur ont créé deux nouvelles bases de données, l’une pour lutter contre les bandes, les hooligans, et l’autre pour vérifier que les personnes souhaitant exercer des métiers liés à la sécurité ne représentent pas une menace à ce titre.
M. Jacques Mahéas. Lamentable !
Mme Marie-Luce Penchard, secrétaire d'État. Le Gouvernement a veillé, très précisément, à ne pas reproduire dans ces bases ce qui avait pu poser problème l’année dernière.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est la même chose ! Le nouveau fichier concerne aussi les responsables politiques et syndicaux !
M. Guy Fischer. C’est scandaleux !
Mme Marie-Luce Penchard, secrétaire d'État. Le Gouvernement l’a déjà dit, EDVIGE est mort et n’a pas été ressuscité. (Protestations continues sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Je vous prie de conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Marie-Luce Penchard, secrétaire d'État. Notre méthode a été parfaitement transparente et respectueuse, à l’égard tant du droit que des institutions.
M. Robert Hue. Baratin !
Mme Marie-Luce Penchard, secrétaire d'État. Les deux décrets ont été approuvés par la CNIL et par le Conseil d’État.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le Parlement, on s’en moque !
M. Didier Boulaud. Vous ne faites que lire un papier ! Cela n’a aucun intérêt !
Mme Raymonde Le Texier. Et le Parlement ?
Mme Marie-Luce Penchard, secrétaire d'État. Le Gouvernement a veillé à ce qu’ils soient également soumis au groupe de contrôle présidé par Alain Bauer, qui compte notamment des représentants des associations de lutte contre les discriminations telles que la LICRA.
M. le président. Veuillez maintenant conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Marie-Luce Penchard, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, pourquoi cette méthode serait-elle mauvaise, alors que c’est précisément celle qui avait été suivie en 1991 par le gouvernement socialiste, quand François Mitterrand était Président de la République ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Dominique Braye. Vous êtes pris la main dans le sac !
M. Didier Boulaud. Lamentable !
M. le président. Concluez, madame la secrétaire d’État !
M. Yannick Bodin. Et le Parlement ? Il y a bien un Parlement, en France !
Mme Marie-Luce Penchard, secrétaire d'État. Le Gouvernement, naturellement, est tout à fait prêt à engager un débat parlementaire sur les conditions dans lesquelles ces bases de données seront encadrées et contrôlées. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Pierre Sueur. Vous n’avez apporté aucune réponse !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Marie-Thérèse Hermange. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, a su très vite se saisir de la question des addictions. C’est pour prévenir le risque d’un véritable phénomène collectif lié à la consommation chez les jeunes de gamma-butyrolactone, dit GBL, que le groupe UMP souhaite intervenir aujourd’hui.
En effet, il suffit d’écouter les cliniciens des services d’addictologie d’hôpitaux comme Beaujon, qui sont confrontés tous les jours aux personnes subissant les effets secondaires de cette drogue, pour saisir l’urgence de la situation. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
Le GBL est un produit chimique utilisé dans l’industrie comme solvant à peinture, résine époxy ou nettoyant pour les voitures. Dans la mesure où il est en vente libre ou accessible sur internet, nous n’avons aucune visibilité quant à sa consommation réelle. Il m’a suffi d’entrer les termes « solvant GBL » dans un moteur de recherche pour obtenir, sans autre avertissement, au moins trois offres promotionnelles sur ce produit !
Adopté comme drogue par certains jeunes, le GBL est d’un usage difficile à endiguer : le produit ne se « deale » pas, il est bon marché et apprécié pour l’impression de convivialité qu’il donne à ses consommateurs.
Or il arrive que le GBL, transformé automatiquement par l’organisme en GHB, ou acide gamma-hydroxybutyrate, conduise à des intoxications nécessitant des hospitalisations, dont certaines en réanimation, car l’euphorie suscitée peut se transformer en coma profond, coma banalisé et considéré comme partie intégrante de la prise de GBL.
M. René-Pierre Signé. Que fait Hortefeux ?
Mme Marie-Thérèse Hermange. Ce sujet ayant uniquement fait l’objet d’un communiqué de presse des autorités sanitaires le 24 septembre dernier, le groupe UMP voudrait connaître la position du ministère de la santé en la matière. A-t-il l’intention, dans le cadre de sa politique active de lutte contre la drogue, de suivre l’exemple de certains pays européens, d’une part, en instaurant des mesures de surveillance conformément à notre législation de contrôle des drogues et, d’autre part, en renforçant la communication pour dénoncer les graves dangers qui sont liés au détournement du GBL ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Rama Yade, secrétaire d'État chargée des sports. Madame la sénatrice, vous avez bien voulu appeler l’attention de Mme la ministre de la santé et des sports sur les risques liés au GBL. Je vous prie de nouveau de bien vouloir excuser ma collègue, qui est en déplacement.
M. David Assouline. Il n’y a que des absents aujourd’hui !
Mme Rama Yade, secrétaire d'État. Mme Roselyne Bachelot-Narquin m’a donc demandé de bien vouloir vous transmettre les informations suivantes.
Le gamma-butyrolactone, ou GBL, est un solvant chimique huileux, incolore et pratiquement inodore, largement utilisé par l’industrie, notamment comme solvant. L’accès au produit est donc effectivement aisé et peu coûteux.
Or le GBL peut être détourné de son usage initial pour être utilisé comme une drogue. Ingéré, il se transforme en une autre substance, le GHB – nommée par les médias « drogue du violeur » –, dont les effets vont de l’euphorie à des situations de désinhibition pouvant conduire à des prises de risques sexuels et même fragiliser les consommateurs face à des agresseurs sexuels.
Au-delà de ces risques déjà majeurs, cette drogue est également très dangereuse pour la santé. Un dosage infinitésimal suffisant à obtenir des effets, le surdosage est, par conséquent, facilement atteint, qui peut entraîner malaise, coma, dépression respiratoire et même décès.
En début d’année, une dizaine d’adolescents ont été hospitalisés à la suite de la consommation de GBL. Le premier décès observé en France est survenu il y a quinze jours. Enfin, la consommation de ce produit peut conduire à une réelle dépendance physique. Or son utilisation, courante et variée, rend très difficile, voire impossible, son classement en tant que stupéfiant, donc son interdiction.
C’est la raison pour laquelle toutes les pistes doivent être étudiées pour limiter l’usage du GBL. Ce matin même, le point était à l’ordre du jour de la Commission nationale des stupéfiants et des psychotropes, qui siège au sein de l’AFSSAPS, pour les identifier.
Même si la consommation de GBL n’est pas en augmentation, soyez assurée, madame la sénatrice, que le Gouvernement restera particulièrement attentif et vigilant. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. David Assouline. Et que fait-on dans l’immédiat ?
M. le président. La parole est à M. Alain Gournac. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Gournac. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d’État chargé des transports.
M. René-Pierre Signé. Il n’est pas là !
M. David Assouline. Un de plus !
M. Alain Gournac. Une actualité récente a laissé entendre qu’existerait un véritable système d’autogestion des personnels du contrôle aérien, avec tous les risques que cela comporte.
Mon propos n’est pas, soyons clairs, de stigmatiser cette profession difficile, exercée par des femmes et des hommes de talent.
Je souhaite simplement que des réponses soient apportées aux questions que se posent nos concitoyens. Depuis quelques semaines, en effet, des doutes se sont installés dans les esprits au moment même où le transport aérien est touché par les drames que l’on connaît.
Tout a commencé par l’enquête d’un grand quotidien national.
Un cadre d’Air France, alors interviewé, affirme avoir, à maintes reprises, noté une diminution du nombre de mouvements d’avions sur les pistes, alors qu’aucun problème météorologique ou technique n’avait été relevé. Se penchant sur la question, il a pu observer que le nombre des contrôleurs aériens ne correspondait pas à l’effectif prévu.
Depuis plusieurs années, les embauches ne compenseraient plus, paraît-il, les départs à la retraite. Théoriquement, il faudrait que les contrôleurs travaillent plus de vingt-quatre heures hebdomadaires. Ainsi, ils ont mis au point ce que l’on appelle la « clairance », un système occulte, à la limite de la légalité, de gestion des absences, des RTT et de la rotation des effectifs.
Ce système pose un réel problème de sécurité.
Par exemple, lorsqu’un contrôleur doit assurer le poste de plusieurs de ses collègues absents, il doit gérer le trafic et la sécurité de plusieurs zones, soit plusieurs pistes, soit une zone de parking et une zone d’approche de l’aéroport. Plusieurs incidents liés à un sous-effectif en tour de contrôle ont ainsi été rapportés par les pilotes d’Air France.
M. le président. Il ne vous reste que trente secondes, mon cher collègue !
M. Alain Gournac. Aussi M. le secrétaire d’État chargé des transports a-t-il demandé au directeur de la Direction générale de l’aviation civile, M. Patrick Gandil, de lui faire parvenir des éléments d’analyse et d’information sur les événements ainsi rapportés. A-t-il reçu une réponse ? Si oui, laquelle ? Quelles mesures envisage-t-il afin d’établir un meilleur contrôle du temps de travail des contrôleurs aériens, ainsi qu’un meilleur suivi de l’organisation des effectifs ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État chargée de l'écologie. Monsieur Gournac, permettez-moi tout d’abord d’excuser Dominique Bussereau, qui est en déplacement. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. David Assouline. Il est à Kaboul ?
Mme Raymonde Le Texier. On n’excuse plus !
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État. Vous l’avez rappelé, une série d’articles parus dans la presse ont remis en question non seulement l’organisation, mais aussi le professionnalisme des contrôleurs aériens.
Il convient avant tout de rappeler que les contrôleurs aériens, qui relèvent de la Direction générale de l’aviation civile, suivent une formation longue très pointue. Leur professionnalisme ne peut donc être remis en question.
M. Alain Gournac. Personne ne le fait !
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État. D’ailleurs, le niveau de sécurité dans le ciel français est jugé comme l’un des plus élevés au monde, pour l’un des coûts les moins importants en Europe.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous diminuez le nombre de contrôleurs !
Mme Chantal Jouanno, secrétaire d'État. Toutes les études l’attestent, le coût horaire d’un contrôleur aérien et le taux unitaire des redevances sont inférieurs à ceux de nos voisins européens.
Monsieur Gournac, votre question portait également sur l’organisation du contrôle aérien. Celle-ci est le fruit de plusieurs années d’évolution, notamment pour prendre en compte l’amélioration de la sécurité, mais aussi l’optimisation des moyens.
La Direction générale de l’aviation civile s’est expliquée sur ces différents points, d’abord dans un rapport établi à la demande de M. Dominique Bussereau, et rendu public en septembre dernier, ensuite lors de l’audition de son directeur général par la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l'Assemblée nationale, le 13 octobre dernier.
Le Gouvernement a néanmoins engagé des mesures pour renforcer la performance des services de contrôle aérien.
Nous avons ainsi demandé à la DGAC d’améliorer l’organisation du contrôle aérien afin, d’une part, de maîtriser l’utilisation de ce dispositif de « clairance » que vous avez évoqué, monsieur le sénateur et, d’autre part, de mieux suivre l’activité des contrôleurs aériens.
Dans tous les cas, la sécurité dans notre ciel reste pour nous la priorité absolue. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
maltraitance dans les maisons de retraite
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, ma question s’adresse à Mme Nora Berra, secrétaire d’État chargée des aînés.
De graves cas de maltraitance ont été découverts récemment dans une maison de retraite de Bayonne : une infirmière amenée à effectuer des soins dans l’établissement a donné l’alerte, en écartant le secret professionnel, comme la loi le prévoit.
Coups, contention permanente des personnes âgées, sous-alimentation : les faits sont d’autant plus honteux que ce cas de maltraitance ou de violence institutionnelle sur des personnes âgées n’est pas le premier, d’autres exemples ayant fait la « une » de la presse ces derniers temps.
Chaque année, des milliers de cas de maltraitance rythment encore la vie des maisons de retraite françaises. Officiellement, 5 % seulement des 10 500 établissements feraient l’objet de signalements. Cela concernerait tout de même plus de 32 000 pensionnaires…
Des efforts ont certes été réalisés pour mettre un terme à ce phénomène de maltraitance des personnes âgées dans les maisons de retraite.
Le Gouvernement a créé, le 13 mars 2007, un comité national de vigilance et de lutte contre la maltraitance des personnes âgées et des adultes handicapés. Un numéro d’appel national unique, le 3977, a été mis en place et la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale envisage désormais la maltraitance dans les institutions, et non plus uniquement dans le cadre familial.
La notion de « bientraitance » s’est également développée. En juin 2008, elle a fait l’objet d’un guide de bonnes pratiques publié par l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux.
Néanmoins, des problèmes demeurent.
D’un point de vue pénal, la qualification juridique reste incomplète. Si la maltraitance active est sanctionnée, comme les violences physiques qui laissent des marques, tel n’est pas le cas de la maltraitance dite passive, psychologique ou morale. De plus, les autorités de tutelle – conseils généraux et services des directions départementales des affaires sanitaires et sociales, responsables de la prise en charge des personnes âgées – sont dans une situation délicate : où reloger les résidents si l’on ferme une maison de retraite ?
Cette situation est également délicate pour les familles, souvent conscientes de l’existence de traitements parfois brusques ou de maltraitances, mais qui n’ont pas d’autre solution que de laisser la personne âgée dans la maison de retraite où elle se trouve, faute de moyens ou de places dans un autre établissement.
Pouvez-vous donc nous préciser, madame la secrétaire d’État, les modalités de contrôle de ces établissements, et nous dire si des qualifications juridiques comme celle de « maltraitance passive » peuvent être envisagées, sachant que la multiplicité des formes d’hébergement des personnes âgées rend la tâche difficile, comme nous en sommes tous bien conscients ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée des aînés. Comme vous, monsieur Lefèvre, j’ai été particulièrement choquée et indignée de ce qui s’est passé à Bayonne.
Vous m’avez interpellée sur les moyens mis en place pour contrôler les établissements accueillant des personnes âgées dépendantes.
La législation permet d’ores et déjà aux services de l’État de contrôler les établissements médicalisés accueillant des personnes âgées, sous la forme de contrôles programmés, de contrôles inopinés ou de contrôles effectués sur la base d’une plainte.
Le nombre de contrôles a été multiplié par deux en quatre ans, pour un total de 950 au cours de l’année 2009, la proportion de contrôles inopinés passant de 50 % à 80 %.
En ce qui concerne l’affaire de Bayonne, c’est évidemment un sentiment de révolte qui a prédominé. J’ai immédiatement demandé que toute la lumière soit faite : une enquête diligentée par l’Inspection générale des affaires sociales est en cours, dont les conclusions seront rendues publiques dans une quinzaine de jours.
Afin que ce genre de pratiques inacceptables ne se reproduise pas, j’ai demandé un recensement des établissements non médicalisés qui accueillent en toute illégalité des personnes âgées dépendantes.
Soyez assuré que je prendrai toutes mes responsabilités. Ces structures seront mises en demeure de se conformer à la loi et devront fermer dans le cas contraire.
La pénurie de places ne saurait justifier la pérennisation ou l’existence même d’établissements maltraitants. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.) Pour endiguer cette pénurie, le Gouvernement a multiplié par quatre le rythme de création de places depuis le début de la décennie, et même par six en 2009, grâce au plan de relance.
M. le président. Si vous voulez bien conclure, madame la secrétaire d’État…
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Comme vous l’avez souligné, monsieur le sénateur, il s’agit de promouvoir une véritable culture de la « bientraitance » et d’éviter le fléau de la maltraitance passive.
Pour ce faire, le Gouvernement a décidé, dans les trois ans qui viennent, de former à cette notion l’ensemble des personnels soignants qui œuvrent auprès des personnes âgées. La réponse à la maltraitance est double : l’information et la transparence.
M. le président. Veuillez maintenant conclure, madame la secrétaire d’État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Enfin, il est nécessaire de rendre publiques les évaluations des établissements.
Mesdames, messieurs les sénateurs, s’il faut passer par la loi, je n’hésiterai pas, mais, pour répondre à la maltraitance, il faut d’abord commencer par briser la loi du silence ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
politique fiscale et tva dans la restauration
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. En l’absence de M. le Premier ministre, ma question s’adresse à M. Estrosi, ministre chargé de l'industrie. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Raymonde Le Texier. Cela va aider beaucoup !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ça promet !
M. Martial Bourquin. Monsieur le ministre, voilà quatre mois, vous mettiez l’eau à la bouche des Français en annonçant que la TVA dans la restauration passerait dès le 1er juillet à 5,5 %. (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Cette disposition devait bénéficier à l’ensemble de nos concitoyens : consommateurs, restaurateurs et salariés… Il faut dire que la baisse de la TVA dans la restauration représente une dépense substantielle pour l’État – près de 2,4 milliards d’euros – somme qui, si elle avait été bien employée, aurait pu permettre de diminuer globalement et sensiblement les prix, d’embaucher, d’augmenter les salaires et de moderniser enfin une filière chroniquement sous tension.
Or, force est de le constater, l’addition est très salée pour un menu annoncé comme gastronomique et dont nos concitoyens ne voient que des miettes ! Ce ne sont pas des commentateurs politiques qui le disent, mais le Conseil des prélèvements obligatoires, c'est-à-dire la Cour des comptes, monsieur le ministre !
Je veux ici blâmer non pas les restaurateurs (On en doute sur les travées de l’UMP), mais bien l’extrême légèreté du Gouvernement qui, une fois de plus, a refusé de négocier en amont de véritables contreparties. Vous aviez dix ans pour y réfléchir ! Quel gâchis !
M. René-Pierre Signé. Le Gouvernement n’a rien prévu !
M. Martial Bourquin. Je note que vous avez été beaucoup plus prompt à envoyer aux restaurateurs une carte d’adhésion à l’UMP qu’à faire ce choix de l’efficacité économique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Guy Fischer. Très juste !
M. Martial Bourquin. Cela fait cher le bulletin et, pour beaucoup de nos concitoyens, c’est insupportable.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est le contribuable qui paye !
M. Martial Bourquin. Le pire est que cette situation était des plus prévisibles. Vous nous avez servi le même menu pour le bouclier fiscal, et M. Woerth attend toujours le retour des expatriés fiscaux… Vous avez fait de même pour la défiscalisation des heures supplémentaires, qui constitue un authentique scandale en pleine explosion du chômage. Et vous allez nous présenter la même recette pour la taxe professionnelle.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. « Tout pour les riches, rien pour les pauvres », telle est la devise de l’UMP !
M. Martial Bourquin. Mardi, le Président de la République s’est permis de donner une leçon très sévère à l’ensemble des élus de France, prétendant qu’ils étaient fatigués…
M. le président. Veuillez poser votre question, monsieur Bourquin !
M. Martial Bourquin. Qu’il se rassure : nous sommes en pleine forme ! En revanche, il ferait bien de s’appliquer à lui-même ses leçons de bonne gestion !
Ma question est simple : quand mettrons-nous fin à ce dilettantisme économique ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie. Monsieur Bourquin, la TVA dans la restauration était un engagement du Président de la République et de la majorité présidentielle. Vous n’avez cessé pendant des mois de nous demander quand il serait tenu. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le Président de la République n’a tenu qu’un seul engagement : le bouclier fiscal !
M. Christian Estrosi, ministre. Nous l’avons fait et, en cette période de crise économique, c’est bien la mise en œuvre de cet engagement qui a permis de sauver des milliers d’emplois dans le secteur de la restauration. (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG – Applaudissements sur les travées du groupe UMP.)
M. Guy Fischer. Mensonges !
M. René-Pierre Signé. C’est un échec !
M. Christian Estrosi, ministre. Au lieu de protester, vous feriez mieux de saluer l’effort de ceux des restaurateurs qui ont investi, recruté du personnel et baissé leurs prix. Si tous ne l’ont pas fait, une grande partie d’entre eux ont joué le jeu. En tant qu’élu local du deuxième pôle touristique de France, je pense d’ailleurs que les résultats positifs enregistrés en 2009 par le secteur du tourisme et de la restauration doivent beaucoup au respect par le Gouvernement de l’engagement pris. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. David Assouline. N’importe quoi !
M. Guy Fischer. Vous oubliez que les Français ne sont pas partis à l’étranger !
M. Christian Estrosi, ministre. Quant aux autres questions fiscales que vous avez évoquées, il ne fait pas de doute que l’allégement de la fiscalité des heures supplémentaires a contribué à soutenir l’activité dans notre pays, de même que la réforme de la taxe professionnelle permettra de relancer les investissements productifs dans toutes les entreprises, petites ou grandes.
C’est notre manière de défendre la réindustrialisation de notre pays et de lutter contre les délocalisations, toutes ces questions dont vous ne vous souciez pas, dans l’opposition, mais qui sont la préoccupation de la majorité !
M. Jean-Pierre Godefroy. Et les négociations salariales ?
M. Guy Fischer. Et les retraites ?
M. Christian Estrosi, ministre. Enfin, puisque je réponds à un sénateur du groupe socialiste, je voudrais revenir sur ce qu’a dit tout à l’heure M. Sueur à propos de la reconduite de trois citoyens afghans vers un territoire où, je me dois de le rappeler, nos soldats risquent leur vie tous les jours pour défendre les valeurs de la démocratie. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. René-Pierre Signé. Cela n’a rien à voir !
Mme Raymonde Le Texier. C’est lamentable !
M. Christian Estrosi, ministre. M. Eric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, était présent au banc des ministres. Il vous aurait volontiers répondu si vous aviez daigné lui poser la question. J’ai vu dans cette attitude un manque de respect à l’égard du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste – Vives protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Guy Fischer.)
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
7
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi organique et d’un projet de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi organique tendant à permettre à Saint Barthélemy d’imposer les revenus de source locale des personnes établies depuis moins de cinq ans, déposée sur le bureau du Sénat.
En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale.
8
Débat européen sur le suivi des positions européennes du Sénat
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat européen sur le suivi des positions européennes du Sénat.
Mes chers collègues, je vous rappelle que ce débat sera organisé autour des quatre thèmes suivants :
- brevets européen et communautaire (nos 414, 537 et résolution du Sénat n° 109) ;
- droits des consommateurs (n° 321 et résolution du Sénat n° 130) ;
- transposition insuffisante d’une directive ferroviaire (mise en demeure de la France) ;
- coopération judiciaire et policière : situation en Bulgarie et en Roumanie.
Chacun de ces sujets donnera lieu à un échange.
J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, pour chacun des quatre sujets, interviendront :
- le représentant de la commission compétente, pour cinq minutes ;
- le Gouvernement, pour cinq minutes.
Une discussion spontanée et interactive de dix minutes au total sera ensuite ouverte sous la forme de questions-réponses de deux minutes maximum par intervention.
I. – Brevets européen et communautaire
M. le président. Sur le premier thème, les brevets européen et communautaire, la parole est à M. Antoine Lefèvre, au nom de la commission des lois.
M. Antoine Lefèvre, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la résolution européenne du Sénat du 15 juillet 2009 sur la création d’un système unifié de règlement des litiges en matière de brevet recouvre trois éléments : un constat, une préoccupation et une certitude.
Le constat, tout d’abord.
Le système européen de protection des brevets est encore incomplet : il lui manque un dernier étage qui soit véritablement européen pour garantir sa pleine compétitivité par rapport aux systèmes américain et japonais.
Au stade de l’enregistrement de la demande de brevet, tout est en place : l’Office européen des brevets, l’OEB, dont la très grande compétence est unanimement reconnue, a permis, en effet, d’unifier la demande d’enregistrement.
En revanche, une fois que le brevet a été enregistré au niveau européen, il éclate en autant de brevets nationaux que de pays pour lesquels sa protection a été revendiquée. Lorsqu’une contestation se fait jour, le même contentieux, de niveau pourtant européen, se trouve alors décliné devant chacune des juridictions nationales concernées par l’affaire. Cet éclatement a pour conséquence à la fois une multiplication des frais d’instance pour les entreprises et un risque important de divergence d’appréciation entre les différents tribunaux.
Il manque ainsi une juridiction européenne qui permette d’unifier et de sécuriser le contentieux en la matière.
Deux solutions ont été envisagées : l’une, européenne au sens large, incluant les trente-six États parties à la convention de Munich sur le brevet européen, l’autre, plus strictement communautaire, ne concernant que les seuls vingt-sept États membres de l’Union européenne.
Chacune de ces solutions a rencontré des oppositions. C’est donc une voie de compromis qui a semblé recueillir tous les suffrages : il s’agit de la création d’une juridiction unifiée qui prenne en charge à la fois le contentieux des brevets de la convention de Munich et celui des brevets communautaires, qui sont en cours de constitution.
Cette voie de compromis a été esquissée dans un premier projet d’accord sur lequel porte la recommandation de la Commission européenne qui a fait l’objet de la présente résolution européenne du Sénat.
L’économie que pourraient réaliser les entreprises européennes si un tel système de juridiction unifiée était mis en place a été évaluée par la Commission européenne : la somme serait comprise entre 148 et 249 millions d’euros.
C’est toute la compétitivité du système européen des brevets qui se joue ici. La nécessité de faire aboutir la négociation sur le système unifié de règlement des litiges en matière de brevet ne fait donc aucun doute.
Voilà pour le constat.
La résolution européenne du Sénat a cependant fait état d’une préoccupation qui rejoint la position exprimée par le gouvernement français.
En l’état actuel des négociations, on ne peut être certain que le projet de système unifié de juridiction soit conforme au droit communautaire. En effet, les mécanismes de recours prévus, notamment la question préjudicielle devant la Cour de justice des Communautés européennes, la CJCE, ne garantissent pas forcément que la primauté du droit communautaire sera assurée.
Ainsi, aucun recours n’est prévu si la juridiction unique refuse de saisir la CJCE d’une question préjudicielle.
Ces réserves juridiques partagées par d’autres pays ont conduit les États membres à saisir pour avis la CJCE pour qu’elle se prononce sur toutes les incertitudes juridiques soulevées par le projet.
Cette saisine, qui date du 28 mai dernier, est décisive pour la poursuite des négociations ; elle permet de mettre de côté, dans l’attente de la décision de la CJCE, les réserves juridiques qu’inspire le projet, et elle libère ainsi la négociation sur tous les autres aspects.
Or il est plus urgent que jamais d’aboutir sur ce dossier.
C’est là le troisième point de la résolution européenne du Sénat : il faut parvenir à un accord sur cette question ; c’est une certitude.
Depuis plus de vingt ans, les avancées sur ce dossier précis sont limitées, en dépit de l’engagement très important des principaux pays pourvoyeurs de brevets, au nombre desquels la France. C’est pourquoi la résolution du Sénat a engagé le Gouvernement à agir en ce sens, en veillant cependant au respect d’une condition essentielle : que la mise en place du système juridictionnel unifié aille de pair avec la création du titre de brevet spécifiquement communautaire.
Cette condition est essentielle, car le risque serait grand, sinon, qu’une fois la juridiction internationale mise en place, certains États abandonnent le projet de création d’un titre communautaire et se contentent du seul système de brevet européen.
Monsieur le ministre, comme vous le voyez, c’est le souci d’assurer la pleine compétitivité du système européen des brevets et celle des entreprises européennes qui a conduit le Sénat à adopter la résolution que je viens de présenter.
C’est pourquoi, au nom de mes collègues, je souhaiterais vous demander quelles suites le Gouvernement a données à la résolution du Sénat.
Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, à quel point de la négociation sont parvenus les États membres, sous l’impulsion de la Suède, qui, comme la France en son temps quand elle a exercé la présidence de l’Union, a marqué son engagement sur la question du système européen des brevets ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur, sur votre rapport, la commission des lois du Sénat a adopté la proposition de résolution initialement déposée par M. Richard Yung, au nom de la commission des affaires européennes, sur la création d’un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets, devenue résolution du Sénat le 15 juillet dernier.
Dans sa résolution sur la création d’un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets, le Sénat approuve la saisine de la Cour de justice sur le projet d’accord, estime qu’il faut poursuivre les négociations et demande au Gouvernement de rechercher un accord global à la fois sur le système juridictionnel et sur le brevet communautaire.
Permettez-moi de rappeler en introduction que le Gouvernement français est fermement attaché à la défense des droits de propriété intellectuelle, qui représentent un avantage compétitif clef pour les entreprises européennes et pour les créateurs européens. L’Europe doit les aider tout à la fois à valoriser les atouts tirés de la recherche et de l’innovation et à lutter contre la contrefaçon de manière efficace.
Le Gouvernement souhaite que l’Union européenne se dote d’un brevet communautaire qui serait une forme améliorée du brevet européen en ce qu’il constituerait un titre de protection uniforme sur le territoire de l’Union, pour un coût financier abordable, en garantissant une sécurité juridique maximale, comme le souligne aussi le Sénat dans sa résolution.
Le Gouvernement est également favorable à un système juridictionnel unifié compétent pour les litiges relatifs aux brevets européens et communautaires. L’institution d’un système unifié de règlement des litiges répondrait à une demande pressante des entreprises, en termes de coût et de sécurité juridique.
Comme il lui a été demandé par le Sénat dans sa résolution du 15 juillet, le Gouvernement œuvre en faveur d’un accord global qui porterait à la fois sur le système juridictionnel et sur le brevet communautaire.
Conformément à la résolution du Sénat, le Gouvernement a approuvé la demande d’avis du Conseil à la CJCE sur la compatibilité de l’accord envisagé avec le traité instituant la Communauté européenne.
Dans l’attente de l’avis de la Cour, le Gouvernement soutient la volonté de la présidence suédoise de faire avancer le dossier.
