compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
M. Jean-Pierre Godefroy,
M. Jean-Noël Guérini.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Dépôt d'un rapport du Gouvernement
M. le président. Monsieur le Premier ministre a transmis au Sénat, en application de l’article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, le rapport sur la mise en application de la loi n° 2008-660 du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il sera transmis à la commission des affaires économiques et sera disponible au bureau de la distribution.
3
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour un rappel au règlement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Philippe Widdershoven, demeurant à Morthemer, délégué syndical CGT de l’usine de porcelaine Deshoulières SA à Chauvigny, dans la Vienne, s’est donné la mort hier à l’âge de cinquante-six ans.
Il a laissé une lettre dans laquelle il explique qu’il subissait une pression professionnelle trop importante. Il avait consacré beaucoup de son temps, en tant que salarié et militant syndical, à défendre l’emploi dans l’entreprise dans laquelle il travaillait, laquelle a licencié quatre-vingt-quatre salariés à la fin du mois de décembre dernier.
Je vous demande d’observer à sa mémoire une minute de silence. (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent et observent une minute de silence.)
M. le président. Notre assemblée a une pensée émue pour la famille et les proches du défunt. Cet homme avait gravi tous les échelons professionnels. Sa disparition ne nous laisse pas indifférents.
4
Politique étrangère
Déclaration du Gouvernement suivie d'un débat
M. le président. L’ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d’un débat, sur la politique étrangère de la France.
La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà plus de quarante ans, le général de Gaulle avait pris une décision qui marqua, il est vrai, un jalon important dans notre politique étrangère.
Aujourd’hui, la décision du Président de la République de parachever le rapprochement de la France avec l’OTAN, entamé sous François Mitterrand, puis poursuivi sous Jacques Chirac, en demandant son plein retour dans la structure militaire intégrée de l’Organisation suscite un débat.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, ce débat est légitime au sein d’une démocratie comme la nôtre, mais, je vous en prie, mesdames, messieurs les sénateurs, laissons de côté les fantasmes et les non-dits ! La sécurité et l’indépendance de la France, le rôle de l’Europe s’enracinent depuis soixante ans – et peut-être plus encore aujourd’hui – au cœur de notre relation avec l’OTAN.
Les interrogations – légitimes – sur une prétendue perte d’indépendance, de souveraineté ou d’ambition, voire sur le renoncement à une politique étrangère digne de ce nom masquent les vraies questions sur le sens, le contenu et la portée de notre indépendance et de notre politique étrangère.
Le 11 mars dernier, le Président de la République, puis, la semaine dernière, à l’Assemblée nationale, le Premier ministre ont été très clairs à ce propos. Permettez-moi de revenir devant vous sur le sens de notre décision.
En prenant toute sa place dans l’OTAN et en rejoignant son commandement intégré, la France ne diminue en rien son indépendance militaire. Trois principes fondamentaux continueront de régir notre participation à l’Alliance atlantique : l’indépendance complète de notre dissuasion nucléaire ; la liberté totale d’appréciation sur la conduite des opérations et leur bien-fondé, ce qui signifie le rejet de toute automaticité dans nos engagements militaires ; la liberté de décision en toutes circonstances, qui suppose qu’aucune force française ne soit placée en permanence, en temps de paix, sous le commandement de l’OTAN.
Quoi que l’on en pense sur le fond, l’exemple récent de l’Espagne, membre important de l’OTAN, ayant décidé de retirer son contingent de la KFOR, la force pour le Kosovo, est l’exemple même de la liberté de choix laissé aux membres de l’OTAN.
On entend dire aussi que le retour dans le commandement intégré de l’OTAN ne constituerait pas, dans les faits, un grand changement et serait donc inutile. Mais si, au contraire ! Nous pourrons désormais participer pleinement et en toute conscience aux discussions et aux débats internes dont nous étions jusqu’ici absents. Qui contesterait le fait qu’il s’agit là d’un renforcement de notre position ?
D’ailleurs, le gouvernement de M. Zapatero nous a félicités, tout comme, hier, celui de M. Brown. Et, si vous avez lu la presse, mesdames, messieurs les sénateurs, vous devez savoir que les Russes nous approuvent d’avoir réintégré l’OTAN ; ils y auront enfin un ami… (Rires sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Didier Boulaud. Cela manque de conviction !
M. Bernard Kouchner, ministre. Bref, tous nos partenaires européens se réjouissent de cette décision, car ils ont bien compris que, en jouant pleinement notre rôle au sein de l’OTAN, nous pourrons faire valoir plus efficacement le projet européen et tâcherons en permanence de renforcer la défense européenne. Ainsi, on ne pourra plus nous accuser de tenir un double langage et de vouloir donner moins de sens à notre engagement au sein l’OTAN !
M. Didier Boulaud. Elle est morte, la défense européenne ! On va faire des économies !
M. Bernard Kouchner, ministre. Plus précisément, nous aurons les mains libres pour promouvoir une défense européenne digne de ce nom.
Dans toutes les capitales, les réactions sont positives.
M. Didier Boulaud. Rendez-vous dans deux ou trois ans !
M. Bernard Kouchner, ministre. Quand vous voulez, monsieur le sénateur !
Les réactions sont positives, disais-je, non seulement parmi les États qui ont été les derniers à rejoindre l’Union européenne et l’OTAN, mais aussi parmi les pionniers de la construction européenne ; je veux parler de l’Italie, de la Belgique, des Pays-Bas, du Luxembourg et de l’Allemagne.
Comme je l’ai indiqué tout à l'heure, les réactions sont également favorables en Grande-Bretagne, pays avec lequel nous avons lancé – à juste titre – voilà dix ans le processus de Saint-Malo.
M. Didier Boulaud. Et chez les Turcs ?
M. Bernard Kouchner, ministre. Nos partenaires européens voient dans notre choix l’occasion d’une clarification, qui rendra plus simples les rapports entre l’Europe et l’Alliance.
Que disent nos amis et alliés américains ?
M. Jean-Louis Carrère. « À la vôtre ! »
M. Bernard Kouchner, ministre. Certes, ils saluent notre décision, ce qui ne vous surprendra pas, mais ils vont plus loin encore. D’ailleurs, je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à lire la déclaration du président Obama, dans laquelle il affirme souhaiter, dans le même temps, que les capacités de défense de l’Union européenne se renforcent. Aujourd'hui, nos amis et alliés américains savent qu’ils ont désormais besoin d’une Europe forte et volontaire.
M. Didier Boulaud. Et que dit Bush ?
M. Bernard Kouchner, ministre. Pour eux, désormais, il n’existe plus de contradiction entre l’appartenance à l’Alliance atlantique et l’existence d’une vraie défense européenne.
Par ailleurs, que disent les Russes ? Sont-ils inquiets ? Voient-ils dans notre décision le raidissement d’un camp occidental et le retour d’une logique d’affrontement ? Non, bien au contraire !
Ils sont convaincus que la présence française renforcera le poids des Européens dans les processus de décision et sont favorables à cette réintégration, car ils savent qu’elle va dans le sens d’un renforcement des relations entre la Russie et l’Alliance, que nous appelons de nos vœux.
M. Didier Boulaud. Cela n’a pas empêché Medvedev de critiquer l’OTAN !
M. Bernard Kouchner, ministre. Nos partenaires arabes ont-ils exprimé une inquiétude ? Ont-ils crié à la trahison ? Non plus ! Ils savent bien que nos positions dans la région ne sont pas déterminées par notre place à l’intérieur du commandement intégré de l’OTAN. En d’autres termes, ils savent que notre retour au sein du commandement intégré n’altère en rien l’indépendance de notre politique étrangère.
La décision dont nous parlons aujourd’hui s’inscrit dans un ensemble, que je vous demande de considérer, mesdames, messieurs les sénateurs, sans précipitation ni préjugés.
La France compte parmi les rares nations à avoir une politique étrangère.
M. Didier Boulaud. Cela ne va pas durer !
M. Bernard Kouchner, ministre. C’est une évidence pour les Français, mais cela reste une exception dans le monde d’aujourd’hui.
Une politique étrangère, c’est une ambition, une volonté et des moyens. Il revient à la diplomatie de trouver la bonne alchimie entre les instruments de puissance classique et ceux de ce que l’on appelle le soft power, de sorte que notre pays soit en mesure de peser sur la scène internationale. Nous ne pouvons négliger aucune de ces deux dimensions.
Nous sommes confrontés à un monde chaotique et instable. Nous y faisons face avec réalisme et détermination, dans le respect de nos valeurs et de nos intérêts. Je ne prendrai ici que trois exemples.
