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Débat européen sur le suivi des positions européennes du Sénat
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat européen sur le suivi des positions européennes du Sénat.
Mes chers collègues, je vous rappelle que ce débat sera organisé autour des deux thèmes suivants :
- la publication des données « passagers » des vols internationaux (nos 252, 402, 401 et résolution du Sénat n° 84) ;
- le congé de maternité (nos 340, 439, 440 et résolution du Sénat n° 97).
Chacun de ces sujets donnera lieu à un échange.
J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, pour chacun des deux sujets, interviendront :
- le représentant de la commission compétente, pour cinq minutes ;
- le Gouvernement, pour cinq minutes.
Une discussion spontanée et interactive…
M. Jean-Pierre Sueur. Et participative ! (Sourires.)
Mme la présidente. … de dix minutes au total sera ensuite ouverte sous la forme de questions-réponses de deux minutes maximum par intervention.
I. – Publication des données « passagers » des vols internationaux
Mme la présidente. Sur la publication des données « passagers » des vols internationaux, la parole est à M. Yves Détraigne, au nom de la commission des lois.
M. Yves Détraigne, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 30 mai dernier, le Sénat a adopté la résolution n° 84 sur la proposition de décision-cadre relative à l’utilisation de données des dossiers « passagers », dites PNR, à des fins répressives.
Cette résolution est le fruit d’une initiative de notre collègue Simon Sutour - il ne peut malheureusement être présent aujourd’hui -, au nom de la commission des affaires européennes.
Étant le premier orateur, je rappellerai que les données dites PNR, pour Passenger Name Record, sont celles qui sont recueillies par les compagnies aériennes et les agences de voyage auprès des passagers à l’occasion de la réservation d’un vol.
Le projet européen de collecte des données PNR à des fins de lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée fait naturellement écho au système mis en place par les États-Unis à la suite des attentats de 2001. La création de ce système a d’ailleurs donné lieu à d’âpres négociations entre l’Union européenne et les États-Unis pour définir les conditions dans lesquelles les compagnies opérant des vols transatlantiques pouvaient transmettre ces données.
Cette négociation et ses rebondissements ont eu un double effet.
Tout d’abord, les pouvoirs publics et les opinions ont été à cette occasion alertés sur les risques liés à une utilisation extensive de données recueillies initialement dans un but commercial. L’Union européenne s’est efforcée, avec un succès très mitigé, de faire valoir la conception européenne de la protection des données personnelles.
Dans le même temps, cette négociation a éveillé l’intérêt des services de sécurité européens pour ces données dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, voire dans la lutte contre la criminalité organisée.
Du point de vue du respect des droits fondamentaux, les risques sont, à nos yeux, de plusieurs ordres.
Les systèmes PNR peuvent être comparés à des filets dérivants, capturant de nombreuses données relatives à des citoyens ordinaires afin, d’une part, de détecter des activités terroristes ou criminelles et, d’autre part, de pouvoir « réveiller » ces données au bout de plusieurs années en cas de besoin. Cette démarche est distincte de celle des fichiers de police traditionnels, qui ont pour objet d’accumuler des données sur des personnes déjà connues des services.
Le principal reproche fait à cette collecte indifférenciée est que chaque utilisateur est considéré comme un suspect a priori : les données personnelles le concernant sont conservées au cas où elles se révéleraient intéressantes ultérieurement.
En conséquence, le principe de proportionnalité requiert de mettre en balance les sacrifices consentis au détriment du respect des droits fondamentaux et les gains pour la sécurité. Or, de ce point de vue, force est de constater que les éléments précis et chiffrés manquent. Pour des raisons compréhensibles, mais dommageables pour le débat public, les services de sécurité restent discrets sur les résultats obtenus…
En outre, par nature, il est très difficile d’isoler la plus-value qu’apportent ces données. Comme l’a précisé le directeur de la DCRI, la Direction centrale du renseignement intérieur, en matière de renseignement, il est très rare qu’une donnée soit à elle seule décisive. Les données PNR ne dérogent pas à cette règle : venant compléter une panoplie documentaire, elles fournissent une multitude de petites informations qui, agrégées à d’autres, peuvent constituer autant de signaux d’alarme.
