M. Alain Gournac. C’est le cirque Zavatta !
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Isabelle Debré, rapporteur. J’ai exposé au cours de la discussion générale les raisons qui ont conduit la commission à soutenir cette proposition de loi ; je n’y reviendrai donc pas en détail.
Toutefois, je souhaite apporter des précisions sur deux points.
Monsieur Jeannerot, vous avez évoqué la loi du 13 juillet 1906. Or, dès 1913, on recensait 25 000 dérogations. (Et alors ? sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas grand-chose !
Mme Isabelle Debré, rapporteur. Ma chère collègue, je me contente de rappeler une évolution historique, sans aucun esprit polémique !
Aujourd’hui, les dérogations sont seulement au nombre de 180.
Par ailleurs, la question du repos dominical ne relève pas, dans notre pays, du traditionnel clivage droite-gauche. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Raymonde Le Texier. Nous en sommes bien d’accord !
Un sénateur socialiste. Avec la droite dure, si !
Mme Isabelle Debré, rapporteur. Mais peut-être est-ce le cas dans cet hémicycle !
Je rappelle à cet égard la mobilisation de longue date de Jean-Pierre Blazy, maire de Gonesse, en faveur de l’ouverture dominicale. Il a même, me semble-t-il, fait classer sa ville en zone touristique – vous me direz si j’ai tort, monsieur le ministre –, afin que les magasins de sa ville puissent ouvrir le dimanche. Voici les propos qu’il tenait le 15 novembre 2008 sur ce sujet : « La ville de Gonesse et ses élus défendent le principe du repos dominical. Toutefois, dès lors que ces emplois existent et que la modification de l’ouverture des commerces en menacerait la pérennité, une solution spécifique doit être trouvée. »
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et alors ?
Mme Isabelle Debré, rapporteur. Jean-Pierre Blazy est un élu socialiste ! Ce débat n’oppose donc pas la gauche à la droite !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n’avez qu’un seul maire à citer ?
Mme Isabelle Debré, rapporteur. Aujourd’hui, certains élus locaux, de gauche comme de droite, font preuve de pragmatisme, estimant qu’une solution doit être trouvée pour ces zones. La solution que nous défendons, même si elle n’est pas parfaite, permettra de mieux protéger les salariés. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Un peu de décence !
Mme Isabelle Debré, rapporteur. Par conséquent, la commission souhaite le rejet de cette motion.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Darcos, ministre. Le Gouvernement est évidemment hostile à la motion tendant à opposer la question préalable.
Monsieur Jeannerot, vous avez eu la courtoisie de préciser que vous ne mettiez pas en cause les convictions des uns et des autres. Pour ma part, j’ai écouté vos propos avec attention.
Cette motion se présente sous la forme d’un postulat selon lequel cette proposition de loi participerait « d’un projet de société néfaste à la qualité de vie des citoyens ».
À cet égard, je formulerai trois remarques.
Premièrement, contrairement à ce que vous semblez croire, il n’y a pas un avant et un après-1906. Certes, la loi de 1906 a instauré le repos dominical, mais, comme vous le savez, ce fameux jour « sacralisé », dont vous avez parlé, a fait l’objet d’une multitude de dérogations de toutes natures. On en compte aujourd’hui plus de 180, beaucoup ayant été adoptées à la demande de gouvernements que vous souteniez. Je rappelle à cet égard l’ordonnance du 16 janvier 1982, qui a autorisé les équipes de suppléance de fin de semaine dans l’industrie, ainsi que les différentes dérogations introduites entre 1991 et 1993.
Que n’avez-vous invoqué, à cette époque, lorsque Mme Aubry elle-même vous demandait d’autoriser des dérogations au travail dominical, le droit sacré au dimanche ? Pourquoi n’avez-vous pas alors dénoncé la disparition de la culture au profit du Caddy ?
Deuxièmement, il n’y aura pas non plus, au regard de notre civilisation, un avant et un après l’adoption de cette proposition de loi ! Il y aura des dérogations nouvelles, un encadrement meilleur, une protection accrue des salariés, ainsi qu’une clarification de la situation dans des zones appelées « périmètres d’usage de consommation exceptionnel ». Vous ne verrez pas le monde entier basculer subitement !
