M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Sûrement !

Mme Nicole Bricq, en remplacement de M. Bernard Angels, corapporteur du groupe de travail. Leur objectif est de stopper la crise financière, pour que tout reparte comme avant, la crise ayant joué à leurs yeux sa fonction habituelle, celle d’une purge, certes sévère, mais provisoire, qui aura écarté les canards boiteux, permettant ainsi à la machine de fonctionner de nouveau à l’identique.

M. Jean Arthuis, coprésident du groupe de travail. C’est vrai !

Mme Nicole Bricq, en remplacement de M. Bernard Angels, corapporteur du groupe de travail. Rétrospectivement, cela nous permet de comprendre les raisons pour lesquelles le G20 n’a fait qu’ouvrir le dossier des régulations. Nous saisissons mieux les réticences outre-Atlantique.

Ma conclusion sera identique à celle que j’ai formulée hier, au nom de mon groupe, lors du débat sur la crise financière internationale proposé par le groupe CRC-SPG.

La crise nous le révèle, il n’y a pas de mondialisation sans régulation, non seulement financière, mais aussi commerciale et sociale. Si nous voulons être tout aussi efficaces qu’utiles, nous devons travailler à élaborer des propositions et à les traduire dans l’action politique.

Sans vouloir être pompeuse, je pense que notre génération politique sera jugée par l’Histoire à l’aune de la réponse que nous aurons apportée à cette crise. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE, de lUnion centriste, ainsi que sur certaines travées de lUMP.)

M. Jean Arthuis, coprésident du groupe de travail, et M. Philippe Marini, corapporteur du groupe de travail. Très bien !

Point de vue des groupes politiques

M. le président. Dans la suite du débat, la parole est à M. Bernard Vera, membre du groupe de travail.

M. Bernard Vera, membre du groupe de travail. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les parlementaires communistes et apparentés des deux assemblées ont participé aux travaux de la commission mixte mise en place pour diagnostiquer les causes de la crise financière et proposer remèdes et solutions.

La crise que traversent les économies occidentales capitalistes est inscrite dans la logique même du fonctionnement de l’économie : recherche de la rentabilité maximale des capitaux, partage inégal de la richesse créée au détriment du travail, gaspillage de ressources naturelles et financières dans des opérations spéculatives. Tout a concouru, depuis des dizaines d’années, à créer les conditions de la crise actuelle.

Le contexte étant rappelé, on voit que, dans le travail de la commission mixte comme dans le débat politique, forte est la tentation du Gouvernement et de l’Élysée de créer les conditions d’une forme d’union sacrée.

Les parlementaires du groupe CRC-SPG ne peuvent s’associer à une analyse qui tend à laisser croire que la crise n’aurait qu’un caractère passager, qu’elle ne serait que le produit du dérèglement d’un système que quelques mesures ciblées suffiraient à rendre de nouveau vertueux. Ils refusent notamment de séparer les solutions à apporter à la crise d’une véritable remise en question des choix politiques aujourd’hui à l’œuvre, au plan national comme au plan européen, choix qui ont anticipé et amplifié les effets mêmes de la crise.

Hier, dans le cadre du débat qui s’est déroulé dans cet hémicycle sur l’initiative de notre groupe, nous avons donné notre sentiment sur l’ensemble des pistes de réflexion et des solutions visant à résoudre la crise financière internationale.

Aujourd’hui, je centrerai mon propos sur les conclusions du dernier G20.

Avantageusement présenté par le Président de la République comme le gage de l’efficacité de son action, le sommet de Londres a pourtant souffert de plusieurs défauts majeurs.

Tout d’abord, il ne réunissait que vingt pays de la planète, même si, pour un certain nombre d’entre eux, il s’agissait de pays émergents. Ce sont les instances réunissant l’ensemble des pays et des continents de la planète qui devraient être le lieu naturel de la discussion et de la signature des accords internationaux en matière économique et monétaire.

