M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, mesdames les secrétaires d'État, mes chers collègues, je tiens d’emblée à remercier la commission des affaires sociales et la commission des finances qui ont suscité la tenue de ce débat aujourd’hui dans cet hémicycle. Je ne doute pas que nos propos seront particulièrement suivis par les quelque 29 000 foyers ayant reçu un agrément, mais qui attendent aujourd’hui de pouvoir mener à terme une procédure d’adoption.
L’organisation de ce débat répond à une actualité et à des problématiques importantes, qui ont déjà été largement évoquées par mes prédécesseurs à cette tribune.
Si près de 5 000 enfants sont adoptés chaque année en France et si celle-ci représente la deuxième terre d’accueil dans le monde en termes d’adoption internationale, force est de constater que le nombre d’enfants étrangers adoptés dans notre pays a connu une forte baisse ces dernières années, passant de plus de 4 100 en 2005 à 3 262 en 2008. Parallèlement, les enfants nés en France et reconnus comme pupilles de l’État peinent de plus en plus à trouver un foyer accueillant : à peine 775 sur 2 500 ont connu l’issue heureuse de l’adoption en 2005.
Malgré l’entrée en vigueur de la loi du 4 juillet 2005 portant réforme de l’adoption, qui visait à simplifier et harmoniser l’ensemble de la procédure d’adoption, le bilan strictement comptable du nombre d’adoptions démontre à l’évidence que cette loi n’a pas atteint tous ses objectifs. Il n’est pas normal que le droit existant ne parvienne pas à satisfaire la demande d’adoption.
Au-delà du strict formalisme administratif qui sied à toute question afférente à l’état des personnes, il est assez symptomatique que 37 % des adoptions aboutissent sans l’intervention ou l’entremise d’un organisme officiel ou reconnu. Mais un fait demeure et symbolise à lui seul le principal dysfonctionnement du dispositif auquel vous devez porter remède, mesdames les secrétaires d’État : de trop nombreuses familles candidates à l’adoption internationale se sentent aujourd’hui lâchées dans la nature tout au long de leurs formalités et nourrissent une vive déception vis-à-vis de l’AFA, pourtant créée afin de répondre à cette déshérence.
Ce sentiment de déception est loin de concerner quelques cas isolés. Il s’inscrit dans le cadre tracé par les deux rapports récents qui ont été évoqués. Le rapport Colombani a démontré, en particulier, que, compte tenu de la faible mobilisation du réseau diplomatique et de l’absence de fonds de coopération, les titulaires d’agrément étaient laissés à eux-mêmes, contraints de procéder seuls à l’ensemble des démarches administratives auprès des États d’origine. Le manque d’information des familles pétitionnaires, dès l’introduction de la demande d’agrément, explique en partie la mauvaise évaluation qui peut être faite à la fois par celles-ci et les organismes officiels du projet d’adoption.
Parallèlement, le rapport d’information de la commission des finances consacré à l’AFA – M. Cazalet a évoqué cette question – a dressé un bilan peu concluant des trois premières années d’exercice de l’Agence, tout en soulignant sa vocation à être pérennisée.
Si, sur un plan strictement budgétaire, les dotations de l’État initialement programmées à hauteur de 4 millions d’euros par an n’ont jamais dépassé 2,9 millions d’euros, c’est surtout sur le plan de la stratégie même de l’AFA que se concentrent les critiques de nos collègues. Le manque de clarification de l’articulation de ses compétences avec celles de l’Autorité centrale pour l’adoption internationale, l’incapacité à accompagner financièrement les familles, le déficit de notoriété de l’Agence sur le plan international ou encore son faible positionnement dans les pays cibles comme Haïti ou l’Éthiopie ont conduit à annihiler en partie l’efficacité de son action.
Ces dysfonctionnements appellent nécessairement une rationalisation de son fonctionnement budgétaire et administratif, mais aussi le développement d’une prise en charge complète en termes d’information et de financement des familles demandeuses.