Troisièmement, à vous entendre, monsieur Jeannerot, les partenaires sociaux n’auraient pas été entendus. Je l’ai déjà dit cet après-midi, ce n’est pas exact.
M. Dominique Braye. En effet !
M. Xavier Darcos, ministre. Le Conseil économique, social et environnemental s’est saisi de la question. À cette occasion, les représentants des associations se sont exprimés et aucun d’entre eux, je le rappelle, n’a voté contre les dispositions proposées.
M. Dominique Braye. Très bien !
M. Xavier Darcos, ministre. J’ajouterai, pour terminer, que vos propos font l’impasse sur un élément absolument essentiel, à savoir la décision politique des maires. Or la plupart d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, occupez ou avez occupé cette fonction, et vous défendez tous, dans cet hémicycle, l’intérêt des élus locaux.
J’insiste donc sur ce point : si le maire le refuse l’application dans sa commune des dispositions prévues dans cette proposition de loi, elles n’y seront pas appliquées. Faites donc davantage confiance à la démocratie, monsieur Jeannerot !
Je considère donc que les prémisses de cette motion, quels que soient les principes moraux sur lesquels elles se fondent – et je ne doute pas une seconde de la sincérité de vos intentions, monsieur Jeannerot –, ne sauraient s’appliquer ici. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote.
M. François Marc. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, la motion tendant à opposer la question préalable, dont l’adoption signifierait le rejet de l’ensemble du texte, a été défendue avec pertinence par notre collègue Claude Jeannerot.
Notre groupe juge en effet la situation relativement inquiétante, l’adoption de ce texte étant susceptible d’entraîner des désordres graves et des bouleversements sociaux dans le pays, tant il porte en germe un certain nombre d’évolutions qui pourraient se révéler catastrophiques à bien des égards.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. François Marc. Dans cette perspective, notre motion prend tout son sens.
Bien sûr, on a donné à cette proposition de loi un habillage économique. Son exposé des motifs nous l’indique, elle est censée créer un sursaut économique.
M. Jean Desessard. Logique, pour des PUCE ! (Sourires.)
M. François Marc. Cependant, les études qui ont pu être menées, notamment celle du CREDOC, révèlent qu’elle aura un impact négatif sur l’emploi.
Ainsi, chers collègues de la majorité, en vous appuyant sur un tel argument, vous ne convainquez que ceux qui sont déjà convaincus et dont la philosophie politique est en phase avec les principes qui guident ce texte.
Je souhaite d’ailleurs attirer votre attention sur l’exploitation idéologique de cette rhétorique économique, exploitation qu’on voit ici à l’œuvre depuis plusieurs années.
On nous l’a répété à l’envi depuis 2003, la logique exigerait que l’on baisse les impôts, les taxes et l’ensemble des redevances, cela étant supposé avoir une incidence extrêmement positive sur la croissance. Or, de fait, c’est le contraire qui s’est produit ! La France, qui avait un taux de croissance supérieur à la moyenne européenne, enregistre aujourd’hui, après les nombreuses baisses d’impôt décidées depuis six ans, un taux de croissance inférieur à cette même moyenne. L’impact économique de ces mesures a donc été nul, contrairement à tout ce que l’on a pu prétendre.
Pis, ces baisses d’impôt ont entraîné un déficit de 39 milliards d’euros dans le budget 2009 ! Les pertes de ressources constatées n’ont ainsi fait qu’alourdir la dette.
Autrement dit, l’habillage économique qui nous est servi à longueur de temps sur différents textes, y compris sur celui-ci, ne tient pas ! Préoccupons-nous plutôt des conséquences très graves que cette proposition de loi peut avoir sur notre organisation sociale.
Les conclusions du Conseil économique, social et environnemental n’ont apparemment pas convaincu. Pour ma part, j’aurais souhaité que vous puissiez, chers collègues, leur accorder une écoute plus attentive. Elles mettent en avant des dérèglements importants, qui remettraient notamment en cause, de façon accélérée, l’équilibre des différentes formes de commerce. Dès lors, selon le CESE, la question posée est celle du modèle de société auquel nous aspirons.