Le premier exemple concerne la Russie, dont nous avons déjà parlé et avec laquelle il est nécessaire que la France et l’Union européenne entretiennent une relation durable, équilibrée, respectueuse de part et d’autre, fondée sur notre interdépendance, notamment dans le domaine énergétique. Nous entendons le faire sans complaisance et sans transiger sur les principes, en évitant les provocations inutiles.
La crise géorgienne a montré l’été dernier que l’Europe, lorsqu’elle en avait la volonté politique, parvenait à s’exprimer d’une seule voix, et qu’elle était dans ce cas, mais dans ce cas-là seulement, entendue et respectée.
M. Didier Boulaud. En attendant, les Russes sont toujours en Abkhazie et en Ossétie, et ils y sont durablement !
M. Bernard Kouchner, ministre. C’est l’Europe, en effet, qui, dès le début du conflit, a mesuré le danger que nous courions à laisser faire, qui a fait prévaloir le droit et le dialogue sur la force, qui a su trouver une solution de paix et les moyens de la mettre en œuvre sur le terrain.
M. Didier Boulaud. Et les Russes alors ?
M. Bernard Kouchner, ministre. Le deuxième exemple concerne le Proche-Orient et le Moyen-Orient, qui sont notre voisinage immédiat. Ce qui s’y joue est essentiel, notamment pour notre propre sécurité. Nous y sommes très actifs, à titre national ou au sein de l’Union européenne.
Nous avons restauré avec Israël une relation de confiance et d’amitié, tout en disant de manière claire et parfaitement audible, au plus haut niveau, qu’il n’y aura pas d’Israël vivant en paix dans des frontières sûres et reconnues sans un État palestinien viable, et donc sans un arrêt de la politique actuelle de colonisation.
Nous avons avec le Liban des liens historiques qui ne se sont jamais distendus, même dans les moments de grande difficulté.
M. Jean-Louis Carrère. Salut au Likoud !
M. Bernard Kouchner, ministre. Nous avons joué, avec l’Égypte, un rôle central dans la sortie de crise à Gaza, même si ce n’est pas terminé – hélas ! –, et nous continuerons, avec nos partenaires européens, à soutenir l’Autorité palestinienne et le peuple palestinien. Nous avons renoué le dialogue avec la Syrie après l’élection du Président Sleimane au Liban. La nomination, hier, du premier ambassadeur de la Syrie au Liban est aussi un succès de notre politique !
Sur un autre dossier essentiel, l’Iran, nous avons joué, avec le Royaume-Uni et l’Allemagne, un rôle majeur, ralliant la Russie, la Chine et les États-Unis à la stratégie de dialogue et de sanctions que nous avons définie et poursuivie depuis 2003 avec constance, malgré les critiques de toutes parts, et à laquelle le Président Obama vient de donner une impulsion que nous saluons, avec son offre de dialogue à Téhéran. Nous avons renforcé notre présence dans le Golfe, avec notamment l’installation d’une base militaire à Abou Dabi, et nous sommes de retour en Irak. (M. Didier Boulaud rit.)
Si l’on veut poursuivre l’arc de crise que j’évoquais à l’instant, notre présence militaire et notre aide civile ont été encore récemment renforcées en Afghanistan, dans le cadre d’une stratégie globale...
M. Jean-Louis Carrère. Tiens, tiens...
M. Bernard Kouchner, ministre. ... à laquelle se rallient désormais tous nos principaux partenaires : approche d’ensemble, puisqu’il n’y a pas de solution militaire à ce conflit,...
M. Jean-Louis Carrère. Ça évolue ! Il n’y a effectivement pas de solution militaire.
M. Bernard Kouchner, ministre. ... dimension régionale, utilité d’amorcer un dialogue entre Afghans pouvant déboucher sur une réconciliation nationale.
Le troisième exemple concerne les États-Unis, avec lesquels nous avons renoué une relation forte et confiante, fondée sur des intérêts partagés et des valeurs communes. Ce rapprochement, entamé sous la précédente administration américaine, a été confirmé depuis l’élection de M. Barack Obama, dont les premières orientations de politique étrangère montrent une forte proximité avec nos propres positions.
M. Didier Boulaud. Celles de Bush aussi alors ?
M. Bernard Kouchner, ministre. C’est ce rapprochement, doublé d’un soutien public du Président des États-Unis à la défense européenne, qui a ouvert la voie au retour de la France au sein de la structure militaire intégrée de l’Alliance atlantique.
