M. Jean-Paul Virapoullé. Soixante ans !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il faut en effet préserver les équilibres sociaux et économiques de collectivités qui connaissent par ailleurs des mutations rapides. Et des erreurs ont parfois été commises, n’est-ce pas, mon cher collègue ?
M. Jean-Paul Virapoullé. Absolument !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La consultation du 29 mars doit amener chaque électeur de Mayotte à réfléchir sur l’avenir de son île.
Chacun mesure l’ambition et les exigences de la départementalisation. Il faut faire de cette dernière une chance pour Mayotte. Ce doit être un engagement dans la confiance, celle des Mahorais dans l’État, qui leur permet d’accéder à un statut longtemps revendiqué, et celle de la France dans la capacité de la population de Mayotte à assumer cette évolution. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, rapporteur de la mission d’information sur Mayotte.
M. Yves Détraigne, rapporteur de la mission d’information sur Mayotte. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, la population de Mayotte s’apprête à vivre un moment historique. Elle participera en effet, le 29 mars prochain, à une consultation que ses élus demandaient depuis plusieurs décennies et pourra alors faire sans ambiguïté le choix de la départementalisation.
M. le président de la commission des lois vient de retracer parfaitement les enjeux d’une telle évolution. Aussi vais-je me contenter de revenir sur certains aspects qui ont particulièrement retenu l’attention des membres de la mission d’information de la commission des lois qui s’est rendue à Mayotte en septembre dernier.
J’évoquerai donc quelques points sur lesquels la départementalisation aura un impact direct, et dont la population de Mayotte doit être informée. Il importe en effet que la consultation du 29 mars prochain se déroule sans incertitude ni faux-semblant sur les changements qui pourraient en découler.
Cette démarche de sincérité conditionne le succès de la départementalisation. Je sais, madame le ministre, que le Gouvernement en est pleinement conscient et que la feuille de route présentée en décembre dernier répond à ce souci d’information.
La loi du 11 juillet 2001 relative à Mayotte a doté l’île d’un statut de collectivité départementale, qui répondait aux aspirations d’alignement sur le régime des départements, tout en admettant l’impossibilité d’une départementalisation à court terme du fait des spécificités locales.
Au même moment étaient lancés les travaux de la commission de révision de l’état civil, la CREC, instituée par l’ordonnance du 8 mars 2000. En effet, la dualité de statuts civils s’accompagnait d’un double système d’état civil et, jusqu’en 2000, les Français nés à Mayotte étaient identifiés par des vocables.
La CREC a donc reçu pour mission de fixer les nom et prénoms des personnes de statut civil de droit local nées avant la publication de l’ordonnance et d’établir les actes d’état civil. Son mandat, qui devait s’achever en avril 2006, a été prorogé pour une durée de cinq ans.
Depuis sa mise en place, la commission a rendu environ 65 000 actes d’état civil. Présidée par un magistrat, elle est restée plusieurs mois sans président, alors qu’elle comptait au 31 décembre 2007, comme vient de le rappeler M. le président de la commission, 14 000 dossiers en instance. À cet égard, pouvez-vous nous dire, madame le ministre, où en est la nomination du président et du secrétaire général de la CREC ?
La visite des services de l’état civil de certaines mairies a permis à la mission d’information de mesurer l’ampleur de la tâche. Le très mauvais état des anciens registres fait que l’état civil des personnes ayant le statut de droit commun n’est parfois pas plus fixé que celui des personnes soumises au statut personnel de droit local.
Les exigences des administrations, combinées à l’extrême lenteur des travaux de la CREC, aboutissent en fait, dans certaines situations, à rendre les Mahorais étrangers chez eux.
S’ils ne disposent pas d’un acte de naissance reconstitué par la CREC, les Mahorais ne peuvent obtenir ni certificat de nationalité française, ni carte nationale d’identité, ni passeport. Ils peuvent ainsi se retrouver dans l’impossibilité de voyager, d’effectuer des déplacements professionnels ou, encore, de poursuivre leurs études à l’extérieur de l’archipel.
Ils peuvent également rencontrer des difficultés pour faire valoir leurs droits à la retraite, la date de naissance constituant alors un élément déterminant.
Or le délai de réponse de la CREC oscille aujourd’hui entre deux ans et demi pour les cas les plus simples et six ans et demi pour les cas plus complexes.