De ce point de vue, comme Claude Jeannerot l’a démontré, nos inquiétudes sont totalement fondées, dans la mesure où la banalisation du travail dominical introduite par ce texte aura des incidences sociétales néfastes. Un rapport du Conseil d’analyse économique sur le temps de travail le souligne, l’impossibilité de vivre une vie de famille normale, grâce la préservation de périodes de loisir et de repos communes à tous ses membres, provoque une désocialisation engendrant des mécanismes « dépressiogènes ».
Dès lors que le volontariat sera fictif, on imagine quelles seront les conséquences pour les familles monoparentales, souvent des femmes élevant seules leurs enfants : elles seront inévitablement confrontées à des problèmes de garde ; de nouvelles discriminations, frappant les ménages les plus modestes, verront le jour, renvoyant la cause des femmes deux décennies en arrière.
Mme Raymonde Le Texier. Tout à fait !
M. François Marc. Au-delà du cercle familial, la fin de semaine est aussi l’occasion de pratiques sportives et associatives, de relations amicales. Le travail du dimanche rendra ces pratiques difficiles, voire impossibles.
Au fond, c’est le capital social des Français qui sera ainsi entamé par pur dogmatisme idéologique, c’est un modèle de société qui sera sacrifié sur l’autel de la consommation outrancière.
Voilà pourquoi nous avons le sentiment que ce texte est porteur d’un très grave danger pour la cohésion sociale de notre pays et qu’il importe donc de le rejeter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 6, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
Je suis saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 202 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 335 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 168 |
Pour l’adoption | 151 |
Contre | 184 |
Le Sénat n'a pas adopté. (Applaudissements sur quelques travées de l’UMP.)
Demande de renvoi à la commission
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Borvo Cohen-Seat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, d'une motion n°120.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires sociales la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires (n° 562, 2008-2009).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la motion.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, en préambule, je me permettrai de rappeler une fois encore combien il me paraît aberrant de défendre les motions après la clôture de la discussion générale. J’espère que nous pourrons revoir cette pratique lors de la prochaine réforme de notre règlement.
Cette motion de renvoi à la commission des affaires sociales se justifie tout d’abord par des raisons de forme. Les conditions dans lesquelles cette proposition de loi a été étudiée ne sont pas acceptables. Elles sont bien loin de l’esprit de la réforme constitutionnelle, que vous ne cessez de présenter comme permettant de renforcer le rôle des parlementaires, particulièrement ceux de l’opposition.
En effet, comment se satisfaire de l’examen dans la précipitation, à quelques jours des vacances, d’une proposition de loi aussi importante que celle-ci ?
Pour mémoire, la proposition de loi du député Richard Mallié, dont il n’aura échappé à personne qu’elle constituait une prime à la délinquance ou une loi d’amnistie – il était en effet urgent d’amnistier ceux qui, jusqu’ici, se situaient dans l’illégalité – a été adoptée à l’Assemblée nationale le 15 juillet dernier dans l’après midi. Les sénateurs ont eu jusqu’à dix-neuf heures le même jour pour déposer des amendements devant la commission des affaires sociales. Le lendemain matin, Mme Debré présentait son rapport et, pour finir, le délai limite de dépôt des amendements en séance publique a expiré hier, à onze heures.
Je vois dans cette démarche une double volonté : tout d’abord, satisfaire au plus vite le Président de la République,…
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … qui avait fait de ce dossier une priorité et qui n’avait pas supporté le camouflet de décembre 2008. (M. Roland Courteau manifeste son approbation.) C’est sans doute pour cela que les députés UMP, qui s’étaient initialement opposés à cette proposition de loi, sont désormais rentrés dans le rang.
Je regrette, comme l’ont fait les précédents intervenants, la forme choisie pour ce texte, à savoir une proposition de loi d’inspiration présidentielle. Ce stratagème vous permet d’éviter la consultation obligatoire des organisations syndicales. Vous pouvez ainsi, dans une période peu propice aux mobilisations des salariés, imposer une contre-réforme qui a réussi l’exploit de faire se dresser contre elle, ne vous en déplaise, monsieur le ministre, la CFDT, la CFTC, la CGC, Force Ouvrière, les Solidaires, la CGT, mais également des organisations patronales comme l’Union des professions artisanales, l’UPA et la Confédération générales du patronat des petites et moyennes entreprises. Évidemment, compte tenu de la manière dont le processus parlementaire s’est déroulé, ces organisations n’ont pu être auditionnées par la commission des affaires sociales. (Mme le rapporteur le conteste.)