Au-delà, il apparaît aujourd’hui indispensable de concentrer la réforme du dispositif sur la délivrance des agréments, afin de ne pas laisser encore se creuser le différentiel entre les familles agréées et les familles réussissant l’adoption. Le trop grand nombre d’agréments accordés conduit aujourd’hui à un engorgement des dossiers concernant l’adoption internationale alors que, dans le même temps, les adoptions nationales ne cessent de diminuer. L’information et l’accompagnement des familles s’avèrent donc indispensables.
Le premier comité interministériel pour l’adoption, réuni le 6 février dernier sous la présidence du Premier ministre, semble avoir pris acte des préconisations du rapport Colombani ainsi que des carences que je viens d’évoquer.
Dans la lignée du plan d’action pour l’adoption engagé depuis août 2008, le projet de loi relatif à l’adoption issu de ces travaux semble avoir tiré les enseignements des dysfonctionnements constatés en articulant la réforme autour de trois axes : l’accélération de la procédure de délaissement parental, le renforcement du suivi des agréments et l’amélioration des conditions d’intervention de l’AFA. Ce projet de loi devrait répondre aux attentes de nombreuses associations et familles.
Madame la secrétaire d’État chargée de la famille, je tiens à saluer l’orientation de ce texte, qui tend à développer le recours à l’adoption nationale.
Face à la complexité du recours à l’adoption international et au coût qu’elle engendre, l’adoption nationale peut parfaitement combler le désir de parentalité de familles demandeuses, a fortiori quand à peine un tiers des enfants délaissés trouvent une famille d’adoption.
Je me félicite également que soient enfin revues les conditions de délivrance et de suivi des agréments : alors que l’agrément est aujourd’hui valable cinq ans sans autre condition de caducité, l’instauration d’une clause annuelle de confirmation contribuera à écarter les familles moins motivées tout en assurant un meilleur traitement des demandes des familles réellement engagées dans un projet parental.
Tout aussi importante est la révision des clauses de compétence de l’Agence française de l’adoption, laquelle se voit enfin assigner une mission de conseil aux candidats à l’adoption.
De la même manière, l’AFA sera autorisée à intervenir comme intermédiaire entre les familles et les autorités nationales dans l’ensemble des pays, et non plus seulement dans les seuls États signataires de la convention de La Haye. Cet élargissement de la capacité d’action de l’AFA permettra de sécuriser ses relations avec les trois premiers pays de provenance des enfants adoptés en France, à savoir Haïti, l’Éthiopie et la Russie. En remédiant à cette carence, l’Agence sera en mesure de mieux encadrer le parcours des candidats mais aussi d’apporter de meilleures garanties aux États étrangers quant à la sécurité juridique et financière des procédures.
L’adoption est toujours la rencontre de personnes qui souffrent d’un manque affectif. Pour les foyers demandeurs, elle correspond à un formidable acte d’amour et de générosité ; en même temps, elle répond aux besoins d’enfants auxquels les circonstances ou la malchance n’ont pas donné dès le départ les meilleures chances pour mener une vie heureuse.
Il est plus que dommageable que notre droit actuel n’offre pas les meilleures opportunités pour que se rencontrent ainsi familles et enfants dans le besoin. Je souhaite que vous puissiez donner, mesdames les secrétaires d’État, toute l’impulsion qu’il faut pour améliorer cette situation. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, j’ai plaisir à m’exprimer ici devant vous, tant je crois que l’adoption d’un enfant constitue un thème du plus grand intérêt pour nos concitoyens.
Je le dis sans ambages, nous sommes face à un sujet de société qui renvoie chacune et chacun de nous à une question existentielle : la filiation.
« Choisir quelqu’un pour fils ou pour fille et lui en donner les droits civils en remplissant certaines conditions prescrites par la loi » : voilà comment le dictionnaire de l’Académie française définit l’adoption. Il donne ensuite l’exemple suivant : « Auguste adopta Tibère. Chez les Romains, ceux qu’on avait adoptés passaient dans la famille et sous la puissance de celui qui les avait adoptés. »
Une recherche étymologique est également précieuse pour mieux circonscrire ce terme. Les latinistes seront ravis : adopter tire son origine du latin ad, qui veut dire « à », et de optare, qui signifie « choisir », « souhaiter ».