Ce n’est pas l’axe trilatéral États-Unis – Europe - Japon, contraint de s’adjoindre la Russie, la Chine, l’Inde et les plus peuplés des pays émergents d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique latine, qui peut s’autoriser à donner la mesure du devenir des relations économiques et monétaires internationales !

Ensuite, en raison de cette vision rétrécie de la réalité planétaire, peu de décisions véritablement importantes ont été prises, les plus déterminantes étant reportées à plus tard. De fait, les problèmes les plus graves n’ont pas trouvé d’autre réponse que celle qui consiste à « faire avec la crise », chacun chez soi !

Force est de constater que les orientations fixées lors du sommet de Londres sont loin de correspondre à la gravité des problèmes. Rien, dans les mesures prises, ne semble répondre tout à fait aux exigences du temps et apporter de véritables solutions à la crise financière et économique.

Le sommet de Londres a surtout matérialisé la volonté du président américain, Barack Obama, d’assurer un leadership mondial, bien qu’il ait été amené à prendre en compte plusieurs facteurs : la montée irrépressible des pays émergents, à commencer par la Chine, la Russie et l’Inde ; le souci des dirigeants européens de préserver les moyens pour l’euro de rivaliser avec le dollar ; l’inquiétude grandissante de tous les dirigeants capitalistes face à la persistance de la crise systémique et aux incertitudes pour l’avenir, qui obligent les États-Unis eux-mêmes à chercher des collaborations pour maintenir leur domination.

Si l’on devait évaluer les engagements du G20, on pourrait le faire à partir des sommes qui seront mobilisées pour faire face à la situation. Car les appels de fonds sont pour le moins spectaculaires et appellent certaines observations.

Ils interviennent en effet sans remise en cause des privilèges exorbitants que confère au dollar le statut de « monnaie mondiale de domination ». Ils sont effectués sans qu’une profonde transformation de la gouvernance du FMI soit envisagée, alors même que, au sein de son conseil d’administration, les États-Unis disposent d’un droit de veto qui ne reflète pas la place que l’on doit reconnaître aux pays émergents et aux pays du Sud.

Ces appels de fonds interviennent aussi sans remise en question des critères du crédit, alors que, pourtant, grandit la crainte d’un krach des endettements publics, y compris de l’endettement des États-Unis eux-mêmes.

Ils atteignent 500 milliards de dollars pour le FMI : actuellement de 250 milliards de dollars, les ressources du Fonds vont être triplées. Ainsi, 250 milliards de dollars proviendront d’apports bilatéraux : 100 milliards de dollars pour le Japon comme pour l’Union européenne, et 50 milliards de dollars pour le Canada, la Chine et la Norvège. Par ailleurs, 250 milliards de dollars seront dégagés pour les nouveaux accords d’emprunts.

Si la France devait, à ce titre, « remettre au pot », cela entraînerait soit une ponction sur son budget d’État, soit un prêt de la Banque de France au FMI.

Un autre appel de fonds concerne les 250 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux, ou DTS. Nous sommes davantage en accord avec cette mesure, qui ouvre la perspective d’une nouvelle allocation générale de DTS et fait écho à la proposition chinoise de faire des DTS un nouvel instrument de réserve internationale pour remplacer le dollar. Notons d’ailleurs que cette allocation générale donnerait lieu, pour 19 milliards de dollars, à des subventions, et non des prêts, aux pays les plus vulnérables, dont cependant il n’a pas été envisagé d’annuler la dette.

Ces décisions témoignent également de la crainte pour l’avenir qu’éprouvent les dirigeants capitalistes. Si le FMI se voit, comme jamais, renforcé dans son rôle de gendarme, il lui revient aussi désormais d’assumer une mission de soutien de l’activité, reflet de la crainte du camp occidental à l’égard des risques profonds de déstabilisation des pays dominés.

