M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, face à la montée en charge du crédit d’impôt recherche et aux modifications réitérées des modalités de sa mise en œuvre, nous sommes nombreux à poser ouvertement la question de son efficacité.
Madame la ministre, je vous ai personnellement interrogée sur ce sujet, en novembre dernier, lors de mon intervention sur la mission « Recherche et enseignement supérieur », la MIRES, du projet de loi de finances pour 2009, mais sans succès. Je remercie donc notre collègue Ivan Renar d’avoir déposé sa question orale avec débat, qui nous permettra, je l’espère, d’obtenir des éléments d’évaluation objectifs sur la nouvelle formule du dispositif du crédit d’impôt recherche.
En effet, depuis le 1er janvier 2008, le taux de 10 % a été multiplié par trois : les entreprises peuvent déduire 30 % du montant total de leurs frais de recherche pour les dépenses inférieures à 100 millions d’euros et 5 % au-delà de ce plafond. Les entreprises qui font leur première demande ou qui n’en ont pas fait depuis cinq ans bénéficient d’un taux exceptionnel de 50 %. Le plafonnement est supprimé et l’accroissement des dépenses n’est plus exigé !
Madame la ministre, ne tenant aucun compte des analyses publiées par votre propre ministère et par la Cour des comptes en 2007, qui appelaient à une période de stabilité du dispositif, vous avez fait du crédit d’impôt recherche un véritable guichet ouvert. Vous n’avez tenu aucun compte non plus des nombreux rapports qui préconisaient que l’aide directe ou fiscale au secteur privé soit redéployée, ciblée sur les secteurs de haute technologie et les PME innovantes et conditionnée à l’emploi scientifique.
Sur ce sujet précis, je vous rappelle l’avis du Conseil supérieur de la recherche et de la technologie sur le projet de budget de la MIRES pour 2009. Celui-ci s’inquiète de « l’efficacité de cette mesure pour dynamiser la recherche privée, en particulier les PME, et le système français de recherche et d’innovation en général. Il attire l’attention sur le manque d’entreprises de taille moyenne investissant dans la recherche et recommande de trouver des mesures d’accompagnement. Il juge indispensable une évaluation externe de ce crédit fiscal. Cette évaluation coût-bénéfice devrait porter autant sur les bénéficiaires que sur ses effets en termes de volume des dépenses, de partenariats vers la recherche publique, de compétitivité, de taxation de la recherche-développement, d’attractivité du territoire et d’évolution de la recherche dans son ensemble. Cette évaluation devra être conduite en comparaison avec les pays partenaires et concurrents et avec la politique européenne. » On ne peut être plus clair sur la nécessité d’une telle évaluation !
À ce stade du débat, il n’est pas inutile de rappeler que, entre 2002 et 2006, les aides de l’État au secteur privé se sont accrues, en euros constants, de 1 636 millions d’euros, tandis que, une fois ces aides perçues, les dépenses des entreprises n’ont progressé que de 458 millions d’euros, ce qui soulève de sérieuses interrogations sur d’éventuels effets d’aubaine.
Mais vous allez me rétorquer, madame la ministre, que votre réforme de 2007 est passée par là. Raison de plus pour fournir au Parlement une évaluation du nouveau dispositif digne de ce nom ! Car les premiers éléments dont nous disposons ne sont pas à porter au crédit de votre dispositif. Ainsi, un rapport récent du Conseil d’analyse économique a démontré que cette réforme avait profité en premier lieu aux grandes entreprises pour lesquelles le crédit d’impôt recherche constitue d’abord un effet d’aubaine et non une mesure incitative en faveur du développement de leurs activités en matière de recherche et développement.
Ainsi, en 2008, les sommes ouvrant droit au crédit d’impôt recherche s’élevaient, pour les cinquante-huit entreprises bénéficiaires de plus de 500 salariés, à près de 2 milliards d’euros, sur les 3 milliards d’euros déclarés au titre du crédit d’impôt recherche pour l’ensemble des 513 entreprises concernées.
