compte rendu intégral
Présidence de Mme Monique Papon
vice-présidente
Secrétaires :
M. François Fortassin,
M. Jean-Noël Guérini.
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Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Débat sur les travaux de la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes
(Ordre du jour fixé par le Sénat)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle un débat sur les travaux de la mission commune d’information sur la politique en faveur des jeunes.
Point de vue de la mission
Mme la présidente. La parole est à Mme la présidente de la mission commune d’information.
Mme Raymonde Le Texier, présidente de la mission commune d’information sur la politique en faveur des jeunes. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, pourquoi une mission d’information sur la politique en faveur des jeunes ? Parce que les jeunes, ce n’est pas un concept théorique ou une catégorie statistique de l’INSEE, ce sont les 8 millions de Français qui vont prendre notre relève. Ils sont notre avenir, rien de moins ! Or la situation des 16-25 ans en France est loin d’être brillante ; elle s’aggrave, et il y a urgence !
La plupart des indicateurs de notre jeunesse sont dans le rouge : le taux de chômage dépasse les 20 % – soit plus du double du taux de chômage de l’ensemble de la population. Déjà parmi les plus élevés d’Europe, ce taux de chômage des jeunes a très fortement augmenté, avec une hausse de 34 % ces douze derniers mois. Tous contrats confondus, les perspectives d’embauches sont catastrophiques... Résultat, nous vivons dans un pays où plus d’un jeune sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté. Aussi, il n’est pas étonnant que, à l’échelle des pays riches, seule la jeunesse japonaise soit plus déprimée que la nôtre !
Pour la première fois en France, la jeune génération pense que son avenir sera plus difficile et plus sombre que celui de ses parents. Quand la sinistrose atteint ceux qui sont précisément censés rêver à des lendemains qui chantent, il n’est plus temps de s’inquiéter ; il faut agir.
Bien sûr, cette mission s’imposait, parce que, dans le contexte de crise économique majeure qui est le nôtre, la situation va empirer. D’ailleurs, tous les analystes s’accordent à dire que, malheureusement, pour les jeunes, le fond n’a pas encore été atteint.
La dimension conjoncturelle n’est pas seule en cause. Depuis trente ans, le taux de chômage des jeunes en France est supérieur à 18 %. Depuis trente ans, la situation se dégrade, plus ou moins lentement. Depuis trente ans, nous avons tenté de trouver des remèdes, mais nous avons aussi développé des problèmes structurels dans l’accompagnement, la réalisation, l’épanouissement de nos jeunes... Quand on en arrive à ce qu’une frange non négligeable de notre jeunesse doive choisir entre se loger et se nourrir, admettons-le, c’est bien que, depuis trente ans, en matière de politique des jeunes, nous nous sommes tous rendus coupables d’une certaine incompétence.
Cette mission avait donc pour double objectif de faire des propositions – je laisserai M. le rapporteur vous les exposer –, mais également de comprendre comment nous en sommes arrivés là en identifiant ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Monsieur le haut-commissaire, vous en conviendrez certainement, à cette fin, une commission et une mission lancées en parallèles ne sont pas de trop.
Avant que je n’aborde les principaux constats auxquels nous sommes parvenus, permettez-moi de vous dire quelques mots de la façon dont nous avons travaillé.
Dans un délai délibérément condensé en à peine deux mois, la mission a mené un peu plus de quatre-vingts auditions et tables rondes rencontrant, entre autres, des sociologues, des chercheurs, des représentants des employeurs, des représentants des salariés, des syndicats d’étudiants, des jeunes militants politiques, des éducateurs, des travailleurs de terrain, des jeunes réalisant un service civique, et même des ministres et un haut-commissaire ! (Sourires.)
Autant que la quantité de ces auditions et la qualité des intervenants véritablement impliqués dans leurs actions, ce qui a fait, à mes yeux au moins, l’intérêt du travail de cette mission, c’est bien l’esprit d’ouverture dont tous les membres ont su faire preuve.
Je ne vous dirai pas que nous sommes venus sans a priori – nous en avons tous –, mais il me semble que les membres de cette mission ont su les dépasser au gré des nécessités, afin de comprendre en profondeur les défaillances de notre système.