Des conclusions sont en cours d’élaboration, en vue du conseil « Compétitivité » du 4 décembre 2009. Elles visent à prendre acte d’un consensus au sein du Conseil sur plusieurs aspects du système juridictionnel non couverts par la demande d’avis : scission du contentieux de la validité et du contentieux de la contrefaçon en première instance ; régime linguistique applicable ; financement du système juridictionnel.
Y est aussi développé le principe, agréé sous présidence française, d’un partenariat renforcé entre l’Office européen des brevets, l’OEB, et les offices nationaux des brevets.
Le Gouvernement reste vigilant sur le régime linguistique.
Il estime ainsi que, en ce qui concerne le régime linguistique applicable en première instance dans les divisions locales de la future juridiction, la langue de procédure doit être la langue officielle de l’État membre pour les affaires traitées devant la division locale installée sur son territoire, sauf si les parties s’accordent pour utiliser une autre langue.
Or le projet d’accord prévoit en l’état, outre cette option, la possibilité pour la division locale de choisir comme langue de procédure la langue de délivrance du brevet, à la demande d’une des parties et après avoir entendu l’autre partie.
Le Gouvernement a fait savoir qu’il s’agissait d’une « ligne rouge » et qu’il refuserait par conséquent tout changement de régime linguistique en première instance non fondé sur l’accord des parties. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder à la discussion interactive et spontanée.
Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum.
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Si l’on se réfère au débat que nous avons eu au mois de juillet, force est de constater que le cadre a changé.
La Cour de justice des Communautés européennes a été saisie et doit se prononcer sur la conformité au droit communautaire de l’architecture proposée. Nous sommes tous respectueux de la Cour de justice et nous attendrons donc en quelque sorte son verdict.
À l’occasion de cette saisine, chaque État a défendu son point de vue. Monsieur le ministre, à moins qu’il ne s’agisse d’un secret d’État, pourriez-vous nous dire quelle a été la position de la France devant la Cour de justice, en particulier en ce qui concerne le sujet, problématique pour notre pays, de l’articulation entre le système juridictionnel français, notamment avec sa Cour de cassation, et la Cour de justice des Communautés européennes ?
À l’origine, il était prévu que la Cour de justice se prononce en dernière instance, s’apparentant à une sorte de cour de cassation au sommet du système juridictionnel des brevets.
La France, pour des raisons de doctrine sur lesquelles je ne me prononcerai pas, considère que la Cour de justice ne peut se prononcer que sur des questions de principe, de droit.
Un compromis a été trouvé. Je considère que la France peut le soutenir, mais je souhaite que vous nous le confirmiez, monsieur le ministre.
Ce point est important puisqu’il conditionne la mise en place du système juridictionnel avec ces différents niveaux, tribunal de première instance, cour d’appel commune en matière de brevets et, éventuellement, Cour de justice des Communautés européennes pour la cassation.
La France est plutôt bien placée pour accueillir le siège de la cour d’appel commune en matière de brevets européens et communautaires. Le tribunal de Paris dispose en effet depuis peu d’un pôle qui centralise tous les brevets déposés en France. C’est une excellente chose.
Je suis persuadé qu’ayant, comme nous tous, le souci de l’intérêt et de l’honneur de la France, le Gouvernement défendra cette position.
À la fin du mois de septembre, la présidence suédoise a présenté au Conseil – et cela nous a surpris – un « paquet » plutôt audacieux, que je ne détaillerai pas ici, sur le brevet communautaire et sur le système juridictionnel. Ces propositions devraient être discutées le 4 décembre.
Monsieur le ministre, quelle est l’appréciation du Gouvernement sur les propositions suédoises, qui me semblent aller dans le bon sens, mais qui susciteront sans doute quelques réticences, notamment de la part de l’Espagne ?
Pour ma part, ces propositions m’inspirent deux réserves, somme toute plutôt secondaires.
La première porte sur le partage à égalité du montant des taxes annuelles. Je considère que le taux devrait être plus élevé pour le niveau européen et communautaire. Sinon, cela revient à continuer à laisser vivre sous perfusion des structures nationales. Or, si l’on veut faire l’Europe, il faut centraliser le système.
La seconde a trait à la coopération entre l’Office européen des brevets et les offices nationaux, dont M. le ministre a fait état en parlant de « partenariat renforcé ».
Derrière cette affirmation, qui n’est pas très « clean », monsieur le ministre, et qui échappe au bon sens, se cache en fait, in cauda venenum, le douloureux « détricotage » de la centralisation du système européen. Sous prétexte de coopérer, on va transférer les missions de l’Office européen des brevets vers les offices nationaux. C’est exactement le contraire de l’objectif qui était recherché avec la création de l’OEB. Pourriez-vous nous donner votre point de vue sur le sujet, monsieur le ministre ?
M. le président. Je reconnais que l’exercice est difficile, mais j’invite chaque orateur à faire un effort pour respecter le temps de deux minutes imparti.
La parole est à M. le ministre.
M. Christian Estrosi, ministre. Monsieur le président, n’ayez pas d’inquiétudes, rien n’est difficile pour le Gouvernement. (Sourires.)
Monsieur le sénateur, dans les observations qu’il a transmises à la Cour de justice des Communautés européennes le 30 septembre, le Gouvernement français soutient que le projet de système unifié de règlement des litiges est globalement compatible avec les dispositions du traité instituant la Communauté européenne.
Toutefois, au regard de la nécessité de garantir la primauté du droit communautaire et son application uniforme, nous nous interrogeons sur le caractère suffisant du recours aux questions préjudicielles à la Cour de justice prévu dans le projet.
Si la compétence préjudicielle est nécessaire, vous le savez, pour garantir une interprétation uniforme du droit communautaire, elle ne permet cependant pas de contraindre la juridiction du brevet à respecter le droit communautaire. Elle n’est donc pas suffisante pour garantir l’application uniforme du droit communautaire.
Dès lors, le Gouvernement soutient que le mécanisme préjudiciel devrait être complété par un mécanisme permettant aux parties ou, le cas échéant, aux États et à la Commission, de saisir la Cour en vue de garantir le respect du droit communautaire.
Cela pourrait prendre la forme d’un pourvoi en cassation dirigé contre les arrêts de la cour d’appel et limité aux points de droit. D’autres pistes sont également suggérées : recours dans l’intérêt de la loi, initiative de la Commission ou d’un État membre, procédure de réexamen par la Cour de justice des arrêts de cours d’appel en cas de risque sérieux pour l’unité ou la cohérence du droit communautaire.
Telles sont les précisions que je souhaitais vous apporter, monsieur le sénateur.
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les brevets sont essentiels à l’innovation, à la compétitivité, mais sans doute aussi et avant tout à la protection des intérêts économiques de nos entreprises.
Dans un contexte international extrêmement concurrentiel, voire agressif, les contentieux abondent. J’insisterai sur ce point.
Actuellement, plusieurs pistes sont évoquées pour trancher un litige, mais aucune ne fait l’unanimité : la Cour de justice des Communautés européennes, une juridiction internationale compétente tant pour les brevets européens que pour les brevets communautaires ou encore une nouvelle juridiction liée aux brevets communautaires, qui reste à créer. Trop d’années se sont écoulées en tergiversations.
Pour éviter des procédures longues, complexes, coûteuses, et l’insécurité juridique qui en découle, pouvez-vous, monsieur le ministre, préciser et étayer le choix de la France en faveur d’une juridiction unique compétente ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christian Estrosi, ministre. Monsieur le sénateur, nous nous interrogeons sur le caractère suffisant du recours aux questions préjudicielles à la Cour de justice prévu dans le projet.
La compétence préjudicielle est nécessaire pour garantir une interprétation uniforme du droit communautaire, mais, parce qu’elle ne permet pas de contraindre la juridiction du brevet à respecter le droit communautaire, elle n’est pas suffisante.
Comme je l’ai indiqué dans ma réponse à M. Yung, le mécanisme préjudiciel que le Gouvernement soutient devrait être complété par des dispositions permettant aux parties ou, le cas échéant, aux États et à la Commission, de saisir la Cour en vue de garantir le respect du droit communautaire.
Des conclusions sont en cours d’élaboration en vue de la réunion du conseil « Compétitivité » du 4 décembre qui visent à prendre acte d’un consensus sur plusieurs aspects : la scission du contentieux de la validité et du contentieux de la contrefaçon en première instance, le régime linguistique applicable, le financement du système juridictionnel. Y est aussi développé le principe, agréé sous présidence française, d’un partenariat renforcé entre l’OEB et les offices nationaux des brevets.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange. En matière de brevets européens, tout le monde est d’accord sur le constat : le système actuel de règlement des litiges est complexe et source d’une très grande insécurité juridique. Il est donc essentiel d’instituer un système de brevet sûr et efficace.
Cela dit, personne n’est d’accord sur la solution à mettre en place. Pourtant, la proposition de la Commission européenne consistant à prévoir un traité établissant une juridiction unifiée qui couvrirait à la fois le brevet européen et le futur brevet communautaire, apparaît être la bonne solution, pragmatique et efficace.
Cependant, de nombreuses réserves juridiques existent, plus particulièrement émanant de notre pays, et singulièrement de certains ministères. Il ne faudrait pas que des arguments juridiques toujours recommencés l’emportent sur les objectifs et bloquent toute négociation.
La position du groupe UMP est claire : parvenir à un accord global sur la mise en place d’un système unifié de règlement des litiges en matière de brevets et la création, à terme, d’un titre de brevet communautaire.
Nous vous demandons, monsieur le ministre, de bien vouloir y veiller et de nous préciser quels moyens vous prévoyez pour trouver une solution pratique pour nos entreprises.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christian Estrosi, ministre. Il faut en effet trouver un accord global, madame Hermange.
La question des brevets communautaires s’inscrit dans le cadre d’une grande politique d’innovation industrielle. Il faut être en effet concret, car, à côté des textes, il y a l’action politique que nous entendons conduire, aussi bien au conseil des ministres, avec Pierre Lellouche, qu’auprès de la Commission.
Définir des enjeux stratégiques fondés sur l’innovation industrielle nous permettra d’accélérer la sortie de crise.
Nous avons mis en œuvre des pôles de compétitivité.
Le crédit d’impôt recherche est particulièrement attractif pour les entreprises qui décident de s’enraciner dans notre pays. Force est toutefois de constater qu’il n’est pas aussi protecteur que nous pourrions le souhaiter. Certaines sociétés n’hésitent pas à conclure des partenariats et à utiliser le crédit d’impôt recherche pour travailler au dépôt de brevets avec des ingénieurs, des ouvriers, des salariés français. Puis, elles s’en vont avec les brevets, en refusant parfois de protéger la propriété intellectuelle ou de céder l’activité à un repreneur potentiel.
Afin de se prémunir contre ces aléas, il faut agir à l’échelon européen. Nous sommes convaincus que le brevet communautaire nous permettra non seulement de mieux défendre une politique d’innovation industrielle pour la France, mais aussi de promouvoir la mutualisation en matière de recherche, de développement et d’innovation avec nos partenaires européens.
Comme vous le soulignez à juste titre, madame Hermange, un accord global est nécessaire. C’est tout l’enjeu des discussions au sein du conseil « Compétitivité » qui doit se réunir le 4 décembre prochain. Je m’efforcerai d’accélérer le processus afin de parvenir à un accord global, car il y va de l’intérêt de tous.
Le Président de la République prépare en ce moment le sommet de Copenhague. Il faudra rallier d’autres États membres à notre cause, notamment sur l’idée de l’instauration d’une taxe carbone aux frontières.
Il faudra également renforcer nos moyens de lutte contre les délocalisations afin de protéger les industries françaises et européennes de production contre les sociétés qui ne respectent pas nos critères environnementaux.
Pour progresser dans tous ces domaines, nous avons besoin de trouver un accord global sur les brevets. Soyez convaincue de la détermination totale du Gouvernement sur ce sujet.
M. le président. Sur le deuxième thème, les droits des consommateurs, la parole est à M. Gérard Cornu, au nom de la commission de l’économie.
M. Gérard Cornu, au nom de la commission de l'économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Commission européenne a présenté le 8 octobre 2008 une proposition de directive relative aux droits des consommateurs.
Cette proposition de directive remplace les quatre directives existant aujourd’hui dans ce domaine par un seul texte, en réglementant les aspects communs, en simplifiant et en actualisant les règles actuelles, en supprimant les incohérences et en comblant les lacunes.
Cette proposition de directive marque une rupture par rapport aux textes qu’elle remplace en s’écartant du principe d’harmonisation minimale selon lequel les États membres peuvent maintenir ou adopter des règles nationales plus strictes que celles qui sont établies par la directive, pour suivre une démarche d’harmonisation complète, qui interdit aux États membres de maintenir ou d’adopter des dispositions s’écartant de la directive, même pour garantir une protection plus importante des consommateurs.
La commission des affaires européennes de la Haute Assemblée a examiné cette proposition le 3 décembre 2008 et a informé la Commission européenne que l’harmonisation totale des règles de protection des consommateurs n’était pas conforme au principe de subsidiarité. Non satisfaite par la réponse de la Commission européenne, elle a alors déposé une proposition de résolution au début du mois d’avril 2009, devenue résolution du Sénat le 29 juillet dernier.
La commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire s’est saisie de cette question, et j’ai notamment pu mener plusieurs auditions sur le sujet.
De ces auditions, il ressort, comme l’avait souligné la commission des affaires européennes, qu’il est essentiel que la nouvelle directive ne diminue pas la protection accordée aux consommateurs par la législation française. Or l’approche d’harmonisation complète représente, de ce point de vue, une menace réelle.
Je prendrai deux exemples pour illustrer mes propos.
Le premier concerne la garantie.
En application de la proposition de directive, le consommateur disposerait d’un délai de deux ans à compter de la prise de possession d’un bien qu’il a acheté à raison d’un « défaut de conformité ». Or aujourd’hui, dans le cas d’un vice caché, un acheteur français dispose également d’un délai de deux ans pour agir, le délai ne courant cependant qu’à compter du jour où le vice est connu.
La règle issue de la proposition de directive figurait déjà dans la directive de 1999, mais cette dernière étant une directive d’harmonisation minimale, elle laissait la possibilité de recourir aux dispositions plus favorables du code civil.
Le second exemple vise la liste limitative des clauses abusives.
La proposition de directive met en place une « liste noire » de clauses abusives dont la présence sera interdite dans les contrats. Cette liste ne prévoit que cinq clauses « noires », alors que la liste française, qui fait actuellement l’objet de modifications, devrait en compter une quinzaine. Il s’agit là encore d’une régression vis-à-vis du consommateur.
Il est donc particulièrement utile que la Haute Assemblée tienne aujourd’hui ce débat.
Qu’en est-il, monsieur le ministre, de l’état d’avancement des négociations au niveau européen ? Le Gouvernement s’est-il mobilisé afin que l’harmonisation du droit des consommateurs ne conduise pas à un recul important de la protection dont bénéficient aujourd’hui les consommateurs français ?
Monsieur le ministre, je vous remercie par avance des réponses que vous voudrez bien nous apporter. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie. Monsieur Cornu, le 29 juillet dernier, le Sénat a adopté, à la suite de la présentation de votre rapport devant la commission de l’économie, une proposition de résolution initialement déposée par le président de la commission des affaires européennes de la Haute Assemblée, M. Hubert Haenel.
La proposition de directive sur les droits des consommateurs a été adoptée par la Commission européenne le 8 octobre 2008. Elle révise quatre directives existantes qui portent sur les clauses abusives, la garantie de conformité des biens, les contrats conclus hors établissements et la vente à distance.
La résolution du Sénat du 29 juillet 2009 sur cette proposition de directive constate que la Commission privilégie une harmonisation complète qui interdirait aux États membres de s’écarter des dispositions communautaires.
Le Sénat a estimé qu’il ne fallait pas diminuer le niveau de protection des consommateurs élevé qui existe en France, sous prétexte d’améliorer le marché intérieur.
Par conséquent, il a demandé au Gouvernement de s’opposer à toute mesure qui se traduirait par un recul de la protection du consommateur.
Le Gouvernement partage entièrement les inquiétudes du Sénat et, dans son dialogue avec la Commission européenne, s’en est fait le porte-parole.
Le texte communautaire est fondé sur le principe de pleine harmonisation dont la Commission fait un objectif à part entière. Il interdit aux États membres d’introduire ou de maintenir dans le domaine coordonné par la future directive des nouvelles règles nationales plus protectrices pour le consommateur.
Le recours au principe de pleine harmonisation est d’autant plus problématique que le texte de la Commission ne présente pas un champ d’application précis et clairement identifié.
Le principe de pleine harmonisation des législations nationales des États membres de l’Union européenne ne peut être une fin en soi. Il ne doit pas se traduire par la remise en cause du niveau élevé de protection des intérêts des consommateurs.
Tel qu’il est appliqué à la proposition de directive sur les droits des consommateurs, ce principe de pleine harmonisation présente trois risques avérés.
D’abord, il remet en cause des pans entiers de notre droit de la consommation en réduisant le niveau de protection des consommateurs et en induisant la suppression de certains dispositifs légaux ou réglementaires nationaux qui permettent d’informer et de protéger le consommateur. Je pense à cet égard aux dispositions relatives aux obligations d’information précontractuelle dans le domaine de la vente à distance, ou encore aux règles de formation des contrats conclus en dehors des établissements commerciaux.
Ensuite, ce principe ne permet pas d’impulser une action politique nationale s’adaptant aux besoins réels de protection des consommateurs et aux éventuelles attentes de la société civile.
Enfin, le principe de pleine harmonisation fige un droit dont l’essence est évolutive. La lourdeur des processus de révision du droit communautaire interdit la réactivité nécessaire pour répondre aux évolutions des pratiques contractuelles des professionnels. Or il s’agit là d’une exigence impérative pour garantir une protection effective des consommateurs.
Devant l’absence de réponses satisfaisantes de la Commission aux interrogations que la France n’a pas manqué d’exprimer, il est impératif de ne pas souscrire au principe de pleine harmonisation telle qu’elle est voulue par la Commission.
Il est préférable d’adopter une démarche pragmatique consistant à réserver la pleine harmonisation aux dispositions de la proposition de directive qui ne sont pas vouées à évoluer rapidement – les définitions, par exemple – et à celles qui, au terme des négociations, garantiraient un niveau suffisamment élevé de protection des consommateurs.
Pour ce qui est du champ d’application de la proposition de directive, il est urgent d’en définir les stricts contours afin de pouvoir mesurer la véritable portée du dispositif communautaire. Il convient à cet égard de réduire au maximum ce dispositif afin de ne pas impacter, au-delà du droit de la consommation stricto sensu, des dispositions nationales qui se révèlent être particulièrement protectrices des droits des consommateurs.
Il est enfin indispensable de veiller à ce que ce texte communautaire n’ait pas d’effet immédiat sur le droit général des contrats.
Pour conclure, le Gouvernement partage entièrement la position que le Sénat a prise dans sa résolution du 29 juillet, et il continuera à s’exprimer en ce sens au niveau européen.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder à la discussion interactive et spontanée.
Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum.
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, nous allons communier dans l’unanimité ! Nous partageons en effet les remarques et les prises de position du Sénat, au travers de sa résolution européenne, et du Gouvernement, par la voix de M. le ministre, et estimons que cette proposition de directive est mauvaise.
Elle est fondamentalement néfaste pour les raisons qui ont été indiquées, mais également parce qu’elle pousse la perversité jusqu’à prévoir une harmonisation a minima. C’est la première fois, me semble-t-il, que cela arrive.
Jusqu’à maintenant, quel que soit le domaine en question, un certain nombre de normes et d’objectifs étaient fixés à l’échelon européen afin que les États membres les respectent. Mais ces derniers pouvaient parfaitement faire mieux, s’ils étaient en avance sur ce système.
Si nous devions suivre la voie qui nous est indiquée, nous ouvririons une boîte de Pandore. L’Europe est déjà stigmatisée comme étant le foyer de l’ultralibéralisme et de la destruction des services publics et de la protection sociale – c’est malheureusement ainsi, en effet, que nos citoyens la perçoivent. Si, en plus, elle devait imposer une régression par rapport à ce qui existe, il n’y aurait plus d’Europe ! Je crois que nous atteignons là le sommet de l’inanité.
Pour toutes ces raisons, nous nous opposons à ce projet de directive, qui est d’ailleurs incomplet parce qu’il ne reprend que quatre directives sur les huit qui existent, et ne propose aucune solution intéressante.
Je pensais que l’occasion nous était donnée, comme l’avait souhaité la Commission voilà deux ou trois ans, d’instaurer un système européen d’action de groupe. Je sais que la France est un peu réticente en la matière – les déclarations de M. Novelli en témoignent –, mais l’action de groupe constituerait un outil formidable de protection des droits des consommateurs.
Évidemment, en l’état actuel, il n’en est rien, et nous nous opposons totalement à ce projet de directive.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christian Estrosi, ministre. Je souscris aux propos de M. Yung s’agissant de la régression des droits des consommateurs. Je prendrai, pour ma part, un exemple assez significatif : les obligations des parties pendant le délai de rétractation.
La proposition de directive prévoit un dispositif commun applicable aux contrats de vente à distance et aux contrats conclus en dehors des établissements commerciaux, alors que le droit français distingue ces deux types de contrats.
Ainsi, elle prévoit que la période de rétractation de quatorze jours ne suspend pas les obligations des parties : le consommateur est tenu de procéder au paiement de sa commande, et le professionnel doit exécuter la livraison du produit ou du service.
Or, pour les contrats conclus hors établissement commercial, et notamment en cas de démarchage à domicile, la loi française interdit tout paiement ou tout engagement du consommateur pendant la période de rétractation, et toute exécution d’une prestation de service, de quelque nature que ce soit. Il s’agit d’un dispositif auquel les associations de consommateurs et nombre de parlementaires sont attachés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de votre position, car cette unanimité du Sénat et cette détermination affichée aideront le Gouvernement dans ses démarches auprès de la Commission et au sein du Conseil.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Je m’associe aux propos qui viennent d’être tenus, car l’harmonisation complète des droits des consommateurs dans l’Union européenne, proposée par la Commission européenne, pourrait conduire à un nivellement par le bas et être défavorable à la France, où ces droits sont déjà protégés.
Nous comprenons bien que l’idée initiale était de mettre fin à la fragmentation du marché intérieur. Aujourd’hui, les consommateurs n’ont pas les mêmes droits dans tous les États membres, et les entreprises sont obligées de se soumettre à des législations nationales très variées.
L’harmonisation complète des droits des consommateurs, réunis dans une directive, est, selon la Commission, le seul moyen d’assurer un même niveau de protection à tous les consommateurs, de renforcer la clarté juridique et de stimuler les échanges transfrontaliers. C’est tout à fait légitime.
Mais ce projet ambitieux n’est pas clair, et nous devons à la vigilance de la commission des affaires européennes et aux travaux de la commission de l’économie d’en être alertés. Ces deux commissions estiment en effet que l’harmonisation complète pourrait conduire à une situation moins favorable pour certains droits des consommateurs. De même, selon l’Organisation des consommateurs européens, le BEUC, accorder des droits identiques à tous les consommateurs ne serait pas forcément bénéfique pour ceux qui jouissent déjà d’un niveau de protection élevé, ce qui est le cas en France.
Pourtant, la Commission européenne a affirmé qu’elle n’envisageait pas de renoncer au principe des règles totalement harmonisées. Partant de là, le champ d’application de la future directive et le choix des domaines dans lesquels l’harmonisation complète apporterait un bénéfice pour tous les opérateurs, consommateurs et entreprises, demeurent des questions majeures. Pour y répondre, il faudrait connaître l’évaluation d’impact de la nouvelle législation.
Enfin, à ma connaissance, le point essentiel, à savoir le degré d’harmonisation, n’a pas encore été abordé. Il est donc encore temps d’agir, comme d’ailleurs vous avez entrepris de le faire, monsieur le ministre.
Disposons-nous d’informations nous permettant d’évaluer la proposition de directive ? Vous avez certes déjà apporté des éléments de réponse, monsieur le ministre, mais je souhaite insister sur cet aspect.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christian Estrosi, ministre. Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur l’incidence de la directive et sur ses enjeux, et c’est avec grand bonheur que je vous apporterai un complément de réponse.
Tout d’abord, nous craignons que la proposition de directive sur les droits des consommateurs ne soit pas de nature à renforcer la confiance des consommateurs dans le marché intérieur et qu’elle ne nuise au contraire au développement du commerce intracommunautaire.
Je citerai un exemple qui complétera celui que j’évoquais tout à l’heure en réponse au sénateur Richard Yung : celui des clauses abusives dans les contrats de consommation.
Actuellement, en droit national, un décret interdit douze clauses abusives, dites « noires », et présume le caractère abusif de dix autres clauses ; le texte communautaire, lui, n’en interdit que cinq. On voit l’incidence qu’aurait la directive en supprimant purement et simplement plus de la moitié des clauses abusives interdites !
J’en viens au niveau d’harmonisation, pour répondre au second volet de votre question, madame le sénateur. La France est favorable à une harmonisation ciblée. Je le dis clairement, il n’est pas question, de notre point de vue, d’accepter l’harmonisation maximale en ce qui concerne les informations précontractuelles, les clauses abusives, le démarchage à domicile ou la vente à distance.
M. le président. Nous en avons terminé avec ce deuxième thème.
III. – Transposition insuffisante d’une directive ferroviaire
M. le président. Sur le troisième thème, la transposition insuffisante d’une directive ferroviaire, la parole est à M. Roland Ries, au nom de la commission des affaires européennes.
M. Roland Ries, au nom de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’année dernière, au mois de juin, la France a fait l’objet d’une mise en demeure de la Commission européenne pour une transposition insuffisante du premier paquet ferroviaire, qui concerne plus précisément le fret ferroviaire.
À ce jour, les problèmes soulevés par la Commission européenne n’ont toujours pas reçu de solution. Elle nous a donc adressé, voilà quelques jours, un « avis motivé », dernière étape avant la saisine de la Cour de justice.
La Commission nous reproche essentiellement de ne pas garantir suffisamment la transparence de la concurrence. Elle fait notamment observer que certaines activités relatives à la fonction essentielle d’allocation des sillons, telles que les études techniques des demandes de sillons et la détermination des créneaux horaires des trains, sont assurées par la direction de l’infrastructure de la SNCF et que les dispositions prises pour séparer cette direction des autres activités de la SNCF n’apportent pas l’assurance qu’elle assume ses fonctions de manière suffisamment indépendante.
La Commission européenne nous reproche également l’absence de mécanisme incitant les opérateurs ferroviaires et le gestionnaire de l’infrastructure à améliorer les performances et à réduire les coûts.
Enfin, la Commission nous reproche l’absence d’indépendance de l’organe de contrôle ainsi que l’insuffisance de ses pouvoirs.
Je dois reconnaître que nous ne sommes pas seuls dans ce cas, puisque la plupart des États membres se trouvent en infraction. La situation laisse perplexe : sur le papier, tout le monde souhaite le développement du ferroviaire, pour des raisons de sécurité comme d’environnement, mais, lorsqu’il s’agit d’appliquer les décisions prises en commun, il devient urgent d’attendre.
J’observe d’ailleurs que le Premier ministre avait demandé l’année dernière au président de notre commission, M. Hubert Haenel, un rapport portant notamment sur le processus d’attribution des sillons et la gestion de l’infrastructure. Ce rapport, rendu voilà maintenant exactement un an, préconisait la création d’une société indépendante, filiale de la SNCF, qui aurait été chargée de la gestion des capacités et de l’exploitation du réseau, sur le modèle de ce qui a été fait pour l’électricité avec RTE EDF. En somme, c’est ce que la Commission européenne nous demande aujourd’hui : il faut le dire, nous avons perdu un an pour nous mettre en règle.
Il est vrai que le projet de loi actuellement en discussion sur l’organisation et la régulation des transports ferroviaires modifiera profondément les règles applicables. Je constate cependant que s’expriment ici et là des doutes sur la capacité des nouvelles règles à mettre effectivement en conformité sur tous les points notre droit ferroviaire avec les règles européennes. Or, nous n’arriverons pas à développer le ferroviaire sans une complète sécurité juridique.
Ma question, monsieur le secrétaire d’État, est donc la suivante : les dispositions aujourd’hui en discussion sont-elles réellement suffisantes pour « désarmer », si je puis dire, la critique de la Commission européenne ? Toutes les précautions sont-elles prises pour que celle-ci soit prochainement amenée à constater que ses différentes objections sont désormais sans objet ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est une excellente question que me pose M. Ries ! Je reviens à l’instant – c’est pourquoi je n’ai malheureusement pas pu assister tout à l’heure à la séance de questions d’actualité au Gouvernement – de Naples, où se tenait une réunion des ministres européens des transports et de leurs collègues méditerranéens. J’y ai eu l’occasion de dire assez fermement au président de Trenitalia, M. Moretti, quelle était la position de la France. En effet, je n’aime pas que nous soyons mis en cause par ceux qui affirment vouloir faire rouler des trains sur notre territoire et finalement ne présentent pas les dossiers en temps et en heure !
Comme vous l’avez indiqué, monsieur Ries, la réponse à la Commission est en effet contenue dans un texte auquel vous avez vous-même beaucoup travaillé : le projet de loi par lequel, en instaurant l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, l’ARAF, nous nous mettons en conformité avec la directive du troisième paquet ferroviaire en préparant la libéralisation des services de transport international de voyageurs à partir du 1er janvier 2010. Soit dit en passant, cela commencera en réalité à partir du 15 décembre 2009, date à laquelle le service d’hiver s’applique sur les principaux réseaux ferroviaires européens.
Ce projet de loi nous permet aussi d’instaurer un dispositif de régulation pour renforcer les garanties d’un accès non discriminatoire au réseau pour le fret – c’est déjà le cas puisque, actuellement, 15 % du trafic de fret est réalisé par d’autres opérateurs que la SNCF – et pour le trafic voyageurs.