Dans ces conditions, que penser du projet de PNR européen ?
La résolution du Sénat en prend acte, sans l’approuver ni le dénoncer.
À titre personnel, et compte tenu des auditions que j’ai menées et des premiers retours d’expérience, j’estime que ces données ne sont pas redondantes par rapport à d’autres systèmes d’information en vigueur. Elles m’apparaissent également comme une aide précieuse pour les services de sécurité.
Toutefois, une limite me semble ne pas devoir être franchie : l’extension de la collecte des données PNR à des vols nationaux ou intracommunautaires. Si tel devait être le cas, l’équilibre entre liberté et sécurité serait rompu.
Si donc la résolution du Sénat ne rejette pas le principe d’un PNR européen, elle pose plusieurs conditions nécessaires au respect du principe de proportionnalité. Compte tenu du temps qui m’est imparti, et qui sera vite atteint, je n’insisterai que sur quelques points.
Premièrement, les finalités du système doivent être précisées. La référence à des infractions graves ou à la criminalité organisée est trop floue.
La piste dégagée par les travaux du Conseil est intéressante ; il s'agit de se référer aux trente-deux catégories d’infractions permettant de recourir au mandat d’arrêt européen. Toutefois, elle ne saurait exonérer d’un examen de chacune de ces catégories afin de s’assurer de leur pertinence par rapport à l’exploitation des données PNR.
Deuxièmement, si la plupart des données PNR collectées apparaissent utiles, un point délicat demeure, celui des données sensibles, c’est-à-dire celles qui révèlent « la race ou l’origine ethnique, les convictions religieuses, les opinions politiques, l’appartenance à un syndicat, la santé ou l’orientation sexuelle ».
Ces informations ne constituent pas à proprement parler l’une des catégories de données PNR et, lorsqu’elles figurent parmi les données PNR transmises, elles se trouvent en réalité dans la rubrique « 12) Remarques générales ». Cette rubrique est un champ libre dans lequel les compagnies aériennes peuvent inscrire des informations relatives au handicap d’une personne ou à ses préférences alimentaires, par exemple.
La résolution du Sénat préconise une solution simple et claire : exclure purement et simplement cette rubrique de la liste des données PNR qui seraient transmises, ce qui présenterait plusieurs avantages.
Ainsi, la question technique du filtrage des données sensibles au sein de la rubrique « Remarques générales » ne se poserait plus. En outre, cette solution répondrait à la fois aux critiques formulées contre l’utilisation des données sensibles et aux réticences plus générales de la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, quant à l’utilisation de ces « champs libres ».
Surtout, cette exclusion permettrait d’apaiser le débat sur le PNR européen sans que les capacités opérationnelles des services de sécurité en soient pour autant véritablement affectées. En effet, les auditions des responsables de ces services ont fait apparaître que cette rubrique était en définitive la moins utile.
Troisièmement, s’agissant de la conservation des données par les services de sécurité, qui est un point important, la durée initialement envisagée de treize ans était inacceptable. Si les durées actuellement discutées sont plus raisonnables - entre six et dix ans -, elles semblent encore excessives compte tenu des besoins exprimés par les services de sécurité. Pour ces derniers, une durée de cinq ans serait suffisante, les comportements des terroristes et des filières étant très mouvants.
Pour ces raisons, la résolution du Sénat préconise de distinguer une première phase de conservation de trois ans, à laquelle succéderait une phase de préservation de trois ans des seules données ayant présenté un intérêt particulier au cours de la première phase. Le fichier des données PNR se rapprocherait ainsi, au cours de cette seconde phase, du format habituel d’un fichier de police.
La résolution du Sénat soulève bien d’autres problèmes que je ne ferai que citer : la désignation précise des destinataires des données, le renforcement des droits des personnes concernées ou l’encadrement strict des transmissions de données à des États tiers.