La mission a également effectué deux déplacements en province, le premier en milieu rural, à Bayeux, le second, en milieu urbain et en « banlieue », à Lyon et à Saint-Fons. S’il y a des problématiques transversales, les difficultés qu’affrontent nos jeunes ne sont pas les mêmes pour celui qui vit dans une tour, proche d’un centre d’activités, ou dans un secteur géographique plus dépeuplé.
Dès le début, malgré leur ampleur et leur complexité, nous avons choisi de traiter les thèmes qui nous semblaient centraux – formation, orientation, emploi et accès à l’emploi, ressources et autonomie financière, logement, santé, citoyenneté... – et, même si certains thèmes se sont peu à peu imposés, nous avons tenté de nous y tenir jusqu’au bout, sans très bien y parvenir. Les questions relatives à l’accès à la culture, au sport, et même à la santé, auraient mérité que nous nous y intéressions d’avantage, ce que nous n’avons pu faire, faute de temps. Il en est de même pour la difficile question de l’autonomie financière.
Aussi, les membres de la mission ont convenu de se réunir dans les semaines à venir pour aboutir à la fin du mois de juin au second tome de notre rapport, comprenant les auditions que nous avons réalisées, les débats de ce jour. Ce second tome s’intéressera également aux propositions du Livre vert de la « commission Hirsch ».
J’en viens maintenant au cœur de ce qui nous occupe aujourd’hui, à savoir les principaux constats auxquels est parvenue la mission.
L’amélioration de l’orientation est une priorité. Les membres de la mission sont unanimes sur ce point, d’autant que c’est une des premières préoccupations exprimées par les jeunes. En effet, la quasi-totalité des personnes auditionnées a dénoncé l’illisibilité des structures d’orientation et la persistance d’un paradoxe français entre la coexistence des 8 500 points d’information recensés sur le territoire, qui manifestent l’ampleur des moyens consacrés à l’orientation, et la permanence d’un sentiment général de déficit de « signalisation » des parcours de formation ou d’insertion professionnelle.
Parce que c’est là un élément déterminant, nous nous sommes demandé pourquoi l’orientation était trop souvent vécue, en France, comme un traumatisme. Contrairement à ce qui se passe dans les pays scandinaves, notre système exerce une très forte « pression » sur les jeunes ; il ne leur reconnaît pas suffisamment le droit au positionnement progressif des trajectoires.
Dans l’enseignement scolaire, l’orientation apparaît, dès le plus jeune âge, comme une cascade d’exclusions successives fondées sur des critères contestables. On a trop tendance à trier les élèves en fonction de leurs seuls résultats scolaires dans les savoirs abstraits, ce qui mine peu à peu l’estime de soi de nombreux jeunes, leur fait porter un regard négatif sur eux-mêmes, les conduit au découragement
Il faut noter encore la persistance des déterminismes sociaux, puisque l’origine sociale et les diplômes des parents continuent de peser lourdement sur l’orientation des jeunes.
En outre, de fortes disparités territoriales, une rigidité de l’offre de formation professionnelle, une orientation des élèves de la filière professionnelle largement irréversible à défaut de réelles passerelles, minent notre système.
En résumé, notre schéma d’orientation fonctionne mal et, pire, il ne laisse aucune possibilité de seconde chance. Dans la mesure où 20 % des jeunes, soit environ 150 000 personnes, sortent chaque année du système scolaire sans diplôme, nous pouvons dire – et je cite le rapport de la mission – que « notre modèle méritocratique républicain marque le pas ». Nous nous prononçons clairement pour la création d’un service public de l’orientation avec l’embauche de personnels dédiés.
Par ailleurs, la nécessité d’accentuer le rapprochement entre l’école et le monde du travail a fait l’objet du plus grand consensus au sein de notre mission.
Les possibilités de stages demeurent aujourd’hui limitées, et tant qu’elles ne seront pas organisées par les établissements sur le principe de « bourses aux stages », elles continueront de reproduire les inégalités sociales liées au milieu d’origine, puisque l’obtention d’un stage dépend aujourd’hui avant tout du réseau familial, quand il y en a un…
Plus profondément, toute la difficulté est d’insuffler dans le système éducatif et dans le monde professionnel une véritable « culture du stage » ainsi que de combattre les cloisonnements qui handicapent l’insertion des jeunes.
