M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour discuter de ce qui constitue le cœur même de la réforme constitutionnelle votée cet été, réforme que le Gouvernement vend, à qui veut l’entendre, comme étant un pas fondamental dans la valorisation des droits du Parlement.
Au premier titre des évolutions, conçues comme positives, se trouve, pour les parlementaires, le droit de déposer des résolutions. Cette idée, inscrite à l’article 34-1 de la Constitution, paraissait séduisante lorsque nous l’avions votée cet été.
Le principe semblait simple : les assemblées peuvent voter des résolutions dans les conditions fixées par la loi organique. Ainsi, on aurait pu penser que la loi organique ne concernerait que les conditions de vote et non le nombre, le champ ou la recevabilité de ces propositions de résolution.
L’article 34-1 vise, pour seule limite, le fait que ces résolutions ne peuvent avoir pour effet de mettre en cause la responsabilité du Gouvernement.
Or cet outil, que l’on nous a présenté comme un progrès, nous est aujourd’hui soumis assorti de contraintes qui ne correspondent plus à celles qui avaient été avancées lors de la réforme constitutionnelle !
Pis encore, de manière méthodique, le projet de loi organique s’applique à transformer ces résolutions en une formule insipide, dont, en réalité, on a du mal à évaluer la pertinence. Alors qu’il s’agissait d’une belle intention, nous voici saisis d’une chimère sous le contrôle étroit du Gouvernement.
Je prendrai l’exemple des conditions, draconiennes, qui sont imposées pour le contrôle de la recevabilité de ces propositions. Mes chers collègues, l’autonomie des assemblées parlementaires devrait justifier, dans le strict respect de la Constitution, une certaine latitude concernant le champ de ces résolutions. Elles devraient être cet outil dont nous avons tant besoin pour exprimer, sans normativité, des positions opposées à celles du Gouvernement, un outil à la disposition non pas uniquement de la majorité parlementaire, mais bien de tous les parlementaires, de tous les groupes politiques. Pourtant, le projet de loi organique soumet ces résolutions à un contrôle, pour le moins opaque, en vertu duquel le Gouvernement pourra, d’un revers de main, écarter une proposition de résolution qu’il aura jugée irrecevable. Pour un oui ou pour un non, une proposition de résolution ne sera même pas inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée !
En vertu de la Constitution, le seul motif d’irrecevabilité est pourtant assez clair : pas de mise en cause de la responsabilité du Gouvernement. Mais qu’en sera-t-il des propositions de résolution qui s’opposent à la politique du Gouvernement ? Seront-elles déclarées irrecevables ?
Le fait de s’opposer est-il considéré comme une mise en jeu de la responsabilité du Gouvernement ? Critiquer une politique inique, qui criminalise les pauvres, les étrangers, les précaires, est-ce mettre en jeu la responsabilité du Gouvernement ? Si tel est le cas, c’est tout le système du parlementarisme qu’il faut revoir, puisque la raison d’être d’une opposition, c’est, justement, de critiquer.
À quoi serviront donc ces résolutions ? Et de quelle nature seront les résolutions déclarées recevables ? Doit-on penser que seules les propositions de résolution de la majorité, qui disent tout le bien que pense cette dernière de la politique du Gouvernement, seront retenues ?
Au final, la procédure de contrôle que prévoira la future loi organique sera un frein à toute proposition constructive, à toute résolution exprimant une opinion qui ne soit pas conforme à la doctrine du Gouvernement. Ainsi, le Gouvernement fera ce qu’il veut, ne sera jamais contrôlé. Quelle conception de la démocratie parlementaire !
Aucun dispositif ne permettra en effet de contrôler le bien-fondé d’une décision d’irrecevabilité. Et les propositions de résolution s’entasseront, sans que leur utilité soit un jour prouvée.
Voilà donc ce qui nous attend en vertu de la procédure que vous nous proposez aujourd’hui : un filet aux mailles tellement serrées que seuls le suivisme et l’indigence pourront filtrer… Pour le reste, l’irrecevabilité sera de mise.
Sur ce point, d’ailleurs, il faut noter l’empressement de notre rapporteur, M. Hyest, à compléter le dispositif de manière que, si une proposition de résolution venait à filtrer, elle ne soit pas votée à la majorité absolue.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais si !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Le mode de votation de ces résolutions est aussi important que les conditions de leur recevabilité, mes chers collègues. Or, que nous prépare-t-on ? Des résolutions votées à la majorité qualifiée ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pas du tout ! C’est à la majorité simple !
Mme Alima Boumediene-Thiery. C’est l’objet même d’un amendement qui tend à supprimer littéralement le mode de scrutin. Nous reviendrons sur ce point, monsieur le rapporteur !
La raison est simple : si l’Assemblée nationale est parvenue à un accord sur ce mode de scrutin, c’est parce que le Gouvernement y dispose d’une majorité confortable; ce qui n’est pas le cas dans cet hémicycle. Et je crains que le mode de scrutin ne nous revienne un jour, dans le règlement, sous la forme d’une majorité qualifiée.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas possible !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Permettez-moi de rappeler que l’article 34-1 fait directement référence aux conditions de vote des résolutions : supprimer le mode de scrutin revient à amputer la loi organique de l’une de ses raisons d’être ! Et je doute que cette suppression échappe à la vigilance du Conseil constitutionnel !
C’est ainsi que la loi organique rendra ce droit de résolution impossible à exercer efficacement De surcroît, nous avons toutes les raisons de penser que les propositions de résolution ne serviront à rien, si ce n’est, pour la majorité, à témoigner son soutien à la politique du Gouvernement. Encore une fois, les grands perdants seront les groupes minoritaires et de l’opposition.
Je souhaite illustrer le marché de dupes que vous nous proposez en prenant l’exemple d’une proposition de résolution qui serait déposée dans le cadre d’une niche parlementaire. Alors même que cette niche constitue, pour les groupes minoritaires ou de l’opposition, la seule garantie de voir leurs initiatives faire l’objet de débats dans cette enceinte, le Gouvernement pourra, sans même avoir à motiver sa décision, refuser à un groupe d’inscrire une proposition de résolution dans le cadre de cette niche. Autrement dit, ce que l’on nous a vendu comme une valorisation des droits du Parlement et des groupes d’opposition devient une arme pour museler les parlementaires et nier ces mêmes droits.
Voici donc l’esprit de cette réforme : permettre au Gouvernement, pour compenser la perte du contrôle d’une partie de l’ordre du jour, de s’immiscer dans ce qui est pourtant l’affaire exclusive des parlementaires.
À cet égard, nous refusons absolument que le Gouvernement puisse assister aux délibérations des commissions et user ainsi de son influence pour peser sur le vote des amendements.
Je note, à cet égard, le courage de M. Mariani, qui s’est opposé à cette mesure, conscient du danger que constitue une telle possibilité.
Cette remarque me permet d’aborder la question du droit d’amendement des parlementaires, qui constitue, de loin, le point le plus controversé de ce projet de loi organique. Je vous le dis sans détour : l’article 13 de ce texte est scandaleux. Il est l’expression d’une défiance insupportable à l’égard du Parlement, réputé incapable de s’auto-discipliner.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. C’est bien vrai !
Mme Alima Boumediene-Thiery. L’article 40 de la Constitution n’y suffisait pas : il fallait aller encore plus loin pour transformer le Parlement en classe d’école, où chacun ne peut parler que si le maître l’a décidé. Ce tour de vis me semble incompatible avec les attentes des citoyens, qui nous demandent de porter dans cette enceinte des positions qui méritent un débat, une discussion et un vote en séance publique. Les citoyens doivent savoir comment se fabriquent nos lois et quel est le poids de chacun dans leur élaboration.
Ce projet de loi organique, en restreignant le droit d’amendement en séance publique, organise ce qu’à Bruxelles on nomme la « comitologie » : la loi se fera dans les couloirs plus que dans l’hémicycle et les citoyens n’auront plus accès à ce qui fait l’essence même de notre activité : le droit de regard.
On m’opposera sans doute que ce dispositif ne concerne pas le Sénat. L’obstruction parlementaire n’existe évidemment pas dans cette enceinte. Mais alors, pourquoi ne pas laisser le soin à chaque assemblée de décider, sans loi organique, la manière dont elle entend organiser ses débats ?
Conformément au principe existant rappelé par M. Hyest, pourquoi ne pas laisser chaque chambre, dans le respect de l’autonomie des assemblées, décider ce qui convient le mieux pour elle ?
Examiné de plus près, l’article 13 de ce projet de loi organique dégage une odeur d’antiparlementarisme primaire. Qui vise-t-il ? Certainement pas la majorité des parlementaires de droite, qui ne se sont jamais risqués à cet exercice. Le droit d’amendement ne concerne, en réalité, que l’opposition, à l’exception notable de plusieurs sénateurs de droite qui en usent quelquefois à bon escient. Il est le seul outil dont nous, sénatrices et sénateurs appartenant aux groupes minoritaires ou de l’opposition, pouvons user à volonté pour faire valoir nos positions.
Limiter notre droit d’amendement, c’est limiter notre capacité d’opposition.