Par ailleurs, le Gouvernement nous « vend », depuis plusieurs années, le crédit d’impôt recherche comme un formidable outil permettant de renforcer l’attractivité de notre territoire et d’éviter la délocalisation des centres de recherche.
Or une enquête de l’OCDE réalisée en 2006 a classé par ordre d’importance les facteurs déterminant l’implantation d’activités de recherche et développement d’une entreprise. La présence locale de personnels en recherche et développement arrive en tête, puis l’existence d’universités, ensuite les facilités de coopération avec ces dernières et la protection de la propriété industrielle. Les incitations fiscales ne figurent qu’en neuvième position ! Quant aux effets du crédit d’impôt recherche sur les délocalisations de centres de recherche, ils sont tout relatifs, puisqu’une entreprise française délocalisant sa recherche et développement en Irlande ou en Allemagne continue à en bénéficier, conformément à un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes.
Dans ces conditions, et devant les résultats de cette étude antérieure à la dernière réforme du crédit d’impôt recherche engagée par votre gouvernement, refuser de conditionner ce dispositif à l’emploi scientifique s’avère une aberration ! Le tissu de la recherche publique et les possibilités de coopération public-privé constituent, après le capital humain que représentent les chercheurs, le second facteur d’implantation. Que fait votre gouvernement, madame la ministre, pour le valoriser ? La politique du pire, laquelle consiste à « casser » le potentiel de recherche de nos organismes, en asphyxiant financièrement les laboratoires, et à tenter de mettre au pas les enseignants-chercheurs !
Selon les chiffres de votre ministère, le coût pour l’État du crédit d’impôt recherche est évalué à 3,8 milliards d’euros pour 2009, alors qu’il ne représentait que 1,5 milliard d’euros en 2006, avant la dernière réforme, et 428 millions d’euros en 2003, avant la première réforme. Ainsi, à l’horizon 2012, son montant pourrait avoir décuplé en moins de dix ans ! Le chiffre de 3,8 milliards d’euros est à mettre en parallèle avec les quelque 10 milliards d’euros destinés aux programmes ciblés sur la recherche de la MIRES. C’est colossal !
Et tout se passe sans aucune évaluation digne de ce nom ni de véritable contrôle. Madame la ministre, le Parlement ne se contentera pas d’enquêtes d’opinion ou de perception auprès des bénéficiaires, telles que celle qui a été mise en ligne dernièrement sur le site de votre ministère. Une simple autoévaluation pour une somme de 3,8 milliards d’euros reviendrait à faire preuve d’un laxisme intolérable, surtout au regard du « procès en autoévaluation » – justement ! – que vous menez contre le CNRS.
Sur cette question du contrôle, je ne peux résister au plaisir de vous citer le récent discours de M. le Président de la République devant le Congrès : « Nous ne laisserons pas un euro d’argent public gaspillé. Je demande au Parlement de se mobiliser pour identifier tous les dispositifs inutiles, toutes les aides dont l’efficacité n’est pas démontrée, tous les organismes qui ne servent à rien. »
Évidemment, si la révision constitutionnelle, tellement soucieuse de la revalorisation du Parlement, nous avait attribué un véritable rôle de contrôle des politiques publiques, assorti de moyens poussés d’expertise, je ne doute pas que nous nous serions déjà saisis de l’évaluation du crédit d’impôt recherche, afin de réaliser une étude économétrique, répondant ainsi au souhait présidentiel avant même qu’il ne soit émis !
Aujourd’hui, madame la ministre, nous souhaitons donc une véritable étude économétrique du crédit d’impôt recherche, avant l’examen du projet de loi de finances pour 2010, afin que le Parlement puisse se prononcer en toute connaissance de cause. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Christian Gaudin.
M. Christian Gaudin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les chercheurs le savent, l’exigence d’évaluation est au cœur de toute démarche scientifique. Elle est aussi la raison d’être de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, dont je salue le premier vice-président, M. le professeur Jean-Claude Etienne. Pour le législateur, elle est la condition indispensable d’une bonne allocation des ressources publiques. Évaluer et piloter les dispositifs tels que le crédit d’impôt recherche : cette nécessité est au cœur de la révolution budgétaire introduite par la LOLF en 2001 ; c’est l’une des conditions du passage d’une logique de moyens à une logique de performance.
