Mme Annie David. Ça se saurait !
M. Gérard Le Cam. Que nenni, monsieur le ministre ! Le bon sens et la pression des campagnes en feu le conduisent simplement à infléchir les règles intangibles du libéralisme.
La contractualisation permet de fixer des prix planchers dans le cadre actuel de la loi de modernisation de l’économie, mais cela ne suffira pas, monsieur le ministre. Il faut réviser cette loi en faveur des producteurs, assurer la pérennité des transformateurs et encadrer rigoureusement la grande distribution, qui assure plus de 75 % de la mise en marché.
Ne nous refaites pas le coup du coefficient multiplicateur pour les fruits et légumes voté au Sénat puis rendu inapplicable par de multiples mesures via les décrets et autres dispositions gouvernementales !
Ne laissez pas la grande distribution répercuter ailleurs ou autrement les pertes de marge qu’elle pourrait subir, comme elle l’a fait à chaque nouvelle loi économique.
Dans l’attente de légiférer efficacement, il est urgent de tenir une nouvelle table ronde pour le second semestre 2009, afin d’assurer la poursuite de l’activité de l’ensemble des exploitations laitières et des transformateurs.
À ce propos, la situation difficile d’Entremont Alliance dans l’Ouest laisse présager les pires scénarii si le Gouvernement n’agit pas en accordant prioritairement son aide aux producteurs dont le lait est payé en fonction des débouchés beurre-poudre, en mettant en place une caisse de péréquation nationale et un outil de gestion collective des volumes excédentaires.
Demain, dans l’Ouest, nous craignons de voir des producteurs abandonnés par leurs laiteries parce qu’ils sont trop petits ou trop éloignés.
Demain, nous craignons que les outils de transformation ne soient rachetés par la grande distribution, ce qui accentuerait encore la dépendance des producteurs, lesquels sont déjà bien affaiblis.
Monsieur le ministre, vous êtes confrontés à des responsabilités importantes pour l’agriculture et le commerce. Votre mission sera déterminante si nous voulons conserver une agriculture française et européenne face à la mondialisation des échanges et aux critères ultralibéraux qui la guide. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet. (M. Charles Revet applaudit.)
M. Jean Bizet. Monsieur le ministre, comme beaucoup de mes collègues présents aujourd’hui, je vis au quotidien la crise du secteur laitier. Je vois la colère et les attentes des éleveurs.
Cependant, en dépit de la résonance locale de cette crise, il me semble qu’il nous faut aussi raisonner au niveau européen, car la crise est précisément européenne.
C’est d’ailleurs la mission que m’a confiée récemment la commission des affaires européennes du Sénat, et ce tour d’Europe me semble instructif pour comprendre nos similitudes et nos différences.
Dans les débats actuels et, surtout, à venir autour de la PAC, il faut s’inscrire dans une stratégie d’alliance et commencer par écouter les autres.
Votre nomination à ce poste, monsieur le ministre, est une preuve parfaite de ces ponts entre l’agriculture et les affaires européennes.
Le rapport d’information sort aujourd’hui et mes collègues comme vous-même, monsieur le ministre, pourrez en prendre connaissance si vous le souhaitez. Ce tour d’Europe que j’ai mené par internet me conduit à formuler quelques observations.
D’abord, tous les États acceptent les nouvelles règles du jeu du marché. Même si la révolution du secteur n’a qu’à peine dix ans, le régime de prix indicatifs est totalement oublié, enterré. Il n’y a plus que le marché et son produit, inconnu du consommateur, mais essentiel pour l’industriel, à savoir la poudre de lait, qui détermine aujourd’hui une sorte de prix directeur.
Tous les États sont également très attachés à la liberté contractuelle entre les producteurs et les acheteurs. D’ailleurs, dans plusieurs pays, les acheteurs sont des coopératives, codétenues par les éleveurs, ce qui facilite ces ponts. Le poids de l’industrie de transformation dans les achats de lait est une spécificité française.
Tous les États ont connu des variations de prix considérables. Je dis « variation » et non pas « baisse », car l’année 2007-2008 avait été marquée par une flambée des prix. La période 2008-2009 est frappée par une baisse aussi brutale.
Inutile de passer en revue les situations particulières des États, je retiendrai seulement le cas des nouveaux États membres dont la situation est très préoccupante. Ils ont moins profité de la hausse et ont plus souffert de la baisse que les autres États de l’Union européenne. Cela crée une sorte d’amertume sinon de rancœur dont il faut être conscient. Votre expérience européenne, monsieur le ministre, permet de bien mesurer ces écarts et cette sensibilité.