Le diagnostic établi par la mission d’information est donc clair. L’action de l’État en matière de révision de l’état civil n’étant pas crédible, une réforme de l’organisation et du fonctionnement de la CREC s’impose.
La nomination d’au moins un vice-président permettrait de doubler le nombre d’audiences. La création d’une équipe administrative chargée d’encadrer les rapporteurs serait sans doute de nature à accélérer fortement le traitement des dossiers.
Ces deux mesures, qui devraient permettre à la CREC de réduire ses délais d’instruction et de terminer plus rapidement ses travaux, nous paraissent indispensables.
L’organisation de la justice – peut-être d’ailleurs faudrait-il dire « des justices » – à Mayotte a également mobilisé la mission d’information. La justice doit être la même pour tous en République. Or il existe, à Mayotte, une double justice.
Les litiges nés de l’application du statut personnel sont en effet de la compétence de juridictions spécifiques : les cadis, le grand cadi et la chambre d’annulation musulmane.
L’application de certains principes du droit coutumier – la répudiation, la polygamie, la double part successorale pour les hommes, etc. – est aujourd’hui rejetée par une partie de la population, et le fonctionnement même de la justice cadiale est critiqué.
Les cadis ne disposent souvent d’aucune documentation, et leur connaissance aléatoire du droit musulman entraîne des divergences de jurisprudence d’autant plus dommageables que le taux d’appel de leurs décisions demeure très faible.
De plus, l’absence de formule exécutoire rend l’exécution de leurs décisions parfois très hypothétique.
En outre, la justice cadiale est un facteur de complexité, les cadis étant aussi amenés à juger des litiges impliquant des justiciables qui relèvent en fait du droit commun, qu’il s’agisse de ressortissants comoriens en situation irrégulière ou de citoyens persuadés à tort de relever du statut civil de droit local.
Aussi la commission des lois a-t-elle estimé que la départementalisation devait entraîner l’extinction de la justice cadiale.
Il appartiendra alors au conseil général, dont relèvent les cadis, d’envisager les dispositifs qui permettront de les employer à d’autres fonctions ou de les maintenir, par exemple, dans un rôle de médiation.
La perspective de la départementalisation me conduit à évoquer également la situation des communes mahoraises.
Les dix-sept communes de Mayotte présentent en effet une situation financière structurellement dégradée, caractérisée par une insuffisance criante de ressources de fonctionnement.
Leurs capacités budgétaires sont faibles ; leurs recettes de fonctionnement par habitant sont trois fois moins élevées en moyenne que celles des communes de métropole, et leurs ressources sont constituées exclusivement par des dotations.
Les communes rencontrent donc des problèmes récurrents de trésorerie, rendant notamment difficile le paiement des traitements des derniers mois de l’année.
Les maires que nous avons rencontrés ont évoqué l’incapacité des communes à programmer des investissements ou même, parfois, à assurer les services d’un centre communal d’action sociale.
De nombreuses communes ne sont pas capables d’assurer la scolarisation des enfants de trois ans, qui sera pourtant obligatoire à Mayotte à compter de la rentrée 2010. La forte croissance démographique rend impossible la réalisation de cet objectif, qui supposerait la construction massive de nouvelles salles de classe.
Un autre exemple significatif des difficultés que connaissent les communes et du retard qu’il convient de rattraper pour réussir la départementalisation est celui du numérotage des rues. Ce travail n’est pas achevé à Mayotte. Or, le montant de la dotation de premier numérotage que l’État accorde aux communes paraît insuffisant.
La départementalisation, en entraînant la création d’une fiscalité directe locale, devrait permettre aux communes de disposer de moyens plus importants. La place de ces dernières dans la nouvelle organisation de Mayotte devra donc être examinée avec attention.
La mission d’information a également été alertée sur la question de l’intégration des agents publics de Mayotte dans la fonction publique, qui se pose depuis 1976.
La loi statutaire du 11 juillet 2001 établit le droit à l’intégration, au plus tard le 31 décembre 2010, des agents publics de la collectivité départementale, des communes et des établissements publics administratifs de Mayotte dans l’une des trois fonctions publiques ou dans des corps transitoires.
Mais les corps passerelle ou corps transitoires ne sont pas encore constitués, et leur régime indemnitaire n’est pas fixé, ce qui bloque l’intégration de plusieurs centaines de fonctionnaires. Sur les 6 800 agents intégrables, seuls 1 600 – des instituteurs pour la plupart – ont en effet été intégrés dans l’une des trois fonctions publiques.
