compte rendu intégral
Présidence de M. Roland du Luart
vice-président
Secrétaire :
M. Daniel Raoul.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Décès d'un ancien sénateur
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue Marcel Martin, qui fut sénateur de la Meurthe-et-Moselle de 1965 à 1974.
3
Engagement de la procédure accélérée sur un projet de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur le projet de loi relatif à la réparation des conséquences sanitaires des essais nucléaires français, déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 27 mai 2009.
4
Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission des affaires sociales m’a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires.
Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.
5
Débat sur le service civil volontaire
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur le service civil volontaire, inscrit à l’ordre du jour à la demande du groupe du RDSE.
Monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, le Président de la République ayant invité à l’Élysée les membres du groupe de l’UMP, je crains que nos collègues n’aient un léger retard. Je prie donc le Sénat de bien vouloir les en excuser.
Mme Éliane Assassi. On croyait qu’ils ne s’intéressaient pas au débat !
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin, président du groupe du Rassemblement démocratique et social européen.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, le 22 février 1996, le Président de la République, Jacques Chirac, annonçait sa décision de professionnaliser les armées et de suspendre le service national.
M. Daniel Raoul. Quelle erreur !
M. Yvon Collin. La loi du 28 octobre 1997 suspendait alors le service militaire obligatoire pour les jeunes gens nés après le 31 décembre 1978 et créait par ailleurs un appel de préparation à la défense étendu aux jeunes filles.
Ainsi disparaissait une pratique vieille de plus de deux siècles sur laquelle reposait l’organisation de notre défense. Ce recours autoritaire à tous les hommes de notre pays n’avait été réellement organisé que depuis la Révolution française et assurait à nos armées les effectifs dont elle avait besoin.
C’est la loi Jourdan qui avait institué pour la première fois en France, en 1798, une conscription obligatoire : tous les Français de vingt à vingt-cinq ans, non mariés, seraient dorénavant astreints à un service militaire.
Ce service militaire avait ensuite revêtu différentes formes au cours du XIXe siècle, au gré des guerres et autres menaces qui pesaient alors sur la France, connaissant une très forte impopularité à cause, d’une part, de son coût et de ses conséquences sur les impôts prélevés et, d’autre part, de son caractère trop peu égalitaire.
Face aux critiques et aux insuffisances de ce système, grâce aux pressions de la gauche et après de très longs débats parlementaires, la loi Berteaux a institué en 1905, pour la première fois, un service militaire réellement « universel, personnel et obligatoire ». Tout au long du XXe siècle, ces principes ne seront plus remis en cause ; ils ne feront l’objet que de quelques adaptations législatives, en particulier concernant la durée du service ou certaines modalités de son exécution.
C’est seulement là que commencent réellement à apparaître le rôle social du service militaire et son apport à la construction de la nation par le rapprochement et le brassage des citoyens. Il est acquis dès lors qu’il apporte à beaucoup de jeunes citoyens de multiples bénéfices de tous ordres : détection et rattrapage des faiblesses scolaires, formation complémentaire, amélioration sanitaire ou encore début d’intégration professionnelle.
Au fil de l’évolution des impératifs liés aux besoins en effectifs des armées et aux adaptations souhaitables face aux évolutions de notre société, les différentes ouvertures faites dans les modalités d’accomplissement du service militaire ont affaibli tout doucement le rôle social de ce dernier. Devenu obsolète et très inégalitaire, il était de plus en plus vécu comme une contrainte inutile et parfois traumatisante.
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Yvon Collin. C’est pourquoi, dans les années quatre-vingt-dix, la question du passage à une armée de métier se pose avec insistance, et ce jusqu’à la décision du Président de la République en 1996. Dorénavant, les armées n’auront plus recours qu’à des militaires professionnels.
