M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Madame le ministre, l’excellent rapport de la mission temporaire et les propositions du rapport Balladur débouchent sur un point de fixation difficile, qui est le caractère obsolète de la fiscalité locale. (Mme le ministre acquiesce.)
Cette obsolescence est renforcée par la décision du Président de la République de supprimer la taxe professionnelle dès l’année prochaine.
Or la question qui se pose à tous les gouvernements depuis une vingtaine d’années est celle de l’actualisation des valeurs locatives.
Dans ces conditions, je souhaite vous poser une question toute simple : êtes-vous décidée à vous engager dans cette voie ou accepteriez-vous – et cela permettrait d’avancer plus rapidement – que les intercommunalités volontaires décident de procéder, avec l’aide des services fiscaux, à une telle actualisation ?
En effet, voilà quelques années, M. Pierre Mauroy avait proposé, dans un rapport, une actualisation volontaire pour inciter à parachever l’intercommunalité dans l’ensemble du pays et pour donner un peu de souplesse.
Une telle actualisation aurait des effets bénéfiques sur la fiscalité tant des ménages que des entreprises et donnerait une base moderne au reliquat de la taxe professionnelle, c'est-à-dire un impôt sur le patrimoine industriel ou commercial. (M. Jacques Gautier applaudit.)
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Monsieur le sénateur, pour être honnête, même si le Gouvernement ne souhaitait pas réformer la fiscalité locale, il serait tout de même obligé de le faire (Sourires), puisqu’une redéfinition des compétences implique également une redéfinition des fiscalités.
Mais nous en avons de toute manière besoin, et la décision du Président de la République de faire en sorte que notre pays ne soit pas le seul à faire peser une fiscalité sur les investissements y conduit tout naturellement. Par conséquent, je mènerai ce travail conjointement avec Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi.
Toutefois, nous sommes effectivement confrontés au problème des bases locatives, qui n’ont pas été révisées depuis plus de trente ans. Nous allons donc devoir travailler sur cette question, parallèlement à la réflexion que nous mènerons sur la définition de la fiscalité locale.
Certes, des travaux ont déjà été conduits jusqu’à présent, et ils ont abouti à des propositions assez différentes. Certains suggèrent une actualisation au fur et à mesure des cessions du bien, mais ce serait assez long, tandis que d’autres prônent un dispositif certes plus rapide, mais susceptible de provoquer un choc fiscal relativement important pour les contribuables, sauf à baisser en parallèle les taux pour garder une enveloppe sensiblement égale, sur des fondements différents.
Monsieur le sénateur, vous proposez un autre système, consistant à laisser aux communes ou aux structures intercommunales la possibilité de décider elles-mêmes d’actualiser les bases locatives. D’ailleurs, cela a été fait dans un certain nombre de cas, effectivement sur proposition des communes.
Nous sommes néanmoins véritablement engagés dans une réforme qu’il importe de mener globalement, en ajustant l’ensemble de la fiscalité locale, tout en ayant le souci de préserver l’autonomie de décision financière des collectivités territoriales, car c’est également cela qui est en jeu.
À l’évidence, constater que l’État est de loin le « premier contribuable » des collectivités territoriales conduit à s’interroger sur la réalité de l’autonomie et de la liberté décisionnelle de ces dernières. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Je tiens tout d’abord à remercier la mission de nous avoir éclairés sur un sujet aussi essentiel et actuel.
Je souhaite soulever la question des moyens financiers. En effet, les élus locaux, quels que soient les différents projets de réforme qui leur seront présentés dans les prochains mois, se poseront immanquablement la question des moyens dont ils disposeront pour assumer leurs compétences actuelles et, le cas échéant, futures !
À cet égard, deux craintes se font jour.
La première concerne l’autonomie financière des collectivités territoriales. Tout à l’heure, j’ai entendu avec inquiétude Gérard Longuet déclarer que l’autonomie financière accordée aux collectivités territoriales avait constitué une grande erreur historique. Pour ma part, je ne partage pas du tout ce point de vue. Je pense que cette question est vitale, puisque de plus en plus de compétences sont aujourd'hui dévolues aux collectivités territoriales, notamment en matière éducative ou sociale. Les communes se voient attribuer un certain nombre de compétences nouvelles, alors que les ressources fiscales sont dans un processus de précarisation, les dotations étant, hélas ! aujourd'hui gelées.
Mais je voudrais surtout attirer l’attention du Sénat et du Gouvernement sur ma seconde crainte, qui concerne la péréquation. Plus la République délègue de compétences aux collectivités territoriales, plus elle doit, par respect de ses propres principes, veiller à faire en sorte que ces dernières disposent bien des moyens leur permettant de remplir leurs nouvelles missions. Par exemple, l’État, s’il transfère des compétences en matière scolaire – j’ai choisi un exemple connu de tous –, doit s’assurer que les collectivités territoriales disposent des moyens suffisants pour y faire face. Or, aujourd'hui, d’énormes inégalités subsistent. De ce point de vue, l’actuelle péréquation est très insuffisante.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. François Marc. Le rapport de MM. Gilbert et Guengant, publié récemment, l’établit très clairement.
Quelles avancées la mission entrevoit-elle pour répondre à cette nécessaire péréquation ? Comment la fiscalité peut-elle évoluer, afin de répondre à la précarisation générale constatée par tous les élus ? Je souhaite obtenir quelques indications complémentaires aux informations contenues dans le rapport.
M. le président. La parole est à M. Yves Krattinger, rapporteur.
M. Yves Krattinger, rapporteur. Mon cher collègue, vous venez de poser la question essentielle des moyens. Trop de dotation tue l’autonomie, et une absence d’autonomie tue la responsabilité.
M. Jean-Jacques Hyest. Eh oui !
M. Yves Krattinger, rapporteur. Lorsque la dépense n’est plus ajustable, en quelque sorte, les collectivités sont cantonnées à une simple gestion et deviennent des services déconcentrés de l’État.
M. Jean-Jacques Hyest. Ce n’est pas aussi simple !
M. Yves Krattinger, rapporteur. L’État est intervenu abondamment, quelles que soient les sensibilités. Madame le ministre, vous avez indiqué que l’État était le premier contributeur…
M. Yves Krattinger, rapporteur. Mais c’est un contributeur volontaire. Il a supprimé une partie des bases fiscales et, par voie de conséquence, a compensé sans autre changement, si bien que nous sommes tout de même pénalisés.
Monsieur Marc, vous avez soulevé la question de la péréquation. Cette dernière est possible à deux niveaux.
Elle peut avoir lieu à l’échelon horizontal. Il en est ainsi lorsque le département assure la solidarité territoriale. Tel est également le cas à l’intérieur d’une communauté de communes, d’une communauté d’agglomération ou encore d’une communauté urbaine.
Mais la péréquation peut aussi être verticale : des inégalités existent entre les communautés d’agglomération, les communautés urbaines, les communautés de communes, entre les départements, les régions, et ces inégalités ne peuvent être compensées que par l’État.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Évidemment !
M. Yves Krattinger, rapporteur. C’est d’ailleurs l’un de ses rôles essentiels.
Aujourd'hui, l’État assure une partie de la compensation, évaluée aux alentours de 40 % à 45 %, le reste n’étant pas fait.
Comme l’a confirmé Mme le ministre, les bases de la fiscalité doivent être révisées. Les réflexions engagées changent un peu la donne et ne visent pas à un simple toilettage. En effet, les trois grandes associations de collectivités ont demandé un rapport au Conseil économique et social, rapport qui a fait quasiment l’unanimité. Il comporte une première piste visant à consolider les recettes des collectivités locales.
Pour ce qui concerne la péréquation, les outils doivent être rénovés. On s’aperçoit en effet que la dotation de base est aujourd’hui plus péréquatrice que les dotations de péréquation. Tout le monde, dans cet hémicycle, est d’ailleurs conscient de ce problème.
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Lionel Jospin l’avait demandé à Pierre Mauroy ; François Fillon en a chargé Édouard Balladur : personne n’est mieux placé qu’un ancien Premier ministre pour analyser l’efficacité et les limites du millefeuille institutionnel français.
Cet exercice est toujours à haut risque. Ce n’est jamais vraiment le moment de s’y livrer. L’écueil est toujours le même ; il est bien connu : c’est le moment où le document de papier se heurte aux habitudes, aux intérêts des grands élus qui l’examinent.
Édouard Balladur a résumé sa démarche ainsi : « ambition et réalisme ». Il a mis en garde, en estimant qu’un projet trop ambitieux serait peu réaliste. Chacun en jugera à l’issue des débats. Pour ma part, il me semble irréaliste d’espérer qu’une réforme ambitieuse puisse être adoptée sans débats vifs et sans résistance.
Certains prônent des intercommunalités plus solides, à la légitimité mieux établie grâce à l’élection au suffrage universel des conseillers communautaires. Certes, mais pas à marche forcée !
J’estime qu’il faut en terminer avec la carte de l’intercommunalité. Nous connaissons tous des maires qui préfèrent rester le seul coq sur le tas de fumier plutôt que de travailler avec d’autres, ou encore des maires qui ne veulent pas partager leurs confortables ressources avec leurs voisins. Des incitations fortes, des mesures de dissuasion, des échéances : telles sont les mesures nécessaires.
Nous voulons des régions plus grandes et plus fortes. D’aucuns refusent de toucher aux départements. Je sais le sujet difficile, puisque le Sénat a un attachement passionnel, presque génétique, aux départements. Cela ne m’empêche pas de penser que, au lieu d’inventer des couples artificiels – la région et le département, d’un côté, les communes et les intercommunalités, de l’autre –, nous devrions prendre conscience du fait que la répartition des compétences s’établit de plus en plus fréquemment entre les régions et les intercommunalités.
Il est également absolument urgent de clarifier un sujet, abordé fort bien par Mme Michaux-Chevry. On a affirmé, sur un ton qui ne souffre aucune contestation dans cet hémicycle, que la coexistence sur un même territoire insulaire de deux départements et d’une région, comme en Corse, ou, pis, la coexistence sur le même territoire, dans un effet de superposition parfait, d’un département et d’une région, comme en Martinique et en Guadeloupe, serait respectueuse de la tradition républicaine, contrairement à la mise en place d’une seule collectivité, évitant les doublons, les lenteurs, les frictions, qui ne le serait pas. Pour ma part, je considère que ce serait se moquer du monde de ne pas instaurer une collectivité unique.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Dominique Voynet. On a défendu à plusieurs reprises dans cette enceinte le maintien de la clause générale de compétence pour les départements et pour les régions et le maintien des cofinancements croisés, au motif que les collectivités ne disposent pas des ressources nécessaires au financement des missions qui relèvent de leur compétence.
Je considère pour ma part qu’il faut défendre non pas les cofinancements croisés ou la clause générale de compétence, mais des ressources pérennes et stables pour les collectivités, assurant la redistribution solidaire des ressources et la péréquation entre les collectivités riches et les collectivités moins riches.
Madame le ministre, comment entendez-vous réformer l’État pour qu’il s’impose à lui-même les règles qu’il entend imposer à d’autres ? Comment entendez-vous garantir l’autonomie financière des collectivités ? Voilà ce qui est important.
Pour ce qui concerne le Grand Paris, on peut discuter ad libitum des périmètres. Ce sont les projets qui nous intéressent, ainsi que les moyens de leur financement.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Madame Voynet, je vous remercie de reconnaître que le Gouvernement est courageux, puisqu’il considère que le moment est venu d’engager la réforme. (Sourires.)
Je vais continuer les amabilités : pour une fois, je partage votre point de vue concernant la nécessité de terminer la carte de l’intercommunalité.
M. Dominique Braye et M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. Dominique Braye. Il y a vingt ans qu’on essaye la conviction !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. L’année 2011 a été évoquée. Ce délai me paraît un peu court. En revanche, attendre 2014 serait peut-être tardif. Nous devrons trouver une solution pragmatique.
D’aucuns ont affirmé que la tendance est de plus en plus à la collaboration entre les régions et les intercommunalités. Ce fait ne se vérifie cependant pas partout.
Par ailleurs, nos concitoyens, que nous devons écouter, sont attachés à leur commune ou à leur département. Cela ne signifie pas pour autant que nous ne devons rien faire en la matière. Il serait bon de clarifier les compétences.
Pour ce qui concerne l’outre-mer, le Président de la République a indiqué que les États généraux, qui vont commencer dans quelques semaines, aborderont, parmi les sujets de fond, la gouvernance institutionnelle.
Quant à garantir l’autonomie financière, tel est l’objet de la réforme de la fiscalité locale. La seule limite sera la nécessaire péréquation, comme cela vient d’être indiqué.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Au cours du passionnant débat qui s’est déroulé cet après-midi, débat que j’ai écouté avec beaucoup d’attention, je n’ai entendu parler ni de cumul des mandats ni de la présidence d’une intercommunalité, considérée comme un mandat. Où en est la réflexion sur ce point ?