Nous avons beaucoup travaillé, avec la commission de l’économie et son président, M. Emorine, ainsi que le rapporteur du projet de loi, M. Grignon, sur l’ARAF. Cette autorité indépendante sera composée de sept membres au mandat non renouvelable. Son président assurera ses fonctions à plein temps. Elle disposera de services spécifiques et de l’autonomie financière. Ses pouvoirs seront étendus puisqu’elle possédera un pouvoir réglementaire et donnera également un avis sur les dessertes intérieures. Il me semble qu’elle correspond tout à fait à l’esprit de la directive.
Par ailleurs, le projet de loi a été amendé afin de tenir compte des remarques de la Commission et des propositions avancées par le président Hubert Haenel.
Ainsi, un amendement instaure, au sein de la SNCF, une séparation entre l’activité de gestion du trafic et des circulations, assurée pour le compte de Réseau ferré de France, RFF, et les autres activités de l’entreprise ferroviaire.
Un service spécialisé, qui sera mis en place avant le 1er janvier prochain, exercera donc, toujours pour le compte et selon les principes de RFF, la gestion du trafic et des circulations sur notre réseau ferré national, ainsi que l’instruction des demandes d’allocation des sillons. Il opérera en toute indépendance, comme le prévoient les directives communautaires et comme le demande le premier paquet ferroviaire. Je rappelle que la directive européenne ne formule par d’exigence de « séparation institutionnelle » en la matière, dès lors que la neutralité du service est garantie.
Lors de l’examen du projet de loi à l’Assemblée nationale, des amendements ont encore renforcé l’indépendance de ce service : son directeur sera nommé directement par le Premier ministre, après avis de l’Autorité de régulation ; il jouira d’une indépendance fonctionnelle et décisionnelle à l’égard de la SNCF ; il aura la maîtrise exclusive de son budget ; enfin, la confidentialité et le secret professionnel de ses agents seront garantis.
L’Autorité de régulation des activités ferroviaires sera chargée de veiller à la bonne application de ces dispositions. Elle pourra être saisie par toute partie prenante et aura des pouvoirs de sanction, y compris pécuniaire, importants.
Pour répondre très précisément à votre question, monsieur Ries, il ne nous paraît pas nécessaire de modifier les dispositions du projet de loi, d’autant que le Sénat et l’Assemblée nationale ont beaucoup enrichi ce dernier.
Il est exact que la Commission pouvait fonder sa critique sur le fait que ce texte n’est pas encore, au moment où je vous parle, effectivement adopté. Quel est le calendrier prévu ? Le projet de loi doit être examiné par la commission mixte paritaire le 27 octobre, et il est inscrit à l’ordre du jour du Sénat le 2 novembre et de l’Assemblée nationale le 3 novembre pour son adoption définitive. Nous devrions de la sorte être « pile dans les clous » de ce que nous demande l’Union européenne, comme nous l’étions déjà dans le domaine du fret.
Reste en effet, monsieur Ries, la question de l’ouverture à la concurrence des services régionaux de voyageurs, sujet que vous connaissez bien et qui est souvent évoqué dans votre région, en Alsace.
Nous avons mis en place un « comité des parties prenantes », présidé par le sénateur Francis Grignon, qui nous donnera en février 2010 un avis sur la question et nous indiquera s’il estime possible de se lancer dans une expérimentation de cette ouverture, ce que, pour ma part, je crois. Ainsi, les majorités qui seront issues du scrutin régional de mars prochain pourront, si elles le souhaitent, procéder à des expérimentations, si tant est que M. Grignon nous donne en la matière… le feu vert ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l’économie.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, de l'aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tenais tout d’abord à rappeler la grande implication de la commission de l’économie dans le secteur ferroviaire et à saluer le travail de notre collègue Francis Grignon, rapporteur du projet de loi relatif à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et guidés et portant diverses dispositions relatives aux transports.
Le débat qui nous réunit aujourd’hui intervient à un moment très particulier puisque l’avis motivé de la Commission européenne a été adressé au gouvernement français quelques jours avant la réunion, mardi prochain, de la commission mixte paritaire qui examinera le projet de loi que je viens d’évoquer, dont l’objet est justement de mettre en conformité la France avec les premier et troisième paquets ferroviaires.
Je ne voudrais pas prolonger le débat, d’autant que la réponse de M. le secrétaire d’État a clairement présenté la position française en matière de transports ferroviaires. Cependant, je crois utile d’examiner en détail certains des griefs de la Commission européenne portant sur l’insuffisance des mesures prises pour mettre en œuvre le premier paquet ferroviaire.
Concernant le premier axe de l’avis motivé de la Commission, de loin le plus substantiel, qui a trait à l’indépendance des fonctions essentielles du réseau ferroviaire, cinq griefs sont adressés à la France.
Premier grief, le service de la SNCF chargé du trafic et des circulations, également appelé SNCF Infra, ne possède pas la personnalité juridique. Tous, et notamment le président de la commission des affaires européennes, Hubert Haenel, nous attachons une grande importance à cette question. J’estime pour ma part que, même si cette branche de la SNCF ne possède effectivement pas, pour l’heure, la personnalité juridique, elle remplit toutes les autres conditions matérielles d’indépendance découlant des obligations communautaires.
Deuxième grief, la Commission regrette qu’aucun droit de se plaindre auprès de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires ne soit accordé aux parties prenantes. Or, l’article 9 du projet de loi sur la régulation ferroviaire ouvre très largement ce droit.
Troisième grief, l’ARAF devrait, selon Bruxelles, donner un avis conforme non seulement lors de la révocation, mais aussi lors de la nomination du directeur de la SNCF Infra. Là encore, cette critique me semble exagérée, car une telle disposition aboutirait à conférer à l’ARAF le pouvoir de nommer le directeur de la SNCF Infra. Le texte qui sera présenté la semaine prochaine à la commission mixte paritaire me semble équilibré, son article 1er prévoyant que le directeur de la SNCF Infra sera nommé pour une période de cinq ans, par décret du Premier ministre sur proposition du ministre chargé des transports et après avis simple de l’ARAF, ce qui assurera son indépendance par rapport au président de la SNCF.
Quatrième grief, l’avis motivé reproche le fait que le projet de loi ne fixe pas les conditions d’incompatibilités appliquées par la commission de déontologie pour autoriser ou non le départ vers des entreprises privées des agents qui ont travaillé au sein de la SNCF Infra.
Mais, à l’évidence, c’est non pas à la loi mais au pouvoir réglementaire de déterminer ces critères, en s’inspirant de l’expérience de la commission consultative mise en place au sein de la Commission de régulation de l’énergie.
Enfin, cinquième grief, Bruxelles aurait aimé que les modalités concrètes d’organisation de la SNCF Infra soient définies dans le texte du projet de loi ; mais là encore, il revient au pouvoir réglementaire et non à la loi de les fixer.
S’agissant maintenant de la tarification de l’accès à l’infrastructure ferroviaire, qui constitue le deuxième axe de l’avis motivé, je rappellerai simplement que la Commission européenne ne semble pas avoir pris connaissance du V de l’article 8 du projet de loi, qui confère à l’ARAF le pouvoir d’émettre un avis conforme sur la fixation des redevances liées à l’utilisation du réseau ferré national.
Enfin, nous souscrivons pour l’essentiel aux critiques de la Commission à l’encontre de l’actuelle mission de contrôle des activités ferroviaires, et l’objet même du projet de loi est d’ailleurs de remplacer cette mission par l’Autorité de régulation des activités ferroviaires.
Pour conclure, je rappellerai que, comme président de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, j’ai toujours eu à cœur de mettre le droit national en conformité avec le droit communautaire. Mais, en l’espèce, je pense avoir démontré que les critiques de la Commission sont peu voire pas justifiées, dans la mesure où le Parlement a largement anticipé ces remarques lors de l’examen du projet de loi relatif à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et guidés et portant diverses dispositions relatives aux transports.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder à la discussion interactive et spontanée.
Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum.
La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la Commission européenne vient effectivement d’ouvrir une procédure en infraction contre plusieurs États européens, dont la France, pour mauvaise mise en œuvre du premier paquet ferroviaire.
Le Parlement français n’est pas informé de l’avis motivé de la Commission, ce qui est absolument anormal alors que le Sénat en débat aujourd’hui. Je rappelle que seul le Gouvernement français est habilité à rendre public ce document, et que ce n’est pas à la Commission de le faire.
M. le président de la commission de l’économie vient de nous donner connaissance de cet avis motivé. Jusqu’alors, seul un communiqué laconique de la Commission européenne avait été rendu public. L’avis souligne des lacunes telles que le manque d’autonomie du gestionnaire d’infrastructures par rapport aux opérateurs ferroviaires ou encore l’absence d’un organisme de régulation indépendant.
Le projet de loi relatif à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et guidés et portant diverses dispositions relatives aux transports, en cours de discussion au Parlement, crée une autorité de régulation des activités ferroviaires et prévoit la mise en place d’une direction chargée de l’attribution des sillons, direction séparée du reste de la SNCF.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question est identique à celle de Roland Ries : ces dispositions sont-elles de nature à répondre aux observations de la Commission européenne ?
En outre, quelle que soit l’appréciation portée sur le premier paquet ferroviaire – la mienne est très négative puisque je défends un système ferroviaire intégré –, la résorption de la dette de RFF est une question centrale pour le développement du transport ferroviaire.
En mars dernier, le Sénat a adopté l’un de nos amendements visant à prévoir, avant la fin de l’année 2009, le dépôt d’un rapport sur les solutions envisageables pour résorber cette dette. En précisant que ce rapport devra formuler des propositions pour le remboursement de la dette, la majorité de l’Assemblée nationale a été plus audacieuse que la majorité du Sénat, laquelle avait largement édulcoré notre amendement.
Monsieur le secrétaire d’État, êtes-vous prêt à proposer des solutions ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, la messe est dite, si je puis m’exprimer ainsi dans cette assemblée laïque, pour nous mettre en harmonie avec les directives européennes. Nous créons l’ARAF, qui sera mise en place prochainement et qui sera présidée par une personnalité ayant les qualités d’indépendance nécessaires et la connaissance du secteur ferroviaire. Nous mettrons en place avant le 1er janvier prochain la direction spécialisée de la SNCF, le directeur étant nommé par le Premier ministre, en toute indépendance.
Par ailleurs, dans le même état d’esprit, nous créons au sein de la SNCF une direction des gares afin qu’un opérateur qui voudrait accéder aux services des gares pour installer des guichets, par exemple, puisse également s’adresser à un service indépendant.
Tout cela se fait, me semble-t-il, dans les délais prévus, peut-être avec un peu de retard, en effet, puisque ce projet de loi a cheminé lentement entre les deux assemblées, mais nous devrions en avoir terminé au début du mois de novembre prochain.
Quant à la dette de Réseau ferré de France, c’est un autre débat : elle est importante et elle n’a pas vocation à diminuer avec l’ensemble des projets du Grenelle de l’environnement, puisque nous devons présenter un projet de 2 000 kilomètres de lignes nouvelles avant 2020 et de 2 500 kilomètres après 2020.
Il convient de trouver les modalités de financement. Nous avons évoqué ces problèmes lors de la réunion des ministres européens des transports qui a lieu hier et ce matin à Naples.
Ainsi, monsieur Teston, vous êtes un élu de la région Rhône-Alpes : pour financer la ligne à grande vitesse Lyon-Turin, il y aura, bien sûr, une participation de l’Union européenne d’environ 600 millions d’euros dans un premier temps, une participation des États, ainsi que de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFIFT, et un partenariat public-privé. Tous les pays européens qui construisent actuellement des réseaux à grande vitesse – l’Espagne nous a presque rejoints, l’Italie essaie de diminuer son retard – connaissent ces difficultés de financement, et nous devrons en effet traiter la dette de Réseau ferré de France.
Certains évoquent le grand emprunt. Il ne faut pas mettre le grand emprunt à toutes les sauces ! Un emprunt est fait non pas pour résorber une dette, mais pour porter des projets d’avenir. La réflexion est ouverte, et toutes les suggestions seront les bienvenues.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite vous interroger sur la position contradictoire que semble prendre le Gouvernement eu égard au règlement d’obligation de service public à l’égard des deux opérateurs publics que sont la SNCF et la RATP.
En effet, l’amendement que le Gouvernement a fait adopter à l’Assemblée nationale sans que le Sénat ait pu en dire un mot – il avait en effet examiné le projet de loi auparavant, sans cet amendement – concerne tout de même l’autorité organisatrice des transports de l’Île-de-France.
Cet amendement procède au dessaisissement du Syndicat des transports d’Île-de-France, le STIF, au profit de l’État et crée une situation délicate pour la RATP au regard du règlement d’obligation de service public, pendant que la SNCF se prépare, quant à elle, à la mise en concurrence.
En effet, l’amendement du Gouvernement procède à l’arrêt du processus de spécialisation ouvert par la loi SRU pour ce qui concerne la RATP, cette dernière étant transformée en autorité organisatrice d’État, et ce jusqu’en 2039, alors que le règlement d’obligation de service public ne permet la prolongation que jusqu’en 2030.
C’est sans doute parce que le règlement d’obligation de service public prévoit la possibilité pour les États de fixer eux-mêmes les termes des contrats de service public avec des opérateurs que le Gouvernement s’est permis une telle manœuvre. Il est déjà grave de dessaisir l’autorité organisatrice des transports de l’Île-de-France de sa substance juridique, mais il me semble encore plus grave de transférer à la régie le patrimoine et les infrastructures qui appartenaient au STIF, car l’État constitue ainsi une entité sans séparation fonctionnelle, en situation exorbitante du droit commun à l’égard de RFF. Dans la situation que vous créez, la RATP ne serait pas obligée de payer des péages à RFF puisqu’elle serait propriétaire de ses infrastructures.
Vous êtes en train de placer la RATP dans une situation en tous points similaires à celle dont vous voulez sortir la SNCF. Monsieur le secrétaire d’État, comment entendez-vous justifier cette position contradictoire auprès des instances européennes ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Madame le sénateur, j’ai eu l’occasion d’évoquer cette question cette semaine avec le président du conseil régional de l’Île-de-France, M. Jean-Paul Huchon.
La logique du règlement OSP pouvait être assez dramatique pour la RATP. On pouvait en effet en revenir à la situation qui prévalait avant sa création, avec plusieurs opérateurs pour le métro parisien, comme en témoigne encore la différence de style entre les stations : la ligne Nord-Sud, qui traverse la circonscription de M. Lellouche, avait ainsi un opérateur différent de la ligne n° 1, entre Vincennes et Étoile, qui est la première ligne historique.
Nous avons souhaité protéger la RATP – c’était le souhait unanime de toutes les organisations syndicales – avec un système permettant de bloquer les investissements pendant quinze ans pour les bus, vingt ans pour les tramways et trente ans pour le métro, sachant que les délais d’amortissement sont tels que l’on peut tout à fait justifier cette mesure vis-à-vis de l’Union européenne. Toutefois, cela ne concerne pas les nouvelles lignes : si un maire souhaite ouvrir une ligne en banlieue, il sera procédé à un appel d’offres, et la RATP ne sera pas obligatoirement l’opérateur retenu ; ce sera au STIF d’en décider.
J’en viens maintenant aux problèmes des biens entre le STIF et la RATP. On a opéré une distinction entre ce qui appartenait au réseau avant 1969 et après 1969 et on a procédé à un échange, le STIF ayant le matériel roulant et la RATP, la propriété des bâtiments.
Si je prends l’exemple du siège de la RATP, quai de la Rapée, il y aura bien entendu une négociation dans la transparence et une compensation. J’ai indiqué voilà quarante-huit heures à M. Huchon que nous mettrions au point, avec le STIF, le décret d’application pour que les modalités de ces transferts et de ces cessions se fassent dans la plus grande transparence.
M. le président. La parole est à M. Roland Ries.
M. Roland Ries. J’interviendrai de nouveau sur deux points, ayant cru comprendre que ces séances devaient permettre la réactivité et des échanges rapides.
Tout d’abord, serait-il possible que les correspondances de la Commission au Gouvernement et à la représentation nationale nous soient transmises plus en amont, afin que nous puissions examiner ces sujets assez techniques et préparer nos argumentaires ?
Par ailleurs, je n’ai pas très bien compris l’intervention de M. Jean-Paul Emorine. Il a l’air de contester les critiques de la Commission à l’égard de la non-distinction entre la SNCF et Réseau ferré de France ; cela pose, semble-t-il, un problème de libre concurrence, et il évoque les cinq griefs en disant qu’ils ne sont pas vraiment fondés.
Or M. le secrétaire d’État semble avoir une position assez différente : je l’ai en effet entendu dire que le projet de loi relatif à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et guidés et portant diverses dispositions relatives aux transports répondait à ces critiques.
Monsieur le secrétaire d’État, dois-je entendre les explications du Gouvernement ou celles de M. le président de la commission ? Il me semble en effet qu’il y a là une contradiction. Je vous remercie donc de me rassurer et de m’éclairer sur ce point.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État. Monsieur Ries, nos interventions, sans avoir été pour autant préparées en commun, étaient coordonnées. J’ai indiqué où nous en étions, et M. le président de la commission a expliqué le processus législatif qui avait conduit à ce que nous soyons, début novembre, dans une bonne situation à l’égard de l’Union européenne. Les choses me semblent claires.
Il est vrai que cet avis a permis à l’Assemblée nationale et au Sénat, tout au long de la procédure législative, d’améliorer le texte initial du Gouvernement : c’est ce que l’on appelle, dans une autre assemblée, la « coproduction législative ».
Quoi qu’il en soit, nous avons abouti ensemble à un texte qui tient compte des interrogations auxquelles nous n’avions pas tout à fait répondu au départ. J’en remercie la commission de l’économie de la Haute Assemblée.
Quant à l’avis motivé, monsieur Ries, le Gouvernement l’a transmis à M. le président de la commission des affaires européennes trois jours après sa réception. Il est donc en possession de la Haute Assemblée.
M. le président. Nous en avons terminé avec ce troisième thème.
IV. – Coopération judiciaire et policière : situation en Bulgarie et en Roumanie
M. le président. Sur le quatrième thème, la situation en Bulgarie et en Roumanie au regard de la coopération judiciaire et policière, la parole est à M. Michel Billout, au nom de la commission des affaires européennes.
M. Michel Billout, au nom de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission des affaires européennes a fait en juin dernier un point sur la situation de la Bulgarie et de la Roumanie au regard des questions relatives à la justice et aux affaires intérieures.
À cette fin, elle a entendu nos ambassadeurs en poste à Sofia et à Bucarest. Elle a par ailleurs confié à notre collègue Pierre Bernard-Reymond et à moi-même la mission de lui présenter un état des lieux dans ces domaines, ce que nous avons fait dans une communication, le 23 juin dernier, après avoir pris différents contacts, notamment avec les représentants de ces deux États membres, tant à Bruxelles qu’à Paris, et avec la Commission européenne.
Je rappelle que, à l’occasion de l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne, le 1er janvier 2007, et pour la première fois dans l’histoire de l’Union, un mécanisme de coopération et de vérification a été créé en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption, ainsi que, pour la seule Bulgarie, contre le crime organisé. Ce mécanisme vise aussi à remédier aux lacunes constatées dans la lutte contre la corruption.
Il fixe des objectifs de référence autour desquels s’organisent un suivi et un système de sanctions. Des mesures de sauvegarde prévues par les traités d’adhésion peuvent même être activées pendant une période de trois ans à compter de l’adhésion.
En février 2008, des rapports de la Commission européenne ont souligné que les progrès n’avaient pas été suffisamment convaincants. Les manquements les plus importants avaient été constatés dans la lutte contre la corruption de haut niveau, pour la Bulgarie et la Roumanie, et contre le crime organisé, pour la seule Bulgarie.
En dépit de certaines avancées, les rapports de juillet 2008 ont encore porté un jugement sévère. La Commission européenne a, en conséquence, estimé nécessaire de maintenir le mécanisme.
Parallèlement, un rapport spécifique sur la gestion des fonds communautaires en Bulgarie a conduit à la suspension, en juillet 2008, du versement d’une partie des aides accordées à la Bulgarie au titre de la préadhésion.
À l’occasion de la présidence française de l’Union européenne, le Conseil a appelé en septembre 2008 la Bulgarie et la Roumanie à intensifier leurs efforts, mais deux rapports intérimaires publiés en février 2009 ont à nouveau relevé l’absence de résultats concrets.
Dans notre communication devant la commission des affaires européennes, mon collègue Pierre Bernard-Reymond et moi-même avions constaté que, si des progrès pouvaient être relevés, des résultats concrets se faisaient néanmoins encore attendre.
Toutefois, dans le domaine de l’application des lois, nous savons que du temps est parfois nécessaire. Il nous a semblé cependant qu’un engagement ferme et continu des autorités bulgares et roumaines était indispensable dans la mise en œuvre des réformes avec le soutien de la société civile.
Nous avions aussi considéré que, en dépit de ses défauts, le mécanisme de coopération et de vérification devrait être poursuivi en mettant plus l’accent sur la coopération, si des résultats concrets n’étaient pas observés. Mais, à l’évidence, en ce qui concerne les objectifs à atteindre, ce mécanisme de coopération et de vérification aurait aussi besoin d’être davantage précisé.
Par ailleurs, la commission des affaires européennes a constaté que la lutte contre la corruption et le crime organisé concernait l’Union européenne dans son ensemble et devrait faire l’objet d’une action commune plus déterminée.
Par ailleurs, des enseignements devront être tirés pour les futures adhésions : nous pensons que c’est avant même l’adhésion qu’une action résolue devra être engagée pour que le pays prenne les dispositions requises par l’intégration européenne.
En effet, le mécanisme de coopération et de vérification fait peser un trop fort sentiment de stigmatisation à l’égard des pays concernés et renforce l’idée d’une inégalité entre les vingt-sept pays de l’Union.
Postérieurement à cette communication, la Commission européenne a publié, en juillet 2009, deux nouveaux rapports de progrès. Dans des conclusions adoptées le 14 septembre 2009, le Conseil a appelé la Bulgarie et la Roumanie « à accentuer leurs efforts en prenant sans délai toutes les mesures nécessaires et en faisant état de résultats tangibles et durables, en particulier dans les domaines mis en évidence dans les rapports. »
Pour les deux pays, le Conseil a certes relevé les progrès accomplis, mais il a aussi constaté le caractère trop fragmentaire de ces derniers et l’absence de résultats concrets.
Relevant que le mécanisme de coopération et de vérification est désormais entré dans sa troisième année de mise en œuvre, le Conseil a noté « qu’il constitue un outil approprié et qu’il demeurera en place dans l’attente des résultats escomptés dans ce cadre ».
Dans ce contexte, monsieur le secrétaire d’État, nous souhaitons connaître l’appréciation du Gouvernement sur la situation de la Bulgarie et de la Roumanie au regard de ces enjeux essentiels que sont la justice et la lutte contre la corruption.
Peut-on escompter un engagement ferme et résolu des autorités politiques, tant en Bulgarie qu’en Roumanie, pour prendre les mesures nécessaires ?
Si la situation devait perdurer, n’y aurait-il pas là un risque pour le bon fonctionnement de l’Union et sa cohérence ? Quel pourrait être notamment l’incidence sur la perspective d’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l’espace Schengen ?
Ne faut-il pas accentuer la coopération pour permettre à ces deux pays de réaliser des progrès significatifs dans ces domaines ?
Enfin, au-delà de ces pays, l’Union ne devrait-elle pas engager une politique plus résolue de lutte contre la corruption ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la communication de MM. Pierre Bernard-Reymond et Michel Billout du 23 juin 2009 dresse un bilan très lucide de l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l’Union.
Cette communication souligne d’abord avec beaucoup de justesse l’impact très positif pour la Roumanie et la Bulgarie de leur adhésion à l’Union. C’est un constat mutuellement partagé et qu’il ne faut pas hésiter à rappeler, comme je l’ai fait récemment lors de mes visites à Bucarest en juillet et à Sofia en septembre dernier, lorsque j’ai rencontré le nouveau Premier ministre bulgare.
Vous avez également raison de mettre en avant le dynamisme économique de ces deux pays depuis leur adhésion à l’Union européenne : près de 6 % de croissance par an en moyenne. Cela dit, la crise économique a eu aussi une forte incidence sur ces pays à partir de 2008.
Mais, là encore, face à cette crise, l’Union a su faire preuve de solidarité et garantir la stabilité financière de la région. C’est ainsi que l’Union a octroyé à la Roumanie un soutien à la balance des paiements de l’ordre de 5 milliards d’euros, qui est venu en appui de l’aide versée par le FMI et qui a très certainement contribué à sauver le système financier roumain.
C’est grâce à l’Union que la crise économique et financière n’a pas pris les proportions de celle de 1929, et nous devons tous nous en féliciter.
Mais votre communication épingle aussi les lacunes persistantes de ces deux États en matière de lutte contre la corruption. Sur ce point encore, vous avez raison.
Vous dressez, de ce point de vue, un bilan objectif du mécanisme de coopération et de vérification, institué par décision de la Commission européenne le 13 décembre 2006, et qui a été mis en place, notamment sous présidence française, pour aider la Bulgarie et la Roumanie, après leur adhésion, à accomplir les réformes nécessaires dans le domaine du système judiciaire, de la lutte contre la corruption et, pour la Bulgarie, de la criminalité organisée.
Vous faites également part de vos préoccupations légitimes sur la gestion des fonds communautaires par ces deux États, alors que – il faut le rappeler – la Commission a décidé en 2008 la suspension du versement de 500 millions d’euros d’aides allouées à la Bulgarie au titre de la préadhésion.
Par ailleurs, les fonds européens réservés à la Bulgarie et à la Roumanie au titre de la période allant de 2007 à 2013 sont très importants, tant en valeur absolue – 6 milliards d’euros pour la Bulgarie et 20 milliards d’euros pour la Roumanie – que rapportés au PIB de chacun des pays.
L’exigence de bonne gestion de ces fonds s’impose bien entendu à ces États, mais elle est également une exigence politique pour nous car – je le rappelle devant M. Philippe Marini – notre pays est désormais contributeur net à hauteur de 5 milliards d’euros. C’est dire si la bonne utilisation de ces fonds nous intéresse nous aussi !
M. Philippe Marini. Ce sera dit à Sofia !
M. Pierre Lellouche, secrétaire d'État. À l’issue de ce bilan, votre communication s’achève, monsieur Billout, sur quatre observations que le Gouvernement partage entièrement, s’agissant du caractère du mécanisme, de la poursuite de ce dernier et des enseignements qui doivent en être tirés.
Premier constat, le mécanisme de coopération et de vérification est nécessaire et doit être maintenu. La Commission européenne ne note pas dans son rapport du 22 juillet dernier une percée majeure dans les résultats obtenus par la Bulgarie et la Roumanie.
S’agissant de la Bulgarie, la Commission regrette plus particulièrement l’absence de consensus politique ou de stratégie convaincante pour faire de la lutte contre la criminalité et la corruption la première des priorités du pays.
S’agissant de la Roumanie, la Commission déplore également l’absence de consensus politique pour mener à bien les réformes et le défaut d’effectivité des codes civil et pénal.
Le Conseil « affaires générales » du 14 septembre 2009 a confirmé ce point de vue. Il s’est prononcé dans le sens de la Commission et a endossé les grandes orientations de ce rapport.
Depuis le mois de septembre, toutefois, deux évolutions se sont produites. L’une est positive, l’autre négative.
L’évolution positive est intervenue en Bulgarie, où le nouveau gouvernement est dirigé par M. Borissov, que j’ai rencontré. Celui-ci est ensuite – et récemment – venu à Paris afin de rencontrer les plus hautes autorités françaises, à commencer par le Président de la République.
M. Borissov s’est engagé en priorité à lutter contre la corruption et la criminalité organisée. Nous prenons note de cette évolution favorable et nous espérons que des résultats seront rapidement obtenus. On constate, par exemple, que des modifications importantes sont intervenues dans le service des douanes, dont plusieurs responsables ont été licenciés, tandis que cinq cents fonctionnaires ont été mis à pied.
En Roumanie, au contraire, vous le savez comme moi, le Gouvernement est tombé. Le pays connaît ainsi une crise gouvernementale, d’où l’évolution négative que j’évoquais.
Deuxième constat, pour accroître son efficacité, le mécanisme de coopération et de vérification doit en effet, monsieur Billout, être plus précis et mettre davantage l’accent sur la coopération.
En réponse à cette observation, la Commission a adopté dans son rapport de juillet dernier vingt et une recommandations pour la Bulgarie et seize pour la Roumanie. Cette approche ciblée est d’autant plus nécessaire que, au-delà de la troisième année, les clauses de sauvegarde ne peuvent plus être activées par l’Union.
Je citerai certains exemples concrets de coopération engagés par la France avec ces deux pays.
En ce qui concerne la Roumanie, la France a apporté son soutien à un projet de renforcement des capacités institutionnelles et administratives du ministère de la justice et du ministère public roumains. Un magistrat, assistant technique, que j’ai moi-même rencontré, est placé en détachement auprès du ministre de la justice de Roumanie.
Lors du Conseil « justice et affaires intérieures » de juin 2008, le ministre de la justice roumain a demandé l’aide technique de la France pour la rédaction d’un projet de loi portant sur la responsabilité des ministres poursuivis pour actes de corruption. Nous avons accordé cette aide sous la forme d’une mission de deux hauts magistrats.
En ce qui concerne la Bulgarie, l’École nationale de la magistrature apporte un appui à l’Institut national de la justice de Sofia, fondé en 2004. Nous sommes disposés, dans le cadre de cet important jumelage européen remporté par la France, à travailler sur la réforme de l’État et tout particulièrement sur la professionnalisation des gouverneurs et la déconcentration.