Par ailleurs, en l’absence de dispositions réglementaires relatives à la transition entre les régimes de retraite et permettant de garantir la pérennité des caisses, certains agents qui remplissent les conditions requises pour prendre leur retraite ne peuvent le faire. Il appartient donc à l’État de prendre les mesures nécessaires en ce domaine.
Enfin, je souhaite insister sur la nécessité de mettre en œuvre une coopération massive avec les Comores, afin de préserver l’équilibre régional et la stabilité de Mayotte.
Mme Nathalie Goulet et M. Jean-Paul Virapoullé. Très bien !
M. Yves Détraigne, rapporteur de la mission d’information sur Mayotte. D’un niveau de vie beaucoup plus élevé que celui des Comores – le rapport serait de un à dix en termes de PIB par habitant –, Mayotte est devenue la destination d’une très importante immigration clandestine pour des raisons économiques, sanitaires, voire familiales.
Alors que l’île connaît une forte croissance démographique, la maîtrise de l’immigration constitue donc, de toute évidence, un enjeu majeur pour le développement économique ainsi que pour la préservation de l’ordre public et des équilibres sociaux.
Face à cette situation, des politiques actives de contrôle de l’immigration ont été mises en place depuis quelques années.
Toutefois, la maîtrise de l’immigration à Mayotte n’est possible que si la population de l’Union des Comores, et en particulier de l’île d’Anjouan, dispose de services comparables à ceux qu’elle vient trouver à Mayotte dans le domaine sanitaire.
La France conduit déjà des actions de développement aux Comores. Mais la départementalisation de Mayotte devra s’accompagner d’un accroissement de cet effort pour garantir la stabilité de la région.
L’État devra également poursuivre ses efforts d’investissement en matière de constructions scolaires, d’infrastructures et de lutte contre l’immigration irrégulière.
La départementalisation impliquera par conséquent la programmation sur plusieurs années d’un effort financier exceptionnel. Il faut en être conscient.
En conclusion, si, lors de la consultation du 29 mars prochain, la population de Mayotte se prononce pour la départementalisation, elle fera alors le choix de la modernité mais aussi de la responsabilité.
L’État, quant à lui, devra en tirer toutes les conséquences et s’engager pleinement dans les directions que je viens d’évoquer, et dans d’autres tout aussi essentielles qui sont citées dans le Pacte pour la départementalisation de Mayotte et que je ne peux rappeler, faute de temps.
Les conséquences de l’évolution statutaire devront nécessairement être progressives, pour être assimilées sans heurts par la société et l’économie mahoraises.
Alors, sous ces conditions, on pourra dire non plus que Mayotte n’est pas prête pour la départementalisation, mais que la départementalisation est l’avenir de Mayotte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Adrien Giraud.
M. Adrien Giraud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il apparaît aujourd’hui que la vieille revendication de Mayotte d’avoir un statut définitif au sein de la République Française est en voie d’aboutir. La consultation des Mahorais, prévue le 29 mars prochain, apporte toutes les garanties d’une procédure éminemment démocratique, c’est-à-dire d’une réponse claire à cette question tout aussi claire que nous posons depuis plus d’un demi-siècle.
Partout dans le monde, la consultation populaire demeure l’expression la plus légitime du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Les Mahorais n’ont cessé de l’invoquer, à juste titre.
Je n’ai aucune raison de taire ma satisfaction personnelle devant cette étape, probablement décisive, dans l’évolution institutionnelle de notre « collectivité départementale ».
Faut-il rappeler, à cet égard, que tous les membres du groupe de l’Union centriste du Sénat ont accepté de cosigner ma proposition de loi n° 43 du 23 octobre 2007 qui visait justement, selon son intitulé, « à réintroduire la procédure de la consultation populaire dans le dispositif destiné à l’accession de Mayotte au statut de département et région d’outre-mer » ?
Mais ce n’était là qu’un point de départ. L’essentiel réside en effet dans les propos et la décision du Président de la République, qui ont eu le mérite d’infléchir cette évolution dans le sens souhaité depuis fort longtemps par la population mahoraise. C’est dans son discours du 27 novembre 2008 aux élus d’outre-mer que le Président de la République a déclaré, à notre grande satisfaction, que, vis-à-vis de Mayotte, « l’État respectera ses engagements ». Ce jour-là, les Mahorais ont compris que nous sortions enfin de cette trop longue période de lois non appliquées et de promesses non tenues.