M. le président. La parole est à M. le président de la mission temporaire.
M. Claude Belot, président de la mission temporaire. La mission n’a pas encore abordé ce sujet difficile. Mais le fait de pouvoir être président d’une intercommunalité de 1 500 000 habitants et de ne pas pouvoir être maire d’une commune de 200 habitants constitue une anomalie qu’il faudra avoir le courage de corriger.
M. le président. Ce sujet sera donc abordé au mois de mai…
M. Claude Belot, président de la mission temporaire. Tout à fait, monsieur le président !
M. le président. La parole est à M. Philippe Richert.
M. Philippe Richert. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, on peut fort bien ne prévoir aucune évolution de nos collectivités. De nombreuses personnes souhaitent d’ailleurs le statu quo. On peut toujours dire : « le système actuel marche ; regardez, les départements, les régions, les communes fonctionnent ! » Mais dans la concurrence internationale actuelle, ce serait une grave erreur de ne pas évoluer.
De surcroît, il ne suffira pas de proposer des modifications mineures. Ceux qui défendent seulement une clarification des compétences entre les départements et les régions font à mon avis fausse route. Il faut aller beaucoup plus loin.
Je reviens sur les propos qu’a tenus Mme Voynet tout à l’heure. J’essaie de mener à bien le regroupement de la région Alsace et de ses deux départements. À cet égard, il importe vraiment de ne pas compliquer les choses. D’aucuns proposent que ces élus territoriaux soient désormais élus à la proportionnelle, dans le cadre d’une nouvelle circonscription ressemblant peut-être à celle des députés, les premiers sièges étant attribués à la région et les suivants aux départements. Néanmoins, ce système ne serait pas forcément plus simple que celui qui existe actuellement.
Pour ma part, je suis plutôt partisan du maintien tant du système d’élection des conseillers généraux, avec les cantons, quitte à apporter quelques modifications, que de celui des conseillers régionaux, qui assure la représentation des minorités et la parité. Nous sommes sensibles à ces sujets.
Le chantier ne sera pas facile. Si nous voulons réussir, demain, cette union entre les deux départements et la région, faisons en sorte de faciliter les choses plutôt que de les compliquer inutilement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Nathalie Goulet et M. Daniel Dubois. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Gourault, rapporteur.
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. Mon cher collègue, j’apprécie votre intervention. Cependant, il conviendrait que vous réfléchissiez au nombre d’élus dans le système que vous proposez.
M. le président. La parole est à M. Philippe Richert.
M. Philippe Richert. Madame le rapporteur, j’ai d’ores et déjà réfléchi à cela. Aujourd'hui, certaines régions comptent de 120 à 200 conseillers régionaux. Or le nombre de ces conseillers dans ma région est bien inférieur.
Par ailleurs, dans le département du Bas-Rhin, trois, quatre, cinq cantons ont 50 000 habitants, alors que d’autres en ont 3 000, 4 000. Il faut bien évidemment homogénéiser le système. Soyez persuadée que nous le ferons avec le temps et avec le soutien de la mission sénatoriale, dont je veux saluer le travail. Grâce à ce dernier et à des idées figurant dans le rapport Balladur, nous pourrons aller de l’avant. Nous sommes prêts à tenter l’expérience que Mme Voynet a appelée de ses vœux, dans le respect des deux départements alsaciens.
Aujourd'hui, la France ne peut pas se permettre de ne pas être audacieuse.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Monsieur Richert, il est effectivement nécessaire d’avancer, et nous voulons le faire pour simplifier. Les Français, les élus ont besoin de savoir qui fait quoi, auprès de qui demander une subvention, par exemple. La réforme doit d’abord répondre à cette question. Trop souvent, les maires de petites communes viennent me trouver pour savoir à qui s’adresser pour financer tel ou tel projet.
Par ailleurs, s’il est important de faire bouger les lignes entre les collectivités territoriales – cela correspond d'ailleurs à votre projet, mesdames, messieurs les sénateurs –, toutes les décisions en la matière doivent être prises sur la base du volontariat. En effet, je suis convaincue que le rôle de l’État n’est pas d’obliger telles ou telles régions ou tels ou tels départements à se rapprocher et à fusionner. Ce mouvement doit procéder d’initiatives locales et reposer sur des choix volontaires ; sinon il échouera.
