M. André Dulait. Eh bien alors, justement ! Autant revenir !
M. Louis Mermaz. En fait, vous ne vous posez pas vraiment la seule question qui vaille : l’OTAN, aujourd'hui, pour quoi faire ? Pour quoi faire à l’égard du Moyen-Orient et du Proche-Orient, mais aussi de la Russie, des anciennes républiques soviétiques et, demain, de l’Asie. On parle en effet de l’adhésion de l’Australie et de la Corée du Sud. Quelles alliances ? Jusqu’où ? Avec qui ? Contre qui ? S’agit-il de l’alliance de toutes les puissances occidentales face au reste du monde ? S’agit-il de l’émergence d’un monde bipolaire d’un genre nouveau ? L’Occident face à tous les autres ?
Mais enfin, tenez-vous pour négligeable le rôle particulier de la France dans l’Union européenne et dans le monde, héritage d’une longue histoire ? Cette tradition et cet héritage, il convient de les préserver. Les États-Unis d’Amérique, avec lesquels nous partageons tant de valeurs et envers lesquels nous avons été, par deux fois, redevables de notre liberté, le savent. Encore faut-il que nous croyions nous-mêmes à cet héritage et que nous le défendions.
On est enfin en droit de s’interroger sur la vision que vous avez du statut, du rôle et de la dimension universelle de la France. En vous abandonnant à une politique de renoncement, d’abdication et d’abaissement, vous tournez le dos à cette tradition !
Soyons alliés avec les États-Unis, oui ; alignés, non ! Conservons notre crédit auprès des peuples qui refusent les dangers de la bipolarisation et reprenons inlassablement la construction d’une Europe solidaire, mais jamais vassale.
Un dernier mot : vous n’avez de cesse, messieurs du Gouvernement, de saluer le Sénat du terme pompeux de Haute Assemblée. (M. Didier Boulaud s’esclaffe.) Mais alors, pourquoi, sur un sujet aussi essentiel, organiser ce débat avec un tel décalage et refuser un vote dans cet hémicycle ? Pourquoi envoyer une lettre informant le secrétaire général de l’OTAN de la décision de réintégration de la France sans même avoir la décence d’attendre ce débat ?
M. Bernard Piras. Quel mépris !
M. Louis Mermaz. Serait-ce parce que le Président de la République ne dispose pas au Sénat des mêmes moyens de contrainte sur sa majorité qu’à l’Assemblée nationale, parce que cette majorité y est plus courte, ou encore parce qu’il craint que des voix dissonantes ne se manifestent en son sein à l’encontre de la parole officielle ?
L’article 49 de la Constitution, doublé par l’article 50-1 issu de la dernière révision, aurait parfaitement permis de demander l’approbation du Sénat. Il aurait été intéressant de connaître, à titre de comparaison, l’opinion d’une assemblée qui n’aurait pas été menée à la hussarde.
Mes chers collègues, bien naïfs sont ceux qui ont cru – à moins qu’ils n’aient feint d’y croire – au rééquilibrage des pouvoirs à travers la prétendue révision constitutionnelle ! N’êtes-vous pas sur le point, monsieur le président du Sénat – monsieur le président de la Haute Assemblée ! –, de ressembler à ces gouverneurs de province qui, au temps de l’absolutisme, n’avaient, selon la parole de Saint-Simon, conservé pour tout pouvoir qu’un air de trompettes et de violons ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en annonçant la pleine réintégration de la France au sein de l’Alliance atlantique, le Président de la République a pris une décision importante sur le plan symbolique, mais qui, en réalité, marque l’aboutissement d’un processus de rapprochement débuté dans les années quatre-vingt-dix.
Depuis la fin de la guerre froide, la France, qui n’a jamais cessé d’être membre de l’Alliance, s’est progressivement rapprochée des structures de l’OTAN. Croyant à la pédagogie de la répétition, je rappellerai après d’autres que notre pays est le quatrième contributeur financier de cette organisation et qu’il a participé à toutes les opérations de l’Alliance, en ex-Yougoslavie comme en Afghanistan, déployant 5 000 de nos soldats dans le cadre de ces opérations.
Le débat ne porte que sur le renforcement de la présence de nos officiers au sein des structures et organes de commandement de l’Alliance. Pour schématiser, nous siégeons dans trente-six comités sur trente-huit, et il est seulement question pour nous d’être présents demain dans le trente-septième.