Pour résumer la résolution du Sénat, on peut la qualifier d’exigeante au nom du respect de la vie privée et de la liberté d’aller et venir.
Nous n’ignorons pas que les négociations européennes ont déjà permis de faire évoluer le projet dans le bon sens sur plusieurs points. Il reste néanmoins en retrait par rapport à la position de la Haute Assemblée.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous préciser le stade d’avancement des négociations ainsi que la position du Gouvernement par rapport à la résolution dans son ensemble mais aussi par rapport aux points particuliers que j’ai soulevés, à savoir les données sensibles, la durée de conservation et l’exclusion des vols intracommunautaires ? (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Bonnes questions !
Mme la présidente. Je vous remercie, monsieur Détraigne, d’avoir fait l’impossible pour tenir un temps de parole il est vrai bien restreint.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Non, c’est la bonne durée !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, comme vient de le rappeler excellemment M. Détraigne, la lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale appelle une mobilisation de chaque instant face à des organisations ou à des réseaux qui savent exploiter tous nos points faibles.
L’utilisation des informations commerciales contenues dans les bases de données des compagnies aériennes, dites PNR, c'est-à-dire, dans une traduction française que je préfère à la version anglaise, enregistrement des données « passagers », s’est progressivement imposée comme une réponse efficace à des fins de prévention et de répression de ces phénomènes.
À la demande des États-Unis, l’Union européenne a négocié un accord permettant aux transporteurs aériens de transférer les données PNR aux autorités américaines pour les vols transatlantiques. Un cadre juridique a également été mis en place avec le Canada et l’Australie, et il faut s’attendre à des demandes similaires d’autres pays tiers à l’avenir.
Certains États membres de l’Union européenne, à l’instar de la Grande-Bretagne, ont également commencé à développer leur propre système PNR. En France, comme vous le savez, la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers a ouvert cette possibilité.
À titre d’exemple, il faut savoir que les douanes françaises, dans le cadre des pouvoirs dont elles disposent, réalisent d’ores et déjà plus de 60 % des saisies annuelles de stupéfiants dans les aéroports de Roissy et d’Orly en exploitant les données PNR. Le chiffre parle de lui-même.
La Commission européenne a présenté, en novembre 2007, une proposition de décision-cadre afin de permettre à l’Union européenne de mettre en place un système cohérent à l’échelle de son territoire.
Cette initiative était la bienvenue pour trois raisons.
Tout d’abord, il est paradoxal que l’Union européenne accepte de transmettre à un nombre croissant de pays tiers des données PNR sans prévoir pour elle-même la possibilité de les exploiter.
Ensuite, la lutte contre le terrorisme et la criminalité transnationale appelle des réponses européennes harmonisées, d’autant que, dans un marché intérieur des transports unifié, il est logique de soumettre les entreprises concernées aux mêmes obligations.
Enfin, il appartient à l’Union européenne, compte tenu de ses valeurs, de développer un modèle de PNR reposant sur la double volonté de protéger les citoyens face à des menaces qu’il n’est pas possible d’ignorer et de garantir le respect des droits fondamentaux des personnes, à commencer par leur droit à la vie privée.
Comme vous l’avez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, le principal enjeu de la négociation sur la proposition de la Commission européenne consiste à parvenir à un équilibre entre efficacité dans la lutte contre le terrorisme et la criminalité et protection des données à caractère personnel.
Je peux vous confirmer que c’est bien sous cet angle que ce dossier a été appréhendé, en particulier lorsque la France exerçait la présidence du Conseil de l’Union européenne.
Après une première lecture de la proposition de la Commission, sous présidence slovène, la France a estimé qu’il n’était pas possible de poursuivre la négociation au Conseil selon la méthode habituelle.
En juillet dernier, Michèle Alliot-Marie, alors ministre de l’intérieur, a donc proposé à ses collègues, au sein du conseil « Justice et affaires intérieures », de laisser provisoirement de côté le texte de la Commission et de privilégier un débat de fond sur plusieurs éléments clés afin de dégager des orientations politiques qui permettraient d’aborder la suite de la procédure législative sur des bases plus solides. Elle a également tenu, à juste titre, à associer à ce débat les principales parties prenantes : les organisations de transporteurs aériens, les autorités répressives des États membres, mais aussi le Contrôleur européen de la protection des données et le Parlement européen.
