M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien ! Les symboles sont importants !
M. Pierre Bernard-Reymond. Certes, je le reconnais, il existe aujourd’hui des tâches plus urgentes encore : tirer les enseignements de la crise et mettre en place les moyens de régulation avant la reprise ; car, ne nous y trompons pas, les forces qui nous ont conduits à la catastrophe sont prêtes à repartir de plus belle, comme par le passé.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Eh oui !
M. Pierre Bernard-Reymond. À ce titre, si Londres a été un succès, celui-ci doit absolument être concrétisé au prochain G20 : la supervision bancaire, la surveillance prudentielle, les normes comptables, l’encadrement des hauts salaires, le recensement et l’élimination des produits toxiques, la suppression des paradis fiscaux, la régulation du marché du CO2, le rôle du Fonds monétaire international, la place du dollar dans les règlements internationaux, constituent une tâche gigantesque. Où en est-on de l’application du rapport Larosière ? Quels sont les points d’accord et de divergence à l’intérieur de l’Europe, avec les États-Unis, ou encore avec la Chine ? À mi-chemin entre le G20 de Londres et celui de Pittsburgh, peut-on faire le point ? Voilà un programme de travail pour la présidence suédoise et la prochaine Commission qui me paraît de toute première importance.
Cette crise a également montré la difficulté de bâtir une réponse européenne en matière de relance, et ce en raison de la trop grande hétérogénéité de nos économies et de nos politiques économiques respectives. Le moment n’est-il pas venu de faire comprendre aux anciens partisans du tout-libéral que l’Europe a besoin d’une gouvernance économique ?
S’agissant de Copenhague, enfin, nous souhaitons tous ardemment le succès de cette conférence. Il n’y a pas de raison de ne pas croire 99 % des scientifiques spécialistes du climat ! Nous devons même être admiratifs devant l’ampleur et la profondeur, en particulier dans notre pays, de cette conversion sociétale au développement durable et souhaiter qu’elle se concrétise à Copenhague, même si le mouvement écologique prend parfois les traits d’une nouvelle idéologie, voire d’une nouvelle religion dont la première excommunication s’est appliquée au département que je représente ici et que les Verts condamnent à l’enclavement perpétuel en refusant l’achèvement de l’autoroute A 51 entre Grenoble et Gap…
Enfin, l’horizon 2013 apparaît dans toute son importance sur le plan budgétaire et agricole, et même au-delà. Après le Marché commun, après le Marché unique, après la monnaie unique, l’Union économique ne sera pas complète sans une politique économique, budgétaire, fiscale et sociale plus affirmée.
Personnellement, je ne comprends pas que l’on veuille bâtir l’Europe et limiter son budget à 1 % de son produit intérieur brut. L’Europe doit disposer de moyens plus importants dès lors qu’ils seront le produit de transferts à partir des niveaux nationaux. De plus, le budget de l’agriculture, à euros constants, apparaîtra plus acceptable aux yeux de ceux qui veulent le réduire ou le détruire. De même, l’Europe ne pourra pas se passer longtemps d’une politique fiscale, qui ne sera pas un impôt de plus, mais qui permettra d’éviter le dumping fiscal auquel nous assistons aujourd’hui. Quant à la politique sociale, le Président de la République vient de tracer la voie dans son discours à l’Organisation internationale du travail. L’Europe serait bien avisée de montrer l’exemple en son propre sein.
Voilà, me semble-t-il, une feuille de route telle qu’on peut l’entrevoir au début de cette nouvelle mandature européenne.
Il reste un cinquième grand rendez-vous, celui que nous ne connaissons pas, celui qui surgira de Téhéran, de Kaboul, d’Islamabad, de Pyongyang ou d’ailleurs. Il faudra alors à l’Europe un président actif et réactif qui saura suppléer l’absence de politique étrangère commune, comme a su le faire le Président de la République française pendant notre présidence. Mais l’avenir n’est écrit nulle part. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’Europe ne fait plus rêver, et nous en sommes tous responsables et coupables. Nous avons privilégié les égoïsmes nationaux aux dépens des grands projets mobilisateurs d’une Europe dont une politique sociale, économique et internationale spécifique aurait rassemblé les citoyens et influencé le monde. Le taux de participation extrêmement décevant de 43 % aux élections européennes le démontre cruellement.
La première puissance industrielle et commerciale, le premier marché mondial n’assume pas son rang. Dans un monde en mutation, mutation à laquelle s’ajoutent les convulsions de la crise économique, l’Europe sera-t-elle capable d’apporter une réponse à l’inquiétude profonde des citoyens qui ne croient plus en elle ?
