M. le président. Veuillez conclure, madame Mathon-Poinat.
M. Alain Gournac. Ah oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Mais c’est très intéressant, monsieur le président !
Mme Josiane Mathon-Poinat. Pour nous, l’initiative parlementaire est le corollaire indispensable de la démocratie, et le droit d’amendement en est le socle. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, aux termes de l’article 27 de la Constitution, « le droit de vote des membres du Parlement est personnel ». À un droit de vote « personnel » doit normalement correspondre un droit d’expression sur son vote du même ordre. C’est de la suppression de ce droit qu’il est ici question, sous prétexte qu’il peut en être fait mauvais usage.
Ainsi, l’« obstruction » de la procédure parlementaire consécutive à cette inflation verbale serait, nous dit-on, à ranger au rang des « pathologies » du parlementarisme. Certes, mais ne prenons pas le symptôme pour la maladie !
L’obstruction n’est pas une maladie facilement curable par des mesures réglementaires, elle est le symptôme d’une maladie bien plus profonde du parlementarisme français : la réduction comme peau de chagrin du pouvoir dont le Parlement est, en principe, détenteur.
Le parlementarisme « rationalisé » s’est progressivement fait parlementarisme « lyophilisé ». Que l’on me cite une seule disposition non secondaire que le Parlement a pu imposer à l’exécutif ! L’arsenal dissuasif de celui-ci et ses possibilités de contournement sont immenses. Il y a les moyens classiques constitutionnels – je vous en fais grâce – et les autres.
Je citerai deux exemples particulièrement clairs du peu de cas que l’exécutif fait de la prétendue « volonté » du législateur.
Tout récemment, il y eut l’injonction du Président de la République au conseil d’administration de France Télévisions de se passer de recettes publicitaires, alors même que le Parlement en débattait.
Il n’y a pas si longtemps, Jacques Chirac décidait de ne pas appliquer la loi instituant le CPE, alors même qu’elle avait été votée avec l’enthousiasme et la lucidité que l’on sait par sa majorité, et qu’il l’avait promulguée. Avouez qu’il est difficile de faire mieux !
On comprend que, dans ces conditions, pour le Gouvernement et ses zélotes, la discussion parlementaire ne soit que du temps perdu. Il faut certes sauver les apparences, mais pas plus.
L’efficacité du travail parlementaire – entendez par là la correction des fautes de syntaxe, de codification et l’élagage des pousses les plus calamiteuses des projets de loi – serait à ce prix, d’autant que l’essentiel du travail serait désormais fait en commission.
Privé du pouvoir de peser réellement sur le cours des choses par l’exercice régulier des prérogatives qui lui sont théoriquement reconnues, que peut faire le Parlement sinon exercer son pouvoir tribunicien, le seul qui lui reste ? Là est l’origine de l’obstruction parlementaire : une manière de se faire entendre du Gouvernement en prenant l’opinion à témoin, seule chose à laquelle celui-ci est parfois sensible.
Réduire le pouvoir d’expression des parlementaires sans changer la situation en profondeur est un remède pire que le mal, mais dans la logique d’un système qui n’a plus de parlementaire que le nom. Sa dénomination n’existe pas encore, mais l’expression qui le désigne le moins mal serait, selon moi, celle de « régime consulaire ».
Empêcher les représentants du peuple de parler a toujours été, comme l’a rappelé Louis Mermaz, la tentation des régimes consulaires.
Pour la constitution de l’an VIII, « le Corps législatif fait la loi en statuant par bulletin secret, et sans aucune discussion de la part de ses membres ». Que voilà des constituants efficaces ! Puisque, disait Sieyès, « la confiance doit venir d’en bas et le pouvoir d’en haut », inutile de parler pour manifester sa confiance.
Cette volonté de réduire autant que faire se peut le Parlement à un rassemblement de muets est la suite logique d’une révision constitutionnelle censée renforcer ses pouvoirs alors qu’elle marque une étape de plus vers un régime de type consulaire. En reconnaissant un droit de message au Président de la République, celle-ci consacre son rôle de chef de Gouvernement sans responsabilité, mais avec le droit de dissolution. Détenteur de la totalité du pouvoir exécutif, il dispose aussi, à travers ses ministres, d’un réel pouvoir de conduite du processus législatif et, in fine, de l’arme absolue : la dissolution.