Évidemment, nous nous sommes également penchés sur la nécessaire valorisation des filières en alternance, qu’elles soient sous statut scolaire ou sous contrat d’apprentissage. Leur « segmentation » complique l’orientation et soulève des interrogations sur la nécessité de mutualiser les moyens de formation, notamment en zone rurale.
Il est vrai que le taux d’accession à l’emploi des jeunes issus de l’alternance sous contrat est plus élevé. Mais avant de miser sur le « tout apprentissage », comme souhaite le faire le Président de la République, il serait bon de se demander, surtout en ce moment, quelle sera la capacité d’accueil des entreprises françaises ? Comment renforcer l’attractivité des lycées professionnels ? Ou encore, comment décloisonner les différentes voies de formation par alternance ?
J’en viens au volet relatif à l’emploi des jeunes.
Dans ce domaine, je l’ai dit au début de mon intervention, le constat est alarmant : à la fin de l’année 2008, plus d’un jeune sur cinq était au chômage et l’augmentation constatée était de 34 % sur un an, notamment parce qu’un grand nombre de contrats précaires n’ont pas été renouvelés. La France est mal placée dans ce domaine car le taux de chômage des jeunes est supérieur de sept points à la moyenne de l’OCDE. Les jeunes de banlieue sont confrontés à des problèmes encore plus graves : dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, c’est-à-dire les banlieues, le taux de chômage est d’environ 40 %.
Pour sortir du chômage, les jeunes sont souvent contraints d’accepter des emplois précaires. La proportion de contrats d’intérim ou de contrats à durée déterminée chez les 16-25 ans est ainsi deux fois supérieure à la moyenne nationale. Un grand nombre de jeunes alternent contrats courts, stages, périodes de chômage et retours en formation avant de se stabiliser. Il s’écoule donc en moyenne six à sept ans entre le moment où un jeune achève ses études et celui où il décroche un contrat à durée indéterminée. Six ou sept ans, c’est un long parcours du combattant, inacceptable pour nous.
Les raisons de ce constat sont sans doute multiples. La mission en a fait émerger plusieurs parmi lesquelles le concept de « culture d’entreprise ».
Il n’est pas normal que ceux qui s’occupent d’éducation, de formation et d’orientation n’aient aucune notion de la « culture d’entreprise ». Ces deux mondes doivent apprendre à se rencontrer et à échanger.
Il n’est pas normal que les entreprises soient, elles aussi, atteintes de la « diplômite » aiguë, ne valorisant que le diplôme ou le parcours de formation sans faute, au détriment du savoir-faire, du savoir-être et du parcours personnel du candidat, valorisé au contraire de façon intéressante dans les pays du nord de l’Europe.
Il n’est pas non plus normal que nombre d’entreprises s’autorisent à proposer à un jeune diplômé un stage plutôt qu’un contrat de travail. Nous évoquons là un changement de paradigme qui amènerait nos entreprises à se sentir concernées par l’entrée des jeunes dans la vie professionnelle.
Nous nous sommes aussi préoccupés des ressources financières des jeunes et de la question plus générale de leur autonomie.
Plusieurs sociologues auditionnés par la mission ont souligné le décalage croissant entre une aspiration à l’indépendance personnelle plus précoce des jeunes et une autonomie financière rendue plus tardive par l’allongement de la durée des études et la précarisation des emplois.
À défaut de consensus tant sur le concept d’autonomie même que sur les moyens d’y arriver, les aides publiques aux jeunes sont toutefois plus que jamais nécessaires pour remédier à l’inégalité des chances et pour les aider à s’insérer dans une société où les nouveaux entrants sont structurellement désavantagés, notamment en raison des caractéristiques du marché du travail ou du marché du logement. En d’autres termes, les jeunes sont victimes d’inégalités criantes et ils ont besoin d’une solidarité intergénérationnelle organisée et mutualisée.
Pour répondre aux difficultés des jeunes, des dispositifs différenciés ont été mis en place selon qu’ils poursuivent ou non un cursus de formation.
Pour les étudiants, si des bourses sont versées à environ 525 000 d’entre eux, leurs montants limités ne suffisent pas à répondre à la problématique de l’autonomie.