Dans l’ordre du jour proposé à ce Conseil, la recherche, fenêtre sur le futur, n’est plus citée, le développement durable trouve enfin sa place, l’avertissement sur le dysfonctionnement des banques commence à s’estomper et la politique extérieure est traitée avec une désinvolture très préoccupante.
La recherche, au cœur de la stratégie de Lisbonne, devait renforcer la compétitivité de l’économie et l’emploi. On pouvait espérer qu’après le Conseil de Barcelone, en 2002, les objectifs seraient tenus ; or, globalement, il n’en est rien. Hélas ! en France, depuis 2002, la part du PIB consacrée à la recherche décroît, passant de 2,23 % à 2,08 %. On peut cependant placer dans le cadre de la recherche tous les domaines du développement durable, pour lequel le Président de la République a annoncé 1 milliard d’euros sur quatre ans. De plus, la loi sur le Grenelle de l’environnement consacre des dispositions à la recherche.
Le séisme financier, dont la responsabilité incombe pour une grande part à l’absence de garde-fous de la City et de Wall Street, a révélé les carences du système bancaire européen. Un front uni s’était constitué lors de la réunion du G20, sur l’initiative et avec la très forte implication du Président Nicolas Sarkozy. Cette unanimité a donné raison à Vaclav Havel, pour qui « le marché ne peut exister qu’à condition de s’appuyer sur une morale ».
Aujourd’hui, ce front se lézarde, et chacun joue sa propre partition. Il est indispensable que le couple franco-allemand intervienne et que les institutions européennes et internationales définissent des mesures d’encadrement et de moralisation pour réagir à la gravité de la crise financière et économique, afin d’empêcher qu’elle ne se reproduise.
La Commission européenne a mandaté Jacques de Larosière pour formuler des propositions visant à renforcer la réglementation et la surveillance du secteur financier européen. Son rapport présente une architecture inédite des structures financières, avec la création du conseil européen du risque systémique et du système européen de supervision financière, et l’attribution de la personnalité juridique aux organes européens de la surveillance qui remplacent les comités existants.
Ce rapport, qui constitue déjà un compromis avec les Britanniques, doit être mis en application intégralement. Privilégier la supervision quotidienne des établissements bancaires par les organes de contrôle nationaux serait contraire à une politique européenne. En effet, la coordination des actions, des méthodes et des définitions des superviseurs nationaux est du ressort de l’Union européenne. Quelle sera la position de la France, monsieur le secrétaire d’État ? Dans le cadre du Conseil de stabilité financière de Bâle, appuiera-t-elle la création d’un conseil européen du risque systémique ?
L’Europe, première économie mondiale, je le rappelle, a pourtant importé les normes comptables américaines, qui, en provoquant des à-coups dans l’évaluation des entreprises, ont alimenté la psychose des Bourses. Profitons de l’état de choc des ménages américains et de la méfiance ainsi engendrée pour revenir à des règles comptables antérieures et communes ! La participation du président du Conseil des normes comptables internationales, Sir David Tweedie, au dernier conseil ECOFIN serait-elle une initiative en ce sens ?
Pour en finir avec le chapitre économique et financier, le Conseil européen fera le bilan des mesures prises dans le cadre du plan de relance ; je souligne notamment la mesure de 4 milliards d’euros destinés aux infrastructures gazières, électriques et éoliennes, ainsi que les projets de piégeage et stockage du CO2, de renforcement de l’efficacité énergétique et des sources d’énergie renouvelables. Une analyse de la Commission du 2 juin dernier souligne que, si l’Union européenne tient ses objectifs de 20 % d’énergies renouvelables à l’horizon 2020, ce sont 410 000 emplois qui seraient créés, et le PIB augmenterait de 0,24 %.
L’ordre du jour ne mentionne pas la sécurité énergétique. S’il est un sujet qui doit être traité en priorité, c’est bien l’énergie, l’un des piliers de la présidence tchèque. En effet, son pays dépendant en grande partie des importations russes de pétrole et de gaz, le Premier ministre tchèque Jan Fischer avait affirmé sa très forte sensibilité à la sécurité énergétique.
La dernière crise du gaz entre la Russie et l’Ukraine, qui avait de nouveau traumatisé les États membres de l’Union en 2008, sera peu de chose face à la crise qui couve aujourd’hui entre ces deux pays. Si les tensions éclatent, elles pourraient mettre en danger l’approvisionnement énergétique de l’Union européenne.