Troisième constat, il manque – là encore, vous avez raison, monsieur Billout – un cadre d’ensemble européen pour la lutte contre la corruption et le crime organisé dans l’Union européenne.
La France, de ce point de vue, soutient la démarche de la Commission et portera ce sujet dans les débats sur le futur programme de Stockholm, qui fixera les orientations pluriannuelles.
En particulier, la France souhaite que, dans le cadre de ce programme, les États puissent s’accorder sur un mécanisme plus large d’évaluation de la qualité de la justice.
Quatrième et dernier constat, qui est aussi une leçon pour l’avenir, nous devons réserver une place éminente aux questions de justice et d’affaires intérieures dans les négociations d’adhésion.
Nous veillerons à ce que chaque pays candidat prenne toutes les dispositions requises en vue de son intégration à l’Union européenne ; nous ne transigerons pas sur les sujets concernant la justice et les affaires intérieures.
Comme vous le savez, à partir du retour d’expérience avec la Roumanie et la Bulgarie, nous avons renforcé le cadre de négociation avec les pays candidats, et prévu notamment que l’examen des chapitres puisse être assorti de critères d’ouverture et de fermeture.
C’est dans ce cadre que nous abordons, avec la Croatie, l’examen du chapitre 24 « Justice, liberté et sécurité », à partir des six critères suivants portant sur des points essentiels de l’acquis communautaire : asile, visas, gestion intégrée des frontières, Schengen, mandat d’arrêt européen, lutte contre le terrorisme. Nous examinerons dans ce même esprit le chapitre 23 « Pouvoir judiciaire et droits fondamentaux ».
J’ai d’ailleurs insisté sur ces points lorsque je me suis rendu en Islande au mois de juillet dernier, après que ce pays a annoncé sa candidature à l’Union européenne. Un an après la déconfiture de son système financier, qui l’a conduit à la ruine puisqu’il est désormais endetté à hauteur de treize fois son PNB, j’ai transmis aux responsables islandais la position de la France : il est pour nous incompréhensible qu’aucune poursuite n’ait été engagée contre leurs compatriotes à l’origine d’un tel désastre ; dès lors, la candidature de l’Islande est certainement recevable et intéressante, mais encore faut-il que des mesures de « nettoyage judiciaire » soient mises en œuvre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, soyez-en convaincus, nous sommes extrêmement vigilants quant au respect des critères fixés en matière de coopération judiciaire et de lutte contre la corruption et le crime organisé. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Anne-Marie Payet et M. Richard Yung applaudissent également.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder à la discussion interactive et spontanée.
Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum.
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Je me félicite de ce que mon collègue Robert del Picchia souhaite également intervenir, car, représentant tous deux des Français établis hors de France, nous connaissons bien la situation de ces pays.
Je note que la position de la commission et celle du Gouvernement recueillent un large consensus. Je ne reviendrai donc pas en détail sur les différents points évoqués et ferai simplement trois remarques.
Premièrement, la lutte contre la corruption est un long processus.
Si la morale et l’éthique sont en cause, le phénomène est d’abord culturel et économique. Dans des pays comme la Bulgarie et la Roumanie, les plus hauts fonctionnaires gagnent 400 euros par mois, et les maires 200 euros. Comment voulez-vous qu’ils ne soient pas tentés de tirer profit de l’attribution, par exemple, d’un permis de construire ? Un tel comportement n’est évidemment pas justifiable, mais, d’une certaine façon, il est humain.
Tant que des dysfonctionnements perdureront, nous serons confrontés à la corruption. Celle-ci fausse la donne : les appels d’offres et les investissements n’ont plus de sens, et aucune activité économique normale n’est possible. Nous souhaitons tous que ce mal soit éradiqué ou, à tout le moins, ramené à une proportion similaire à celle que nous connaissons dans nos économies nationales. Mais tout cela prendra du temps, et il faut nous replacer dans le long terme.
Nous sommes tous prêts à croire les déclarations des dirigeants de ces pays. Mais cela fait cinquante ans que l’on entend le même discours en Afrique, et rien n’y a changé ! Personnellement, j’attends donc un peu plus que des déclarations, en l’occurrence des faits.
Au demeurant, il n’est qu’à voir la situation en Roumanie, où règne une grande confusion politique, pour comprendre que le problème de la corruption ne se résoudra pas en quelques mois.
Deuxièmement, monsieur le secrétaire d’État, vous n’êtes pas sans savoir que la Roumanie – je m’y suis rendu voilà quinze jours – ainsi que la Bulgarie, d’ailleurs, ne parviennent pas à consommer 10 % des crédits de coopération que l’Union européenne met à leur disposition. Ces deux pays manquent en effet de personnels compétents pour préparer les appels d’offres et les projets et, partant, pour les mettre en œuvre. Il s’agit d’un problème majeur, bien qu’un peu extérieur au sujet qui nous préoccupe aujourd’hui.
Sans doute faudra-t-il revoir les modes de fonctionnement en la matière, surtout lorsque l’on sait que la Commission européenne, pour ce qui la concerne, a défini un ensemble de règles totalement kafkaïen, au prétexte de lutter contre les tentations de détournement ou une mauvaise utilisation des fonds !
Enfin, troisièmement, je vous rejoins sur un point : il importe, dès le début des négociations d’adhésion, d’établir des critères à la fois précis et contraignants. La Roumanie et la Bulgarie font partie, par exemple, des pays concernés par le projet de pipeline. Il ne faut donc pas attendre, pour aborder tous ces sujets, qu’ils se retrouvent dans la situation d’être en quelque sorte stigmatisés et considérés comme les mauvais élèves de la classe.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. Monsieur Yung, je vous remercie de votre soutien. Sur ce point, la Haute Assemblée et le Gouvernement sont du même avis, et c’est une bonne chose.
Vous l’avez rappelé, la lutte contre la corruption est un long processus. C’est précisément pour cette raison que le mécanisme de coopération et de vérification mis en place est valable un an et qu’il est renouvelable. Son utilité est avérée : à chaque fois qu’un rapport sur la question est publié à Bruxelles, il a un impact politique réel dans le pays concerné.
J’étais moi-même en Roumanie lorsque le dernier rapport a été publié. Le choc fut grand et le sujet a fait l’objet d’un débat à la télévision, pour savoir si le pays agit en conformité avec les préconisations européennes et mène une lutte efficace contre la corruption et le crime organisé.
Il s’agit donc d’un mécanisme à la fois indispensable et extrêmement utile sur le plan pédagogique. Même si le fait de singulariser des États récemment entrés dans l’Union européenne peut être mal perçu, il faut bien reconnaître que, par rapport aux autres, ces adhésions se sont déroulées dans des conditions économiques bien plus difficiles.
Vous avez également évoqué la sous-consommation des crédits communautaires, en soulignant, avec raison, qu’il ne s’agissait pas d’un sujet directement lié au débat qui nous préoccupe aujourd’hui. Cela étant, nous aurons l’occasion d’y revenir lors d’une prochaine séance de ce type.
Une chose est sûre, en tout cas, le phénomène n’est pas spécifique à la Roumanie puisque la France elle-même connaît un problème similaire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai demandé au Premier ministre de nommer M. Pierre Lequiller, président de la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale, parlementaire en mission. Il travaillera en duo avec Mme Sophie Briard-Auconie, eurodéputée française, à l’élaboration d’un rapport devant nous permettre de comprendre les raisons pour lesquelles nos collectivités territoriales ne consomment pas efficacement et rapidement les crédits qui leur reviennent, sachant, encore une fois, que notre pays est contributeur net au budget européen. Il importe véritablement que nous apprenions à mieux consommer cet argent.
La France est donc concernée au même titre que la Roumanie, mais, vous avez raison, cet effort est encore plus difficile pour un pays qui ne s’est installé que récemment dans la démocratie. Conscient du problème, le Gouvernement a détaché sur place un certain nombre de hauts fonctionnaires dans le cadre d’une coopération renforcée, chargés d’apporter une aide technique à leurs homologues roumains.
M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia.
M. Robert del Picchia. Je tiens avant tout à féliciter mes collègues Michel Billout et Pierre Bernard-Reymond de leur communication faite au nom de la commission des affaires européennes.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de toutes vos explications. Elles ont permis d’éclairer encore un peu mieux l’action menée par la France et l’Union européenne pour résoudre un problème qui, n’en doutons pas, peut devenir très grave, non seulement pour la Roumanie et pour la Bulgarie, mais aussi pour les autres États membres. Tous risquent de perdre leur crédibilité.
En l’état actuel, nous ne pouvons plus nous permettre d’aller faire la morale aux dirigeants africains, au risque de nous entendre dire : « Regardez donc ce qui se passe chez vous ; la situation est bien pire ! » Vous avez rappelé l’importance des fonds versés : représentant plusieurs milliards d’euros, ils éveillent les convoitises. À chaque fois qu’il y a de l’argent en jeu, la corruption se développe, surtout dans des pays où le crime organisé a d’ores et déjà pris racine.
Il est tout de même regrettable de constater que l’aide apportée par l’Union européenne à la Roumanie et à la Bulgarie pour favoriser leur développement et en faire des États membres à part entière risque d’aboutir à de telles dérives.
Certes, un cadre a été défini et des mesures ont été prises, mais, pour l’instant, les progrès sont insuffisants, comme l’ont noté nos deux collègues dans leur communication. Mais il est encore permis d’espérer. Jusqu’à quand ? Nous n’en savons rien !
Monsieur le secrétaire d'État, l’Union européenne doit véritablement se saisir de ce problème réel, d’autant qu’il existe un risque de contagion aux pays voisins. Vous avez évoqué les Balkans et le cas particulier de la Croatie. Il paraît tout à fait naturel que les pays de cette région, qu’ils aient ou non vocation à entrer dans l’Union européenne, connaissent une montée en puissance du crime organisé.
Nous devons veiller, à l’avenir, à freiner un tel développement, faute de quoi l’Union européenne verra son image se dégrader. Il est donc à mes yeux très important de continuer, voire de renforcer, les actions que vous avez rappelées.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. Monsieur del Picchia, je vous remercie à mon tour de vos propos. Sachez que nous sommes très attentifs à l’évolution de la situation. La difficulté, comme toujours, c’est de savoir où placer le curseur. Les mécanismes de contrôle sont indispensables, mais ils doivent s’accompagner de mesures de soutien.
Il ne faudrait pas que, sous couvert d’un mode de fonctionnement fondé sur le contrôle permanent, on en vienne à paralyser l’action de l’Union européenne là où elle est nécessaire. J’ai en tête un certain nombre d’exemples où la gestion par la Commission de certains dossiers importants, notamment dans le domaine industriel et scientifique, est fortement handicapée par ce mauvais réflexe qui consiste à « ouvrir le parapluie » en cas de problème. Parfois, l’emploi des crédits fait l’objet d’une telle attention que plus personne, finalement, n’ose prendre de décisions, la Commission elle-même finissant par neutraliser des projets pourtant indispensables.
C’est dans la recherche nécessaire d’un équilibre que les États, le Conseil et la Commission doivent mieux se coordonner. Le respect de l’exigence d’une bonne utilisation des fonds ne doit pas aboutir à bloquer le système. Tout l’art est de faire fonctionner cette Europe à Vingt-Sept, et je peux vous dire que la tâche est très compliquée ! Nous nous efforçons d’être à la fois lucides et efficaces, tout en favorisant les programmes d’action en commun qui sont nécessaires. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le secrétaire d'État, en vous écoutant, je me suis rappelé qu’est en train d’être mis en place un service extérieur de diplomatie européenne. Ce serait une bonne occasion pour harmoniser le travail de l'Union européenne et celui de nos représentations nationales.
Vous l’avez dit, la Roumanie bénéficie d’un soutien à la fois de la France, qui y a détaché des magistrats et des hauts fonctionnaires dans le cadre d’une action renforcée, et de l'Union européenne, laquelle a accordé d’importants crédits communautaires. Tout cela devrait bien fonctionner ensemble, mais, pour l’instant, force est de constater que la mayonnaise n’a pas pris. Voilà donc une occasion de faire avancer les choses !
M. le président. Nous en avons terminé avec ce quatrième thème, et, ce faisant, avec ce débat européen de suivi des positions européennes du Sénat.
9
Débat sur les prélèvements obligatoires
M. le président. L’ordre du jour appelle un débat sur les prélèvements obligatoires.
Dans le débat, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le président de la commission des finances, messieurs les rapporteurs généraux, mesdames, messieurs les sénateurs, comme chaque année et malgré son programme de travail très chargé, le Sénat a tenu à organiser un débat sur l’évolution des prélèvements obligatoires.
Cette priorité, je ne peux que la partager pleinement, surtout à cette époque, de même que Christine Lagarde, actuellement à l’Assemblée nationale.
Ce débat revêt une importance toute particulière pour illustrer la cohérence de notre politique économique. Il permet aussi de prendre la hauteur de vue nécessaire, alors qu’une telle attitude est parfois difficile lorsque les débats sur tel ou tel article du projet de loi de finances ou du projet de loi de financement de la sécurité sociale deviennent trop techniques. Nous renouerons avec le genre ici dans les toutes prochaines semaines.
Depuis trois ans, notre politique en matière de prélèvements n’a pas varié : nous voulons une France plus compétitive, plus écologique et plus juste. C’était déjà notre priorité avant la crise, et elle l’est plus que jamais.
La crise nécessite non pas de reporter les réformes fiscales mais, au contraire, de les mener à leur terme, parce que c’est pendant la crise que se préparent les atouts de la sortie de crise. C’est pourquoi le projet de loi de finances pour 2010 comprend des réformes fiscales très ambitieuses.
La crise nous a donc conduits non pas à infléchir notre politique, mais bien à l’accélérer. Nous sommes pour la réforme fiscale quand d’autres sont, d’une certaine façon, pour la pression fiscale.
La crise a été également, pour le Gouvernement, un test de réactivité. En matière fiscale, une politique fiscale constitue en effet un atout pour une croissance plus forte et plus juste, mais également un instrument que l’on doit savoir utiliser pour amortir cette crise.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a fait des outils fiscaux le cœur du plan de relance. On ne peut donc pas parler aujourd’hui de prélèvements obligatoires en France sans commencer par évoquer ce rôle d’amortisseur de crise qu’ils ont joué.
La réactivité a été la caractéristique principale de notre action en matière fiscale en 2009. Comme vous le savez, nous avons dû nous adapter à la situation.
Nous avons d’abord choisi de laisser les recettes s’ajuster avec le recul de l’activité, sans compenser ce gigantesque manque à gagner sur les finances publiques.
Ce libre jeu des stabilisateurs automatiques, pour employer une terminologie un peu absconse, était recommandé par toutes les institutions internationales. En 2009, l’effet de la crise a été 3,6 points de produit intérieur brut de baisse des prélèvements obligatoires, majoritairement concentré sur les recettes de l’État. Rien que pour l’impôt sur les sociétés, c’est une baisse de 30 milliards d’euros.
Face à cela, nous ne sommes pas restés immobiles, mettant très rapidement en place des mesures fiscales de soutien ciblées et réversibles.
Ainsi, pour soutenir la trésorerie des entreprises, par exemple, nous avons anticipé le remboursement du crédit impôt recherche. Je n’entrerai pas dans le détail de ces mesures, que vous connaissez très bien.
Cette panoplie représente 15 milliards d’euros de soutien à la trésorerie des entreprises à un moment absolument crucial, celui où elles ont à choisir entre mettre la clé sous la porte et essayer de continuer à vivre. Et ces mesures ont permis à beaucoup d’entreprises de survivre !
Contrairement à ce que l’opposition a dit à plusieurs reprises, nous avons également protégé nos concitoyens les plus exposés : 5,5 millions de ménages ont bénéficié du crédit d’impôt sur le revenu de la première et, en partie, de la deuxième tranche.
Voilà pour la réactivité dans l’urgence. Et cela a marché ! J’en veux pour preuve que, d’après les prévisions de la Commission européenne, pour 2009, la récession sera en France deux fois moins forte que dans la zone euro.
Il faut être clair : si, en France, la récession a été moins forte et moins importante que prévu, c’est d’abord parce que nous avons construit un plan de relance équilibré entre les mesures de soutien de la trésorerie, de l’investissement et de la consommation, et en nous appuyant pour moitié sur la fiscalité, sur les prélèvements obligatoires.
En 2010, nous n’assisterons pas encore au retour à la normale du point de vue de la croissance. Nous prolongeons donc l’anticipation du remboursement du crédit impôt recherche. Nous aurons à en discuter.
Par ailleurs, la suppression de la taxe professionnelle en une seule année, sujet brûlant d’actualité, permettra, en plus de ses effets structurels, de dégager l’année prochaine environ 7 milliards d’euros de soutien à la trésorerie des entreprises. Structurellement, cela représente quelque 5,7 milliards d’euros. L’année prochaine, ce seront 5,7 milliards d’euros plus 7 milliards d’euros correspondant à l’incidence de la suppression en une année de la taxe professionnelle.
Par rapport au coût pérenne de la suppression de la taxe professionnelle, c’est un surcoût ponctuel, lourd, mais qui est entièrement justifié dans cette année charnière.
Notre stratégie, c’est la maîtrise de la dépense, le renforcement de la croissance future, et pas la hausse des impôts. Je ne suis pas de ceux qui trouvent bienvenue cette idée d’augmenter les impôts !
Mardi encore, au moment où débutait la discussion du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale, les députés de l’opposition m’expliquaient que, pour relancer la croissance en France, il fallait immédiatement augmenter les impôts d’environ 10 milliards d’euros : j’ai fait le compte devant le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale et j’ai dit que le Gouvernement ne partageait pas cette analyse.
Comme l’a déjà indiqué à plusieurs reprises le Président de la République, nous n’avons pas été élus pour augmenter les impôts ! Et mon rôle de ministre du budget n’est pas davantage d’augmenter les impôts ! Je suis là pour vous proposer d’autres chemins, que vous connaissez d’ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs.
Bien sûr, il faut que le niveau des recettes fiscales et sociales se rétablisse. Tel qu’il est aujourd’hui, il n’est pas compatible avec notre modèle économique et social.
La réponse doit passer par plus de croissance, par plus d’activité, et non par un taux d’imposition plus élevé. Lorsque l’on vit dans un pays qui a le cinquième niveau au monde de prélèvements obligatoires, croire que l’on peut faire revenir les recettes en augmentant les impôts n’est pas une bonne solution économique. Comment peut-on penser que la hausse des impôts est la solution de l’avenir ?
L’opposition nous accuse d’avoir, en fait, augmenté les impôts. C’est faux et archi-faux ! Depuis 2007, nous avons baissé les impôts de 16 milliards d’euros, dont plus de 10 milliards d’euros au bénéfice des ménages, avec des axes clairs : valoriser le travail et le pouvoir d’achat, renforcer la compétitivité, encourager les comportements écologiquement corrects.
Par conséquent, 10 milliards d’euros pour les ménages et 6 milliards d’euros pour les entreprises, telle est la réalité des chiffres ! Ils permettent de répondre à l’accusation parfois un peu facile, qui est plutôt lancée à gauche, de « baisse des impôts pour les entreprises, hausse pour les ménages ». (Mme Raymonde Le Texier s’exclame.) Ce n’est pas vrai ! Il y a eu plus de baisse d’impôt pour les ménages que pour les entreprises ! Je m’en tiendrai là, mais je voulais absolument le dire. Je récuse le procédé toujours extrêmement stérile qui consiste à distinguer entre les mesures pour les entreprises et les mesures pour les ménages. Si je l’ai fait, c’est dans un souci de clarification par rapport aux critiques qui nous ont été opposées.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Ce sont toujours les ménages qui paient, à la fin !
M. Eric Woerth, ministre. Pour moi, il y a une seule France, un seul bateau. Nous sommes tous à bord. Pour faire fonctionner la France, il faut des entreprises qui fassent travailler les ménages, lesquels permettent aux entreprises de produire. Le dire ne me vaudra pas le prix Nobel d’économie (Sourires.), mais je pense que c’est la réalité des choses !
Soutenir nos entreprises dans un monde de plus en plus compétitif, c’est évidemment créer de l’emploi et faire la richesse du pays. Le propos est un peu banal, frappé au coin du bon sens, voire un peu simpliste, mais il exprime la réalité.
Je constate d’ailleurs que, entre 1997 et 2002, lorsque l’opposition était au pouvoir, elle n’a pas considéré que la réforme de la taxe professionnelle ou la baisse de l’impôt sur les sociétés qu’elle avait engagée à l’époque était contraire à l’intérêt des ménages !
Que répondre à l’affirmation selon laquelle nous avons créé des taxes ? Est-ce vrai ? Certes, des taxes ciblées ont été créées. Elles étaient destinées à modifier des comportements ou à financer des réformes. Mais d’autres taxes, bien plus importantes, ont été supprimées.
Comment pourrait-on, par exemple, comparer la création de la taxe sur les extractions d’or en Guyane à la suppression de la taxe professionnelle ? En comptabilité pure, cela fait deux – un plus un. Évidemment, en termes de montant, ce n’est pas tout à fait la même chose !
Nous n’avons pas fait d’augmentation générale des prélèvements et nous ne soutiendrons aucune mesure qui irait dans ce sens, qu’il s’agisse de la création de nouvelles tranches de barème de l’impôt sur le revenu, de la diminution de l’ensemble des niches d’un coup de rabot un peu magique ou encore du détricotage du bouclier fiscal, que beaucoup nous proposent. En effet, ne nous y trompons pas, si nous faisions sauter le verrou du bouclier fiscal, la prochaine étape serait immanquablement de faire sauter le verrou des hausses d’impôt pour tout le monde ! Qui croira d’ailleurs à notre engagement de ne pas augmenter les impôts si nous commençons par revenir sur notre engagement de mettre en place un bouclier fiscal ?
Si nous ne voulons pas de hausse générale d’impôt, c’est parce que c’est par la relance de l’activité et par la baisse des dépenses que notre situation financière s’améliorera. C’est notre politique, et nous l’assumons ! La priorité, c’est la baisse des dépenses, pas la hausse des impôts.
C’est d’ailleurs un débat qu’il faut aussi avoir au niveau local. Quand on compare l’augmentation de l’emploi public local, hors charges de décentralisation, et l’augmentation des taux d’imposition locaux, on se dit que cette stratégie-là n’est pas viable.
Il me paraîtrait utile d’avoir un débat sur l’ensemble de l’emploi public. Les fonctions publiques d’État, hospitalière et locale méritent que l’on regarde de près leurs évolutions. Nous devrons en débattre un jour ou l’autre. À un moment, nous avons apporté des réponses pour l’État. Ensemble, nous devrons essayer de donner des réponses plus générales sur l’emploi public.
Mais pas de hausses des prélèvements, cela ne veut pas dire immobilisme. Bien au contraire, le Gouvernement s’est engagé dans une réforme profonde de la fiscalité, autour de trois axes : une fiscalité qui permette plus de compétitivité, une fiscalité garante d’un meilleur respect des normes et de la volonté écologique, et une fiscalité plus juste.
Pour renforcer la compétitivité de notre pays, tout d’abord, nous allégeons la charge fiscale pesant sur les dépenses d’avenir : l’investissement et la recherche et développement.
Après la suppression de l’impôt forfaitaire annuel, l’IFA, Christine Lagarde et moi-même vous proposons, dans le projet de loi de finances, la suppression de la taxe professionnelle. C’est évidemment une réforme majeure. Elle a été préparée par le Gouvernement et par les parlementaires pour lutter contre les délocalisations, pour améliorer l’attractivité du territoire.
J’ai conscience du fait que les collectivités locales ont aussi besoin de leurs financements. Je serai le dernier à dire le contraire ! Mais nous ne réformerons pas la taxe professionnelle sans garantir l’autonomie financière et la stabilité des ressources des collectivités. (Mme Raymonde Le Texier s’exclame.)
C’est d’ailleurs le débat qui se déroule en ce moment à l’Assemblée nationale. Bien évidemment, il se prolongera dans quelques semaines au sein de la Haute Assemblée.
Notre engagement est clair, et le Gouvernement a donné toutes les garanties politiques et techniques – elles peuvent évidemment être améliorées encore – aux collectivités : tout d’abord, la garantie de ressources, assurant à chaque collectivité, à chaque établissement public de coopération intercommunale que ses ressources totales seront inchangées. Je le réaffirme, il n’y a pas une collectivité perdante dans cette réforme !
Par ailleurs, le Gouvernement s’engage à garantir l’autonomie financière des collectivités, ainsi que le lien entre les entreprises et les territoires. Certes, il faut encore l’améliorer. De nombreux amendements sont déposés en ce sens à l’Assemblée nationale. J’imagine que ce sera le cas également au Sénat.
Contrairement à ce que j’ai entendu dire, cette réforme n’est pas une réforme menée pour les entreprises et contre les collectivités. Comme l’a dit le Premier ministre la semaine dernière devant la Conférence nationale des exécutifs, « il n’y a pas d’un côté l’État et puis de l’autre côté les collectivités locales […] il y a une seule République au fonctionnement de laquelle concourent et l’État et les collectivités locales ».
Avant les discussions très denses qui vont nous occuper ces prochaines semaines sur ce sujet, avec Christine Lagarde qui porte ce texte sur la taxe professionnelle, je profite du débat d’aujourd’hui dans la Haute Assemblée pour poser une question simple : qui peut nier que la suppression de la taxe professionnelle soit nécessaire ? Au fond, pas grand monde ! Qui peut nier qu’elle soit bénéfique pour l’économie française ? Pour sa compétitivité ? Pour ses emplois, et donc pour nos territoires ? Personne ! Même à gauche, les personnalités les plus éminentes l’ont reconnu dans le passé et continuent à le reconnaître.
Cette réforme doit donc être faite. Elle est difficile, complexe, bouscule les habitudes, crée de la crainte, j’en conviens aisément. Mais cette réforme est nécessaire. C’est notre rôle d’arriver à surmonter ensemble les obstacles pour aboutir.
J’en viens à un autre point majeur, s’agissant des prélèvements obligatoires : après le Grenelle de l’environnement, la fiscalité doit être tournée de plus en plus vers l’économie verte et vers un modèle de croissance verte.
Ainsi, nous devons déplacer la fiscalité de la production vers la pollution. C’est le cas avec la taxe carbone.
Nous devons également procéder à un certain nombre d’ajustements de nos dispositifs fiscaux pour encourager les comportements écologiques, et donc procéder à un certain nombre de « verdissements », comme l’on dit. On ne peut pas s’engager en faveur de l’écologie uniquement au moment des élections ; il faut le faire dans les textes, et nous le faisons.
Instituer la taxe carbone, c’est évidemment mettre un prix sur ce qui n’était jusqu’à présent qu’un coût pour l’environnement. C’est un signal envoyé aux entreprises et aux ménages. La taxe carbone est tout simplement indispensable et cohérente avec les engagements politiques de la majorité.
Dans le respect d’un autre de nos engagements, celui de ne pas augmenter les prélèvements, nous rendrons le produit de cette taxe aux ménages et aux entreprises. Cependant, et personne d’ailleurs ne s’y trompe, sa mise en place correspond à un changement en profondeur de notre fiscalité.
Enfin, la fiscalité doit être plus juste, ce qui signifie d’abord qu’il faut continuer à agir sur les niches fiscales.
Il est assez facile de caricaturer le débat en la matière, mais j’estime que nous avons progressé au cours des dernières années, notamment avec l’appui du président et du rapporteur général de votre commission des finances, et je tiens à dire que le Gouvernement reste mobilisé.
Au fond, on peut ou poursuivre le plafonnement des niches, en continuant à procéder niche par niche, ou changer de méthode et prendre un rabot.
Je relève toutefois que, comme d’habitude, on commencera par faire faire beaucoup de tours et de détours au rabot pour éviter des niches dont on considère qu’elles ne peuvent être rabotées. Ce sera quasiment du slalom ! Il serait en effet malaisé de raboter la prime pour l’emploi, les diminutions de base taxable pour les retraités, les avantages fiscaux accordés aux personnes handicapées ou encore – d’autant que cela mettrait beaucoup d’emplois en cause – ceux dont bénéficient les quelque 3 millions de personnes qui recourent à des gardes d’enfant ou à des emplois à domicile.
Au fond, compte tenu de tous les virages qu’il devrait faire, le rabot ne servirait pas à grand-chose ! C’est donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à un travail en profondeur que nous allons, ensemble, nous livrer sur la base d’un document qui nous permettra de disposer de tous les éléments d’un débat complet et éclairé.
J’ai en effet demandé l’année dernière à l’Inspection générale des finances de procéder à l’examen et à l’évaluation des 469 niches fiscales, notamment sous l’angle de la rentabilité socio-économique.
Pour effectuer sérieusement cette tâche, qui est considérable, deux ans environ sont nécessaires ; nous connaîtrons donc d’ici à la fin du premier semestre de l’année 2010 les résultats de cet examen pour la plupart des « grandes » niches, et donc les volumes que représentent réellement celles-ci.
Par ailleurs, le projet de loi de finances pour 2010 comprend toute une série de propositions, dans le domaine fiscal comme dans le domaine social, dont nous pourrons, évidemment, discuter.
J’ajouterai que, s’agissant des prélèvements tant fiscaux que sociaux, je suis désormais assez favorable au renouvellement de nos règles pour assurer une bonne gouvernance de nos finances publiques, idée qui, jusqu’à présent, ne m’enthousiasmait guère, car, quitte à dépenser beaucoup d’énergie, j’estimais préférable d’utiliser celle-ci à diminuer la dépense plutôt qu’à définir des règles dont je crains toujours qu’elles ne cachent l’essentiel, à savoir l’action non pas sur la forme mais sur le fond.