Quelles leçons pouvons-nous tirer pour la crise française ? Il y a deux problèmes à régler : les revenus des éleveurs et les variations de prix.
Je commencerai par évacuer une piste chère aux éleveurs français et pourtant bien mal engagée, je veux bien sûr parler des quotas laitiers.
La crise a-t-elle changé la position de nos partenaires sur ce sujet ? La réponse est clairement non. À aucun moment, les États n’ont changé d’avis, et ce pour deux raisons très simples.
D’abord, tous les analystes considèrent que la crise actuelle est liée à l’insuffisance de la demande et non à un excès de l’offre.
L’augmentation des quotas ne change rien. La preuve en est que beaucoup de pays n’ont pas atteint leurs quotas. Ils pouvaient produire plus et ils ne l’ont pas fait. En ce qui concerne la France, je me permets de vous rappeler qu’elle est en sous-réalisation pour cette année, de près de 1 milliard de litres de lait, preuve que la crise est liée à la demande et non à l’offre.
La production s’est adaptée, parfois avec lenteur ou avec retard, mais l’ajustement s’opère. On annonce déjà que la collecte de lait à l’automne sera l’une des plus faibles des dix dernières années.
Ensuite, plusieurs pays ont intérêt à l’augmentation des quotas, soit tout simplement pour valoriser leur potentiel qui semble entravé par ce qu’ils considèrent comme un carcan réglementaire, soit pour éviter une baisse brutale des prix avant l’abandon des quotas, considéré comme acquis.
Sur ce sujet, nous avions un allié de poids : l’Allemagne, pays que vous connaissez bien, monsieur le ministre. Mais il faut se rendre à l’évidence, c’était plutôt un allié de circonstance, que j’analyse dans mon rapport. L’Allemagne accepte la fin des quotas. L’abandon des quotas a été décidé en 2005 et programmé en 2008. D’ailleurs, il n’est pas dans l’habitude allemande de remettre en cause les décisions collectives du Conseil européen. La France me paraît plutôt isolée sur ce point. Même notre plus grand allié sur la PAC, l’Irlande, ne nous suit pas au sujet des quotas.
Dans la stratégie d’alliances que j’appelle de mes vœux, il nous faut choisir d’autres combats.
Face à la volatilité des prix, je crois notamment à la nécessité de maintenir une politique publique assise sur des instruments de régulation.
Certes, quelques pays éprouvent des réticences, mais l’instabilité a été excessive et il me semble qu’il est possible de dégager une majorité sur ce concept de régulation à condition que l’on veuille bien lui apporter quelques ajustements.
À Bruxelles, l’intervention est toujours actionnée à contrecœur, car elle évoque encore les « montagnes de beurre » dont on nous renvoie sans cesse l’image. Cette situation est révolue. Le concept doit donc être renouvelé. L’intervention doit être moins conçue comme un moyen de réduire des excédents que comme un moyen de lisser les évolutions de prix.
Les variations sont considérables. Le stockage régulateur est un moyen simple, facile à mettre en œuvre et à gérer, qui correspond parfaitement à cette situation – je profite de l’occasion pour le souligner, car il a souvent été caricaturé.
Le bilan de santé de la PAC n’a pas supprimé, tant s’en faut, les outils de régulation, que ce soient l’intervention ou même les restitutions. Aujourd’hui, celles-ci ne sont plus « OMC-compatibles », on le sait. Cependant, si l’intervention n’a pas eu la pertinence et la signature politique espérées, c’est, à mon avis, tout simplement parce qu’elle reste sous-dimensionnée.
Les droits à paiement unique, les DPU, pourraient aussi être modifiés. Ils sont indispensables pour assurer des revenus aux éleveurs en temps de crise, ne serait-ce que pour respecter les objectifs du traité de Rome ; le restent-ils lorsque les prix flambent ? Il faudra, sur ce point, mener une réflexion : peut-être pourrait-on imaginer des DPU modulables, variables en fonction des crises, notamment des crises laitières ?
Je crois enfin que la politique agricole commune doit être mieux évaluée. Toutes les politiques européennes sont évaluées, toutes sauf une : la PAC. L’élevage, en particulier, ne peut être évalué selon les seuls critères de prix et de coût. D’autres critères doivent être pris en compte, par exemple celui de la biodiversité.