Pour les jeunes inactifs non étudiants, la situation est encore pire puisque les seules aides existantes consistent en l’addition de dispositifs ponctuels et peu diffusés tels le contrat d’insertion dans la vie sociale, le CIVIS, 366 euros par an en moyenne, ou le contrat d’autonomie, 300 euros pendant six mois. Pourquoi un tel vide ? La France est l’un des trois seuls pays de l’OCDE qui exclut les moins de 25 ans des minima sociaux. C’est bien une dimension centrale des politiques en faveur des jeunes qu’il faudra envisager de front à court terme.
Il me semble important de rappeler ici que le préambule de la Constitution prévoit le droit pour chacun à des moyens convenables d’existence. Il faudra bien avancer sur cette difficile question de l’autonomie financière des jeunes. La mission entend donc poursuivre ses travaux sur ce point pendant le mois de juin.
L’accès au logement constitue également un élément clé de l’accès à l’autonomie des jeunes. En effet, 57 % des 16-25 ans vivent encore chez leurs parents et force est de constater que l’offre de logements adaptée aux jeunes est très largement insuffisante, comme l’offre générale d’ailleurs.
Le parc du CROUS – centre régional des œuvres universitaires et scolaires – n’offre que 157 000 logements pour 2,3 millions d’étudiants.
Les foyers de jeunes travailleurs ne disposent que de 40 000 places pour loger les quelque 600 000 jeunes en formation en alternance et près de 800 000 jeunes travailleurs en situation précaire.
Le parc social présente l’inconvénient de n’offrir que très peu de logements de petite taille, avec des délais d’attente compris entre six et vingt-quatre mois dans certaines zones tendues, peu compatibles avec la mobilité des jeunes.
Enfin, alors que 58 % des jeunes sont locataires dans le parc privé, l’accès à un logement s’apparente de nouveau à un « véritable parcours du combattant » s’ils ne bénéficient pas de l’aide de leurs parents.
Enfin, mes chers collègues, pour terminer sur une note plus personnelle, je voudrais partager avec vous deux ou trois impressions qui m’ont le plus marquée au cours de cette mission.
Que ce soit lors des auditions ou lors des déplacements sur le terrain en province, à Bayeux et à Saint-Fons, j’ai été frappée, pour tout dire impressionnée, par l’implication de nos interlocuteurs.
Les professionnels que nous avons rencontrés sont motivés, innovants, créatifs, ayant tous mené une réflexion approfondie sur leur action et conscients de l’importance des enjeux. Les jeunes que nous avons rencontrés, qu’ils soient étudiants, travailleurs ou en recherche d’emploi, malgré des parcours très différents, étaient manifestement avides d’être entendus, pressés de témoigner, et, bien souvent, si elles étaient empreintes d’une certaine désillusion, leurs analyses étaient éclairantes et étonnantes de maturité.
À Bayeux, nous avons rencontré au Pôle emploi une douzaine de jeunes regroupés pour un bilan sur leur recherche d’emploi déjà ancienne.
Pour la plupart sans qualification, avec des histoires de vie difficiles et une série d’échecs scolaires, précisément victimes de ce système d’exclusion par l’échec que j’évoquais précédemment, ces jeunes nous ont dit comment ils persévèrent, s’acharnent même, pour tenter de s’en sortir.
Nous avons tous été vraiment remués par cette rencontre. Nous avions face à nous une France qui se lève tôt pour essayer désespérément de trouver sa place dans la société.
Enfin, concernant les 150 000 jeunes qui sortent chaque année du système sans formation, je tiens à dire à quel point j’ai été frappée par le nombre de professionnels qui nous ont expliqué qu’avant même de penser formation ou emploi, il s’agissait de les « réparer », de les persuader qu’ils étaient capables de réussir quelque chose.
Lorsque ces propos sont tenus par des associations d’éducation populaire ou des missions locales, ce regard, cette approche sont considérés comme normaux ; mais ces mêmes propos sont tenus par le représentant de l’Établissement public d’insertion de la défense, l’EPIDE, un militaire de carrière, qui raconte : « Quand un jeune arrive chez nous, il nous dit “je suis une merde” et notre premier travail va consister à lui permettre de réussir enfin quelque chose. » Lorsqu’on entend cela, on se dit qu’il est grand temps d’agir.
Le rapport de la mission n’a pas été adopté par l’ensemble des membres, mais tous nous refusons qu’un jeune sorte du système scolaire sans aucune reconnaissance d’un savoir-faire ou d’un savoir-être ; nous refusons que des jeunes diplômés mettent presque dix ans à stabiliser leur vie professionnelle, donc leur vie personnelle ; nous refusons qu’un jeune ait à choisir entre se loger et manger.