Cependant, si cette professionnalisation n’a jamais fait l’objet de contestations, la suspension de l’appel sous les drapeaux a presque immédiatement et unanimement suscité des regrets. Dans l’esprit de nombreux Français, cette conscription universelle contribuait en effet à la cohésion nationale et au brassage social et culturel, à l’apprentissage de la vie en communauté ainsi qu’à la prise de conscience par les jeunes adultes de leur appartenance à une nation – la nation française –, et donc à une communauté politique de citoyens partageant non seulement un destin commun, mais aussi des droits et des devoirs.
Pour l’historien Raoul Girardet, spécialiste de la nation et des questions militaires, la disparition du service militaire « participe sans doute de la fracture sociale ».
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Yvon Collin. C’est pourquoi le débat relatif à l’instauration d’un service civil n’a cessé de revenir depuis sur le devant de la scène. Si l’idée d’un tel service n’a pas été retenue lors de la suspension du service militaire, elle a cependant trouvé au fil du temps de plus en plus de défenseurs, y compris au sein des responsables politiques et de la jeunesse. Mais si la nécessité de développer un véritable service civil en faveur des jeunes en France fait consensus, on ne peut en dire autant des modalités et des conditions.
M. Jean-Pierre Plancade. Absolument !
M. Yvon Collin. C’est sur celles-ci que je souhaite orienter ce débat, qui ne fait manifestement pas recette cet après-midi …
Tout reste à faire pour que le service civil devienne une réalité satisfaisante pour les jeunes comme pour le pays et permette de renforcer le civisme. Loin de vouloir faire une apologie nostalgique de l’ancien service militaire, j’ai souhaité susciter ce débat au Sénat, dans le cadre de la semaine de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques, afin de connaître les intentions précises du Gouvernement sur la mise en place effective d’un service civil digne de ce nom et d’évoquer avec des représentants de tous les groupes de la Haute Assemblée, …
M. Jean-Michel Baylet. Mais il n’y a personne sur les travées de l’UMP !
M. Yvon Collin. … au-delà des clivages partisans, des pistes pour revoir en profondeur un système manifestement insatisfaisant.
Monsieur le haut-commissaire, vous avez vous-même rouvert le dossier du service civil, notamment dans le cadre des réflexions menées sur la mise en place d’une nouvelle politique en faveur des jeunes. Pouvez-vous nous donner aujourd’hui des détails sur le calendrier et le budget de votre projet, qui semble plutôt maintenir le caractère volontaire du service civil ?
Nombre de parlementaires ont défendu l’idée de la création d’un service civil qui serait obligatoire. Je ne ferai pas un inventaire à la Prévert, mais indiquerai simplement que de très nombreuses propositions de loi et questions sur ce thème ont été déposées dans les deux assemblées. Une proposition de loi socialiste a même été examinée en séance publique à l’Assemblée nationale à la fin de l’année 2003, mais elle a été rejetée faute d’accord sur les modalités du service proposé. En effet, encore une fois, c’est sur les modalités que doit porter le débat : volontaire ou obligatoire ? Long ou court ? Quelles offres proposer aux jeunes ? Comment renforcer au quotidien le sentiment de citoyenneté ? Comment faire de ce service un véritable creuset républicain ?
À la suite des émeutes survenues dans les banlieues en 2005, notamment face au malheureux constat d’échec de la politique en direction de la jeunesse qu’elles traduisaient sans doute, un dispositif de service civil volontaire, celui qui est actuellement en vigueur, a été mis en place par la loi pour l’égalité des chances du 31 mars 2006.
Ce nouveau dispositif, a minima selon moi, a pour objectif de permettre à des jeunes âgés de seize à vingt-cinq ans de s’engager pour accomplir une mission d’intérêt général pendant une période de six à douze mois dans une association, une collectivité locale ou encore un établissement public. Mais combien de jeunes potentiellement concernés sont-ils au courant de ces possibilités ?