Ce rapide détour étymologique nous renseigne : adopter revient en quelque sorte à « choisir quelqu’un pour fils ou pour fille ».
L’adoptant est donc placé en quelque sorte dans une position dominante puisqu’il lui appartient de choisir. Ce choix est de l’ordre de l’ « option » pour un enfant qui devient fils ou fille.
C’est d’ailleurs cette opération qui détermine intrinsèquement le parent. Autrement dit, c’est l’option qui contribue à l’avènement du statut parental. La parentalité est donc consubstantielle au choix.
Cela nous éclairera beaucoup, me semble-t-il, quand il s’agira d’aborder de nouveau le sujet compliqué de l’agrément que les départements accordent – ou non – aux « candidats » à l’adoption. En l’occurrence, le tiers – légal – que représente l’administration est parfois perçu comme censeur.
Le désir du candidat à l’adoption est parfaitement respectable. Mais il doit être interrogé. Car, au fond, nous sommes face au droit « de » l’enfant et non au droit « à » l’enfant.
Si l’on poursuit un instant nos recherches, on retrouve les acceptions classiques du terme « adoption » qui, par extension, reviennent à prendre soin d’un enfant – sans formes légales – comme si c’était son fils ou sa fille : « il m’adopta et me servit de père ».
Les termes « prendre soin » renvoient ici à l’indispensable protection à laquelle un enfant doit prétendre. Dans cette définition, l’expression « comme si c’était son fils ou sa fille » est également capitale selon moi, au sens où les mots « servant de père » – ou de mère – ouvrent le champ de la substitution parentale.
Dès lors qu’il y a substitution, il y a reconnaissance, en creux, d’une parentalité qui ne suffit pas à la préservation de l’enfant. Pour autant, cette parentalité première existe, elle est reconnue. Mais on en pallie l’insuffisance afin de protéger l’enfant, en le plaçant dans une position centrale. C’est alors le besoin de protection de l’enfant qui détermine le processus de substitution et de suppléance parentale. Je me placerai résolument dans cette seconde voie.
Je considère en effet que l’on a trop tendance, dans nos sociétés contemporaines, à faire du désir des adultes une priorité, sous l’influence d’une logique de marché qui gouverne nos existences.
L’enfant n’est pas une marchandise, pas plus qu’un objet monnayable. L’hypermédiatisation de célébrités entourées de leurs progénitures ravies masque, sous le papier glacé, la délicate question de la protection des enfants de notre monde. Disons-le : l’argent ne peut pas tout. La surexposition de ces enfants et de leurs parents, fussent-ils célèbres et riches, ne résout d’ailleurs aucunement la difficile équation de la parentalité.
Dès lors, mes chers collègues, allons-nous adopter un nouveau texte sur l’adoption ? Car, dans ce pays, face à une question subtile de société, que fait-on ? On légifère, puis on décrète !
Avons-nous le choix ? Oui, à tout le moins quant au débat préalable.
Sortons d’abord de l’agitation permanente, qui est devenue une mode ! Cessons d’assimiler réflexion à immobilisme ! Nos sujets de société, nos sujets humains méritent réflexion, de sorte que nos décisions soient sages et méditées.
Je prétends que la réforme au pas de charge est un succédané de réforme. La précipitation interdit la pensée. Non que la pensée soit absente : au contraire, tout est parfaitement organisé ! Elle n’est pas non plus unique. Le risque est plutôt, selon moi, qu’elle soit univoque et confisquée.
La question n’étant pas posée, je la formule : faut-il de nouveau légiférer aujourd’hui sur l’adoption ?
D’abord, soyons clairs, la réforme de 2005 n’a pas atteint ses objectifs initiaux en matière d’adoption internationale. Le nombre d’enfants adoptés chute, alors que le désir d’être parent redouble, y compris sous des formes familiales nouvelles, que certains revendiquent avec détermination.
La logique du chiffre aiguise les appétits.
Mais comment un texte de loi peut-il modifier, par quelque tour de passe-passe, le nombre d’enfants adoptables à l’étranger ?
Nos trois collègues Auguste Cazalet, Albéric de Montgolfier et Paul Blanc le signifient d’ailleurs très explicitement dans leur rapport d’information : la réforme de 2005 est plutôt inachevée. D’autres diront plutôt « manquée ».