Les politiques publiques peuvent concerner tous les États membres, mais cela ne doit pas nous exonérer d’une réflexion sur notre propre organisation.
La contractualisation est une piste certes semée d’embûches et de pièges – je les évoque dans mon rapport –, mais sans doute utile et nécessaire, voire, peut-être faut-il aujourd’hui y insister, incontournable, à condition qu’elle soit pertinemment encadrée.
Les éleveurs ont besoin de visibilité. Cette visibilité était, au moins en partie, assurée par les quotas, qui, bien que décidés par la puissance publique, étaient vécus comme une manière de contrat moral. Leur fin étant annoncée, il faut trouver d’autres formes de régulation et passer de cette sorte de contrat moral public à des contrats privés professionnels et régionaux, des contrats qui, éventuellement, associeraient la distribution au cœur de la bataille des prix, qu’elle le veuille ou non. J’apporte quelques précisions utiles pour éviter d’être trop manichéen, en faisant la distinction, par exemple, entre lait et produits laitiers. Aujourd’hui, trop de non-dits subsistent, qui laissent une détestable impression. Quelques correctifs à la loi LME, la loi de modernisation de l’économie, pourraient s’avérer utiles.
J’évoque aussi quelques pistes nationales. Ainsi, quels sont les moyens, acceptables sur le plan communautaire, dont dispose le ministère pour accompagner la restructuration des élevages, pour développer des formules de commercialisation nouvelles, pour favoriser le concept de proximité ? Cela est appliqué avec succès ici ou là dans quelques régions françaises.
En conclusion, je crois pouvoir affirmer que, si la crise est générale, les réactions sont diverses. Pour beaucoup de pays, la crise est un mauvais moment, en attendant le rebond, une forme de passage qui permet de faire émerger les plus compétitifs. Dans d’autres pays, la colère est vive. Mais un point fait l’unité : la profession ne peut vivre dans un chaos permanent. Les éleveurs ont besoin de visibilité et d’être remis en confiance.
Chacun doit jouer son rôle, en France et en Europe, et le Gouvernement doit assurer le sien. Nous avons confiance en vous, monsieur le ministre, et nous attendons des résultats. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Tout d’abord, monsieur le ministre, vous me permettrez de vous souhaiter la bienvenue dans notre assemblée. Vous êtes précédé de la flatteuse réputation d’être une personne rompue aux questions européennes : cela vous sera certainement utile dans vos nouvelles fonctions.
M. Jean Bizet. C’est vrai !
M. François Fortassin. Je souhaite évoquer la dramatique crise laitière qui affecte notre pays.
M. Charles Revet. Elle est effectivement dramatique !
M. François Fortassin. Les campagnes sont en ébullition, et la colère est très grande. Notre rôle de parlementaires est de traduire cette colère ; car la situation est inacceptable, scandaleuse, par bien des points amorale, et suicidaire.
Près de 100 000 exploitations agricoles sont aujourd’hui touchées, ainsi que plusieurs centaines de milliers d’emplois, directs ou indirects.
Cela est totalement inacceptable et scandaleux : les producteurs ne peuvent pas être en permanence la variable d’ajustement !
C’est amoral : comment peut-on accepter que, au même moment où les agriculteurs, les producteurs de lait, n’arrivent pas à vivre de leur travail, 80 % des quatre cents plus grosses fortunes françaises se trouvent dans la grande distribution ? Ces fortunes ont été réalisées non pas sur plusieurs générations, comme ce fut le cas des grandes industries au XIXe siècle et au début du XXe siècle, mais simplement en quelques années !
Il est scandaleux et amoral que les producteurs et les industriels soient contraints de fournir des marchandises qu’on ne leur paie pas : on achète, par exemple, 500 000 pots de yaourt, mais on demande d’en livrer 550 000. Un grand hebdomadaire parlait de « racket » ; pour ma part, je considère que c’est du « gangstérisme légal », il ne faut pas avoir peur des mots.
Il faut créer dans notre pays une véritable solidarité de la filière. Celle-ci est constituée des producteurs, des transformateurs et de la distribution. « Le soleil brille pour tout le monde », rappelle le vieil adage. Alors, que chacun puisse vivre décemment de son travail ! Nous attendons, monsieur le ministre, que vous agissiez dans ce domaine. Sinon, on en arrivera à une situation suicidaire.