La confirmation de cette rupture avec le passé nous est venue de l’entretien que le Président de la République a accordé le 16 décembre 2008, à l’Élysée, à une délégation des représentants de Mayotte.
Telles sont les étapes de notre « longue marche » retracée dans une feuille de route qui, pour l’essentiel, servira de support à mon intervention dans ce débat.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le rappel de quelques points d’histoire me paraît ici indispensable à la bonne compréhension de nos aspirations.
Mayotte est devenue française en 1841, c’est-à-dire avant Nice et la Savoie. Si Mayotte avait connu le même destin que ces deux entités, son état civil ne serait pas dans la situation qui est la sienne actuellement, et les Mahorais parleraient davantage le français.
Il s’agissait d’un acte volontaire d’adhésion, destiné à échapper à un environnement oppressif. Cette volonté plusieurs fois réitérée n’a jamais été remise en cause par les Mahorais.
Notre demande d’accession au statut de département français d’outre-mer remonte à 1958, l’année même de la naissance de la Ve République. Elle n’a jamais varié à ce jour : c’est notre conception du fameux « sens de l’Histoire ».
Quant à l’évolution institutionnelle de Mayotte, elle repose depuis longtemps sur la consultation populaire. Ainsi, en 1976, Mayotte a exprimé à la fois sa volonté de demeurer française et son choix du statut de départements d’outre-mer.
Plus récemment, c’est aux termes de la consultation du 2 juillet 2000 que Mayotte a choisi le statut de collectivité départementale comme une transition vers la départementalisation de droit commun.
Dans sa Lettre aux Mahorais, datée du 14 mars 2007, le candidat Nicolas Sarkozy a promis de consulter les Mahorais sur la départementalisation, à condition que le conseil général de Mayotte le demande. La résolution du conseil général, adoptée à l’unanimité le 18 avril 2008, a été rapidement transmise au Gouvernement.
La population mahoraise tient à remercier le Président de la République, Nicolas Sarkozy, d’avoir respecté la parole donnée.
Tel est le cheminement qui a conduit les Mahoraises et les Mahorais, en dépit de toutes les pressions contraires, à se maintenir dans leur détermination et leur volonté d’adhésion aux principes et valeurs de la République française.
D’ailleurs, aujourd’hui, ceux qui ont fait librement un autre choix en subissent encore les conséquences, par la multiplication des coups d’État, par d’évidentes régressions dans le bien-être des populations et par l’afflux massif de migrants vers nos rivages, au péril de leur vie.
C’est pourquoi je n’ai cessé de plaider pour que le Gouvernement prenne ses responsabilités en renforçant la politique française de coopération et d’aide au développement des pays de la zone de l’océan Indien.
Mais notre revendication départementaliste ne résulte pas simplement d’une préoccupation de sécurité internationale ou diplomatique. Elle se fonde de plus en plus, en particulier chez les jeunes, sur une aspiration générale des Mahorais au progrès économique et social, dans la liberté.
Pour la première fois dans notre histoire, nous avons déterminé avec le Gouvernement les principales étapes de ce que pourrait être la marche vers la départementalisation. Ces dispositions vont s’inscrire dans une loi organique, et nous retiendrons surtout que la création du cent unième département français, celui de Mayotte, suivra l’installation du conseil général nouvellement élu en avril 2011.
Il va sans dire que ce délai doit être mis à profit pour améliorer encore l’état civil mahorais grâce à la modernisation des services municipaux et à la formation des agents.
Quant à l’organisation du département de Mayotte, elle devra conjuguer efficacité et simplicité.
Ainsi, Mayotte sera dotée d’une assemblée unique exerçant conjointement les compétences du département et de la région. Nous éviterons ainsi les complications d’un bicamérisme insulaire sur un territoire de 375 kilomètres carrés.
À mon sens, ces compétences élargies devraient privilégier les objectifs du développement économique et social et se traduire notamment par la création, recommandée par la récente mission de la commission des lois, d’un fonds de développement économique et social. Il sera essentiel et urgent d’accorder au nouveau département les moyens de son développement ou, plutôt, d’un nécessaire rattrapage.
