M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires européennes, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mesdames, messieurs les sénateurs, après toutes ces interventions de très haute tenue, émaillées de remarques littéraires ou philosophiques, je ne vous infligerai pas un discours sous forme de leçon au Collègue de France. (Sourires.) Je m’efforcerai plutôt de répondre de la manière la plus pragmatique possible aux questions, tout à fait légitimes, qui m’ont été posées.
Monsieur le président de la commission des affaires étrangères, vous avez axé votre intervention sur l’assistance aux pays en voie de développement et la solidarité. Cette question est malheureusement négligée dans le débat actuel, parce que nous sommes concentrés sur nos propres difficultés, alors qu’elle est primordiale.
Aujourd’hui, toutes les banques, tous les États européens ont du mal à trouver des financements dans la crise financière que nous traversons. Mais ceux qui éprouvent des difficultés encore plus grandes en la matière, ce sont les pays en voie de développement, dont le retard économique est plus important.
Je rappelle, pour mémoire, que les flux de capitaux à destination de l’ensemble des pays en voie de développement ont été divisés par cinq : ils sont passés de 500 milliards à 100 milliards de dollars en quelques semaines.
Il est donc essentiel que nous répondions à ce défi pour éviter une instabilité économique majeure, qui risquerait d’entraîner une instabilité politique et des mouvements de population importants.
Nous devons impérativement empêcher que cette crise financière, qui est aussi une crise économique, et qui tend à devenir une crise sociale, ne dégénère en une véritable crise politique internationale. La meilleure des solutions, c’est la solidarité. Nous avons pris la décision de doubler le montant des fonds du FMI, qui passeront de 250 milliards à 500 milliards de dollars. C’est une première réponse ! En tout cas, il nous faut garder présent à l’esprit ce défi.
Nous devons également refuser le protectionnisme, sous quelque forme qu’il soit. En effet, s’il peut être rassurant pour certains, il se termine toujours par l’appauvrissement définitif des pays en voie de développement.
Si nous fermons nos frontières à des produits qui viennent d’Amérique du Sud, d’Afrique ou des pays d’Asie les moins développés, ce sont ces pays qui seront le plus durement frappés par la crise et leurs populations se retrouveront dans une misère insoutenable. Ne l’oublions pas quand la tentation du protectionnisme revient, de-ci de-là, comme solution à la crise.
Il en va de même à l’intérieur de la zone européenne : nous devons impérativement faire preuve de solidarité à l’égard de l’ensemble des pays de l’Union. Nous ne pouvons pas laisser un pays membre « décrocher », c’est-à-dire ne plus être capable de refinancer sa dette ou de trouver les financements nécessaires à ses propres activités économiques.
Je me suis récemment rendu en Hongrie, où j’ai eu une discussion très approfondie avec le ministre des finances hongrois. Ce pays est confronté à des difficultés telles qu’il a besoin d’assistance. Nous pourrions lui offrir, d’une part, un financement direct en réponse aux efforts qui seraient accomplis par les autorités hongroises dans un certain nombre de domaines et, d’autre part, une perspective en matière d’adhésion à l’euro.
J’insiste sur ce dernier point, car il est important. Offrir une telle perspective ne veut pas dire revenir sur les critères fixés, auquel cas nous risquerions d’affaiblir la zone euro elle-même, ce qui ne serait bon pour personne. Mais nous pourrions réfléchir à un chemin à suivre pour un certain nombre de pays, dont la Hongrie, qui leur permettrait d’avoir une lisibilité s’agissant de l’adhésion à l’euro. C’est un problème politique majeur.
Le ministre des finances d’un pays dont la monnaie – le florin hongrois, pour être exact – perd 30 % de sa valeur depuis le début du mois de janvier 2009, et dont la population s’appauvrit semaine après semaine en raison de cette dévaluation, doit pouvoir offrir une perspective politique et montrer la solidarité des autres États de l’Union européenne. C’est en tout cas la position que nous défendrons au Conseil européen.
Monsieur Haenel, en ce qui concerne la position commune de l’Europe, il est une règle politique selon laquelle plus on approche de la décision, plus celle-ci est difficile à prendre.
En novembre et décembre, notamment lors des réunions organisées sous la présidence française, tout le monde était d’accord pour reconnaître l’impérieuse nécessité d’une régulation financière pour supprimer les paradis fiscaux, contrôler les fonds souverains et améliorer le fonctionnement des agences de notation ; la refondation du capitalisme mondial suscitait une unanimité qui était plutôt de bon aloi.