C’est cette ambition qui nous a fédérés et je terminerai en disant à chaque membre de la mission, ainsi qu’aux collaborateurs qui nous ont assistés, que j’ai vécu à l’occasion de cette étude deux mois passionnants, et je ne doute pas que notre travail sera encore enrichi par les échanges que nous aurons aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Demuynck, rapporteur de la mission commune d’information sur la politique en faveur des jeunes. Madame la présidente, monsieur le haut-commissaire, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à me réjouir de l’organisation de ce débat en séance publique. Nos nouvelles pratiques parlementaires nous permettent ainsi de débattre tous ensemble des sujets de préoccupations qui ont inspiré les travaux de notre mission commune d’information, avant même que le rapport ne soit rendu public, ce qu’il sera demain.
Comme l’a indiqué Mme Le Texier, de nombreuses raisons justifiaient que le Sénat se penche sur la situation des jeunes. Nous avons aussi voulu contribuer, en amont, à la concertation que vous avez engagée, monsieur le haut- commissaire.
Enfin, nous jugeons indispensable que le regard de la société sur la jeunesse change car elle pâtit de l’image négative souvent véhiculée par les médias, notamment à travers la mise en avant d’épiphénomènes de violence qui ne concernent qu’une infime minorité. Cela ne doit pas faire oublier le message transmis par les représentants des radios très écoutées par les jeunes entendus par la mission.
Aux questions : « Quels sont les attentes et les besoins des jeunes d’après vous et comment les pouvoirs publics pourraient-ils s’adresser plus efficacement à eux ? », ils répondent que les jeunes ont besoin de sincérité, de proximité, de respect, mais aussi de repères et d’autorité leur donnant un cadre. Ils ont une forte envie d’explications les aidant à comprendre le monde dans lequel ils évoluent et celui qui les attend. Ils ont envie de dialoguer, mais il faut absolument éviter l’écueil du jeunisme !
C’est avec cette envie d’aider notre société à retisser les fils intergénérationnels, d’écouter, de dialoguer avec les jeunes et de fixer de nouveaux cadres pour une société plus positive et accueillante à leur égard que notre mission a conduit ses travaux.
Quelles sont nos propositions ? Sans être exhaustif, j’en évoquerai les principales.
Tout d’abord, pour renforcer l’efficacité de l’orientation, la mission préconise un ensemble cohérent de recommandations.
S’agissant des structures, et dans le prolongement de la création de la Délégation interministérielle à l’orientation, nous estimons souhaitable de créer un véritable service public de l’orientation et de généraliser les plateformes multiservices d’information régionales exerçant une fonction d’aiguillage vers les dispositifs existants.
En ce qui concerne la méthode, nous proposons de développer les démarches volontaristes de soutien à l’orientation et d’accompagnement des jeunes les plus en difficulté, y compris en les contactant à leur domicile, comme le font, par exemple, les Danois.
S’agissant des personnels, la mission estime qu’il convient de fonder la formation et le recrutement des conseillers d’orientation sur la connaissance concrète du monde du travail et d’organiser un recrutement au « tour extérieur » de nouveaux conseillers d’orientation ouvert à d’anciens professeurs ou à des personnes issues du monde de l’entreprise.
Enfin, mieux informer et sensibiliser les jeunes à l’égard des métiers en tension qui connaissent des difficultés de recrutement nous apparaît comme une mesure de bon sens.
En matière d’orientation, tout se joue en réalité dès le primaire. Même si notre mission ne devait pas évoquer les problèmes de l’enseignement, nous avons estimé nécessaire de faire un point sur ce sujet particulier et nous avons jugé essentiel de combattre les « décrochages » scolaires dès le plus jeune âge, notamment en dédoublant les cours d’apprentissage de la lecture en cours préparatoire.
De façon plus globale, on ne pourra réduire le traumatisme de l’orientation qu’en s’attaquant aux principaux défauts de notre « modèle méritocratique républicain », dont la rigidité explique le malaise de bien des jeunes.
Nous soulignons l’importance qui s’attache, tout d’abord, à reconnaître aux jeunes le droit à la différenciation des parcours, en développant les passerelles entre les différentes voies de formation, pour faciliter les réorientations et les reprises d’études.