Les stockages gaziers souterrains ukrainiens jouent un rôle important dans l’approvisionnement de l’Europe de l’Ouest. Or le niveau de ces stocks est nettement inférieur au niveau habituel et nécessaire en cette période de l’année.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Effectivement !
M. Aymeri de Montesquiou. Les stocks sont évalués entre 5 milliards et 8 milliards de mètres cubes par la Russie et à 19 milliards par l’Ukraine, sur une capacité totale de 32 milliards,…
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. C’est la moitié !
M. Aymeri de Montesquiou. … le coût de remplissage étant de 5 milliards de dollars.
Enjeux stratégiques et confiance réciproque sont primordiaux dans les relations entre les fournisseurs et les consommateurs. Ainsi, la Russie, qui a toujours tenu ses engagements, a formulé plusieurs propositions pour résoudre les problèmes récurrents avec l’Ukraine et ses relations avec ses clients.
La constitution d’une société internationale composée pour un tiers de Gazprom, un tiers de Naftogaz Ukraine et un tiers de sociétés des pays importateurs garantirait pour l’avenir le bon fonctionnement du transit et la gestion des stockages et définirait des objectifs partagés par toutes les parties concernées. L’Union européenne ne doit pas faire défaut sur ces questions qui engagent son avenir et sont sources de conflits, d’incertitudes et d’investissements irrationnels.
Le projet russe de traité international comme alternative à la Charte de l’énergie, qui ne concerne aujourd’hui, dans les faits, qu’une minorité de pays, insiste sur le transit du gaz, mentionne le nucléaire parmi les énergies conventionnelles et surtout autorise son accès aux marchés internationaux. Ces positions doivent être négociables, reformulables, sans doute améliorables, mais pourquoi refuser un dialogue a priori ?
La prépondérance de la Russie doit stimuler les autres pistes de diversification énergétique. Je mentionnerai le gaz naturel liquéfié, dont le commerce est non plus régional, mais international ; son transport par méthaniers et non par tubes permettra plus de souplesse dans les négociations.
La sécurité énergétique de l’Union étant en question, il faut appliquer au plus vite les priorités de la présidence tchèque : d’abord, le partenariat oriental, qui vise à promouvoir un espace de sécurité, de stabilité et de prospérité dans lequel l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables comme l’intégration du marché de l’électricité sont privilégiées ; ensuite, le corridor Sud, nouvelle route de la soie, permettant la participation d’États tiers sur le principe du cas par cas ; ce corridor transcaspien reliera l’Union européenne aux pays d’Asie centrale.
Enfin, la Commission a présenté, le 10 juin dernier, sa stratégie européenne pour la Baltique, programme prioritaire en matière d’écologie et de développement durable. Le gazoduc Nord Stream, qui doit la traverser, pose un problème environnemental. C’est pourquoi la Suède et la Finlande y sont réticentes. Certains États européens sont, à l’inverse, très engagés ; il faut trouver une réponse commune, de nature politique et compatible avec le droit européen.
Je n’oublie pas le projet Nabucco, cité comme une priorité dans plusieurs documents, mais dont la réalisation est encore très problématique ; le gazoduc russo-italien South Stream, qui éviterait l’Ukraine en passant sous la mer Noire, est en bonne voie de réalisation prochaine.
Cette énumération – peut-être un peu trop longue, mais indispensable, car la sécurité est un problème majeur – concerne, je le souligne de nouveau, des projets aléatoires. L’Union n’est pas à même aujourd’hui d’encaisser les à-coups qui pourraient survenir dans son approvisionnement.
Telles sont, en résumé, les incertitudes orientales de l’approvisionnement énergétique de l’Union, qui est vital. Pour les lever, il faudrait une diplomatie opérationnelle et non pas que le Conseil se résigne à « un échange de vues sur deux ou trois sujets d’actualité internationale intéressant les chefs d’État ou de gouvernement ». Monsieur le secrétaire d’État, que signifie cette formulation floue, dérisoire et consternante ?
En conclusion, donnons une réponse positive à Chateaubriand qui s’interrogeait avec mélancolie dans ses Mémoires d’outre-tombe sur l’avenir de l’Europe : « La vieille Europe, elle ne revivra jamais ; la jeune Europe offre-t-elle plus de chances ? »
Que la France, par son exécutif et par son Parlement, fasse que cet espoir devienne réalité ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Bernadette Bourzai. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Bernadette Bourzai. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, avant d’aborder l’ordre du jour du Conseil européen, il me paraît essentiel de comprendre le vote des Européens le 7 juin.
