Mme la présidente. La parole est à M. Jacky Le Menn, sur l'article.
M. Jacky Le Menn. Madame la ministre, avec cet article, nous parvenons au cœur de votre réforme sur l’hôpital.
Hier soir, vous vous êtes efforcée de détricoter les positions de la commission des affaires sociales, pourtant établies après de sérieuses discussions. Nous avions nous-mêmes retiré un certain nombre d’amendements afin de présenter en séance ceux qui, sur les conseils de surveillance, pouvaient recueillir un consensus a minima.
Vous avez défendu vos positions avec brio, et même avec une certaine gourmandise, madame la ministre. J’en veux pour preuve votre saillie contre les « ONDAM de gauche », dont nous devrons, sans doute en d’autres lieux, faire l’anamnèse, car nous n’en avons pas eu le temps hier soir !
Par ailleurs, contrairement à ce que vous avez prétendu – j’en veux pour preuve la lecture du compte rendu analytique –, je n’ai pas critiqué les directeurs d’hôpitaux, j’ai critiqué le système.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C’eût été une autocritique !
M. Jacky Le Menn. Pendant plusieurs années, j’ai été membre du jury du concours d’entrée à l’ENSP de Rennes. Parmi les candidats qui se présentaient au concours externe de directeur d’hôpital, et dont beaucoup étaient de brillants étudiants de Sciences Po, j’essayais surtout de repérer ceux dont l’épine dorsale n’était pas trop souple ! Ces fonctionnaires doivent en effet faire office de médiateurs entre, d’une part, la politique nationale de santé, qu’il faut bien mettre en œuvre et, d’autre part, la réalité des collectivités locales dans lesquelles ils exercent.
Je sais bien, madame la ministre, que vos proches collaborateurs sont essentiellement inspirés par la pensée des économistes libéraux de la santé, notamment par celle du professeur Claude Le Pen. Ils devraient s’intéresser également aux travaux des sociologues nord-américains, particulièrement à ceux, bien connus, d’Harry Mintzberg sur les institutions et les organisations. Ils découvriraient que les hôpitaux, comme les universités, sont des bureaucraties professionnelles, qui recouvrent un concept très précis en termes de direction et de gestion.
En l’occurrence, dans les hôpitaux, ce sont les médecins et les soignants qui sont au contact direct de la réalité, ou du produit, selon la terminologie du professeur Claude Le Pen.
M. François Autain. Le marché !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C’est le diable !
M. Jacky Le Menn. La conception de l’hôpital change radicalement si l’on intègre la notion de bureaucratie professionnelle. Comme je l’expliquais lors de la discussion générale, cette théorie vise à rechercher un équilibre au moyen de régulations souples et de jeux coopératifs dans lesquels tout le monde se retrouve.
C’est évidemment bien loin de votre schéma bonapartiste dans lequel le chef, au plus haut niveau, décide de tout,…
M. Guy Fischer. Et le chef, c’est Nicolas !
M. Jacky Le Menn. …et les petits chefs s’efforcent d’appliquer ses directives.
Je pense, madame la ministre, que mes jeunes collègues directeurs d’hôpitaux ne supporteront pas très longtemps ce modus operandi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste – M. François Autain applaudit également.)
M. Jean Desessard. Voilà une belle intervention !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je me permets tout d’abord de vous saluer et de vous souhaiter une bonne journée de travail.
M. Guy Fischer. N’essayez pas de nous amadouer !
M. Alain Milon, rapporteur. Cet article 6 a pour objet de définir les compétences et la composition du nouveau directoire des établissements publics de santé, que le projet de loi dote d’une compétence consultative, ainsi que les pouvoirs du directeur, qui devient titulaire de tous les pouvoirs de décision de l’ancien conseil d’administration non conservés par le conseil de surveillance.