Dans la même logique, nous recommandons de « semestrialiser » ou de « trimestrialiser » la durée des formations en lycée professionnel.
Il est en même temps essentiel de garantir à chaque jeune, en particulier à celui qui s’engage dans une formation professionnelle courte, une possibilité ultérieure de reprise d’études.
Enfin, pour mettre un terme aux sorties du système éducatif sans aucun diplôme et en finir avec la logique actuelle du « tout ou rien », la mission appelle très solennellement à évaluer et à identifier les compétences ainsi que les acquis scolaires de tous les élèves et à leur délivrer une certification ou une attestation. Il faut valoriser non seulement les savoirs, mais aussi les savoir-faire et les savoir-être.
Le rapprochement du monde éducatif et du monde professionnel est une sorte de « serpent de mer » : au fil du temps, nous sommes passés de l’incantation à l’affichage de principes ; pour parfaire leur mise en œuvre, la mission propose plusieurs mesures concrètes.
Pour rendre les stages des jeunes plus accessibles et plus formateurs, nous souhaitons que les établissements d’enseignement scolaire et universitaire organisent des « bourses de stages », afin de favoriser l’égalité des chances et, pour ce faire, d’intensifier les partenariats avec les employeurs et le service public de l’emploi.
Nous préconisons de labelliser et de valoriser les entreprises et les collectivités publiques qui se mobilisent pour accueillir des stagiaires et proposent un accompagnement de qualité. Nous proposons aussi d’insuffler la « culture du stage » au sein des entreprises, dans l’intérêt bien compris de développement du vivier de recrutement de leur entreprise.
La mission commune d’information recommande aussi de rendre obligatoires, pour l’ensemble des enseignants et des personnels d’orientation, des stages d’immersion en entreprise, dans le secteur public ou dans l’enseignement professionnel, et d’encourager l’intégration des professionnels de terrain dans l’enseignement secondaire, en tant que conférenciers, référents, représentants au sein du conseil d’administration ou formateurs.
Constatant que le développement de la formation en alternance est l’un des moyens les plus efficaces pour favoriser l’accès des jeunes à l’emploi, la mission commune d’information estime nécessaire d’encourager l’entreprise à devenir plus « formatrice » sans, pour autant, se limiter à s’acquitter de prélèvements destinés à financer des organismes de formation.
Souscrivant ainsi au principe qui a guidé l’annonce, par le Président de la République, d’un plan de soutien à l’alternance sous contrat, chiffré à 1,3 milliard d’euros, la mission commune d’information a identifié, sur le terrain, quelques mesures complémentaires utiles.
Elle appelle ainsi à veiller à ce que les incitations à la signature de nouveaux contrats de professionnalisation puissent bénéficier aux jeunes non diplômés. Elle demande également de sécuriser le financement des centres de formation d’apprentis, les CFA, en simplifiant et en recentrant sur sa fonction essentielle le système d’affectation de la taxe d’apprentissage. Par ailleurs, elle estime légitime d’améliorer le statut des apprentis en alignant les avantages conférés par la carte d’apprenti sur ceux de la carte d’étudiant ou en fusionnant les deux documents.
Au-delà de ces mesures de soutien conjoncturel, la mission commune d’information préconise de poursuivre deux combats difficiles, mais exaltants.
Tout d’abord, nous proposons la constitution de pôles d’excellence à partir de certaines formations professionnelles existantes et la création de grandes écoles professionnelles accessibles aux bacheliers professionnels ou technologiques, afin de renforcer l’image et l’attractivité de cette filière.
Plus fondamentalement, la mission commune d’information milite pour le décloisonnement des voies d’alternance et la mutualisation de leurs moyens pédagogiques et financiers.
Dans cette logique, elle recommande la constitution de campus de formation intégrant l’hébergement des jeunes et remplissant une fonction de « brassage social » susceptible d’abolir les frontières entre le monde scolaire ou universitaire et le monde du travail.
La mission commune d’information préconise de porter le nombre des écoles de la deuxième chance à une centaine, avec au moins un site-école par département, et de mettre en place un internat dans les départements ruraux ou les plus défavorisés.
En outre, nous proposons d’explorer plusieurs pistes pour améliorer l’insertion professionnelle des jeunes.