L’évaluation d’un crédit d’impôt bénéficiant aux entreprises est évidemment moins facile à mener que l’évaluation d’une politique qui mobilise des acteurs publics. Nous pouvons le constater, le financement de la recherche scientifique à l’université et dans les organismes fait l’objet d’une évaluation bien plus régulière que celle qui est prévue pour un dispositif comme le crédit d’impôt recherche. Cette seconde évaluation est pourtant tout aussi essentielle que la première.
Parce qu’elle est jalonnée d’aménagements plus ou moins importants, l’histoire du crédit d’impôt recherche, depuis sa création en 1983, illustre l’importance de ce travail d’évaluation.
Souvenons-nous que, à son origine, ce dispositif était uniquement fondé sur l’augmentation des dépenses de recherche supportées par les entreprises. Après avoir évalué son efficacité, le législateur a considérablement amélioré son effet de levier en 2004, par l’introduction d’une part en volume égale à 5 % des dépenses de recherche. Cet aménagement améliorant effectivement le dispositif, la part en volume a été portée à 10 % en 2006.
À l’époque, la Cour des comptes avait déjà indiqué que la forte augmentation du coût budgétaire qui résultait de la création d’une part en volume devait conduire à développer davantage les moyens d’évaluation des effets réels de cette dépense fiscale. Dans son rapport annuel de février 2007, elle avait critiqué le crédit d’impôt recherche, déplorant notamment la complexité du dispositif et son manque de lisibilité.
En réponse à ces observations, le législateur a profondément réformé le dispositif dans la loi de finances pour 2008. Ainsi, depuis le 1er janvier 2008, le crédit d’impôt recherche a été considérablement simplifié et augmenté. Cela a été dit, la suppression de la part en accroissement et le déplafonnement du crédit d’impôt ont permis une montée en charge très importante du dispositif.
Aujourd’hui, le crédit d’impôt recherche offre donc une incitation simple et massive, qui permet un remboursement rapide des dépenses de recherche, notamment dans le cadre du plan de relance.
De surcroît, lorsque l’entreprise s’adresse à un laboratoire universitaire pour sa recherche, elle voit doubler son incitation fiscale.
Depuis sa refonte, cette incitation est véritablement devenue l’un des piliers de la politique française en faveur de l’innovation.
L’enjeu est important : en incitant et en aidant les entreprises à innover, le crédit d’impôt recherche constitue l’un des instruments qui doit permettre de combler une lacune dont souffre l’économie française, à savoir le manque de PME capables d’exporter et de se positionner sur les marchés émergents. Nous savons que la question primordiale n’est pas, en France, le nombre de PME, mais bien leur capacité à innover, à grandir et à se développer. Trop rares sont celles qui atteignent aujourd’hui le seuil critique qui permet d’exporter, contrairement aux PME allemandes.
Aider également les grandes entreprises, y compris les multinationales, ne fait pas obstacle à cet objectif : en incitant les grandes entreprises à faire appel aux PME, on contribue aussi à la croissance de ces dernières. On sait qu’il ne peut y avoir d’innovation sans marché. En ce sens, il est indispensable que les grandes entreprises deviennent des clients réguliers des PME et qu’elles les initient à cette culture de la recherche-développement.
À cet égard, l’effet du crédit d’impôt recherche doit être évalué : il faut mesurer, non seulement sa capacité à rapprocher le monde de la recherche et celui des entreprises, mais aussi son aptitude à aider les PME, comme les grandes entreprises, à développer des produits innovants. Cela est cohérent avec l’esprit des pôles de compétitivité, mais il convient d’aller encore plus loin, en facilitant l’entrée des jeunes docteurs dans l’entreprise.