Votre tentative de nous faire taire, monsieur le secrétaire d’État, me fait penser à ces sourds qui ne supportent pas que d’autres puissent parler : n’entendant pas ce qu’ils disent, ils en déduisent qu’ils ne disent rien ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tout au long de l’histoire de la Ve République, y compris à l’occasion de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, le droit d’amendement s’est affirmé comme étant un droit individuel constitutionnellement garanti à tout parlementaire ainsi qu’au Gouvernement. Ce droit est garanti par le Conseil constitutionnel.
L’article 13 dont nous débattons aujourd'hui vise à organiser la discussion parlementaire en permettant la mise en œuvre d’un temps global de discussion. Pourquoi pas ? Il en résulterait néanmoins une limitation du droit d’amendement une fois les délais écoulés.
Quelles sont, brièvement évoquées, les composantes du droit d’amendement dans notre droit public ? C’est la Ve République, avec l’article 44 de la Constitution de 1958, qui a constitutionnalisé le droit d’amendement. Avant, ce droit découlait de l’initiative des lois que reconnaissaient au Parlement les constitutions républicaines depuis 1875.
Le droit d’amendement est devenu essentiel. Le président du Sénat estime qu’il s’agit d’un droit « consubstantiel » au statut de parlementaire, et nous ne pouvons qu’adhérer à cette définition.
M. Jean-Pierre Plancade. C’est une vraie référence !
M. Jean-Pierre Sueur. Il ne faut donc pas voter l’article 13 !
M. Michel Mercier. Le président de l’Assemblée nationale a déclaré ceci : « Il n’y aura jamais, de ma part, de volonté de contenir ou de limiter en quoi que ce soit ce que je crois être l’un des droits les plus fondamentaux des parlementaires, le droit d’amendement ». Cela signifie qu’il n’y portera jamais atteinte.
Le droit d’amendement est devenu très important, et ce pour une raison très simple. Les textes législatifs devenant de plus en plus techniques, le droit d’initiative parlementaire est plus difficile à mettre en œuvre, ce qui n’est pas le cas du droit d’amendement.
L’objet même du droit d’amendement est devenu très large. À cet égard, la disposition que nous avons insérée au premier alinéa de l’article 45 de la Constitution va dans ce sens, puisqu’il est précisé que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Ce droit est donc fondamental ; il est au cœur de la vie parlementaire.
Monsieur le secrétaire d’État, il faut bien remarquer que les seules limites apportées au droit d’amendement sont de nature constitutionnelle. L’article 40 définit les irrecevabilités financières, l’article 41 concerne l’irrecevabilité matérielle, lorsque l’objet d’un amendement ne relève pas du domaine de la loi, le deuxième alinéa de l’article 44 fixe une irrecevabilité procédurale, afin de protéger le droit des commissions d’étudier tout amendement avant son examen en séance publique, et le troisième alinéa de ce même article autorise le Gouvernement à solliciter un vote unique sur l’ensemble d’un texte, ce que l’on appelle communément le « vote bloqué ».
Le droit d’amendement est si large que l’on y a adjoint le droit de sous-amendement, tout aussi essentiel. D’ailleurs, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ce dernier obéit aux mêmes règles que le premier.
Au demeurant, le Conseil constitutionnel a garanti à de très nombreuses reprises l’existence du droit d’amendement. Je pense par exemple à une décision du 3 juin 1986 par laquelle cette juridiction a précisé qu’il ne saurait être porté atteinte au droit d’amendement – cela vaut donc également pour le droit de sous-amendement – prévu par l’article 44 de la Constitution.
Il s’agit donc d’un droit constitutionnellement établi, qui, de mon point de vue, a deux composantes.
La première est le droit de présentation d’un amendement par son auteur. D’ailleurs, et cela a été souligné tout à l’heure, c’est ce qu’écrivait M. Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, dans son rapport sur le projet de loi organique. Il me semble donc inutile de continuer cette démonstration, qui est suffisamment parlante par elle-même.