Maintenant que le temps de la décision et des choix approche, les positions se durcissent et un certain nombre de divisions apparaissent au sein de l’Union européenne, notamment entre la France et l’Allemagne, d’une part, et la Grande-Bretagne, d’autre part, qui n’a pas les mêmes intérêts dans la mesure où son économie est différente et qui n’est pas forcément prête à aller aussi loin sur ces sujets.
La réunion du G20 « finances » qui a eu lieu à Londres ce week-end a été un succès. Effort après effort, les positions commencent à se rapprocher. La déclaration commune des ministres des finances du G20 n’est pas pour nous un aboutissement, parce qu’elle reste trop générale, mais l’ensemble des sujets que nous souhaitons voir aborder y figurent : aucun n’a été écarté ! Nous souscrivons aux principes énoncés, mais ceux-ci doivent être suivis de décisions concrètes, comme l’a rappelé le Président de la République ; j’aurai l’occasion d’y revenir.
J’en viens à la question de la dette, qui a été abordée par plusieurs orateurs.
Il convient tout d’abord de souligner – je réponds au passage à certaines critiques qui ont pu être formulées sur les plans de relance européens – qu’il existe une vraie relance européenne, dont il ne faut pas minoriser le montant.
Je note très simplement et sans esprit polémique que lorsque les Américains calculent le montant de leur plan de relance ils prennent en compte l’ensemble des mesures qui ont été arrêtées pour aider les ménages américains les plus frappés par la crise.
Lorsque Barack Obama décide d’accorder 500 dollars par foyer, en fonction du niveau de revenu initial, aux personnes qui perdraient brutalement leur emploi, il donne directement de l’argent public aux ménages américains et ces 500 dollars, multipliés par le nombre de bénéficiaires, sont intégrés dans le montant total du plan de relance américain.
Nous, nous avons un revenu minimum, des stabilisateurs automatiques, des aides sociales. Nous n’allons donc pas prévoir les mêmes dispositions pour les personnes qui sont touchées par le chômage ou qui se trouvent dans une situation particulièrement difficile. Mais il me paraît légitime que nous comptabilisions dans nos propres plans de relance les stabilisateurs automatiques, qui n’existent pas dans le système américain.
Si l’on prend en considération ces stabilisateurs automatiques, les plans de relance de l’Union européenne représentent 440 milliards d’euros de dépenses, soit environ 3,3 % du PIB européen. Ces plans de relance sont donc massifs !
J’admets volontiers que l’on débatte du montant du PIB qu’il est nécessaire d’engager, à savoir 3,3 %, 4 %, voire 5 %, pour les plans de relance européens. Personnellement, je pense qu’il faut d’abord mettre en œuvre ce qui a été décidé.
En revanche, je n’admets pas que nous ne tenions pas compte, dans les plans de relance européens, des stabilisateurs automatiques, qui sont comptabilisés dans tous les autres plans de relance mondiaux. Partons de la même base et discutons à partir de cette base !
J’en arrive à la deuxième remarque sur la dette.
La crise financière que nous avons connue a été provoquée par un endettement privé massif, favorisé dans des proportions tout à fait inacceptables, notamment aux États-Unis, par les dérèglements financiers, ainsi que par l’absence de contrôle et de règles.
Plusieurs causes peuvent expliquer cet endettement privé trop important, notamment le décalage entre la productivité des salariés américains et le niveau de salaires. Prenons garde à ce que la sortie de crise ne substitue pas à cet endettement privé un endettement public.
Soyons attentifs à un point lorsque nous comparons les niveaux d’endettement américain et européen : le financement de la dette américaine n’est pas le même que celui de la dette européenne. Si, à la sortie de la crise, les Européens se retrouvent avec une dette publique trop importante, ils y perdront en compétitivité, ils y perdront en capacité d’enrichissement collectif, bref, ils y perdront en termes de redistribution du pouvoir d’achat pour l’ensemble des ménages. Soyons donc vigilants : je le redis, la crise actuelle est une crise de la dette privée, et ce n’est pas par le biais d’une crise de la dette publique que nous nous sortirons d’affaire.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’Allemagne et la France ont décidé de travailler conjointement sur ce sujet. Vous le savez, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy viennent de signer une lettre, adressée au président de la Commission et au Premier ministre tchèque, dans laquelle ils annoncent, notamment, que nous allons œuvrer ensemble à la réduction de la dette et à la limitation des déficits des finances publiques dans les années à venir pour répondre à ce défi, qui est l’un des défis majeurs de la sortie de la crise.