Qui pourrait se réjouir d’un taux d’abstention record et en hausse de 2 % par rapport à 2004 ?
Qui peut être fier d’avoir obtenu un petit tiers d’un gros tiers de votants, soit 11,3 % des inscrits ? Cela doit nous rendre modestes !
Très sérieusement, il faut analyser les causes de cette abstention massive et généralisée à l’échelle de l’Union européenne si l’on veut que les citoyens continuent d’adhérer à l’idée de construction européenne. Cette abstention très élevée est générée soit par l’indifférence, soit par la suspicion et par l’opposition aux politiques menées dans l’Union européenne. Il faut bien le reconnaître, l’euroscepticisme grandit, y compris au Parlement européen, sans doute parce que l’Union européenne sert trop souvent de bouc émissaire de l’échec des politiques nationales, mais aussi en raison des dogmes libéraux et des mesures libérales dont se gargarisent la commission sortante et les gouvernements qui la soutiennent.
Monsieur le secrétaire d’État, franchement, qui peut faire confiance aux déclarations de Mme Fischer Boel, qui pendant la crise alimentaire 2007-2008 nous a affirmé sans se lasser que le marché devait tout régler et que la fin des quotas laitiers se ferait par un atterrissage en douceur ? N’avez-vous pas l’impression que depuis un an, alors que l’on a augmenté de 1 % les quotas laitiers, on est déjà en plein krach ?
M. Guy Fischer. C’est la vérité !
Mme Bernadette Bourzai. Avoir un langage de vérité sur l’Europe, c’est d’abord reconnaître qu’une majorité de nos concitoyens, en France et dans l’Union européenne, se sont exprimés contre l’Europe libérale et en faveur du développement durable en matière économique, sociale et environnementale. C’est aussi nourrir le débat d’idées et assumer nos appartenances politiques et nos divergences sur les grands dossiers du moment, à la veille du Conseil européen des 18 et 19 juin.
C’est pourquoi je souhaite rappeler les principaux enjeux politiques pour l’avenir de l’Union européenne.
D’abord, un véritable plan de relance économique est nécessaire à l’échelle de l’Union européenne, notamment dans le domaine de l’économie verte, accompagné de mesures significatives sur le plan social et en matière de services publics, pour faire face à la déferlante du chômage qui menace la cohésion sociale.
Cela passe aussi par une volonté déterminée de lutter contre toute forme de spéculation financière, de favoriser l’assainissement des réseaux bancaires, et par la fin des paradis fiscaux.
Enfin, la nomination du président Barroso pour un second mandat à la tête de la Commission européenne nous paraît inacceptable : il n’est pas l’homme de la situation pour mener les politiques que je viens d’énoncer. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Alors que le Conseil va examiner la mise en œuvre du plan de relance européen, approuvé en décembre dernier, et les mesures de soutien aux banques, ce décalage apparaît nettement.
Le rôle de la finance doit être de soutenir l’économie réelle. Celle-ci a besoin d’engagements à long terme, qu’il s’agisse d’investissements matériels ou humains. La régulation financière est donc particulièrement nécessaire pour empêcher la dictature du court terme par la spéculation. Au contraire, il faut permettre aux entreprises et aux particuliers d’obtenir des crédits à des taux raisonnables.
Il faut également contrôler les offres de placement qui sont proposées aux particuliers. Il ne saurait s’agir de renflouer des banques dont les dirigeants se servent leurs primes habituelles grâce aux aides reçues. Les autorités publiques doivent être exigeantes à cet égard et pas seulement en paroles ou en décrets minimalistes. Quelles mesures allez-vous défendre en ce sens, monsieur le secrétaire d’État ?
Par ailleurs, quelle position allez-vous soutenir sur la question des paradis fiscaux et des hedge funds, les fonds spéculatifs ? Trouvez-vous anodin que la commission sortante ait confié au commissaire chargé du marché intérieur, l’un des plus libéraux, le projet de directive sur ces fonds spéculatifs, localisés dans les paradis fiscaux organisateurs de la fraude fiscale, du blanchiment d’argent sale et finançant les différentes formes de criminalité internationale ?