Cette décision marque donc moins une « rupture » que l’aboutissement d’un processus, d’ailleurs poursuivi par tous les gouvernements successifs, de droite comme de gauche. Elle n’en demeure pas moins importante, car elle devrait permettre à la France de prendre toute sa place dans les réflexions actuelles sur la rénovation de l’Alliance et de son concept stratégique.
La décision du président Sarkozy rejoint les fondamentaux de la « doctrine défense » de la famille centriste, inscrite dans le marbre par Jean Lecanuet, dans un discours prononcé à Caen, le 12 mars 1966 et qui, depuis, n’a jamais varié.
M. Jean-Louis Carrère. Si la doctrine n’a jamais varié, on ne peut pas en dire autant des centristes ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Yves Pozzo di Borgo. Elle consiste à affirmer que la défense de l’Europe ne peut qu’être bâtie sur deux piliers, le pilier atlantique et le pilier européen. Et si certains, dans la famille politique centriste, l’ont oublié, ils feraient bien de relire avec attention les textes fondateurs de cette doctrine. Vous l’aurez compris, ces propos visent quelqu’un qui n’a pas le monopole du centre : François Bayrou !
M. Jean-Louis Carrère. Il vous obsède !
M. Yves Pozzo di Borgo. Depuis la fin de la guerre froide, le contexte géopolitique a radicalement changé. Malgré l’élaboration d’un nouveau concept stratégique, le rôle de l’OTAN demeure encore mal défini.
À l’image de l’Union européenne, l’organisation s’est élargie à de nouveaux pays sans que l’on sache réellement où doivent s’arrêter ses frontières. Faut-il aller jusqu’à inclure l’Ukraine, la Géorgie ou encore les pays d’Asie centrale, voire l’Australie ou le Japon ? Personne n’a jusqu’ici réellement répondu à ces questions.
De même, avec la disparition de la menace soviétique, la vocation de l’Alliance n’apparaît plus aussi évidente. Comment éviter que cette organisation ne soit perçue comme une alliance de l’Occident dirigée contre la Russie, le monde musulman ou, un jour peut-être, la Chine ?
Enfin, se pose aussi la question de la réforme des structures de cette organisation, dont il faut bien dire qu’elle entretient une bureaucratie encore pléthorique.
En clarifiant notre position vis-à-vis de l’Alliance, notre pays devrait pouvoir prendre toute sa place dans l’élaboration du nouveau concept stratégique de l’Alliance atlantique, c’est-à-dire dans la définition de son futur périmètre, de son rôle et de son mode de fonctionnement.
Surtout, pour nous centristes, la réintégration pleine et entière de la France dans les structures militaires de l’OTAN devrait favoriser le renforcement de la politique européenne de sécurité et de défense.
À l’instar de notre collègue Haenel et de M. le ministre des affaires étrangères, j’en veux pour preuve les réactions très positives manifestées par nos partenaires européens à l’annonce de la décision du Président de la République, notamment celle de la chancelière Angela Merkel.
Faut-il rappeler que vingt et un des vingt-sept États membres de l’Union européenne sont également membres de l’Alliance atlantique et que, pour la majorité de nos partenaires européens, notamment d’Europe centrale et orientale, la sécurité, c’est d’abord l’Alliance atlantique ?
Depuis son lancement, voilà dix ans, lors du sommet franco-britannique de Saint-Malo, l’Europe de la défense a beaucoup progressé.
Des structures telles que l’état-major européen, le comité politique et de sécurité, le COPS, ou le comité militaire ont été créées. Vingt-trois missions civiles et militaires ont été lancées, telle l’EUFOR au Tchad, première opération européenne menée sans l’aide de l’OTAN et avec la participation de quatre hélicoptères et de cent militaires russes. Cette opération est, depuis le 15 mars, assurée par l’ONU.
Une mutualisation progressive de nos capacités de défense a également été opérée, laquelle a notamment débouché sur un programme satellitaire européen, une coopération navale, une modernisation des flottes d’hélicoptères existantes ainsi qu’une formation commune des militaires européens avec le projet « ERASMUS militaire », à propos duquel je suis en train de rédiger un rapport dans le cadre de l’Union de l’Europe occidentale.
Une Agence européenne de défense a été mise en place afin de favoriser l’émergence d’une industrie de défense européenne. Elle a trouvé un accord avec l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement, l’OCCAR, qui deviendra sa structure opérationnelle, comme je l’avais suggéré voilà deux ans dans un rapport de l’UEO.