En tout état de cause, nous allons avoir à nouveau, d’ici au printemps, un débat dans le cadre d’un projet de loi de programmation, et il serait à mon avis bon que, à l’occasion – donc bien en amont – de la préparation de celui-ci, qui se fera, bien sûr, en étroite collaboration avec la commission des finances du Sénat, nous essayions de construire des règles adaptées à notre pays.
Il ne s’agit pas, par exemple, de copier les règles allemandes – l’Allemagne, chacun ici l’a remarqué, n’est pas tout à fait la France en matière de finances publiques… –, mais bien de définir des règles qui, tout en permettant d’encadrer suffisamment nos finances, respectent nos modes de fonctionnement ainsi que notre culture politique et économique.
Le Gouvernement vous fera des propositions en ce sens, et je ne doute pas que votre commission des finances fera de même ; le débat nous aidera à tracer le chemin de l’assainissement de nos finances publiques pour les trois prochaines années.
Au-delà de la lutte contre la fraude, qui vise en définitive au rétablissement de la vérité, de l’honnêteté et de la réalité de nos prélèvements obligatoires, telles sont les considérations que je souhaitais vous livrer en guise d’introduction à ce débat sur les prélèvements obligatoires. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ouvrons la saison budgétaire avec ce débat.
Vous savez, monsieur le ministre, que c’est dans cette assemblée que s’est manifestée, lors de l’élaboration de la loi organique relative aux lois de finances, la volonté d’organiser un débat « facteur commun » au projet de loi de finances et au projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Cette année, la situation est très particulière parce que nous sommes en période de crise et que cette crise perturbe les ordres de grandeur : en quelque sorte, nous sommes en état d’apesanteur financière.
Nous perdons, dans la crise, nos repères en même temps qu’un paradoxe extraordinaire se produit, pour nous qui avons plaidé si longtemps en faveur de la baisse du taux des prélèvements obligatoires et avons si longtemps soutenu, dans nos engagements politiques et nos programmes d’autrefois, qu’il était nécessaire de faire refluer ce taux jusqu’à 40 % du produit intérieur brut.
Eh bien, c’est fait !
Cependant, si nous sommes passés de 45 % à 40 %, nous y sommes arrivés non pas exactement par le chemin que nous escomptions… mais plutôt par l’enchaînement des circonstances de la crise.
Et, paradoxe, ce taux de 40 %, nous ne l’avions plus jamais connu depuis 1981, ce qui mérite tout de même d’être noté ! Mais c’est justement une façon de souligner l’ampleur de la crise.
Il s’agit là non pas d’un phénomène mineur, mais d’un phénomène qui va impacter très durablement le contexte dans lequel nous vivons et les structures de notre économie, plus particulièrement les éléments structurels de nos finances publiques.
À la vérité, ce taux de 40 % du produit intérieur brut, nous y arrivons du fait d’un affaissement, et même d’un effondrement de certaines des recettes de l’État.
Vous l’avez dit très justement, monsieur le ministre, l’impôt sur les sociétés a ainsi diminué d’à peu près 30 milliards d’euros. Plus exactement, il était dans la zone des 45 milliards à 50 milliards d’euros, et il sera, à la fin de 2009, dans la zone des 15 milliards à 20 milliards d’euros.
Quant à l’analyse des probabilités pour 2010, elle fait apparaître que le rendement de l’impôt sur les sociétés se situera vraisemblablement non pas dans la zone des 45 milliards à 50 milliards d’euros, mais dans celle des 30 milliards d’euros. Autrement dit, nous n’allons pas spontanément retrouver en 2010 le niveau antérieur.
Cela me paraît être un enseignement important à méditer, car, mes chers collègues, le point qu’il va falloir évaluer de manière très approfondie est celui de savoir quelles sont les transformations apportées à l’économie par la crise.
Je suis pour ma part très sincèrement convaincu, monsieur le ministre, qu’après ne sera pas comme avant. La machine ne va pas se remettre à tourner comme avant, et ce ne sera d’ailleurs plus la même machine !
La question sera donc notamment de savoir, en termes techniques, à partir de quel niveau de produit intérieur brut potentiel nous allons redémarrer et quel chemin nous allons suivre.
Avant la crise, l’ordre de grandeur du taux de croissance potentiel, puisque c’est de cela qu’il s’agit, était fixé par les économistes à 2 % l’an. Retrouverons-nous ce taux de 2 % et, je le répète, à partir de quel niveau de produit intérieur brut ?
Toute l’équation des finances publiques dépend de cela, de même que dépend de cela la distinction, excellente, entre déficit conjoncturel et déficit structurel.
Si le point de départ comme le taux de croissance potentiel de l’économie sont plus bas, une proportion importante du déficit, qui aurait été estimée conjoncturelle selon l’ancienne analyse, devient structurelle, ce qui signifie que les efforts à faire pour converger vers l’équilibre devront être plus importants demain qu’ils ne l’auraient été hier, dans la dynamique de l’économie que nous connaissions avant la crise.
Dire cela, monsieur le ministre, n’est pas faire preuve de pessimisme ; c’est ce qu’en cette période d’automne nous pouvons entendre, les uns et les autres, dans toutes les réunions macroéconomiques qui se tiennent, et en France et en Europe, et nous ne pouvons pas faire exception à la réalité, car nous sommes dans la réalité.
Il n’en est que plus nécessaire de suivre les orientations que vous avez évoquées à la fin de votre propos en retenant l’opportunité de principes de gouvernance des finances publiques pour l’avenir.
Pour imaginer ces principes, nous pouvons prendre appui sur ceux qui existent déjà, et en particulier nous fonder sur les articles de la loi de programmation des finances publiques qui induisent un certain nombre de contraintes tout en examinant comment ces contraintes sont respectées, ce qui sera sans doute un bon point de départ pour le raisonnement.
Même si les chiffres de la loi de programmation des finances publiques sont, du fait de la crise, complètement obsolètes, les articles normatifs, eux, ne le sont pas. Ils sont censés devoir s’appliquer.
Ainsi, l’article 11 prévoit l’obligation chaque année de gager les créations et augmentations de niches fiscales ou sociales par des suppressions ou réductions de niches.
L’article 12 crée quant à lui l’obligation de procéder à une évaluation des niches fiscales au plus tard le 30 juin 2011 – vous en avez parlé, monsieur le ministre.
Bien entendu, il faut tenir compte de ce gage des nouvelles niches fiscales année par année.
J’ai cru comprendre que l’interprétation de l’administration était un peu plus globale et qu’il s’agissait davantage d’évaluer le coût des niches « en régime de croisière », ce qui permet d’oublier que, en 2010, selon toute probabilité, les nouvelles niches coûteront 2,2 milliards d’euros, et non pas 200 millions d’euros.
À ces règles relatives aux régimes exceptionnels s’ajoute, en dernier lieu, un autre dispositif, qui interdit de procéder à des allégements d’impôt lorsque les recettes sont inférieures à un certain montant fixé en valeur absolue.
Si l’on applique, comme je crois pouvoir le faire au moins de manière théorique, ce point de droit et si l’on veut respecter pour l’année 2011 cette règle, il faudrait augmenter les ressources, d’ici à cette année-là, de 6,5 milliards d’euros.
Qu’il s’agisse de jouer sur la dynamique de l’assiette ou sur tout autre moyen d’augmenter les ressources, il n’en reste pas moins, mes chers collègues, que c’est ce que nous avons voté !
Bref, monsieur le ministre, il est clairement nécessaire, notamment du point de vue de la « soutenabilité » de notre dette et donc pour favoriser une approche confiante de la part des opérateurs internationaux, que nous tracions des perspectives crédibles et que nous nous dotions d’un corps de principes auxquels il nous faudra bien, quoi que cela coûte, nous tenir.
Je voudrais, avant d’en venir à ma conclusion, appliquer maintenant mes réflexions à quelques dossiers d’actualité.
Vous avez évoqué, monsieur le ministre, la taxe carbone. Pour moi, vous le savez, ce n’est pas une taxe, mais, nous en sommes d’accord, c’est un signal-prix.
Ce dispositif doit normalement induire un ajustement des comportements et être lui-même biodégradable, ce qui suppose, dans les deux cas, qu’il ait un certain coût ; à défaut, rien ne se passera. Nous devrons étudier ce très délicat réglage dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010.
J’en viens à la réforme de la taxe professionnelle.
J’avais participé, en son temps, aux travaux de la commission Fouquet, à laquelle il faut d’ailleurs rendre hommage, car elle avait remarquablement travaillé. Les solutions qui nous sont aujourd’hui soumises en sont d’ailleurs issues.
Si cette réforme peut se faire, monsieur le ministre, c’est parce que nous sommes en période de crise. Et si j’y adhère, malgré mes réserves initiales, c’est parce que nous sommes en crise et parce que cette réforme représente le deuxième acte du plan de relance. Nous allons soutenir la trésorerie des entreprises pour la deuxième année consécutive grâce à un apport d’une dizaine de milliards d’euros. Nous devons le faire ! Mais nous savons tous ici, comme vous-même, que des inquiétudes s’expriment et qu’il faudra y répondre.
Pour limiter les inquiétudes que cette réforme ne manquera pas de susciter et pour répondre aux questions légitimes qui se posent, la première chose à faire est de traiter en une seule fois l’ensemble de la réforme dans le projet de loi de finances pour 2010, mais en « adaptant le temps », c’est-à-dire en distinguant, en première partie, ce qui impacte le solde pour 2010, et, en seconde partie, ce qui n’a aucune vocation à s’appliquer à l’exercice 2010.
Si nous ne votons pas cette réforme dans son ensemble, en choisissant avec soin la place de chaque curseur, je crois, monsieur le ministre, que nous alimenterons encore davantage les inquiétudes et les anxiétés, qui sont parfois instrumentalisées…
Mme Nicole Bricq. Ah bon ?
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Absolument ! Instrumentalisées pour des raisons de pure politique politicienne ! (Mme Nicole Bricq s’esclaffe.)
Mme Raymonde Le Texier. Vous savez de quoi vous parlez !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Ces inquiétudes naissent d’abord de l’incertitude. Si nous n’avions pas le courage de voter un dispositif complet, il est clair que ces incertitudes ne feraient que prospérer, notamment dans le climat électoral du début de l’année 2010 ; nous devons absolument éviter cela.
Je souhaite également évoquer quelques questions plus prospectives.
Il paraît possible et raisonnable de mettre en œuvre ce que nous appelons la « trilogie », c’est-à-dire la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune et du bouclier fiscal – qui n’en est que le « fils » ! –, et l’ajustement à due concurrence de l’impôt sur le revenu par la création d’une tranche imposée à 50 %. Il faudra aussi ajuster le taux de la taxation des plus-values, notamment sur les valeurs mobilières. Je ne pense pas que ce soit réalisable immédiatement, dans le contexte de crise que nous connaissons. J’observe cependant que de plus en plus de bons esprits, un peu partout, s’expriment en faveur de cette solution en trois points, pour sortir des contradictions inextricables dans lesquelles nous nous trouvons et qui nuisent à notre pays.
Nous vous proposerons donc, monsieur le ministre – c’est une idée de Jean Arthuis – de tirer les conséquences de la crise financière, en opérant un redéploiement de fiscalité sur le secteur financier. La taxe sur les salaires, dont le montant est de l’ordre de 2 milliards d’euros pour ce secteur, n’a en effet plus de sens. Il faut donc la supprimer, mais en la remplaçant budgétairement, c’est-à-dire pour obtenir le même rendement, par une prime d’assurance systémique, contrepartie de la garantie accordée par l’État à l’ensemble du système financier. Cela permettra de préserver la recette budgétaire et, espérons-le, d’induire des comportements de gestion plus vertueux au sein des grands groupes financiers.
Je conclurai mon propos en évoquant une initiative prise par la commission des finances ; nous devrions, à cet égard, obtenir prochainement quelques éléments de réponse. Il s’agit d’examiner l’impact du développement des nouvelles technologies et d’internet sur les ressources fiscales.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très important !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’est pour nous une vraie préoccupation, car les bases des assiettes fiscales risquent d’être rongées par l’essor de ces nouvelles technologies qui, si elles apportent une grande liberté, remettent en question de façon fondamentale notre organisation administrative.
Nous devons y réfléchir pour l’avenir. Nous ne serons sans doute pas en mesure d’apporter dans l’immédiat de nombreuses réponses opératoires, mais nous serions heureux, monsieur le ministre, de travailler sur ce sujet en lien étroit avec vos services. Nous devons éviter l’évaporation des recettes fiscales liée à la dématérialisation de certaines procédures ou prestations.
Il nous faut développer toutes ces réflexions en veillant à la soutenabilité de nos finances publiques. En effet, si la dette est à peu près gratuite aujourd’hui, du fait des taux d’intérêt négatifs, cela ne saurait durer longtemps.
Vous savez mieux que nul autre, monsieur le ministre, ce que représenterait pour notre budget une tension sur les taux d’intérêt et ses répercussions sur la proportion des charges financières dans les dépenses de fonctionnement de l’État, toutes choses qui se produiront inéluctablement et qu’il vaut mieux envisager comme une réalité proche. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Aymeri de Montesquiou. Hélas !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales.
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Tout d’abord, si j’en crois les propos de M. le ministre, il semble que le budget de la sécurité sociale qui, je le rappelle, représente à peu près 54 % des prélèvements obligatoires, ne soit pas la préoccupation majeure du Gouvernement. Cela laisse donc toute latitude à la commission des affaires sociales pour prendre quelques initiatives !
Ensuite, je partage tout à fait le diagnostic de Philippe Marini sur les déficits du budget de l’État et de la sécurité sociale, de même que j’approuve sa référence à la loi de programmation des finances publiques : nous avons adopté un certain nombre de principes et de règles, dont il faudra tenir compte dans le prochain projet de loi de finances et dans ceux qui suivront.
Enfin, j’ai lu dans la presse que la commission des finances avait proposé de supprimer la taxe sur les salaires, ainsi que l’a précisé M. Marini, et de la remplacer par une nouvelle taxe, dont la création compenserait à due concurrence la disparition de la taxe sur les salaires.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Cette nouvelle taxe alimentera le budget de la sécurité sociale !
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Il ne vous aura pas échappé, monsieur le rapporteur général et monsieur le président de la commission des finances, que la taxe sur les salaires vient alimenter le panier consacré à la compensation des allégements de cotisations sociales.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est la même caisse, monsieur le rapporteur général !
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Mais vous avez sans doute déjà imaginé ce qui remplacera, dans ce panier, le produit de la taxe sur les salaires !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Nous le ferons par un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale !
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Cela étant dit, vous conviendrez avec moi, mes chers collègues, que notre devoir aujourd’hui est de tenter d’anticiper la sortie de crise. On a toujours tort de reporter au lendemain ce que nous pouvons faire le jour même. Il est donc de notre responsabilité, et de celle du Gouvernement, de proposer et d’adopter dès à présent un certain nombre de mesures indispensables au redressement de nos finances publiques.
Face à la situation actuelle, j’ai en effet deux certitudes.
La première est que notre système de protection sociale est, cette fois-ci, parvenu au bout d’une logique et que sa pérennité est sérieusement menacée.
La seconde est que nous devons impérativement cesser de reporter nos difficultés d’aujourd’hui sur les générations futures. Le Gouvernement a d’ailleurs fait sienne cette conviction, si j’en crois les propos tenus par M. le ministre du budget lors de l’examen des précédentes lois de financement de la sécurité sociale ; je ne peux que m’en féliciter.
Il faut en effet avoir bien conscience du fait que le retour de la croissance au niveau qui était le sien avant la crise permettra seulement, pour ce qui concerne le budget de la sécurité sociale, de stabiliser le déficit à son niveau d’après-crise, soit, dans le meilleur des cas, environ 30 milliards d’euros.
Mme Raymonde Le Texier. Tout à fait !
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Or, si la sécurité sociale a pu supporter depuis 2003 des déficits annuels voisins de 10 milliards d’euros au prix d’un accroissement important de la dette sociale, elle ne résistera pas, à mon sens, à plusieurs années d’un déficit qui se maintiendrait à 30 milliards d’euros par an. Il ne s’agirait plus d’un déficit conjoncturel lié à la crise mais, comme l’a dit M. Marini, d’un déficit structurel.
Nous devons donc réagir avec vigueur et surtout ne pas croire que le retour de la croissance arrangera tout.
Quel est l’état de nos prélèvements sociaux ? Ils se stabilisent autour de 22 % du produit intérieur brut de 2008 à 2010 et stagnent, en valeur, à environ 430 milliards d’euros – ce n’est pas rien ! –, un chiffre à rapporter aux 240 milliards d’euros du budget de l’État.
Cette évolution appelle plusieurs remarques de ma part.
C’est d’abord la première fois qu’on observe deux années consécutives de baisse de la masse salariale, soit une baisse de 2 % en 2009 et de 0,4 % en 2010. En conséquence, par rapport à la moyenne observée au cours des dix dernières années, on enregistre plus de 21 milliards d’euros de pertes de recettes pour 2009 et 2010, au seul titre des recettes liées aux revenus d’activité, c’est-à-dire les cotisations et une grande partie de la CSG.
De leur côté, les prélèvements sur les revenus du capital chutent d’environ 20 %, soit une perte de 3,4 milliards d’euros.
Cependant, quelques recettes fiscales affectées à la sécurité sociale résistent assez bien à la crise, notamment les taxes dites comportementales, comme les droits sur les tabacs, les droits sur les alcools, ainsi que la TVA sur les produits pharmaceutiques.
Il résulte de cet ensemble de facteurs que le ratio de couverture des dépenses par les recettes se réduit considérablement puisqu’il passe, pour le régime général, de près de 97 % en 2008 à 90 % à peine en 2010.
Ce rapide accroissement des déficits a un corollaire : l’aggravation de la dette sociale. Pour l’instant, cette dette est portée par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, et le restera tout au long de l’année 2010 ; M. le ministre l’a d’ailleurs confirmé devant la commission des affaires sociales. C’est à ce titre qu’il est prévu dans le projet de financement de la sécurité sociale un plafond d’emprunt de 65 milliards d’euros en 2010.
Au-delà des risques financiers que cela comporte, et dont nous reparlerons lors de l’examen du projet de financement de la sécurité sociale, le simple report du traitement de la dette risque de rendre plus coûteux et douloureux, demain, les prélèvements pour en assurer le financement.
Nous avons posé en juin dernier les données du problème : conformément à la règle organique, tout transfert de dettes à la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, doit s’accompagner d’un transfert de ressources pour lui permettre d’y faire face. La reprise par la CADES au 1er janvier 2011 des déficits sociaux de 2009 et 2010 exigera donc une augmentation de la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS, de 0,54 point, soit plus du doublement de son taux, qui passerait de son niveau actuel, 0,5 %, à 1,04 %. Si l’on attend une année supplémentaire, la reprise de dette devrait avoisiner les 100 milliards d’euros, et il faudra alors porter la CRDS au taux de 1,44 %, soit le triplement de l’actuel taux de prélèvement.
Ces chiffres démontrent de façon évidente la nécessité d’envisager sans plus tarder le traitement de la dette sociale en cours d’accumulation. Le reporter reviendrait à transférer aux générations futures des prélèvements obligatoires que nous n’aurons pas voulu acquitter nous-mêmes, ce qu’elles pourront, à juste titre, nous reprocher un jour.
À moins que nous n’acceptions de modifier la loi organique : les Français d’aujourd’hui devraient alors supporter cette charge.
Je reconnais que le contexte actuel est complexe. Vous êtes, monsieur Woerth, un des ministres des comptes publics qui aura été confronté à la situation budgétaire la plus difficile. Votre tâche est donc ardue. Mais qu’une reprise de la dette par la CADES soit d’ores et déjà mise en œuvre et que les ressources nécessaires lui soient transférées m’apparaîtrait comme une solution pertinente. La hausse de la CRDS qui devrait alors être votée pourrait éventuellement être atténuée, bien que cette solution ne m’enchante pas, par un léger desserrement de la contrainte liée à la durée de vie de la CADES, à condition qu’il n’entraîne pas un basculement complet de la totalité de la dette sur les générations suivantes.
Cette première étape, le traitement des déficits en cours, étant posée, la question essentielle reste entière : comment réduire les déficits des années à venir ou, autrement dit, comment financer le maintien d’un haut niveau de protection sociale à nos concitoyens, en tenant compte du niveau élevé de nos prélèvements obligatoires et des problèmes de compétitivité de nos entreprises ?
Puisque nous débattons des prélèvements obligatoires, je passerai quasiment sous silence le problème de la maîtrise des dépenses. Simplement, par référence à un principe qui s’applique uniquement aux niches sociales et fiscales, l’on pourrait imaginer qu’une augmentation des prélèvements obligatoires soit compensée par une diminution des dépenses. Mais il n’est pas évident de diminuer les dépenses sociales. La seule possibilité consisterait à revoir les périmètres du régime obligatoire et des régimes complémentaires. Je vous laisse imaginer dès à présent les débats que provoquerait une telle initiative chez les partenaires sociaux et chez nos concitoyens. Mais pourrons-nous en faire l’économie ?
Sur le plan des recettes, je constate qu’aucun observateur, aucune institution, aucun expert avisé n’exclut aujourd’hui une hausse des prélèvements pour faire face aux dépenses supplémentaires, liées notamment au vieillissement de la population.
Les décisions relatives aux prélèvements de la sortie de crise et de l’après-crise doivent donc être préparées dès à présent.
La priorité, semble-t-il, est de poursuivre l’élargissement et la préservation de l’assiette des prélèvements sociaux. Comme le rappelle régulièrement la Cour des comptes dans ses différents rapports, les meilleurs prélèvements sont ceux qui ont une assiette large et des taux bas.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Absolument !
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, j’avais proposé de créer une flat tax sur l’ensemble des niches sociales, que n’a pas souhaité mettre en œuvre le Gouvernement. Cependant, j’ai été quelque peu écouté puisque, l’année suivante, les stock-options ont commencé à être taxées. De plus, le forfait social a été mis en place ; vous en proposez d’ailleurs le doublement cette année.
Nous devons continuer à réduire les niches sociales et poursuivre l’idée d’un élargissement de l’assiette du forfait social.
De même, des marges de manœuvre existent sans doute dans la taxation des stock-options. Un alignement au moins partiel de l’assiette de la CSG sur celle de la CRDS, par exemple en ce qui concerne les jeux et les ventes de métaux précieux, de bijoux et d’objets d’art, pourrait rapporter quelques recettes supplémentaires.
Pensons aussi à mobiliser de nouvelles ressources. Je sais, monsieur le ministre, que vous n’êtes pas insensible à cette idée, puisque vous réfléchissez à un meilleur ciblage des allégements de charges sociales, qui pèsent aujourd'hui 28 milliards d'euros. Ne faut-il pas envisager une baisse du seuil de 1,6 SMIC ?
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Bien sûr !
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Ne faut-il pas limiter ce dispositif aux entreprises de taille petite ou moyenne et réserver son accès aux entreprises respectant certains critères sociaux ou environnementaux ?
Ce sont autant de pistes sur lesquelles il faut travailler. Vous avez confié, me semble-t-il, une mission sur ce sujet à un haut fonctionnaire. Mais ne pourrions-nous pas, dès l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, prendre une initiative tendant à annualiser le calcul des allégements, mesure qui pourrait rapporter entre 2 milliards d'euros et 3 milliards d'euros ?
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Absolument !
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Par ailleurs – autre piste à creuser –, ne faudrait-il pas développer les taxes comportementales, que ce soient les droits sur les tabacs ou les droits sur les alcools, en particulier sur les alcools forts, en grande partie importés et dont la consommation est forte chez les jeunes, ce qui constitue un grave problème de santé publique ? La taxe nutritionnelle, évacuée d’un revers de la main, pourrait contribuer à la prévention de l’obésité, du diabète et d’autres pathologies, et mériterait réflexion.
Monsieur le ministre, pour conclure, je veux insister sur deux points.
Premièrement, évitons de transférer sur les générations futures les dettes que nous avons créées nous-mêmes.
Deuxièmement, ne tardons pas à mobiliser les prélèvements d’après-crise en exploitant toutes les marges de manœuvre et d’efficience possibles. J’ai établi la liste de quelques-unes d’entre elles.
Je souhaite que, dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, nous puissions trouver un accord sur ces pistes de réflexion. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après l’intervention du rapporteur général de la commission des affaires sociales, Alain Vasselle, je voudrais concentrer mon propos sur la question cruciale du déficit de la sécurité sociale.
Nous nous trouvons, en effet, face à une situation totalement inédite. Jamais encore les déficits n’ont atteint une telle ampleur : 25 milliards d’euros pour le régime général en 2009, 31 milliards d’euros en 2010, montants auxquels il faut naturellement ajouter le déficit du Fonds de solidarité vieillesse, soit 7,5 milliards d’euros en cumulé à la fin de l’année 2010.
Je crains que ces nouveaux ordres de grandeur ne nous échappent et que, par un regrettable phénomène d’accoutumance, nous ne soyons plus capables de faire la différence entre un solde négatif de quelques milliards d’euros et un déficit de plusieurs dizaines de milliards d’euros.
Or c’est précisément ce changement d’échelle qui est grave et plus que préoccupant. À court terme, il est porteur d’une menace sérieuse pour l’ensemble de notre système de protection sociale.
Je vous rappelle que, voilà un an seulement, alors que nous envisagions déjà un environnement économique difficile – certes peut-être pas aussi préoccupant qu’il l’est actuellement –, les projections pluriannuelles contenues dans l’annexe B du projet de loi de financement de la sécurité sociale montraient un retour à l’équilibre progressif et un déficit limité à 3 milliards d’euros en 2012.
Cette année, dans la même annexe, il est simplement prévu que le déficit se stabilise aux alentours de 30 milliards d’euros en 2011, 2012 et 2013, ce qui, vous l’avouerez, n’est pas la même chose ; c’est dix fois plus !
J’insiste, en outre, sur le fait que ces prévisions reposent sur des hypothèses économiques extrêmement ambitieuses : une croissance annuelle du PIB de 2,5 % et une progression de la masse salariale de 5 % à partir de 2011. Or si l’on compare ces hypothèses avec les résultats très favorables observés au cours des années 1997-2006 – la masse salariale a notamment progressé à cette époque de 4,1 % chaque année –, on peut légitimement s’interroger sur le caractère réaliste de ces prévisions.
Un déficit annuel de 30 milliards à 40 milliards d’euros représente plus de trois points de CSG et au moins six points de cotisations sociales. Cela représente aussi l’équivalent de l’ensemble des exonérations de charges sociales accordées aux entreprises.
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. C’est juste !
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Nous ne pouvons donc rester inactifs face à une telle situation. La commission des affaires sociales souhaite que des décisions à la hauteur des enjeux soient prises dès les prochains mois. Alain Vasselle a ouvert de nombreuses pistes. Je souhaite qu’elles soient, sinon retenues, du moins étudiées avec attention. Je pense, par exemple, à la question des allégements généraux de charges sociales, sur laquelle la commission des affaires sociales, comme la Cour des comptes, a déjà fait des propositions.
Nous ne voulons naturellement pas empêcher la sortie de crise, mais nous ne pouvons pas nous permettre de prendre le moindre retard, au moment où notre pays pourra espérer renouer avec la croissance.
J’observe d’ailleurs que nombre de nos partenaires sont actuellement engagés dans de telles réflexions et que certains d’entre eux prennent les mesures, souvent difficiles et impopulaires, que la hausse des déficits et de la dette impose.
Le ton de mon intervention est un peu grave, monsieur le ministre, mais la situation l’exige, comme le souci de ne pas transmettre nos difficultés actuelles et nos dettes à nos enfants et à nos petits-enfants. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le ministre, je veux vous faire part de ma sympathie et de mon estime pour le soin que vous mettez à accomplir une tâche ô combien délicate.
J’ai apprécié votre référence aux impôts pesant sur les ménages et sur les entreprises. Je fonde l’espoir, à l’écoute de vos propos, qu’un jour nous pourrons expliquer sereinement aux Français qu’en définitive ce sont eux qui paient l’impôt. Il est commode d’accréditer l’idée selon laquelle des impôts seraient uniquement supportés par les entreprises. Mais, mes chers collègues, existe-t-il un seul impôt de production acquitté par les entreprises qui ne se répercute pas sur les prix des biens de consommation ? Au final, ce sont toujours les Français qui paient.
La référence à un paiement des impôts par l’entreprise, donc par les patrons, était politiquement extrêmement correcte, mais, je le répète, ce sont toujours les consommateurs qui paient.
Lorsque nous n’étions pas dans une économie mondialisée, le système fonctionnait. Mais aujourd'hui, pour échapper à l’impôt, il est aisé, pour une entreprise, d’aller produire ailleurs.
Je fonde beaucoup d’espoir sur le débat que nous aurons un jour sereinement face à l’opinion publique pour ouvrir les voies d’une fiscalité rénovée, qui contribue à la compétitivité et qui permette le retour de la croissance à un niveau significatif, sans lequel il est vain d’espérer réduire nos déficits publics.
Le temps qui m’est imparti est bref. Monsieur About, je vous demande de bien vouloir me pardonner, car je risque de vous voler deux ou trois minutes sur le temps attribué au groupe de l’Union centriste.
M. Nicolas About. Vous l’êtes, mon cher collègue !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je vais cibler mon propos sur la suppression de la taxe professionnelle et sur la réorganisation des finances publiques qu’elle implique.
La réforme est incontestablement d’ampleur, et sa justification, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre, n’est pas en cause. En abrogeant la taxe professionnelle, nous mettrons fin à un impôt unique en Europe qui, en frappant l’outil de production avant même que cet outil n’ait commencé à produire de la valeur, pénalise injustement et durement notre industrie. Vous ne tarderez pas à constater qu’il pénalise aussi les services.