Par ailleurs, vous avez raison, monsieur le président de la commission des affaires européennes, quand vous dénoncez l’invention d’un rosé qui serait une addition de rouge et de blanc. Il faut effectivement ne pas aimer beaucoup le vin pour proposer de telles choses, et cela semble bien être un pur produit de la comitologie européenne : une absurdité sortie d’un chapeau et que l’on ne voit venir que trop tard. En pareil cas, il faut simplement indiquer que ce n’est pas acceptable. Le Gouvernement l’a fait, notamment Michel Barnier, et nous continuerons à produire le rosé comme il doit l’être, et certainement pas en mettant un quart de rouge dans un litre de blanc.
Je l’ai déjà dit à cette tribune, comme à vos commissions : il n’y a pas d’autre solution – en tout cas, je n’en connais pas d’autre – au renforcement de l’Europe politique qu’un accord fort, permanent, rigoureux, équilibré, entre la France et l’Allemagne.
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Très bien !
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères. C’est juste !
M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État. Aujourd’hui, l’Europe souffre justement d’un manque d’audace et d’imagination. La Commission fait des efforts, formule des propositions. Mais elle sera renouvelée en novembre et, par conséquent, elle n’a plus la même capacité d’initiative qu’elle pouvait avoir auparavant. Je ne lui jette pas la pierre, le constat me paraît naturel.
On constate aussi que le système des présidences tournantes se heurte à la réalité des rapports de force. La présidence tchèque fait le maximum de ce qu’elle peut faire, et elle le fait bien. Mais, en période de crise économique, de crise financière, la réalité des poids économiques, des poids financiers, des poids politiques, se rappelle à vous.
Si nous voulons véritablement une Europe politique, c’est-à-dire une Europe capable d’imaginer ce que nous serons tous ensemble demain, il faut que l’Allemagne et la France soient d’accord. Vous avez eu la gentillesse de rappeler que, depuis trois mois, j’y travaille chaque jour ; je suis à Berlin quasiment une fois par semaine, parce que je crois que c’est la voie de sortie de la crise dans laquelle nous nous trouvons et la voie de l’essor de l’Europe politique à laquelle nous aspirons tous.
Monsieur Ries, vous avez évoqué la nécessité de réorganiser la sphère financière, objectif que nous partageons tous, et la difficulté de ne pas mélanger la question de la relance et celle de la réorganisation financière. Vous estimez que ces deux aspects doivent être traités de manière conjointe ; je le crois aussi. Il faut impérativement que nos plans de relance économique soient à la hauteur des enjeux et qu’en même temps nous procédions à la réorganisation financière qui s’impose.
Cependant, en termes de méthode, rien ne serait pire que de vouloir mêler les deux sujets lors des sommets internationaux. Lorsque le sommet du G20 a été convoqué, il était entendu qu’il serait consacré à la réorganisation financière internationale ; il faut s’y tenir ! Je n’ai pas une expérience diplomatique considérable, mais j’ai eu le temps de me rendre compte que, si l’on dilue l’agenda de ces rendez-vous internationaux, on en dilue les résultats, et l’on ne prend donc pas les décisions qu’attendent nos concitoyens.
Pour ma part, je ne m’imagine pas, et je n’imagine pas davantage le Président de la République ou la chancelière Angela Merkel sortir de la réunion de Londres en se félicitant qu’un accord ait été trouvé sur des principes généraux, sans avoir au demeurant débouché sur aucune décision concrète, et que les fonds du FMI aient été doublés… Cela ne conviendrait à personne, et certainement pas à nos concitoyens. Il est donc impératif que, sur les fonds spéculatifs, sur la rémunération des dirigeants des institutions financières, sur les paradis fiscaux, nous prenions des décisions concrètes. Ce sera déjà beaucoup !
Je voudrais, sans trop entrer dans la technique, revenir sur la question des fonds spéculatifs. Si la crise a pris une telle ampleur, c’est tout simplement parce que des fonds dont le bilan faisait apparaître qu’ils n’avaient que 1 euro de disponible pouvaient, avec cet euro, acheter des immeubles à Miami, dans le sud des États-Unis ou à Singapour qui valaient 1 million de dollars.
C’est le décalage entre les fonds propres et les investissements qu’il était possible d’engager qui a créé la crise financière que nous traversons aujourd’hui. Fixer des ratios prudentiels plus raisonnables qui, lorsque vous aurez 1 euro, vous permettront d’acheter à la rigueur trois ou dix pains au chocolat, mais pas mille, ce sera revenir à une forme de raison financière, qui est indispensable si l’on veut éviter les déboires que nous avons connus au cours des derniers mois.
A également été évoquée la question de la coordination des plans de relance. Il s’agit, effectivement, d’une question majeure, et je vous livrerai quelques observations à ce sujet.
Première observation : la coordination progresse ; c’est l’un des objectifs du Gouvernement. Dans la déclaration franco-allemande du dernier conseil des ministres franco-allemand figure pour la première fois, dès le premier paragraphe, l’idée que, désormais, la France et l’Allemagne coordonneront leurs décisions de politique économique.
Deuxième observation : il n’existe pas de budget de l’Union européenne au sens où nous pourrions l’entendre. Le budget de l’Union européenne, vous le savez tous, c’est 0,89 % du PIB européen. Ce n’est pas avec cela que l’on peut élaborer un plan de relance européen, c’est-à-dire communautaire ! Il ne reste donc de place que pour des plans de relance nationaux, qu’il faut coordonner le mieux possible. Si l’on veut vraiment un plan de relance communautaire, collectif, décidé par les États et par la Commission, il faut effectivement s’interroger sur cette question du budget européen, sur laquelle, personnellement, je suis ouvert, car elle mérite à tout le moins un examen attentif.
Troisième et dernière observation : je rappelle que toutes les institutions européennes ont fait le maximum pour la relance. En particulier, la Banque européenne d’investissement, dont j’ai rencontré le président, Philippe Maystadt, hier à Bruxelles, a débloqué des fonds massifs : 7 milliards d’euros doivent permettre aux industries automobiles d’investir dans l’innovation et dans la recherche. Elle l’a fait à la demande des grands pays européens, et Christine Lagarde et moi-même étions en contact permanent avec M. Maystadt. Cet effort important montre que l’Europe est capable de se mobiliser face à la crise.
Le sommet de l’emploi du 7 mai a également été abordé ; nous le préparons avec les partenaires sociaux. C’est un rendez-vous important. Le seul sujet qui compte aujourd’hui pour nos concitoyens, vous le savez tous ici, et je le constate dans ma circonscription lorsque j’y retourne, c’est l’emploi. C’est le sujet qui doit mobiliser tous nos efforts. Si, à l’échelle européenne, nous pouvons trouver des solutions, notamment en matière de formation, d’indemnisation du chômage technique, de temps partiel, eh bien, appliquons les et avançons ! Si, en plus, cela peut faire prendre conscience à un certain nombre d’États européens que la question sociale est aussi une question européenne, je ne pourrai que m’en réjouir !
Denis Badré, en particulier, a évoqué l’emprunt européen. Personnellement, je n’ai pas de réticence devant une telle solution. Je ferai cependant deux remarques rapides.
La première, c’est que l’Europe n’a pas de capacité fiscale propre : c’est l’une de ses réalités !
M. Hubert Haenel, président de la commission des affaires européennes. Absolument !
M. Bruno Le Maire, secrétaire d'État. Par conséquent, tout emprunt de l’Union européenne ne peut que se traduire par un endettement des États : il n’y a pas de dette européenne. Un tel choix est donc forcément lourd.
Seconde remarque, la voie de l’endettement n’est pas acceptable pour certains de nos partenaires, notamment pour l’Allemagne : elle a très clairement fait savoir qu’il n’était pas question d’un emprunt européen, qui aggraverait la charge de la dette des États. Et la vie internationale, comme la vie politique, est faite aussi de compromis ! Si nous voulons conserver notre capacité d’avancer avec l’Allemagne sur un certain nombre de questions, comme nous le faisons, et de manière efficace, il nous faut prendre en considération ses réticences sur ce sujet.
J’en viens aux propos de Denis Badré sur la présidence tchèque ; nous la soutenons, je l’ai dit. Je suis en contact permanent avec Sacha Vondra, le vice-Premier ministre tchèque chargé de la Présidence, et nous avons des contacts réguliers avec le Premier ministre, M. Topolanek ; quant au président tchèque, il lui appartient de défendre ses propres positions. En l’espèce, et puisque de nombreuses citations ont été faites aujourd’hui, je dirai que « tout ce qui est excessif est insignifiant ». N’y prêtons donc pas une trop grande attention !