Sans pour autant rétablir l’instrument de planification, qui fut mis en place dans les années 1986 et 1987, il me paraît opportun de prévoir une programmation de l’investissement public afin d’assurer le financement de certaines infrastructures ou équipements de base encore insuffisants à Mayotte.
Il faut redire fortement que nous avons besoin d’une véritable politique de « mise à niveau » dans les domaines éducatif, économique et social.
C’est dire que nous acceptons et défendons l’idée d’une programmation à moyen terme de l’effort de l’État.
De ce financement public, Mayotte, bien entendu, prendra sa part, toute sa part.
Une telle politique d’investissement pourra également être financée sur les fonds communautaires. L’on ne peut être plus « ultrapériphérique » que Mayotte. Il appartient, en conséquence, au Gouvernement d’assurer d’ores et déjà l’accès de Mayotte aux fonds structurels de l’Union européenne destinés à soutenir nos progrès.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en définitive, je voudrais, une fois encore, faire ressortir la signification profonde du combat plus que séculaire de Mayotte : c’est un combat pour la liberté. Une telle perspective ne peut que renforcer l’engagement des Mahorais en faveur de la départementalisation.
C’est aussi tout le sens de leur adhésion aux principes et aux valeurs de la République, aux droits, comme aux devoirs – j’y insiste – de notre citoyenneté française.
Mes remerciements vont à M. le Président, à vous-même, madame la ministre, ainsi qu’à tous mes collègues qui ont bien voulu être présents ce soir pour soutenir Mayotte dans sa marche vers la départementalisation. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, de l’UMP et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Soibahadine Ibrahim Ramadani.
M. Soibahadine Ibrahim Ramadani. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le 29 mars 2009, Mayotte s’apprête à vivre un moment historique dans son devenir au sein de la France. Après cinquante ans de combat politique difficile, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, a décidé, par décret n° 2009–67 du 20 janvier 2009, et en application de l’article 72–4 de la Constitution, de consulter la population de Mayotte sur l’évolution institutionnelle de l’île, conformément à l’article LO 6111–2 du code général des collectivités territoriales, instauré par la loi organique du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer.
À cette occasion, la question retenue par le Conseil d’État, et arrêtée lors du conseil des ministres du 14 janvier 2009, est claire : elle invite la population à répondre par oui ou par non à la transformation du statut actuel de collectivité départementale, régie par l’article 74 de la Constitution, en statut de département d’outre-mer, régi par l’article 73 de la Constitution, doté d’une assemblée unique exerçant les compétences dévolues aux départements et aux régions.
La déclaration du Gouvernement nous invite à en débattre afin d’éclairer l’opinion nationale sur les motivations de ce parcours qui apparaît si singulier.
Mes chers collègues, la consultation de la population de Mayotte sur le statut départemental marque à la fois l’aboutissement d’un long combat, une avancée diplomatique et l’expression d’une volonté politique forte.
C’est d’abord l’aboutissement d’un long et difficile combat politique.
En effet, c’est en 1958, à la veille du référendum organisé en vue de l’adoption de la Constitution de la Ve République, que le général de Gaulle avait promis aux peuples coloniaux qu’ils étaient libres de choisir entre trois régimes pour l’avenir de leur pays respectif, entre l’indépendance, le statut de territoire d’outre-mer ou celui de département d’outre-mer.
À cette occasion, les Mahorais, pour la première fois, ont opté pour le statut de département.
Dans ce but, au mois de mai 1958, les notables de Mayotte ont donné mandat à leurs quatre conseillers à l’Assemblée territoriale des Comores, à savoir, Abdourraquib Ben Ousseni, Marcel Henry, Mari Sabili et Souffou Sabili, pour demander la départementalisation de Mayotte.
Une motion en ce sens a été déposée, puis débattue le 11 décembre 1958. Elle a été rejetée par l’Assemblée territoriale des Comores, par 25 voix contre 4, au motif que « les mahorais [ayant] leurs mœurs et coutumes particulières, [ils auraient] de la peine à s’intégrer au statut français ».
Un mois plus tôt, les notables de Mayotte réunis en congrès le 2 novembre 1958 à Tsoundzou, sous la houlette de George Nahouda, avaient pourtant manifesté leur volonté de voir l’île de Mayotte accéder au statut départemental, volonté réaffirmée dix-huit ans plus tard, le 11 avril 1976, quand les Mahorais rejetèrent le statut de territoire d’outre-mer et déposèrent dans l’urne plus de 13 000 bulletins dits « sauvages » réclamant la départementalisation.
