M. le président. La parole est à M. Charles Guené.

M. Charles Guené. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’inscription à l’ordre du jour du Sénat du projet de loi pour le développement économique de l’outre-mer coïncide avec la grave crise sociale et sociétale que traversent actuellement les départements d’outre-mer, en particulier des Antilles, dont l’origine est économique mais aussi, plus profondément, ethnique et historique.

Ce projet de loi avait été présenté au conseil des ministres et déposé sur le bureau du Sénat dès le 28 juillet 2008, preuve s’il en est – je tiens à le souligner – que le Gouvernement n’avait pas attendu la crise actuelle pour s’intéresser aux problèmes économiques de nos départements ultramarins.

Le texte dont nous discutons aujourd’hui comporte un certain nombre de mesures favorisant notamment le développement économique endogène et permettant de rompre avec l’assistanat dans des territoires sévèrement touchés par le chômage.

La mesure centrale du texte est la création de « zones franches globales d’activités » dans les quatre départements d’outre-mer.

Un autre volet du texte porte sur l’actualisation de la loi de programme pour l’outre-mer, dite « loi Girardin », du 21 juillet 2003, avec une réorientation de ses mesures de défiscalisation en faveur du logement vers le logement social, en permettant aux sociétés d’HLM de bénéficier du dispositif de défiscalisation.

Ces dispositions ne sont bien évidemment pas suffisantes pour répondre à la crise qui touche nos départements ultramarins. C’est la raison pour laquelle un grand nombre d’amendements a été déposé par mes collègues, afin de tenir compte de l’évolution de la situation actuelle.

La commission des finances a notamment adopté un amendement proposant que cent produits de première nécessité soient soumis dans les DOM à des prix réglementés, fixés par décret en conseil d’État. Il s’agirait d’aligner au mieux leurs prix sur ceux de la métropole.

Cette disposition, introduite par le président de la commission des finances, est séduisante. L’article L. 410-2 du code de commerce prévoit déjà que les prix peuvent être réglementés par décret en Conseil d’État dans les situations de monopole ou de difficultés durables d’approvisionnement.

Si je crois nécessaire de rappeler ces dispositions, je m’interroge néanmoins, au nom du groupe UMP, sur l’opportunité d’être aussi directif. Il paraît plus judicieux de privilégier la négociation, de telles fixations de prix devant être décidées après concertation avec la grande distribution.

La négociation a d’ailleurs fait ses preuves, notamment en Martinique. Sous l’égide du préfet, un accord entre les grévistes et le syndicat de la grande distribution a été conclu le 17 février dernier, entérinant la baisse de 20 % des prix de cent familles de produits de première nécessité.

Cet accord a été finalisé le vendredi 6 mars : le « Collectif du 5 février » et les représentants patronaux sont tombés d’accord sur le nombre de quatre cents articles des cent familles de produits déjà actées, qui se verront appliquer cette baisse de 20 %.

Le groupe UMP soutiendra donc l’amendement du Gouvernement rendant cette réglementation des prix par décret non plus obligatoire mais facultative, sachant que la rédaction pourrait sans doute encore être améliorée.

Il me semble en outre nécessaire que le Gouvernement se saisisse du problème des marges et des circuits de distribution en outre-mer. La comparaison des prix entre la métropole et l’outre-mer n’aura de sens que lorsque la lumière aura été faite sur les circuits de distribution et les modalités de mise en place des prix.

Le rapport de l’Autorité de la concurrence, qui sera rendu en juin sur cette question, ainsi que les États généraux de l’outre-mer devront apporter des réponses.

Nul ne peut contester le fait que la crise économique et sociale trouve aussi son origine dans un mal-être plus profond, lié au sentiment de beaucoup d’ultramarins de souche d’être défavorisés par rapport aux habitants des départements d'outre-mer originaires de métropole. Mais il n’est pas pour autant acceptable d’intimider ou de montrer du doigt une communauté et de vouloir l’exclure, au motif qu’elle n’exécute pas certains ordres.