L’Europe de la défense reste un projet majeur pour la France, et notre décision de retourner dans le commandement intégré de l’OTAN ne doit pas nous faire perdre de vue que le renforcement de cette Europe de la défense demeure une priorité. Celui-ci suppose un budget ; il nous faudra donc convaincre ceux de nos partenaires qui y sont réticents. Il suppose la définition d’intérêts collectifs ; si la présidence française a permis de progresser sur le sujet, la question reste complexe. Enfin, il suppose un état-major de commandement d’opération collectif européen et non pas plusieurs états-majors nationaux ; je crois que, quelles que soient les réticences qui pourront se faire jour, cette perspective doit rester ouverte.
A aussi été abordée la question des pays d’Europe centrale et orientale. L’enjeu est essentiel ! La crise ne doit pas provoquer le retour des fractures en Europe. Nous avons connu une Europe divisée. Nous avons réussi à reconstruire une Europe unie ; nous devons maintenir à tout prix cette unité. En d’autres termes, nous devons persévérer dans l’effort de solidarité que j’ai déjà indiqué ; c’est essentiel. Nous devons éviter de nous rejeter la responsabilité les uns sur les autres en reprochant à tel d’être protectionniste, à tel autre d’être trop libéral… Trouvons des solutions collectivement, ne dressons pas les États les uns contre les autres et, surtout, évitons que les États nouveaux entrants ne soient opposés aux États fondateurs. Il n’y aurait pas pire division que ces divisions historiques : le propre de la construction européenne est, justement, d’avancer dans l’histoire en les effaçant de la mémoire. Si nous revenons là-dessus, c’est toute l’Europe, c’est tout le processus européen qui s’effondrerait.
Hubert Haenel me glissait tout à l’heure en aparté que cela lui évoquait Les Animaux malades de la peste de La Fontaine : « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ». C’est exactement le cas aujourd’hui : tous ne meurent pas de la crise économique, mais tous sont frappés. Alors, plutôt que de chercher un bouc émissaire, trouvons des solutions collectives !
La question de la politique industrielle commune me permettra de faire le lien avec les remarques de Michel Billout.
Depuis ma prise de fonction, je me bats pour obtenir une coordination des politiques économiques européennes. En particulier, je crois indispensable que nous ayons une politique industrielle commune. C’est difficile, parce que l’Europe ne s’est pas construite ainsi. Je considère – il m’arrive d’être d’accord avec les communistes, au Parlement ! – que c’est l’un des enjeux de la construction européenne de demain. Il faut changer la donne !
Comme je l’ai indiqué il y a peu dans une interview au quotidien Les Échos, la concurrence a été l’alpha et l’oméga de la construction européenne des vingt ou trente dernières années. Elle ne peut plus rester l’alpha et l’oméga de la construction européenne pour les vingt ou trente prochaines années : ce n’est pas possible ! Nous devons prendre conscience que la concurrence comme seul principe politique aboutit à des affrontements entre États qui ne sont pas dans l’intérêt même de ces États. La concurrence est nécessaire, mais il faut aussi de la coopération et une vision collective.
Si certaines personnes, sur ces travées, ne sont pas convaincues, qu’elles se demandent ce que sera l’avenir de l’industrie automobile européenne. La bonne solution est-elle de voir les constructeurs automobiles européens se livrer à une concurrence acharnée jusqu’à ce que l’un d’eux disparaisse, ou bien est-elle de les voir travailler ensemble en réfléchissant à ce que peut être l’avenir de l’industrie automobile européenne ?
Pour moi, le choix est clair : nous devons travailler ensemble à la définition d’une industrie automobile européenne, et nous en avons les moyens. Aucun constructeur automobile européen n’est capable, seul, d’investir assez pour pouvoir financer, par exemple, un moteur électrique qui fonctionne et dont le coût de revient soit suffisamment intéressant. Payons cette innovation, finançons cette recherche – nous le faisons déjà avec la Banque européenne d’investissement –, rapprochons les laboratoires de recherche des constructeurs et, à partir de là, créons des synergies industrielles européennes ! C’est la seule solution pour que, véritablement, nous sortions plus forts de cette crise, et je suis persuadé que c’est l’un des sujets sur lesquels nous devrons nous battre dans les prochaines années.
S’agissant du dumping social, monsieur Billout, la meilleure protection, c’est le processus de convergence des différents États. Je prendrai un exemple concret : lorsque la Hongrie est entrée dans l’Union européenne, le salaire minimum y était de 400 euros ; cinq ans plus tard, il s’élève à 700 euros.