Ces apports sont censés mettre fin au fort reflux des mouvements de capitaux subi par les pays émergents et en développement depuis l’éclatement de la crise financière.

Ainsi, 250 milliards de dollars seront consacrés au commerce mondial via l’augmentation des garanties qui pourraient être apportées par des assureurs-crédits pour couvrir le financement des échanges entre pays, augmentation assortie d’une réaffirmation quasi obsessionnelle des principes libre-échangistes et l’appel à une conclusion du cycle de Doha.

Par ailleurs, 100 milliards de dollars iront à la Banque mondiale. Les pays actionnaires ont accepté que celle-ci augmente ses capacités d’emprunt à due concurrence pour fournir des crédits aux pays en développement.

Enfin, 25 milliards de dollars seront affectés aux banques régionales de la Banque mondiale.

Pour autant, puisque nous n’avons que peu de temps pour faire le tour de la question, comment ne pas souligner que l’essentiel de l’effort vise à remettre sur pied les marchés financiers occidentaux et nord-américains, bien avant toute considération quant aux équilibres économiques futurs de la planète ?

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pouvait-il en être autrement, dans le cadre d’un sommet où les pays directement responsables du désordre financier économique s’étaient assignés pour tâche d’aller demander à quelques économies encore en croissance de leur donner les subsides leur permettant d’apurer le passif de leurs institutions et établissements financiers ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

(M. Roger Romani remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani

vice-président

M. le président. La parole est à M. Albéric de Montgolfier, membre du groupe de travail.

M. Albéric de Montgolfier, membre du groupe de travail. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi à titre liminaire de me réjouir à mon tour de l’initiative prise à l’automne dernier par le Président du Sénat de constituer un groupe de travail associant députés et sénateurs, pour réfléchir sur les réponses à donner à la crise financière. C’est une première qui, assurément, a montré sa pertinence dans un débat d’importance internationale dépassant dans une large mesure les clivages partisans.

Le sommet du G20 qui s’est tenu à Londres a été salué comme un relatif succès de l’action coordonnée des grandes nations contre la crise financière. Alors qu’on en prédisait un possible échec, les négociations ont en effet permis d’enregistrer différentes avancées qui paraissaient encore irréalistes voilà peu. Le cas de la lutte contre les paradis fiscaux est, à ce titre, symbolique de la rapidité avec laquelle la volonté politique s’est imposée sur un sujet figé de longue date.

La France a fait entendre sa voix et a pesé dans cette avancée. L’action du Président de la République pour mettre notre pays au centre du débat international sur la sortie de crise ne peut qu’être unanimement reconnue. Dans ce cadre, notre groupe a été reçu à trois reprises par le Président de la République, preuve que la revalorisation du rôle du Parlement n’est pas un vain mot.

Avant de revenir sur les constats auxquels a donné lieu ce sommet et sur les principales décisions prises à cette occasion, j’exprimerai, au nom, du moins je le pense, de tous les parlementaires membres du groupe de travail, ma satisfaction d’avoir été non seulement consulté, mais aussi entendu.

Tout d’abord, j’évoquerai les constats sur lesquels ont reposé nos travaux. Ils sont, je le crois, largement partagés et s’articulent autour de l’idée d’une nécessaire régulation face aux excès du capitalisme financier. Il s’agit non pas forcément de tout réguler ou de réguler plus, mais de réguler mieux. Le contrôle des marchés et de la sphère financière doit ainsi être confié non pas à leurs propres acteurs, mais bien au politique, qui doit reprendre la main, comme le soulignait dans ses conclusions le groupe de travail, que je cite : « La crise a mis en évidence les limites et les effets pervers de l’autorégulation. Le groupe de travail rappelle la nécessité d’affirmer la primauté de la régulation et de replacer les États – et donc le politique – au centre du jeu monétaire et financier international. »

Parmi les éléments qui ont contribué à la violence de la crise figurent en priorité un certain nombre de dysfonctionnements de la finance et des marchés, qui ont exposé des ménages et des institutions financières à des risques incontrôlés, en abusant des possibilités offertes par la loi, jouant à l’excès de l’effet de levier et exacerbant les possibilités de gains.