La société béké détient, certes, une grande partie des entreprises en outre-mer, mais il s’agit souvent d’entreprises familiales qui sont autant d’acteurs du développement économique de l’outre-mer et dont nous devons tenir compte dans le redéploiement attendu.

En dépit de certains efforts et de changements absolument nécessaires – j’en conviens tout à fait –, nulle communauté ne saurait être stigmatisée au nom de notre pacte républicain.

La caricature est aisée, la réalité est plus complexe. Beaucoup de ces entreprises détenues par des békés attachent une importance particulière à la formation de leur personnel, afin d’améliorer localement les compétences des salariés. Certaines d’entre elles s’impliquent également dans le développement culturel, la préservation du patrimoine de l’outre-mer, mais également dans le respect de l’environnement, au travers notamment de fondations d’entreprise.

La Fondation Clément, par exemple, mène des actions de mécénat en faveur des arts et du patrimoine culturel à la Martinique. Elle soutient la création contemporaine par l’organisation d’expositions et l’aide à l’édition d’ouvrages consacrés aux artistes martiniquais et guadeloupéens.

Le groupe UMP tient à saluer les mesures annoncées par le Président de la République, dont certaines vont être incluses dans le présent projet de loi. Nous nous félicitons ainsi des 580 millions d’euros d’aide budgétaire supplémentaire en direction de l’outre-mer.

Dans le cadre plus spécifique du texte qui nous intéresse, le Premier ministre a prévu l’ouverture d’une enveloppe budgétaire supplémentaire de 150 millions d’euros. Nous veillerons à ce que ces sommes soient utilisées à bon escient.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP aborde la discussion du projet de loi dans un esprit positif et constructif.

La crise actuelle doit faire prévaloir l’intérêt général, au-delà de nos divergences politiques et sans démagogie. Comme le disait voilà quelques heures le philosophe antillais Jacky Dahomay, le temps est désormais venu de nous hisser du passionnel au rationnel. Chacun a compris ici que nos travaux, en dépit de leur importance, constituent un rapport d’étape. (Applaudissements sur les travées de lUMP, ainsi que sur certaines travées de l’Union centriste.)

(Mme Monique Papon remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon

vice-présidente

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Marsin.

M. Daniel Marsin. Madame la présidente, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me suis exprimé tout à l’heure au nom de la commission des affaires économiques, mais je tenais également à vous faire part de quelques réflexions personnelles.

Le texte qui nous est soumis arrive à un moment crucial pour l’outre-mer, frappé par une profonde crise, ces dernières semaines, notamment en Martinique et en Guadeloupe, paralysées respectivement pendant trente jours et quarante-cinq jours.

Fort heureusement, le mouvement a été suspendu la semaine dernière en Guadeloupe avec la signature d’un accord, certes imparfait et encore très fragile, mais qui a tout de même permis à la vie de reprendre son cours, comme l’espérait d’ailleurs la population.

Madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, je tiens sincèrement à saluer l’action de l’État dans la résolution de la crise outre-mer – il a tenté de répondre aux attentes de nos compatriotes avec les moyens qui étaient à sa disposition -, ainsi que l’effort supplémentaire qui a été consenti au regard des dispositifs précédents, notamment par rapport à la première mouture du texte déposé au Sénat en juillet dernier.

La crise outre-mer n’est pas seulement économique, politique, sociale, ou liée à des revendications salariales, comme on a voulu le faire croire, elle traduit un malaise identitaire plus profond dans les sociétés ultramarines, singulièrement aux Antilles. Nos concitoyens ont, au fond, le sentiment d’être dans une sorte de France à deux vitesses.

Plusieurs raisons expliquent ce mal-être.

Je voudrais tout d’abord parler du sort réservé aux jeunes. En Guadeloupe, près de 55 % des jeunes de moins de vingt-six ans – ils n’ont donc pas accès au RMI – sont touchés par le chômage ; la situation est à peu près similaire dans les autres départements d’outre-mer. Voilà qui explique leur forte implication – c’est un phénomène nouveau – dans le récent mouvement.

Le décalage entre la métropole et les Antilles est saisissant ; la pauvreté s’accentue et nous devons en tenir compte. Bien sûr, l’application prochaine du revenu de solidarité active devrait apporter une légère amélioration, mais le RSA reste un revenu d’assistance.

C’est la raison pour laquelle je suis profondément convaincu que stimuler le développement économique et la croissance porteuse d’emplois est un impératif pour les politiques publiques en outre-mer, afin que les populations de nos régions puissent avoir accès à la dignité par le travail.

Il faut aussi encourager le dialogue social en outre-mer, qui est hélas ! très insuffisant encore aujourd'hui, comme nous nous en sommes malheureusement tous rendu compte.

Ce projet de loi devrait y contribuer, par des incitations à l’investissement, au logement et à l’emploi, en attendant que des axes stratégiques soient définis dans le cadre des États généraux, qui déboucheront, je l’espère, sur une grande loi pour l’outre-mer, mettant cette fois en place une véritable politique de développement économique durable.

À ce stade, je voudrais attirer plus particulièrement votre attention sur Marie-Galante, la Désirade, les Saintes, improprement appelées les îles du Sud.

Elles connaissent les handicaps des DOM, cependant accentués en quelque sorte par leur double, voire leur triple insularité. Leurs problèmes de développement économique, de prix et de pouvoir d’achat sont en effet décuplés, provoquant un important dépeuplement. Il faut savoir que ces îles ont perdu la moitié de leur population en moins de vingt ans !

C’est pourquoi les politiques publiques doivent se montrer plus volontaristes encore dans ces îles dont l’attractivité doit être renforcée. J’aurais souhaité un geste supplémentaire de votre part, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, et je l’espère encore.

J’avais pensé à l’impôt sur le revenu ou à la TVA, comme en Guyane. J’ai également proposé que toutes les activités économiques, à l’exception de celles des banques, des assurances et consorts, soient concernées par le bonus que constituent les exonérations de charges sociales et les abattements d’impôt. C’est dans cet esprit que j’ai déposé mes amendements. Nous en discuterons tout à l’heure, mais je compte vraiment sur vous.

Ensuite, je me réjouis de l’effort financier consenti pour le logement social. Cependant, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, contrairement à la suppression de la défiscalisation du logement libre, qui ne semble pas poser de problème majeur, nous en convenons tous, la suppression de la défiscalisation du logement intermédiaire me semble constituer un recul, je vous le dis tout net.

Cette mesure risque d’entraîner une rupture dans le parcours résidentiel de ceux qui ne peuvent accéder à la propriété et dont le revenu excède tout juste les plafonds fixés pour bénéficier du logement social. Où vont-ils se loger ? Cela pourrait produire un blocage du parc de logements sociaux. C’est pourquoi j’insiste pour qu’un geste soit fait en faveur du logement intermédiaire.

Madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, le malaise actuel révèle également un réel problème de pouvoir d’achat amoindri pour nos compatriotes, avec des prix doublés ou triplés en outre-mer.

Il est regrettable que les organismes publics chargés d’effectuer des contrôles dans ce domaine ne se soient pas intéressés aux prix pratiqués en outre-mer. J’espère que les premières décisions du Gouvernement, qui a notamment saisi l’Autorité de la concurrence, permettront de faire toute la transparence sur la formation des prix de l’ensemble de la chaîne, du producteur au distributeur en passant par les transporteurs. Il est en effet anormal et injuste que nos compatriotes doivent payer le prix fort !

Je salue bien entendu l’initiative de la commission des finances visant à donner au Gouvernement la possibilité de réglementer les prix là où la raison économique ne l’a pas emporté. Cette proposition rassure la population, qui espère améliorer son pouvoir d’achat et qui attend des résultats !

Je me pose cependant une question : pourquoi la commission n’a-t-elle retenu que cent produits de première nécessité ? En Martinique, on en est à quatre cents ! Je souhaite que le champ reste ouvert, afin que le Gouvernement ait la possibilité d’agir en fonction des nécessités. Ou alors que l’on parle de « familles de produits ». En tous les cas, on ne saurait se cantonner à cent produits.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. « Familles de produits », c’est mieux !

M. Daniel Marsin. Sur ce sujet, notre débat devrait permettre de nous donner les moyens d’agir en tant que de besoin.

Enfin, beaucoup reste à faire en matière de continuité territoriale, sujet d’insatisfaction outre-mer, tant pour les personnes que pour les marchandises. Certes, je dois le reconnaître, l’aide aux intrants et aux extrants est un « plus », mais elle ne touche pas l’ensemble des coûts du transport des marchandises, qui interviennent dans la formation des prix des biens de consommation et sont donc responsables de la vie chère ! Il faut réaliser une étude approfondie de cette question pour aborder enfin efficacement tous les pans de la continuité territoriale.

En conclusion, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, les membres du groupe RDSE et moi-même serons, vous vous en doutez, particulièrement attentifs à nos débats, qui s’annoncent très intenses, et au sort de nos différents amendements.

À l’issue des États généraux lancés par le Président de la République, nos concitoyens espèrent que de nouvelles mesures légales seront prises pour répondre efficacement aux problèmes qui gangrènent la société et détériorent le climat social dans nos territoires d’outre-mer. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Claude Lise.

M. Claude Lise. Madame la présidente, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la Martinique et la Guadeloupe connaissent, depuis plusieurs semaines, un mouvement social d’une ampleur sans précédent au cours duquel nous avons malheureusement assisté, à différentes reprises, à de véritables scènes d’émeutes.

Les deux îles sont en proie, en fait, à une véritable révolte populaire.

Révolte contre un mal-développement chronique, commun d’ailleurs aux quatre départements d’outre-mer, et dont les symptômes sociaux sont devenus proprement insupportables : des taux de chômage, notamment des jeunes et des femmes, sans équivalents dans l’Union européenne, des pourcentages de RMIstes en moyenne cinq fois supérieurs à ceux de métropole et une proportion de ménages vivant en dessous du seuil de pauvreté deux fois plus importante ; en regard, un coût de la vie particulièrement élevé et une dégradation croissante du pouvoir d’achat !

Révolte contre les racines d’un mal-développement à rechercher dans un passé colonial qui continue de structurer les relations économiques entre la France et ses départements d’outre mer.

Révolte contre un type de société qui porte encore largement l’empreinte de ce passé et reste marqué par la persistance de beaucoup trop d’injustices, d’inégalités et de discriminations, affichées ou insidieuses.

Révolte contre le sort fait à toute une jeunesse qui sombre dans la désespérance.

L’opinion française a, bien sûr, découvert des réalités dont elle ignorait l’existence, mais il est tout de même étonnant qu’une telle surprise se soit manifestée au niveau de l’État et de la classe politique, devant l’ampleur et le caractère des événements, car cette situation était prévisible, et les cris d’alarme lancés par des élus de nos départements n’ont pas manqué.

En ce qui me concerne, je n’ai cessé, ici même, de faire état des risques résultant de l’aggravation constante de situations dont le caractère insupportable n’était pas suffisamment pris en compte.

C’est ainsi qu’en décembre dernier, lors de l’examen des crédits de la mission « Outre-mer », je tenais à souligner la multiplication de « signes inquiétants » et à alerter sur le fait qu’il existait « de sérieuses raisons d’inquiétude pour les mois à venir ».