Le schéma proposé pour remplacer la taxe professionnelle avec la création de la contribution économique territoriale doit encore être analysé dans le détail. À ce stade, je veux mettre en évidence trois difficultés majeures.
Premièrement, en l’état, la réforme n’est pas précédée d’une révision des bases des taxes foncières, et la cotisation locale d’activité sera calculée sur les valeurs locatives actuelles, dont nous savons tous qu’elles sont depuis longtemps obsolètes et injustes, puisqu’il s’agit d’un impôt de répartition. Le Président de la République comme le Gouvernement ont manifesté la volonté – je la crois forte – de prendre en compte cette objection, à mes yeux, majeure. Je souhaite que vous me le confirmiez, monsieur le ministre.
Mais je tiens d’ores et déjà à souligner un point : aucune réforme de l’impôt économique dévolu aux collectivités territoriales ne sera possible sans révision préalable et intégrale des bases taxables. Je l’affirme clairement : une révision au fil de l’eau me paraît exclue. Elle serait contraire à l’égalité des contribuables devant l’impôt. La révision doit être générale.
Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Deuxièmement, la cotisation complémentaire sera assise sur la valeur ajoutée, ce qui a pour conséquence très directe que la réforme, engagée au nom de l’objectif de rétablissement de la compétitivité de nos entreprises, va réintroduire dans l’assiette d’imposition les salaires qui en avaient été exclus en 1999, sous l’invocation du même objectif de défense de la compétitivité de l’économie française.
Concrètement, le prélèvement de 1,5 % se traduira par une nouvelle cotisation de près de 2,5 % sur les salaires bruts, s’ajoutant aux charges sociales déjà acquittées par les entreprises. Ce paradoxe ne peut être en partie surmonté que par l’allégement de 4,3 milliards d’euros des prélèvements obligatoires dont bénéficieront globalement les entreprises et par l’aggravation concomitante du déficit public. Mes chers collègues, évitons de proclamer que nous supprimons la taxe professionnelle en créant une contribution économique territoriale qui aurait toutes les apparences d’une taxe professionnelle antérieure à 1999 !
Troisièmement, il existe un risque d’optimisation, car, en France, certains sont champions en la matière. L’Assemblée nationale devrait cependant y pourvoir en imposant que la valeur ajoutée soit calculée au niveau de la structure mère et non pas des filiales.
Le second volet de la réforme, à savoir la refonte des finances locales, est celui qui suscite aujourd’hui les crispations les plus visibles, à la mesure de l’enjeu pour les collectivités territoriales, qui perdront une recette leur rapportant globalement plus de 20 milliards d’euros par an.
L’inquiétude est d’autant plus forte que les simulations détaillées par contribuable et par collectivité des conséquences de la suppression de la taxe professionnelle et de l’attribution de nouvelles ressources tardent à être diffusées auprès des intéressés. Celles qui sont d’ores et déjà disponibles paraissent peu lisibles et guère probantes…
D’ailleurs, monsieur le ministre, ces simulations ne se fondent que sur le texte du projet de loi de finances initial et ne prennent pas en compte les propositions de la commission des finances de l’Assemblée nationale. Peuvent-elles être réalisées de manière suffisamment éclairante dans des délais aussi courts et conduire à une prise de décision efficace par le Parlement, dès l’examen du présent projet de loi de finances ? Très sincèrement, je ne le pense pas…
J’ai bien noté la position du Gouvernement, qui peut se résumer ainsi : prenons les décisions maintenant et procédons l’année prochaine aux inévitables réglages qu’appelle une réforme de cette ampleur.
Pour ma part, je constate que 2010 sera une année de transition : profitons-en pour mettre en place une organisation des ressources locales qui soit fondée sur le plus large consensus possible et dissocions clairement le volet « entreprises » de la réforme, qui doit entrer en vigueur dès le 1er janvier prochain, du volet « collectivités territoriales », qui n’a vocation à s’appliquer qu’à partir de 2011, quoi qu’il arrive.
M. le rapporteur général de la commission des finances a fait une ouverture : inscrire ce dernier volet dans la seconde partie du projet de loi de finances, puisqu’il n’aura pas d’impact au cours de l’année 2010. Nous discuterons de cette proposition. Personnellement, je reste persuadé qu’il faudra mettre à profit les premiers mois de 2010 pour procéder aux derniers réglages et ne laisser subsister aucun soupçon ni aucun doute.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Sûrement !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Deux points en particulier me paraissent devoir faire l’objet d’un examen attentif au cours des prochains mois : la préservation d’un certain degré d’autonomie de décision pour chaque catégorie de collectivités et la recherche de mécanismes de péréquation plus efficaces.
Ces deux objectifs peuvent paraître contradictoires. Incontestablement, leur conciliation passe par des réglages subtils et difficiles à réaliser. La réforme en cours nous offre, de ce point de vue, une occasion que nous devons saisir.
En ce qui concerne l’autonomie de gestion, il va de soi que les élus locaux ne pourront se satisfaire d’une disparition ou d’une forte diminution de leur pouvoir fiscal. Il sera donc indispensable de restituer une part des impôts versés par les ménages aux régions et aux départements. La commission des finances de l’Assemblée nationale a formulé des propositions en ce sens, et cette démarche me paraît bienvenue, même si elle mérite d’être approfondie.
Pour ce qui est de l’objectif de péréquation, la définition d’un taux national de cotisation complémentaire correspondant à une fraction variable de la valeur ajoutée en fonction du chiffre d’affaires est un instrument que j’approuve sans réserve, monsieur le ministre, à la condition que la répartition de la ressource entre les collectivités locales soit mise en œuvre sur la base de critères pondérés, comme vous le préconisez, et non en fonction de la valeur ajoutée produite dans chaque collectivité. En effet, ce dernier mode de calcul avantagerait les territoires les plus riches.
Si, au surplus, le chiffre d’affaires à partir duquel s’appliquerait l’imposition, c'est-à-dire 500 000 euros, devait être confirmé, je vous laisse imaginer les effets d’une telle mesure ! Les régions où les PME sont nombreuses et ont un chiffre d’affaires inférieur à ce seuil passeraient totalement à côté de la répartition et de la territorialisation envisagées.
Ce mécanisme jouerait au profit des régions Île-de-France, Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur, mais au détriment de nombreux autres territoires, et il faudrait alors imaginer des écrêtements et je ne sais quels mécanismes de péréquation…
Très franchement, monsieur le ministre, un prélèvement national réparti sur la base de critères objectifs autres que le potentiel financier – la population et le nombre de salariés – constituerait à mon avis un bon mécanisme de péréquation.
M. Aymeri de Montesquiou. Tout à fait !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Pour conclure, je ne puis que le répéter : la période qui s’est ouverte cette année avec l’annonce de la suppression de la taxe professionnelle est cruciale. Les solutions que nous mettrons en place dessineront pour les décennies à venir le paysage des finances locales, et, au-delà, des finances publiques, qui doivent s’adapter.
Mes chers collègues, les responsabilités qui nous incombent en ces circonstances militent pour que nous ne cédions pas à la précipitation et que nous nous en tenions à la feuille de route que je vous propose.
Cette réforme est majeure. De grâce, évitons de donner l’impression que tout bouge pour que rien ne change. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur les prélèvements obligatoires apparaît trop souvent comme une discussion de techniciens et de spécialistes.
Or il s'agit d’un débat de société, qui porte sur les choix collectifs, parce qu’un système de prélèvements obligatoires constitue la traduction de décisions politiques et idéologiques influant sur la société tout entière.
Bien que la France soit un pays développé, nous vivons dans une société profondément marquée par les inégalités de revenus, de ressources et de patrimoine.
L’égalité fait partie des valeurs de la République. Pourtant, le moins que l’on puisse dire est que, depuis 2002, et avec une accélération non négligeable depuis l’adoption, à l’été 2007, du paquet fiscal de la loi TEPA, c'est-à-dire de la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, cette valeur s’inscrit à la baisse, victime des réformes de notre système fiscal et social, qui font subir aux plus fragiles les conséquences des mesures adoptées en matière tant de recettes publiques que de dépenses.
Monsieur le ministre, vous avez distingué les impôts des ménages et ceux des entreprises.
Néanmoins, quelques lignes de force transparaissent dans les réformes engagées depuis 2002 et amplifiées à partir de 2007 : un allégement sensible de la contribution fiscale des entreprises, avec une suppression de la surtaxe de l’impôt sur les sociétés et des aménagements divers des modalités d’imposition des plus-values, et une diminution non moins sensible de la contribution des revenus et patrimoines les plus importants, qui sont les principaux bénéficiaires de la transformation du barème de l’impôt sur le revenu et des multiples mesures d’évasion fiscale.
D’ailleurs, de manière presque caricaturale, les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 accentuent encore les choix antérieurs.
On réévalue de façon minimale l’impôt sur le revenu et on supprime la taxe professionnelle, offrant là aux entreprises une recette de trésorerie qui ne changera guère leurs choix d’investissements futurs.
Pour faire bonne mesure, au nom de la protection de l’environnement et pour « changer les comportements », on invente la taxe carbone, qui semble promise à un bel avenir de recette de compensation de cadeaux fiscaux ultérieurs, plutôt qu’elle ne servira d’arme contre le réchauffement climatique !
On prétend faire la chasse aux niches fiscales, mais on s’attaque au premier chef, comme par hasard, à celles qui concernent les ménages les plus modestes, notamment en matière d’acquisition de l’habitation principale. Et certains de nos collègues ont un temps caressé l’espoir de rendre imposables les indemnités journalières « accident du travail »…
Le débat sur le plafonnement des niches participe, comme chaque année, de l’animation parlementaire, mais il ne débouchera sans doute pas plus que précédemment sur la moindre mesure pertinente !
D’autant que, niche pour niche, il en est une dont le montant sera singulièrement réduit en 2010 : c’est la prime pour l’emploi. En effet, les revenus distribués sur les fonds des collectivités locales aux allocataires du RSA seront tout simplement imputés sur cette prime, permettant à l’État de récupérer un milliard d’euros sur le dos des travailleurs précarisés, selon un dispositif inventé par Martin Hirsch, à la demande du Président de la République.
Et pendant ce temps, les centres des finances publiques tiennent table ouverte pour verser aux entreprises, avec une procédure de contrôle particulièrement allégée, les remboursements d’acomptes prétendument excédentaires de l’impôt sur les sociétés ou les crédits d’impôt recherche, qui remontent aussi vite qu’ils sont distribués aux holdings têtes de groupe !
Qu’il s’agisse de la fiscalité des donations, de celle des successions, de l’impôt de solidarité sur la fortune ou de l’imposition des revenus mobiliers, ce sont les patrimoines les plus élevés et les revenus les plus importants qui ont tiré partie de l’essentiel des dispositions votées.
Cette série de mesures s’est accompagnée d’une consolidation des droits et impôts indirects, qui sont essentiellement subis par les ménages modestes. Les effets de cette prétendue réforme fiscale sont connus : la part des droits indirects perçus par l’État ne cesse de croître, ajoutant l’iniquité fiscale aux inégalités sociales grandissantes !
On n’augmente pas les impôts, on crée chaque année un florilège de nouvelles taxes ! Et pour quels résultats ? La croissance se porte-t-elle mieux ? La création d’emplois se trouve-t-elle au rendez-vous des initiatives prises ?
En outre, la responsabilité citoyenne des entreprises se révèle de plus en plus un vœu pieux, surtout quand on apprend, par exemple, que les aides du FSI, le Fonds stratégique d’investissement, sont aujourd’hui distribuées sans exigence de contrepartie en termes de maintien de l’activité et de l’emploi, comme j’en ai donné ici même, ce matin, un exemple.
De fait, plutôt que d’en rester à quelques considérations philosophiques, rappelons quelques chiffres.
En 2001, l’industrie française et le secteur de la construction ont créé respectivement 32 600 et 41 400 emplois, soit un total de 84 000 postes de travail.
En 2002, l’industrie française a perdu 85 300 emplois, signe d’une hémorragie qui est toujours en cours. De 2003 à 2005, ce sont ainsi 274 300 postes industriels qui ont été détruits ! Et ce mouvement de liquidation d’emplois n’avait manifestement pas attendu la crise financière pour se prolonger.
Depuis 2005, ce sont en effet 166 000 autres postes industriels salariés qui ont été détruits, sans compter les effets de la réduction drastique de l’emploi intérimaire, qui a été largement utilisée en 2008 et en 2009 comme variable d’ajustement à l’évolution des carnets de commande.
D’ailleurs, monsieur le ministre, mes chers collègues de la majorité, le mouvement général de l’emploi accuse votre bilan.
Malgré les cadeaux fiscaux, malgré les allégements de cotisations sociales, le rythme des créations d’emplois dans le pays demeure faible, et il suffit de regarder les plus récentes statistiques fournies par l’INSEE lui-même pour se faire une idée de la situation.
Ainsi, dans une note publiée ces derniers jours, l’Institut national de la statistique et des études économiques indique que le mouvement de baisse de l’emploi s’est prolongé au second semestre 2009 – où sont donc les signes de reprise ? –, avec une chute de près de 114 000 emplois dans le secteur marchand.
La note de l’INSEE indique d’ailleurs que, contrairement à ce qui s’était passé au premier trimestre 2009, quand l’intérim avait largement servi de « variable d’ajustement », ce sont les emplois durables qui sont aujourd’hui concernés. On ne remplace plus les départs en retraite, ni les démissions, on délocalise, on restructure !
Notre pays compte ainsi, en 2009, moins d’emplois industriels qu’en 1970 ! C’est le résultat magnifique – c’est le moins que l’on puisse dire – de la politique menée depuis désormais sept ans et demi, et qui ne fait que relayer, à travers la loi, les revendications les plus antiéconomiques et antisociales, notamment celles du MEDEF.
La situation pourrait être résumée ainsi : le poids des prélèvements obligatoires n’a pas été réduit depuis 2002, puisqu’il reste stable aux alentours de 44 % du PIB, contrairement aux promesses qui avaient été effectuées alors, et la baisse constatée cette année, et probablement en 2010, a plus à voir avec la chute des recettes fiscales et sociales liées à la crise qu’avec toute autre politique !
Ce n’est pas parce que les prélèvements semblent avoir baissé que le pouvoir d’achat des ménages les plus modestes s’est redressé et que le moteur de la consommation populaire a pu repartir, d’autant que cette diminution est liée aux remboursements anticipés et sans contrôle d’impôts dus par les entreprises !
La structure de nos prélèvements a donc évolué vers plus de droits indirects au sein des recettes de l’État, plus de prélèvements sociaux et plus de prélèvements de substitution aux obligations fiscales et sociales hier fixées aux entreprises.
De même, nos concitoyens peuvent avoir une impression particulièrement détestable de cette évolution.
S’ils paient plus de taxes sur les produits pétroliers, plus de TVA sur bien des produits et des services, plus d’impôts locaux ou plus de cotisations sociales, ils ont aussi, en contrepartie, moins de service public local, moins de couverture collective en matière de santé – il n’est qu’à voir la tarification à l’activité ou le forfait médicament, par exemple –, moins de pension au moment de la retraite, moins de présence de l’État dans bien des domaines, qu’il s’agisse de l’école, de la sécurité, de l’action sur le logement ou de la lutte contre la précarité.
De fait, cette rupture avec le pacte républicain, qui veut que les impôts, taxes et cotisations sociales servent à répondre à la charge publique, consacre la perversion accélérée de notre système de prélèvements, dont vous usez et abusez, chers collègues, pour pousser toujours plus avant les feux de la réduction des dépenses publiques.
Contrairement à bien des pays de l’OCDE, notamment ceux du G8, la France a opté, dès la Libération, pour une large socialisation des dépenses de santé, de protection de la famille et de l’enfant, des personnes âgées, pour un développement de la formation et de la scolarité, pour une ouverture sensible du champ de l’intervention publique dans l’ensemble de la vie du pays.
La même observation vaut pour les investissements en infrastructures, de longue date mis en œuvre par des entreprises publiques dont l’efficacité économique est reconnue.
D’aucuns ont d’ailleurs découvert que la France supportait moins mal la crise financière de 2008 que d’autres pays, plus attachés aux seules valeurs du tout marché et du libéralisme économique sans limites.
Ce n’est pas la politique du gouvernement actuel qui a conduit à ce constat. C’est bien plutôt parce que notre système de prélèvements est constitué d’autant d’« amortisseurs sociaux » que notre pays devient capable d’éviter certaines catastrophes...
De fait, proposer des comparaisons internationales en matière de taux de prélèvements n’a finalement que peu de sens.
Mme Nicole Bricq. Oui !
M. Thierry Foucaud. Ainsi, comparer la France aux États-Unis en matière de prélèvements obligatoires est discutable, dès lors que l’on sait que, outre-Atlantique, la dépense de santé publique prise en charge par l’impôt ne couvre en fait que l’équivalent de la couverture maladie universelle chez nous. D’ailleurs, le débat prend, ces temps derniers, un tour tout particulier avec la volonté du président Obama de renforcer le contenu de cette couverture maladie.
Cette escroquerie intellectuelle sur le volume des prélèvements obligatoires a une longue histoire, et nombreux sont les libéraux, en France, à l’avoir entretenue pour tenter de faire accepter à notre peuple le recul de civilisation que constituerait une large « désocialisation » des dépenses publiques, notamment en matière de protection sociale.
Pour nombre d’entre vous, la dépense publique a tous les défauts, ou presque ! Et le projet de loi de finances pour 2010, qui invente la taxe carbone, n’oublie pas, encore une fois, de procéder à quelques coupes claires dans les budgets publics, dont l’une des traductions est la suppression de 35 000 emplois de fonctionnaires !
Le gâchis de ressources privées, notamment l’argent des entreprises créé par le travail des salariés, ne provoque d’ailleurs pas chez vous la même indignation.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 se contente de soumettre à cotisations sociales quelques éléments de rémunération des salariés – par exemple, les primes d’intéressement –, mais ne prévoit aucune mesure mettant en question un déficit des comptes sociaux qui se paie, pour l’heure, en réduction des prestations servies ! En outre, la pénibilité n’est toujours pas prise en compte dans le calcul des droits à pension ni dans celui des annuités !
Pour notre part, nous entendons redonner tout son sens à l’action publique, à une juste fiscalité des citoyens, selon leurs revenus, à une juste fiscalité sur les sociétés et les revenus financiers, selon leur contribution au développement économique et à l’emploi, comme nous voulons créer les conditions d’un financement équilibré et équitable de notre protection sociale.
Avant de conclure, je veux apporter notre éclairage sur la taxe carbone.
Présentée comme une innovation fiscale de portée exceptionnelle dans le projet de loi de finances pour 2010, elle serait même le premier élément d’une fiscalité écologique nouvelle. À bien y regarder, mais seuls quelques esprits distraits ou malhonnêtes pourraient l’oublier, nous avons déjà de quoi faire...
En effet, entre la taxe intérieure sur les produits pétroliers, dont une part sert aujourd’hui à compenser, et mal, le coût du RSA pour les départements, la taxe d’enlèvement des ordures ménagères, les redevances pour l’eau et l’assainissement, que sais-je encore, notre droit fiscal est déjà fortement pourvu de tels objets fiscaux.
Le montant de ces prélèvements s’élève à plus de 30 milliards d’euros, somme partagée entre l’État, les collectivités locales et quelques établissements publics, comme les agences de l’eau, pour ne prendre que cet exemple.
La fiscalité environnementale et écologique est donc loin d’être une nouveauté. Encore faut-il qu’elle serve la cause de l’environnement, ce qui est une autre affaire !
Puisque, pour le moment, c'est-à-dire en 2009, la TIPP rapporte plus que l’impôt sur les sociétés, nous sommes aussi en droit de nous demander à quoi tout cela sert ! Certes, il n’est pas trop compliqué de deviner l’utilité de la taxe d’enlèvement des ordures ménagères ou des redevances pour l’eau ou l’assainissement, même si nous observons que la TVA, qui grève les investissements concernés, participe également des recettes fiscales de l’État.
Ce qui est regrettable, c’est que la TIPP ne soit pas utilisée pour faire face aux enjeux environnementaux !
Au moment même où l’on souhaite mettre en place la taxe carbone « pour changer les comportements », on continue de faire en sorte que les 25 milliards d'euros de rendement de la TIPP ne servent à rien d’autre qu’à solder les comptes de l’État et, en partie, à répondre, mais mal, au problème du financement de certaines charges transférées aux départements et aux régions.
Pourquoi la taxe carbone ne servirait-elle pas – si tant est qu’elle existe un jour – à financer véritablement le développement des infrastructures de transport non routier, par exemple des réseaux de transport en commun ?
Pourquoi faut-il que le projet de loi de finances pour 2010, qui inscrit la taxe carbone, cette TVA sociale repeinte en vert pour aller dans l’air du temps, soit aussi celui qui donne aux régions, moyennant une hausse modulée et complémentaire de la TIPP, le droit de financer, en lieu et place de l’État, les mêmes investissements stratégiques en matière d’infrastructures ?
Pour notre part, nous sommes clairement opposés à la taxe carbone qui est, une fois de plus, et sans doute une fois de trop, un avatar de l’iniquité fiscale. Elle servira tout bêtement à gager demain telle ou telle baisse d’impôt, prioritairement au bénéfice des entreprises.
En revanche, nous sommes clairement partisans de la mise en place d’une véritable politique volontariste de développement d’alternatives au « tout routier », qui passe par des financements équilibrés et pertinents.
Nous ne pensons pas que la fiscalité réponde parfaitement, aujourd’hui, à cette exigence. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Charles Guené.
M. Charles Guené. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise économique sans précédent qu’affronte notre pays depuis un an a creusé notre déficit de manière abyssale, puisqu’il est passé en un an de 56 milliards d'euros à 141 milliards d’euros. Et je n’évoque pas le déficit social, dont il faudrait tenir compte – je le dis à l’attention de M. Vasselle –² pour être tout à fait complet.
La question de l’augmentation des prélèvements obligatoires pour tenter de résorber une partie du déficit se pose et répond à un choix tout à la fois économique et politique.
D’un point de vue économique, le creusement du déficit doit être relativisé dans la mesure où une partie de celui-ci ne saurait être pérenne et se résorbera sitôt que la croissance sera retrouvée et stabilisée à un niveau suffisant.
Sur ces 141 milliards d'euros, 96 milliards d'euros sont dus à la crise : 39 milliards d'euros correspondent au plan de relance et 57 milliards d'euros à une diminution conjoncturelle des recettes consécutive à la crise.
La perte de recettes correspond d’abord à une diminution respectivement de 30 milliards d’euros du produit de l’impôt sur les sociétés, puis de 12 milliards d'euros de recettes de TVA, et, enfin, de 4 milliards d'euros au titre de l’impôt sur le revenu.
Le déficit structurel, de l’ordre de 45 milliards d’euros, pose, lui, davantage problème.
C’est là qu’intervient la dimension politique. Le Gouvernement a fait le choix, et le groupe UMP du Sénat le soutient, de ne pas jouer sur l’inflation et de ne pas augmenter les prélèvements obligatoires.
Le projet de loi de finances pour 2010 prévoit un taux de prélèvements obligatoires de 40,7 % du PIB, soit un niveau comparable à celui de 2009, en recul de plus de 2 points par rapport à 2008. Il s’agit du taux de prélèvements le plus faible depuis 1981.
Augmenter les impôts serait une fausse bonne idée dans le contexte actuel de sortie de crise.
Le Gouvernement prévoit un retour de la croissance à 0,75 %, le FMI à 0,9 %, mais cela reste fragile. Taxer les ménages ou les entreprises serait contre-productif et risquerait de compromettre le retour de la croissance, qu’il s’agit désormais d’accélérer et de consolider.
Nous partageons la conviction du rapporteur général de la commission des finances : il ne faut pas « ajouter la crise à la crise ».
Seuls le retour de la croissance, la diminution du chômage, le retour de la confiance des ménages, avec pour corollaire moins d’épargne et plus de consommation, ainsi qu’une maîtrise des dépenses publiques, c'est-à-dire de l’État, des comptes sociaux mais aussi des collectivités territoriales, permettront de diminuer notre déficit structurel.
Les collectivités territoriales doivent participer à cet effort de diminution des dépenses, plutôt que céder à la tentation d’agir fortement sur les impôts locaux. Elles devront maîtriser le nombre des fonctionnaires territoriaux. La réforme des collectivités devrait permettre également de réaliser des économies en simplifiant et en rationalisant l’exercice des compétences, ainsi qu’en évitant les « doublons ». La mutualisation des services devrait y contribuer.
Néanmoins, s’il semble inopportun, politiquement mais aussi économiquement, d’augmenter le niveau des prélèvements obligatoires, je suis d’avis que notre déficit est tel que toute diminution de prélèvements doit être compensée par une augmentation d’un même montant de recettes, si possible dans la période triennale de programmation de nos finances publiques. De même, toute création de niche fiscale ou sociale doit être compensée par la diminution d’une autre niche fiscale ou sociale, d’un même montant et dans la même année. Philippe Marini l’a très utilement rappelé lors de la communication préalable au présent débat, qui a eu lieu en commission des finances, le 15 octobre dernier.
La loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012, que nous avons adoptée au mois de février dernier, prévoit ce système de compensation. Pour autant, celui-ci n’est pas toujours appliqué.
La question des niches fiscales et sociales, dont le nombre avoisine les cinq cents, est d’ailleurs cruciale. Leur plafonnement, que nous avons voté l’année dernière, est un premier pas.
Mme Nicole Bricq. Cosmétique !
M. Charles Guené. Comme le propose Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales, dans le rapport d’information sur les prélèvements obligatoires et leur évolution qu’il vient de publier, il conviendrait de mieux cibler notre politique d’allégements des charges sociales.
L’idée est donc de ne pas augmenter le niveau des prélèvements obligatoires, de les sécuriser, mais également de mieux les répartir. Il s’agit là d’un enjeu majeur pour les budgets à venir. Notre politique fiscale doit être modernisée. Le Gouvernement a commencé à s’y employer au travers d’une nouvelle ventilation des prélèvements obligatoires entre secteurs, qui réoriente la pression fiscale du travail, de la production, des investissements vers d’autres secteurs moins pénalisants pour les entreprises et l’emploi et, chaque fois que c’est possible, de la production vers les flux.
Ainsi, la taxe carbone transfère le poids des prélèvements obligatoires de l’emploi vers la pollution, et la réforme de la taxe professionnelle, des investissements productifs vers des secteurs qui ne peuvent pas faire l’objet de délocalisations.
L’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux pèsera sur les infrastructures de transport, les télécommunications ou l’énergie, des secteurs non susceptibles de délocalisations qui bénéficieront très largement de la suppression de la part « équipements et biens mobiliers » de la taxe professionnelle.
La suppression de la taxe professionnelle, qui pesait sur les investissements, est une réforme que le groupe UMP approuve.
La nouvelle formule proposée, la cotisation économique territoriale, nous satisfait, car elle maintient un lien économique entre les collectivités territoriales et les entreprises. La cotisation locale d’activité correspondra à la part foncière résiduelle de la taxe professionnelle, et la cotisation complémentaire, à l’actuelle cotisation minimale de taxe professionnelle, assise sur la valeur ajoutée et le chiffre d’affaires.
Le débat portant sur la compensation de la perte de ressources des collectivités aura lieu au Sénat à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2010. Gageons que nous saurons trouver un mode de répartition des ressources qui satisfera chaque niveau de collectivité grâce à de nouveaux transferts d’impôts, mais aussi grâce à une répartition qui garantira à chaque niveau une assiette basée à la fois sur une part ménages et sur une part entreprises, avec des ressources dynamiques, dans le cadre d’une autonomie financière mieux comprise.
La spécialisation des impôts par niveau de collectivité était, sans doute, une fausse bonne idée.
Le nouveau système proposé ouvre, en outre, le champ d’une nouvelle gouvernance où l’État sortirait de la prise en charge de la fiscalité locale par le biais des dégrèvements et allégements et de la liste des bénéficiaires d’impôts locaux, permettant ainsi aux collectivités de passer de l’autonomie fiscale intenable à une responsabilité fiscale.
De plus, la fiscalité devra être péréquatrice. L’autonomie fiscale des collectivités territoriales est une tradition prégnante, certes, mais il convient de la concilier avec les exigences de la péréquation.
Cet équilibre est essentiel et concerne le Sénat au premier chef. Je ne doute pas que chacun dans cette enceinte en percevra l’enjeu le moment venu, ainsi que vient de l’évoquer le président de la commission des finances, M. Jean Arthuis, dont je partage l’approche.
Enfin, je souhaite aborder en quelques mots la question du bouclier fiscal.
Le groupe UMP ne souhaite pas son abrogation ni même son ébrèchement, surtout pour l’heure.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
M. Charles Guené. Notre position n’a pas changé quant à son esprit : il n’est pas concevable de travailler au-delà de six mois par an uniquement pour payer ses impôts ! (Mme Nicole Bricq s’exclame.)
Je souhaiterais que l’on m’explique par quel miracle économique l’on espère créer des richesses en France…
Mme Nicole Bricq. Par le travail !
M. Charles Guené. … en stigmatisant, en surtaxant la richesse et en la poussant à s’exiler. La richesse crée la richesse. Les entrepreneurs créent l’emploi. Cette stigmatisation de la réussite sociale propre à la France est regrettable, car elle est archaïque.
Au surplus, un niveau de prélèvements sur la richesse supérieur à 50 % est contre-productif économiquement. Toutes les études montrent que son coût est supérieur à ce qu’il rapporte. S’il était besoin d’avancer des justifications, rappelons que l’Institut Montaigne estime à 130 milliards d’euros le montant des capitaux qui ont quitté la France pour éviter l’ISF entre 1997 et 2006.
