M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Sur les deux axes de la détérioration des conditions de détention, le nombre d’entrées en prison et la durée des peines, vous n’avez fait qu’aggraver la situation.
Cette frénésie législative répressive hypothèque aujourd’hui la sincérité du projet de loi.
Le constat est sévère : 115 suicides en 2008, 96 en 2007 ; 1 519 tentatives et 2 021 actes d’automutilation de janvier à novembre ; près d’un suicide tous les deux jours depuis janvier 2009. Heureusement, il semble que cela se ralentisse. Ces chiffres justifient la commission d’enquête demandée par mon groupe.
Le rapport Albrand, qui contiendrait des préconisations destinées à réduire les suicides, n’est pas encore rendu public. Le sera-t-il pendant les débats sur ce projet de loi ? Et si la réponse se trouve uniquement dans des vêtements et des draps en papier, ce sera un peu court et bien peu adapté pour combattre la détresse humaine.
Je crois néanmoins savoir que ce rapport suggère, par exemple, de diminuer la durée de placement en quartier disciplinaire, alors que vous avez d’emblée indiqué, madame la ministre, que vous refuseriez l’amendement de la commission des lois et que vous entendiez maintenir cette durée à quarante jours.
En tout état de cause, on est bien loin de la circulaire de l’administration pénitentiaire du 29 mai 1998 qui, elle-même, insistait sur le fait qu’une politique de prévention du suicide « n’est légitime et efficace que si elle cherche non à contraindre le détenu à ne pas mourir, mais à le restaurer dans sa dimension de sujet et d’acteur de sa vie ».
Notre rapporteur a cité Albert Camus : « une société se juge à l’état de ses prisons ». Alors, mes chers collègues, posons-nous ensemble la seule question qui vaille : ce projet de loi va-t-il contribuer à créer de meilleures conditions carcérales et de nouveaux rapports entre la société et la prison ?
M. Dominique Braye. Certainement !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’exposé des motifs du projet de loi rappelle fort justement que « l’incarcération doit, dans tous les cas, constituer l’ultime recours ».
Ce texte permettra-il de limiter le recours à la prison ?
Il ne le permettra pas si la loi continue de remplir les prisons, ce que tend à indiquer l’augmentation du nombre de places : 13 200 places supplémentaires sont prévues entre 2002 et 2012 C’est donc considérer qu’il y aura au moins autant de détenus.
Sans remise en cause de la politique pénale en œuvre, la fuite en avant continuera : construction de prisons pour accueillir davantage de détenus. Vous refusez l’encellulement individuel au motif qu’il faudrait augmenter les places. Nous vous proposons donc d’essayer de réduire le nombre de détenus et d’accepter l’encellulement individuel.
Ce texte ne permettra pas de limiter le recours à la prison si l’on continue à enfermer des gens qui n’ont rien à faire derrière les barreaux : les condamnés à de courtes peines, les sans-papiers, les malades mentaux.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout le monde le sait, et nombreux sont ceux qui l’ont souligné ici même, le nombre de personnes emprisonnées atteintes de troubles mentaux qui existaient avant leur incarcération ou qui sont apparus durant la détention ne fait que croître. La réduction drastique des lits en psychiatrie publique alliée à la frénésie répressive fait de la prison un hôpital psychiatrique. Il est vrai que celle-ci coûte dix fois moins cher, ce qui est très intéressant du point de vue de la RGPP, mais certainement pas au regard des êtres humains concernés ou des codétenus !
Christiane de Beaurepaire, qui a une longue expérience comme psychiatre en prison, a poussé un cri d’alarme : « la prison n’est pas un lieu pour soigner les malades mentaux ». Vous ne pouvez pas occulter cette question !
Limiter le recours à la prison, c’est faire de la détention provisoire l’exception, c’est chercher, avant la prison, les alternatives à l’incarcération, c’est prévoir les aménagements de peine, tout particulièrement la libération conditionnelle organisée et le contrôle judiciaire.
Certes, vous nous promettez le bracelet électronique. Si l’on en croit les chiffres, vous semblez penser, madame la ministre, qu’il a de l’avenir : le nombre de bracelets est passé de 679 en 2004 à 3 431 au 1er janvier 2009. Et le projet de loi prévoit d’étendre ce dispositif.
Quelles sont les conclusions de l’expérience menée ces dernières années ? Nous aimerions les connaître avant de considérer le bracelet électronique comme un remède miracle. La technique apporte-t-elle une solution aux problèmes humains ? Devenant outil de contrôle et de neutralisation, le placement sous surveillance électronique ne participe-t-il pas d’une conception du contrôle social qui peut avoir des extensions et des conséquences insoupçonnées ? Nous sommes de plus en plus nombreux à craindre un glissement dangereux de son utilisation.
Un risque de glissement existe aussi dans le choix de régimes de détention différenciés en fonction de l’appréciation de la dangerosité, notion bien peu scientifique.
Quant aux mineurs, ils ont fort peu de place dans ce texte. Pourtant, le constat est terrible : trois se sont suicidés en 2008 et, selon la défenseure des enfants, on a compté en 2007 quarante fois plus de tentatives de suicide parmi les jeunes incarcérés que chez les jeunes en général.
En ce qui concerne les conditions de détention, il manque l’énoncé que les droits fondamentaux sont intangibles, donc garantis, et ne sont pas accordés au mérite par l’administration.
Je partage la réflexion de l’Observatoire international des prisons, qui estime que « la réforme envisagée maintient des pans entiers du droit dans le champ réglementaire, alors même que sont pourtant constitutionnellement garantis les libertés et droits fondamentaux en question ».
Je fus la première parlementaire à utiliser la loi du 15 juin 2000 pour me rendre dans un établissement pénitentiaire : c’était à Fresnes. J’ai eu recours à ce texte un certain nombre de fois depuis. Quand la porte se referme sur l’extérieur, on n’oublie pas qu’il y a des coupables, des meurtriers, donc des victimes. Mais on voit la pauvreté, la misère du monde qui « s’expose », comme dirait Mme de Beaurepaire, misère sociale, physique, psychologique, morale. On voit des hommes emmurés dans neuf mètres carrés – sept à la Santé avant la rénovation ! –, des matelas sous les lits pour un troisième ou un quatrième détenu quand ils sont déjà deux, des toilettes nauséabondes sous leurs yeux. On voit des jeunes déjà abîmés, des vieux, des malades, quelquefois même des personnes en fin de vie, des fous ; le temps – long – et rien d’autre !
Il est utile pour nous, parlementaires, d’aller régulièrement dans un lieu de détention, parce que nous y voyons véritablement le fruit de notre travail de législateurs.
Nous proclamons que la peine doit être un temps pour se reconstruire et se réinsérer, mais la prison est une zone de non-droit, de violence, de destruction, où tout s’achète. Ce projet de loi va-t-il changer la situation, dans le contexte actuel d’enfermement à tout-va ? Va-t-il faire sortir la prison de l’exception législative et permettre au détenu de garder ses droits d’humain, à part celui d’aller et venir, et des moyens d’exister ?
On peut en douter quand on voit le flou du texte sur les modalités d’application, qui sont renvoyées à de futurs décrets, ou les nombreuses restrictions encadrant des droits pourtant reconnus. Nous voulons saluer les nombreux efforts accomplis par notre rapporteur tant pour affirmer des principes – le droit à l’encellulement individuel en est une preuve – que pour préciser les droits des détenus, notamment à une rémunération, ou ceux des familles. Cela étant, ces efforts ne compensent pas l’absence d’ambition et de sens, qui devraient pourtant être la marque d’une loi fondamentale.
Ajoutons que chaque incident, accident, ou drame dans un établissement pénitentiaire confirme le manque de moyens dont dispose l’administration pénitentiaire pour faire face à la hausse constante du nombre de détenus.
On est en droit de s’interroger : où est la programmation budgétaire qui permettrait que la situation change et que des moyens soient disponibles pour préparer, en termes de suivi psychologique, de formation et de réinsertion, les détenus à la sortie, laquelle arrivera de toute façon un jour ? Comment accepter un budget de la justice aussi misérable ?
Vous avez trouvé le remède : confier de plus en plus au privé la construction et la gestion des prisons. Mais quel est le sens de ce choix ? Si de grands groupes comme Bouygues acceptent de s’en charger, alors que, chacun le sait, ce ne sont pas des philanthropes, c’est parce qu’ils pensent y trouver leur compte. Comment ? Par un coût important pour l’État, parce qu’ils escomptent un nombre croissant de personnes en prison ? Il y a de quoi s’inquiéter au vu des dérives de ce genre de système. Il ne vous a pas échappé que des juges ont été mis en examen en Pennsylvanie parce qu’ils avaient été payés par des centres de détention privés pour envoyer des jeunes en prison pour des peccadilles !
Mes chers collègues, lors de la suppression de la peine de mort, en 1981, un débat public avait permis de faire triompher l’idée éminemment progressiste et humaniste qu’aucune personne ne pouvait être privée de la vie, car aucune indignité ne pouvait être considérée comme définitive. Notre société semblait enfin avoir entendu Victor Hugo qui disait : « Il est un droit qu’aucune loi ne peut entamer, qu’aucune sentence ne peut retrancher : le droit de devenir meilleur. » En ce qui nous concerne, nous n’accepterons jamais de refermer la page des progrès qui ont été réalisés à l’époque.
Aujourd’hui, une grande loi pénitentiaire qui affirmerait que les droits de la personne sont intangibles, y compris quand elle est détenue, aurait provoqué un grand débat national, au-delà des professionnels, des associations et des politiques. Cela aurait été productif et aurait contribué au combat nécessaire en faveur de tout ce qui relève d’une conception humaniste du droit pénal, de la peine et de la détention.
Je regrette profondément que le débat ne puisse avoir lieu sur le sens de la sanction pénale.
Je regrette qu’il ne puisse avoir lieu sur la question des longues peines, remise sur la sellette avec les évasions de la prison de Moulins. Rappelons-nous ces dix prisonniers de la centrale de Clairvaux condamnés à de très longues peines et qui sont allés jusqu’à réclamer pour eux-mêmes la peine de mort.
Je regrette qu’il ne puisse avoir lieu sur l’enfermement des mineurs ou encore, bien sûr, sur la santé en prison.
Madame la garde des sceaux, nombreux sont ceux – professionnels, organisations associatives et syndicats – qui ont travaillé, alerté, proposé. Il semble que vous ayez du mal à les entendre !
Vous n’avez pas non plus tenu compte des propositions contenues dans les rapports parlementaires sur les prisons, dans ceux de la commission Canivet, de M. Burgelin, ou de M. Warsmann, ou dans la proposition de loi relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires déposée en 2000 par le président de notre commission des lois, Jean-Jacques Hyest, et notre ancien collègue Guy-Pierre Cabanel.
Vous avez méprisé les conclusions des états généraux de la condition pénitentiaire, les propositions de l’OIP, du collectif « Trop c’est trop », ou de la Commission nationale consultative des droits de l’homme.
Vous avez été peu attentive aux cent vingt préconisations du Comité d’orientation restreint, que vous avez pourtant vous-même réuni.
Vous restez, pour l’essentiel, sourde aux incessantes condamnations de la France, et encore récemment, par le commissaire européen aux droits de l’homme.
Vous n’entendez pas les personnels, dont les conditions de travail s’aggravent. Fallait-il attendre un meurtre à la maison centrale de Lannemezan, la semaine dernière, pour que vous annonciez la création de 177 postes supplémentaires, mais, semble-t-il, par redéploiement, comme le prévoit la LOLF ?
Contraindre les personnels à travailler dans une situation où l’on fait subir à des détenus des conditions de vie inhumaines et dégradantes et des peines de plus en plus longues n’est pas acceptable. Ce n’est pas une réserve civile qui réglera la question ; c’est le recrutement des personnels statutaires nécessaires et des conditions de détention correctes pour les personnes qu’ils sont chargés de surveiller. À la maison centrale de Moulins, il manquait seize surveillants pour assurer un fonctionnement normal. On ne remplace pas des surveillants par les équipes régionales d’intervention et de sécurité.
Vous avez déclaré l’urgence sur ce projet de loi. Que voulez-vous exactement ? Empêcher un débat approfondi ? Attacher votre nom à une loi ? L’enjeu est trop grave pour être un simple sujet d’affichage.
Nous voulons un vrai débat. Les efforts de notre rapporteur, approuvé par la majorité de la commission des lois, sont réels, mis ils ne transforment pas le projet de loi. Nous pouvons aller plus loin et discuter des amendements qui ont, jusqu’à présent, été refusés. Même si la déclaration d’urgence ne nous permet pas de travailler dans les meilleures conditions, nous devons absolument avoir ce débat, car nous ne pourrons pas voter ce texte en l’état. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roland du Luart.
M. Roland du Luart. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui est aujourd’hui soumis à l’examen de notre assemblée marque une étape importante dans l’organisation du service public pénitentiaire, comme dans la garantie des droits accordée en milieu carcéral. Et l’on ne peut que saluer cette initiative, très attendue, du Gouvernement et de Mme la garde des sceaux.
Parce qu’il a été précédé de nombreux travaux préparatoires, ce projet de loi doit être un texte refondateur sous la Ve République dans le domaine pénitentiaire. Parce qu’il ambitionne de répondre à de vives attentes et qu’il suscite d’immenses espoirs, il peut et doit être un grand texte, faisant honneur à notre République. Notre assemblée s’est d’ailleurs souciée depuis fort longtemps de ces attentes légitimes et a souligné l’urgence à y répondre, car il y a là plus encore qu’un devoir politique : un impératif moral !
En 2000, la commission d’enquête présidée par notre collègue président de la commission des lois, Jean-Jacques Hyest, a puissamment contribué à cette prise de conscience en publiant un rapport remarquable dont le seul titre ne pouvait laisser subsister la moindre ambiguïté : Les prisons : une humiliation pour la République.
La commission des finances du Sénat a, elle aussi, fortement exprimé, et depuis de nombreuses années, ses préoccupations et, pourquoi ne pas le dire, ses inquiétudes.
En tant que rapporteur spécial des crédits de la mission « Justice », je soulignais, voilà quelques semaines encore, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2009, le caractère inacceptable des conditions de détention dans notre pays. J’insistais, notamment, sur la vétusté de la plupart de nos prisons et sur le taux de surpopulation carcérale, qui a atteint le niveau historiquement le plus élevé de 136 % au cours de l’année 2008. Et encore ce taux ne correspond-il qu’à un taux moyen, qui ne doit pas occulter de très grands écarts, certains établissements pénitentiaires affichant des taux supérieurs à 200 % !
Je ne peux donc que me féliciter de ce que le projet de loi rentre en résonance avec ce qu’il faut bien appeler un cri d’alarme. L’exécution d’une peine privative de liberté ne doit, en aucun cas, conduire à des conditions parfois inhumaines de détention. Ces conditions de détention, notamment la promiscuité, ne doivent pas non plus constituer un facteur de contagion de la délinquance, radicalement contraire à l’objectif premier de la peine, à savoir l’amendement du condamné.
Pour que le texte qui nous est soumis remplisse pleinement les objectifs qui le sous-tendent, certains éléments de réussite méritent une attention particulière. Je souhaite ici en relever trois, tout à fait essentiels. Il n’est pas d’amélioration possible, ni durable, du service public pénitentiaire sans une bonne adéquation des moyens, en particulier humains, sans un programme ambitieux de construction et de rénovation du parc pénitentiaire, sans une meilleure prise en charge des cas de psychiatrie.
Madame la garde des sceaux, permettez-moi de vous donner un conseil : obtenez des garanties du ministre de la santé avant l’ouverture de nouveaux établissements, car il y a beaucoup à faire sur le plan de la psychiatrie et les failles sont nombreuses. Puisque ce domaine relève du ministère de la santé, une coordination gouvernementale est indispensable.
En ce qui concerne les moyens, tout d’abord, il faut permettre à l’administration pénitentiaire d’assurer efficacement ses missions et de « donner vie », sur le terrain, à la loi qui ressortira du débat parlementaire ; à cette fin, la prise en compte de la variable budgétaire paraît primordiale.
De ce point de vue, il convient de rappeler que le budget du programme « Administration pénitentiaire », en 2009, représente 37,1 % de l’ensemble des crédits de paiement de la mission « Justice ». Avec 2,4 milliards d’euros, il enregistre une hausse de 4 % par rapport à l’exercice précédent. Je note que l’un de nos collègues dénonçait tout à l’heure l’insuffisance de ces crédits. Qu’a fait la gauche pendant la période où elle était au pouvoir ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui !
M. Roland du Luart. Cette progression s’explique, notamment, par le souci d’un juste dimensionnement des effectifs à la charge de travail croissante pesant sur l’administration pénitentiaire. Ainsi, pour 2009, cette administration a vu ses effectifs augmenter de près de 900 équivalents temps plein.
Une telle évolution est importante. Elle renvoie à la priorité, accordée par la Chancellerie, à l’accompagnement de l’ouverture de nouveaux établissements par des moyens humains correspondants. Cette priorité budgétaire doit être de nature à rassurer les personnels de l’administration pénitentiaire, qui ont fait part au cours des derniers mois de leurs inquiétudes quant à l’avenir.
À n’en pas douter, cet effort financier devra continuer d’être soutenu dans les prochaines années, a fortiori dans le cadre de l’entrée en application de la nouvelle loi pénitentiaire.
Mais il est tout aussi certain que la démarche de rationalisation de l’activité pénitentiaire devra se poursuivre. En particulier, la problématique des transfèrements de détenus, actuellement supportés par la police et la gendarmerie nationales, appelle, dès 2009, des réponses concrètes, réalistes et plus conformes à l’esprit de la LOLF. Dans cette perspective, l’audit en cours de réalisation par le ministère de l’intérieur, à la demande du Sénat, débouchera prochainement sur des conclusions. Celles-ci devront servir de base de négociation entre ce ministère et la Chancellerie.
La rénovation et la construction de places en établissement pénitentiaire constituent une autre priorité absolue.
En 2008, on comptait 50 806 places pour 64 250 détenus. À lui seul, ce simple rapprochement de chiffres témoigne de la crise actuelle. Une durée moyenne de détention qui tend à se stabiliser, mais un nombre de condamnés définitifs qui ne cesse de croître : ce triste constat est malheureusement trop bien connu ; il vide de toute substance le principe de l’encellulement individuel dans les maisons d’arrêt, pourtant inscrit dans la loi depuis 1875. C’est pourquoi j’y attache tant d’importance dans la discussion d’aujourd’hui.
Aussi convient-il de souligner le caractère crucial du programme de modernisation du parc immobilier pénitentiaire engagé avec la loi d’orientation et de programmation pour la justice, la LOPJ. Au total, ce sont 13 200 places qui ont vocation à être ouvertes : 10 800 sont réservées à la réalisation de nouveaux établissements et 2 400 sont dédiées à l’application de nouveaux concepts, par exemple les établissements pour mineurs.
En 2009, 4 588 places, nettes de fermetures d’établissements, seront ainsi créées. Mais le « programme 13 200 » permettra-t-il de remédier au cruel déficit de places en détention ? Probablement pas ! Au regard de la projection réalisée par la commission des finances dans le cadre du projet de loi de finances pour 2009, à supposer que le nombre de détenus demeure au niveau présent et que les prévisions en matière de créations nettes de places soient respectées, le nombre de places n’égalera pas le nombre de personnes détenues au terme de la programmation. La vigilance reste donc de mise. Tout comme demeure centrale la question de la prise en charge défaillante des cas de psychiatrie en milieu carcéral ; plusieurs intervenants l’ont évoqué avant moi.
S’il est difficile d’avoir une estimation exacte de la proportion de détenus atteints de troubles mentaux, on peut néanmoins, sans trop se tromper, avancer un ordre de grandeur d’environ un tiers. La première des explications à cette très forte proportion réside dans la réduction importante du nombre de lits dans les hôpitaux psychiatriques. En tant que président de conseil général, je préside un centre hospitalier spécialisé ; je sais donc de quoi je parle. Le corollaire en est un transfert des personnes souffrant de troubles psychiatriques vers nos prisons, le nouveau code pénal admettant la responsabilité pénale des personnes dont le discernement a été altéré par un trouble psychique ou neuropsychique.
En dépit d’un effort important en vue de l’ouverture d’unités hospitalières spécialement aménagées, les UHSA, on ne peut que vivement déplorer l’insuffisance globale de moyens en la matière, notamment concernant le faible nombre de psychiatres intervenant en établissement pénitentiaire. Un long chemin reste encore à faire sur la voie du renforcement des équipes psychiatriques. Certains diront que c’est mon « dada », mais je crois que j’aborde là l’un des points les plus importants pour la réussite de cette loi.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Effectivement !
M. Roland du Luart. On le voit, le projet de loi pénitentiaire soumis à notre examen est lourd d’enjeux fondamentaux. Il y va du respect de la dignité des personnes en milieu carcéral comme des conditions de travail dans ces établissements. Sur ce dernier point, je tiens tout particulièrement à saluer le dévouement et l’engagement des personnels de l’administration pénitentiaire, autant de mérites que j’ai eu encore tout récemment l’occasion de constater lors d’une visite de la future maison d’arrêt du Mans.
Naturellement, les progrès attendus de la nouvelle loi pénitentiaire ne pourront se concrétiser qu’à la double condition d’être accompagnés de moyens budgétaires adéquats et d’une évaluation pertinente, sur le long terme, du résultat des décisions prises. La barre est donc placée haut, mais, désormais, l’élan est pris ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
Mme Anne-Marie Escoffier. Madame la ministre, dans cette très courte intervention – aussi courte que les quatre petits articles 11 ter, 13, 14 et 14 bis de ce projet de loi, excellemment revisité par le rapporteur, M. Jean-René Lecerf, à qui je veux rendre le même hommage que celui que j’ai entendu depuis le début de ce débat sur l’ensemble des travées – je voudrais évoquer le sujet crucial de la réinsertion sur lequel je vous avais déjà alertée lors du débat budgétaire.
Pour avoir rencontré des détenus et des personnels pénitentiaires à la fois dans une maison d’arrêt aux conditions matérielles insoutenables et dans un centre de détention, à l’inverse, humanisé, j’ai surtout retenu la volonté partagée de faire du temps de détention non pas un temps mort, mais un temps de resocialisation, de reconstruction, un temps pour permettre aux hommes et aux femmes détenus de se remettre debout.