La dénonciation des paradis fiscaux, refuge de l’argent sale, mais aussi et surtout facteur d’opacité des circuits financiers, nous est apparue à ce titre comme une nécessité, à l’heure où le retour de la confiance et la juste évaluation des risques nécessitent une transparence accrue.

Notre groupe s’est également interrogé sur le fonctionnement des agences de notation, qui ont souvent failli dans leur analyse, se montrant peu à même d’évaluer correctement le risque inhérent à certains actifs ou produits complexes ou encore à la solvabilité d’émetteurs souverains.

Le caractère pervers de certaines normes comptables a, de même, été souligné. Nous pensons notamment aux normes américaines qui, en permettant la réévaluation permanente des actifs figurant au bilan des banques au fur et à mesure que les marchés immobilier et boursier étaient orientés à la hausse, ont amélioré les ratios fonds propres sur encours et accentué la capacité de prêt de manière artificielle.

Comme d’aucuns l’ont rappelé, ce schéma a permis la période de croissance des années deux mille, mais il a aussi précipité le retournement de situation avec d’autant plus de violence qu’il a asséché la source du crédit.

Notre groupe de travail s’est ensuite attaché à formuler des propositions. Je ne parlerai ici que des axes prioritaires qui ont été évoqués à l’occasion du G20.

En premier lieu, nous avons insisté sur la nécessité d’assainir les relations avec les pays qualifiés de paradis fiscaux, bancaires ou réglementaires. La publication d’une liste isolant les États qui n’ont pas mis en place une coopération suffisante ni émis de signes clairs de bonne volonté représente un saut qualitatif majeur vers une transparence accrue et un meilleur contrôle des placements offshore. La simple évocation de la fin du secret bancaire suisse ou luxembourgeois aurait fait sourire voilà quelques mois ; pourtant, aujourd’hui, ce secret est bel et bien en passe d’être largement aménagé.

Comme cela a été souligné tout à l’heure, il faut cependant rester vigilant face à la persistance de zones ou d’États qui, sans figurer sur la liste établie, conserve une législation très éloignée des standards internationaux en matière de transparence, notamment en ce qui concerne l’enregistrement des sociétés commerciales.

En deuxième lieu, nous avons plaidé en faveur d’une révision de l’architecture de la supervision internationale qui passerait, notamment, par un renforcement des rôles respectifs du Fonds monétaire international et du Forum de stabilité financière, sous le contrôle des États membres du G20.

L’augmentation considérable des moyens octroyés au FMI, qui voit ses pouvoirs étendus et son budget triplé pour atteindre 750 milliards de dollars, a été l’un des apports majeurs de ce deuxième sommet du G20.

La crise aura donc eu également pour mérite d’ébaucher une gouvernance mondiale dans les questions qui relèvent de la sphère financière et d’étendre aux nouvelles grandes puissances, comme la Chine ou l’Inde, le cercle des pays appelés à participer sur une base régulière à ces sommets internationaux.

De nouveau, je cite les conclusions de notre groupe de travail, lesquelles résument l’esprit d’une nouvelle régulation dans le but de prévenir les risques systémiques : « Il est nécessaire […] de soumettre tous les pays à des inspections et évaluations régulières, de disposer d’une connaissance précise de l’ampleur et de la nature des flux financiers, d’identifier les facteurs de risque et d’établir une “courroie de transmission” avec les régulateurs nationaux pour qu’ils prennent, le cas échéant, les réglementations qui s’imposent. »

Au niveau européen, nous proposons d’appliquer les recommandations du groupe d’experts présidé par Jacques de Larosière, qui prône notamment la création d’un Conseil européen du risque systémique.