Même si je ne suis pas en total accord avec certaines pages du rapport de Jean-Marie Colombani, écrites parfois d’une plume acerbe où l’on sent poindre la passion, je m’y réfère, car il présente des propositions intéressantes, qui ne seront apparemment pas reprises. Dommage !
Le sujet de l’adoption est passionnel. Il l’est du côté des adultes et donc du côté des organisations.
En ce qui me concerne, je prends le parti de l’enfant. Je plaide pour que son intérêt supérieur guide nos réflexions et nos décisions. Ayons la passion de l’enfance et, j’en suis véritablement convaincu, tout s’apaisera !
Rappelons encore que l’on tablait, avec la réforme de 2005, sur le doublement du nombre d’enfants adoptés à l’étranger. On avait alors pensé qu’une nouvelle agence française – l’État n’a, il est vrai, de cesse de créer à tout va des agences nationales – pourrait prendre une part plus importante dans les adoptions internationales. On a donc assigné à l’AFA, un objectif de résultat irréaliste et, par conséquent, inatteignable. On sait où cela nous a conduits !
Au fond, la réalité de l’adoption internationale est très complexe et évolutive.
La convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale a été étendue à de nombreux pays d’accueil et d’origine, ce qui a entraîné une diminution temporaire du nombre des adoptions internationales.
De plus, la situation des pays d’accueil évolue en permanence et de manière parfois imprévisible.
Aujourd’hui, si l’on veut de nouveau jouer sur les chiffres, on peut toujours tenter d’élargir les possibilités d’adoption nationale. Toutefois, je crains que l’exercice ne soit très hasardeux.
Objectivement, nous constatons un nombre faible de déclarations d’abandon à la suite d’un délaissement manifeste des parents naturels. Une nouvelle modification de l’article 350 du code civil serait donc tentante.
Mais s’il convient de se pencher régulièrement sur la situation des enfants confiés au président du conseil général par décision judiciaire, de grâce, n’opposons pas protection de l’enfance et préservation du lien avec la famille d’origine ! Car les équilibres sont fragiles et les raccourcis peuvent se révéler dangereux. Agir plus précocement sur la situation d’enfants en souffrance, telle doit être notre priorité permanente. C’est d’ailleurs l’esprit de la réforme récente de la protection de l’enfance.
Cependant, veillons à ne pas assimiler situation de dénuement à désintérêt manifeste. Car cette notion est, par essence, subjective : elle est l’affaire des départements et des professionnels qui maîtrisent fort bien ces sujets. Je plaide donc pour que l’expertise acquise depuis les premières lois de décentralisation soit respectée.
La conférence de consensus proposée dans le rapport Colombani pour interroger tous les professionnels va du reste dans le bon sens. Toutefois, là encore, gardons-nous de vouloir inventer de nouvelles normes, tentation parfois forte. Je le dis solennellement : attention aux tentations normatives dans le domaine de l’humain !
En revanche, ouvrons très largement le débat sur l’adoption simple, sans tabou et sans présupposé. Il s’agit de préserver, dans les cas où cela se révèle nécessaire, un juste équilibre entre protection de l’enfant et respect du lien de filiation d’origine.
Osons ouvrir le débat sur les liens de filiation !
Vous l’avez compris, mes chers collègues, je suis personnellement ouvert à une évolution de notre législation. Ma conception de la réforme est simple : débat de fond, adaptation régulière de nos cadres législatifs et réglementaires, évolution des pratiques professionnelles.
Face à des sujets humains aussi délicats que celui de l’adoption, je propose que nous nous intéressions non pas au chiffre pour le chiffre, mais d’abord et avant tout à la situation de l’enfant : son histoire, ses besoins, son évolution.
N’y opposons pas le désir d’être parent, certes infiniment respectable en tant que tel, car la démarche d’adoption correspond à un acte extrêmement personnel, singulier, intime. Mais faut-il pour autant placer le désir d’adopter, c'est-à-dire de choisir un enfant pour fils ou pour fille, au rang de priorité impérieuse ? Faut-il légiférer à partir de ce seul désir ? Je ne le pense pas.