La seconde composante est le droit de discussion et de vote en séance publique d’un amendement. Même lorsque le Gouvernement décide de recourir à la procédure de vote bloqué prévue par le deuxième alinéa de l’article 44, les amendements font l’objet d’une présentation et d’une discussion. Dans ce cas de figure, la seule différence réside dans le vote final, qui porte sur l’ensemble du texte en retenant seulement les amendements déposés ou acceptés par le Gouvernement.
Vous le voyez, le droit d’amendement est bien ancré dans notre droit public positif.
À cet égard, l’article 13 soulève, me semble-t-il, deux questions sur lesquelles je centrerai mon propos, mon collègue Pierre Fauchon intervenant tout à l’heure sur d’autres aspects de notre débat.
Premièrement, le droit d’amendement est un droit individuel. Chaque parlementaire peut déposer autant d’amendements qu’il le souhaite. Et même si l’institution d’un crédit-temps peut avoir ses partisans, peut-on appliquer une mesure collective à un droit individuel ? C’est un véritable problème.
Comme chacun peut déposer autant d’amendements qu’il le souhaite, il arrivera que des parlementaires soient empêchés de présenter ou de défendre certains de leurs amendements tout simplement parce que le temps de parole de leur groupe sera expiré, indépendamment de toute volonté d’obstruction. D’ailleurs, cette dernière notion est quelque peu difficile à définir. Où commence l’obstruction ? Au dépôt d’un seul amendement ou au dépôt de 10 000 amendements ? Vous en conviendrez, il y a un vaste éventail de possibilités entre ces deux options…
Deuxièmement, et il s’agit d’un problème très technique, supposons qu’un amendement soit appelé sans présentation ni discussion. J’indique d’ailleurs que, pour nous, il est impensable qu’un amendement ne soit pas présenté : dans notre esprit, un amendement appelé « sans discussion » fait quand même l’objet d’une présentation. Mais imaginons cependant que, faute de temps de parole, un amendement ne puisse pas être discuté. N’importe quel parlementaire appartenant à un groupe qui n’aurait pas épuisé son crédit-temps pourrait présenter un sous-amendement : nous nous retrouverions donc dans une situation où il serait interdit de discuter d’un amendement, mais pas du sous-amendement visant à le modifier ! Il y aurait là un véritable problème de constitutionnalité.
Les limites du droit d’amendement se trouvent toutes dans la Constitution, et nulle part ailleurs. Peut-on instituer une nouvelle restriction dans un texte qui ne serait pas de nature constitutionnelle ? Je souhaite connaître votre sentiment sur cette question, monsieur le secrétaire d’État.
Certes, le Conseil constitutionnel, qui sera amené à se prononcer sur le présent projet de loi organique, devra décider si le droit d’amendement s’applique dans les conditions qu’il a lui-même fixées ou si son exercice peut être modifié par une simple loi organique. Mais, en attendant, nous aimerions disposer d’une interprétation claire de l’article 13. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, ainsi que sur quelques travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je tiens également à exprimer ici mes plus vives inquiétudes, voire mon indignation, à propos du présent projet de loi organique, qui a été déposé à l’Assemblée nationale le 10 décembre 2008. Je pense particulièrement à son article 13, qui vise à limiter sévèrement le droit d’amendement des parlementaires.
D’abord, je trouve pour le moins curieux qu’un projet de loi organique oriente dans le sens de la volonté présidentielle les dispositions relevant des règlements d’assemblées souveraines. À la vérité, il s’agit – nous l’avons bien compris – d’une habilité par laquelle le Gouvernement s’emploie à corseter les « nouveaux droits » qu’il prétendait octroyer au Parlement dans le cadre de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. C’est très certainement l’opposition qui est visée. Beaucoup de parlementaires ayant voté la révision au moment du Congrès de Versailles s’en mordent aujourd'hui les doigts ; nous avons entendu des remarques en ce sens ici même. Après tout, n’ont-ils pas été victimes des tromperies du Gouvernement ? La question est posée.
En effet, en renvoyant systématiquement aux règlements des assemblées, le projet de loi organique fait de la majorité de chaque chambre l’exécutrice des basses œuvres. Ainsi, la qualification de « textes qui [se] prêtent à une procédure d’examen simplifié », formulation qui figurait dans le projet de loi initial, laissait les coudées franches au Gouvernement pour limiter les amendements sur presque tous les textes.
Pis encore, la possibilité pour les règlements d’imposer un délai pour l’examen d’un texte, assorti d’un vote sans discussion quand il sera expiré, autrement dit le « temps-guillotine », porte atteinte à l’essence même du parlementarisme.
Monsieur le secrétaire d’État, outre la volonté de réduire l’expression de l’opposition et de tenir en laisse votre majorité, la philosophie de l’article 13 contrevient à la dimension individuelle du droit d’amendement des parlementaires. Dois-je le rappeler, aux termes de l’article 44 de la Constitution, ce sont « les membres du Parlement » qui possèdent chacun le droit d’amendement ? La nouvelle procédure fait des groupes et des commissions, donc de votre majorité, les seuls véritables cadres des débats. Elle réduit le travail parlementaire à sa dimension la plus grégaire.
Certes, le travail des commissions est essentiel. Mais au nom de quel principe devrait-il primer sur les séances publiques ? La démocratie se vit au grand jour, et pas uniquement dans des cénacles de spécialistes. Les débats publics sur les amendements permettent la libre confrontation des arguments et la transparence des choix politiques.
Vous nous parlez d’obstruction pour justifier votre dessein. N’avez-vous pas pensé qu’il y va tout simplement du respect du débat démocratique ? Les juristes de cette assemblée connaissent bien le principe du contradictoire, cette règle procédurale en vigueur devant les tribunaux qui permet à chaque partie de faire droit à ses arguments dans les mêmes conditions. Comme diraient les latinistes, « audi alteram partem » : chaque partie doit être entendue, car du débat contradictoire naissent souvent les solutions les plus équilibrées.
C’est sûrement un hasard, mais ce projet de loi organique a été déposé à l’Assemblée nationale le 10 décembre, date anniversaire de l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte comme président de la IIe République. Voilà un président qui a berné le peuple en prétendant défendre le suffrage universel ! Lui aussi affirmait garantir les fondements de la démocratie. Mais ses propos rassurants ont été démentis avec fracas deux ans plus tard, lors de son coup d’État. Et l’on sait en quelle estime il tint son Parlement durant son règne ! Plus généralement, monsieur le secrétaire d’État, vous observerez que, au cours de l’histoire des parlements, la limitation du droit d’amendement a été la marque des régimes autoritaires.
Monsieur le secrétaire d’État, ne vous trompez pas de siècle ! Retirez l’article 13 tant qu’il est encore temps! La chambre haute à laquelle nous appartenons n’aspire pas à devenir un Sénat impérial ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Patrick Courtois.
M. Jean-Patrick Courtois. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’article 13 du projet de loi organique permet aux règlements des assemblées d’attribuer une durée programmée à certains débats législatifs.
L’objectif visé est de mieux organiser les débats, et non de réduire le temps d’examen d’un texte en séance.
L’enjeu essentiel est que le Parlement ne soit pas paralysé et incapable d’accomplir sa mission essentielle de législateur. Ainsi, quatre constats peuvent être dressés.
Premier constat, la loi organique n’impose rien. Elle ouvre simplement une voie que les assemblées pourront choisir d’emprunter ou non lors de la réforme de leur règlement respectif.
L’objet ultime du projet de loi organique est de permettre à chaque assemblée de fonctionner au mieux, conformément à ses souhaits, à ses traditions et à ses propres règles.
La Haute Assemblée ne connaît pas dans la même mesure les situations d’obstruction auxquelles l’Assemblée nationale peut être confrontée.
Chacun l’aura bien compris, le Sénat, contrairement à l’Assemblée nationale, n’a nullement l’intention d’introduire dans son règlement le temps de parole global.
Il eût sans doute été préférable que nous opérions un autre choix, car la nouvelle procédure nous aurait permis de recentrer nos débats autour des sujets fondamentaux qui engagent le destin de notre pays. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Personne ne peut aujourd’hui contester le besoin de rationalisation du travail parlementaire, en particulier des débats. Nos collègues de l’opposition l’ont d’ailleurs réclamé à plusieurs reprises lorsqu’ils étaient dans la majorité, et ils avaient raison de le faire.