Pour la première fois, et c’est intéressant, l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne a été formellement consultée par la présidence du Conseil dans le cadre d’une procédure législative et elle a rendu un avis qui a été dûment pris en compte dans les travaux.
Cette méthode, dont le caractère inédit répond à la volonté d’équilibre que je viens de rappeler, a produit des résultats qui rejoignent pour une large part les préoccupations exprimées dans la résolution adoptée par la Haute Assemblée. À cette occasion, je tiens à saluer la qualité du travail de M. Yves Détraigne, à qui je rends hommage.
Le Sénat souhaite une définition précise des finalités d’un PNR européen. Un tel système devrait en effet avoir pour objet la prévention et la détection des infractions terroristes et des formes graves de criminalité ainsi que les enquêtes et les poursuites en la matière, les crimes graves étant définis par référence au mandat d’arrêt européen.
Le Sénat plaide en faveur de la transmission des données selon la méthode « PUSH ». Celle-ci est en effet considérée comme la plus susceptible d’offrir les meilleures garanties en matière de protection des données à caractère personnel.
Afin de permettre aux transporteurs aériens de s’adapter à cette exigence, une période transitoire est envisagée, qui pourrait être de trois ans, conformément au dispositif retenu dans des accords antérieurs avec les pays tiers. Toutefois, au terme de ce délai, il appartiendra bien aux transporteurs aériens de transmettre les données vers la base de l’autorité publique, qui n’aura donc plus la possibilité d’aller elle-même les chercher auprès du transporteur.
Comme vous le savez, le système devrait reposer sur des « unités de renseignements passagers » qui seront créées pour recevoir et traiter les données PNR.
Les travaux que nous avons menés sous présidence française ont permis de constater un consensus sur un certain nombre de garanties qui permettront d’assurer un niveau optimal de protection des données.
Ainsi, ces unités devront avoir le caractère d’autorité publique. L’intervention d’intermédiaires, contrairement à ce qui était envisagé initialement par la Commission, devrait être exclue.
Chaque État membre adoptera une liste des autorités compétentes habilitées à demander et à recevoir de ces « unités de renseignements passagers » des données ou des analyses à partir du traitement des données PNR, en respectant certains critères.
Conformément au vœu de la Haute Assemblée, les personnes ayant accès aux données seront soumises à des règles de confidentialité et à des dispositions en matière de protection des données.
L’accès aux installations devra être contrôlé, tout comme l’accès aux données.
La France ne verrait que des avantages à ce que la violation éventuelle de ces règles par les personnels concernés soit dûment sanctionnée et qu’une disposition oblige les États membres à mettre en place de telles sanctions.
Plus généralement, s’agissant du contrôle de l’ensemble du dispositif, il est envisagé d’obliger chaque État membre à prévoir qu’une ou plusieurs autorités publiques seront chargées de contrôler l’application sur son territoire du texte européen tel qu’il aura été transposé dans le droit national. Ces autorités devront exercer leur mission en toute indépendance et disposer de pouvoirs d’investigation et d’intervention, notamment celui de saisir l’autorité judiciaire.
Le traitement des données sensibles, en particulier s’agissant des indications sur le régime alimentaire des passagers, continue à faire l’objet de débats. En tout état de cause, il est clairement acquis que l’évaluation du risque ne pourra en aucun cas reposer sur des critères liés à la race ou à l’origine ethnique d’une personne, pas plus que sur ses convictions religieuses ou philosophiques, ses opinions politiques, son appartenance à un syndicat, son état de santé ou son orientation sexuelle.
Cela étant, si le Conseil s’orientait vers une exclusion totale de l’exploitation des données sensibles, l’obligation d’effacement pourrait difficilement être mise à la charge des transporteurs aériens. Je ne peux que me réjouir, en ce qui me concerne, qu’un accord se soit clairement dégagé pour ne pas alourdir les contraintes qui pèsent sur le secteur aérien, soumis aux aléas de l’économie mondiale et actuellement en difficulté.