M. Jean-Pierre Plancade. Très bien !
Mme Anne-Marie Escoffier. Je mettrai donc en cause non pas les personnels pénitentiaires, même si certains peuvent, par leur attitude, avoir contrarié cette volonté partagée, mais l’institution elle-même. Je citerai, pour illustrer mon propos, l’expérience d’un détenu qui a dénoncé dans un livre récemment paru non pas tant les problèmes de surpopulation et d’hygiène que ceux de la formation et du travail, deux puissants leviers d’une réinsertion sociale réussie.
M. Yvon Collin. Eh oui !
Mme Anne-Marie Escoffier. Ce détenu écrit : « Pour qu’une condamnation soit efficace, il est nécessaire d’atteindre un juste équilibre entre les objectifs de neutralisation, de punition, d’amendement, de réparation, de conscientisation et de réhabilitation ».
Or le défaut majeur du système actuel est de ne pas croire en l’homme, de poser pour principe que le détenu doit être, à raison de ses crimes, un être dominé et privé d’autonomie. L’univers carcéral est conçu non pas pour protéger l’individu contre sa propre désintégration, mais trop souvent pour lui faire seulement acquitter sa dette envers la société.
Il s’ensuit une autre forme de suicide que celle qui a été dramatiquement relevée ces derniers mois, l’acceptation de la mort sociale, mort lente apprise dans une prison qui, loin de remplir sa mission de réinsertion, ne fait que pousser dans la voie de l’exclusion.
Je voudrais ne plus jamais avoir à lire cette condamnation sans appel de notre système pénitentiaire : « Je fus libéré sans un sou en poche, d’une libération sèche et douloureuse. La prison m’avait vomi sur le trottoir comme un vulgaire déchet ».
Aussi, madame la ministre, je ne peux que me réjouir qu’aient été intégrés à ce projet de loi les quatre articles que j’ai cités et qui ont pour objet de donner un sens au temps de la détention.
M. Jean-Pierre Plancade. Très bien !
Mme Anne-Marie Escoffier. Mais, dans le même temps, nous sommes nombreux à souhaiter voir affirmer avec force dans ce texte le principe de réinsertion. La prison, écrivez-vous, doit être vraiment le pont qui conduira la personne condamnée à une réinsertion réussie.
M. Jean-Pierre Plancade. Absolument !
Mme Anne-Marie Escoffier. Comment ce pont permettra-t-il à 60 % des personnes incarcérées qui ne détiennent aucun diplôme, à 50% d’entre elles qui sont illettrées, d’intégrer un plan de formation individualisé, élaboré en pleine concertation entre le détenu et un conseiller d’orientation compétent ? Comment seront financées les activités scolaires, qui, aujourd’hui, s’adressent à 23 % de la population des détenus ?
Pourquoi ne pas examiner, en particulier, la proposition de certains de ces détenus de créer des postes d’auxiliaires aides enseignants, détenus qui seraient associés à des activités éducatives et pourraient animer des ateliers sur le lieu de leur détention ? L’un de vos prédécesseurs, madame la ministre, avait accueilli cette proposition favorablement en 2007, mais il semble que, depuis, elle n’ait pas été reprise et que seuls les institutionnels, frileusement, accomplissent leur obligation.
Comment ce pont facilitera-t-il l’insertion professionnelle de ces 40 % de détenus qui n’ont jamais travaillé avant leur incarcération ? L’article 14 et le nouvel article 14 bis veulent répondre à cette exigence, et je ne peux que m’en féliciter. Il faudra alors, bien sûr, qu’au-delà des obstacles internes soient levés les obstacles externes, c’est-à-dire ceux que chacun de nous oppose à ces « sortants de prison », à ces « errants » au curriculum vitae noirci par une ligne blanche entre deux périodes de leur vie dans le monde.
Je veux croire, madame la ministre, que vous mettrez toute votre volonté, toute votre détermination, toute votre énergie à faire que ce pont, que vous appelez de vos vœux, enjambe réellement le fleuve de la désespérance. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)