Pour conclure, notre politique fiscale doit reposer en 2010 sur le tryptique « non-augmentation, sécurisation et nouvelle répartition » des prélèvements obligatoires afin de permettre à notre fiscalité de servir au mieux le retour vers la croissance et la répartition de ses fruits. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. le président de la commission des finances applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si je me trouvais ailleurs qu’à cette tribune, je resterais sans voix, car le constat du président de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur l’optimisation de la dépense publique, Jean-Luc Warsmann, quant à l’état de nos finances est saisissant.
La moitié des dépenses de l’État sera financée à crédit ; la dette de la France, passée en trente ans de 21 % à 74 % du PIB, représente 1 414 milliards d’euros en 2009 ; chaque Français naît avec une dette de près de 24 000 euros ; la charge d’intérêt sur la dette publique de 2,8 % du PIB en 2008 a été multipliée par quatre en vingt-cinq ans ; la dette publique explose : 65 % du PIB en 2004, 77 % en 2009, et la Cour des comptes l’estime à 84 % en 2010, à 88 % en 2012 et sans doute à 100 % en 2018… Halte au feu !
L’unique vertu de la crise, s’il y en a une, est de faire mieux comprendre à nos concitoyens l’état déplorable de nos finances publiques. Notre crédibilité internationale et surtout européenne est fragilisée. Tous nos partenaires de l’Union européenne stigmatisent nos déficits, qui désormais ignorent les critères de Maastricht. Ils nous demandent un retour à la discipline budgétaire dès 2011.
Le déficit conjoncturel tient à trois raisons principales.
La première réside dans l’effondrement du produit de l’impôt sur les sociétés : il sera divisé par deux par rapport à l’an dernier ; à titre d’exemple, son produit s’élevait à 2,95 milliards d’euros en septembre 2009, contre 27,43 milliards d’euros en septembre 2008 !
La deuxième raison tient à la baisse de la TVA à 5,5 % dans le secteur de la restauration, qui a pour conséquence un manque à gagner de 3 milliards d’euros en année pleine ;
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Eh oui !
M. Aymeri de Montesquiou. C’est une catastrophe en période de crise : le calendrier ne pouvait être plus inapproprié !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. Enfin, la troisième raison du déficit conjoncturel est la suppression de la taxe professionnelle.
De plus, le plan de relance de l’économie, nécessaire et même vital, qui a insufflé 26 milliards d’euros pour venir en aide aux banques et surtout aux entreprises, creuse les déficits pour le moyen terme. La croissance qu’il va entraîner n’aura, hélas ! pas d’incidence sur le déficit structurel.
Monsieur le ministre, vous voulez alléger la fiscalité des entreprises, qui est l’une des plus élevées d’Europe, par la suppression de la taxe professionnelle, au motif que cette dernière peut amener les entreprises à délocaliser et à licencier leurs salariés.
Mais si la compétitivité de notre économie est pénalisée par les taux de prélèvements obligatoires excessifs, ces derniers sont insuffisants pour financer l’ensemble des dépenses publiques ; quel paradoxe !
De plus, augmenter le déficit, donc emprunter plus, nous rend dramatiquement dépendants d’une hausse des taux et des prêteurs.
Quelles sont donc les solutions ?
La suppression de l’ISF, seul impôt de ce type dans l’Union européenne et au bilan global négatif, celle du bouclier fiscal, son fils adultérin (Sourires.),…
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Eh oui !
M. Aymeri de Montesquiou. …et la création d’une tranche supplémentaire d’impôt pour les plus hauts revenus forment le triptyque de la commission des finances proposé par le président de la commission des finances, Jean Arthuis, et le rapporteur général, Philippe Marini. J’y souscris pleinement.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Bravo !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. Ce serait un signal fort pour notre économie, et donc pour nos finances.
La finalité du bouclier fiscal se comprend et se justifie en période de croissance pour éviter que notre fiscalité ne constitue un « vol légalisé », selon les termes du Président Coolidge, et ne conduise à l’exil des plus forts revenus sous des cieux fiscaux plus accueillants, quoiqu’il serait intéressant d’en évaluer l’incidence.
Pour compenser l’éventuelle perte de recettes, le rapporteur général de la commission des finances a fait une démonstration convaincante de l’évaluation financière de ce triptyque, en intégrant des recettes annexes, comme la suppression de la déductibilité de la CSG sur les revenus du capital et l’augmentation de l’imposition des plus-values mobilières et immobilières.
Pourtant, le bouclier fiscal devient inéquitable en temps de crise.
Mme Nicole Bricq. Ah, tout de même !
M. Aymeri de Montesquiou. Si l’on demande au pays un effort fiscal, ceux qui sont protégés par le bouclier ne participeront pas à l’effort nécessaire de la nation ; ce n’est pas admissible, car c’est injuste.
Regardons la vérité en face : pour permettre de rembourser une partie de notre dette, on ne pourra que faire appel à la solidarité nationale en augmentant, après une reprise attendue par tous, les prélèvements obligatoires.
Certes, nous n’avons pas été élus pour augmenter les impôts. Mais pouvez-vous affirmer, monsieur le ministre, qu’il est possible, par les seuls fruits d’une croissance aléatoire, de résorber la dette sans procéder à de telles augmentations ? Même les Britanniques, Européens de l’Ouest les plus libéraux, n’imaginent pas que ce soit évitable. Nous devrions nous inspirer de l’un des plus illustres d’entre eux, Sir Winston Churchill, qui a su mobiliser toutes les forces du Royaume-Uni et qui estimait que « des difficultés surmontées sont des opportunités qui se présentent ». En vérité, les difficultés ne pourront être surmontées par la seule croissance lorsqu’elle surviendra.
S’ajoutant à cette trilogie, l’autre axe de réforme est celui des niches fiscales, dont le cumul atteint des sommes déséquilibrant davantage encore notre budget. Si les niches ont chacune leur justification, puisqu’elles sont presque toujours une incitation économique, leur cumul n’est pas équitable.
Il est indispensable de plafonner globalement le cumul des avantages fiscaux dont le contribuable peut bénéficier.
À l’Assemblée nationale, le chiffre de 20 000 euros de plafond cumulé a été évoqué pour remplacer le chiffre actuel de 25 000 euros.
Mme Nicole Bricq. Quinze mille !
M. Aymeri de Montesquiou. Une autre taxe, qui a été évoquée à plusieurs reprises sans avoir jamais été retenue, monsieur le ministre, est la taxe Tobin.
Dans le prolongement du G20 de Pittsburgh où tous les pays, sièges de places financières, étaient représentés, elle connaît un nouvel engouement. Il serait opportun d’appliquer une taxe sur les transactions financières indolore et non discriminante entre les diverses places afin de faire face en partie à cet endettement considérable. Proposée au taux de 0,005 %, cette taxe pourrait être appliquée dans tous les pays du G20 et permettrait de financer une grande partie de la dette.
La taxe carbone est un impôt d’avenir. Elle est adaptée à la mise en œuvre d’une stratégie globale de basculement de la pression fiscale du travail et de la production, souvent accompagnée de pollution, vers la consommation, et elle procurera des ressources stables à l’État. Mais il est nécessaire de rationaliser les nombreuses niches fiscales environnementales, vertes et grises.
Enfin, devant la gravité de la situation de nos finances publiques, je ne peux que souscrire à la proposition de M. Jean-Luc Warsmann sur la tenue d’un sommet national de la dette publique, au-delà des clivages politiques et syndicaux traditionnels, car, comme il l’a justement souligné, « la France est à l’aube d’un choc budgétaire et financier sans précédent ».
Monsieur le ministre, soyez Robin des Bois dans la forêt de Sherwood et non le shérif de Nottingham (Rires.) pour donner à chacun le sentiment que sa contribution est proportionnelle à ses facultés et que l’impôt est équitablement réparti. (Bravo ! et applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat sur les prélèvements obligatoires est en quelque sorte le préambule à la discussion budgétaire et, pour filer la métaphore sportive, je dirai que c’est l’échauffement avant l’épreuve.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Voilà !
Mme Nicole Bricq. On nous promet que le débat budgétaire sera riche en péripéties du fait de l’introduction de la taxe carbone, de la suppression de la taxe professionnelle et du sort réservé à une fiscalité des revenus et des patrimoines que le groupe socialiste juge – ce n’est pas un scoop – de plus en plus injuste.
Cependant, je crains que, à l’avenir, ce débat ne relève de la pure rhétorique dans la mesure où l’emballement de la dette provoquera un choc sans précédent sur les finances publiques.
Les perspectives macroéconomiques ne sont guère plus réjouissantes. Nous ne retrouverons pas des niveaux de croissance propres à abonder les recettes de l’État, à autofinancer l’emprunt que l’on nous promet ; qu’il soit grand ou petit, ce dernier obérera encore davantage les finances de l’État.
Quoi qu’il en soit, le groupe socialiste entend donner son point de vue sur l’évolution des prélèvements obligatoires au regard des principes que nous défendons chaque année, c'est-à-dire la justice fiscale et l’efficacité économique.
Force est de constater que, depuis 2002 et encore plus depuis 2007, les gouvernements successifs ne répondent ni à l’un ni à l’autre de ces objectifs.
On assiste à une baisse des recettes de l’État sans précédent. Irresponsable, le Gouvernement accorde, en pleine crise, des cadeaux fiscaux comme la baisse de la TVA dans la restauration, sans qu’aucune contrepartie soit au rendez-vous. Mais il exigera des contribuables du milieu et du bas de l’échelle des recettes des efforts et des sacrifices. Qui plus est, la suppression de la taxe professionnelle fait fi des intérêts des collectivités locales, et le coût en sera supporté à terme par les mêmes.
Dans le même temps, au-delà de toute raison, le Président de la République, le Gouvernement ainsi que sa majorité, si j’ai bien entendu l’orateur du groupe UMP, pour l’essentiel, refusent toute remise en cause du bouclier fiscal et des dépenses fiscales, dont l’efficacité économique et l’utilité sociale ne sont pas avérées. Je reviendrai sur ce point.
Il me paraît intéressant, dans un premier temps, puisqu’il en a été beaucoup question, de comparer l’évolution des prélèvements obligatoires de l’État et de ceux des collectivités locales.
Il me semble souhaitable de le faire en prélude à notre débat budgétaire, notamment pour aborder l’article 2 du projet de loi de finances pour 2010, relatif à la suppression de la taxe professionnelle.
Du fait des choix politiques opérés à travers la loi TEPA et des allégements d’impôts octroyés aux entreprises, le poids de l’État dans les prélèvements obligatoires a reculé en 2008 de 0,7 point de PIB, ce qui représente une perte de 8 milliards de recettes. Il faut y ajouter les transferts de recettes vers la sécurité sociale, en compensation des allégements de cotisations, et vers les collectivités locales, à la suite des transferts de compétences.
À cet égard, je partage l’analyse développée par M. le rapporteur général de la commission des finances dans son rapport d’information – je lis toujours ses rapports avec attention ! –, il s’agit bel et bien ici d’une « baisse des prélèvements obligatoires en trompe-l’œil ».
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Je vous remercie de votre lecture vigilante, ma chère collègue !
Mme Nicole Bricq. Sans l’adoption de ces mesures prises en 2008, les prélèvements obligatoires auraient eu une évolution spontanée légèrement supérieure à la croissance. À l’inverse, les prélèvements obligatoires perçus par les collectivités locales en 2008 ont augmenté de 0,1 point du fait du transfert de l’État vers ces mêmes collectivités d’impôts tels que la TIPP ou la taxe spéciale sur les conventions d’assurance. Ces chiffres prouvent que, contrairement à ce qui est affirmé, les collectivités locales ont su maîtriser la fiscalité locale.
En 2009, le taux des prélèvements obligatoires devrait chuter de 2,1 points, pour s’établir à 40,7 % du PIB. Cette baisse est due à la chute des recettes fiscales de l’État, conséquence de la crise, certes, mais aussi effet supplémentaire des exonérations prévues dans la loi TEPA.
De leur côté, les collectivités territoriales devraient voir leur taux de prélèvements obligatoires augmenter de 0,2 % en raison de la poursuite des transferts d’impôts de l’État et d’une hausse des taux qui contrebalancent les pertes de recettes, notamment les droits de mutation à titre onéreux.
En 2010, le taux des prélèvements obligatoires se stabiliserait à 40,7 % du PIB, exclusivement à cause de la suppression de la taxe professionnelle, et c’est là que l’on peut parler de trompe-l’œil.
L’année 2010 sera donc à la fois pour l’État et les collectivités locales une année de transition au terme de laquelle, mécaniquement, en raison de l’effet des mesures prévues dans le plan de relance et de la suppression de la taxe professionnelle, qui devrait être neutre l’année prochaine pour les collectivités locales, les prélèvements obligatoires des collectivités locales baisseront, tandis que ceux de l’État augmenteront.
En 2011, ce sera l’inverse du fait, pour l’État, de la fin du plan de relance et peut-être, espérons-le, d’une reprise économique – même légère – et, pour les collectivités territoriales, de la perception de la future contribution économique territoriale.
Les prélèvements obligatoires sont bien aléatoires puisqu’ils varient en fonction du contexte fiscal et économique.
Sur la période 2008-2010, les hausses d’impôt « ménages » des collectivités territoriales, souvent vilipendées, s’expliquent par la contrainte qu’exerce l’État sur les dotations budgétaires qui leur sont destinées, mais qui sont en diminution constante, par l’important effort d’investissement qu’elles maintiennent et par la sous-compensation des transferts.
Les entreprises, pour leur part, seront gagnantes, car elles auront été lestées de 11,7 milliards d’euros grâce à la suppression de la taxe professionnelle. En outre, elles recevront 2 milliards d’euros au titre de la taxe carbone. Pour autant, seront-elles plus compétitives ? À quelques jours de l’examen du projet de loi de finances pour 2010, aucune étude d’impact ne l’a démontré.
Mme Raymonde Le Texier. Ça, c’est la grande inconnue !
Mme Nicole Bricq. Lors de sa visite à Saint-Dizier, le Président de la République a fait porter à la taxe professionnelle tout le poids des pertes d’emplois et des délocalisations. Mais la ficelle est grosse ! On pourrait même parler de corde de marine ! Nous aurions aimé qu’il nous apporte la démonstration de ses appréciations, mais nous attendons toujours…
Le Conseil des prélèvements obligatoires remet en cause, pour le passé, dans son rapport consacré à la fiscalité des entreprises qu’il a remis à la commission des finances, l’argument de la compétitivité comme contrepartie aux allégements fiscaux des entreprises. Du reste, il rejoint en cela d’autres études de source publique ou privée qui mettent en avant d’autres facteurs d’attractivité, comme la qualité des infrastructures, de la formation et de la main-d’œuvre.
Or la part des prélèvements obligatoires pesant sur les entreprises baisse significativement depuis plusieurs années sans, pour autant, que leur compétitivité en soit renforcée. Moult rapports ont prouvé que la compétitivité de nos entreprises ne se situait pas à ce niveau ; celle-ci réside plutôt dans leur taille, leur capacité à investir, à innover et à exporter.
De nouveau mis en avant pour justifier la suppression de la taxe professionnelle dans une économie mondiale concurrentielle, cet argument n’est guère recevable puisque les secteurs les plus favorisés seraient – mais nous ne disposons pas, à ce jour, de simulations précises – la construction, l’agriculture et les services à la personne, qui, par définition, ne sont pas délocalisables. L’industrie n’arrive qu’au quatrième rang !
Concernant les valeurs foncières, on peut douter du bénéfice qu’en tirera l’industrie si leur assiette n’est pas révisée. Sur ce point, je rejoins les propos du président Arthuis.
Réagissant au débat engagé à l'Assemblée nationale sur le projet de loi de finances pour 2010, Mme la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi s’est insurgée contre la proposition de certains députés de surtaxer l’impôt sur les sociétés versé par les banques, au prétexte que son taux est déjà trop élevé, notamment par rapport à ce qu’il est ailleurs en Europe. Or cet argument ne tient pas si l’on regarde l’assiette de l’impôt sur les sociétés en France, véritable gruyère du fait du régime d’amortissement, du report des pertes, du régime mère-fille et de l’intégration fiscale. Le taux effectif, et non pas facial, de l’impôt sur les sociétés en France s’avère plus bas que, par exemple, chez notre principal partenaire européen, l’Allemagne.
De fait, l’impôt sur les sociétés est, comme l’impôt sur le revenu, « mité » par les dépenses fiscales.
Cela m’amène au second point de mon propos : les dépenses fiscales sont en effet un élément essentiel pour apprécier l’évolution des prélèvements obligatoires.
Monsieur le ministre, le plafonnement instauré en 2009, que j’ai qualifié tout à l'heure de « cosmétique », a eu, si j’en crois les chiffres qui nous ont été communiqués, un effet bien moindre que prévu par les services de votre ministère, lesquels escomptaient pour 2010 une recette de l’ordre de 200 millions d’euros, alors que celle-ci serait plutôt de 20 millions d’euros !
Vous avez vous-même récemment déclaré, dans un entretien accordé à un journal économique, être ouvert à la fixation d’un plafond global des niches fiscales, mais défavorable aux coups de rabot. Tout à l'heure, vous avez vous-même utilisé une métaphore sportive en parlant de « slalom ». Si je vous ai bien compris, vous préférez attendre les conclusions de la mission de l’Inspection générale des finances, mais, dans la période actuelle, cet attentisme est pour le moins contestable.
En effet, la question des dépenses fiscales est primordiale au regard de l’économie générale des prélèvements obligatoires. La persistance de celles-ci vide l’impôt de son caractère progressif et, combinées au bouclier fiscal, elles permettent aux plus aisés de se soustraire à leur devoir fiscal. Cette situation n’est plus tenable. Et l’argument soutenu par le Gouvernement en 2007, faire revenir les exilés fiscaux, n’est plus recevable. On devait les voir se précipiter aux portes des services fiscaux… Nous les attendons toujours !
Devra-t-on, pour voir la question des niches fiscales tranchée, patienter jusqu’à la date ultime du 30 juin 2011, fixée par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 ? Je n’y crois pas, car ce n’est pas en pleine campagne électorale, à la veille d’une échéance cardinale, à savoir l’élection présidentielle, que vous prendrez de telles mesures !
Il est vrai que l’objurgation élyséenne de ne pas augmenter les prélèvements obligatoires contredit la remise en cause des niches fiscales, et l’on comprend bien l’embarras du Gouvernement et l’abandon en rase campagne des velléités des députés de la majorité de l'Assemblée nationale d’émettre des propositions : ils les ont vite remisées, l’été dernier.
Quant à la baisse de la TVA dans la restauration, c’est un plat que la majorité devra ingurgiter quoi qu’il en soit, puisque l’on ne sait même pas comment cette dépense fiscale a été gagée, monsieur le ministre. Or je vous rappelle tout de même que la loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 impose, dans son article 11, que toute dépense fiscale soit gagée ; mais peut-être nous apporterez-vous tout à l'heure des précisions sur cette question.
Mme Nicole Bricq. En résumé, le pire est devant nous : il nous faudra non seulement payer la charge de la dette, mais encore financer les dépenses liées au vieillissement de la population, tout en supportant durablement un niveau de chômage élevé.
Dans ce contexte, le recours à l’emprunt est une très mauvaise farce ! En passer par là pour financer les dépenses d’avenir, c’est avouer que le budget de l’État n’a plus aucune marge de manœuvre, même en comprimant la dépense. M. le rapporteur général de la commission des finances en est d’ailleurs convenu lui-même tout à l'heure en précisant que l’on avait atteint la limite de la compression de la dépense. En termes budgétaires, on est arrivé à l’os, si vous me permettez cette image !
Le pari de l’emprunt est d’abord destiné à permettre au Président de la République d’accoster au rivage de 2012 sans trop d’encombres, mais les Français ne se laissent plus bercer d’illusions. La France du travail, celle que vous avez tant mise en exergue, c’est maintenant qu’elle va payer lourdement l’entêtement idéologique de ses gouvernants ! (Mme Raymonde Le Texier applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas About.
M. Nicolas About. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mesdames Bricq et Le Texier, que je remercie d’être encore parmi nous,… (Sourires.)
Mme Nicole Bricq. Nous sommes vaillantes ! (Nouveaux sourires.)
M. Nicolas About. … j’observe que ce débat sur les prélèvements obligatoires semble de plus en plus confidentiel. Nous devrions réfléchir, pour les années à venir, à une éventuelle modification des modalités de cette rencontre indispensable.
Moins d’un mois avant l’examen du projet de loi de finances pour 2010, ce débat est en effet un moment important et il est bienvenu dans un contexte extrêmement délicat.
En 2010, nos prélèvements obligatoires devront encourager la sortie de crise, alors que nos finances publiques subiront pleinement ses effets. Nos marges de manœuvre sont étroites : il ne serait pas responsable d’augmenter les prélèvements obligatoires dans la conjoncture actuelle, puisque l’urgence est à la relance, mais il serait sans doute tout aussi irresponsable de ne pas envisager leur hausse dans un futur proche, afin de contenir la dérive des déficits et de la dette.
Le taux des prélèvements obligatoires devrait se situer aux alentours de 40 % en 2009 et en 2010. Cela a été dit, il n’y a pas lieu de nous réjouir de la faiblesse de ce niveau puisqu’elle est largement subie et qu’elle consacre notre incapacité à satisfaire nos besoins collectifs autrement que par l’emprunt.
Si le niveau actuel de nos prélèvements est largement subi, leur structure, en revanche, est le fruit de nos choix. Force est de constater que ceux-ci ne sont pas tous adaptés à la situation actuelle de notre économie. Les dépenses fiscales que nous avons engagées ces dernières années n’ont pas toutes démontré leur intérêt.
L’examen du projet de loi de finances pour 2010 doit être l’occasion de tirer toutes les conséquences de ce constat et d’apporter les modifications que nous jugerons nécessaires. Nos travaux seront guidés par des lignes directrices claires. Systématiquement, nous chercherons à améliorer la simplicité et la lisibilité de nos prélèvements obligatoires : c’est une condition essentielle du consentement à l’impôt. C’est aussi un critère de compétitivité : nous le savons, les entreprises consacrent du temps et des moyens importants à essayer de voir clair dans notre paysage fiscal bien trop complexe.
Cet effort de simplicité doit aller de pair avec la lutte contre l’optimisation fiscale qui met en péril l’équilibre des finances publiques. Cette véritable industrie est un vecteur d’inégalités puisqu’elle profite essentiellement aux grandes entreprises.
La proposition du premier président de la Cour des comptes, consistant à imposer une obligation de dévoiler les schémas d’optimisation utilisés par les entreprises, mériterait d’être étudiée. Elle permettrait de mieux connaître ces pratiques et de circonscrire les schémas les plus excessifs.
Nous nous efforcerons également de formuler des propositions durables. L’instabilité de notre structure fiscale pénalise nos entreprises, limite leur visibilité et freine l’entreprenariat.
Enfin, nous procéderons à un examen systématique et sans a priori de l’ensemble de nos prélèvements obligatoires, tout particulièrement de nos dépenses fiscales. J’insiste sur cette dernière ligne de conduite, car c’est une question de principe. Nous savons que des marges d’amélioration existent ; nous savons que chaque euro dépensé doit être pleinement justifié et que cette discipline doit aussi s’appliquer à nos dépenses fiscales Il n’y a pas de raison valable d’exclure a priori toute révision de certains dispositifs fiscaux.
Vous le savez, monsieur le ministre, le groupe Union centriste pense, bien sûr, au bouclier fiscal. Ce dispositif de plafonnement des impôts directs devrait permettre de garantir que nul ne paie plus de 50 % de ses revenus en impôts. Nous partageons cet objectif. L’impôt ne doit pas revêtir un caractère confiscatoire, mais le dispositif, dans sa forme actuelle, ne nous apparaît pas pleinement satisfaisant.
Premièrement, grâce à de nombreuses niches fiscales, le plafond effectif du taux d’imposition est bien inférieur à 50 % puisque c’est non le revenu réel qui est pris en compte, mais le revenu fiscal calculé après une série de déductions. Le résultat du dispositif ne correspond donc pas à l’objectif qu’on lui avait assigné.
Deuxièmement, la situation qui prévalait lors de sa mise en place par la loi de finances pour 2006, puis au moment de son renforcement dans le cadre de la loi TEPA, a profondément évolué. Les changements que nous avons connus depuis sont considérables ; nous devons y adapter nos dispositifs fiscaux avec lucidité, sans dogmatisme.
Troisièmement, et c’est évidemment lié, notre groupe accepte difficilement l’idée selon laquelle les efforts que nous devrons inéluctablement consentir pour redresser nos finances publiques seront supportés par tous les contribuables, sauf ceux que le bouclier fiscal protège. La situation s’est présentée voilà quelques mois avec le financement du RSA et la création d’une taxe sur les revenus fonciers et immobiliers… Je ne doute pas qu’elle ne se présente à nouveau !
Ce n’est pas la révision du bouclier fiscal qui ouvrira la porte à des hausses d’impôt. Ce sera la crise, l’aggravation de nos déficits publics et le risque d’emballement de notre dette. (Mme Nicole Bricq manifeste son approbation.)
Pour ces trois raisons, nous ne pouvons faire l’économie d’un examen approfondi de ce dispositif, de ses effets et des contraintes qu’il fait peser sur notre marge d’action. Notre groupe examinera toutes les pistes d’amélioration envisageables.
La plus ambitieuse, pour ne pas dire la plus audacieuse, de ces pistes, c’est celle que nous propose de façon récurrente notre collègue Jean Arthuis, président de la commission des finances : elle consisterait à abroger conjointement l’ISF et le bouclier fiscal, en compensant le manque à gagner par la création d’une tranche supplémentaire de l’impôt sur le revenu. Cette réforme d’ensemble permettrait d’assurer une meilleure corrélation – le rapporteur général l’a rappelé tout à l’heure – entre l’impôt et les facultés contributives réelles des uns et des autres.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Absolument !
M. Nicolas About. Notre fiscalité y gagnerait en simplicité et surtout en équité !
L’examen du projet de loi de finances sera également l’occasion d’étudier l’efficacité et la pertinence des niches fiscales et sociales, par exemple de la réduction du taux de TVA à 5,5 % pour les services de restauration à table. Dès son adoption, nous avions émis les plus vives réserves quant aux bénéfices attendus de cette mesure, notamment en matière d’embauche. En 2010, elle sera la cinquième niche la plus coûteuse, alors que les doutes sur ses effets réels ne se sont pas dissipés ces derniers mois, bien au contraire. Mais laissons-lui peut-être le temps de vivre…
Enfin, le projet de loi de finances vise à engager une profonde réforme de la fiscalité locale. Sans anticiper sur les débats nourris qui auront lieu à cette occasion, j’aimerais formuler quelques remarques sur ce que nous pensons être les conditions de succès de cette réforme nécessaire.
Premièrement, la révision des bases locatives est un préalable indispensable à la réforme.
Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. Nicolas About. À défaut d’une telle révision, cette réforme ne pourra pas être menée dans des conditions équitables et justes, notamment vis-à-vis des entreprises industrielles, d’un côté, et des entreprises commerciales, de l’autre. Pour éviter les inégalités que risquerait d’engendrer une révision « au fil de l’eau », les bases locatives devront être révisées en une fois.
La réforme doit offrir l’occasion de mettre en place une fiscalité locale plus juste, non seulement entre contribuables, mais aussi entre collectivités. À cet égard, la définition d’un taux national unique, s’appliquant à une fraction variable de la valeur ajoutée en fonction du chiffre d’affaires, serait un bon levier de péréquation.
Deuxièmement, les recettes qui viendront compenser la suppression de la taxe professionnelle devront être réparties de façon à assurer des ressources suffisantes, prévisibles et dynamiques pour chaque niveau de collectivité territoriale aussi bien que pour chacune d’entre elles. Après Jean Arthuis, je le redis : cela implique de rejeter l’idée d’une spécialisation fiscale par niveau de collectivité, de maintenir la cohérence entre leurs compétences et leurs ressources et de garantir le respect du principe de l’autonomie financière des collectivités.
Nous débattons aujourd’hui des prélèvements obligatoires, mais on ne peut parler d’autonomie financière des collectivités sans évoquer leurs dépenses.
Cette autonomie des dépenses est de plus en plus menacée par la hausse des dépenses contraintes. Les dépenses sociales que les départements ont à leur charge en offrent le meilleur exemple, mais toutes les collectivités sont confrontées de façon croissante à ce problème.
Les collectivités ont besoin de ressources dont la progression soit au moins aussi dynamique que l’évolution spontanée de leurs dépenses, notamment en temps de crise. Elles ont également besoin que le Gouvernement et le Parlement ne renchérissent pas sur l’exercice de leurs compétences par des mesures législatives ou réglementaires sans prévoir le financement de celles-ci, à l’euro près.
Nous veillerons donc attentivement, non seulement à ce qu’elles puissent continuer à disposer de ressources propres suffisantes, mais aussi à ce qu’elles disposent de vraies marges de manœuvre en matière de dépenses. Car c’est là que se situe réellement, pour nous, l’autonomie financière.
Pour conclure, j’aimerais rappeler que l’Europe est le cadre naturel dans lequel notre avenir se dessine. Je souhaite donc redire l’attachement du groupe Union centriste à une meilleure harmonisation des législations fiscales en Europe et, à terme, à la mise en place d’une assiette fiscale consolidée à l’échelon européen. Nous avons bien conscience que, dans nombre de domaines, nous ne pouvons rien faire sans un accord de nos partenaires. Depuis plusieurs années, nous appelons cette consolidation de nos vœux, non seulement parce qu’elle aura un effet majeur en matière de concurrence fiscale, mais aussi parce qu’elle sera un puissant levier d’approfondissement de l’intégration communautaire.