L’idée est évidemment de tenter de recréer ainsi du lien social, de permettre à des jeunes parfois à la recherche de repères de s’engager au service des autres en acquérant, grâce à cette expérience, une éducation civique et citoyenne offrant de sérieuses perspectives d’insertion. L’objectif est bel et bien de combattre l’individualisme, qui engendre incivilité et violence et qui dilue le sentiment d’appartenance à une collectivité nationale. Mais attention, ce service ne doit pas devenir une voie de secours réservée aux seuls jeunes en situation d’échec scolaire et en mal d’insertion. Il doit être gratifiant pour le parcours du jeune. C’est le meilleur moyen de le valoriser !
Près de trois ans après le début de la mise en œuvre du dispositif, le bilan me semble décevant. Monsieur le haut-commissaire, nous attendons de votre part une lecture objective – nous vous connaissons, et nous n’avons pas d’inquiétudes à ce sujet –, ainsi qu’un bilan à la fois qualitatif et quantitatif du service civil volontaire dans sa forme actuelle. Sans doute devrez-vous également tracer des pistes concrètes pour l’avenir.
Les jeunes qui ont bénéficié de cette expérience la jugent unanimement enrichissante d’un point de vue tant professionnel que personnel et citoyen. Pour certains, ce service civil constitue une première expérience professionnelle qui leur apporte un savoir-faire. Pour tous, elle représente une ouverture sur la société avec l’acquisition d’un savoir-vivre, notamment grâce à la rencontre d’autres personnes venues de divers horizons et à l’apprentissage du civisme, ce dont – chacun en conviendra – nous avons bien besoin.
En préalable, je rappelle que ce dispositif devait concerner progressivement jusqu’à 50 000 jeunes en 2007. Or, si mes chiffres sont exacts, seuls 3 134 volontaires ont été recrutés depuis la création du dispositif. Actuellement, 2 800 jeunes seulement effectuent un service civil volontaire.
Ces chiffres portent à croire que le dispositif reste très fragile. Cela est dû à plusieurs éléments. Il semble que cette formule souffre d’un réel déficit d’information et de visibilité pour les jeunes, de la lourdeur, de la complexité et de l’opacité de ses procédures. Pour l’heure, le dispositif proposé manque également, me semble-t-il, de souplesse et d’adaptabilité. Cela rendra difficile son élargissement, réclamé par le groupe du RDSE et le parti radical de gauche, élargissement indispensable à son adaptation aux besoins de notre société.
Puisqu’il nous faudra sans aucun doute créer un nouveau dispositif pour rendre le service civil plus conforme aux attentes de chacun, des jeunes en tout premier lieu, nous devons aujourd'hui nous interroger précisément sur les différentes caractéristiques qu’il devra revêtir.
Avant tout, l’appellation même du dispositif peut faire l’objet d’un débat. Au nom du rappel symbolique des droits et des devoirs des citoyens envers leur pays, l’expression « service civique » pourrait être préférée, car elle traduit mieux le lien avec la notion de citoyenneté et, plus encore, avec celle, si chère à mon groupe, de « civisme ».
Par ailleurs, nous devons nous poser toutes les bonnes questions s’agissant de la mise en œuvre de ce service, et nous sommes ici pour le faire.
Tout d’abord, il s’agit évidemment de définir qui sera concerné par le nouveau dispositif. Aujourd'hui, personne ne semble remettre en question le fait que ce service doive s’appliquer aux hommes et aux femmes. Mais à quel âge et à quel moment de la vie ? Il conviendra également de préciser quelles seront les dispenses et leur nature.
La question de la durée du service fait ensuite débat. Pour certains, le service pourrait être scindé en plusieurs périodes. Ce fractionnement pourrait se révéler plus aisé à mettre en place, notamment d’un point de vue budgétaire. Mais une durée d’au moins six mois consécutifs permettrait à mon avis d’asseoir beaucoup plus solidement et durablement la crédibilité et l’intérêt du dispositif. Certains pourraient le prolonger par un semestre supplémentaire et effectuer ainsi un service d’un an.
Par ailleurs, il convient de réfléchir sérieusement à la nature des tâches qui seront assignées aux citoyens effectuant ce service, que nous souhaitons, je le répète, civique. Il est important de préciser les structures d’accueil où ce dernier pourrait se dérouler. Cela permettra notamment de définir qui encadrera le déroulement du service et de connaître plus précisément le montant des crédits nécessaires à la mise en place du dispositif. Une telle mesure aura un coût certain pour les caisses de l’État, mais nous sommes sans doute tous d'accord pour dire qu’il s’agit d’une très bonne cause : la formation de notre jeunesse. Il n’y a pas meilleur investissement pour un pays !
On pourrait aussi imaginer un service civique qui se déroulerait en tout ou partie à l’étranger. À l’époque du service militaire, c’étaient souvent les fils des classes aisées qui partaient en coopération. Là, il faudrait au contraire ouvrir la possibilité de partir aux jeunes issus des couches populaires. L’exemple du formidable succès du Volontariat international en entreprise ou en administration doit nous encourager dans cette voie... Il faut développer le service civique.
Ensuite, la nature de ce service devra être clairement définie. S’agira-t-il d’un nouveau « droit » comparable au droit à l’éducation par l’école ou d’un « devoir », c'est-à-dire d’une obligation dans l’intérêt de la nation, à l’image de ce que représentait le service militaire ? De la réponse à cette question découle aussi la nature des contreparties que les citoyens seront en droit d’attendre ou pas de ce service.
Au-delà d’une rémunération financière classique, qui est nécessaire – tout travail mérite salaire –, on pourrait imaginer pour les jeunes un système de validation des acquis de l’expérience et d’obtention de différents avantages, comme le permis de conduire, une formation professionnelle ou, pour leur future carrière, un bonus de points dans la fonction publique, une priorité pour les choix des postes, des facilités dans l’évolution de leur parcours et des évolutions de carrière. En résumé, cette étape doit être gratifiante. Elle pourrait aussi devenir créatrice de droits en matière de cotisations d’assurance maladie, voire de retraite. Le succès du dispositif repose sur son attractivité. Il doit être un atout, et non un handicap, pour les jeunes.
J’en viens à la principale question, qui est aussi la plus complexe. Le service civique devra-t-il être volontaire ou obligatoire ?
Actuellement, le service civil est fondé sur le volontariat. Mais des voix s’élèvent sur toutes les travées pour réclamer un service obligatoire. C’est aussi ma position.
M. Jean-Michel Baylet. Mais pas la mienne !
M. Yvon Collin. Je sais en effet que mon collègue Jean-Michel Baylet ne partage pas cette opinion !
M. Jean-Pierre Plancade. Et il a tort ! (Sourires.)
M. Yvon Collin. Nous avons eu ensemble de grands débats sur ce sujet !
M. Jean-Michel Baylet. Eh oui ! Il y a beaucoup de diversité parmi les sénateurs du Tarn-et-Garonne ! (Nouveaux sourires.)
M. Yvon Collin. Mon point de vue, je le sais, est partagé par plusieurs de nos collègues de l’opposition comme de la majorité. Je pense par exemple à Alain Chatillon, qui connait très bien ce sujet dont nous avons parlé ensemble à de nombreuses reprises.
Il est évident qu’inciter les jeunes peut parfois les aider à mûrir leurs projets. Toutefois, un service obligatoire doit être attractif et valorisant.
Idéalement, tout le monde devrait pouvoir participer à ce service et en bénéficier. En effet, c’est l’occasion de sortir de chez soi, d’apprendre la solidarité et d’aller à la rencontre des autres pour mieux se connaître soi-même. Cette aventure peut se révéler capitale et déterminante pour la suite de sa carrière et, plus largement, de sa vie. Les jeunes sortent parfois totalement transformés de ce type d’expériences très enrichissantes. Mais ne vaut-il pas mieux les encourager à s’impliquer, au lieu de les contraindre à une mission, avec le risque qu’ils la vivent comme une corvée ? C’est là que réside la réussite d’un service civique.
Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, je ne prétends pas apporter aujourd’hui des réponses à des questions aussi complexes. De nombreux spécialistes se sont déjà penchés sur le sujet, et il me paraît désormais temps de passer à l’action.
Si M. Luc Ferry, dans son rapport rendu au Président de la République au mois de septembre dernier, prône un service civique volontaire plutôt qu’obligatoire, il admet néanmoins que les deux modèles se défendent.
Quoi qu’il arrive, il faudra passer par une phase de montée en puissance du service volontaire. Cette transition nous donnera l’occasion de mieux évaluer les besoins en termes d’organisation pratique et de tester des formules pilotes permettant de proposer ensuite un dispositif de qualité et adapté.
Depuis des années, nombreux sont les jeunes qui, pour des raisons personnelles liées à leur regard sur le monde actuel et à la place qu’ils comptent y tenir, s’engagent ou voudraient s’engager, se rendre utiles, trouver leur place dans une société parfois dure envers eux, et être mieux reconnus et valorisés. Ils veulent aussi mieux préparer leur entrée sur le marché du travail. Pourtant, on ne leur offre rien d’adapté.
Mais le risque de conflit ouvert avec la jeunesse est réel si l’option d’un service obligatoire est retenue. Les sondages montrent que les jeunes n’y sont pas tous favorables. En revanche, les jeunes radicaux de gauche, pour ne citer qu’eux, adhèrent pleinement à l’idée d’un service civique obligatoire d’au moins six mois.
À l’instar de l’ancien service militaire, le service civique élargi permettrait de réaffirmer ou d’inculquer les valeurs républicaines à tous les jeunes, en particulier, mais pas seulement, à ceux qui sont issus des milieux les plus défavorisés. Les jeunes pourraient ainsi se retrouver autour du principe de fraternité, dont le sens a été profondément oublié et mis à mal ces dernières années.
Et pourquoi ne pas envisager un jour de relier ce service civique à la réalité européenne, en imaginant une formule commune à l’ensemble des jeunes citoyens européens ? Monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, à mon sens, c’est vraiment avec de telles initiatives et des projets aussi concrets que nous relancerons la construction européenne, qui en a d’ailleurs besoin... En effet, si les jeunes Français profitaient massivement, un jour, d’un service civique à l’échelle européenne, le pourcentage d’abstentions relevé lors du week-end dernier ne serait sans aucun doute plus – je suis un optimiste viscéral ! – qu’un lointain et mauvais souvenir. C’est donc la participation citoyenne et, plus largement, le civisme qui en sortiraient renforcés. N’est-ce pas là l’objectif que nous devons atteindre ? (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, il n’est évidemment pas question de refaire le débat du 27 mai dernier relatif aux travaux de la mission commune d’information sur la politique en faveur des jeunes.
Force est de le constater, monsieur le haut-commissaire, vous affichez un volontarisme que nous ne pouvons que saluer. Disant cela, je pense bien sûr au fonds d’expérimentation pour la jeunesse et à la commission de concertation.
Parmi les actions engagées en faveur des jeunes, le service civil volontaire, ou du moins ce que nous espérons qu’il devienne, devrait occuper une place de tout premier plan.
Moment d’insertion civique autant que d’insertion sur le marché du travail, temps du don de soi à la collectivité et du brassage social, un tel service pourrait être un vecteur irremplaçable de cohésion nationale. Mais il y a une condition à cela : il doit être obligatoire.
Depuis la création du dispositif dans la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, la position du groupe de l’Union centriste est claire, et elle n’a pas changé. Nous sommes favorables à un service de remplacement de la conscription. Mais, de notre point de vue, un tel service n’aura de sens que s’il concerne tous les jeunes d’une même tranche d’âge.
En d’autres termes, de « civil », le service doit devenir « civique », et de « volontaire », nous souhaitons qu’il devienne « universel ». D’ailleurs, à l’époque, nous avions déjà déposé un amendement en ce sens, qui n’a malheureusement pas été adopté.
Près de trois ans après la mise en œuvre du dispositif, le service civil volontaire apparaît comme un rendez-vous manqué, comme une mesure potentiellement bonne mais qui n’a pas pu porter ses fruits. Jusqu’à présent, ce service n’a concerné qu’un petit nombre de jeunes, principalement des jeunes en difficultés.
Dans ces conditions, il n’y a pas de brassage possible entre individus de toutes origines et de toutes conditions sociales. Plus grave encore, ce service civil volontaire, au lieu d’être un intégrateur social, est apparu, nous semble-t-il, comme un facteur supplémentaire de stigmatisation. Or, c’est exactement le contraire de l’objectif qui était poursuivi !
C’est pourquoi nous ne pouvons souscrire que partiellement aux conclusions du rapport de M. Ferry, remis le 10 septembre dernier au Président de la République. Certes, tout comme M. Ferry, nous souhaitons que le service civil monte substantiellement en puissance pour concerner beaucoup plus de jeunes. Mais, lorsque l’auteur du rapport se rallie à l’idée que le service peut demeurer facultatif, nous divergeons totalement.
En réalité, notre inquiétude est réelle, parce que l’avenir du service civil nous semble incertain. Mais peut-être nous rassurerez-vous tout à l’heure sur ce point, monsieur le haut-commissaire.
En effet, l’expérience ayant mis en exergue les insuffisances du dispositif, la question se pose de savoir si l’on ne sera pas tenté d’abandonner ce dernier, plutôt que de le renforcer.
Quelles sont ces insuffisances ?
Je dirai, au risque de me répéter, que, selon nous, la principale insuffisance du dispositif réside dans son caractère facultatif.
Ensuite, le statut mis en place paraît d’une grande faiblesse, laquelle est d’ailleurs abondamment dénoncée par les associations chargées de mettre le dispositif en œuvre. Ces dernières réclament par exemple un horaire de dix à quinze heures par semaine et un assouplissement des contraintes administratives.
Disant tout cela, je ne feins bien évidemment pas d’ignorer que la mise en place d’un véritable service civique universel aurait un coût, probablement compris entre 3 et 5 milliards d’euros, ce qui n’est pas rien. Mais ces 5 milliards d’euros pourraient être dégagés par ventilation de crédits entre le soutien à la vie associative et l’éducation. L’argument financier nous semble donc être un faux argument.
Un autre argument invoqué contre le service civique obligatoire est la difficulté de trouver chaque année 700 000 postes. Il pourrait s’agir, là encore, d’un faux argument si l’on met en balance, d’un côté, le nombre de jeunes par tranche d’âge et, de l’autre, les immenses besoins collectifs actuellement non satisfaits dans la société. Je pense, en particulier, aux services à la personne, secteur très demandeur.
Monsieur le haut-commissaire, bien loin d’être financière ou économique, la problématique du service civique universel nous paraît relever, en réalité, d’un choix de société. Sommes-nous prêts à nous donner les moyens d’enrayer le délitement du lien social, en particulier chez les jeunes ?
Tel est, à nos yeux, le véritable enjeu, auquel je ne doute pas que vous apporterez tout à l'heure nombre de réponses. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste.)
M. Jean Arthuis. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, c’est par la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances et son décret du 12 juillet 2006 que le service civil volontaire, promis en 1996 par Jacques Chirac, a été instauré.
C’est donc après une dizaine d’années de débats sur les différentes possibilités de substitution du service militaire et après les émeutes de 2005 que l’idée d’un tel service a été relancée.
Toutefois, alors que le service civil volontaire était censé concerner 50 000 jeunes à la fin de l’année 2007, ces derniers sont à peine 3 000 à s’engager annuellement, soit une part très minoritaire des 750 000 à 800 000 jeunes de la classe d’âge correspondante.
Cette situation n’est donc pas satisfaisante, et ce pour plusieurs raisons : tout d’abord, le champ d’application du service civil volontaire est très limité ; ensuite, outre les difficultés pratiques de la mise en œuvre du dispositif, le problème tient surtout à l’insuffisance des moyens financiers et humains, qui ne sont pas à la hauteur de ce qui devait être une ambition nationale. Si l’on devait appliquer le service civil à toute une classe d’âge, il en coûterait, selon les estimations, de 3 à 5 milliards d’euros par an.