M. Guy Fischer. Cela n’augure rien de bon !
Mme Bernadette Bourzai. Pensez-vous que ce soit le meilleur moyen de mettre en œuvre les décisions du G20 ou allez-vous exiger du futur président de la commission, quel qu’il soit, qu’il organise une véritable action contre les paradis fiscaux ?
Il faut en effet rétablir la confiance et assainir les financements bancaires pour lever les obstacles à un véritable plan de relance à l’échelle de l’Union européenne. Êtes-vous disposé à demander un contrôle plus étroit de l’usage que les banques font de l’argent qu’elles ont obtenu ? Êtes-vous prêt à soutenir le caractère contraignant d’une véritable supervision financière ?
Un plan de relance à l’échelle européenne est aussi urgent que nécessaire, car l’Europe est loin d’être sortie de la crise et toute autosatisfaction apparaît d’autant plus déplacée que le pire est à venir. L’explosion du chômage va toucher 27 millions d’Européens en 2010, soit 10 millions de plus qu’il y a un an et 7 millions de plus qu’au début des années deux mille. En France, vous le savez bien, 200 000 emplois ont été détruits depuis le début de l’année et le Pôle emploi ne peut plus faire face à l’afflux des chômeurs. Or les plans nationaux actuels, qui mobilisent 200 milliards d’euros, soit 1,5 % du produit intérieur brut de l’Europe, contre 6,5 % du PIB des États-Unis, ne suffisent pas.
Dès lors, pourquoi la Commission et le Conseil européen ont-ils refusé la proposition du président de la Banque européenne d’investissement de lancer un grand emprunt ciblé sur le financement d’un plan massif d’économies d’énergie dans l’Union européenne ? Les effets positifs d’un tel plan sur la croissance et pour la lutte contre le réchauffement climatique sont évidents, d’autant que les deux aspects se rejoignent, la croissance verte représentant un gisement considérable d’emplois.
Comment pouvez-vous être crédible dans les négociations pour la conférence de Copenhague si vous renâclez à lutter contre le réchauffement climatique au niveau européen avec des moyens qui, de surcroît, seraient profitables à notre économie et rencontrent l’adhésion de nos concitoyens ?
Vous suffit-il d’avoir trouvé en décembre dernier un accord politique sur le paquet « énergie-climat » ? Considérez-vous que le financement des objectifs, tant nationaux qu’européens ou internationaux, est secondaire à six mois de la conférence de Copenhague ?
Le fait qu’aucun accord n’ait été obtenu à la dernière réunion du conseil ECOFIN sur le plan de financement chiffré de l’aide aux pays en voie de développement dans leur lutte contre les émissions de gaz à effet de serre me paraît inquiétant. Pourtant, comment inciter ces pays à réduire leurs émissions si on ne les aide pas à mettre à niveau leurs industries du point de vue tant de la qualité environnementale que de la compétitivité ?
Vous allez proposer de taxer les productions des pays tiers qui n’accepteraient pas les mêmes engagements que l’Union européenne pour lutter contre le réchauffement climatique ; cela est envisageable, mais commençons par nous demander avec quels moyens financiers précis nous allons respecter nos engagements des « trois fois vingt ». Pouvez-vous nous apporter les informations qui nous manquent encore à ce sujet ?
Dans le domaine social, il faut aussi assumer ses choix. Alors que le Conseil européen de printemps est traditionnellement dédié aux questions économiques et sociales, le débat a été reporté en mai et finalement remplacé par une simple rencontre avec les partenaires sociaux, à l’issue de laquelle dix actions prioritaires ont été identifiées.
Si certaines actions sont positives, telles les politiques de formation tout au long de la vie ou encore l’intégration des personnes défavorisées sur le marché de l’emploi, la plupart témoignent d’un réel déni quant à l’ampleur de la crise sociale actuelle et à la situation sur le marché de l’emploi, comme lorsqu’il serait question d’« encourager l’esprit d’entreprise et la création d’emplois, par exemple par une diminution des coûts salariaux indirects et par la flexisécurité », ce qui explique que ces propositions n’aient pas recueilli l’assentiment des syndicats qui ont refusé de signer la déclaration dite « conjointe ».
Ce n’est pas « l’engagement partagé sur l’emploi », publié le 3 juin, à la veille des élections européennes, par M. Barroso, et présenté comme un « plan de relance social » qui peut nous rassurer. En effet, nous sommes instruits par l’expérience : l’abandon en 2005 du pilier social de la stratégie de Lisbonne au profit d’une lecture ultralibérale de l’agenda de Lisbonne a eu comme résultats, d’après Eurostat, que le nombre d’emplois en contrat à durée déterminée et à temps partiel n’a cessé de progresser et que la précarité de l’emploi s’est accrue.