L’élevage laitier a des contraintes importantes – mes collègues les ont exposées –, en particulier la traite deux fois par jour. Un élevage laitier demande au moins dix ou douze ans avant d’être constitué valablement. Les investissements sont très lourds. Il faut être conscient que, lorsque ces éleveurs laitiers auront abandonné, on ne reviendra pas en arrière : ils ne reprendront pas cette activité. Il est donc de notre responsabilité, de la vôtre aussi, monsieur le ministre, de faire savoir que, si nous ne prenons pas des mesures extrêmement draconiennes, une pénurie de lait pourra s’installer en quatre ou cinq ans.
M. Jean Bizet. Très bien !
M. François Fortassin. C’est vrai, le problème est européen. Mais il est aussi français ! La loi LME est totalement bafouée. (M. Jean Bizet opine.)
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques. Ce n’est pas la loi LME qui est responsable !
M. François Fortassin. Il faut la faire respecter, il faut créer les conditions d’une véritable solidarité de l’ensemble des acteurs de la production. Aujourd’hui, les producteurs ont le sentiment d’être abandonnés en rase campagne, tandis que pour les autres partenaires de la filière, c’est le sauve-qui-peut, chacun rejetant la faute sur l’autre, ou sur l’Europe. Une telle attitude est inacceptable. Nous attendons, monsieur le ministre, que la politique reprenne ses droits d’une façon forte.
J’approuve la déclaration de M. le Président de la République, que nous avons attentivement écouté lundi : « L’économie doit être au service de l’homme et non le contraire. » La crise laitière nous fournit la possibilité de mettre en pratique cette déclaration forte. Quelles que soient nos sensibilités, nous ne pouvons que la partager.
Monsieur le ministre, je n’évoquerai pas l’action que vous pourrez mener sur le plan européen, ni les causes des fluctuations du prix du lait, qui, très élevé en 2007-2008, s’est effondré en 2009 – mes collègues les ont déjà évoquées. Mais je vous demande, monsieur le ministre, de tout faire pour créer les conditions de cette solidarité, et d’imposer le double étiquetage, qui ne doit d’ailleurs pas porter seulement sur les produits laitiers : vous êtes ministre de l’alimentation ! Cet élément me paraît être d’une importance capitale. On peut exiger la transparence et, sur ce point, demander l’aide des consommateurs, de façon que certaines pratiques qui ne devraient pas avoir cours cessent le plus rapidement possible. (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l’UMP, ainsi que sur les travées du groupe socialiste. – M. Gérard Le Cam applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Botrel.
M. Yannick Botrel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs semaines désormais, l’économie agricole, à travers la production laitière, fait débat dans notre pays. La situation des producteurs nous interpelle par les conséquences, qui se dessinent de plus en plus nettement, de l’effondrement du prix du lait qui leur est payé. Le constat des causes peut être dressé aisément et souffre d’ailleurs assez peu de controverses.
À quoi tiennent ces causes ? à quelles orientations stratégiques ? à quelles décisions politiques ? Elles tiennent à la volonté clairement affichée, et mise en application, de considérer cette activité économique comme identique aux autres, c’est-à-dire de la soumettre aux règles et à la loi sans limite du marché libéral…
C’est faire abstraction d’une réalité : la production laitière, par nature, est liée à des cycles de production longs, comme les investissements qu’elle nécessite. Elle ne peut donc s’adapter instantanément à une conjoncture économique variable ou volatile, et ce d’autant moins qu’elle ne maîtrise que partiellement ses coûts de production. Que ce soient le coût des mises aux normes ou le prix des matières premières ou de l’énergie, nombre de charges ne sont pas compressibles.
La production laitière est par ailleurs un facteur déterminant de la vie économique et de l’activité de bien des régions. Elle constitue par là un élément déterminant de l’aménagement des territoires, raison supplémentaire pour qu’elle soit organisée et régulée.
Or, les décisions arrêtées depuis plusieurs années en Europe, au terme de négociations entre les gouvernements, vont dans un sens absolument opposé : réduction des outils de régulation, abandon programmé des quotas laitiers montrent bien quelles orientations ont été choisies… À cet égard, se référer au marché mondial pour la détermination des prix, alors que celui-ci ne concerne que 5 % de la production globale des produits laitiers, est une aberration. C’est pourtant aujourd’hui la référence prise en compte, celle qui permet de tirer les prix vers le bas.