L’Union européenne et l’euro protègent la France ; la crise que nous traversons l’a démontré. La relance et les efforts qu’il nous faudra consentir pour redresser nos comptes publics devront être réalisés avec nos partenaires européens. Mais la construction européenne n’est pas achevée : c’est un projet vivant que nous continuerons à soutenir dans tous les domaines. (Mme la présidente de la commission des affaires sociales, M. le rapporteur général de la commission des finances et Mme Nicole Bricq applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier.
Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, d’hypothèses économiques irréalistes en dépenses sous-estimées, cette majorité n’aura su aligner, en matière de finances sociales, que des budgets insincères.
Mme Raymonde Le Texier. Le principe de réalité finissant toujours par s’imposer aux bidouillages comptables, ce gouvernement collectionne donc les déficits, leur faisant en outre atteindre des niveaux historiques.
Il faut dire qu’avec un taux de prélèvements obligatoires de 40,7% par rapport au PIB les recettes fiscales se sont effondrées. Ce taux plancher est largement facteur d’inquiétude. En cause : la crise et ses conséquences en matière d’emploi, mais également l’adoption de diverses mesures, telles les baisses d’impôt sur le revenu, d’impôt sur les sociétés, de TVA et l’augmentation des allégements de charges.
La dégradation de la masse salariale est sans précédent, enregistrant une baisse de quatre points, avec une diminution de 1,25% en 2009, ce qui représente 8 milliards d’euros de recettes en moins. Une telle évolution est, bien sûr, liée non seulement à l’augmentation du chômage et à une diminution des heures supplémentaires, mais également à l’explosion du chômage partiel. En effet, celui-ci, exonéré de cotisations patronales, est une variable d’ajustement pratique pour les entreprises, ce qui occasionne de lourdes pertes de recettes pour la sécurité sociale comme pour l’État.
Voilà pourquoi, en 2009, le déficit de l’État devrait atteindre 141 milliards d’euros, soit deux fois et demi le déficit de 2008. En 2010, il devrait s’établir à 116 milliards d’euros. Les mesures fiscales prises pour 2010 ainsi que celles qui ont été prises antérieurement, hors plan de relance, devraient représenter plus de 14 milliards d’euros de manque à gagner.
À ce déficit record s’ajoute celui, sans précédent, du régime général : plus de 23 milliards d’euros en 2009. Mais 2010 devrait vite reléguer ce record aux oubliettes puisque c’est la barre des 30 milliards d’euros qui sera alors franchie. Dans le meilleur des cas, le déficit annuel devrait se stabiliser par la suite à ce niveau.
Conséquence : une explosion de la dette de l’État et de la sécurité sociale. Ainsi, le ratio de dette publique devrait atteindre 84 % du PIB l’année prochaine. Ce chiffre ne tient bien sûr pas compte du fameux « grand emprunt », dont le montant, comme le calendrier, reste flou. Autant dire que l’avenir de nos enfants et la pérennité de notre système de protection sociale sont hypothéqués.
La situation est d’autant plus critique que le Gouvernement fonde la logique de ses projets de finances publiques sur des hypothèses parfaitement irréalistes : un retour de la croissance annuelle du PIB de 2,5 % et de la masse salariale de 5 % à partir de 2011 ! Un scénario aussi peu crédible que les précédents, hélas !
Le président de la Cour des comptes a d’ailleurs critiqué cette propension du Gouvernement à défier les lois du réel en matière de finances et a rappelé qu’« il ne saurait y avoir de démarche crédible de rétablissement des comptes sans un effort accru de vérité sur l’état de nos finances ». Mais il risque de prêcher dans le désert encore longtemps, tant les hypothèses du Gouvernement portent la marque du refus pathologique d’affronter la nécessaire hausse des prélèvements obligatoires.
Peu importe si cette promesse détruit les équilibres sociaux, met en situation critique notre protection sociale et ne sert que les intérêts de ceux dont le patrimoine est suffisamment important pour pouvoir se passer du filet de sécurité tissé par la solidarité nationale. C’est cela, sans doute, la droite décomplexée que nous a promise Nicolas Sarkozy au moment de sa campagne !
En matière de finances sociales, les litanies annuelles sur le « trou de la sécu » ont émoussé la conscience de l’ampleur du problème. Pourtant, les déficits sans précédent de 2009 et de 2010, auxquels s’ajoutent ceux du Fonds de solidarité vieillesse, aggravent encore de près de 64 milliards d’euros le poids de la dette sociale.
Rappelons pour mémoire que la loi Douste-Blazy annonçait l’équilibre des comptes de l’assurance maladie pour 2007. Quant à la réforme Fillon de 2003, elle devait garantir l’équilibre des retraites jusqu’en 2020…
Toutefois, le cruel démenti que le « réalisé » inflige à vos prévisions ne nous réjouit pas pour autant. En effet, derrière les comptes catastrophiques se profile l’abandon des ambitions du système de protection sociale défini en 1945.
Mesure après mesure, les assurés sociaux portent la charge du redressement des comptes. Dans le même temps, ils voient l’âge du départ à la retraite reculer, les pensions baisser, les franchises augmenter, le champ des médicaments non remboursés s’élargir, l’accès aux soins se compliquer, les hôpitaux se raréfier, etc.
Avec l’annonce de tels déficits, ils savent que ce Gouvernement va continuer à s’attaquer à leur protection et creuser encore les inégalités.
Assurer à notre sécurité sociale des recettes stables et pérennes est pourtant plus que jamais indispensable. On a vu, à l’occasion de la crise qui nous frappe, à quel point un tel filet de protection participe au maintien de la cohésion d’une société et est déterminant pour sa capacité à rebondir. Or, faute d’avoir été à la hauteur des enjeux, les PLFSS successifs ont financé les déficits en les faisant porter par la CADES, autrement dit en les faisant reposer sur les générations futures !
Aujourd’hui, la dette restant à amortir est de 91,9 milliards d’euros ; elle devrait, en théorie, s’éteindre en 2025. Voilà deux ans, c’était en 2023 ! Jusqu’où allons-nous reporter le terme ? La dette qui pèse déjà sur nos enfants et nos petits-enfants interpelle notre responsabilité de parlementaire.
Le fait que les ressources de la CADES s’appuient essentiellement sur la CRDS rend d’autant plus choquante la décision de Nicolas Sarkozy de faire entrer les contributions sociales dans le bouclier fiscal.
La gauche s’est insurgée contre ce déni de solidarité qui vise à exempter les plus riches des devoirs qu’assument normalement les membres d’une société. Même le président UMP de la commission des lois de l’assemblée nationale, M. Jean-Luc Warsmann, en convient : d’après lui, la CRDS devrait être retirée des impositions prises en compte dans le bouclier fiscal : « Lutter contre cette dette est une cause nationale qui suppose la solidarité de tous. La CRDS se distingue de l’impôt. Sa seule raison d’être est le remboursement de la dette sociale. »
Cet impératif moral est d’autant plus d’actualité que, pour arrêter le processus sans fin d’accumulation de dettes, il a été décidé, dans le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, de ne plus transférer de charges sans transférer une ressource équivalente. Or, face à l’explosion des déficits actuels et futurs, donc face à la nécessité de supporter la dette de demain, une augmentation de la CRDS est devenue inévitable.
Tous les spécialistes l’écrivent, les parlementaires le disent, Nicolas Sarkozy le sait, mais, au pied du mur, il choisit de compter les briques ! Pourtant, l’enjeu est de taille, car, au-delà du stock de la dette, qu’adviendra-t-il des nouveaux déficits annoncés si de nouvelles recettes ne sont pas trouvées ? La poussière étant déjà plus épaisse que le tapis, qui supportera les nouvelles dettes ?
« Ce sera l’ACOSS », a décrété le Gouvernement, lequel a relevé son plafond d’emprunt à 65 milliards d’euros. Or l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale n’étant censée supporter que les décalages de trésorerie, lui faire assumer un tel déficit et, à partir de 2011, des déficits annuels qui pourraient se stabiliser à 30 milliards d’euros est une solution aussi dépourvue de sens que d’avenir.
Peut-être se justifierait-elle si les difficultés étaient essentiellement conjoncturelles. Cependant, si la crise a effectivement creusé le déficit, le déséquilibre de nos finances n’est malheureusement pas temporaire : pour l’essentiel, il est ancien et structurel. Même un retour hypothétique de la croissance au niveau antérieur garantirait non pas une baisse des déficits, mais seulement leur stabilisation.
Avec 30 milliards d’euros de déficit annuel, notre système se trouvera bientôt devant l’entrée du service des soins palliatifs !
Voilà pourquoi le débat sur les politiques d’allégements de charges et de cotisations n’est pas une bataille purement technique. En siphonnant une part des recettes de la sécurité sociale, ces politiques pèsent lourd sur les comptes sociaux. S’interroger sur leur efficacité et leur utilité sociale est plus que jamais légitime.
Avec plus de 30 milliards d’euros consacrés, à l’heure actuelle, aux allégements généraux et plus de 46 milliards d’euros aux exemptions d’assiette, les politiques d’exonérations sociales représentent un total annuel d’environ 76 milliards d’euros. Ces dispositifs n’ont cessé de se multiplier. Au nombre de quarante-six dans la loi de finances de 2006, ils sont soixante-cinq dans celle de 2009.
Dans le rapport d’Alain Vasselle, dont le titre, Finances sociales : arrêté de péril, est déjà hautement révélateur, on peut lire : « Cette progression témoigne parfaitement du recours sans cesse croissant au mécanisme d’allégement de charges pour des raisons qui ne tiennent pas uniquement à la politique de l’emploi, mais parfois à la simple commodité ou à l’affichage. » Toujours selon Alain Vasselle, « l’État fait le choix délibéré de mettre à la charge de la sécurité sociale des politiques qui sont de sa responsabilité ».
Un tel choix est d’autant plus critiquable que les dispositifs en cause n’ont en effet guère fait la preuve de leur efficacité en matière d’emploi : dans son dernier rapport, la Cour des comptes souligne leur caractère coûteux comme leurs effets hasardeux, voire contre-productifs. Un quotidien titrait d’ailleurs récemment : « L’invendable bilan de la loi TEPA. Un excellent prétexte pour ne pas embaucher » ; ou comment, en période de crise, l’augmentation des heures supplémentaires permet d’éviter toute embauche.
Mais il existe un autre effet pervers : ces exonérations sont devenues un élément de la politique salariale des entreprises, conduisant ces dernières à figer l’échelle des salaires pour privilégier d’autres formes de rémunération. L’utilisation des heures supplémentaires illustre une telle dérive. Or la perte pour les finances publiques de ces exonérations est supérieure aux gains de pouvoir d’achat obtenus par les salariés.
L’absence de toute contrepartie salariale à de tels allégements pose problème. Et ce n’est pas le simulacre de conditionnalité annoncée par Nicolas Sarkozy qui y répond. En effet, une mesure qui va prochainement entrer en vigueur précise que les entreprises de plus de 50 salariés devront restituer 10 % des allégements accordés l’année précédente en cas de non-engagement de négociations salariales. Cela ne devrait guère produire d’autre effet qu’un effet d’annonce. Outre que l’ouverture de négociations salariales dans ces entreprises constitue déjà une obligation, il suffira de tenir une séance de négociation, sans se soucier d’obtenir de résultat, pour que la restitution demeure lettre morte.
Faire dépendre les allégements de cotisations sociales de la signature effective d’accords salariaux, voilà qui serait un vrai progrès.
Il est ici question non pas de supprimer tous les dispositifs d’exonération de cotisations, mais d’en limiter le nombre comme le poids sur nos finances sociales, en en conditionnant le bénéfice à une obligation de résultat.
C’est l’effet sur l’emploi, les salaires, les conditions de travail et la précarité, qui doit être pris en compte pour décider du maintien ou de la suppression de ces multiples dispositifs. Cette remise à plat est impérative au vu de la situation de nos comptes sociaux. Je gage pourtant que ce n’est pas encore cette année qu’elle aura lieu !
C’est d’autant plus regrettable que des propositions telles que la baisse du seuil de 1,6 SMIC au-dessous duquel certains allégements s’appliquent, la limitation des dispositifs aux entreprises de taille petite ou moyenne ou la mise en place de critères sociaux et environnementaux pourraient faire l’objet d’un consensus.
De même, le développement des taxes comportementales par l’augmentation des droits sur les tabacs et l’alcool ou la création d’une taxe nutritionnelle, ciblée sur les produits diététiquement médiocres, augmenterait les ressources tout en ayant un impact positif en termes de santé publique. Ces propositions sont partagées par les parlementaires de droite comme de gauche. Que faut-il de plus pour qu’elles soient entendues ?
Par ailleurs, alors que les stock-options, retraites chapeaux, parachutes dorés et autres golden hello sont des formes de rémunérations alternatives développées au bénéfice d’un nombre restreint de salariés très favorisés ou de mandataires sociaux, nous demandons que ces salaires déguisés fassent l’objet d’une imposition spécifique à la hauteur des objectifs de justice fiscale que nos comptes sociaux réclament.
Certes, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, il est notamment prévu d’accroître la contributivité des retraites chapeaux, de doubler le taux du forfait social sur l’épargne salariale, de supprimer certaines exonérations sur les assurances vie. Toutefois, cet accroissement est très limité et, surtout, ces dispositions sont mises en place avec un tact et une mesure fort éloignés de la manière dont on taxe les salariés lambda. Le rapporteur général de la commission des affaires sociales affirme lui-même que « des marges de manœuvre peuvent sans doute être trouvées dans la taxation des stock-options ».
Alors que la crise devrait obliger à concevoir un projet de loi de financement de la sécurité sociale ambitieux, celui qui est présenté pour 2010, particulièrement indigent, comprend ainsi quelques aménagements fiscaux destinés à offrir une rampe de communication au Gouvernement. Ce n’est qu’un buisson d’équité au moindre coût pour protéger une forêt de privilèges !
En effet, la crise de nos finances sociales est adossée sur un confortable magot, celui des niches fiscales. La France détient le record en la matière : plus de 470 niches pour un coût budgétaire supérieur à 110 milliards d’euros. Elles permettent notamment de réduire considérablement le taux réel d’imposition des ménages les plus aisés. Ainsi 100 contribuables ont-ils pu, en 2008, économiser en moyenne pas moins de 1,5 million d’euros chacun. Grâce à tous ces aménagements, jamais les plus aisés n’auront aussi peu contribué à l’effort commun !
Les entreprises, quant à elles, ont également vu leur contribution baisser de manière notable. Pourtant, une telle situation n’a jamais tempéré leurs récriminations, à croire que ce n’est pas le niveau de participation à la solidarité nationale qui est en cause, mais bel et bien le principe même de cette participation.
Selon le Conseil des prélèvements obligatoires, la part des entreprises dans le financement de la protection sociale a ainsi diminué de 6 points, passant de 40 % à 34 %, tandis que la part des ménages passait de 31,1 % à 46,6 %. Entre 1983 et 2006, la part des cotisations sociales dans les recettes du régime général a ainsi été ramenée de 92 % à 55 %.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que les défis auxquels nos finances sociales doivent faire face deviennent de plus en plus ardus, le Gouvernement continue à faire de la redistribution à l’envers, avec le seul souci de favoriser les siens. Selon l’analyse menée par le groupe socialiste, cette attitude est indécente ! (Mme Nicole Bricq applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Eric Woerth, ministre. À l’issue de ce débat, je vous livrerai brièvement, mesdames, messieurs les sénateurs, quelques réflexions.
Monsieur le rapporteur général de la commission des finances, vous avez eu raison d’insister, au début de votre intervention, sur la nécessité d’analyser l’impact de la crise sur notre potentiel de croissance. Il s’agit bien évidemment d’une question que nous nous posons également. Nous le savons, les Britanniques ont révisé à la baisse leur niveau de PIB potentiel. Nous-mêmes, dans les documents annexés au projet de loi de finances pour 2010, n’avons estimé qu’à 1,7 % notre taux de croissance potentielle.
Cela étant, cette question est pour l’instant loin d’être tranchée. Vous l’avez d’ailleurs très bien dit, la manière dont nous sortirons de la crise, que nous ne pouvons pas prévoir aujourd’hui – ni nous ni qui que ce soit d’autre –, influencera fortement le taux de croissance potentielle de notre pays.
Je constate simplement que nos estimations et nos prévisions pour les finances publiques sont supérieures à la croissance potentielle. C’est vrai, le taux de 2,5 % retenu par le Gouvernement pour 2011 et 2012 est supérieur à celui de notre croissance potentielle. Pour 2010, nous tablons sur une croissance de 0,75 %, niveau qui sera peut-être d’ailleurs dépassé.
Nous considérons en effet que l’économie sera plus réactive en sortie de crise, après l’année charnière que sera 2010. C’est une hypothèse de travail, et nous avons quelques mois pour la vérifier. Au demeurant, je tiens à le rappeler, d’autres pays, ayant les mêmes sujets de préoccupation, raisonnent exactement de la même manière en matière de finances publiques.
J’en viens maintenant à la règle de gage, évoquée tant par M. Marini que par Mme Bricq.
Pour ce qui concerne les niches sociales, nous avons respecté cette règle. En effet, en 2009, nous avons en quelque sorte « surgagé » les mesures nouvelles – c’est plutôt positif –, entre les niches créées et les niches supprimées, nous obtenons un solde positif de 29 millions d’euros. C’est plutôt une bonne nouvelle ! Et pour 2010, en tenant compte de ce qui figure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous avons « surgagé » de 303 millions d’euros.
Pour ce qui concerne les niches fiscales, vous avez raison, monsieur le rapporteur général, nous respectons la règle de gage, mais pas dans l’immédiat, seulement au regard de son évolution, c'est-à-dire à l’horizon 2013.
En effet, la baisse de la TVA dans la restauration – mais s’agit-il vraiment d’une niche ? Après tout, le taux réduit de TVA sur la restauration rapide n’a jamais été considéré comme une niche ! –, dont le coût pour l’État atteindra 2,5 milliards d’euros, ainsi qu’un certain nombre d’autres décisions sont gagées par toute une série de mesures. Je pense notamment à la réduction du taux de défiscalisation en faveur des biocarburants, à la suppression de la demi-part octroyée aux parents isolés et à la diminution quasi automatique de la prime pour l’emploi, qui est une niche fiscale, à la suite de la création du RSA, qui est une prestation.
Si vous le souhaitez, monsieur le rapporteur général, madame Bricq, je vous présenterai un tableau détaillé montrant clairement que nous respectons la règle de gage.
Si nous ne la respectons pas tout de suite, c’est parce que la suppression des différentes niches fiscales sera progressive et bénéficiera d’une véritable montée en puissance, dont il faut bien tenir compte. Il n’est donc pas complètement malhonnête de présenter les choses ainsi. Au demeurant, je suis bien évidemment prêt à en débattre avec vous.
M. Marini, M. About et M. Arthuis ont longuement évoqué la « trilogie » chère à la Haute Assemblée. Dans la mesure où nous en reparlerons au cours des semaines qui viennent, je serai bref.
La suppression de l’ISF, c’est une sorte de marqueur politique. On est bien au-delà d’une décision technique.
Mme Raymonde Le Texier. Aucune décision fiscale n’est « technique » !
M. Eric Woerth, ministre. Il s’agit en tout cas d’une décision compliquée, que le Gouvernement ne souhaite pas prendre, n’envisage pas de prendre.
Je ne prétends pas que votre raisonnement ne tient pas. D’ailleurs, puisqu’il est « trilogique », il est donc trois fois logique, ce qui est un gage de solidité ! (Sourires.) Il reste que nous n’entendons pas supprimer l’ISF.
Et nous ne voulons pas non plus supprimer le bouclier fiscal. Cela fait déjà deux éléments de la trilogie dont nous ne voulons pas ! (Nouveaux sourires.)
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Il faut considérer l’ensemble !
M. Eric Woerth, ministre. Qu’en est-il, alors, du troisième ? Eh bien, nous n’en voulons pas non plus ! (Rires.) Dans la mesure où nous ne souhaitons pas augmenter les impôts, nous sommes défavorables à la création d’une nouvelle tranche de l’impôt sur le revenu.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Vos propos ont le mérite de la clarté !
Mme Nicole Bricq. Vous êtes dans une nasse !
M. Éric Woerth, ministre. Vous trouvez sans doute que je manque cruellement d’enthousiasme à l’égard de la trilogie mais, rassurez-vous, j’aurai bientôt l’occasion de développer mon argumentation.
Madame Bricq, vous prétendez – vous ne l’avez peut-être pas dit tout à l'heure, mais vous l’avez en tout cas fortement pensé ! (Nouveaux sourires.) – que notre fiscalité n’est pas assez progressive,…
Mme Nicole Bricq. Je persiste et signe !
M. Éric Woerth, ministre. … mais laissez-moi vous rappeler que les 350 000 ménages les plus imposés, soit moins de 1 % des foyers fiscaux, acquittent tout de même près de 39 % de la recette de l’impôt sur le revenu. Il est donc difficile de contester la forte progressivité de cet impôt, même si l’on peut débattre de celle de notre système d’imposition dans son ensemble, dès lors que l’on inclut la TVA ou d’autres prélèvements.
J’attire tout de même votre attention sur la complexité de cette question et sur le fait que, dans notre pays, l’impôt constitue un puissant répartiteur de richesses. En effet, notre système généreux de prestations sociales, qui nous distingue d’autres États et dont nous pouvons être fiers, permet d’atténuer les inégalités entre les ménages.
Mme Nicole Bricq. C’est en effet ce qu’il devrait faire…
M. Éric Woerth, ministre. Il me semble inconcevable de réfléchir à l’équité de nos impôts sans envisager leur dimension redistributive. En tout état de cause, il faudra prolonger ce débat intéressant.
Pour répondre à M. Vasselle et à Mme Dini, je dirai que nous nous sommes efforcés d’être réalistes sur les comptes sociaux. Les chiffres que nous communiquons ne sont pas inexacts, madame Le Texier, mais ils peuvent le devenir en même temps que les prévisions, notamment lorsque des crises surviennent, qui bouleversent ces prévisions.
En 2009, nous avons systématiquement déposé des collectifs budgétaires, ce qui nous a d’ailleurs valu bien des critiques. Nous avons eu le courage de dire que nous nous étions trompés et, dans un environnement aussi chahuté, c’était, me semble-t-il, la bonne attitude à adopter.
Qu’il s’agisse de la dette de l’État à l’égard de la sécurité sociale ou des sous-budgétisations, nous ne voulons rien dissimuler. Vous disiez joliment, madame Le Texier, que la poussière était plus épaisse que le tapis. En l’occurrence, il n’y a rien « sous le tapis » ! Peut-être est-il usé, peut-être faudra-t-il un jour le changer, mais nous ne cachons rien dessous !
Certes, vous avez raison de souligner, madame Dini, que la dégradation des soldes des comptes sociaux est éminemment préoccupante. Il me sera toutefois difficile d’y remédier très efficacement dans la période actuelle.
Tout d’abord, même en nous fondant sur une hypothèse optimiste de croissance de la masse salariale de 5 % après la crise, contre 4 % en moyenne avant celle-ci, nous aurons bien du mal à rééquilibrer les comptes, car nous sommes descendus très bas.
Les années qui viennent resteront difficiles, même si nous maîtrisons aujourd’hui assez correctement les dépenses d’assurance maladie – je ne parle pas des retraites –, grâce à un pilotage fin. Avant la crise, il faut le savoir, nous avions ainsi ramené le déficit de l’assurance maladie à 4,4 milliards d’euros, et espérions le réduire encore. Nous nous sommes efforcés de respecter l’ONDAM et, avec un niveau normal de recettes, le déficit de l’assurance maladie s’élèverait plutôt à 3 milliards qu’à 10 milliards ou 12 milliards d’euros. C’est bien la crise qui est responsable de la dégradation. En 2012, la révision à la baisse de la masse salariale pèsera pour 17 milliards d’euros !
Nous avions également prévu de financer une partie de l’assurance vieillesse par un transfert de cotisations UNEDIC, mais nous devrons vraisemblablement y renoncer dans les années qui viennent, soit un manque à gagner de 6 milliards d’euros, à quoi s’ajoutent les dépenses liées à l’endettement de la sécurité sociale, lequel augmente parallèlement aux déficits.
Le défi est important, mais nous le relèverons, 2010 faisant figure d’année charnière. Nous ne savons pas ce que sera le rythme de la reprise – qui peut prétendre le savoir ? –, ce que sera la recette de l’impôt sur les sociétés, ce que sera l’évolution de la masse salariale ; nous n’avons pas, par conséquent, de visibilité sur les recettes de 2010. Ce n’est donc pas le moment d’augmenter la CRDS, comme d’aucuns le suggèrent. Nous avons encore la capacité de gérer notre dette sociale et la solution temporaire que nous proposons, en utilisant l’ACOSS, ne me semble pas aberrante ; elle est même tout à fait acceptable, car peu onéreuse.
Il faut également élargir le plus possible l’assiette des prélèvements. Nous l’avons déjà fait, notamment en taxant les stock-options, et nous continuerons de le faire.
Sur les allégements de charges, il convient d’agir avec prudence. Revenir sur les 22 milliards d’euros d’allégements reviendrait à augmenter le coût du travail, particulièrement des bas salaires. Cela nuirait inéluctablement à la compétitivité de notre pays et, de surcroît, ferait vraisemblablement augmenter le chômage, ainsi que toutes les études s’accordent à le dire. Ne jouons donc pas avec le feu ! D’ores et déjà, j’ai demandé à mon ancien directeur de cabinet, M. Jean-Luc Tavernier, d’étudier toutes les facettes de ce problème, y compris l’annualisation, et de faire des propositions.
En ce qui concerne les taxes comportementales, on a déjà augmenté de 23 % l’an dernier celle sur les alcools forts, qui rapporte 5 milliards d’euros. Sur le tabac, le produit des taxes s’élève à 13,5 milliards d’euros. Nous n’augmenterons pas leur poids, qui est déjà de 80 %, mais nous allons augmenter de 6 % le prix du tabac, pour répondre à la demande des fabricants. Cette hausse, substantielle en l’absence d’inflation, bénéficiera au futur plan cancer qu’annonceront le Président de la République et Roselyne Bachelot-Narquin.
Je n’entrerai pas, en cet instant, dans le débat sur la taxe professionnelle. Nos échanges à venir nous conduiront à y revenir largement, mais je prends note des excellentes remarques des uns et des autres, notamment du rapporteur général de la commission des finances.
Comme le Président de la République l’a indiqué, nous sommes prêts à nous lancer dans la réforme des valeurs locatives foncières, évoquée par Jean Arthuis. La révision des valeurs locatives des locaux commerciaux prolongerait opportunément la réforme de la taxe professionnelle. Pour les locaux d’habitation, plusieurs méthodes existent ; la question est à l’étude et nous devrons définir un calendrier.
M. Foucaud a critiqué la prime pour l’emploi, dont l’évolution ne peut pourtant plus être analysée indépendamment du RSA, qui représente 1,5 milliard d’euros de plus que tout ce qu’il remplace. Il faut donc regarder l’ensemble du paysage. Il nous a aussi exhortés à ne pas diminuer les impôts. Pourtant, lorsque la gauche a supprimé la part salariale de la taxe professionnelle, il me semble que cela le choquait moins… Quoi qu’il en soit, nous assumons nos décisions.
Je remercie Charles Guené de partager notre stratégie sur la taxe professionnelle et Aymeri de Montesquiou de partager nos objectifs, à défaut d’approuver nos solutions.
Je remercie aussi Nicole Bricq, même si elle ne partage ni nos objectifs ni nos solutions… (Sourires.) Il faut bien admettre que vous ne manquez pas de talent, madame la sénatrice, et je m’efforcerai de vous répondre plus précisément lors de la discussion budgétaire. Nous aurons en particulier un débat sur les collectivités territoriales, auxquelles l’État transfère, tout compris, 90 milliards d’euros. Chacun en conviendra, sans cet apport, le déséquilibre des comptes des collectivités se trouverait accru d’autant. Au lieu de nous lancer dans une bataille de chiffres, tâchons plutôt d’examiner sereinement les ressorts de l’articulation entre l’État et les collectivités locales.
Monsieur About, vous vous êtes notamment inquiété, à juste titre, de la part croissante des dépenses contraintes des collectivités. La rigidité des dépenses de l’État est tout aussi préoccupante. Ainsi, lorsque je demande à la direction du budget de remettre sur le métier le dossier des dépenses, elle commence toujours par me fournir des graphiques de rigidité…
Enfin, Mme Le Texier a soulevé le problème de la caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES : le projet de loi de financement de la sécurité sociale nous donnera l’occasion d’y revenir. (Mme la présidente de la commission des affaires sociales, M. le rapporteur général de la commission des finances et M. Nicolas About applaudissent.)
M. le président. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec ce débat.
10
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 27 octobre 2009 :
À neuf heures trente :
1. Questions orales.
(Le texte des questions figure en annexe).
À quatorze heures trente :
2. Déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, préalable au Conseil européen des 29 et 30 octobre 2009.
De dix-sept heures à dix-sept heures quarante-cinq :
3. Questions cribles thématiques sur l’immigration.
À dix-sept heures quarante-cinq et, éventuellement, le soir :
4. Proposition de loi relative au service civique, présentée par M. Yvon Collin et les membres du groupe du RDSE (n° 612 rect., 2008-2009).
Rapport de M. Christian Demuynck, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 36, 2009-2010).
Texte de la commission (n° 37, 2009-2010).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures quarante-cinq.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD