Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. C’est sûr !
M. Roland Courteau. Il avait cent fois raison ! Si nous voulons changer les mentalités, c’est par là qu’il faut commencer. Trop souvent, les jeunes garçons et les jeunes filles sont enfermés dans des représentations très stéréotypées de leur rôle et de leur place dans la société.
Je n’ignore pas que des instructions ont été données en 2006, qui mettent l’accent sur la prévention et la lutte contre les violences sexistes et sur la promotion du respect mutuel entre filles et garçons.
Je sais également qu’en 2005 les instances de l’Union européenne ont bien recommandé aux États membres de veiller à une éducation de base qui évite les schémas et les préjugés culturels et sociaux ou les images stéréotypées du rôle de chaque sexe.
J’avais suggéré fortement, avec mes collègues du groupe socialiste, dans notre proposition de loi initiale, l’introduction dans les programmes scolaires d’une information sur le respect mutuel entre garçons et filles, sur l’égalité entre les sexes, sur le respect des différences, sur le respect de l’intégrité physique, ainsi qu’une sensibilisation à la nécessité de résoudre les conflits d’une façon non violente.
Mais le Sénat, suivant, sur ce point également, l’avis du Gouvernement, n’avait pas retenu cette proposition, ce qui nous était apparu comme très regrettable à la lumière du climat de violence qui commençait déjà à s’étendre autour de certains établissements scolaires.
Pouvez-vous donc m’indiquer, madame la secrétaire d’État, quelles ont été, au cours des trois dernières années, les actions concrètes engagées dans ce domaine auprès des établissements scolaires ?
Je rappelle, en effet, que les différents ministres en charge du dossier des violences à l’égard des femmes avaient, ici même, pris des engagements pour justifier leur refus de voir nos amendements introduits dans la loi, prétextant que tous les outils se trouvaient déjà dans le code de l’éducation et qu’il n’y avait nul besoin d’en créer d’autres. Dès lors, puisque les outils sont censés exister, je souhaiterais connaître l’usage qui en a été fait. Quelles actions ont été engagées, en trois ans, en direction des écoles, et quel bilan peut-on en tirer aujourd’hui ?
Le problème est d’importance, car on assiste à un accroissement des comportements et des violences sexistes chez de nombreux adolescents.
Il m’a été également rapporté que le nombre d’adolescentes victimes d’agression sexuelles serait en augmentation.
Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes. C’est certain !
M. Roland Courteau. Serait-ce dû au fait que, parfois, l’apprentissage de la sexualité chez certains adolescents se fait à partir d’internet ou de cassettes pornographiques qui évoquent l’usage consensuel de la violence dans les relations sexuelles, de même que la banalisation de celles-ci ?
Toujours en ce qui concerne la prévention, il est par ailleurs impératif de veiller à l’image de la femme dans les médias. Voilà pourquoi, à diverses reprises, ici même, j’ai rappelé qu’il fallait que, dans ce domaine, soit appliquée plus rigoureusement la loi de 1986. Cette loi, relative à la liberté de communication, dispose : « L’exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise [...] par le respect de la dignité de la personne humaine ».
Améliorons donc l’application de la loi, en faveur du respect de la personne humaine et contre les images choquantes, dévalorisantes et dégradantes de la femme.
Mais peut-être faut-il aller plus loin pour faire respecter les femmes et leur image, par le biais notamment de campagnes de sensibilisation grand public, et surtout par un réel contrôle qui ne se limite pas aux seules publicités télévisées.
Enfin, je note avec satisfaction l’annonce faite par le Premier ministre d’ouvrir la voie à la reconnaissance de la lutte contre les violences faites aux femmes comme grande cause nationale pour 2010.
Je souhaite également m’attarder quelques instants sur le problème des violences psychologiques. Je rappelle à cet égard que notre proposition de loi initiale les prenait bien en compte. Par ailleurs, un amendement concernant cette question a été rejeté par le Sénat, par 140 voix contre 138, si ma mémoire est bonne.
Trois ans après le rejet par le Sénat de cette disposition, la plupart des associations nous disent attendre que soit introduite dans le code pénal une définition des violences psychologiques. Les questions relatives au harcèlement ou aux comportements « persécutoires » sont au premier rang des préoccupations des associations, car celles-ci en mesurent chaque jour les effets désastreux.