Pourtant, aujourd’hui, l’idée qu’il faut renforcer le service civil volontaire semble faire son chemin.
Ainsi, la mission commune d’information du Sénat sur la politique en faveur des jeunes propose, dans son rapport rendu public le 27 mai dernier, de relancer ce dispositif afin que « 50 000 jeunes y participent chaque année », ce qui, vous l’avouerez, ne nous renvoie qu’à la case départ.
Pour notre part, nous considérons qu’il est urgent de permettre aux jeunes d’accéder à de nouveaux droits pour répondre à leurs aspirations.
C’est un constat largement partagé que, dans notre pays, les nouvelles générations vivent plus mal que celles qui les ont précédées. En effet, les jeunes sont les plus touchés par les maux de notre société, à commencer par le chômage et la précarisation de l’emploi. Les jeunes adultes sont aussi les premiers à rencontrer de grandes difficultés à se loger, à se former, à se soigner, à se déplacer, à s’épanouir... Pour le détail, je vous renvoie aux chiffres figurant dans le rapport précité.
Et quand ils travaillent, très nombreux sont les jeunes faisant partie de la catégorie que l’on appelle aujourd’hui celle des « travailleurs pauvres », puisqu’ils perçoivent un salaire leur permettant à peine de survivre.
Alors que les jeunes femmes et les jeunes hommes – 8,2 millions de jeunes âgés de seize à vingt-cinq ans – représentent l’avenir de notre société, de notre pays et, au-delà, de l’Europe et du monde, l’État investit trop peu sur leur avenir.
Pis, le discours du pouvoir en place relatif aux jeunes a trop souvent une connotation négative : il est question, entre autres, de racaille, de bandes de jeunes, de fouilles des cartables, de portiques dans les collèges et les lycées.
Dans ces conditions, comme s’étonner que 51 % des Français déclarent avoir une image négative de la jeunesse ? Il est donc urgent de changer le regard que notre société porte sur les jeunes.
Pour notre part, nous considérons que les pouvoirs publics, les responsables politiques, ont le devoir de construire avec les jeunes les réponses à leurs difficultés, à leurs besoins, à leurs aspirations.
Pour relever ces défis, nous nous prononçons en faveur d’un dispositif comprenant de nouveaux droits en faveur des jeunes en matière d’emploi, de formation, d’autonomie, de logement, de transports, de santé, de culture.
Ce sont les aspirations et les difficultés des jeunes qui constituent le point de départ de notre réflexion quant à une relance du service civil, que nous préférerions, pour notre part, nommer « service national de solidarité ».
C’est dans la même démarche en faveur des droits des jeunes que je détaillerai à présent la nature de ce que devrait être, selon nous, ce nouveau service national que nous jugeons nécessaire de généraliser, afin de parvenir à un système équitable pour tous les jeunes, contrairement à la situation qui prévaut actuellement.
Fondé sur la citoyenneté, l’égalité des droits, la solidarité et l’attention que les pouvoirs publics doivent porter aux jeunes, le service national de solidarité que nous proposons doit être construit démocratiquement : les contours et les contenus doivent en être définis avec les jeunes, leurs associations, leurs organisations et les conseils de la jeunesse.
Proposé aux jeunes femmes et aux jeunes hommes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans, y compris les résidents de nationalité étrangère, il serait effectué selon un projet élaboré avec l’intéressé au cours de la dernière année de sa scolarité ou dans les deux ans suivant l’obtention d’un diplôme sanctionnant ses études supérieures.
Avec l’instauration de ce service, l’État, les pouvoirs publics marqueraient un engagement nouveau et fort en direction des jeunes. Nous proposons à l’ensemble des jeunes une rencontre forte et utile avec l’institution, à l’âge de la majorité qui marque l’entrée dans la vie d’adulte.