Ces démarches sont consubstantielles à la réforme que nous appelons de nos vœux et que nous mettrons en œuvre, je l'espère, avec chacune et chacun d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs.
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Notre mission temporaire a souligné à juste titre que l’État et les collectivités territoriales devaient trouver conjointement de nouveaux équilibres. Ceux-ci passent par la prise en compte de trois nécessités, me semble-t-il.
Tout d'abord, il convient d’harmoniser les organisations et les comportements de l’État, d'une part, et des collectivités locales, d'autre part.
À l’évidence, la RGPP, la révision générale des politiques publiques, tout en renforçant l’échelon régional, dont elle a fait le niveau stratégique de l’action de l’État, a offert au département des missions de conseil, d’expertise et d’arbitrage. Par souci de parallélisme des formes, nos collectivités locales doivent s’organiser selon les mêmes principes.
Ensuite, il est nécessaire de réguler les relations des collectivités locales entre elles, en matière de finances ou de répartition des compétences, en respectant chaque fois que possible leur libre volonté.
Enfin, il faut répondre aux attentes de la société, qui exige des élus la proximité, que celle-ci soit affective, fonctionnelle ou géographique, mais aussi l’efficacité et la solidarité.
Dans ce cadre, madame le ministre, dans quelles conditions l’État – vous savez que je suis son évolution avec la plus grande attention, sinon avec passion ! – peut-il être le garant des exigences d’harmonisation, de régulation et de solidarité, notamment au regard des dotations financières et de la fiscalité locale ?
Mme Jacqueline Gourault, rapporteur. Voilà une question structurée !
M. le président. La parole est à M. Yves Krattinger, rapporteur.
M. Yves Krattinger, rapporteur. Madame Escoffier, vous avez évoqué les « nouveaux équilibres » qui doivent être trouvés entre l’État et les collectivités territoriales et souligné que ces dernières ne devaient pas être laissées seules face à la complexité des enjeux et des services à mettre en place.
Nous estimons – nous l’avons d’ailleurs souvent exprimé dans le cadre de la mission – que le département a vocation à servir d’agence de services pour les collectivités locales qui sont proches de lui. S’il est vrai que l’État, depuis que ses administrations déconcentrées ont été réorganisées, n’assure plus directement ce rôle, celui-ci n’en reste pas moins tout à fait nécessaire dans les départements ruraux.
Les élus ont besoin de conseils juridiques, administratifs, techniques. La vocation du département, si nous savons l’inscrire dans les textes et la mettre en place de façon incontestable, est précisément de les aider et de consolider leurs démarches, en se plaçant au service des communes et des intercommunalités.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. Madame Escoffier, grâce aux fonctions que vous avez occupées dans le passé, vous connaissez parfaitement à la fois le fonctionnement de l’État et les attentes de nos concitoyens. Je vous rejoins d'ailleurs totalement pour estimer qu’il faut répondre aux exigences de proximité, d’efficacité et de solidarité des Français.
Comment l’État garantit-il cette solidarité ? Je vous rappelle que, chaque année, la péréquation progresse au sein de la dotation globale de fonctionnement, notamment au bénéfice des communes, plus vite que les autres crédits. Cette année, la dotation de solidaire urbaine et la dotation de solidarité rurale augmentent de 6 %, ce qui n’est pas rien !
Bien entendu, je le répète, la réforme des collectivités territoriales doit accorder une grande place à la fiscalité locale. Toutefois, la péréquation restera indispensable dans ce cadre, et il me reviendra, en tant que ministre en charge des collectivités territoriales, de veiller à ce que cet objectif demeure d’actualité. En effet, quand on connaît notre territoire, on sait combien la péréquation entre collectivités constitue une nécessité.
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Les conseillers généraux seraient devenus les « ringards de la République » !
M. Michel Mercier. Cela ne date pas d’aujourd'hui ! (Sourires sur les travées de l’Union centriste.)
M. Yves Daudigny. Le projet d’inscrire dans la loi la région et l’intercommunalité comme les futurs piliers de notre organisation territoriale porte en lui l’effacement des échelons communaux et départementaux de l’action publique.