De la même manière, notre groupe a proposé d’associer les banques centrales, notamment la BCE, à la prévention de ces risques, en élargissant leur mandat au-delà de l’actuel suivi de l’évolution des prix et de la lutte contre l’inflation, pour toucher également les actifs financiers et immobiliers.

Enfin, le groupe de travail a souhaité une plus grande régulation des produits et des acteurs financiers à risques. Les agences de notation doivent ainsi faire l’objet d’une attention particulière : elles devraient se soumettre à des principes déontologiques étendus et pourraient voir leur responsabilité engagée.

Nous avons également proposé la création d’une chambre de compensation des produits dérivés négociés de gré à gré, en particulier des dérivés de crédit, ainsi qu’une plus grande standardisation de ces contrats. Cela répondrait à un impératif de clarté et faciliterait les comparaisons, donc les évaluations des actifs lorsqu’ils ne font pas l’objet d’une cotation.

Nous estimons en outre nécessaire de préciser les normes prudentielles applicables aux établissements de crédit, notamment la méthodologie d’évaluation des produits titrisés, et de réfléchir à une interdiction de la titrisation intégrale des prêts, comme cela s’est pratiqué.

Il serait également nécessaire de clarifier certains principes comptables, notamment pour permettre l’évaluation des instruments financiers complexes en cas de marché peu liquide.

J’aimerais enfin conclure mon propos en soulignant, à titre personnel, combien il a pu paraître surprenant de constater le silence ou, du moins, le manque d’efficacité de l’Europe sur ces questions essentielles.

À quelques semaines des élections européennes, force est, hélas, de constater que l’Europe a été très largement absente de ces débats, s’effaçant notamment derrière le couple franco-allemand. La Commission européenne, qui aime à s’intéresser à des sujets de détail et qui sait réglementer jusque dans les plus fines subtilités certaines activités économiques, aurait gagné à donner de la voix sur ces sujets primordiaux. Les tenants d’un retour des États-nations y trouveront sans doute quelques motifs de satisfaction. Au contraire, je souhaite pour ma part que la construction européenne se poursuive aussi autour de ces grands sujets et qu’une concertation s’établisse avec les parlements nationaux.

La démarche de notre groupe de travail s’inscrit dans cette logique d’une force de proposition vigilante et exigeante. Il est de notre responsabilité de ne pas laisser sans lendemain les annonces faites, et c’est pourquoi nous souhaitons obtenir des réalisations concrètes dans tous les domaines évoqués.

Un troisième sommet du G20 est d’ores et déjà prévu, dont l’une des missions sera de contrôler la mise en œuvre des mesures annoncées. Notre groupe de travail répondra à l’invitation du Président de la République à l’occasion de ces travaux.

En définitive, la régulation financière doit être ambitieuse, sans tomber dans l’écueil d’un interventionnisme national trop marqué. De la même manière que la crise peut conduire à s’interroger sur l’idée d’un protectionnisme éclairé, soucieux de la sauvegarde justifiée des emplois et des solidarités collectives, il faut réfléchir à la notion de nouvelle réglementation publique, qui veille à corriger les excès du capitalisme financier sans étouffer la compétitivité de nos économies dans un carcan trop étroit. C’est un défi dans lequel les parlementaires que nous sommes ont leur mot à dire, en rappelant le cas échéant les décideurs à une juste mesure.

Comme l’ont souligné Jean Arthuis et Philippe Marini, nous devons aussi rester modestes, sachant que toute régulation efficace ne pourra être que supranationale. Nous sommes donc, avec mes collègues députés et sénateurs, toujours aussi fortement engagés dans le processus de concertation et de réflexion qui a été enclenché. À l’instar du président du Sénat, je souhaite que nos travaux se poursuivent maintenant sur des sujets plus techniques. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement, membre du groupe de travail.