Par cette revendication, que recherchaient les Mahorais en 1958, alors qu’il n’y avait ni minimas sociaux ni fonds structurels européens ? Essentiellement deux choses : d’une part, rester français pour être libres, vivre en paix et en sécurité ; d’autre part, avoir la garantie d’un ancrage plus profond dans la République française.
Mes chers collègues, il faut se souvenir que les premières indépendances africaines de la fin des années cinquante ont été marquées par des dictatures, des guerres civiles et des coups d’État à répétition ; elles ne pouvaient donc pas, à cette date, servir de modèle aux Mahorais.
De surcroît, les Comores, indépendantes depuis 1975, ont connu trente coups d’État, la terreur des mercenaires de Bob Denard et la crise séparatiste d’Anjouan, la corruption, la mal-gouvernance, le déficit démocratique, entraînant la fuite des cerveaux vers la France métropolitaine et la Réunion ainsi qu’une émigration illégale massive vers Mayotte.
Face à ce tableau qui résume parfaitement les trente-quatre années d’indépendance des Comores, les Mahorais ne trouvent aucune raison de regretter d’avoir choisi de rester français ni, a fortiori, de renoncer à un ancrage plus fort de l’île dans la République à travers le statut départemental pour lequel ils se battent depuis cinquante ans.
Est-il besoin de rappeler que, comme cela a été indiqué par les intervenants précédents, Mayotte est française depuis 1841, non par conquête coloniale, mais par cession de son souverain, bien avant Nice et la Savoie, quarante-cinq ans avant les trois autres îles de l’archipel des Comores et cinquante-cinq ans avant Madagascar ?
Au cours de ces 168 ans, la population de Mayotte a été consultée quatre fois : d’une part, pour confirmer sa volonté de rester française ; d’autre part, pour choisir le statut de l’île dans la France.
Elle n’a connu jusqu’ici que des statuts provisoires : en 1976, avec celui de collectivité territoriale, et, en 2000, avec celui de collectivité départementale, qu’elle a conservé jusqu’à présent.
Certes, la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, en procédant à l’inscription nominative de Mayotte dans la Constitution, a permis de réaliser l’ancrage constitutionnel de l’île au sein de la République.
Désormais, l’article 53 le mentionne : « Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement des populations intéressées. »
Cependant, l’accord du 27 janvier 2000 sur l’avenir de Mayotte, approuvé par 73 % des Mahorais, vise l’identité législative. Cet objectif a été réalisé en grande partie par la loi du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer. En même temps, celle-ci exclut les Mahorais de l’égalité de droits et de devoirs dans des matières essentielles, telles que le droit fiscal et douanier, le droit de l’urbanisme, le droit social, le droit du travail, le droit des étrangers et les finances communales.
C’est pourquoi il convient de mettre en harmonie cet ancrage constitutionnel avec l’ancrage institutionnel en dotant l’île d’un statut durable : celui de département d’outre mer.
Cette consultation marque aussi une avancée diplomatique encore fragile qu’il conviendra de consolider dans le cadre des travaux du Groupe de travail de haut niveau, le GTHN, qui réunit la France et l’Union des Comores.
Comme vous le savez, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Mayotte constitue le seul territoire de la République à faire l’objet d’une revendication de la part d’un pays étranger.
En effet, l’île figure en même temps à l’article 72–3 de la Constitution de la République française et à l’article I de la Constitution de l’Union des Comores. De ce fait, au regard du principe de droit international qui énonce l’intangibilité des frontières issues de la colonisation, la France est accusée d’occupation de force à Mayotte, ce qui lui vaut, depuis l’indépendance des Comores, des condamnations rituelles de la part de la Ligue arabe, de l’Union africaine et de l’Assemblée générale des Nations unies.
Or, comme nous l’avons déjà dit plus haut, Mayotte a choisi librement la France par le traité de cession du 25 avril 1841, ratifié par le roi Louis-Philippe Ier, au nom du peuple français.