Comme la commission Larcher, qui avait observé « qu’un équilibre des compétences plus affirmé entre le conseil de surveillance, le directoire et le directeur offrirait à celui-ci un meilleur appui dans la mise en œuvre de sa politique pour l’établissement », notre commission a précisé que les directeurs seront nommés, par arrêté du directeur général du centre national de gestion, sur une liste comportant trois noms de candidats proposés par le directeur général de l’ARS, après avis du président du conseil de surveillance ; que le directeur sera entendu par le conseil de surveillance à sa demande ou à celle du conseil ; qu’une décision conjointe du directeur et du président de la commission médicale d’établissement, la CME, permettra de mettre en œuvre la politique d’amélioration continue de la qualité et de la sécurité des soins ainsi que des conditions d’accueil et de prise en charge des usagers ; enfin, que le président de la CME devra être consulté sur les projets d’investissement concernant des équipements médicaux.
En ce qui concerne les prérogatives du président de la CME, la commission a précisé que ce dernier élaborera le projet médical d’établissement et qu’il coordonnera avec le directeur la politique médicale de celui-ci.
Elle a prévu également que le directoire approuvera le projet médical et préparera le projet d’établissement, en prenant notamment en compte le projet de soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques.
Sur la composition du directoire, la commission a adopté une nouvelle rédaction mentionnant, entre autres précisions, que les sages-femmes auront vocation à être incluses dans la représentation des membres du personnel médical de l’établissement.
Elle a également intégré des dispositions spécifiques pour les directoires des CHU, en adjoignant à ces derniers deux vice-présidents et en prévoyant que la nomination comme la révocation des membres du directoire seront de la compétence du directeur, après consultation du président de la CME.
Telles sont, en guise d’introduction à cet article 6, les conclusions des travaux de la commission.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous adresse à mon tour, en ce début de journée, mes salutations et mes vœux de bon travail.
Cet article 6 comporte plusieurs volets relatifs à la gouvernance de l’hôpital, aux procédures de nomination et aux règles relatives à l’administration provisoire des établissements publics de santé.
Je souhaite que nous renoncions aux approches manichéennes et simplistes qui opposent de manière absurde les « méchants directeurs » aux « bons médecins ». (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Bernard Cazeau. Nous n’avons jamais dit cela !
M. Guy Fischer. Vous caricaturez !
M. François Autain. Vous déformez la réalité !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Il vaudrait mieux parler des hommes et des femmes qui œuvrent pour la santé publique.
Les directeurs d’hôpitaux sont des fonctionnaires de haute qualité, et nombre d’entre eux ont beaucoup souffert des procès qui leur ont été intentés.
M. Guy Fischer. Lesquels ?
M. François Autain. Vous voulez en faire des fusibles !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Un directeur d’hôpital n’a rien à voir avec un chef d’entreprise. Un hôpital n’est pas une entreprise : il ne fait ni bénéfices, ni chiffre d’affaires, et ne peut avoir d’autre objectif que celui d’appliquer un projet de soins. Cela n’empêche pas de gérer au mieux ses finances.
Les ressources de l’hôpital proviennent en effet de la solidarité nationale : elles sont assurées à près de 95 % par l’assurance maladie – 45 % du financement étant assuré par les cotisations assises sur les salaires, 37 % par un impôt remarquable, créé par la gauche et acquitté par l’ensemble de nos concitoyens, même les plus modestes, contrairement à l’impôt sur le revenu, le reste par des taxes affectées comme les taxes sur le tabac et l’alcool.
M. François Autain. Pour une fois que la gauche fait quelque chose de remarquable !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Il est donc normal que l’ensemble des responsables politiques et administratifs rendent compte à l’euro près de la manière dont est dépensé l’argent que leur confient nos concitoyens.
Plusieurs centaines d’acteurs de la vie hospitalière – médecins, directeurs, présidents d’association, élus, personnels hospitaliers – ont été auditionnés par la commission dirigée par Gérard Larcher, alors qu’il n’était pas encore président du Sénat.
M. Guy Fischer. Nous n’avons pas été entendus !
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Cette commission s’est accordée sur le fait que la difficulté à prendre des décisions constituait aujourd’hui le principal obstacle à l’évolution de l’hôpital. De leur côté, nos concitoyens souhaitent légitimement que l’hôpital soit une structure dynamique et réactive, à la pointe des évolutions sociologiques et techniques.
C’est pourquoi cet article vise à donner à l’hôpital les moyens de mieux répondre aux besoins de nos concitoyens.