Si, au contraire, le Conseil estimait que l’utilisation de ces données, en particulier dans le contexte d’une enquête criminelle, pouvait se révéler utile, cette exploitation devrait être strictement encadrée.
Le Gouvernement est d’accord avec le Sénat pour considérer comme très importante la question de la durée de conservation des données. D’ores et déjà, le Conseil s’oriente nettement vers une révision à la baisse de la durée de treize ans qui figurait dans la proposition initiale.
À ce stade, une durée de conservation de trois ans, assortie d’une période supplémentaire d’archivage allant de trois à sept ans, est envisagée. La France pourrait parfaitement se satisfaire d’une période totale ne dépassant pas six ans.
Enfin, comme le suggère la Haute Assemblée, le régime applicable en matière de protection des données, avec toutes les garanties appropriées pour les personnes, doit être clarifié.
Nous étions parvenus, sous la présidence française de l’Union européenne, à l’idée d’appliquer à la transmission des données PNR par les compagnies aériennes un régime équivalent à celui qui est prévu par la directive n° 95/46/CE du 24 octobre 1995 et, en aval, de garantir un niveau de protection correspondant au moins à celui qui résulte des standards du Conseil de l’Europe.
En ce qui concerne la transmission des données à des pays tiers, plusieurs autres conditions devront être réunies, notamment celle qui est relative au niveau adéquat du système de protection des pays concernés.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les grandes options qui se sont dégagées à l’issue d’un travail de fond accompli au second semestre 2008. Elles reposent sur une large consultation. La présidence tchèque a commencé à en tirer les conséquences et a repris l’examen du texte pour le modifier dans le sens voulu par le Conseil. La présidence suédoise prendra naturellement le relais.
La perspective de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne est susceptible de modifier le cours des événements. Si ce nouveau cadre institutionnel s’applique à la fin de l’année, comme le souhaite le Président de la République, les progrès réalisés serviront de base à l’adoption d’un texte législatif en codécision.
L’association du Parlement européen à la suite des travaux constituera une garantie supplémentaire dans la recherche de l’équilibre qu’il est fondamental de préserver entre la volonté de mieux protéger nos citoyens et l’exigence de respecter pleinement leurs libertés individuelles. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant procéder à la discussion interactive et spontanée.
Chaque sénateur peut intervenir pour deux minutes maximum.
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si mon groupe partage les réserves formulées par le Sénat dans la résolution qu’il a adoptée, nous continuons de nous interroger sur l’opportunité même de l’adoption d’un tel dispositif au regard de la forte contestation qu’il a suscitée aussi bien parmi les spécialistes de la protection des données qu’au Parlement européen.
En effet, nous constatons que les objectifs de la lutte contre le terrorisme, qui ont pris une dimension quasi sacrée depuis les attentats du 11 septembre 2001, poussent les États à légiférer sans que les bases juridiques soient clairement établies et que la protection des données relatives aux citoyens soit préservée.
Nous ne pouvons que constater, à cet égard, que, dans de nombreux pays, la lutte contre le terrorisme s’est accompagnée d’atteintes caractérisées aux droits fondamentaux des citoyens, notamment aux États-Unis, et ce sans que nous puissions pour autant mesurer l’efficacité des dispositifs mis en place.
À ce titre, je vous rappelle que le Parlement européen, dans une résolution du 20 novembre 2008, s’interrogeait sur la « valeur ajoutée » de la formule proposée.
Je souhaite également vous rappeler que la Cour de justice des Communautés européennes a sanctionné, en 2006, un accord conclu entre l’Union européenne et les États-Unis qui préfigurait cette décision-cadre, au motif que ses bases juridiques étaient erronées et que la Commission ne pouvait avoir compétence en matière pénale.
Dans ces conditions, j’estime que la décision doit faire l’objet d’une profonde révision et qu’une étude aurait dû être engagée par la Commission sur les bénéfices réels d’un tel fichier dans les États qui appliquent déjà le système PNR.