Très logiquement, avec sa montée en puissance, le coût budgétaire du crédit d’impôt recherche a considérablement augmenté, la loi de finances pour 2009 prévoyant une forte augmentation de cette dépense fiscale. La créance du crédit d’impôt recherche est ainsi passée de 1,6 milliard d’euros en 2006 à 3,5 milliards d’euros en 2008, et devrait s’élever à environ 4 milliards d’euros en 2009.
Il appartient évidemment au Gouvernement de veiller à l’efficacité des politiques qu’il a la responsabilité de mettre en œuvre. C’est ce qu’il a fait en septembre 2008, en remettant un rapport au Parlement sur le crédit d’impôt recherche, en application de l’article 34 de la loi de programme pour la recherche.
Mais l’évaluation des politiques publiques et le contrôle de l’action du Gouvernement constituent également des missions de toute première importance du Parlement. La révision constitutionnelle de juillet 2008 a donné une valeur constitutionnelle à cette responsabilité du législateur. Avant cela, dès 2001, la loi organique relative aux lois de finances renforçait ce rôle du Parlement. La LOLF prévoit en effet à son article 57 que les commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances suivent et contrôlent l’exécution des lois de finances et procèdent à l’évaluation de toute question relative aux finances publiques.
À ce titre, en tant que rapporteur spécial de la commission des finances sur le budget de la recherche, je conduis, depuis quelques semaines, un rapport d’évaluation et de contrôle, qui porte, précisément, sur le crédit d’impôt recherche. L’objet de cette mission est de mesurer son utilisation, son effet de levier et sa capacité à rapprocher l’entreprise du monde de la recherche, en dressant une véritable typologie des entreprises bénéficiaires, de la PME à la multinationale implantée sur notre territoire.
En allant sur le terrain, à la rencontre des acteurs publics et privés, des entrepreneurs et des chercheurs, cette mission rendra compte de l’incitation à l’innovation du crédit d’impôt recherche sur les PME et les entreprises de taille intermédiaire, ainsi que de son effet sur l’attractivité du territoire auprès des grandes entreprises, notamment multinationales.
Ce rapport d’évaluation budgétaire fera l’objet d’une première communication dès septembre 2009. Afin de pouvoir mesurer efficacement l’ensemble des effets de la réforme du crédit d’impôt recherche de 2008 sur une période significative, l’évaluation se poursuivra jusqu’à fin 2009 et aboutira à un rapport qui sera remis à la commission des finances au début de l’année 2010.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Etienne.
M. Jean-Claude Etienne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette question de notre collègue Ivan Renar me semble la bienvenue.
On ne saurait parler du crédit d’impôt recherche sans le replacer dans son contexte. Lors de sa création, en 1983, je me souviens d’avoir discuté avec Hubert Curien de ce dispositif qui devait donner un élan considérable à nos entreprises, même si sa version définitive n’était pas aussi audacieuse que sa première mouture. À l’instar du Président de la République, il faut bien reconnaître qu’en France la valorisation des transferts de technologie de la recherche vers les entreprises n’a donné que des résultats médiocres. Il est donc salutaire pour le développement de nos entreprises que vous puissiez, madame la ministre, donner une nouvelle dimension à ce dispositif.
Dans son intervention du 22 janvier dernier, à l’occasion du lancement de la réflexion pour une stratégie nationale de recherche et d’innovation, le Président de la République rappelait que nous avions, faute d’avoir suffisamment agi dans ce domaine, privé le monde entrepreneurial, et singulièrement le tissu des PME-PMI, de centaines de milliers d’emplois.
En France, les PME-PMI représentent 63 % de l’emploi salarié et non salarié, contre 87 % en Allemagne, soit une différence de 24 %. Au jeu des sept erreurs, quand on compare nos deux pays, on s’aperçoit notamment qu’il existe une grande différence en matière de défiscalisation des investissements réalisés dans la recherche. Il n’est donc pas étonnant que vous ayez, madame la ministre, engagé une action pour rattraper notre retard en la matière et, ainsi, placer nos entreprises, notamment les plus petites d’entre elles, en meilleure situation dans le jeu concurrentiel. La solution s’imposait d’elle-même, même s’il faudra, bien évidemment, dans un second temps, s’attacher à en apprécier les résultats.