Or John Monks, secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats, le rappelle : « L’absence de demande est le principal problème auquel nos économies sont confrontées. Le fait d’accorder aux entreprises une nouvelle aide financière sous la forme d’une réduction des coûts non salariaux ne permettra pas de résoudre ce problème. Au contraire, elle stimulera les stratégies compétitives de réduction des coûts tout en minant la base de revenus des systèmes de sécurité sociale dont nous avons tellement besoin en ces temps de crise ». Ce n’est pas la situation française qui pourra me démentir !
Moyennant quoi, c’est M. Barroso que vous proposez de reconduire à la tête d’une Commission affaiblie face au Conseil et impuissante face à la crise.
C’est d’ailleurs M. Barroso lui-même qui n’a cessé de théoriser l’impuissance de la Commission. Qu’a-t-il fait de marquant à la place qui est encore la sienne ? Quand M. Barroso a-t-il vraiment voulu que la Commission joue le rôle majeur d’initiative politique que les traités lui ont confié ? Alors que tout le monde se souvient du dynamisme de Jacques Delors, quelle empreinte va laisser M. Barroso ? Spontanément, on répondrait : aucune ! Aucune, dès lors que l’on n’aurait pas la cruauté de rappeler qu’il est l’initiateur du sommet des Açores par le biais duquel les gouvernements de l’Union européenne, désireux de manifester leur soutien à la guerre en Irak, se sont affichés auprès de M. Bush. C’était pour le moins inopportun de sa part !
Ou alors, c’est le vide qui tient lieu de politique sous le vocable de better regulation – politique que j’ai bien connue et qui consiste à évacuer tous les sujets d’importance – lorsque la Commission européenne refuse de proposer une directive sur les services d’intérêt général. Aussi serait-ce une grave erreur que de reconduire le président de la Commission sortante au regard des résultats du vote du 7 juin dernier, et surtout de la désaffection de nos concitoyens.
Premièrement, le choix d’une Commission faible entérinerait la volonté de certains États de retourner à une Europe intergouvernementale. Celle-ci ne serait qu’une addition et, finalement, une confrontation d’intérêts nationaux, alors qu’il faut inventer ensemble – Conseil européen, Parlement européen et Commission européenne – de nouvelles politiques à l’échelle européenne pour répondre aux défis de demain.
Deuxièmement, il est inacceptable que le Conseil européen décide, dès cette semaine, de la nomination du président de la Commission européenne. Il faut au minimum attendre que le nouveau Parlement européen soit installé. Les nouveaux eurodéputés doivent examiner la candidature de M. Barroso au regard des engagements pris devant les électeurs et de l’existence de candidatures alternatives. Sinon, ce serait un déni de démocratie et l’abstention serait encore plus élevée au prochain renouvellement du Parlement.
Par ailleurs, il me semble préférable d’attendre l’adoption du traité de Lisbonne, qui donne un pouvoir formel de nomination au Parlement européen. Cela ferait coïncider la désignation du président de la Commission avec celle du président du Conseil européen et du Haut représentant pour la PESC, la politique étrangère et de sécurité commune, ce qui contribuerait à assurer une meilleure gouvernance de l’Europe. C’est possible puisque le mandat de la Commission ne s’achève qu’à l’automne.
Monsieur le secrétaire d'État, l’Europe intergouvernementale a correspondu à un moment historique. Il faut le dépasser par le haut, c’est-à-dire raviver l’intérêt des citoyens pour la construction européenne, afin que ceux-ci se réconcilient avec l’Europe et ses institutions et reprennent le chemin des urnes. Les choix politiques doivent pouvoir se traduire dans des politiques nouvelles, dotées d’un vrai financement, donc d’un véritable budget européen. Nous serons très attentifs à cette question, car il y va de l’avenir de la démocratie.
Nous, socialistes, sommes favorables à une Europe forte et respectée, c’est-à-dire une Europe qui tient ses engagements envers ses citoyens et ses partenaires, telle la Turquie. Depuis longtemps, les Européens appellent de leurs vœux un monde multipolaire et œuvrent à sa réalisation sur le fondement de la compréhension mutuelle par-delà les frontières et les continents. Aujourd’hui, avec le président Barack Obama, les États-Unis semblent comprendre cette aspiration. C’est le moment pour l’Europe d’assumer vraiment sa volonté d’exister ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)