Avec l’ordre du jour partagé, il nous faudra traiter en quinze jours les textes que nous discutons aujourd’hui en un mois. L’agenda parlementaire devra être beaucoup plus prévisible, faute de quoi le système tout entier risque d’être menacé de paralysie.
Il me paraît également essentiel de rendre nos débats plus concis et lisibles dans la mesure où, innovation capitale, nous discuterons en séance publique du texte issu des travaux de la commission, et non plus du texte présenté par le Gouvernement. Il ne faudrait pas que l’on assiste à une répétition du débat de commission en séance. Ce serait tout à fait dommageable.
Deuxième constat, contrairement à ce qu’ont pu marteler nos collègues de l’opposition, la procédure établissant la durée programmée des débats n’est pas antidémocratique. En effet, une telle procédure n’est pas inconnue de l’histoire institutionnelle française. Elle a été mise en œuvre à l’Assemblée nationale de 1935 à 1969.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’était pas le même système !
M. Jean-Patrick Courtois. Par ailleurs, en 2007, notre collègue Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste, avait lui-même suggéré d’introduire un tel dispositif dans sa proposition de loi tendant à réviser la constitution du 4 octobre 1958 afin de rééquilibrer les institutions en renforçant les pouvoirs du Parlement. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) D’ailleurs, il était même allé plus loin, en proposant que le temps global soit fixé non pas par la conférence des présidents, mais par le Gouvernement. Et j’aimerais répondre à son argument selon lequel il faudrait subordonner le recours à la réglementation du temps des débats à la suppression du troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution, dit « 49-3 ». Depuis la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, la possibilité pour le Gouvernement d’engager sa responsabilité sur un texte a pratiquement disparu. Elle ne persiste que de manière résiduelle, en étant cantonnée à un seul texte par session.
Troisième constat, cette procédure existe dans les parlements des démocraties modernes et, au premier chef, au parlement britannique, au congrès espagnol,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce sont des régimes parlementaires !
M. Jean-Patrick Courtois. … ou encore au Parlement européen, qui ne sont pas considérés comme des mauvais exemples de démocratie.
Quatrième constat, cette procédure n’entrave pas le droit d’amendement. Les parlementaires pourront toujours déposer des amendements en commission, puis en séance. Le projet de loi organique prévoit que, si la durée programmée des travaux est achevée, les amendements seront mis au vote, quoi qu’il arrive.
Ainsi, la possibilité pour les règlements des assemblées d’introduire une durée programmée des débats est conforme à la Constitution. Elle n’est en rien antidémocratique, d’autant plus que les nouveaux articles 13 bis et 13 ter imposent expressément le respect des droits de l’opposition, ainsi que le droit d’explication de vote personnelle.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UMP votera les articles 13, 13 bis et 13 ter. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Charles Gautier. Nous voilà rassurés ! Nous étions inquiets !
M. Jean-Patrick Courtois. En effet, il ne nous appartient pas de priver l’Assemblée nationale de la possibilité de recourir, si elle le souhaite, à de telles dispositions dans le cadre des garanties fixées par la loi organique. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Pierre Bel. Je demande la parole pour un fait personnel.
M. le président. Monsieur Bel, je vous rappelle que l’article 36 du règlement du Sénat prévoit que la parole ne peut être accordée qu’en fin de séance au sénateur qui la demande pour un fait personnel.
Néanmoins, pour la clarté de nos débats et en vertu du pouvoir discrétionnaire du Président, à condition naturellement que votre intervention soit brève, je vous donne la parole.
M. Jean-Pierre Bel. Merci, monsieur le président. Il est en effet plus simple de m’autoriser à répondre immédiatement à l’interpellation de notre collègue Jean-Patrick Courtois.
Il ne faut pas me faire dire ce que je n’ai pas dit ! J’ai en effet adressé à une candidate à la dernière élection présidentielle un rapport contenant des propositions, afin qu’elle puisse choisir celles qui l’intéressaient. Ce rapport faisait état de mesures qui s’imposaient, notamment la suppression du « 49-3 » sauf pour les lois de finances, la limitation des procédures d’urgence et la suppression du vote bloqué.
Cette rénovation profonde du travail parlementaire, qui entraînait un autre équilibre, permettait d’envisager une organisation du temps de parole en conséquence.