Je crois également que l’ambiguïté entretenue par nos institutions entre la lutte contre l’immigration illégale et la lutte contre le terrorisme n’est pas saine.
Construire une Europe des libertés, de la sécurité et de la justice, ce qui est l’objectif du programme de Stockholm, exige, certes, une meilleure coopération entre les États membres, mais sur des bases juridiques claires et respectueuses des droits des individus.
Une telle orientation ne peut donc en aucun cas se traduire par des atteintes caractérisées à la Convention européenne des droits de l’homme, convention à laquelle l’Union a par ailleurs l’intention d’adhérer.
Je sollicite donc le Gouvernement pour qu’il prenne l’initiative, au niveau du Conseil, de geler les négociations autour de cette décision-cadre tant qu’une étude d’opportunité sérieuse n’aura pas été réalisée et que toutes les craintes sur le respect des droits fondamentaux n’auront pas été levées.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Le sujet est particulièrement important et M. Simon Sutour, auteur de la proposition de résolution, est désolé de ne pouvoir être présent pour en débattre avec nous. Il m’a donc demandé de m’exprimer sur le sujet, ce que je fais très volontiers.
Notre groupe aborde cette question avec le souci de la responsabilité, mot clé en la matière. En effet, sachant l’horreur des attentats et leurs conséquences atroces sur les victimes, qui pourrait ne pas souscrire à la nécessité de prendre des mesures pour lutter efficacement contre le terrorisme et contre la criminalité organisée ?
C’est cette première considération qui a guidé Simon Sutour dans la rédaction du projet de résolution.
Mais nous avons aussi le souci du respect de la vie privée et des libertés, comme vient de le dire mon collègue Guy Fischer.
L’objet même de la proposition de résolution présentée par Simon Sutour était donc de prendre en compte ces deux dimensions, d’une part, la responsabilité, d’autre part, le respect des droits fondamentaux et des libertés de chacun. À cet égard, il est important que la future présidence suédoise ait d’ores et déjà indiqué son souhait d’avancer sur ces deux plans.
Le texte qui a été élaboré par la commission enrichit la proposition initiale d’une manière que nous considérons comme particulièrement opportune. À cet égard, je remercie M. Détraigne de la grande qualité de son rapport.
Dans le temps très court qui nous est imparti malgré l’importance du sujet abordé, je vous poserai, monsieur le secrétaire d’État, quelques questions précises.
D’abord, dans l’un des alinéas de la résolution adoptée par la commission des lois, il est écrit explicitement que « seuls des agents individuellement désignés et dûment habilités devraient pouvoir accéder aux données PNR », à quoi vous avez répondu, monsieur le secrétaire d’État, que les règles de confidentialité devraient être respectées. Mais ce n’est pas la même chose !
Pouvez-vous nous garantir que la France défendra la position selon laquelle « seuls des agents individuellement désignés et dûment habilités » pourront accéder à ces données ?
Ensuite, vous avez indiqué, après l’auteur du rapport, qu’il ne saurait être question pour nous d’enregistrer au titre du programme PNR les données relatives à la race et à l’origine ethnique, aux convictions religieuses, aux opinions politiques, à l’appartenance à un syndicat, à la santé ou à l’orientation sexuelle. Ma deuxième question est donc la suivante : la France sera-t-elle clairement opposée à la prise en compte de la rubrique « 12) Remarques générales » ?
Enfin, puisque vous avez répondu sur le problème de la durée de conservation des données et que votre position rejoint celle de la commission des lois, je n’y reviendrai pas, mais je vous poserai une troisième et dernière question, particulièrement importante pour les parlementaires que nous sommes.
Vous avez vu que le Sénat, par cette résolution, « considère que la transposition de la proposition de décision-cadre devra être réalisée par la loi compte tenu des enjeux pour assurer un respect effectif des droits fondamentaux. » Le Gouvernement prend-il l’engagement de se présenter devant le Parlement pour la transposition expresse de cette décision-cadre ?