Ce choix a été confirmé à deux reprises : le 22 décembre 1974, lors de la consultation des populations des Comores, par 64,3 % des suffrages, et le 8 février 1976, par 99,3 % des voix, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Le Conseil constitutionnel a validé ces résultats, et force est de constater que, depuis une dizaine d’années, la France ne fait plus l’objet de condamnations systématiques en raison de sa présence à Mayotte. La départementalisation de Mayotte est donc une question de souveraineté qu’il convient de réaffirmer avec force au sein des instances régionales et internationales.
Les agitations actuelles de la diplomatie comorienne, relayées par l’Union africaine, sont sans conséquences sur la tenue de la consultation de la population de Mayotte, qui relève du droit interne français.
En revanche, les élus de Mayotte sont disposés à entamer un dialogue constructif avec l’Union des Comores, dès lors que celle-ci aura reconnu le choix du devenir français de Mayotte, afin de bâtir ensemble une coopération durable, pragmatique et mutuellement avantageuse, susceptible de favoriser des échanges de toute nature, la circulation des biens et des personnes, mais aussi l’adhésion de Mayotte à la charte des Jeux des îles de l’océan Indien, à la commission de l’océan Indien et aux autres organismes régionaux impliquant toute la zone de l’océan Indien.
Cette consultation résulte avant tout de la volonté politique d’un homme, Nicolas Sarkozy. Il est vrai que l’ancien Président de la République Jacques Chirac a apporté sa part dans le dossier de Mayotte ; il a notamment indiqué à l’ancien député de Mayotte, Mansour Kamardine, qu’il était favorable à l’avancement d’un an ou de deux ans de la clause de rendez-vous de 2010 prévue pour cette consultation par la loi du 11 juillet 2001 relative à Mayotte, consécutive à l’accord du 27 janvier 2000 sur l’avenir de Mayotte.
Et c’est fort de cet avis présidentiel que Mansour Kamardine a déposé un amendement avançant de 2010 à 2008 la date de cette consultation. En outre, l’ancien Président de la République a ajouté qu’il était également favorable à la mise en place d’un plan de rattrapage des minimas légaux applicables à Mayotte entre 2007 et 2010. L’absence d’un décret d’application et des financements nécessaires n’ont pas permis d’exécuter entièrement ce plan.
Mais, incontestablement, c’est à Nicolas Sarkozy que revient la part décisive dans l’aboutissement rapide de ce dossier.
D’abord, le Président de la République tient sa promesse en décidant d’organiser cette consultation le 29 mars 2009, par décret n°2009-67 du 20 janvier paru au Journal officiel de la République.
Ensuite, il envisage de se rendre à Mayotte, en 2009 nous l’espérons, pour partager ce moment historique avec les Mahorais.
Enfin, il porte moralement le pacte pour la départementalisation de Mayotte qui se donne pour ambition de réaliser l’égalité sociale avec la métropole et avec les autres départements d’outre-mer en une génération.
En cas de vote positif des Mahorais, ce document d’orientation retient le calendrier suivant.
En 2011, la concertation entre le Gouvernement et le conseil général de Mayotte devrait permettre de définir le calendrier et les modalités de transfert des compétences régionales et les ressources correspondantes.
Un plan de revalorisation des minima sociaux existants sera mis en place.
Les discussions entre la France et l’Union européenne se poursuivront en vue de faire de Mayotte une région ultrapériphérique de l’Europe avant 2013.
Les autres minima sociaux, dont le RSA, seront étendus à partir de 2012, à hauteur de 25 % de leur montant en métropole.
La fiscalité locale et la fiscalité douanière entreront en vigueur au 1er janvier 2014.
Le SMIC évoluera en fonction de la croissance économique.
L’État poursuivra ses efforts en matière d’intégration républicaine de manière à obtenir, à terme, un état civil fiable, une seule justice, l’égalité entre les hommes et les femmes, une maîtrise accrue de la langue française, un meilleur contrôle de l’immigration irrégulière.
Sur le plan économique, il faudra organiser la mise en œuvre du contrat de projet 2008-2014 et de certaines dispositions du plan de relance. Un fonds de développement économique, social et culturel sera mobilisé pour financer les opérations nouvelles. Tous les deux ans, un rapport évaluera l’impact des dépenses publiques et permettra les ajustements nécessaires.
Madame la ministre, mes chers collègues, comme vous pouvez le constater, la départementalisation de Mayotte est une grande ambition partagée. Elle marque non pas la fin d’une époque, mais le début de l’avenir de Mayotte dans la République. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)