C’est notre intérêt, comme c’est celui de l’Union européenne, de pouvoir partager le fardeau de la gestion des crises…
M. Didier Boulaud. On va surtout payer l’addition !
M. Bernard Kouchner, ministre. … dans un esprit de complémentarité, et avec le souci constant de faire vivre nos valeurs et nos principes sur le terrain : au Kossovo, en Géorgie, au Tchad, en mer d’Aden, partout où, grâce à notre action acharnée, nous avons fait flotter le drapeau européen au service de la paix et de la sécurité.
M. Jean-Louis Carrère. C’est ça !
M. Didier Boulaud. Elle est morte ! (M. le ministre s’esclaffe.)
M. Jean-Louis Carrère. Vous l’avez tuée ! (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. Didier Boulaud. Si elle n’est pas morte, elle est subclaquante !
M. le président. Poursuivez monsieur le ministre !
M. Bernard Kouchner, ministre. J’allais le faire, mais laissez-moi me remettre de ce que je viens d’entendre ! (Sourires.)
M. le président. Ce n’est qu’une affaire de diagnostic !
M. Bernard Kouchner, ministre. C’est bien pourquoi je me sentais concerné, monsieur le président ! (Nouveaux sourires.)
M. Didier Boulaud. Entre vétérinaire et médecin, vous pouvez vous entendre !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Bernard Kouchner, ministre. La PESD a progressé sur le terrain, mais elle a aussi connu des avancées considérables sous notre présidence,…
M. Jean-Louis Carrère. On l’a vu !
M. Bernard Kouchner, ministre. … dans ses outils, ses concepts et ses institutions. Je ne citerai que quelques-unes des nombreuses avancées enregistrées par certains…
M. Didier Boulaud. Surtout le commandement, l’état-major !
M. Bernard Kouchner, ministre. Une série de projets capacitaires « robustes, flexibles et interopérables » sont proposés aux États membres au service d’un nouveau niveau d’ambitions. M. Hervé Morin pourra vous en dire plus s’il le souhaite.
M. Didier Boulaud. Et sur l’état-major ?
M. Bernard Piras. Demandez aux militaires !
M. Bernard Kouchner, ministre. Un programme d’échange d’officiers de type Erasmus et le renforcement du Collège européen de sécurité et de défense développeront cette interopérabilité et, surtout, une culture commune ; la création, parmi les officiers, de cette culture européenne de défense est fondamentale à nos yeux. Enfin, une capacité unique de planification stratégique des opérations de l’Union européenne sera créée avec le Secrétariat général du Conseil.
Ces dernières semaines, j’ai beaucoup entendu regretter que l’Union européenne ne dispose pas d’un état-major, mais soyons précis : l’Union a un état-major depuis l’an 2000.
M. Didier Boulaud. Ah bon ?
M. Bernard Kouchner, ministre. Ce dont il s’agit, c’est de la constitution progressive d’une capacité de planification et de conduite d’opérations. À Bruxelles, cela n’a pas encore été fait, mais cette perspective demeure. L’Europe avance ainsi ; il faut de la ténacité, de l’obstination, et des années parfois. Nous y parviendrons.
Mesurez bien ce que cette énumération rapide – trop rapide d’ailleurs – des opérations en cours et des avancées institutionnelles représente comme progrès en matière d’Europe de la défense ! Qui pourrait contester que l’Europe de la défense a considérablement avancé et qu’elle a apporté une contribution inestimable à la paix ? Des progrès, vous avez raison, il en faudra d’autres. Mais regardez le chemin parcouru : pendant des décennies, la défense européenne était un tabou ; à Saint-Malo, elle est devenue un rêve !
M. Didier Boulaud. Saint-Malo, joli port de mer !
M. Bernard Kouchner, ministre. Nous en avons fait une réalité, et nous continuerons ensemble.
Dans le monde globalisé qui est le nôtre, il ne suffit pas de proclamer qu’aucune nation, même la plus puissante, ne peut régler seule les problèmes du monde. Il faut encore en tirer les justes conclusions. Dans l’avenir, les États-Unis auront autant besoin de nous, Européens, que nous aurons besoin d’eux.
Nous ne sommes plus au temps de la guerre froide et de l’opposition des blocs. Nous ne sommes pas plus au temps de l’hyper-puissance américaine qui a marqué les deux dernières décennies. Nous sommes, en revanche, dans un temps où la libre alliance des peuples et des démocraties, indépendantes mais solidaires, contribuera à la stabilité et à la sécurité du monde.
