M. Jean-Pierre Plancade. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je suis intervenu tout à l’heure avec une certaine retenue en qualité de rapporteur pour avis. En cet instant, j’interviens au nom du groupe socialiste, et mes propos seront donc moins nuancés.
Les internautes, dont je suis, consultant le site internet de l’excellente émission L’Atelier des médias de Radio France Internationale – antenne de service public dont je salue au passage les personnels, qui vivent actuellement un plan social douloureux – peuvent en ce moment assister, en vidéo, aux dernières heures d’un quotidien : le Rocky Mountain News de Denver, aux États-Unis.
Voilà donc des auditeurs de radio fréquentant le site de leur émission préférée sur internet, où ils apprennent, presque en direct, la disparition d’un journal « papier » à l’autre bout du monde…
D'ailleurs, ce matin même, j’apprenais la fin de l’édition « papier » du quotidien Seattle Post-Intelligencer, pourtant plus que centenaire – il fut fondé voilà près de cent cinquante ans –, qui a décidé de passer au « tout internet ».
À l’heure de la révolution numérique, l’anecdote est significative d’un temps où la mort prochaine de la presse écrite semble inéluctable et où il est de bon ton de condamner à brève échéance les éditeurs continuant à publier des journaux ou des magazines « papier ».
Il ne fait pas de doute que l’accélération du taux de raccordement des ménages à internet dans les pays occidentaux depuis le début des années 2000 a suscité une modification des pratiques d’accès à l’information, qui est particulièrement marquée chez les moins de vingt-cinq ans, pour lesquels le web représente une source apparemment inépuisable et gratuite de contenus écrits et audiovisuels sans cesse renouvelés.
Ainsi, comme je le soulignais dans le rapport que j’ai réalisé en octobre 2008, au nom de notre commission des affaires culturelles, sur l’impact des nouveaux médias sur la jeunesse : « Selon un sondage Ipsos de novembre 2004, internet est [...] le média préféré pour 61 % des 15-25 ans et l’office des communications britanniques a récemment mis en lumière le fait que le temps consacré à naviguer sur la toile était devenu, pour les jeunes Britanniques, supérieur à celui passé devant la télévision. La génération digitale passe globalement 800 heures par an à l’école, 80 heures à discuter avec sa famille et 1 500 heures devant un écran ».
La désaffection parallèle des jeunes générations pour la lecture de la presse écrite d’information générale ne serait pas inquiétante en soi si ce public était suffisamment averti de la qualité et du statut des contenus en ligne.
Or les 15-25 ans ont majoritairement tendance à naviguer sur la toile de lien en lien, au gré de leur inspiration, plutôt qu’à faire une recherche précise ou à mobiliser des sites qu’ils connaîtraient par avance. Ce constat m’a amené, dans le rapport précité, à mettre en garde contre le potentiel de manipulation et de désinformation que recèle internet.
Dans ce contexte, l’avenir des journaux quotidiens, et même de la « grand-messe du vingt heures » télévisé semble bouché, et cela d’autant plus depuis que des titres comme Le Monde, Libération ou La Tribune ont connu de graves difficultés économiques, entraînant des réductions d’effectifs jusque dans les rédactions et de douloureux changements de management, tandis que L’Humanité ou France Soir paraissent en état de perpétuelle convalescence.
Cette macabre impression est confirmée, ces dernières semaines, par la brutale descente aux enfers de puissants groupes de presse américains, comme Tribune, l’éditeur du Los Angeles Times et du Chicago Tribune, qui a été placé sous la protection de la loi sur les faillites en décembre dernier, alors que, à la même époque, les propriétaires du New York Times, confrontés en 2008 à une chute de 13 % des recettes publicitaires du quotidien de référence new-yorkais, décidaient d’hypothéquer le prestigieux siège du journal, en plein cœur de Manhattan.
Parallèlement, deux des principaux éditeurs européens de presse, l’allemand Bertelsmann et l’italien Mondadori, envisagent que 2009 soit une « annus horribilis » pour leur secteur, avec un recul des recettes publicitaires qui serait supérieur à 10 %. Ces sombres perspectives d’activité ont d’ores et déjà incité Bertelsmann à interrompre la publication de trois magazines en Europe.
S’il n’est pas étonnant que certains groupes de médias soient touchés significativement par la crise économique actuelle, le phénomène est inquiétant dans la mesure où les activités d’édition et de diffusion de journaux et de magazines sur support « papier » sont déjà fragilisées par la révolution numérique.
Or, malgré la baisse importante des investissements publicitaires que connaîtront les médias en général en 2009, il est probable que ceux qui sont réalisés sur internet continueront à progresser au détriment des chiffres d’affaires des autres supports.
En 2008, internet captait ainsi 15 % des investissements publicitaires, contre 9,6 % seulement en 2006. Ce sont quelque 516 millions d’euros de recettes publicitaires, en augmentation de 12,6 % par rapport à 2007, qu’a engrangées internet l’année dernière, contre 316 millions d’euros pour les quotidiens nationaux, un montant en baisse de 4,4 % par rapport à l’exercice précédent.
Cette évolution structurelle du marché de la publicité est en fait représentative de l’intérêt grandissant des annonceurs pour des supports permettant une segmentation fine des publics visés.
Dans cette conjoncture, on pourrait conclure superficiellement que notre débat d’aujourd’hui porte sur la chronique d’une mort annoncée, celle de la presse écrite !
Pourtant, si les défis à relever pour la presse écrite en particulier et pour les médias d’information en général sont nombreux et complexes, j’affirme que nos journaux « papier » pourraient encore vivre de longues années de bonheur avec leurs lecteurs si nous disposions d’une politique susceptible de les soutenir.
Quelles sont nos raisons d’espérer ? Et quelles sont les conditions qui permettraient d’envisager sans inquiétude l’avenir de notre presse écrite ?
D’une part, selon les résultats d’une étude récente et contre toute attente, la presse quotidienne en 2008 a gagné des lecteurs en France, avec une progression de 2,6 % pour les quotidiens régionaux, dont l’audience atteint ainsi 17,8 millions de personnes, de 0,9 % pour les quotidiens nationaux, avec 8,8 millions de lecteurs, et même de 4 % pour les « gratuits », avec 4,4 millions de lecteurs.
D’autre part, les résultats d’une enquête réalisée par l’institut MRCC pour sept quotidiens nationaux, huit quotidiens régionaux et dix-sept magazines à l’occasion des états généraux montrent que les lecteurs de la presse écrite choisissent celle-ci parce que journaux et magazines sont les supports d’information les plus indispensables à la démocratie, en même temps que les plus riches en informations de toutes sortes.
Cependant, les mêmes lecteurs jugent que la presse écrite a des points faibles rédhibitoires, qui constituent autant de raisons de ne pas acheter journaux et magazines : ainsi, les personnes interrogées estiment que les prix de la presse écrite sont élevés – suscitant la réflexion : « On n’en a pas pour son argent » ! – et que les journalistes de ses titres sont moins indépendants et objectifs que ceux des autres supports.
Autrement dit, pour continuer à acheter la presse, nos concitoyens la souhaitent riche, dense, proche des gens et agréable, mais aussi moins chère et plus crédible dans son contenu.
Les Français, et l’on peut raisonnablement croire que c’est aussi le cas des habitants des autres pays développés, semblent donc attachés à une presse de qualité, généraliste et accessible.
Or, il faut le constater, les principaux groupes de médias, pour s’adapter à ce que seraient les évolutions d’un marché déstabilisé par internet et la gratuité, prennent des options de développement qui sont susceptibles de décevoir ces attentes.
L’AFP se trouve aujourd'hui concernée au premier chef par ce problème. D'ailleurs, madame la ministre, je profite de ce débat pour vous poser une question simple : quel est votre point de vue sur l’évolution envisagée par le P-DG de l’AFP, qui a déclaré souhaiter que le statut de l’agence se rapproche de celui de La Poste ?
En tout cas, les patrons de presse, en tentant de pratiquer un journalisme plus rentable, réduisent la pagination des quotidiens et des magazines généralistes et n’hésitent plus à licencier des journalistes pour réduire les coûts de fonctionnement des équipes rédactionnelles.