L’adoption est d’abord une rencontre, qui peut être magnifique, comme toute naissance. Pour l’enfant, ce peut être une véritable renaissance. C’est pourquoi j’estime que la prise en considération de l’intime de l’adopté, de son parcours d’enfant, de son devenir d’adulte, est une impérieuse priorité.
Vous l’aurez compris, je suis résolument favorable à un texte centré sur l’intérêt supérieur de l’enfant. J’en appelle finalement à une position nouvelle et pourtant évidente : faire de l’adoption une question au service de l’enfance. La famille en sortira grandie, je puis vous l’assurer, quelles qu’en soient les formes contemporaines. J’irai même plus loin : ce changement de paradigme transcende le seul sujet de l’adoption. C’est une source de progrès au sens où le fait de déclarer que l’enfant est une personne et un être social dès le premier jour modifie la vision de notre monde et de son devenir.
La Haute Assemblée vient donc de rouvrir aujourd’hui un débat capital. Je reconnais personnellement attendre beaucoup de ce nouveau texte, d’autant qu’il ne nous sera présenté que quatre ans après une réforme manquée ! Nous autres, législateurs, devons pouvoir en reconnaître ensuite, humblement, la paternité... (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, la loi du 4 juillet 2005 portant réforme de l’adoption, à l’évidence, ne mérite guère son nom.
En effet, non seulement elle n’a opéré aucune « réforme » de l’adoption, mais surtout elle n’a pas atteint l’objectif qui lui était assigné, celui de développer l’adoption. Il ne pouvait en être autrement !
L’adoption est une institution dont la nécessaire refonte ne peut s’accommoder d’approximations. Or la loi précitée n’a pas fait l’objet de débats parlementaires fructueux. Faut-il rappeler que la proposition de loi adoptée par les députés avait, à la demande de M. Philippe Bas, à l’époque ministre délégué chargé de ce dossier, reçu un vote conforme du Sénat !
Que de temps perdu sur un sujet d’une telle importance !
En effet, plusieurs améliorations que j’avais souhaité apporter à ce texte, et qui ont été toutes rejetées, sont reprises, aussi bien dans le rapport de Jean-Marie Colombani que dans le plan que vous avez présenté vous-même, madame la secrétaire d’État chargée de la famille, le 27 août dernier, au conseil des ministres.
Cette loi n’avait en réalité pour seul objectif que de faciliter l’adoption internationale. On en voit aujourd’hui le résultat : une diminution du nombre des adoptions internationales, plutôt qu’une augmentation !
J’avais insisté, lors de la discussion de cette proposition de loi, sur l’intérêt qu’on devait porter à l’adoption nationale.
Je rappelle que, en Grande-Bretagne, avec un nombre d’habitants identiques, les enfants adoptables sont trois fois plus nombreux qu’en France : 2 300 enfants contre 775.
Dans les remèdes à apporter à ce déficit, l’instruction, dans des délais plus brefs et dans des proportions plus importantes, des déclarations judiciaires d’abandon me paraît essentielle ; je centrerai d’ailleurs mon présent propos sur ce point.
Si l’on compare le nombre annuel de personnes ou de couples titulaires d’un agrément en cours de validité – environ 29 000 au 31 décembre 2007 – à celui des enfants effectivement adoptés – environ 3 260 en 2008, dont 775 seulement étaient nés en France –, les mineurs adoptables apparaissent comme un « vivier » pour les adoptions nationales.
Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le nombre d’enfants adoptables par rapport au nombre de personnes prêtes à les accueillir, c’est le nombre d’enfants adoptables par rapport à ceux qui pourraient ou devraient l’être en raison de leur situation familiale.
Les pupilles de l’État n’ont cessé de voir leur nombre décroître ces quarante dernières années, pour atteindre le chiffre de 2 504 au 31 décembre 2005. Or ils étaient 63 000 en 1949, 46 000 en 1959, 24 000 en 1977 et 10 400 en 1985.