Tout d’abord, le service public de l’emploi doit accompagner les jeunes. Il nous paraît essentiel de renforcer sa coordination avec l’éducation nationale, afin que les jeunes qui quittent le système scolaire sans formation bénéficient, dans les meilleurs délais, d’un suivi assuré notamment par les missions locales.
Les missions locales jouent un rôle irremplaçable au service des jeunes, et nous proposons de les renforcer, notamment en rapprochant leur réseau de celui des points d’information jeunesse.
Le travail des missions locales doit bien sûr être évalué, car les résultats sont inévitablement contrastés dans un réseau qui compte près de 500 structures. Selon nous, cette évaluation doit être fondée sur les résultats obtenus en matière d’insertion professionnelle des jeunes plutôt que sur une approche quantitative conduisant à dénombrer le nombre d’entretiens ayant eu lieu au cours d’une année.
Le travail des missions locales doit être complété par celui des autres opérateurs, Pôle emploi bien sûr, mais aussi les associations spécialisées et les opérateurs privés, qui ont été récemment mis à contribution pour lancer le contrat d’autonomie.
Les expériences de mise en relation directe des employeurs et des demandeurs d’emploi devraient être multipliées dans la mesure où elles permettent souvent de lever les préjugés qui peuvent exister de part et d’autre.
Nos déplacements sur le terrain nous ont également permis de mesurer à quel point les problèmes de mobilité peuvent faire obstacle à l’insertion professionnelle de nombreux demandeurs d’emploi. Les actions menées en ce domaine doivent donc être encore amplifiées, notamment pour faciliter l’accès au permis de conduire des jeunes les plus en difficulté.
Ensuite, il convient de généraliser la pratique des stages dans toutes les filières de formation tant pour les élèves du secondaire qui en ont besoin pour affiner leurs choix d’orientation qu’au niveau de la licence, afin que chaque étudiant ait un minimum d’expérience professionnelle au moment de l’obtention de son diplôme.
Parallèlement, nous proposons de compléter la réglementation applicable pour lutter contre la pratique des stages hors cursus, qui conduit des jeunes à s’inscrire fictivement à l’université pour obtenir une convention de stage. De plus, il est indispensable que les établissements d’enseignement s’investissent davantage dans la recherche et l’organisation de l’offre de stages.
Pour les jeunes les plus éloignés de l’emploi, des dispositifs spécifiques doivent être mobilisés. Il faut faire preuve de pragmatisme en la matière et recourir à tous les outils disponibles, y compris les contrats aidés dans le secteur non marchand. Mon expérience d’élu local, que partagent d’ailleurs nombre de participants à cette mission, m’a convaincu qu’il est possible d’accueillir un jeune dans une collectivité territoriale, de le former et de le réinsérer ensuite dans le secteur privé où il pourra valoriser ses compétences acquises.
De ce point de vue, la proposition du Président de la République de financer, cette année, 30 000 contrats aidés supplémentaires dans le secteur non marchand et 50 000 autres dans le secteur marchand, en privilégiant les secteurs porteurs, nous paraît aller dans le bon sens. Je rappelle que ces contrats s’ajoutent aux 300 000 contrats déjà prévus dans le budget de 2009. Ils devraient permettre d’atténuer l’effet de la crise sur l’insertion professionnelle des jeunes qui sortiront du système scolaire en cours d’année.
La mission commune d’information estime que les nombreux dispositifs d’aides aux jeunes mis en place et réformés au fil des années sont trop épars, et sans doute globalement insuffisants. Or l’autonomie des jeunes doit être accrue, non pas dans une logique d’assistanat, mais dans l’objectif de garantir l’accès de tous à une formation, puis à un emploi.
Dans ce contexte, nous avons décidé de ne pas statuer sur ce sujet et nous nous donnons encore un mois pour formuler des propositions précises. Toutefois, nous n’écartons aucune piste.
Deux modèles ont notamment retenu notre attention.
Il s’agit tout d’abord des pays d’Europe du Nord, où existent des droits de tirage pour le financement des périodes de formation, financés par une combinaison de bourses et de prêts ; notre rapport présente ces dispositifs en annexe.
Ensuite, l’idée de dotations en capital pour les jeunes, évoquée notamment par M. Luc Ferry devant la mission et analysée dans un récent rapport du Centre d’analyse stratégique, est également séduisante. De tels systèmes existent, par exemple, au Royaume-Uni et au Canada.