Peut-on dès lors attendre du marché qu’il se corrige de lui-même, par sa propre vertu ? On peut légitimement en douter. Sans la volonté du politique de remettre l’action publique au cœur du débat, des orientations et des décisions nécessaires, il est peu probable qu’une solution durable puisse émerger.
La situation actuelle exige donc le retour d’un projet, d’une vision européenne de l’agriculture, de l’implication forte de la France dans la recherche de solutions collectives.
Comme cela a été rappelé à propos d’une autre crise, l’Europe doit retrouver sa fonction protectrice. C’est là le premier objectif. Il faut donner à l’échelle de l’Europe un coup d’arrêt aux orientations appliquées par la Commission et Mme Fischer Boel.
Le démantèlement des quotas laitiers, qui ont depuis de nombreuses années démontré leur utilité et leur justification, doit être stoppé. Il faut même leur rendre toute leur portée à court terme en tant qu’instrument indispensable de la maîtrise de la production, et à moyen terme en tant que condition de la survie financière d’une majorité de producteurs.
Nous le savons bien, la chute des prix n’est pas proportionnelle à l’ampleur de la surproduction, elle est même disproportionnée par rapport à celle-ci dès lors que l’équilibre de la production et du marché est rompu. L’Europe doit donc s’engager dans une gestion des volumes, il est urgent de les réduire et de les compenser dans un contexte de surproduction.
Quant à la France, en ayant adopté la loi LME, elle ajoute à cette situation déjà difficile une incroyable asymétrie dans le rapport entre la production et la distribution, au détriment de la première, bien entendu, ce qui est même dénoncé, parfois, par des parlementaires de la majorité.
Enfin, au plus près de nous, les producteurs sont d’ores et déjà dans une situation préoccupante. Les études produites en Bretagne par les centres d’économie rurale montrent que l’équilibre de gestion moyen des exploitations se situe aux alentours d’un prix de 305 euros pour 1000 litres de lait payés aux agriculteurs. Or, aujourd’hui nous en sommes loin, très loin même dans certaines laiteries.
Interrogez à ce sujet les producteurs livrant à l’entreprise Entremont Alliance, citée par notre collègue Gérard Le Cam tout à l’heure, quatrième entreprise française du secteur avec 2,3 milliards de litres collectés et qui compte 6000 livreurs en Bretagne.
Avec un prix payé actuellement de 205 euros pour 1000 litres, leur situation est intenable. À ce compte, la crise va éliminer d’abord les plus fragiles, c’est-à-dire bien souvent les investisseurs récents, autrement dit les plus jeunes. Lorsqu’on sait qu’aujourd’hui près de la moitié des 4 300 producteurs des Côtes-d’Armor, troisième département pour la production laitière, ont plus de cinquante ans, on mesure mieux de quelle hypothèque on gage l’avenir.
Il est donc urgent qu’après avoir tergiversé le Gouvernement se saisisse enfin de la situation. Il est à craindre sinon qu’à très court terme nombre de producteurs ne soient acculés à la cessation d’activité dans les pires conditions et, par conséquence, que l’économie agricole dans toutes ses composantes ne soit touchée. Il est vital d’intervenir dès maintenant comme il l’est aussi de réfléchir à l’avenir de la filière dans sa globalité.
Sur toutes ces questions, la parole et les actes du Gouvernement sont attendus dans l’urgence, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Gérard Le Cam applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, la crise qui secoue depuis plusieurs semaines nos campagnes est profonde. Elle vient légitimement se manifester jusqu’au cœur de nos villes. Elle résulte essentiellement de la conjonction de deux phénomènes.
Le premier est l’augmentation des quotas laitiers, qui préfigure leur disparition programmée par la Commission européenne. Cette dérégulation de la production laitière résulte essentiellement d’une approche néolibérale des marchés agricoles chère à Mme Fischer Boel.
Chacun sait pourtant que les marchés agricoles sont particulièrement volatils, en raison d’une inélasticité de la demande par rapport au prix : les augmentations de production, dès qu’elles excèdent la demande, font mécaniquement plonger les prix, à moins de disposer de moyens adaptés de transformation et de stockage... qui ont un coût et par conséquent aussi des limites ! Telle est la raison qui avait conduit à instaurer les quotas laitiers en 1983.