MM. Daniel Raoul et Jean-Pierre Sueur. C’est vrai !
M. Dominique Braye. Mensonges !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je note d’ailleurs que vous n’avez pas auditionné non plus l’association « Laissez-nous travailler », qui prétend se faire le porte-parole de la minorité de salariés favorables au travail le dimanche. Il faut dire qu’au vu des débats à l’Assemblée nationale, notamment de la négation du volontariat dans les zones touristiques et de l’absence de contreparties, son président, M. Grumberg, pourtant ardent défenseur du travail le dimanche, considère aujourd’hui que le compte n’y est pas pour les salariés.
Tout cela permet d’entrevoir un troisième motif à cette précipitation : agir vite pour éviter la contestation dans votre propre camp.
Mais, au-delà de ces considérations, qui intéressent surtout la majorité sénatoriale, je ne peux que dénoncer l’absence d’étude d’impact, pourtant si chère aux parlementaires, tout particulièrement aux sénateurs. Celle-ci aurait permis de mieux cerner les conséquences sur l’emploi de l’application de cette proposition de loi, notamment dans le commerce de proximité.
Une étude avait pourtant bien été menée avant l’élection de Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République : elle avait démontré que, pour un emploi créé dans la grande distribution, trois seraient supprimés dans le commerce de proximité. Et l’on sait par expérience que, dans la grande distribution, très grande utilisatrice de temps partiel et non moins grande pourvoyeuse de précarité, les emplois sont moins protecteurs et moins rémunérateurs que dans le commerce de proximité. Les comptes sociaux pâtiront immanquablement de cette perte en quantité et en qualité.
Ainsi, au Royaume-Uni, pays qui vous sert de modèle – alors même que les Britanniques prennent aujourd’hui conscience de certains effets négatifs du thatchérisme –, on comptait, avant l’application de la loi autorisant le travail le dimanche, 15 000 magasins de proximité non franchisés vendant des chaussures ; aujourd'hui, il n’en reste plus que 350…
Naturellement, je vous entends déjà contester ces propos, monsieur le ministre. C’est votre droit et, de toute façon, en l’absence d’étude d’impact, rien ne peut venir ni les corroborer ni les contredire !
Cette étude d’impact aurait également permis de mesurer les conséquences de l’application de cette proposition de loi sur la vie sociale et familiale, ainsi que sur l’environnement. Je ne reprendrai pas ce qui a été dit précédemment par mes collègues à ce sujet, mais chacun sait que, plus les grandes surfaces s’éloignent des centres-villes, plus les gens sont obligés de se déplacer avec leurs voitures.
En outre, je regrette que la commission des affaires économiques ne se soit pas autosaisie, comme je l’y avais invitée par courrier. Au mieux, ce refus traduit votre volonté d’aller vite, très vite, au détriment de la qualité du travail parlementaire. Au pis, il prouve que, dans vos propres rangs, certains doutent des quelques effets positifs de cette nouvelle dérégulation sur l’économie de notre pays. Pour ma part, je penche pour la deuxième hypothèse. Comme le faisait justement remarquer M. François Baroin en décembre dernier, « les gens qui consommeront le dimanche ne le feront pas un autre jour ». C’est une sans doute une lapalissade, mais précisément parce qu’il s’agit d’une vérité d’évidence !
M. Dominique Braye. C’est faux quand même !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est d’autant plus vrai que votre gouvernement n’aura pas amélioré le pouvoir d’achat de nos concitoyens, bien au contraire !
Mme Raymonde Le Texier. Absolument !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Permettez-moi de consacrer le reste de mon propos à Paris, la situation de son agglomération étant évidemment emblématique.