M. Jean-Pierre Chevènement, membre du groupe de travail. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, si nous n’avons pas tous la même analyse de la crise, les divergences qui peuvent exister sur les causes de celle-ci n’ont pas empêché le groupe de travail Assemblée nationale-Sénat de formuler, à l’unanimité, des pistes de réforme qui concernent l’assainissement des relations avec les paradis fiscaux, bancaires et réglementaires, l’architecture de la supervision internationale et, enfin, la régulation des produits et acteurs financiers.

Reconnaissons d’emblée que ce G20 marque une avancée, car, à la différence du G7, il associe la plupart des grands pays émergents et reflète la nouvelle multipolarité du monde. Le renforcement de son rôle politique et son institutionnalisation, souhaités par notre groupe de travail, paraissent en bonne voie, même si de nombreux progrès restent à accomplir.

Sur le fond, les positions prises par le G20 le 2 avril dernier vont souvent dans le bon sens. Elles restent cependant insuffisantes, voire inappropriées pour certaines d’entre elles. À titre d’exemple, l’assainissement des relations avec les paradis fiscaux – un problème important, même s’il ne se situe pas à la racine de la crise – prendra du temps et demandera une résolution sans faille. Celle-ci manque, évidemment, comme l’a d’ailleurs relevé Mme Bricq à propos des propositions faites par les commissaires européens MM. Barroso et McCreevy.

De même, la limitation de la réglementation des hedge funds à ceux qui ont une importance systémique pourra facilement être contournée. Dans une interview accordée au journal Les Échos, Joseph Stiglitz observe que, sur ce point essentiel, aucun engagement n’a été pris en raison de l’influence des banques américaines dans le système. Il ajoute qu’il n’existe pas de volonté réelle de venir à bout des facteurs qui ont contribué à la crise. Il cite en particulier, comme l’a d’ailleurs fait excellemment le président de la commission des finances, M. Jean Arthuis, le problème du traitement des produits dérivés, qui ont pourri le système. Il est évident qu’il n’existe pas d’instances claires au sein desquelles la transparence pourrait s’exercer dans ce domaine qui, je vous le rappelle, représente la somme colossale de 60 trillions de dollars – 60 000 milliards de dollars, plus que le PIB mondial ! – liée à la fluctuation des cours des monnaies, des matières premières et des taux d’intérêt.

Les deux problèmes essentiels, celui de l’assainissement financier et celui de la relance économique, sont très étroitement connectés.

Il ne suffit pas d’injecter des capitaux dans le système bancaire pour l’assainir. Il est même choquant de voir le contribuable venir au secours de banquiers faillis qui ne souhaitent, une fois remis en selle, que recommencer le grand jeu de la mondialisation libérale, et inégale, et reprendre leurs pratiques déresponsabilisantes de titrisation ainsi que la course à des taux de rentabilité exorbitants, lesquels étaient censés justifier leurs extravagants bonus.

Il faudrait au moins exiger que les banques conservent à leur bilan les risques les plus lourds et ne puissent titriser qu’une partie de leurs prêts, comme M. Marini vient, à juste titre, de le rappeler. Nos concitoyens ne peuvent accepter que la dette publique prenne simplement le relais de la dette privée creusée par ceux-là mêmes que l’on maintient en place, alors qu’ils n’ont rien perdu de leur arrogance et de leurs prétentions financières.

Oui, monsieur le secrétaire d’État, la question de la nationalisation des banques se pose, comme je l’avais suggéré dès les 8 et 15 octobre 2008, à l’occasion du débat sur la crise financière et bancaire et de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour le financement de l’économie. Elle se pose notamment pour Dexia et pour la banque issue de la fusion de la Caisse nationale des caisses d’épargne et de la Banque fédérale des banques populaires.

La renationalisation de tout ou partie du système bancaire, en France comme ailleurs – regardez ce qui se passe en Grande-Bretagne, et même aux États-Unis –, obéit à une double nécessité, politique, d’abord, car il est normal que celui qui paye commande, économique, ensuite, dans la mesure où la reprise du crédit ne se fera que par une entente coopérative entre les banques. Comme l’a bien montré M. Jean-Luc Gréau, c’est à l’État d’organiser et de surveiller cette entente coopérative durant toute la période nécessaire au retour à la normale. Il ne suffit pas de nommer un médiateur.