Les PME-PMI françaises, souvent plus petites que leurs voisines d’outre-Rhin, développent plus rarement une stratégie d’investissement dans la recherche et l’innovation. Notre collègue Christian Gaudin vient de le rappeler, lui qui mène une action très poussée au sein de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques et qui, en tant que rapporteur spécial de la commission des finances, a entrepris un audit de ce crédit d’impôt recherche.
D’une manière générale, la part du secteur privé dans le financement de la recherche est aujourd’hui beaucoup plus faible chez nous qu’en Grande Bretagne, en Allemagne ou aux Pays-Bas, pour ne citer que ces pays. L’action que vous menez, madame la ministre, devrait donner, dans les mois et les années qui viennent, un nouveau souffle à la recherche privée en France, ainsi qu’une nouvelle dimension culturelle dans les entreprises.
Bon nombre de petites entreprises, accaparées par la gestion quotidienne, ne peuvent donner à la recherche et à l’innovation la place qui devrait leur revenir, et qui permettrait d’assurer un meilleur développement de l’outil entrepreneurial.
Naturellement, les accompagnements matériels et financiers ne sont pas suffisants. Mais c’est le carburant qui permet de faire avancer la voiture, c’est l’occasion – et non pas l’aubaine – qui incite les responsables de nos entreprises, y compris des plus petites d’entre elles, à accentuer leur développement. Il s’agit d’encourager l’ambition de production innovante chez toute entreprise qui souhaite être performante dans un jeu concurrentiel souvent très serré.
C’est dire tout l’intérêt de la question posée par notre collègue Ivan Renar. Ce dernier, certainement bien informé – à moins qu’il n’ait été l’heureux lecteur d’une boule de cristal ! –, avait sans doute deviné votre maintien au Gouvernement lorsqu’il avait, voilà deux semaines, lors d’une réunion de la commission des affaires culturelles, salué votre pugnacité à remodeler les paysages universitaires et de la recherche de notre pays…
Le crédit d’impôt recherche fait partie intégrante de ce remodelage. Il n’est pas une coquetterie de défiscalisation venant se greffer sur la restructuration du monde de l’enseignement supérieur, de son corollaire, la recherche, et de son prolongement, le développement de l’innovation, lequel permet de renouveler la production économique.
Comme Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi a tenu à le souligner, ce dispositif s’adresse aussi bien aux grandes entreprises qu’aux PME. Je comprends que certains puissent s’inquiéter : ce dispositif doit bénéficier autant aux « petits » qu’aux « gros ». Il ne faut pas se contenter « d’arroser le mouillé » ! Mais, en souhaitant que ce dispositif soit « singulièrement » dirigé vers les PME et les PMI, le Président de la République a, me semble-t-il, tracé une feuille de route claire.
Surtout, le crédit d’impôt recherche n’est pas une fin en soi ; c’est d’abord l’expression, au niveau de chaque cellule de production, de l’idée qu’il convient d’aider la recherche pour que l’on puisse innover plus facilement et vendre mieux ce que l’on produit.
Les grandes entreprises savent le faire, en finançant des travaux de recherches bien ciblés et en passant des partenariats avec des structures de recherche plus souvent publiques que privées. Pour une PME, en revanche, c’est beaucoup plus compliqué ! Ce dispositif peut les accompagner dans cette démarche.
Je garde en mémoire comment, avec votre collègue Luc Chatel, nous avons été, au niveau local, des acteurs décisifs d’un tel accompagnement. Dans le Nogentais, on fabriquait des bistouris, des ciseaux et des couteaux de très bonne qualité… Le problème, c’est qu’ils ne se vendaient plus, parce qu’on utilisait dans nos salles d’opération des bistouris fabriqués au Japon ou en Chine, qui coûtaient moins cher. Nous avons décidé d’aider ces petites entreprises qui périclitaient, à condition qu’elles acceptent de changer leur thématique de production. Le jour où nous avons proposé à leurs dirigeants de fabriquer des prothèses totales de hanches ou de genoux, nous avons tout d’abord pu mesurer leur déconvenue. Ils se demandaient de quoi nous nous mêlions… Mais, aujourd’hui, depuis qu’il a été couplé avec un centre d’innovation spécialisé dans les traitements de surface, ce bassin industriel renaît de ses cendres.