La Commission joue avec le feu en ouvrant la voie, pour des raisons idéologiques, à la suppression de ces quotas et en tablant sur la demande mondiale pour absorber les excédents de lait en poudre et de beurre.
C’est un pari aussi hasardeux que détestable sur le fond. Hasardeux, parce que la demande mondiale n’est pas un débouché stable : après l’embellie de 2007, qui a fait illusion, le marché s’est effondré en 2008, mettant en difficulté les transformateurs d’excédents laitiers. Détestable, parce que contraire au principe essentiel de souveraineté alimentaire déjà évoqué dans notre débat sur l’OMC : quand les pays industrialisés, dont l’Europe, cesseront-ils de déverser leurs excédents agricoles sur les pays en développement, avec pour conséquence le blocage structurel, dramatique, du développement de leurs agricultures vivrières ?
Le second phénomène est le problème de la représentation du monde agricole au sein des instances interprofessionnelles, caractérisée par ce qu’il faut appeler « le monopole du syndicat majoritaire », alors qu’il ne fédère que la moitié des producteurs laitiers. Les compromis qu’il négocie avec les firmes agroalimentaires du secteur laitier en termes de répercussion de la crise du marché mondial sur les prix versés aux producteurs ne sont pas supportables pour la grande majorité des petits et moyens producteurs, qui sont aujourd’hui littéralement asphyxiés. Implicitement, ces compromis font le jeu des grands groupes privés ou coopératifs que nous connaissons tous, qui transfèrent la crise engendrée par la gestion des 90 000 tonnes de lait en poudre et des 120 000 tonnes de beurre sur le monde agricole, et qui traduisent sur le terrain les velléités inavouables de la Commission européenne : engager une nouvelle étape dans la restructuration du secteur laitier, en quelque sorte « refaire du Mansholt » et liquider les petites et moyennes exploitations laitières jugées « improductives ».
Vous l’aurez compris, cette crise pose fondamentalement la question du modèle agricole laitier européen. Quel type d’exploitation laitière veut-on promouvoir ? Des « usines à lait » avec des vaches à potentiel maximisé, gavées d’ensilage de maïs et de tourteau de soja importé, produisant de manière intensive pour le stockage et l’exportation ? Ou bien des exploitations agricoles avec des vaches plus rustiques, par conséquent moins « traitées », permettant de valoriser les herbages, produisant pour un marché intérieur et valorisant dès que possible leurs produits sur des circuits courts ?
Une nouvelle fois, nous mesurons combien les dimensions économique, sociale et environnementale, loin de s’opposer se conjuguent. Encore convient-il de rompre avec les fantasmes néolibéraux selon lesquels il faut réintroduire à tout prix du marché dans l’agriculture et continuer d’affaiblir les outils de régulation...
C’est pourquoi les Verts demandent le rétablissement des quotas laitiers : malgré leurs inconvénients – le principe des quantums nous semblait plus intéressant –, les quotas avaient permis de gérer dans la durée l’évolution du secteur laitier, de prévenir les crises de surproduction.
Ma collègue et amie Bernadette Bourzai, sénatrice de la Corrèze, se joint à moi pour mettre également en exergue une autre dimension des quotas : les quotas régionaux apparaissent comme le seul moyen de répartir harmonieusement la production laitière sur le territoire et d’éviter que les régions de plaine et surtout portuaires à bas coûts de production ne viennent concurrencer abusivement les régions de montagne ou dites défavorisées, dont la seule ressource agricole est l’herbe. Cette herbe doit être valorisée par nos élevages, y compris laitiers : c’est un enjeu environnemental qui, à l’heure du Grenelle de l’environnement, n’aura échappé à personne. Mais c’est également un enjeu sociétal en termes d’aménagement du territoire : nous devons tout faire pour éviter le déménagement programmé de la production laitière, engagé par l’augmentation et la suppression des quotas laitiers !
Monsieur le ministre, chers collègues, je vous invite à considérer cette crise laitière comme une opportunité de remettre à plat la politique agricole, d’en stopper les dérives néolibérales et de promouvoir un modèle agricole européen en phase avec les attentes de nos concitoyens, qui se sont récemment exprimés clairement dans ce sens : un modèle plus respectueux de l’environnement et pourvoyeur d’emplois car moins intensif, moins dépendant d’importations et plus territorialisé, un modèle implicitement plus solidaire des pays du Sud car tourné vers une demande intérieure de produits de qualité. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. Gérard Le Cam applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.