On ne peut que se réjouir de cette baisse constante, due en grande partie à la maîtrise de la procréation, les enfants qui arrivent au monde étant, pour la plupart, désirés ou du moins acceptés. Pourtant, de nombreux enfants demeurent, pendant toute leur minorité, ballottés de famille d’accueil en famille d’accueil ou de foyer en foyer, dans le cadre d’une délégation de l’autorité parentale ou d’une tutelle départementale, qui ne leur assure ni un présent convenable ni un avenir prometteur.
En effet, il est avéré que, si les pupilles de l’État, par hypothèse adoptables, sont de moins en moins nombreux, les mineurs sous tutelle départementale, non adoptables, sont, en revanche, en nombre croissant.
Selon les statistiques publiées, 98 000 enfants naviguent, à des titres très divers, au sein des services de l’aide sociale à l’enfance. Un certain nombre d’entre eux y sont placés à la suite d’une décision administrative ou judiciaire, mais les parents de certains d’entre eux n’exercent même pas leur droit de visite. Toutefois, on le sait, la question de leur adoption ne sera, la plupart du temps, même pas envisagée.
Le manque de réactivité de notre système rend difficilement adoptables des enfants pourtant durablement délaissés par leurs parents. À cet égard, l’application de la déclaration judiciaire d’abandon, prévue à l’article 350 du code civil, est instructive.
Depuis sa création par la loi du 11 juillet 1966, ce texte a été modifié à cinq reprises. Chaque fois, l’intervention du législateur a eu pour objectif de faciliter la déclaration judiciaire d’abandon. Néanmoins, le nombre de jugements déclarant des enfants abandonnés n’a cessé de diminuer. Cela montre combien il est difficile aux travailleurs sociaux et aux magistrats de prendre le problème à bras-le-corps. Très concrètement, il s’agit, pour eux, à la fois d’évaluer l’intérêt qu’il y a à maintenir ou non un lien de filiation avec la famille biologique et la capacité de l’enfant à se projeter dans une nouvelle famille.
Depuis 1994, les personnes ou services chargés d’enfants susceptibles d’être déclarés abandonnés ont l’obligation de saisir le tribunal de grande instance dès lors qu’ils ont constaté que les parents de ceux-ci s’en sont manifestement désintéressés depuis un an. Toutefois, cette rigueur n’est qu’apparente. En effet, la notion de désintérêt manifeste est de celles qui ne sont pas aisément saisissables, même si le deuxième alinéa de l’article 350 du code civil en précise quelque peu les contours.
Par ailleurs, le point de départ du délai d’un an est imprécis en cas de manifestations épisodiques des parents et, une fois le désintérêt d’une année constaté, aucun délai n’est fixé pour saisir le tribunal. On laisse aux seuls travailleurs sociaux le soin d’apprécier l’opportunité de cette saisine, mais il faut savoir que leur formation les conduit à privilégier à tout prix les liens du sang. Il n’est guère acceptable que la société s’en remette à ces seuls professionnels pour exercer une telle responsabilité.
Une simplification de tous les recours juridictionnels et une uniformisation de leurs délais paraissent indispensables. De même, il conviendrait de clarifier la dualité des compétences juridictionnelles entre les juridictions administratives et celles de l’ordre judiciaire.
Mais, à ce jour, notre droit ne paraît pas totalement dépourvu pour répondre aux situations variées de ces enfants sous tutelle départementale.
En effet, l’adoption simple constitue une voie possible, qui mériterait d’être davantage considérée, d’autant que l’insertion harmonieuse de l’enfant dans sa famille adoptive peut s’effectuer sans l’effacement complet de ses liens d’origine. L’adoption simple consacre précisément un lien de filiation entre l’adopté et sa famille adoptive, mais l’adopté conserve des liens juridiques avec sa famille d’origine. Elle constitue donc une filiation additive, et non une filiation substitutive, tout en transférant aux adoptants les droits de l’autorité parentale.
L’adoption simple se présente donc comme étant la plus appropriée en cas de présence de liens familiaux réels ou symboliques, mais significatifs pour l’enfant.
L’adoption simple doit, dès lors, être réhabilitée et revitalisée.
Sur ce seul point de la procédure de « délaissement parental », il y aurait encore beaucoup à dire, et surtout beaucoup à faire.