On propose à la France une vision destructrice de l’action départementale, alors que celle-ci répond aux attentes des citoyens et des usagers, concerne le quotidien de chacune et chacun tout au long de la vie et se révèle efficace, réactive, innovante et résolument tournée vers l’avenir.
En tant qu’acteur et créateur de politiques publiques, l’échelon départemental est doublement moderne.
Il l’est, tout d’abord, par la qualité reconnue des politiques de solidarité humaine et territoriale qu’il met en œuvre, par le lien qu’il préserve et par la péréquation entre l’urbain et le rural qu’il réalise.
Grâce à sa capacité d’initiative, il prolonge ces politiques en matière d’aménagement, de développement, de soutien aux investissements locaux. Et la rigueur de la gestion des départements n’est jamais contestée !
Moderne, il l’est encore par son mode d’élection, qui constitue l’essence et le fondement de son action. Par sa proximité et le lien direct qu’il instaure entre les citoyens et les élus locaux, le scrutin uninominal offre sa pertinence, sa vérité, son efficacité, son exigence de responsabilité à l’action des conseillers généraux. Il est le garant du maintien d’une action publique à dimension humaine. Il s’appuie sur une circonscription électorale, le canton, qui n’est pas un échelon d’organisation territoriale.
La création de conseillers territoriaux cumulant les mandats de conseillers du département et de la région détruirait cette architecture, sans gain d’efficacité ni diminution du coût des actions menées. Elle serait le premier stade d’une relégation du département au rang d’acteur secondaire de la vie publique, privé de perspective globale et transversale sur le territoire, sans autonomie financière, sous tutelle de la région.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Daudigny !
M. Yves Daudigny. Les conseillers territoriaux, s’ils existaient demain, seraient porteurs d’une mission de liquidation de l’action publique départementale.
Le rapport d’étape de la mission temporaire du Sénat, dont je veux saluer la qualité et la pertinence des propositions, s’il préconise l’élection de tous les conseillers généraux en même temps et pour une durée de six ans, n’offre cependant pas de perspectives quant à l’hypothèse de la création de conseillers territoriaux.
Ma question s’adresse donc principalement à M. le rapporteur, Yves Krattinger : comment clarifieriez-vous la position de la mission sur la proposition de remplacement des conseillers généraux et régionaux existants par des conseillers territoriaux élus au scrutin proportionnel ?
M. le président. La parole est à M. Yves Krattinger, rapporteur.
M. Yves Krattinger, rapporteur. Cette question directe appelle une réponse qui ne le sera pas moins !
Mon cher collègue, nous devons développer une vision plus positive des départements, ce que vous faites tout à fait, mais aussi de leur avenir.
Les trois niveaux de collectivités territoriales sont inscrits dans la Constitution. Ils ne sont pas encore morts ! Je vous le rappelle, le soir du vote de la révision constitutionnelle de 2003, qui était portée par Jean-Pierre Raffarin et qui concernait les collectivités territoriales, Le Monde titrait : « La victoire surprise des départements » !
Les départements ont la peau dure et ils ne sont pas prêts de succomber. Nous devons être confiants sur ce point.
Pour ma part, je mesure depuis le début les difficultés que posent les modes de scrutin. D'ailleurs, en tant que rapporteur – nos collègues qui ont travaillé avec moi au sein de la mission peuvent en témoigner –, j’ai tenté de faire en sorte qu’ils ne soient pas le seul et unique thème de nos débats.
J’ai donc repoussé le plus possible l’examen de ce problème, en estimant qu’il fallait travailler sur les points qui font consensus avant de l’aborder, à la fin de nos débats, une fois que nous y verrions plus clair.
Or, si nous y voyons de mieux en mieux, il nous reste encore des questions à éclairer, comme celles du « Grand Paris » et de l’affirmation des métropoles, entre autres. Nous ne sommes pas au terme de notre débat, me semble-t-il !
Je vous en donnerai un seul exemple, mon cher collègue. Nous évoquions tout à l'heure le cas de la métropole lyonnaise et le transfert éventuel des compétences départementales à la grande agglomération de Lyon. Il s'agit a priori d’une très bonne idée. Toutefois, je vous laisse imaginer la complexité qui en résulterait lors du scrutin régional…
Tous les problèmes ne sont donc pas réglés, me semble-t-il. Il nous faudra encore un peu de temps pour dissiper les obscurités qui entourent ce débat, et vous pourrez largement y contribuer, monsieur Daudigny.