Pour remonter plus loin dans le temps, en décembre 2000, évoquant les événements qui se déroulaient alors en Guyane, je disais déjà, à cette tribune, qu’il existait, dans nos départements d’outre-mer, « un terreau favorable à la survenue de tels événements, […] formé par l’intrication de trois facteurs fondamentaux : l’inadaptation des institutions, le mal-développement des territoires et le mal-être des hommes ». Et j’ajoutais : « La tentation a toujours été grande, ici, pour les responsables politiques de se voiler la face, de se satisfaire d’explications superficielles et faussement rassurantes. »

Nous touchons là à un problème fondamental : la véritable surdité constamment opposée aux élus d’outre-mer, en grande partie liée à une image singulièrement déformée de ces territoires et des peuples qu’ils représentent, une image passéiste, en décalage avec les discours convenus sur l’importance accordée à l’outre-mer et le rayonnement qu’il permet à la France d’exercer sur les trois océans.

En réalité, la pensée dominante présente toujours ces territoires comme de grands consommateurs de fonds publics que l’on ne parvient pas à sortir de ce que l’on appelle « l’assistanat » – sans toujours savoir de quoi l’on parle, d’ailleurs -, mais en occultant ce qu’ils apportent et ce qu’ils rapportent à la France et, plus encore, ce qu’ils pourraient apporter et rapporter si l’on s’attachait à promouvoir réellement leurs indiscutables atouts.

Sinon, comment expliquer, chaque fois qu’il est question d’un grand plan de développement pour l’outre-mer, la tendance souvent observée à limiter les moyens financiers, ou à les considérer comme exorbitants, au détriment des objectifs affichés ?

L’actuel projet de loi illustre malheureusement cette tendance. Dès sa conception, il y a plus d’un an et demi, c’est le point de vue du ministère des finances qui l’a emporté avec un objectif évident d’économies budgétaires. Cela explique d’ailleurs que l’on ait fait voter en décembre dernier, en dépit de l’opposition d’une majorité d’élus d’outre-mer, dans le cadre de la loi de finances, des dispositions relevant normalement de l’actuel projet de loi.

Il s’agit des dispositifs de défiscalisation et d’exonération de charges sociales patronales. Ceux-ci méritaient certainement d’être améliorés, avec deux objectifs : réduire les risques d’abus et d’effets pervers – oui ! – mais, surtout, accroître l’efficacité de ces instruments au service du développement et de l’emploi, ce qui devrait, notamment, amener à poser le problème – on ne le pose jamais – des contreparties à exiger pour les aides accordées.

Choisir de modifier ces dispositifs dans le cadre de l’examen d’une loi de finances ne pouvait, en fait, que tendre à privilégier la recherche d’économies budgétaires. L’adoption d’un système de dégressivité linéaire pour les exonérations de charges a ainsi permis 138 millions d’euros d’économies ; mais c’est au prix de conséquences négatives sur l’encadrement intermédiaire qu’il est, par ailleurs, indispensable de promouvoir. La suppression brutale de certains dispositifs de défiscalisation, quant à elle, fait peu de cas des conséquences prévisibles sur le secteur du bâtiment et des travaux publics et des besoins importants en matière de logement intermédiaire.

J’ai le sentiment, monsieur le secrétaire d’État, que vous auriez préféré vous inscrire dans une autre logique, surtout depuis que vous avez pu voir de plus près certains aspects de nos réalités ultramarines.

Mais c’est la première logique qui continue de s’imposer, contrairement d’ailleurs à ce que nous avait laissé entendre le Président de la République, lors de l’audience du 19 février. Elle sous-tend, en tout cas, les positions de la commission des finances, et je ne peux que déplorer les décisions que celle-ci a prises, notamment sur deux points.

Il s'agit, premièrement, du rejet des amendements tendant à atténuer les effets négatifs du système d’exonération de charges sociales patronales, pour les raisons que j’ai déjà données. À cet égard, je me félicite de l’existence d’un amendement du Gouvernement, qui, bien qu’insuffisant, va dans le bon sens. Il s'agit, deuxièmement, de l’inclusion du nouveau dispositif de défiscalisation du logement social dans le plafonnement des niches fiscales : elle rendra moins attractif un dispositif qui l’est déjà peu.

J’approuve, en revanche, la proposition tendant à permettre aux collectivités territoriales de donner un avis sur les propositions de défiscalisation préalablement à leur réalisation. Je veux tout de même rappeler que j’avais déposé un amendement en ce sens, en 2003, lequel avait reçu un avis défavorable de la commission des finances, au motif que « nous nous heurterions au secret fiscal dont relèvent les dossiers d’agrément ». Faut-il en déduire que certains amendements aujourd’hui rejetés deviendront des propositions de la commission dans quelques années ? (Sourires.)

Pour l’heure, en tout cas, les rejets sont nombreux – pas seulement au titre de l’article 40 – et force est de constater que la commission des finances ne laisse que peu de possibilités d’améliorer le projet de loi par des amendements parlementaires. C’est dire que l’amélioration du texte dépendra essentiellement de vous, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, et j’espère que vous aurez à cœur de reprendre certains amendements rejetés par la commission des finances.

Je veux tout particulièrement attirer votre attention sur l’amendement qui tend à la création d’une allocation d’autonomie et de parcours vers l’emploi, destinée aux jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans en situation de chômage, dès lors qu’ils s’inscrivent dans un organisme de formation ; ce dispositif est également destiné aux étudiants, en complément de leur bourse. Il s’agit là d’une revendication particulièrement mise en avant dans le cadre des récents mouvements sociaux.

Je ne peux évidemment pas, dans le temps qui me reste, évoquer les différents points sur lesquels le projet de loi mérite d’être amendé et complété, s’agissant notamment du forfait charges de l’allocation logement, de l’étalement des dettes fiscales et sociales pour aider, dans le contexte actuel, les petites entreprises en difficulté, de la gestion de la zone des cinquante pas géométriques, ou encore de la reconnaissance du fait syndical local outre-mer.

Je tiens cependant, avant de terminer, à déplorer l’absence d’un chapitre réservé au renforcement des ressources des collectivités territoriales d’outre-mer. Ces collectivités interviennent beaucoup plus encore que leurs homologues de métropole, tant dans le financement de l’investissement public que dans la réponse à une demande sociale particulièrement importante. Ces collectivités pâtissent, dans des proportions autrement plus pénalisantes qu’en métropole, de l’insuffisante compensation des ressources transférées par l’État.

En conclusion, l’actuel projet de loi comporte, certes, quelques avancées, mais qui n’en font toujours pas le grand projet « pour le développement économique et la promotion de l’excellence outre-mer » que l’on avait annoncé il y a près de deux ans ! Mais, ce qui est plus grave, il apparaît comme déconnecté des événements que nous sommes en train de vivre dans les départements d’outre-mer.

Madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, vous pouvez encore éviter de susciter une grande déception, dans un contexte où il importe, au contraire, de redonner confiance et de raviver l’espoir. Il suffit pour cela que vous sortiez le débat qui va s’ouvrir du cadre convenu auquel nous ne sommes que trop habitués.

Il faut que vous acceptiez d’améliorer réellement le texte de ce projet de loi. Et, pour les questions qui ne pourraient vraiment pas être abordées – je pense aux revendications en cours de négociation sur les minima sociaux ou les retraites –, il faut que vous précisiez dans quel cadre législatif ou réglementaire ils pourraient être traités et à quelle échéance.

Mes chers collègues, saisissons l’occasion qui nous est donnée de montrer que notre assemblée a désormais la volonté d’aborder autrement les problèmes de l’outre-mer. Ce faisant, elle ne fera jamais que démontrer que les élus du peuple ont les moyens de faire entendre la voix du peuple ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Mme la présidente. La parole est à M. Adrien Giraud.

M. Adrien Giraud. Madame la présidente, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte soumis aujourd’hui à l’examen et au vote de notre Haute Assemblée présente à mes yeux un mérite évident : il approfondit, en effet, plusieurs dispositions importantes de la loi du 21 juillet 2003 qui visait au développement d’une économie productive en outre-mer, tout en insistant sur les objectifs et les moyens d’une véritable politique du logement.