Le texte dont nous débattons aujourd’hui lui réserve une place à part, en prévoyant que le préfet de Paris décidera seul si la capitale doit être considérée comme une commune touristique dans sa totalité et, dans le cas contraire, déterminera quelles seront les zones touristiques. Le Conseil de Paris et le maire n’auront plus leur mot à dire. Avouez, mes chers collègues, qu’il s’agit d’une conception très particulière de la concertation si chère au Gouvernement ! En réalité, le maire et la majorité du Conseil de Paris s’étant prononcés contre ce projet à de multiples reprises, vous voulez passer outre. Mais comment justifier cette attitude par rapport à la démocratie locale et au pouvoir des autres maires ?
Si ce texte était adopté, Paris pourrait tout à la fois répondre à la définition des périmètres d’usage de consommation exceptionnel, les fameux PUCE, et remplir les critères de l’extension des zones touristiques, avec pour conséquence l’ouverture des commerces toute l’année et tous les jours, alors même qu’il existe un lien direct entre l’augmentation de l’amplitude horaire et l’extension du temps partiel imposé.
L’adoption de cette disposition signifierait que, dans un même quartier, les salariés concernés par le nouveau dispositif des PUCE recevraient des contreparties obligatoires, tandis que ceux qui travaillent dans les sept zones délimitées précédemment, et qui relèvent de l’article L. 3132-25 du code du travail, n’en disposeraient plus.
Comment assurer, dans ces conditions de concurrence entre les deux dispositifs, la pérennité des contreparties en salaire et en repos au travail du dimanche ? Peut-être nous répondrez-vous enfin, monsieur le ministre…
En tout état de cause, le vote de ce texte aurait pour conséquence immédiate la légalisation de l’ouverture de tous les établissements de vente au détail le dimanche, et plus seulement celle des commerces culturels, de loisirs et de tourisme. Force est de constater que, sur ce point, le terrain a été largement préparé. Nombre de commerces de détail effectuent déjà illégalement une ouverture dominicale, et ce jusqu’en soirée, comme le dénoncent régulièrement les syndicats, pas seulement les confédérations d’ailleurs, mais aussi les syndicats du commerce.
Outre les faibles moyens alloués à l’inspection du travail pour faire respecter le droit du travail, cet état de fait ne peut s’expliquer que par la clémence, voire la complaisance des pouvoirs publics.
Par ailleurs, à Paris, les magasins Galeries Lafayette et Printemps du boulevard Haussmann viennent d’obtenir une dérogation préfectorale pour ouvrir un sixième dimanche dans l’année, au lieu des cinq prévus dans le code du travail. En outre, il est d’ores et déjà prévu que des zones commerciales du Val-d’Oise, des Yvelines et de l’Essonne deviendront des PUCE.
On voit que les choses sont déjà bien engagées et que, bien entendu, la loi va accélérer le processus.
M. Dominique Braye. Nous attendons cela avec impatience !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mais le comble est atteint lorsqu’on sait que l’ouverture des magasins le dimanche coûte cher, comme l’ont déjà indiqué certains orateurs. Elle induit une augmentation des frais fixes d’environ 15 % et une destruction massive des emplois liés au petit commerce, remplacés, au mieux, par des postes encore plus précaires. Or il s’agit uniquement, en quelque sorte, d’effectuer un simple transfert de clientèle !
D’une telle ouverture il résultera une augmentation des prix, que les mêmes groupes tenteront de compenser en « rognant » sur la masse salariale et en détruisant des emplois. Quand on sait que les employés des caisses représentent 65 % de la masse salariale, on imagine aisément ce qui se passera ensuite !
À Paris, au cours des dix dernières années, les horaires n’ont cessé d’être allongés. Néanmoins, le commerce parisien a perdu 50 000 emplois. Vous pouvez constater, chers collègues, l’effet de cette mesure sur la création d’emplois !
Par ailleurs, je suis scandalisée par le propos selon lequel le niveau de l’emploi pourrait être amélioré grâce à la riche clientèle étrangère qui viendra plus facilement faire des achats à Paris.
La Samaritaine, ancien grand magasin devenu enseigne de luxe sous la houlette du groupe LVMH, a été purement et simplement fermée au motif que le taux de rentabilité du capital – moins de 15 % – était insuffisant, et cette fermeture a provoqué la suppression de 2 000 emplois directs ou induits. J’attends que vous me démontriez que le travail du dimanche permettra le recrutement par le groupe LVMH de 2 000 personnes sur les Champs-Élysées !