Mais les dispositions constitutionnelles dont nous envisagions la suppression étant aujourd'hui maintenues, il est abusif, monsieur Courtois, de prétendre que mes écrits justifieraient ce que vous proposez, c’est-à-dire la limitation du droit d’amendement pour chaque parlementaire. C’est là un argument qui n’est intellectuellement pas recevable, et un excès que je tiens à dénoncer.
Mes chers collègues, nous sommes adultes et capables de comprendre la nécessité d’un rééquilibrage. Mais, en l’absence de ce dernier, vos préconisations conduisent au contraire à accentuer le déséquilibre que nous connaissons depuis longtemps. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l’article.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le secrétaire d’État, il n’est pas besoin de solliciter de manière totalement inexacte les propos de notre ami Jean-Pierre Bel, comme vous l’avez fait récemment à propos de Léon Blum, pour défendre des thèses indéfendables. Et je tiens, monsieur Courtois, à m’élever contre l’hypocrisie que je perçois dans ce débat, et qui est d’ailleurs facile à percevoir.
Monsieur le président du Sénat, vous avez affirmé à de nombreuses reprises que vous étiez attaché au droit d’amendement et qu’il était hors de question d’y porter atteinte. À l’instant, M. Mercier a dit la même chose, et, avant lui, M. le secrétaire d’État et M. Warsmann.
Alors, mes chers collègues, parlons vrai : si vous êtes attachés au droit d’amendement, …
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faut le prouver !
M. Jean-Pierre Sueur. … à la possibilité – et je souscris entièrement à vos propos, monsieur Mercier – de déposer des amendements, de les présenter, …
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. C’est autre chose !
M. Jean-Pierre Sueur. … d’en discuter, …
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Indéfiniment !
M. Jean-Pierre Sueur. … d’expliquer votre vote et puis de voter, …
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien sûr !
M. Jean-Pierre Sueur. … ce droit est de toute évidence contradictoire avec l’article 13. (M. le rapporteur proteste.)
M. Charles Gautier. Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Je dis bien que c’est contradictoire !
Pour ma part, comme j’ai eu l’occasion de l’indiquer lors des réunions du groupe de travail que vous avez bien voulu organiser, monsieur le président, si nous voulons faire preuve de logique, de clarté d’esprit et réagir avec évidence, on ne peut, d’une part, affirmer que nous pourrons défendre les amendements, en discuter, que c’est un droit individuel permettant à chacun de s’exprimer, et, d’autre part, dire que, à partir d’un certain moment, le débat sera terminé, que nous ne discuterons plus ni des articles ni des amendements, et que nous voterons dans le silence !
Si quelqu’un peut m’expliquer, ce soir, où est la cohérence entre ces deux affirmations, je lui en serai très reconnaissant.
Si personne ne le peut, et personne ne l’a fait,…
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. M. Courtois l’a expliqué !
M. Jean-Pierre Sueur. … alors, il ne faut pas voter l’article 13.
Et, de grâce, ne nous réfugions pas dans les petits arrangements en déclarant, comme M. Courtois : le problème se pose pour l’Assemblée nationale, certes, mais – rassurez-vous, mes chers collègues – pas pour le Sénat! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat rit.)
Non ! Le Sénat vote la loi, qui s’applique à l’ensemble du Parlement et vaudra à l’avenir pour tous les parlements, ainsi que pour tous les gouvernements. Nous, sénateurs, sommes donc dépositaires de ce droit de nous exprimer, de ce droit d’amendement si précieux.
Mes chers collègues, si nous voulons que le Parlement soit le lieu où nous parlons de ce qui se passe dans la société, des souffrances des hommes et des femmes, des luttes sociales, des problèmes éthiques, des convictions, de tous les sujets qui ont fait l’objet des grands débats parlementaires au cours des trois dernières décennies, voire davantage, il faut que nous votions tous ensemble contre l’article 13.
Mais aucun argument ne peut justifier, si ce n’est au prix de contorsions que je qualifierai clairement d’hypocrites, de se déclarer pour le droit d’amendement tel que nous l’avons tous ensemble défini et vécu, tout en votant par ailleurs l’article 13. Ce n’est pas du tout cohérent ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)