Soyons lucides, les menaces et les risques se sont accrus, et personne, aucune nation, ne peut prétendre protéger efficacement ses citoyens dans un splendide isolement.
L’ambition de la France n’est pas de se résigner à un monde de conflits et de crises, sans faire valoir ses propres vues.
L’expérience de la Présidence française de l’Union européenne nous a confortés dans la certitude que notre ambition sera d’autant mieux assumée que nous saurons la faire partager par d’autres.
Où sont, aujourd’hui, nos responsabilités ? « Responsabilité », c’est un mot que l’on n’a peut-être pas assez entendu au cours des débats des dernières semaines.
M. Jean-Louis Carrère. Il y en a qui ferait bien de se l’appliquer !
M. Bernard Kouchner, ministre. Et pourtant, c’est bien de cela qu’il s’agit. Notre responsabilité, c’est de comprendre que la paix a un prix. Dans une vieille nation qui a tant souffert de tant de conflits, affirmer que nous souhaitons la paix et la sécurité pour tous suscite aisément le consensus.
M. Didier Boulaud. C’est pour cela que vous l’avez rompu !
M. Bernard Kouchner, ministre. Les divergences viennent ensuite, quand il s’agit de tirer toutes les conclusions de cette affirmation.
L’Europe, qui constitue pour l’heure un îlot de stabilité et qui, par rapport aux autres, est encore riche, ne peut être la seule à négliger sa propre sécurité ; nous nous heurtons à des limites qui mettent en cause notre crédibilité.
Le monde reste dangereux ; ne fermons pas les yeux, ne soyons pas comme les nations fatiguées dont parle Tocqueville, qui écrivait : « Une nation fatiguée de longs débats consent volontiers qu’on la dupe, pourvu qu’on la repose ».
M. Didier Boulaud. Il n’y a pas que les nations !
M. Bernard Kouchner, ministre. Pendant longtemps, en effet, l’Europe n’a pas voulu prendre ses responsabilités sur la scène du monde, notamment en matière de sécurité. Les Européens voulaient seulement qu’on les laisse en paix. Ils s’accommodaient fort bien de la protection d’un plus puissant. Mais il n’y a pas de diplomatie s’il n’y a pas de défense.
L’Europe s’est construite à travers les défis successifs qu’elle a su relever. Le premier défi fut celui des séquelles de la guerre et de la barbarie nazie. Le deuxième fut celui du rideau de fer et des ravages du communisme.
Le défi pour l’Europe, aujourd’hui, c’est d’apprendre à porter la paix et la sécurité à l’extérieur de ses frontières. Ayant su répondre aux deux défis précédents par une constante réinvention et par un changement de dimension, l’Europe est aujourd’hui capable, avec la même ambition et la même volonté, dans le respect de son histoire et de ses valeurs, de s’attaquer aux nouveaux défis qui se présentent à elle.
Où nous conduirait le splendide isolement que certains préconisent et que personne ne comprend hors de nos frontières ?
M. Didier Boulaud. Quel isolement ? De quoi parle-t-on ?
M. Bernard Kouchner, ministre. Il ne mènerait pas, assurément, aux résultats que l’on promet.
Pour ma part, dans « indépendance », j’entends : capacité à faire des choix, à prendre des responsabilités et à peser sur le cours des choses.
M. Didier Boulaud. Allez gaullistes, réveillez-vous !
M. Bernard Kouchner, ministre. Oui, c’est vrai, le geste gaullien de 1966 a donné un éclat particulier à notre pays. Beaucoup de peuples ont vu dans ce geste un appel, un message, un symbole.
M. Jean-Louis Carrère. Maintenant, c’est la rupture avec le gaullisme !
M. Bernard Kouchner, ministre. Mais ce geste, qui s’est figé au cours des années suivantes, risquait de se transformer en déni des réalités et c’eût été très inquiétant.
Autant l’indépendance suscite l’admiration, autant l’oubli des réalités suscite la méfiance et même l’inimitié. Je ne parle pas de l’arrogance d’ailleurs. L’arrogance est le contraire même de l’influence, qui doit être au cœur de la politique étrangère.