Bien sûr, au début, les responsables d’entreprise ont été réticents, mais, dès lors qu’on les a informés qu’ils allaient pouvoir percevoir des aides et bénéficier d’une assistance, ils ont prêté l’oreille. Grâce à cela, les Japonais, et même quelques Chinois, sans doute les plus aisés, portent des prothèses de hanche ou de genou qui sont fabriquées à Nogent, en Haute-Marne !
Cet exemple démontre bien qu’il est fondamental de ne pas négliger cette approche. Le crédit d’impôt recherche a cette vertu première d’accompagner les entreprises dans leur développement. Comme l’a fort opportunément remarqué notre collègue Ivan Renar, non seulement les PME-PMI ne doivent pas être oubliées, mais encore elles méritent sans doute d’en bénéficier prioritairement.
En Allemagne, dont le réseau des PME-PMI est bien plus développé qu’il ne l’est chez nous, le crédit d’impôt recherche est moins avantageux. Néanmoins, il s’accompagne d’un mécanisme d’assistance matérielle des centres de recherche, qui aident les PME-PMI, lesquelles ne sont pas plus malignes que les nôtres, en leur permettant d’accéder à différentes technologies.
S’agissant de notre enseignement supérieur, il serait sans doute possible de tirer profit de l’autonomie des universités pour prendre en compte de façon plus singulière les centres de recherche qui élaborent notamment avec les PME-PMI des contrats de recherche appliquée, dont la finalité est d’aider ces dernières à innover dans leur production.
Enfin, en matière d’emploi, l’acte de recrutement est toujours un pari : plus l’entreprise est petite, plus le pari est risqué. Grâce au mécanisme du crédit d’impôt, une entreprise embauchant pour la première fois un jeune docteur pourra inclure deux fois le salaire de celui-ci, pendant deux ans, dans le calcul de ses dépenses de recherche.
On connaît l’inhibition des petites entreprises face à l’embauche d’un docteur. Elles n’y sont pas habituées. C’est pourquoi il me paraît très important, sur un plan tant psychologique que culturel, de les accompagner dans cette démarche.
Le crédit d’impôt recherche répond à plusieurs objectifs.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Claude Etienne. Le premier est d’encourager le maintien des centres de recherche en France. Il est urgent de mettre fin à leur exode !
Un deuxième est d’attirer en France des activités de recherche et développement. Notre collègue Ivan Renar a cité l’exemple de Microsoft. J’ajouterai que, si cette entreprise s’est implantée à Lille, c’est qu’elle y a trouvé un environnement propice au développement de ses recherches.
Enfin, pour terminer, puisqu’on m’y oblige, je dirai que c’est dans cet esprit que l’OPECST a saisi le comité d’évaluation des politiques publiques pour porter en écho à l’Assemblée nationale le débat que nous avons aujourd’hui au Sénat. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la réalisation des objectifs européens en matière de recherche nous impose, au-delà de la recherche publique, d’intensifier les efforts de recherche et développement des entreprises.
Le Président de la République prétend placer la recherche et l’enseignement supérieur au premier rang de ses priorités. Je m’en réjouis sincèrement, mais nous avons besoin de preuves concrètes.
Parmi les mesures fiscales destinées à inciter toutes les entreprises à augmenter leurs dépenses en recherche et développement, le crédit d’impôt recherche occupe une place prépondérante et croissante. Il serait l’instrument fondamental permettant, à terme, un renouveau de la politique industrielle et d’innovation de la France.
Si, depuis sa création en 1990, pour les PME innovantes, ce crédit d’impôt est toujours destiné à inciter les entreprises à développer leurs activités de recherche, il a connu depuis lors d’importantes évolutions.
La dernière réforme en date remonte à l’année dernière. L’objectif alors affiché était que le crédit d’impôt recherche atteigne, à partir de 2009, un coût évalué entre 2,7 milliards et 3,1 milliards d’euros, et jusqu’à 4 milliards en 2012.