M. Yves Pozzo di Borgo. De nouvelles avancées ont été enregistrées sous la présidence française de l’Union européenne, au deuxième semestre 2008, grâce à votre action, monsieur le ministre. Je veux parler de la mise à jour de la stratégie européenne de sécurité, de la mission d’observation de l’Union européenne en Géorgie, du projet « ERASMUS militaire » et du lancement de la première opération navale de lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes.
M. Jean-Louis Carrère. Parlons-en !
M. Yves Pozzo di Borgo. Les résultats de cette dernière opération sont plus que probants, comme nous le confiait le général Bentegeat lors d’une réunion du COPS et de l’UEO, lundi dernier à Bruxelles. Il nous a indiqué qu’il y avait dix fois moins d’attaques de pirates réussies depuis la mise en place de cette opération.
M. René-Pierre Signé. Il en reste encore !
M. Yves Pozzo di Borgo. Il en reste très peu ! Vérifiez vos sources, mon cher collègue ! En tout cas, je peux vous dire que ceux qui naviguent dans ces zones, grâce à un contact permanent via Internet avec les militaires en charge de l’opération, sont tout de même rassurés.
M. Yves Pozzo di Borgo. Bien sûr, je regrette que la mise en place d’un véritable centre européen de planification et de conduite des opérations se soit heurtée aux réticences britanniques. Sa création reste en effet indispensable pour permettre à l’Union européenne de planifier et de mener, de manière efficace et autonome, les nombreuses opérations dans lesquelles elle est engagée. Mais je suis certain que cette idée réussira à s’imposer tôt ou tard, y compris chez nos partenaires britanniques, qui évoluent eux aussi : il suffit de voir comment se modifient peu à peu, s’agissant de la surveillance de l’espace, les positions des parlementaires britanniques qui siègent à l’Assemblée de l’UEO.
De surcroît, l’attitude de la nouvelle administration présidentielle américaine, plus orientée vers le Pacifique que vers l’Atlantique et, surtout, prise dans la crise financière, devrait cesser d’être un obstacle.
Enfin, je voudrais rappeler que le traité de Lisbonne permettra de nouveaux progrès dans ce domaine, avec en particulier la possibilité de lancer des coopérations renforcées et des coopérations structurées permanentes. Les États membres qui le souhaitent pourront donc décider d’approfondir leur coopération en matière de défense, sans en être empêchés par les autres comme c’est le cas actuellement.
Nous devons, pour cela, avancer avec une structure ouverte, reposant sur la volonté politique des États qui veulent et peuvent faire progresser la défense européenne. C’est la thèse de notre collègue Fauchon, et c’est effectivement de cette manière que nous avons réussi Schengen et la monnaie unique.
J’ajoute que la crise financière va imposer des restrictions qui toucheront les budgets de la défense et, par ricochet, obligeront les Européens à mutualiser leurs efforts.
Ainsi, le retour de la France dans l’OTAN favorisera à la fois l’européanisation de l’Alliance et la construction de l’Europe de la défense.
En réalité, la seule crainte que nous pouvons avoir, c’est que la clarification de notre position au sein de l’Alliance ne soit mal comprise par certains de nos partenaires extérieurs à l’Union. Je pense en particulier à la Russie, qui conserve une attitude pour le moins réservée à l’égard de cette organisation. C’est la raison pour laquelle je considère que la réintégration pleine et entière de la France au sein de l’Alliance doit s’accompagner de gestes forts en direction de ce pays, de manière à lui expliquer notre position.
M. Yves Pozzo di Borgo. Si je me félicite de la récente ouverture faite par la nouvelle administration présidentielle américaine vis-à-vis de la Russie, je crois aussi que l’Union européenne a un rôle à jouer pour favoriser la mise en place d’une coopération efficace avec ce pays en matière de sécurité.
Qu’il s’agisse du projet d’implantation du système américain de défense anti-missiles en Pologne et en République tchèque ou de l’idée d’élargir l’OTAN à l’Ukraine et à la Géorgie, les Européens, comme ils l’ont fait à Budapest, doivent avoir leur mot à dire sur les questions qui les concernent au premier chef.
Si l’on veut réellement bâtir un espace de sécurité sur le continent européen, il faudra bien trouver les voies et les moyens pour y associer la Russie.
Le président Medvedev a proposé de mettre à plat le système de sécurité en Europe et de conclure un nouveau pacte de sécurité européen. Pourquoi ne pas saisir cette occasion et étudier avec l’attention qu’elle mérite cette proposition, dès lors qu’elle ne remet pas en cause les fondamentaux de l’Alliance ?
De même, il nous faut tirer parti de la fin du gel des relations entre la Russie et l’OTAN depuis l’affaire de la Géorgie, en renouvelant le dialogue entre l’OTAN et la Russie.
Messieurs les ministres, ces questions seront-elles abordées lors du sommet qui se tiendra les 3 et 4 avril prochain ?
Construire un partenariat stratégique entre l’Union européenne et la Russie, qui inclurait aussi bien les questions énergétiques que les questions de sécurité, notamment dans notre voisinage commun, devient une nécessité évidente et, comme elle l’a montré dans la guerre russo-géorgienne de l’été dernier, au cours de sa présidence de l’Union européenne, la France a un rôle particulier à jouer pour favoriser l’établissement de ce partenariat stratégique.
C’est pourquoi je préconise depuis longtemps, avec d’autres membres de cette assemblée, la suppression des visas avec la Russie. Ce serait un geste politique fort, qui favoriserait les échanges économiques, civils, culturels et touristiques, et qui permettrait peut-être à la Russie de perdre ce « comportement soviétique » dont elle est si profondément imprégnée.
À cet égard, nous ne pouvons que nous réjouir du discours prononcé par le Président de la République le 8 octobre dernier à Évian, dans lequel il a proposé la constitution d’un espace économique commun entre l’Union européenne et la Russie.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Yves Pozzo di Borgo. Je termine, monsieur le président.
L’Amérique se tourne vers le Pacifique, plus intéressée par la Chine que par l’Europe et l’Atlantique. L’Europe, quant à elle, se déplace vers l’est, mais nous croyons encore que l’histoire s’écrit à l’ouest. Nous parlons de Bruxelles et de Strasbourg quand il faut penser Berlin et Moscou. Nous songeons aux Balkans quand il faudrait s’adapter aux réalités de l’Asie centrale.
Vu d’Europe, sur une carte, le continent eurasiatique et la Russie sont excentrés ; en revanche, vu de ce pays, l’Europe n’apparaît plus que comme l’appendice de l’immense continent russe, qui inclut la Sibérie, à l’Extrême-Orient. (Rires ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. René-Pierre Signé. On le savait !
M. Yves Pozzo di Borgo. Il est important de prendre en considération cet élément géographique pour montrer que les choses changent.
Mme Michelle Demessine. Rien n’a bougé !
M. Yves Pozzo di Borgo. L’axe européen se déplace vers l’est. Cela oblige la France à conduire une politique plus volontariste à destination de cette zone, politique qui doit aussi prendre en considération le développement des relations avec certains pays de l’Asie centrale. Le Kazakhstan, le Tadjikistan, le Kirghizstan et l’Ouzbékistan sont des États en devenir sur les plans tant économique que stratégique. Je rappelle qu’ils sont membres du Conseil de l’Europe, dont nous fêterons, en octobre prochain, à Strasbourg, le soixantième anniversaire.
À ce propos, les sénateurs membres de la délégation française aux assemblées parlementaires du Conseil de l’Europe et de l’Union de l’Europe occidentale souhaitent que le Président de la République soit présent lors de cet événement. Messieurs les ministres, puissiez-vous lui faire passer ce message.
M. René-Pierre Signé. Ce sont des « ministres d’ouverture » !
M. Yves Pozzo di Borgo. Dans le même temps, nous devons bien sûr conforter nos liens avec l’Allemagne, comme nous l’avons fait lors de la rencontre des ministres franco-allemands du 12 mars dernier.
À cet égard, je ne peux que regretter la rupture entre Areva et Siemens et le rapprochement des Allemands avec les Russes, sans que nous y soyons associés. Quelques explications s’imposent.
M. le président. Maintenant, il faut vraiment conclure !
M. Yves Pozzo di Borgo. Comme la majorité des membres du groupe de l’Union centriste, j’approuve totalement la réintégration pleine et entière de la France au sein de l’Alliance atlantique.
Ce monde est interdépendant et les questions de défense, d’énergie et de climat nous concernent tous. De Vancouver à Vladivostok, nous devons relever ensemble les défis du futur. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, cette déclaration de politique étrangère, qui ne leurre personne, a comme un goût de réchauffé… Tout le monde a bien compris que le seul sujet en était la pleine réintégration de notre pays dans le commandement militaire de l’OTAN.