J’en arrive maintenant aux plans de relance économique.

M. Strauss-Kahn a mis en cause la frilosité des pays européens. Il ne faut certes pas exclure un nouveau plan de relance axé sur l’investissement, la préservation du tissu productif, les revenus les plus bas, les chômeurs et les jeunes, mais il est légitime de veiller à ce que l’injection de crédits publics n’aboutisse pas, selon l’expression consacrée, à « arroser le sable ». Il est malheureusement trop évident que, jusqu’ici, l’effort du contribuable a servi pour l’essentiel à renflouer le système bancaire, en vertu du principe : « On prend les mêmes et on recommence. »

Un traitement insuffisant de la crise ne sera pas toléré, d’abord parce que cela ne marche pas : le risque principal réside aujourd’hui dans le mitage du système « banque-assurances » par des engagements irraisonnés ; je rappelais à l’instant que plus de 60 trillions de dollars avaient été titrisés sous forme de CDS, ou credit default swaps, et que le sujet des produits dérivés n’avait pas été traité lors du sommet de Londres.

Il est certes vrai que le redressement de nos économies pose un problème d’une immense ampleur, mais, pour redonner un horizon à nos démocraties et rétablir durablement la confiance, il faut une perspective de progrès partagé, qui passe par une progression des rémunérations égale à celui de la productivité et par un partage plus honnête des salaires et du profit.

Il est évident que la déformation du rapport entre les revenus du travail et du capital n’est guère compatible avec un libre-échange généralisé, dès lors que les écarts de salaires sont de un à vingt. Il faut donc instaurer une concurrence équitable. Je parle non pas d’un repli autarcique mais d’une régulation négociée des échanges internationaux qui permettrait une sortie de crise à l’échelle mondiale, et d’abord en Europe et aux États-Unis, à partir d’une revalorisation salariale substantielle, à l’abri d’une protection modérée, corrigeant les distorsions de salaires abusives.

Or le sommet de Londres, on l’a rappelé tout à l’heure, s’est borné à fulminer une excommunication contre le protectionnisme, au nom d’une lecture d’ailleurs biaisée de l’histoire des années trente.

Les mêmes qui ont failli veulent persévérer : alors que le commerce international devrait se contracter de 9 % cette année – pour des raisons qui n’ont rien à voir avec le protectionnisme –, ceux-là mêmes qui ont présidé à une mondialisation qu’ils disaient « heureuse », mais qui s’est révélée catastrophique, entendent à nouveau – et encore plus – « libéraliser » le commerce international à Doha, en juillet prochain.

Il n’y a aucune guérison à attendre de ces mauvais médecins.

Il faudrait, au contraire, mettre en place une régulation par grandes zones économiques regroupant des pays de niveau comparable en termes de salaires, sans se fermer à une raisonnable concurrence des pays à bas coûts. Ces derniers seraient fortement incités, en contrepartie, à développer leur marché intérieur, leur système de sécurité sociale et la protection de leur environnement.

Tout cela passe par une grande négociation internationale, qui prendra beaucoup de temps. Mais, heureusement, le G20 s’est mis en place. Il se réunira à plusieurs reprises, au niveau des ministres des finances et des chefs d’État et de gouvernement. Il conviendra, dans ce cadre, d’aller dans le sens que j’ai indiqué.

J’ajouterai un mot sur le FMI, dont on voit tripler les ressources, ce qui fera l’affaire des pays au bord de la banqueroute comme des grands pays exportateurs. Mais cela ne remédiera pas aux déséquilibres fondamentaux dont souffre l’économie mondiale, du fait notamment du déficit abyssal de la balance commerciale américaine.