Le pilotage des hôpitaux publics sera facilité par le renforcement de l’autonomie du chef d’établissement. Président du directoire, le directeur pourra prendre des décisions rapidement, répondre aux attentes des médecins qui souhaitent faire évoluer leurs pratiques, passer des conventions, adapter les activités de soins. Dans cette optique, le directeur dispose de pouvoirs renforcés en matière de gestion.
Le vice-président de droit de ce directoire est le président de la commission médicale d’établissement, et les médecins y seront majoritaires : l’organe de pilotage d’un hôpital est composé majoritairement de personnes issues du corps médical. Sa composition a été resserrée pour garantir l’efficacité du pilotage des hôpitaux.
Dans les CHU, le président de la CME sera le premier – et non le seul – vice-président ; il sera accompagné d’un vice-président doyen, directeur de l’unité de formation et de recherche, ainsi que d’un vice-président chargé de la recherche. Nous pourrons examiner ensemble les conditions de choix de ce vice-président chargé de la recherche, car il sera évidemment à la confluence de l’hôpital et de l’université.
Le directeur pourra également s’appuyer sur des chaînes de responsabilité clarifiées et des circuits décisionnels déconcentrés au niveau des pôles. Nous examinerons ces différents points à l’article 8.
Globalement, ce texte, tel que la commission l’a modifié, porte une ambition de gouvernance unie. Tout est réuni autour de ces nouveaux outils de pilotage pour susciter une gestion médicalisée de l’hôpital.
Je voudrais également insister sur le souci qui nous a animés tout au long de ces travaux de prendre en compte les particularités d’organisation des centres hospitaliers universitaires. Nous aurons l’occasion d’examiner un certain nombre d’ajustements concernant la nomination des membres de leur directoire, la prise de décision au sein de celui-ci, les prérogatives du directeur en matière de coopération, les relations entre le directeur et le conseil de surveillance et l’élaboration du projet médical.
En effet, le directeur doit être pleinement responsable et, ce qui est bien normal, répondre de ses actes devant l’État, représenté par le directeur général de l’ARS. La santé est une fonction régalienne et, comme je le rappelais hier, c’est bien le ministre de la santé et le Gouvernement qui sont interpellés sur tous ces sujets. Le directeur, délégataire de ce pouvoir, doit être en capacité d’exercer son autorité et d’assumer ses décisions. Comment le pourrait-il s’il n’avait pas un droit de regard sur un domaine aussi essentiel pour l’hôpital que le projet médical, lequel, bien évidemment, est élaboré par la communauté médicale ?
Le président de la CME est une haute autorité médicale et il est au cœur du dispositif ; le destituer de son rôle affaiblirait l’hôpital. Il assure la continuité et la cohérence du projet médical. Il n’a pas à se trouver en position d’autorité par rapport à ses pairs. Ceux-ci l’ayant élu, il jouit d’un statut particulier. Son autorité morale sera d’autant plus grande qu’il sera libre. Les décisions d’autorité seront assumées par le directeur.
Ces questions seront au cœur de notre débat.
Le projet de loi modifie le mode de désignation des directeurs des hôpitaux. Pour répondre à la question de M. Sueur, je précise que tous les directeurs des centres hospitaliers régionaux et universitaires seront désormais nommés par décret pris en conseil des ministres, sur le rapport des ministres concernés, parmi les personnels hospitalo-universitaires ou les fonctionnaires hospitaliers ou contractuels ayant validé des modalités de cursus commun. Il ne s’agit pas de choisir dans ce cadre des hommes ou des femmes qui n’auraient pas des formations pointues en matière de santé publique.
Les directeurs des autres hôpitaux seront nommés par le directeur général du Centre national de gestion, parmi une liste de trois noms proposés par le directeur général de l’agence régionale de santé et après avis du président du conseil de surveillance.
La commission des affaires sociales a proposé d’unifier le mode de désignation des directeurs d’établissement, qu’ils soient membres ou non d’une communauté hospitalière de territoire. Ces mesures présentées par votre rapporteur sont une étape importante dans la démarche de modernisation des hôpitaux que j’entends vous proposer. Souhaitant aller plus loin sur certains points, je vous présenterai, au nom du Gouvernement, quelques amendements.