Nous participons donc aujourd’hui à une médiocre session de rattrapage, qui est également révélatrice du mépris dans lequel le Gouvernement tient le Sénat, l’opposition et même quelques membres de sa majorité.
Nous assistons depuis quinze jours à la démonstration que la révision constitutionnelle de juillet dernier, indûment présentée par le Président de la République et son Premier ministre comme devant donner plus de pouvoirs au Parlement, n’était en fait qu’un faux-semblant qui masquait mal une pratique présidentielle omniprésente et omnipotente.
MM. Didier Boulaud et Jean-Louis Carrère. Très bien !
Mme Michelle Demessine. En effet, depuis plus d’un an, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, annonçait urbi et orbi, mais de préférence lorsqu’il était à l’étranger, son intention de faire pleinement réintégrer notre pays dans le commandement militaire de l’Alliance atlantique.
Ce fut d’abord en septembre 2007, devant le Congrès des États-Unis, puis en avril 2008, lors du sommet de l’OTAN à Bucarest, ou encore lundi dernier, en concluant un colloque à l’École militaire. Jeudi dernier, la notification officielle a été adressée au secrétaire général de l’organisation.
Mais, face aux interrogations, aux réticences et à l’opposition grandissante qu’a pu susciter cette décision, le Président et son gouvernement ont refusé un véritable débat et préféré la contrainte.
En choisissant, mardi dernier, à l’Assemblée nationale, d’engager la responsabilité du Gouvernement au titre de l’article 49, premier alinéa, de la Constitution sur une déclaration de politique étrangère, le Premier ministre a privé la représentation nationale d’un vote sur le problème en discussion.
Ce procédé, comme le refus de faire voter aujourd’hui le Sénat suivant les nouvelles dispositions constitutionnelles, est déloyal. En obligeant ainsi les parlementaires de sa majorité à rentrer dans le rang, le Gouvernement fait l’aveu qu’il redoute que les voix discordantes au sein de celle-ci ne se fassent entendre.
Ce procédé démontre tout simplement sa crainte du débat démocratique sur une décision aussi importante et aussi lourde de conséquences, qui touche à l’un des fondements de notre politique étrangère et de défense.
Nous débattons donc benoîtement, sans enjeu et dans l’indifférence générale – la tribune de presse est d’ailleurs vide –, d’une décision déjà prise par le Président de la République et sur laquelle nous n’aurons pas à nous prononcer puisque nous ne voterons pas.
M. Didier Boulaud. C’est cela, la revalorisation du rôle du Sénat !
Mme Michelle Demessine. Nous avons donc compris que, si le Président de la République et vous-mêmes, chers collègues de la majorité, qui le soutenez parfois tant bien que mal, adoptez cette attitude craintive, c’est bien parce que cette décision est difficile à justifier, et ce principalement pour deux raisons.
Premièrement, bien que vous le contestiez, le Président de la République s’en prend avant tout, aux yeux de nos concitoyens, à l’un des symboles forts de l’indépendance nationale.
Le contexte a certes changé, mais les motivations de la décision du général de Gaulle, en 1966, restent d’actualité. Celui-ci estimait à juste titre que le commandement militaire intégré était trop soumis aux seuls intérêts stratégiques américains. La situation est-elle tellement différente aujourd’hui ? Il serait naïf de croire que le nouveau concept stratégique de l’Alliance, actuellement en cours d’élaboration pour prendre en compte les nouveaux risques et les nouvelles menaces de notre époque, ne réponde pas aux visées des États-Unis. Le président Barack Obama, aussi sympathique soit-il, défend avant tout les intérêts de son pays.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. Il a été élu pour cela !
Mme Michelle Demessine. L’objectif reste de transformer cette organisation en une « alliance globale » tous azimuts, élargissant progressivement son périmètre et sa zone d’intervention, se substituant à l’ONU lorsque celle-ci est défaillante.
Constituée autour d’un bloc occidental dans lequel les États-Unis conserveraient leur influence prépondérante, elle apparaîtra toujours, aux yeux de nombreux pays et de nombreux peuples, comme leur bras armé au service de leur interventionnisme hégémonique.
Le mode de décision n’ayant pas changé au sein de l’organisation, et le nouveau concept stratégique n’étant pas encore défini, la réintégration totale du commandement militaire de l’Alliance ne peut donc trouver de justification.
Certes, depuis les années 1990, nous avons progressivement réintégré la quasi-totalité des comités militaires. Mais cela ne nous a pas donné pour autant une plus grande influence au sein de l’Alliance.