De plus, la présente proposition de loi aura de lourdes conséquences dans une région qui est déjà particulièrement concernée par le temps partiel imposé et souvent annualisé dans nombre de secteurs. Mais qui se soucie des salariés ?
Mes chers collègues, permettez-moi de vous citer les propos d’une salariée, caissière chez Monoprix : « 80 % des contrats sont à temps partiel, de 17 à 34 heures. Ceux à 34 heures permettaient à l’entreprise de bénéficier des 30 % d’abattement. Le temps partiel, c’est la porte ouverte à tous les abus, c’est les horaires les plus dégueulasses, par exemple jusqu’à vingt-deux heures. Quand j’ai commencé à travailler, le magasin fermait à dix-neuf heures quinze. Les employeurs invoquent toujours le même argument pour ouvrir plus tard : la clientèle. Cette politique a tué le petit commerce et a aggravé nos conditions de travail. Mon Monoprix n’est pas ouvert le dimanche, mais d’autres le sont. Le but du patronat du commerce est d’ouvrir tous les magasins tous les jours. Bientôt, il faudra abandonner ses enfants, divorcer et planter sa tente dans le magasin. »
M. Dominique Braye. Des propos pleins de nuances !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. « Avant la généralisation du temps partiel, il y avait deux filles par rayon ; aujourd'hui, une seule pour trois rayons. Et on embauche à 3 heures 45 par jour, pour contourner le quart d’heure de pause toutes les quatre heures. Les filles à temps partiel, elles gagnent un demi-SMIC. »
Depuis, Monoprix a lancé à Paris, sous l’enseigne Monop’, que vous connaissez peut-être, des magasins ouverts jusqu’à minuit… et le dimanche ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Eh oui !
Une étude d’impact aurait pu nous faire connaître le nombre d’emplois qui ont été créés depuis…
Les employés parisiens, des femmes dans leur grande majorité, habitent loin de Paris, car leur salaire ne leur permet pas de se loger dans la capitale.
Mme Annie David. Exactement !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Leur vie est infernale. Quand elles terminent leur travail à vingt-deux heures – je ne parle même pas de minuit ! –, elles regagnent leur domicile une heure, voire une heure trente plus tard.
Vous pouvez ainsi apprécier, chers collègues, la qualité de vie des salariés des grands groupes du commerce parisien !
M. Dominique Braye. Ce que nous n’apprécions pas, c’est votre discours !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Arrêtez donc de brailler ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Dominique Braye. Cela me rajeunit : on me faisait ce type de remarque à la maternelle !
Mme la présidente. La parole est à Mme Borvo Cohen-Seat et à elle seule !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. Braye devrait intervenir pour nous faire part des arguments très intéressants qu’il doit avoir en magasin…
M. Dominique Braye. En magasin ouvert le dimanche, bien sûr ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … et qui justifient, à ses yeux, le travail du dimanche !
Je vous propose plutôt d’oser chercher à concilier vie professionnelle et vie familiale et sociale. Il faudrait, pour cela, revenir aux règles applicables auparavant au secteur du commerce, avec des amplitudes d’ouverture de dix à onze heures, ce qui n’est pas négligeable et permet déjà à tout un chacun de faire ses courses. Cela signifie, en général, une fermeture des magasins à dix-neuf heures, ainsi qu’une fermeture dominicale.
Je vous propose également de chercher à mettre fin à ce jeu de concurrence féroce auquel se livrent la grande distribution et les enseignes du centre-ville pour remporter des parts de marché à coups de déréglementation décidée et financée par les pouvoirs publics.
Encore une fois, l’argument relatif au chiffre d’affaires est fallacieux. Tout le monde sait que les capacités de consommation ne sont pas extensibles, surtout quand les salariés gagnent de moins en moins.
De surcroît, la relance économique de notre pays repose-t-elle entièrement sur les achats des touristes fortunés dans les magasins LVMH de la capitale ?
Mme Annie David. Et le dimanche !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J’aimerais obtenir une réponse sur ce point.