Je n’ai cependant aucun motif de vous cacher ma déception devant une lacune de ce texte qui, en l’état actuel de sa rédaction, écarte Mayotte de l’application de plusieurs mesures pourtant essentielles aux progrès de notre collectivité.

Ces deux observations me fourniront la trame de mon intervention.

Tout d’abord, il est bien vrai que votre projet de loi, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, répond à plusieurs attentes fortes des Mahorais. Parmi celles-ci, il en est une sur laquelle je souhaite appeler votre attention, je veux parler de la réduction de la fracture numérique.

L’article 5 du projet de loi prévoit, en effet, une aide au financement des projets de pose de câbles sous-marins de communication desservant pour la première fois les collectivités d’outre-mer, sous la forme d’une réduction d’impôts de 50 % portant sur la moitié du coût de revient hors taxes de l’investissement.

Cette mesure revêt pour nous une importance capitale. On n’insistera jamais assez, en effet, sur l’enjeu que représente, dans nos territoires éloignés et insulaires, un accès rapide et sécurisé au numérique. Pour nos entreprises, il s’agit bien entendu de pouvoir travailler plus efficacement grâce à tous les outils de la modernité. En cela, ce projet de loi répond parfaitement à nos attentes.

Mais, au-delà, internet est aussi un formidable portail ouvert sur l’extérieur, abolissant distances et frontières. Cet outil offre, aux citoyens ultramarins, la possibilité de suivre pleinement, et en temps réel, les activités de la métropole, mais aussi l’occasion de promouvoir leurs projets et de diffuser leur culture à destination de l’ensemble des Français.

C’est dire combien la réduction de la fracture numérique m’apparaît comme une priorité pour la connaissance, encore souvent insuffisante, de l’outre-mer et de ses nombreuses potentialités pour les années à venir.

Il serait néanmoins naïf de penser que nous atteindrons un tel objectif par une simple mesure d’aide à l’installation de câbles sous-marins. Certes, les entreprises devraient immédiatement profiter de cette mesure, mais ce ne sera pas le cas de l’immense majorité des citoyens, qui ne possèdent pas d’ordinateur.

Nous espérons ainsi que le Plan France numérique 2012, porté par le secrétaire d’État chargé du développement de l’économie numérique, apportera un soin tout particulier à l’outre-mer, où les besoins sont encore plus grands et plus pressants que dans le reste de la République.

Il n’est pas douteux que le développement équilibré de l’outre-mer ne peut trouver que des avantages à la mise en œuvre, à bon escient, de ces technologies modernes.

Un autre motif de satisfaction réside, pour moi, dans l’effort budgétaire en faveur du logement social, ainsi que de l’extension, à Mayotte, des compétences de l’Agence nationale de l’habitat.

Il faut effectivement rappeler le travail considérable qui a été réalisé, depuis longtemps, par la Société immobilière de Mayotte, la SIM, dans les domaines de la construction de logements et de l’aménagement modernisé de nos villages. Ce travail a obtenu d’éclatantes distinctions nationales et européennes au titre des progrès accomplis et des résultats obtenus pour le nombre et la qualité des logements sociaux à Mayotte.

Malheureusement, notre territoire ne semble pas bénéficier, sur les autres aspects du projet de loi, de la même attention. Je veux parler des dispositions, pourtant centrales dans ce projet, qui concernent les zones franches globales d’activités.

J’ai eu l’occasion, lors de la discussion des crédits de la mission « Outre-mer » pour 2009, de souligner l’importance fondamentale qu’avait à mes yeux le développement d’une véritable économie productive à Mayotte. Le dispositif des zones franches globales d’activités répond exactement à cet objectif, puisqu’il vise à « favoriser le développement endogène des secteurs clés de l’économie pour créer des emplois nouveaux ».