Cet effort de convergence, observé en Espagne, au Portugal et en Grèce au début des années quatre-vingt, se produira également dans les pays d’Europe centrale et orientale dans les années à venir. Il doit demeurer l’objectif collectif d’un rattrapage pour que ces États accèdent au même niveau de développement social et économique que les autres afin d’éviter toute forme de dumping social.
En revanche, je ne partage pas votre sentiment sur la crise de légitimité démocratique. On ne peut pas considérer qu’il y a moins de légitimité démocratique et, dans le même temps, être contre un traité qui renforce considérablement les pouvoirs du Parlement au travers de l’extension de la codécision. Le Parlement européen – je le dirai pendant toute la campagne parce que j’en suis intimement persuadé – est devenu un lieu de pouvoir essentiel pour nos concitoyens, peut-être plus important que le Parlement français. Aujourd’hui, un député européen a un pouvoir considérable, qui sera encore accru avec le traité de Lisbonne ; c’est une façon de progresser vers une démocratie européenne.
Monsieur Bizet, vous avez évoqué l’industrie française et européenne ; je le répète, c’est une priorité absolue. Car les questions de l’innovation et de la dette constituent les deux grands défis de la sortie de crise européenne.
S’agissant de l’innovation, je suis convaincu que la stratégie de Lisbonne n’est plus suffisante : on ne peut plus avoir seulement des indicateurs, il faut des obligations.
Je formulerai à cet égard une remarque plus générale sur la construction européenne. Je regrette qu’en la matière les obligations soient toujours négatives : moins de déficit, moins de dette, des critères très stricts sur les budgets, sur l’endettement public. Des obligations positives sont également nécessaires, notamment sur l’innovation, la recherche, le nombre d’étudiants qui pourraient circuler en Europe.
Faisons en sorte que l’Union européenne soit considérée non pas uniquement comme un carcan négatif, mais comme une structure positive qui oblige les États à faire plus pour leurs concitoyens, à faire plus pour ce qui est essentiel au développement futur, c’est-à-dire l’innovation et la recherche.
S’agissant de l’OMC et des accords de Doha, nous voulons un accord global et équilibré. Nous avons accompli des efforts, notamment dans le domaine agricole ; nous ne sommes pas prêts à aller au-delà. Nous attendons maintenant les réponses de nos partenaires ; mais un accord juste en matière commerciale, c’est un accord équilibré : nous avons fait des concessions ; tel n’est pas encore le cas de nos partenaires !
Je terminerai par les questions posées par Aymeri de Montesquiou relatives à l’approvisionnement énergétique.
Nous avons impérativement besoin de diversifier notre approvisionnement énergétique ; de nouvelles voies de circulation des hydrocarbures sont donc nécessaires en Europe, en Asie centrale et en Russie.
Nous avons trois projets majeurs : North Stream, South Stream et Nabucco. Nous sommes favorables à ces trois voies d’approvisionnement, qui sont complémentaires, en ayant tout de même conscience que chacune pose des difficultés ; il ne faut pas en privilégier une plutôt qu’une autre.
South Stream présente des problèmes en termes de tracé et de financement. Quant à Nabucco, sa rentabilité n’est assurée que si nos relations avec l’Iran s’améliorent au point d’obtenir une garantie d’approvisionnement. Enfin, North Stream soulève deux difficultés. La première est politique : la Pologne voit d’un très mauvais œil un accord entre l’Allemagne et la Russie en matière d’approvisionnement énergétique ; on peut le comprendre. Je me rendrai prochainement en Pologne pour essayer de trouver une solution. La seconde difficulté concerne l’environnement, car l’ensemble du tracé passe par des lieux protégés, notamment la mer Baltique, et cela pose de sérieuses difficultés avec la Suède et le Danemark. Nous devrons là aussi trouver des solutions, sachant que tout nouvel aménagement renchérit de deux à trois fois le coût initial de construction de ce pipeline et ne garantit donc pas sa rentabilité.
Enfin, vous avez cité Anaximandre. Je suis très féru de littérature et de philosophie allemande. Heidegger a écrit un très beau texte sur un fragment de cet auteur : « Rien ne reste de ce qui a passé ; ne passe que ce qui ne reste pas. » J’espère que ce ne sera pas une devise pour l’Europe, que jamais elle ne passera et que resteront dans nos cœurs et dans nos esprits ses réalisations concrètes. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.- M. le président de la commission des affaires étrangères et M. le président de la commission des affaires européennes applaudissent également.)