Il y a là une contradiction avec le constat que je dressais voilà quelques instants : les Français continuent à croire à la presse écrite, parce qu’ils sentent qu’elle est plus riche, plus dense, et qu’elle dispose de davantage de contenu, ce qui correspond à leurs attentes ; pourtant, pour s’adapter à la nouvelle situation des médias et répondre à la crise, les patrons de presse réduisent la qualité, les moyens et la place réservée aux articles de fond !
Parallèlement, ils cherchent à développer des stratégies « multimédia », en faisant proliférer, sur papier ou sur internet, les éditions spécialisées animées par des « rédactions bis », composées de jeunes gens reproduisant à longueur de journée des dépêches d’agence.
Cette « perte de substance » du métier de journaliste amène d’ailleurs Jean-Marie Charon, sociologue des médias réputé, qui a participé aux travaux du pôle « presse et société » des états généraux de la presse écrite, à proposer que les journalistes « assis » soient moins bien rémunérés que les journalistes « debout », pour reprendre ses propres expressions.
Convenant lui-même du caractère provocateur de ce propos, son auteur s’en explique en estimant nécessaire d’interpeller les éditeurs : selon lui, il est important que la presse rende compte d’une information originale « de première main, […] obtenue dans un rapport direct avec les acteurs de l’actualité ».
La mutation accélérée du métier de journaliste préoccupe au sein même de la profession.
Ainsi, Bernard Poulet, rédacteur en chef à L’Expansion, dans un essai paru récemment, La fin des journaux et l’avenir de l’information, conclut à la disparition progressive du métier de journaliste, tel qu’il existait jusqu’alors, dont le cœur était constitué par le travail d’enquête, car il n’est plus assez rentable pour s’adapter à ce que seraient les nouveaux modes de consommation de l’information.
Pourtant, en contradiction avec les attentes de la société à l’égard de la presse, cette tendance risque d’approfondir le fossé entre des journaux d’information générale, aux contenus de plus en plus pauvres et ciblés, et leurs lecteurs. Ce fossé s’agrandira d’autant plus que la concentration dans le secteur des médias s’accroîtra.
En effet, nos concitoyens cherchent une information libre, qui soit traitée par des rédactions indépendantes, particulièrement en ces temps sombres de profonde crise économique et sociale.
Or, selon une enquête récente réalisée pour La Croix, une part considérable des Français – 63 % d’entre eux ! – pensent que les médias ne sont pas indépendants face aux pressions politiques et économiques.
Dans un pays où la grande majorité des titres de presse et des chaînes de télévision et de radio appartiennent à des conglomérats qui non seulement sont présents dans la communication, mais tirent le principal de leurs revenus des commandes publiques, dans les secteurs des travaux ou de l’armement par exemple (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.), nos concitoyens font, par là, preuve de beaucoup de lucidité !
Il est certain qu’en affirmant régulièrement que le principal problème de la presse en France réside dans le manque de concentration des éditeurs, le Président de la République ne rassure pas les lecteurs des journaux sur le devenir de l’indépendance éditoriale des titres.
Qui plus est, en multipliant les interventions directes auprès des rédactions et les critiques à l’emporte-pièce à l’égard des journalistes, le chef de l’État fait montre d’une tentation bien mal réprimée de contrôler l’information, qui ne correspond guère au rôle de contributeur essentiel du débat démocratique que les Français veulent voir jouer à la presse !
De ce point de vue, la récente loi bouleversant l’ensemble du paysage audiovisuel afin d’organiser la mise sous tutelle du pouvoir du service public de la radio et de la télévision ne rassure pas sur les projets du président Sarkozy pour la presse d’information en général.
Dans ce contexte, les états généraux de la presse écrite ont certes constitué une occasion importante de débattre de l’avenir de la presse écrite, mais aussi manifesté le manque de maturité certain de notre société démocratique, où les acteurs mêmes des contre-pouvoirs appellent de leurs vœux le soutien de l’État !
Or, s’il est habituel, en France, que la politique d’aide à la presse et aux médias dépende du ministère quasi régalien qu’inaugura Malraux voilà cinquante ans, il n’était sûrement pas dans les projets du fondateur de la Ve République de voir l’hôte de l’Élysée jouer les rédacteurs en chef des télévisions, radios, magazines et quotidiens de tout le pays !
Ces états généraux ont, en effet, surtout péché par un vice essentiel : ils ont été organisés sur l’initiative du chef de l’État et pilotés directement par son équipe de collaborateurs.
Dès lors, il est difficile de faire croire que la presse n’est pas sous influence, surtout lorsque MM. Bolloré, Dassault et Lagardère détiennent les principaux leviers de commande économiques du secteur et que les journalistes ont été quasiment exclus des travaux des états généraux de la presse écrite !
De plus, le temps imparti pour traiter ce qui constitue un véritable enjeu de société fut bien court...
Les résultats des états généraux de la presse écrite suscitent donc légitimement la suspicion, même si certaines propositions, comme la création d’un statut d’éditeur de presse en ligne, vont naturellement dans le bon sens, sous réserve des conditions dans lesquelles elles seront mises en œuvre.
En réalité, le catalogue de mesures catégorielles dont ont accouché ces états généraux n’est pas à la hauteur du défi posé par la société à ses journaux et magazines, à savoir recréer de la confiance entre la presse écrite et tous les citoyens en quête d’une information fiable et plurielle.
À cet égard, certaines propositions du Livre vert sont inquiétantes : le doublement de la part des investissements publicitaires de l’État consacrés à la presse n’est-il pas une « fausse bonne idée » dans une République dont les citoyens jugent les médias déjà trop proches des pouvoirs politique et économique ?
Comment sera perçue par les Français l’insertion en pleine page de campagnes de communication gouvernementales dans leurs quotidiens préférés ?
Plus fondamentalement, la question de la régulation des concentrations dans le secteur des médias n’a pas été posée dans le cadre de ces états généraux, et on le comprend eu égard à la position du chef de l’État sur ce sujet, alors qu’elle est majeure.
En effet, la concentration de nombreux titres de la presse d’information et d’importantes chaînes de radio et de télévision entre les mains de puissants groupes d’industries et de services, dont les patrons sont presque tous proches du Président de la République et dont la plupart tirent une part significative de leurs revenus des commandes publiques, constitue une anomalie dans les démocraties occidentales.
Il est donc plus que temps, madame la ministre, d’envisager sérieusement, et sans esprit de polémique, d’interdire aux groupes dont le chiffre d’affaires est substantiellement assuré par des revenus issus de la commande publique de détenir des entreprises de médias d’information.
Toutefois, ce dispositif anti-concentration ne réglerait pas les questions liées à la place et au rôle des rédactions dans ces entreprises, et je terminerai en évoquant ce problème.
Notre assemblée s’était honorée, durant la discussion du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, en approuvant un amendement du groupe socialiste faisant obligation aux chaînes de la télévision publique de se doter d’une rédaction propre, dirigée par un journaliste.
Malheureusement, cette disposition fut vidée de son contenu en commission mixte paritaire par les députés de l’UMP, mais non par les sénateurs : de quoi ceux-ci ont-ils donc eu peur ? Des foudres du chef de l’État ?
En tout état de cause, l’élaboration de chartes rédactionnelles ne suffira pas à garantir l’intégrité des rédactions de chaque titre dans les groupes de presse, qui ne pourra être efficacement assurée que par la reconnaissance juridique de ces dernières.
Dans cette perspective, on attendra beaucoup de la conférence nationale des métiers du journalisme, apparemment appelée à se réunir rapidement, car que serait une rédaction, même à l’âge du numérique, sans journalistes ?
Cette conférence devra se saisir des questions de déontologie…
Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur Assouline.
M. David Assouline. …et faire des propositions pour l’élaboration du futur code annexé à la convention collective nationale de travail des journalistes. Il lui faudra aussi chercher les moyens de reconnaître la place des pigistes, qui se sentent souvent déconsidérés alors qu’ils apportent, notamment dans la presse quotidienne régionale, une contribution essentielle à la couverture de l’information.
La profession devra, par ailleurs, veiller à ce que l’évolution du régime des droits d’auteur des journalistes ne tende pas à la logique du copyright. Sur ce plan, un amendement de notre collègue Mme Marie-Christine Blandin au texte qui est devenu la loi du 1er août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information a permis d’éviter que les photographes ne soient victimes d’une telle dérive.
Pour conclure, je rappellerai rapidement les propositions qui figurent dans mon rapport sur les nouveaux médias et la jeunesse et qui ont recueilli l’unanimité de la commission des affaires culturelles.
Mme la présidente. Concluez, mon cher collègue !
M. David Assouline. On ne peut pas engager le débat sur la revalorisation de la presse et dire qu’il faut encourager les jeunes à lire, y compris avec cette bonne mesure d’un abonnement, sans prendre à bras-le-corps la question de l’éducation aux médias, qui est désespérément absente de notre éducation nationale…
M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. C’est vrai !
M. David Assouline. …et qui, en dépit des initiatives pilotes qui existent aujourd’hui, se voit affaiblie par des mesures de réductions de postes qui interviennent mois après mois.
Je veux conclure par cette note que j’espère optimiste : la commission des affaires culturelles ayant été unanime sur ce point, il faudra à un moment donné que le Gouvernement, voire le législateur, surveille la façon dont les choses se mettent en place. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Pierre Plancade. Absolument !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, trois minutes de temps de parole sur un sujet aussi important et sensible ne me permettront que d’apporter un témoignage.
J’en conviens, il faut aider la presse. Cependant, pourquoi, en période de crise, continuer à verser plus de 175 millions d’euros au titre du programme 180 d’aide directe à la presse écrite sans la moindre contrepartie ?
Je ne suis pas de nature liberticide, et vous le savez, mais la liberté des uns s’arrête où commence celle des autres et, en la matière, cela fait bien longtemps que la presse dans son ensemble a dépassé les bornes.
Notre droit de la presse est inadapté tant sur le fond que sur la forme aux médias du XXIe siècle et les victimes de diffamation doivent attendre des années pour voir leur préjudice réparé. Et encore l’est-il alors dans des proportions ridicules.
Je suis favorable à ce que l’on aide la presse, à condition qu’on lui impose un code de bonne conduite, comme beaucoup d’orateurs l’ont dit avant moi. Un peu de déontologie s’impose !
Pourquoi avoir exigé un contrat d’objectifs et de moyens avec l’AFP et rien avec la presse écrite ?
Ayons le courage de revoir le système !
Je ne dispose que de peu de temps pour évoquer internet et les blogs anonymes.
La fameuse adresse IP ne doit pas être le protecteur des infamies anonymes balancées sur le net et le gage de l’impunité.
M. Jean-Pierre Plancade. Très bien !
Mme Nathalie Goulet. J’applaudis des deux mains la récente décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Certains, je le sais, y voient une décision qui viserait les auteurs de téléchargement, mais c’est aussi et surtout une voie ouverte aux victimes de diffamations.
M. Jacques Legendre, président de la commission des affaires culturelles. Eh oui !
Mme Nathalie Goulet. Les jeunes qui téléchargent musiques et films ne sont pas seuls au monde ! Il faut tout de même qu’ils le sachent.
Je ne partage, en règle générale, aucune des idées de Mme Morano ; en revanche, j’approuve sa démarche contre Dailymotion : jusqu’où doit-on accepter de se faire critiquer jusqu’à l’humiliation ?
De Salengro à Pierre Bérégovoy, combien d’hommes politiques n’ont pas supporté que leur honneur soit « livré aux chiens », pour reprendre des mots de François Mitterrand ?
L’honneur est bien peu de chose.
Je prendrai l’exemple d’une plainte contre X, n’ayant pas encore fait l’objet d’une ordonnance de consignation, c’est-à-dire sans existence juridique. Un grand journal du soir fait un article à charge, non pas un petit article, mais une pleine page. (L’oratrice brandit le document.) L’affaire a abouti à un non-lieu : avons-nous alors une ligne sur celui-ci ? Aucune ! pas la moindre !
Combien de temps allons-nous supporter ces instructions médiatiques et ce mélange des genres qui peuvent anéantir un être humain et sa famille ?
Je pense à Dominique Baudis, à l’affaire d’Outreau, à tant d’autres drames. Je pense également à ceux qui ont frappé tant de gens complètement inconnus ; je songe notamment à cette personne dénoncée par son ex-compagne dans un élan vengeur comme l’auteur des envois de lettres anonymes et de projectiles au Président de la République, qui s’est retrouvée immédiatement cernée par la presse et victime d’une campagne absolument délirante.
Nous devons obtenir que les déclarations du syndicat des journalistes, dans lesquelles il prônait de remettre la déontologie au cœur du métier, soient appliquées. Je rappelle que, dans cette charte, datant de juillet 1918 et révisée en 1938, il est précisé que la calomnie et les accusations sans preuves sont les plus grandes fautes professionnelles. Ce texte date – j’insiste sur ce point – de 1918 : les états généraux de la presse écrite n’ont rien inventé de mieux !
Il faudra sûrement plus de sévérité et de contrôle s’agissant de l’attribution des cartes professionnelles.
Je peux vous le dire d’expérience, mes chers collègues : cela n’arrive pas qu’aux autres ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales reconnaissent le droit à l’information comme une composante essentielle des libertés d’opinion et d’expression.
Dans une démocratie, l’exercice de ce droit suppose que l’État veille à assurer le pluralisme de l’information sur tout le territoire, par tous les moyens de communication.
Quelle que soit la progression réelle des moyens électroniques de communication sur le territoire national, la presse écrite reste un support d’information essentiel, et ce particulièrement dans les zones rurales, où les habitants ne bénéficient pas tous, loin s’en faut encore aujourd’hui, du haut débit ou du très haut débit.
Le rôle primordial du transport de la presse est, d’ailleurs, reconnu dans notre nation, puisqu’il fait partie des quatre missions de service public confiées à La Poste, à côté du service universel postal, de la présence postale territoriale et de l’accessibilité bancaire.
La mission de service public du transport et de la distribution de la presse est ainsi garantie dans son principe par la loi du 21 mai 2005.
Qu’en est-il dans les faits ?
D’un coût annuel de 1,2 milliard d’euros, la mission de transport et de distribution de la presse connaît un déficit structurel, qui s’est élevé à 414 millions d’euros en 2007 après contribution de l’État de 242 millions d’euros.
Alors que le marché du courrier va être totalement ouvert à la concurrence au 1er janvier 2011, il est nécessaire de garantir le bon exercice de cette mission de service public.
Un protocole d’accord entre l’État, la presse et La Poste a donc été signé le 23 juillet 2008 pour la période 2009-2015. Selon ses signataires, il devrait permettre de couvrir, au terme de cette période, les coûts complets du transport de la presse, les éditeurs acceptant des hausses tarifaires en moyenne de 1,5 % à 4 % par an, La Poste s’engageant à réduire ses coûts nets attribuables au transport de la presse de 200 millions d’euros en 2015 hors inflation et l’État réduisant progressivement sa contribution annuelle de 242 millions d’euros à 180 millions d’euros entre 2009 et 2015.
Que faut-il penser de cet accord ?
L’optimisme affiché dans cet accord a de quoi laisser un peu dubitatif.
D’abord, je ferai un constat : l’État va réduire sa contribution.
Ensuite, comment ne pas s’interroger sur les conséquences de l’importante revalorisation des tarifs postaux et son incidence sur des éditeurs dont certains titres de presse connaissent de grandes difficultés ? Faut-il se satisfaire de l’affirmation selon laquelle les tarifs de presse de La Poste demeureront parmi les plus abordables en Europe ?
Enfin, que penser de l’engagement pris par La Poste de considérer la question du déficit du transport de la presse définitivement réglée dès lors que le protocole sera intégralement appliqué et de faire son affaire, le cas échéant, de tout écart résiduel entre les coûts attribuables au transport de la presse et les recettes provenant des clients éditeurs et de la contribution de l’État ?
En effet, si la question du déficit n’était pas réglée, le risque serait réel de voir La Poste, confrontée à la concurrence, réduire le champ de sa mission de transport et de distribution.
Pour éviter ce risque et contribuer à assurer l’avenir de la presse écrite, l’État doit s’engager à renforcer, si besoin est, sa contribution au transport de la presse. Nous considérons, madame la ministre, que, quoi qu’il arrive, il doit accompagner La Poste à un niveau suffisant pour garantir dans la durée l’exercice d’un droit aussi fondamental que le droit à l’information de tous les citoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)