Le général de Gaulle a pris sa décision dans l’intérêt de notre indépendance,…
M. Christian Poncelet. C’est vrai !
M. Bernard Kouchner, ministre. … dans un contexte historique et stratégique totalement différent. Aujourd’hui, la décision de reprendre toute notre place dans l’Alliance préserve entièrement notre indépendance, mais surtout, et c’est cela qui est essentiel, mesdames et messieurs les sénateurs, elle renforce notre influence dans l’Alliance,…
M. Didier Boulaud. On en reparlera ! Je vous donne rendez-vous !
M. Bernard Kouchner, ministre. … en Europe, dans la relation transatlantique et dans le monde.
En somme, quel est notre choix ? C’est mettre plus de France en Europe, plus d’Europe dans l’Alliance atlantique, et plus de défense dans l’Union européenne. C’est aussi cela avoir « une certaine idée de la France ». (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Alain Gournac. Un gaulliste !
M. Didier Boulaud. Un petit coup de rupture !
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. « Rien ne peut faire qu’une alliance demeure telle qu’elle quand ont changé les conditions dans lesquelles on l’avait conclue. Dans ce cas-là, il faut adapter aux données nouvelles la loi, le traité, l’alliance ; si on ne le fait pas, alors les textes sont vidés de leur substance et ce ne sont plus, le cas échéant, que de vains papiers d’archives, à moins que ne se produise une rupture brutale entre les formes désuètes et les vivantes réalités. »
Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ces propos du général de Gaulle, tenus en 1966, sont parfaitement transposables quand il s’agit de nos relations avec l’OTAN, même s’il est vrai que la conjoncture de 1996 n’avait rien de commun avec celle de 1966, ni celle de 2009 avec celle de 1996.
Tout a changé depuis le temps où le général de Gaulle avait retiré nos troupes du commandement intégré de l’OTAN : la nature des défis auxquels les membres de l’Alliance doivent faire face ; les zones de conflits potentiels ; l’apparition de nouveaux facteurs de déstabilisation dans le monde.
Ce sont ces raisons qui avaient conduit la France à se rapprocher de l’OTAN en 1996 et à effectuer la plus grande partie du chemin en réintégrant la plupart des comités militaires de l’organisation.
Il n’entre nullement dans mon esprit de minimiser la décision du Président de la République de réintégrer le comité des plans de défense de l’OTAN en soulignant qu’il s’agirait d’une simple évolution. On ne doit cependant pas davantage exagérer la portée symbolique de l’événement.
Comme l’a dit le Président de la République le 11 mars dernier, « dans le monde des puissances relatives, aucun État ne peut imposer seul son point de vue ». Dès lors, « la coopération et la solidarité sont les fondements de l’action ».
Cette coopération et cette solidarité sont au cœur de notre diplomatie. Elles trouvent l’une de leurs traductions privilégiées dans notre participation active aux grandes organisations qui structurent la vie internationale.
C’est le cas, bien entendu, dans l’Organisation des Nations unies, qui reste pour la France l’élément central des relations internationales et de la sécurité collective, et au sein de laquelle nous voulons pleinement assumer nos responsabilités de membre permanent du Conseil de sécurité.
C’est le cas dans l’Union européenne, qui a tant mobilisé notre énergie ces derniers mois, avec la conclusion du traité de Lisbonne et notre présidence au semestre dernier.
C’est le cas dans d’autres organisations, parmi lesquelles figure, dans le domaine de la défense, l’Alliance atlantique, dont nous sommes membre depuis soixante ans et à travers laquelle nous réalisons, depuis quinze ans, une large part de nos engagements militaires en faveur du rétablissement et du maintien de la paix, sous mandat des Nations unies.
S’impliquer dans les organisations internationales ne saurait bien évidemment constituer une fin en soi. Ce n’est qu’un moyen, au service d’une politique destinée à garantir nos intérêts nationaux et à défendre les valeurs essentielles auxquelles notre pays est attaché. Telle est bien la démarche qu’a suivie le Président de la République à l’égard de l’OTAN.
La décision prise par le chef de l’État, dans l’exercice de responsabilités qui relèvent naturellement de l’exécutif, s’appuie sur l’analyse stratégique extrêmement approfondie menée dans le cadre du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale. L’articulation de nos engagements dans la défense européenne et dans l’Alliance atlantique était effectivement l’une des questions majeures que la commission du Livre blanc était chargée de traiter. C’est un point auquel la commission des affaires étrangères et de la défense a été d’autant plus attentive au cours de ces derniers mois que, dans un rapport d’information cosigné par des sénateurs de la majorité et des sénateurs de l’opposition et publié dès juillet 2007,…