Ne prétendez donc pas que, si nous obtenions le commandement de Norfolk, chargé de l’évolution de la doctrine de l’OTAN, et le commandement opérationnel de Lisbonne, chargé de la zone atlantique, de l’Afrique et de la force de réaction rapide, nos généraux pourraient faire autre chose que d’appliquer des concepts stratégiques toujours définis à Washington.
M. Didier Boulaud. Eh oui !
Mme Michelle Demessine. Ces exemples montrent que le problème n’est pas là où le Président de la République le place en tentant de rendre sa décision anodine pour mieux la faire apparaître comme l’aboutissement logique d’un processus.
Ainsi, notre influence au sein de l’organisation ne sera pas plus grande.
En revanche, nous perdrons à coup sûr dans le monde notre position originale et singulière d’indépendance et d’autonomie de décision, qui nous permet par exemple de contribuer à apaiser les tensions sur le continent africain ou dans l’Est européen, de garder le contact avec l’Iran ou de dialoguer avec toutes les parties en conflit au Proche-Orient.
M. Didier Boulaud. Elle a raison !
Mme Michelle Demessine. En s’attaquant à l’un des symboles de l’indépendance nationale, cette décision aura pour effet de banaliser la voix de la France dans le monde et de briser le consensus national qui existait depuis quarante ans sur l’autonomie de notre défense.
M. Didier Boulaud. Exact !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument !
Mme Michelle Demessine. La seconde raison avancée par le Président de la République, à savoir abandonner la spécificité de notre statut au sein de l’OTAN pour faire progresser la défense européenne, ne se justifie pas davantage.
Dans ce domaine, les six mois de présidence française de l’Union européenne n’ont pas tenu leurs promesses ; tout le monde le dit. Aucune avancée décisive n’a été enregistrée sur des questions aussi fondamentales que la création d’un état-major permanent de planification des opérations ou d’une agence européenne d’armement dotée d’une réelle autorité.
Vouloir ainsi réintégrer toutes les structures militaires sans avoir obtenu grand-chose, c’est torpiller gravement la possibilité de concrétiser à l’avenir l’Europe de la défense. C’est aussi adresser un signal négatif à ceux des pays européens qui se satisfont d’une défense à moindre coût sous le parapluie de l’OTAN et qui ne veulent pas d’une politique autonome de sécurité en Europe.
M. Didier Boulaud. Très bien !
Mme Michelle Demessine. Pour notre part, nous sommes favorables à une organisation européenne de sécurité collective émancipée de l’OTAN, fondée tout à la fois sur la prévention des crises, la résolution multilatérale et politique des conflits, le respect du droit international et des résolutions de l’ONU. C’est tout le contraire de la décision du Président de la République et de la construction européenne telle qu’elle est envisagée dans le traité de Lisbonne !
Nous aurions souhaité que notre pays prenne des initiatives fortes en faveur de la sécurité internationale, pour éliminer les armes nucléaires et toutes les armes de destruction massive, qu’il respecte et fasse respecter le traité de non-prolifération, qu’il crée une dynamique de désarmement général, qu’il contribue à instaurer un contrôle public national et international sur le commerce des armes.
C’est ce débat que nous aurions voulu avoir, c’est sur ces questions qui touchent aux intérêts fondamentaux de notre pays, de sa sécurité et de l’équilibre du monde que le Sénat aurait dû se prononcer.
Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues de la majorité, votre soumission au Président de la République vous a fait manquer cette occasion. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. André Dulait. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. André Dulait. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes réunis cet après-midi après la déclaration du Premier ministre relative à la politique étrangère de la France.
Les ambitions de la France sur la scène internationale sont ici en jeu et c’est dans cette optique spécifique qu’il convient d’aborder la réintégration de notre pays au sein du commandement militaire de l’OTAN, en s’en tenant bien entendu à l’application stricte de la Constitution.
La décision du Président de la République vise un objectif simple : celui de la cohérence. Et celle-ci nécessite parfois des réajustements ; il ne s’agit pas d’autre chose.
Nul ne peut nier le rôle aussi majeur que particulier de notre pays sur la scène internationale. Sa place et son action, fruit de notre histoire et de nos valeurs, sont devenues une tradition.
La diplomatie française dans le monde est le résultat d’une ambition que nous devons garder à l’esprit. La France représente, sur la scène internationale, une référence, à la hauteur des idées qu’elle défend, et l’action du Président de la République en a fait la démonstration, tant au Darfour que lors de la crise géorgienne de l’été dernier.