Les dispositions relatives à la mise sous administration provisoire des hôpitaux, adoptées par le Parlement dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, ont été disjointes par le Conseil constitutionnel au motif qu’elles n’avaient pas d’effet ou, comme l’a formulé le Conseil, qu’elles avaient un effet trop indirect sur les dépenses des régimes d’assurance maladie. Pourtant, ces dispositions étaient capitales.
Afin de remédier aux situations de déséquilibre ou de danger pour la santé constatées dans certains hôpitaux, la procédure introduite ici permettra très rapidement au directeur de l’ARS d’engager un processus comportant plusieurs phases sur lesquelles nous aurons l’occasion de revenir. Cette procédure évidemment très exceptionnelle sera précédée d’un certain nombre d’alertes. Elle permettra de sortir d’une situation de crise et d’assainir la situation de l’établissement pour permettre à un nouveau directeur de prendre ses fonctions dans un cadre stabilisé.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les explications que je souhaitais vous apporter sur cet article très important. Comme je l’ai toujours dit, le projet stratégique d’un hôpital ne peut être qu’un projet médical, élaboré par la communauté médicale, porté par le directeur, responsable de sa mise en œuvre. Je remarque d’ailleurs que, dans les faits, le directeur et le président de la CME forment très souvent une équipe unie. C’est cette équipe unie que nous voulons conforter.
Mme la présidente. L'amendement n° 416, présenté par MM. Autain et Fischer, Mmes David, Hoarau, Pasquet et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Au préalable, madame la ministre, je voudrais vous remercier de votre longue explication de texte sur cet article, pratique quelque peu exceptionnelle. Vous avez, sinon donné des gages aux directeurs, à tout le moins apporté des précisions.
Cet article, qui définit les compétences et la composition du nouveau directoire des établissements publics de santé, ainsi que les pouvoirs du directeur, aura concentré sur lui toutes les oppositions de la communauté hospitalière. J’en veux pour preuve le succès, renouvelé hier, des manifestations de praticiens et de personnels.
M. Guy Fischer. Non ! J’y étais ! J’ai pu en juger de mes propres yeux !
Mme Nathalie Goulet. Vous n’êtes pas médecin ! (Sourires.)
M. Guy Fischer. Madame la ministre, les quelques concessions faites aux médecins de CHU sur ce qu’il est convenu d’appeler « la gouvernance de l’hôpital », que le Président de la République vous a demandé de traduire immédiatement en amendements, n’ont rien changé sur le fond.
Chacun a bien compris que, en dépit de ces amendements de dernière minute, vous ne renoncez pas à mettre en place ce que le Mouvement de défense de l’hôpital public, le MDHP, n’hésite pas à qualifier de « pouvoir vertical politisé détenu par les directeurs d’agences régionales de santé, dont la seule finalité est l’équilibre budgétaire ».
Ce n’est pas moi qui le dis, mais je partage ce point de vue !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Vous avez tort !
M. Guy Fischer. La façon dont vous prétendez réformer la direction et la gestion des hôpitaux ne permettrait pas d’atteindre l’objectif que vous affichez d’améliorer la qualité et la sécurité des soins.
En effet, cette concentration de pouvoirs entre les mains du seul directeur d’un établissement hospitalier procède d’une vision étroitement budgétaire, comptable et, pour tout dire, « managériale » de l’hôpital public.
Elle n’implique ni l’avis ni l’adhésion de ceux qui ont pour vocation et seule préoccupation de soigner le mieux possible des personnes qui souffrent.
Bien sûr, cela ne se passera pas tout à fait comme je le dis,…
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ah !
M. Guy Fischer. …mais, sur le fond, l’objectif est bien de réduire les déficits des hôpitaux publics. Nous vérifierons les résultats en fin d’année.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. L’objectif est le suivant : comment rendre le meilleur service au meilleur coût ?
M. Guy Fischer. Sans doute…
Cette vision des choses est étrangère à l’esprit qui anime nos hôpitaux. Pour bien fonctionner, ils ont certes besoin de moyens, mais surtout du travail en commun d’équipes qui partagent un même projet et y adhèrent.
Madame la ministre, votre philosophie est tout autre : d’un côté, vous concentrez les pouvoirs aux mains d’un seul ; d’un autre côté, vous écartez la communauté hospitalière et les élus, même si un amendement adopté hier tend à rétablir un tant soit peu d’équilibre. Néanmoins, nous ne pouvons absolument pas être d’accord avec un mécanisme qui écarte des décisions ceux qui devraient y être associés.