Le projet de loi qui vient d’être déposé sur le bureau du Sénat sera, je l’espère, à la hauteur de l’attente des couples et surtout des enfants. Le groupe de l’Union centriste et moi-même serons très attentifs à la portée de ce texte et nous n’hésiterons pas à proposer des améliorations si nous les jugeons nécessaires. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, du RDSE et de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, le débat que nous avons aujourd’hui est très intéressant, car il nous permet de discuter sereinement d’un sujet d’une grande importance.
Toutefois, je regrette que le Gouvernement, par exemple sur votre initiative, madame la secrétaire d’État chargée de la famille, n’ait pas sollicité l’organisation d’un débat plus complet, au sein de notre assemblée, sur l’ensemble de la politique familiale qui est aujourd'hui menée.
Un tel débat aurait pourtant été fort utile. En effet, nous aurions pu aborder les modifications des règles relatives à l’adoption, mais aussi le statut des beaux-parents, l’accompagnement des familles nombreuses, l’insuffisance du nombre de places de garde, particulièrement publiques, ou encore les conséquences sur le tissu familial d’une éventuelle dérégulation du travail du dimanche : autant de sujets qui ont des conséquences sur les familles et qui auraient mérité un vrai débat.
Ce qui nous est proposé aujourd’hui est, à n’en pas douter, un débat préliminaire à l’examen futur du projet de loi relatif à l’adoption déposé au Sénat et enregistré sous le numéro 317. Cela nous permet d’échanger sur un sujet qui préoccupe des milliers de nos concitoyens et qu’il n’est pas aisé d’aborder, tant il est inenvisageable, dans un tel domaine, d’imposer des solutions toutes faites, valables pour tous les adoptants et tous les adoptés.
L’adoption d’enfants nationaux ou étrangers constitue, pour les couples concernés, un véritable projet parental qu’il nous appartient de mesurer, de respecter, voire d’accompagner, tout en gardant à l’esprit les propos de Claire Brisset, Défenseure des enfants jusqu’en 2006, pour qui « l’adoption consiste à offrir un foyer à un enfant qui en est privé, et non pas un enfant à un foyer qui en aurait le désir ».
Dans cet esprit, je voudrais dire que, dans le projet de loi, la proposition d’étendre au ministère public la possibilité de présenter une demande de déclaration d’abandon soulève quelques interrogations.
Nous comprenons la logique de cette disposition : elle vise à réduire les délais permettant à l’enfant d’acquérir le statut de pupille de l’État et d’être ainsi plus rapidement « adoptable », ce qui est, sans aucun doute, dans l’intérêt de celui-ci. Il n’en demeure pas moins que, comme cela a déjà été dénoncé en juin 2005 lors de la suppression du critère de « grande détresse des parents », nous ne devrions pas nous priver d’un débat de fond sur les difficultés sociales et financières importantes que rencontrent certaines familles, mais qui ne traduisent pas pour autant une volonté d’abandon des enfants.
Par ailleurs, concernant l’adoption internationale, je dois dire que, tout comme l’ensemble du groupe CRC-SPG, je suis quelque peu inquiète quant au sort que le Gouvernement entend réserver à l’Agence française de l’adoption.
Créée en 2005, c’est une structure relativement jeune. Pourtant, en un an, elle s’est vu imposer pas moins de trois enquêtes rendues publiques ou faisant l’objet d’un rapport, comme celui de M. Jean-Marie Colombani ou encore celui de nos collègues Cazalet, Montgolfier et Paul Blanc. On voudrait jeter le discrédit sur cette agence que l’on ne s’y prendrait pas autrement ! Rien que le titre du rapport de nos collègues, Une seconde chance pour l’Agence française d’adoption, conduit à se poser la question !
Disant cela, je ne veux pas occulter les difficultés bien réelles que cette agence rencontre.
Il est vrai qu’en 2008 le nombre d’adoptions réalisées par le biais de l’Agence a été moindre qu’en 2007, alors que l’on aurait pu légitimement s’attendre à une augmentation. Cela étant, il nous faut tenir compte du contexte, ou plutôt des contextes.