Ces modèles ne sont évidemment pas totalement transposables, ni exempts de défauts. Leur mise en place nécessiterait des expérimentations préalables ; il nous faut donc y réfléchir pour le moyen terme.
En tout état de cause, la solution proposée sera coûteuse. C’est ainsi que je propose, à titre personnel et de manière exceptionnelle en cette période de crise, de réduire la portée du bouclier fiscal pour faire participer ses bénéficiaires à l’effort en direction de notre jeunesse. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
Dans l’immédiat, la mission commune d’information a souligné la nécessité de concentrer les efforts de façon ciblée, en tenant compte des besoins concrets des jeunes, afin de faciliter une insertion de ceux qui sont en plus grande difficulté.
Un suivi individualisé de chaque jeune en difficulté est nécessaire, afin d’identifier la nature de l’aide à lui apporter : aide au logement, aide à la mobilité, financement d’une formation spécifique. Des dispositifs tels que le Fonds pour l’insertion professionnelle des jeunes, le FIPJ, ou encore l’allocation CIVIS répondent à cette problématique, mais leurs montants sont pour l’heure insuffisants. Nous proposons donc d’abonder le FIPJ à hauteur de 50 millions d’euros, afin de combler la réduction de ces crédits.
À court terme, la mission commune d’information suggère, par ailleurs, de s’orienter vers une amélioration des systèmes de bourses et de prêts de la façon suivante : en attribuant les bourses pendant dix mois plutôt que neuf ; en allouant des aides supplémentaires pour les formations dans les secteurs en tension ; en ouvrant le prêt étudiant garanti par l’État aux apprentis ; en transformant ce prêt en une avance remboursable garantie à 100 % par l’État afin de permettre à tous les jeunes étudiants et apprentis d’y accéder, à taux très réduits, avec un remboursement différé jusqu’à l’obtention d’un emploi stable et conditionnel aux revenus.
Enfin, la mission commune d’information présente plusieurs orientations de nature à favoriser la mobilité des jeunes.
Concernant le logement, il s’agit à la fois de développer l’offre de logements en direction des jeunes et de sécuriser leur parcours résidentiel.
Parmi les mesures que nous préconisons, je citerai en particulier : l’augmentation, si nécessaire, de la part des logements sociaux de petite taille, de type studio ou T1, dans les nouveaux programmes ; le développement de l’offre dans les foyers de jeunes travailleurs et les résidences hôtelières à vocation sociale, ainsi que la mise à disposition prioritaire de « logements passerelles » pour les jeunes actifs venant de décrocher un emploi.
Nous proposons également de promouvoir des formules innovantes de logement pour les jeunes, telles que la colocation, le logement intergénérationnel et les dispositifs d’intermédiation locative.
Enfin, il convient de mieux adapter les aides au logement à la situation des jeunes, en prévoyant une révision trimestrielle du montant des aides pour mieux prendre en compte l’évolution des ressources, en n’incluant pas une partie des revenus des étudiants qui travaillent pour financer leurs études, en offrant des aides journalières ou hebdomadaires et la possibilité de couvrir le coût de deux logements pour les jeunes engagés dans une formation en alternance.
Pour ce qui concerne la santé, la mission commune d’information souscrit pleinement aux orientations du plan « Santé des jeunes », lancé au mois de février 2008, et souhaite que sa mise en œuvre se poursuive. Il semble toutefois qu’un effort supplémentaire doit être consenti, d’une part, pour mieux former les médecins à la prévention des comportements à risques – addictions, dérives alimentaires, etc. – et, d’autre part, pour améliorer le recours aux soins et la couverture complémentaire santé des jeunes, en accordant aux étudiants boursiers et à tous les jeunes en situation précaire un « chèque santé » permettant de financer au moins 75 % du coût de leur complémentaire santé.
Par ailleurs, la mission commune d’information souhaite le renforcement du dispositif existant du service civil en lançant une campagne de promotion du service volontaire, en assurant une enveloppe budgétaire suffisante pour 50 000 jeunes et en inscrivant le service civil dans la validation des acquis de l’expérience.
Par ailleurs, la journée d’appel de préparation à la défense, qui a succédé au service militaire, devrait être musclée par l’introduction du bilan de santé prévu par le « Plan santé » et par un renforcement des partenariats avec les missions locales.