Certes, j’ai bien conscience que la fiscalité relève des compétences de la collectivité départementale de Mayotte et qu’il était donc impossible d’étendre ce dispositif, sans adaptation, à notre territoire. Toutefois, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, je n’ai pas oublié votre promesse de l’intégrer à une loi relative à Mayotte qui ferait suite à la départementalisation.

Il n’empêche que ce projet de loi pour le développement économique de l’outre-mer me laisse un sentiment un peu amer, car il a été rédigé avant tout pour les actuels départements d’outre-mer, laissant les autres collectivités sur le bord du chemin.

Cette impression est confirmée par le fait que certaines dispositions de ce projet de loi excluent Mayotte de leur application. Je pense, en premier lieu, au dispositif d’aide à la rénovation hôtelière institué, à l’article 13, pour les petits hôtels de moins de cent chambres situés dans les départements d’outre-mer et à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Le tourisme est un secteur d’activité essentiel à Mayotte, dont le lagon est réputé être l’un des plus grands du monde. Dès lors, pourquoi priver notre collectivité de cette aide à la rénovation hôtelière, qui lui serait, à tous égards, profitable ?

La restriction du champ d’application géographique serait, nous dit-on, justifiée par le fait que les autres collectivités ultramarines sont compétentes en matière de tourisme... Mayotte ne répondrait pas à ce critère, alors que l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon a été inclus dans l’application du même article pour la faiblesse et l’ancienneté de son parc hôtelier. De surcroît, dans son rapport, la commission des finances souligne, à juste titre, que « ces arguments pourraient être mobilisés pour d’autres collectivités, comme Mayotte ou Saint Martin ».

Tout cela est d’autant plus dommageable que le développement du tourisme devrait stimuler l’ensemble de l’économie mahoraise.

Il est donc urgent de mettre en chantier la construction d’une piste longue sur l’aéroport de Dzaoudzi Pamandzi, permettant la liaison directe entre Mayotte et la métropole. La signature de la convention aéroportuaire annexée au contrat de projets 2008-2014 pour Mayotte nous laisse espérer le démarrage prochain des travaux. Il sera indispensable d’élargir les conditions et les moyens de la desserte aérienne de Mayotte, afin de rendre attractifs les tarifs proposés aux Mahorais comme aux touristes.

Dans le même sens, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, la création d’un parc naturel marin sur l’ensemble de notre lagon nous permettrait à la fois de protéger ce patrimoine naturel exceptionnel et de mieux le faire connaître et apprécier par les grands circuits touristiques. Où en est la réflexion sur ce dossier ?

Enfin et surtout, il est clair aujourd’hui que le développement économique et social d’une collectivité est largement tributaire du niveau de formation de sa population. Or la population mahoraise, qui est jeune, connaît de graves lacunes en matière d’éducation. L’INSEE, suite au recensement de la population du mois de juillet 2007, a souligné que « le retard scolaire est une caractéristique marquante de la population mahoraise ».

Dans un tel contexte, le dispositif du service militaire adapté, le SMA, qui offre à des jeunes déscolarisés la possibilité de suivre une formation professionnelle et d’obtenir, au terme de leur volontariat, un diplôme, est tout à fait essentiel.

Je souhaiterais, en conséquence, que ce dispositif soit encore développé et que l’on parvienne à un doublement des effectifs dans les trois années à venir. Nous aurons le temps, d’ici à la prochaine discussion budgétaire, de mieux définir les modalités d’une telle évolution, si hautement souhaitable.

Madame la présidente, madame le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au terme d’une trop longue attente, les Mahorais seront consultés, le 29 mars prochain, sur l’évolution de leur statut vers celui de département français d’outre-mer. Je tiens à redire toute ma gratitude à M. le Président de la République, Nicolas Sarkozy, qui a tenu à respecter ses engagements vis-à-vis de Mayotte.

J’espère qu’après notre réponse « franche et massive », un projet de loi spécifique pour Mayotte nous sera soumis très rapidement, afin d’accompagner notre collectivité sur la voie de la départementalisation. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)