Cette conception autoritaire de la direction et de la gestion de nos hôpitaux publics – même si vous prétendez, madame la ministre, que la politique de santé relève du pouvoir régalien de l’État – facilitera la mise en œuvre des orientations fixées par les agences régionales de santé. Je parie que, à l’avenir, les directeurs des ARS seront nommés au plus haut niveau, peut-être par le Président de la République lui-même, de manière à disposer d’hommes qui appliqueront sans état d’âme des politiques visant à réduire la dépense publique, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Bien évidemment, la commission n’a pas été convaincue par l’objet de cet amendement tendant à supprimer l’article 6 du projet de loi. Aussi émet-elle un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Fourcade. Nous sommes là au cœur du débat sur la réforme hospitalière, et cet article 6, dont je remercie Mme la ministre d’avoir bien expliqué la portée, procède à une nouvelle répartition des pouvoirs au sein de l’hôpital.
Mme Annie David. Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade. Mes chers collègues, nous sommes nombreux, dans cet hémicycle, à avoir siégé un certain nombre d’années dans le conseil d’administration d’un hôpital. Pour ma part, nourri d’une expérience de plus de trente ans, j’ai quelque connaissance de la gestion hospitalière et des rapports entre les directeurs, les médecins et le reste du personnel.
Nous nous opposons à l’amendement de suppression de l’article 6 pour trois raisons.
Premièrement, et je m’étonne que personne ne l’ait signalé, les décisions pourront être prises plus rapidement au niveau local. Par expérience, nous savons tous que cela est très difficile, avec le système actuel, en raison de multiples blocages. Pour les surmonter, il est alors souvent nécessaire soit de remonter au niveau administratif départemental, soit de s’adresser directement au ministre de la santé.
M. Jean Desessard. Quelles sont les raisons de ces blocages ?
M. Jean-Pierre Fourcade. Ces blocages, qui ont un caractère permanent, sont dus non pas à des problèmes financiers, mais bien à la manière par laquelle les décisions doivent être prises. Donner le pouvoir de décider aux directeurs leur permettra, après consultations, de prendre des décisions au niveau local, et ce dans le plus grand intérêt des patients que nous sommes tous. Là est bien l’essentiel.
Deuxièmement, l’article 6 attribue au président de la commission médicale d’établissement un rôle précis pour lui permettre de travailler avec le directeur. S’agissant des CHU, il convient de prendre en considération la recherche universitaire, qui est essentielle. Qu’un certain nombre de médecins aient défilé hier pour s’opposer à cette évolution, cela prouve bien que nous adorons dans ce pays les conflits entre tel et tel corps, les batailles sur le nombre de lits, les querelles sur le projet médical !
M. Jean Desessard. Comme en 1789 !
M. Jean-Pierre Fourcade. Grâce à ce mécanisme de cohésion obligatoire au sein du directoire, nous parviendrons à régler un certain nombre de problèmes.
Troisièmement, dans le texte qui nous est soumis, l’organisation incluant un conseil de surveillance et un directoire permet de faire le départ entre, d’une part, la stratégie, le contrôle de l’activité, la prospective et le long terme et, d’autre part, la gestion quotidienne de l’ensemble hospitalier.
C’est très important. D’ailleurs, les élus du premier collège, les personnalités qualifiées du troisième collège et les membres du personnel, notamment les directeurs de soins infirmiers, les sages-femmes et les représentants du personnel, y attacheront beaucoup d’importance.
Cet article 6 est essentiel. Mme la ministre et M. le rapporteur de la commission l’ont dit. Par conséquent, le groupe UMP unanime votera contre l’amendement qui nous est proposé. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Je voudrais expliquer la position du groupe socialiste sur l’amendement de M. Guy Fischer.
Vous avez très bien expliqué la procédure, madame la ministre, en l’atténuant dans vos explications. Manifestement cet article est le nœud le plus important de la contestation qui s’est fait jour parmi les médecins, qu’ils soient grands patrons, ou médecins de base, ces derniers qu’on a peut-être moins vus dans la rue, notamment en province.