Jusque-là, le crédit d’impôt était attribué en fonction de l’accroissement des dépenses de recherche et développement des entreprises. Cela devait officiellement les inciter à faire plus de recherche.
Désormais, il est fait non plus référence à l’accroissement des dépenses de recherche et développement, mais seulement à l’ensemble des dépenses, qu’elles soient nouvelles ou non, en augmentation ou en diminution, pour une défiscalisation de 30 %.
Je m’interroge, dès lors, sur l’augmentation avérée de l’activité de recherche et développement que vient désormais récompenser ce crédit d’impôt…
De plus, le plafond de cette défiscalisation a été considérablement augmenté : elle peut désormais s’appliquer jusqu’à une dépense de 100 millions d’euros par entreprise ; au delà, une déduction forfaitaire s’applique. Cela a eu pour effet de tripler le crédit d’impôt recherche, mais plutôt au bénéfice des grandes entreprises, qui ont profité de l’aubaine, et non au bénéfice des PME les plus jeunes, les plus innovantes, en somme celles qui auraient le plus mérité de bénéficier de ce dispositif incitatif.
Madame la ministre, le Gouvernement se vante régulièrement de la réussite de ce nouveau dispositif en termes de capacité d’innovation nationale, de renforcement de la compétitivité des entreprises et même de l’impact formidable qu’il aurait eu sur l’attractivité du territoire français pour les activités de recherche et développement.
Mais, jusqu’à ce jour, ces congratulations ne sont basées sur aucune étude réellement sérieuse. Malgré l’existence d’un consensus sur l’efficacité d’un crédit d’impôt recherche comme moyen d’intervention publique pour inciter les entreprises à accroître leurs dépenses dans ce domaine, le réel impact du dispositif existant, qui a pour conséquence une diminution non négligeable des recettes fiscales de l’impôt sur les sociétés, doit être précisé.
Vous nous avez promis, lors des discussions budgétaires de cet automne, un rapport d’évaluation sur le sujet avant la fin de l’année 2009. Mais le débat que nous avons aujourd’hui dans le cadre du pouvoir de contrôle du Parlement, sur l’initiative de notre collègue Ivan Renar, nous permet de dresser un bilan de la situation dès aujourd’hui, après plus d’un an d’application du nouveau dispositif.
Le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a réalisé, en 2008, une étude auprès de 8 000 entreprises, par le biais des directeurs généraux, des directions opérationnelles et des responsables de la recherche et développement. Ils ont répondu par questionnaire auto-administré envoyé par courriel…
Les résultats de ce « sondage géant » tendraient à prouver que la réforme de 2008 va inciter 83 % des entreprises qui n’utilisaient pas le dispositif à y recourir. Par conséquent, 66 % des entreprises auraient renforcé leurs dépenses de recherche et développement grâce au crédit d’impôt recherche.
Nous en serions plus que ravis, mais je m’interroge franchement sur le sérieux, la fiabilité et l’utilité scientifique de ces résultats. Comment peut-on se fier au résultat d’un tel sondage pour évaluer les réelles conséquences de la réforme d’une mesure fiscale aussi primordiale pour l’avenir de notre politique en matière de recherche ?
De telles évaluations, comme toutes celles qui concernent des dépenses fiscales, sont très difficiles à mener puis à analyser ; c’est indéniable.
Ainsi, l’évaluation de l’augmentation de l’attractivité de notre territoire due à cette incitation fiscale n’est pas chose aisée. La Cour des comptes l’a elle-même souligné.
Quand et comment le Gouvernement envisage-t-il de nous présenter une réelle évaluation de l’impact de cette mesure fiscale dans sa version issue de la réforme de 2008 ? Celle-ci est de plus en plus coûteuse pour l’État et ne semble profiter, à première vue, qu’aux plus grandes entreprises, et ce au détriment des PME en phase de démarrage ou de celles dont les dépenses de recherche augmentent fortement. (Applaudissements sur diverses travées.)