Tout d’abord, dès son origine, l’Agence française de l’adoption a été conçue pour constituer une troisième voie, une solution supplémentaire à l’adoption individuelle et au recours aux organismes autorisés pour l’adoption. On ne peut donc pas attendre de cette agence qu’elle satisfasse à elle seule toutes les demandes d’adoptions ni qu’elle permette de réduire le nombre des adoptions individuelles.
Par ailleurs, il nous faut tenir compte de la nature publique de cette agence. En raison de son statut de GIP, l’AFA a obligation d’accueillir toutes les demandes d’adoption, sans aucune distinction. C’est une précision importante lorsqu’on sait que les OAA, eux, pratiquent une sélection afin de garantir aux familles qu’ils décident d’accompagner l’accueil prochain d’un enfant.
En effet, contrairement à ce qui a été écrit dans le rapport de nos collègues comme dans le celui de M. Colombani, la structure publique ne crée pas d’obligation de résultat. Cette obligation relève en réalité des seuls engagements des OAA en direction des familles qu’ils choisissent. Cette précision est importante, car elle permet de tordre le coup à une idée reçue qui alimente la critique permanente dont l’AFA fait l’objet.
Ainsi, étant légalement obligée d’accueillir les demandes de tous, y compris de ceux dont les dossiers ont été refusés par tous les OAA, l’Agence ne peut se voir reprocher, sans une analyse plus poussée, son manque de résultats.
Il faut également tenir compte de l’insuffisance de relais de l’Agence dans les pays qui proposent des enfants à l’adoption.
Dans leur rapport, nos collègues soulignent, sans s’étonner, que la majorité des adoptions pratiquées par le biais de l’AFA est concentrée sur huit pays. Comment ne pas faire le lien avec le faible nombre de correspondants locaux, qui sont au nombre de huit, à raison d’un représentant par pays ? Ceci explique sans doute cela...
De plus, ces correspondants éprouvent d’importantes difficultés. Nous avons appris, par exemple, que la correspondante de l’Agence au Brésil était obligée d’avancer les frais, ceux-ci lui étant ensuite remboursés par l’AFA.
En 2005, ma collègue Eliane Assassi précisait que cette nouvelle agence ne serait efficace que grâce au recours à des personnels consulaires, lesquels connaissent précisément une réduction drastique de leurs moyens, la LOLF prévoyant dans le programme 151 la suppression de 150 équivalents temps plein. La substitution de volontaires pour l’adoption à ces fonctionnaires ne peut satisfaire ceux qui défendent l’idée d’un service public de l’adoption internationale. Il n’est pas acceptable que, sous couvert de RGPP, on demande à des associations, aussi motivées et compétentes soient-elles, de se substituer au service public.
Je vous invite à relire l’audit rendu par la Cour des comptes sur l’Association française des volontaires du progrès, l’AFVP, qui participe activement au projet « réseau des volontaires de l’adoption internationale ». Cet audit dénonce un système coûteux, peu transparent, notamment dans ses rapports avec le ministère des affaires étrangères, dont il apparaît que l’association est devenue l’« opérateur officiel ».
Nous ne voulons pas que ce qui a été dénoncé pour les « volontaires du progrès » se reproduise pour les volontaires de l’adoption internationale. C’est pourquoi nous réaffirmons aujourd’hui notre attachement au principe d’un service public reposant, pour ce qui est du territoire national, sur l’Agence et, pour l’international, sur les consulats.
Comment ne pas dire un mot, avant de conclure, de la situation même de l’adoption internationale ? Chacun ici sait que le nombre d’enfants adoptables s’est considérablement réduit, notamment en raison de l’application de la convention de La Haye aux nouveaux pays signataires.
Monsieur le président, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, au groupe CRC-SPG, nous sommes attachés à l’AFA parce qu’elle offre à ceux qui en font la demande, sans discrimination, notamment de revenus, la possibilité d’accueillir un enfant dépourvu d’un foyer. Nous ne voulons pas que l’on applique à cette agence des règles purement comptables ou qu’on la compare à des structures qui n’ont de commun elle que l’objet final, alors même que les contraintes et les missions fondamentales sont radicalement différentes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)