Pour la première fois, après vingt ans à la tête du conseil général de la Dordogne, j’ai reçu une pétition de tous les médecins de l’hôpital de Périgueux, bien que n’étant pas tous de la même tendance politique que moi, loin de là !
On trouve des dispositions intéressantes dans ce texte, mais il importe d’éviter la démesure. Or, dans la très grande majorité des cas, dites-vous, médecins, présidents de la commission médicale consultée, présidents d’établissements et directeurs d’hôpitaux travaillent main dans la main. C’est vrai dans 40 % à 50 % des cas, et encore !
Les médecins, pris par leur métier, attendent que la situation se dégrade beaucoup pour se battre. Très souvent, ils ont tendance à y renoncer. C’est sur leur découragement que vous comptez !
Vous souhaitez renforcer le pouvoir du directeur en lui donnant la possibilité d’emporter les décisions par renoncement ou par désespoir de la communauté médicale de l’hôpital.
C’est pourquoi, madame la ministre, il faut revoir ce dossier et cet article en particulier. Nous l’avons dit hier soir – même si ce n’était pas dans l’ambiance feutrée que l’on connaît habituellement au Sénat –, la concertation est nécessaire.
M. le président et M. le rapporteur de la commission des affaires sociales ont fait un travail d’une grande qualité dans cette concertation.
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. Bernard Cazeau. Malheureusement, ils n’ont pas toujours été suivis, je le regrette.
Nous voterons la suppression de l’article 6. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Bravo ! Merci à tous, vous êtes fantastiques ! Travail, ambiance générale, amendements à répétition, réactivité ! Voilà, pour hier soir. (Sourires.)
Je vous félicite, madame la ministre. Vous êtes dynamique, vous avez du souffle, vous tenez. (Sourires.) Pourtant la situation n’est pas facile ! Vous montrez d’ailleurs qu’on peut diriger en sachant composer sans forcément faire preuve d’autorité. Si les directeurs prenaient modèle sur vous, ils pourraient mener des concertations tout en dirigeant de façon intelligente.
M. Guy Fischer. C’est un roman d’amour !
M. Jean Desessard. Selon vous, madame la ministre, les équipes sont unies ; il n’y a donc plus de difficultés. Vous déclarez ensuite qu’il faut renforcer les pouvoirs.
Le conseil de surveillance sera resserré. Son président sera élu par ses pairs, comme le président du directoire. Tout le monde aura plus de pouvoir ! Alors où en est-on ?
Si tout le monde se sent investi du pouvoir, où est l’instance de négociation ? Selon vous, il n’y en a pas, puisque ce sera au directeur de trancher !
Que sont aujourd’hui les missions de service public ? La question ne se poserait peut-être pas si le corps médical travaillait dans les hôpitaux dans de bonnes conditions, s’il était beaucoup mieux payé et plus valorisé que dans le privé. Mais, non ! Les conditions de travail du personnel hospitalier, qu’ils soient médecins, infirmiers ou aides soignants, sont difficiles.
Si les personnels ne se sentent pas investis ni reconnus dans leur mission de service public, s’ils sentent qu’ils doivent simplement obéir à des critères comptables, ils perdent la motivation.
Il faut rapprocher ce constat de l’ensemble de la politique du Gouvernement. Nous avons eu ce débat sur les transports collectifs, par exemple. Vous avez préconisé la suppression des blocages, syndicats qui veulent s’organiser, solidarité de corps dans le service public, parce que cela conduit aux grèves.
Je vous l’avais expliqué à cette époque, madame la ministre, lorsque l’on supprime cette solidarité de corps, non seulement les fonctionnaires se désinvestissent de leur travail, mais ils n’ont plus envie d’intervenir par la suite.
C’est pourquoi en cas d’agression dans les gares, par exemple, les personnels de la SNCF et de la RATP, se sentant de moins en moins soutenus par leur direction dans leur mission de service public, laissent faire et confient l’intervention à un autre corps d’État, à la police par exemple.
On en arrive à un désinvestissement global de tous les fonctionnaires investis d’une mission du service public. On leur demande des efforts sans leur donner la reconnaissance de ce travail de mission de service public qu’ils assument depuis des années.