Je n’en suis pas étonné ! Comme je l’ai tant de fois expliqué ici même, la violence psychologique est l’arme de l’agresseur habile. Elle détruit un être à petit feu, elle le conduit vers la dépression et sur des pentes extrêmement périlleuses pour sa santé et pour sa vie. Mais, le plus souvent, elle ne laisse pas de marques visibles. Pas de traces, donc pas de preuves !
J’ai trop entendu dire qu’il ne s’agirait pas là de véritables violences. Pourtant, comment qualifier autrement cet acharnement à détruire la personnalité de sa partenaire, à l’humilier, à la rabaisser, à la harceler, à la dénigrer, à la menacer, et cela de façon répétée, jour après jour, nuit après nuit, durant des mois voire des années ?
Il m’apparaît nécessaire, madame la secrétaire d’État, de faire en sorte que les violences psychologiques soient prises en compte au même titre que les violences habituelles, physiques. Peut-être pourrions-nous y parvenir en insistant sur la notion de « harcèlement » ou de « comportement persécutoire » : les preuves sont en effet plus faciles à réunir dans ces cas-là.
Je rappelle que nous avons déposé, en 2007, une proposition de loi dans laquelle nous suggérions d’insérer, après l’article 222-14-1 du code pénal, un article 222-14-2 visant les violences physiques et psychologiques habituelles – j’insiste sur ce dernier terme – commises au sein du couple, dès lors qu’elles portent atteinte à l’intégrité de la personne. Mais j’aurai sans doute l’occasion de revenir prochainement sur ce sujet.
Je souhaite également évoquer l’une des dispositions phares de la loi du 4 avril 2006, celle qui est relative à l’éloignement du domicile de l’auteur des violences. Comme votre rapport le précise, madame la secrétaire d’État, cette mesure permet d’inverser le rapport de force symbolique, car, trop souvent, la victime était obligée de quitter le domicile. Cependant, sauf erreur de ma part, cette disposition, impatiemment attendue par les associations et, plus largement, par l’ensemble des intervenants, est peu utilisée par les magistrats, car seulement un peu plus de 9 % des affaires donnent lieu au prononcé d’une mesure d’éloignement.
Quelles en sont les raisons ? Les places disponibles dans les structures de prise en charge ou dans les hébergements sont-elles insuffisantes pour accueillir les auteurs des faits ? S’agit-il d’un manque de ressources, ou encore de l’absence de familles d’accueil ? Je m’interroge sur l’effectivité de cette mesure et je sollicite des éléments de réponse de votre part, madame la secrétaire d’État.
Une autre question porte sur l’injonction de soins prévue pour les auteurs de violences conjugales : est-elle appliquée aussi souvent que nécessaire ? La prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique est une mesure importante pour lutter contre la récidive chez les auteurs de violences. Or je note que, sur le plan national, le taux de récidive est croissant. Je précise également que, dans mon département, les associations ont mis en place une permanence d’accueil pour les auteurs de violences et constitué des groupes de parole, en liaison avec la mission départementale.
La prévention de la récidive par l’injonction de soins à l’agresseur implique l’existence de lieux d’accueil, de structures de soins, d’intervenants qualifiés et donc de financements. On en revient toujours au problème récurrent du financement ! Je souhaiterais que vous m’éclairiez sur ce point, madame la secrétaire d’État : quels moyens entendez-vous y consacrer ?
Cela m’amène à revenir sur la réduction des crédits alloués par l’État à des associations comme le Planning familial, même s’il semble que ces crédits soient en voie d’être rétablis.
M. Roland Courteau. Vous conviendrez que ce n’était pas le meilleur endroit pour faire des économies !
Puisque j’en suis aux épineuses questions financières, je souhaite évoquer les difficultés rencontrées par les associations en matière d’hébergement des victimes. Les places manquent dans ce domaine, tout comme elles manquent en « accueil d’urgence de nuit ».
Nous ne pourrons appliquer correctement cette loi du 4 avril 2006, en matière d’éviction, d’obligation de soins, d’hébergement de l’agresseur et de protection des victimes que si des moyens sont corrélativement mis en place. À défaut, certaines mesures resteront lettre morte.
Pardonnez-moi de le dire ainsi, madame la secrétaire d’État, mais dès lors qu’il s’agit de solidarité nationale, la balle est dans votre camp.
On ne peut décemment laisser les associations, les salariés et les élus bénévoles, se débattre dans d’inextricables problèmes de financement, alors qu’elles s’efforcent de rendre effectif l’essentiel des mesures que nous avons décidées. Prenons garde qu’à trop tirer sur la corde elle ne finisse par casser…
Une autre question concerne la formation des différents intervenants, à commencer par celle des professionnels de santé, souvent en première ligne face aux violences physiques, sexuelles ou psychologiques. Ceux-ci considèrent que le dépistage ou le conseil aux victimes pour prévenir les drames humains n’est pas chose aisée et se disent pris entre le devoir de protection de la santé de leurs patientes et les impératifs du secret professionnel.
Ils leur arrivent même, parfois, de solliciter les associations. Or, dans l’hypothèse de poursuites, la rédaction d’un certificat médical et l’évaluation de l’incapacité temporaire de travail, l’ITT, sont essentielles, d’où la nécessité d’une formation et d’une information approfondies des professionnels de santé.
En fait, sur ce sujet, de nombreux intervenants ont un rôle majeur à jouer en matière de détection, de repérage, d’accompagnement et de prise en charge.
C’est la raison pour laquelle il nous était apparu nécessaire de poser, d’abord dans la proposition de loi, ensuite par voie d’amendement, le principe de la formation initiale et continue de tous les acteurs sociaux, médicaux et paramédicaux : personnels de la police et de la gendarmerie, magistrat, avocats, enseignants.
Il a manqué un consensus pour introduire ces dispositions dans la loi, mais le Gouvernement a pris des engagements. Si j’ai pu vérifier qu’un effort avait été réalisé en matière de formation des policiers et des gendarmes, pour le reste, sauf erreur de ma part, je n’ai rien vu venir. La charte d’accueil ainsi que les instructions interministérielles ont effectivement permis de mobiliser les acteurs de la sécurité. Cependant, en ce qui concerne les autres intervenants, l’essentiel reste à faire en matière de formation.
Ne pourrait-on pas introduire la problématique des violences conjugales dans les programmes des étudiants qui se destinent aux carrières d’avocats, de magistrats, d’enseignants ou de médecins ?
Encore une fois, si les attentes sont fortes et les besoins évidents, les professionnels ne sont pas toujours sensibilisés à la problématique des violences conjugales. À quelques exceptions près, j’ai le sentiment que ce terrain est encore en friche.
Je veux évoquer également le sujet de l’aide juridictionnelle qu’il conviendrait d’accorder, sans condition de ressources, aux victimes de violences conjugales. Celles-ci sont souvent en état de choc et il faut leur faciliter la tâche, notamment dans les moments difficiles où elles décident de réagir. Leur dépendance financière risque aussi de constituer un frein dans la recherche d’un avocat, et il est inutile de compter sur le concours du conjoint ou du partenaire pour faire face à ce type de dépenses.
Une autre priorité serait de permettre aux victimes de violences conjugales d’obtenir, sans condition de ressources, la réparation intégrale des dommages subis, en intégrant, de manière explicite, dans l’article 706-3 du code de procédure pénale, les infractions les plus graves commises au sein du couple. Cette possibilité existe déjà pour certaines infractions.
L’accès au logement social constitue un autre problème. Il s’agit d’une mesure essentielle pour permettre aux femmes de se reconstruire et de se retrouver en sécurité. La solution du centre d’hébergement spécialisé ne peut durer qu’un temps ; ces établissements manquent d’ailleurs de places, je le répète. Il existe une pénurie de logements adaptés aux ressources de ces personnes. On note même, de la part de certains propriétaires, une forte réticence à reloger ces familles monoparentales à revenus faibles.
Il est capital que les femmes victimes de violences conjugales soient véritablement prioritaires dans l’accès au logement social, en particulier celles qui sortent des centres spécialisés. Le logement et l’insertion professionnelle jouent un rôle essentiel dans le retour à l’autonomie. Et même si la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion présente quelques avancées sur ce point, je suggère que, chaque année, des propositions de logements sociaux soient faites aux associations spécialisées.
Je veux enfin m’attarder sur un point capital, que nous n’avons que très rarement évoqué : l’incidence des violences conjugales sur les nourrissons et les jeunes enfants. Ils en sont en effet les spectateurs et les victimes collatérales et, lorsqu’ils sont exposés à des violences domestiques, leur cerveau ainsi que leur développement moteur et cognitif peuvent subir des dommages sévères liés au stress émotionnel ressenti. Ces enfants peuvent présenter des troubles du sommeil ainsi que des troubles du comportement et de la personnalité tels que des dépressions, des tendances suicidaires, une énurésie ou des maladies psychosomatiques.
Certaines études ont par ailleurs révélé que 40 % des adolescents très violents ont eux-mêmes été exposés à ce genre de violences lorsqu’ils étaient jeunes enfants.
Bref, les violences conjugales constituent une redoutable machine à fabriquer et à reproduire de la violence. Les enfants exposés aux violences ont souvent tendance à considérer celles-ci comme un moyen habituel de résoudre les problèmes interpersonnels. Une prise en charge de ces enfants s’impose donc si l’on veut limiter l’impact psychique que peuvent avoir sur eux les violences conjugales. C’est pourquoi certaines associations comme le Centre d’information sur les droits des femmes et des familles, le CIDFF, du département de l’Aude envisagent de mettre en place des « lieux d’écoute ». Je souhaiterais savoir si vous entendez encourager et, surtout, soutenir de telles initiatives, madame la secrétaire d’État.
Je ferai encore une remarque sur un point soulevé, voilà quelque temps, par notre collègue Raymonde Le Texier. Il a été reproché à une femme battue par son mari, ainsi qu’à l’association qui l’hébergeait, d’avoir dissimulé au père l’adresse réelle de la mère et des enfants. L’affaire a été jugée voilà environ deux ans. Or, s’il est légitime de veiller aux droits du père, il importe aussi d’assurer la protection de la mère et des enfants. Cela soulève le problème du cloisonnement entre le pénal et le civil. C’est pourquoi nous suggérons la création de « lieux neutres » ou d’« espaces de rencontre » où le parent exclu du domicile et tenu de rester éloigné de sa compagne pourra rencontrer ses enfants. Je me permets de vous signaler qu’un tel projet pourrait prochainement voir le jour, en terre d’Aude, sur l’initiative du CIDFF.
Cela me conduit à plaider pour une véritable cohérence entre les procédures pénales et civiles, ce qui rejoint d’ailleurs l’une de vos préoccupations, madame la secrétaire d’État. Plusieurs associations me faisaient remarquer que les juges aux affaires familiales n’étaient pas toujours informés des faits de violences conjugales et des procédures en cours. Je pense aussi que les avocats devraient saisir plus souvent le juge aux affaires familiales dans les cas de violences commises à l’encontre d’une mère.
Il me semble également qu’il conviendrait de compléter l’article 220-1 du code civil, qui permet au juge aux affaires familiales de statuer tout à la fois sur la résidence séparée des conjoints et sur l’exercice de l’autorité parentale. Comme chacun l’aura remarqué, cette disposition ne vaut que pour les couples mariés. Or, à l’instar des magistrats, des associations et des avocats, il me paraît indispensable de l’étendre également aux couples qui vivent en concubinage ou à ceux qui sont liés par un pacte civil de solidarité.
Je ne vous cache pas, madame la secrétaire d’État, que nous essaierons, avec le groupe socialiste, de faire avancer certaines de nos propositions au travers de différentes initiatives législatives à venir.
En tout état de cause, je crois que le Sénat peut être fier d’avoir joué, dès 2005, un rôle de précurseur dans un domaine qui, aujourd’hui encore, nous mobilise, sur l’initiative de Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, si, par nos initiatives respectives, passées, présentes et futures, nous pouvions contribuer à éradiquer les violences au sein du couple par une vraie révolution des mentalités, nous ferions alors vraiment œuvre utile. Certes, la tâche sera ardue... Raison de plus pour la poursuivre et l’amplifier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, mon analyse de la situation actuelle en matière de violences subies par les femmes est la suivante : un dispositif législatif fort, une prise de conscience politique affirmée, mais des violences persistantes.
Je m’attacherai à développer ce constat et ma collègue Catherine Morin-Desailly insistera sur les moyens qu’il nous semble important de mettre en œuvre.
À titre liminaire, je souhaite insister sur le fait que les violences faites aux femmes constituent une violation des droits humains que sont le droit à la sécurité, le droit à l’égalité, le droit à la liberté et, surtout, le droit à la vie.
Je tiens également à replacer cette violence dans le contexte plus large de la discrimination. En effet, la violence envers les femmes est étroitement liée à une discrimination, qui perdure et qui se fonde uniquement sur l’appartenance sexuelle. Elle s’exerce contre les femmes parce qu’elles sont femmes. La substance même de la discrimination est l’exercice d’une différence de traitement arbitraire. Le sexisme, comme le racisme, c’est nier à un autre son statut d’alter ego.
Les violences faites aux femmes restent entretenues par un système de discrimination qui conforte celles-ci dans une position de subalternes. La discrimination constitue un terreau propice à des manifestations de violence. Elle engendre des rapports de force et de domination et se traduit par un sentiment de propriété du corps et de l’esprit de la femme.
Ces vingt dernières années, notre dispositif législatif a beaucoup évolué, et ce en accord avec les principes du droit international et des droits humains en matière de lutte contre les discriminations et les violences faites aux femmes.
Depuis 1994, quand les violences criminelles ou délictuelles au sein du couple sont le fait du conjoint ou du concubin, elles sont sanctionnées par l’introduction d’une circonstance aggravante.
La loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs a marqué une étape fondamentale. Plusieurs de ses dispositions constituent de réelles avancées. Tel est le cas de l’élargissement au partenaire lié à la victime par un PACS de la circonstance aggravante précitée. Cette extension vaut aussi à l’encontre des « ex » et s’avère tout à fait adaptée. En effet, la période consécutive à la rupture est souvent le moment où la violence se manifeste de manière exacerbée. Ainsi, l’Observatoire national de la délinquance affirme que si seulement 9 % des femmes déposent plainte quand elles sont victimes d’un conjoint, elles sont 50 % à le faire quand l’agresseur est un ex-conjoint.
Au titre des avancées de la loi du 4 avril 2006, je citerai également l’incrimination spécifique du viol et des autres agressions sexuelles au sein du couple, l’interdiction du domicile conjugal ou familial et l’injonction de soins pour le conjoint violent, la prévention des mariages forcés, avec notamment le relèvement de l’âge légal du mariage, le contrôle du consentement des époux et les nouvelles règles de l’action en nullité du mariage pour vice de consentement.
Dans la lutte contre les violences subies par les femmes, le dispositif législatif constitue un cadre normatif essentiel, mais insuffisant. La responsabilité de l’État est également essentielle. Ce dernier doit continuer à se donner les moyens nécessaires pour que ces droits soient véritablement respectés, garantis et protégés. Cela implique non seulement de sanctionner les auteurs de ces violences, d’offrir des réparations adéquates aux femmes, mais aussi de prendre toutes mesures pour prévenir ces violences. Il s’agit d’une véritable obligation de diligence.
L’État doit prendre toutes les mesures ad hoc pour prévenir les préjudices potentiels à l’égard des femmes. Cela signifie qu’il a l’obligation de lutter par tous les moyens contre les comportements sexistes, notamment en intégrant cette démarche dans ses vecteurs éducatifs et dans les cursus scolaires, en soutenant des campagnes d’information régulières, en formant ses agents dans une optique égalitaire.
Madame la secrétaire d'État, vous avez affirmé cette volonté politique, mais les résultats ne semblent pas tout à fait à la hauteur de vos ambitions. Pourtant, à l’occasion des dernières campagnes de sensibilisation, vous avez indiqué vouloir sonner l’heure de la réaction. La campagne d’octobre 2008, avec son ton inhabituellement grinçant et une accroche au second degré, voulait provoquer un déclic, susciter l’action aussi bien auprès des femmes et de leur entourage, trop souvent muet, que des auteurs de violences.
Le label « campagne d’intérêt général » attribué à la lutte contre les violences faites aux femmes va également dans le bon sens, puisque les associations pourront travailler ensemble à une communication qui sera mieux relayée par les médias.
La mise en place d’une plateforme téléphonique d’aide aux victimes – le 39 19 – est aussi une bonne initiative. Le nombre important d’appels – plus de 7 000 par mois – prouve qu’elle répond à une vraie demande.
Toutefois, en dépit d’un dispositif législatif fort, d’une vraie prise de conscience politique, les violences subies par les femmes ne régressent pas.
Les dernières statistiques ne sont guère encourageantes à cet égard. Il ressort d’une enquête récente de l’INSEE, réalisée auprès de 17 500 personnes, qu’une femme sur cinq victime de violences physiques au sein de sa famille n’a ni porté plainte ni parlé à un professionnel, policier ou médecin. Pour les violences sexuelles, la proportion de victimes murées dans leur silence est même de une sur trois.
Au total, toujours selon cette enquête, 6 % des femmes âgées de 18 à 59 ans disent avoir été l’objet d’injures sexistes, 2,5 % avoir été agressées physiquement et 1,5 % avoir subi un viol ou une tentative de viol en 2005 ou en 2006.
Madame la secrétaire d'État, beaucoup reste à faire. Notre arsenal législatif est un premier pas vers l’éradication des violences faites aux femmes, encore faut-il que nos lois soient bien appliquées sur l’ensemble du territoire. Très souvent, elles ne le sont pas, faute de moyens suffisants.
Nos lois doivent aussi s’accompagner d’une véritable évolution des mentalités. Cette évolution-là, beaucoup plus lente, est celle qui fera la différence dans la pratique. Sur ce plan, les maîtres mots sont prévention, sensibilisation et formation.
Je laisse ma collègue Catherine Morin-Desailly développer ces différents points, notamment celui de la sensibilisation des plus jeunes au respect de leur corps et de celui de l’autre, à la sexualité et à la prévention des comportements sexistes.
Madame la secrétaire d'État, tels sont notre rapide constat et notre analyse. Nous serons attentifs à vos propositions. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les violences dont sont victimes les femmes, particulièrement au sein du couple, ne peuvent que nous alerter sur le poids d’une société qui se construit toujours, malgré de notables évolutions, sur la domination masculine dans les rapports sociaux de sexes.
Les violences faites aux femmes constituent la violation des droits humains la plus répandue. Il s’agit d’une problématique qui se trouve au croisement d’une question de société et d’une question individuelle. Lorsqu’une femme sur dix est victime de violences dans son couple, on voit bien qu’il s’agit d’un phénomène largement présent dans notre société, fondée sur le patriarcat. En même temps, les comportements individuels s’inscrivent dans des rapports sociaux régis par la domination masculine.
Malgré des conquêtes fondamentales, fruit des luttes collectives des femmes, les inégalités entre les femmes et les hommes perdurent dans notre société. Elles sont le terreau sur lequel se construisent les violences envers les femmes.
Le 4 février dernier, l’Observatoire des inégalités révélait que l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes était de 33 % en moyenne, atteignant 44 % pour les ouvriers. Cette différence s’explique principalement par le travail à temps partiel subi, qui touche particulièrement les femmes : à horaires inférieurs, salaires inférieurs !
Il n’en demeure pas moins que plus on s’élève dans la hiérarchie des salaires, plus l’inégalité entre hommes et femmes est forte. L’écart va de 6 % chez les employés à 30 % chez les cadres supérieurs.
Les violences faites aux femmes sont encore trop souvent niées. Pourtant, leur ampleur et leur dangerosité doivent nous alerter.
Ainsi, selon les études de l’Observatoire national de la délinquance, 47 573 faits de violence à l’égard des femmes ont été enregistrés en 2007 par les services de gendarmerie ou de police. Ce chiffre, en nette progression par rapport à 2004, année au cours de laquelle on a enregistré 36 231 faits de violence, doit nous conduire, en tant que législateur, à chercher toujours les moyens les mieux adaptés pour répondre à ce qui s’apparente à un véritable fléau.
Ce chiffre est d’ailleurs en dessous de la réalité. Pour s’en convaincre, il suffit de lire le rapport remis en février 2009 par l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, selon lequel 12 % seulement des violences font l’objet d’un dépôt de plainte.
Selon une enquête de l’INSEE, 6 % des femmes âgées de 18 à 59 ans ont été, en 2005, victimes d’injures à caractère sexiste, et 2,5 % d’entre elles auraient subi une agression physique.
À ce triste tableau, il convient d’ajouter les 130 000 viols dénombrés par l’Observatoire national de la délinquance et les 166 assassinats de femmes par leur partenaire ou ex-partenaire violent en 2007.
J’ai cité tous ces chiffres pour indiquer qu’il y a urgence à mieux protéger les femmes victimes de violences. Cela suppose de les encourager à porter plainte, de mieux les accueillir, de davantage les accompagner dans leurs démarches. Il faut encore que les femmes osent plus souvent porter plainte, et je ne pense pas qu’une énième mission soit nécessaire pour mettre ce fait en évidence. Le phénomène est connu, bien qu’il soit sans doute encore sous-évalué.
À ce stade de mon intervention, je voudrais que nous nous posions collectivement une question : la législation actuelle est-elle suffisante ou faut-il la faire évoluer ?
Au sein du groupe CRC-SPG, nous considérons que la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple et commises contre les mineurs, fruit de l’examen commun de deux propositions de loi, dont l’une était présentée par nos soins, a représenté une évolution positive notable dans la prise en compte et la sanction de ces violences. Mais il faut aller plus loin, en proposant par exemple une ordonnance de protection pour les femmes victimes de violences. Cela correspond également aux conclusions du rapport de la mission d’évaluation du plan global 2005-2007 de lutte contre les violences faites aux femmes. L’observatoire départemental des violences envers les femmes de la Seine-Saint-Denis, qui accomplit un travail remarquable, a analysé les homicides de femmes et fait également cette proposition.
Pour lutter efficacement contre les violences envers les femmes, il faut agir selon quatre axes, en complément de ceux dont j’ai déjà parlé.
D’abord, il faut informer et sensibiliser toute la population sur les mécanismes de la violence masculine et la dangerosité des hommes violents. C’est pourquoi je propose de lancer une grande campagne radiotélévisée et d’affichage sur ce thème.
Ensuite, il convient de former tous les professionnels : ceux de la police, de la justice, de la santé, les travailleurs sociaux, les professionnels de l’enfance, les enseignants, afin de leur permettre de mieux connaître, pour mieux les aider, les femmes victimes de violences.
Nous partageons aussi l’analyse de l’Observatoire de la parité entre les hommes et les femmes, pour qui la législation doit évoluer afin d’y intégrer un volet préventif et éducatif qui fait cruellement défaut à la législation actuelle. Cela est d’autant plus nécessaire que, comme l’a rappelé Roland Courteau, nous savons aujourd’hui combien les enfants et les jeunes souffrent des violences dont leur mère est victime. Il est donc important de prendre en compte le fait que les enfants sont des victimes des violences dans le couple.
Il ne peut y avoir de lutte efficace contre les violences faites aux femmes qu’en actionnant tous les leviers : la prévention, l’éducation, l’apprentissage de la mixité, les sanctions, la protection, la lutte contre les inégalités salariales et contre une image dégradée de la femme.
Je dois d’ailleurs dire combien je regrette que le groupe UMP du Sénat ait profité de l’examen d’un projet de loi de transposition d’une directive européenne contre les discriminations pour autoriser, contre l’avis de la délégation aux droits des femmes, que perdure dans les médias, et particulièrement dans la publicité, le recours à des stéréotypes et à une conception dégradée de la femme.
Je regrette également que la majorité de notre assemblée ait accepté, sous un prétexte fallacieux, de revenir sur le principe républicain primordial de mixité à l’école, mixité dont l’apprentissage doit impérativement se faire en milieu scolaire, dès le plus jeune âge.
Nous proposons en outre de faire de cette politique préventive une véritable mission de l’éducation nationale, en incluant dans le code de l’éducation, par exemple, les principes d’éducation non sexiste.
Nous proposons enfin de modifier le code de la consommation afin de créer une nouvelle catégorie de publicités illicites, à savoir celles qui présentent les femmes de manière attentatoire à leur dignité. Il est en effet grand temps de réaffirmer que les corps des femmes ne sont pas des supports publicitaires.
Le gouvernement auquel vous appartenez, madame la secrétaire d’État, veut faire des violences faites aux femmes une grande cause nationale. C’est une bonne chose, à condition de sortir de la logique d’annonces pour enfin proposer des actions concrètes.
La législation, j’en suis convaincue, doit évoluer. Les chercheurs l’affirment, les associations le demandent : il faut impérativement intégrer à la loi un volet préventif, comme nous l’avions fait en 2006, par voie d’amendements, ainsi qu’en 2007, en déposant, à l’Assemblée nationale et au Sénat, une proposition de loi-cadre issue du travail collectif d’associations et de mouvements féministes. Ce texte comprend cent quinze articles qui, de la prévention à la sanction, couvrent tous les aspects des réponses nécessaires pour éliminer enfin ce fléau !
Le 25 novembre 2008, à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, ces associations ont rappelé l’urgence de l’adoption d’une loi-cadre en apportant à l’Assemblée nationale plus de 16 000 pétitions recueillies dans tout le pays. Les députés ont même décidé la création d’une mission d’information sur ce sujet.
Cette proposition de loi-cadre, à l’image de ce qui a été fait en Espagne, est à la disposition du Gouvernement. Il suffit de l’inscrire à l’ordre du jour d’une des chambres du Parlement.
Prendre en compte les solutions retenues par les pays les plus avancés dans ce domaine serait le signe que nous soutenons l’idée de l’application de la « clause de l’Européenne la plus favorisée ». Il ne faut pas hésiter, pour une fois, à procéder à un alignement par le haut, plutôt que par le bas ! Telle est la proposition que je formule aujourd’hui devant le Sénat au nom du groupe CRC-SPG.
Permettez-moi d’évoquer quelques idées fortes de notre proposition de loi.
Il faut impérativement modifier les dispositions pénales, afin que les femmes qui déclarent avoir été victimes de violences conjugales n’encourent plus le risque de poursuites pénales pour dénonciation calomnieuse.
Il convient d’apporter des réponses concrètes aux difficultés financières que peuvent rencontrer les femmes victimes de violences au sein du couple, difficultés qui, tout le monde le sait, peuvent être une entrave à leur volonté de quitter le domicile commun.
Certes, la législation prévoit que les femmes maltraitées soient prioritaires pour l’attribution de logements sociaux. Mais, vous le savez, madame la secrétaire d’État, en raison de la pénurie de logements sociaux – dont le Gouvernement et les élus de votre majorité sont responsables –, cette priorité demeure trop souvent un principe et reste, dans les faits, lettre morte.
C’est pourquoi nous entendons réformer la politique des aides sociales en instituant une aide d’urgence, équivalente à six mois de salaire et pouvant être débloquée dans le mois qui suit le départ du domicile. Cette mesure participerait des droits qu’ouvrirait l’ordonnance de protection que j’ai évoquée voilà un instant.
Enfin, sur le plan pénal, nous proposons de faire évoluer la notion de violence au sein du couple, en y intégrant la notion de harcèlement moral et sexuel, comme cela a été fait pour le code du travail.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vous pouvez le constater, le champ d’intervention, en matière de lutte contre les violences faites aux femmes, est important.
C’est la raison pour laquelle je veux dénoncer les risques qui pèsent sur le Service des droits des femmes et de l’égalité, le SDFE. Son existence est menacée en raison de l’application de la fameuse RGPP, la révision générale des politiques publiques, dont le « R » signifie trop souvent réduction, et non pas révision ! Ce service joue pourtant un rôle très important. Sa fermeture serait interprétée comme un très mauvais signal. Je vous demande donc de revenir sur ce projet de suppression, qui résulte exclusivement d’une analyse comptable.
Dans le même esprit, nous considérons – et je vous ai récemment posé une question écrite sur ce sujet, madame la secrétaire d’État – qu’il est temps de créer, comme le recommande le Conseil économique, social et environnemental, un ministère des droits des femmes de plein exercice. Ce n’est pas que nous mettions en cause votre personne, madame la secrétaire d’État, mais, en matière de violences, comme dans tous les domaines qui touchent aux droits des femmes, nous avons besoin d’un véritable effort national, conduit par un ministère dédié.
En effet, lutter contre les violences faites aux femmes exige, il faut le dire, une forte volonté politique assortie de moyens humains et financiers, que le Gouvernement ne semble pas disposé à débloquer. Dès lors, en dépit de la volonté que je sais être la vôtre, il est à craindre que l’idée de hisser la lutte contre les violences faites aux femmes au niveau de grande cause nationale ne soit qu’un effet d’annonce. Tout n’est pas budgétaire, certes, mais des moyens sont nécessaires, et ils doivent être mobilisés dans la transparence.