Limiter notre droit d’amendement, c’est nous brimer dans notre capacité d’indignation.
Limiter notre droit d’amendement, c’est simplement nier notre liberté de contribuer à l’élaboration de la loi.
Pourtant, comble d’une « valorisation » des droits du Parlement, nous savons que cet épisode de l’article 13 est déjà derrière nous : seul le vote conforme de cet article épargnera une nouvelle discussion en seconde lecture.
Voilà donc la conception que vous nous offrez des droits du Parlement et de l’opposition : discuter d’une disposition déjà ficelée, qui ne souffrira aucune modification. Je trouve cette méthode très inquiétante pour un État démocratique. C’est notre République parlementaire qui est en danger.
Pour toutes ces raisons, essentielles à la vie parlementaire, les sénatrices et sénateurs Verts ne voteront pas ce projet de loi organique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François Rebsamen.
M. François Rebsamen. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, même s’il faut prendre des précautions dans la présentation, même s’il faut faire preuve de pédagogie dans l’explication, personne ne contestera que notre pays, l’Europe et le monde sont confrontés à une crise financière et économique d’une ampleur inégalée qui remet en cause les fondements du capitalisme.
Des milliers d’emplois sont supprimés à travers le monde ; des pans entiers du secteur industriel sont en péril ; une sourde menace pèse sur des centaines de milliers de familles ; l’inquiétude face à la montée inexorable du chômage et devant l’avenir est là, bien présente.
Ce constat est, j’en suis sûr, largement partagé par nos concitoyens, à tel point que, de plus en plus, fleurit du côté de la majorité – il est vrai, bien souvent, pour des raisons purement tactiques – l’idée qu’il faudrait une sorte d’unité nationale à durée limitée pour faire face à la crise.
Nombre de nos concitoyens attendent sans doute que, pour une fois, majorité et opposition unissent leurs efforts pour les aider et aider le pays à chercher des solutions concrètes pour sortir de la crise ou, au moins, pour y faire face. Et on peut les comprendre.
J’ai souhaité moi-même un vrai pacte de confiance et d’action entre l’État et les collectivités locales pour soutenir l’investissement et pour agir concrètement en faveur de nos concitoyens. Or, dans le même temps, le Président de la République annonçait à la télévision, sans concertation, la disparition, dès 2010, de la taxe professionnelle.
Faut-il rappeler que cette taxe est l’une des principales sources de financement des collectivités locales, qui réalisent à elles seules près de 75 % de l’investissement public ?
M. Gilbert Barbier. Quel rapport ?
M. François Rebsamen. Annonce paradoxale donc que celle qui vise à déstabiliser les acteurs centraux de ces investissements, mesure pourtant phare du plan de relance...
Si vous partagez mon analyse, mes chers collègues, vous en partagerez les conclusions : seul un pays qui sait se rassembler pourra surmonter une telle dépression.
Il ne s’agit pas de minimiser l’erreur que constitue, selon nous, l’absence de mesures spécifiques pour soutenir le pouvoir d’achat et la consommation dans le plan gouvernemental. Il s’agit de montrer à notre pays quelles devraient être les voies d’une démocratie apaisée.
Aussi, une seule et vraie question mérite d’être posée à l’occasion de l’examen de ce projet de loi organique et, notamment, mais pas uniquement, de son article 13 : pourquoi diviser, pourquoi provoquer l’opposition à un tel moment de la vie économique et sociale de notre pays ? Car vous saviez très bien que, face à cette disposition qui vise à limiter tout à la fois le temps de parole de l’opposition au Parlement et le droit d’amendement de chaque parlementaire, nous ne pourrions rester sans réagir, car elle entre en contradiction avec un des principes fondamentaux de la démocratie : l’existence de contre-pouvoirs.
Ces contre-pouvoirs sont aujourd’hui mis en cause : l’audiovisuel public, la presse – je ne parlerai pas de la fonction publique, que je ne considère pas comme un contre-pouvoir, bien qu’elle connaisse des révocations sans précédent –, les collectivités locales et, pour finir, le Parlement, où le temps de parole des opposants pourrait ainsi être limité, compté.
Il est loin le temps où le Président de la République écrivait : « Je renforcerai les pouvoirs [du Parlement], notamment de l’opposition, parce que je ne veux pas gouverner seul et que je pense qu’une démocratie se protège des risques de dérive lorsqu’elle est capable d’organiser et d’accepter ses propres contre-pouvoirs ».
Permettez-moi de prendre deux exemples.
Premier exemple, les collectivités locales. À la question de savoir si la France compte trop de collectivités locales, la réponse du Président de la République est assez simple : il y a, en France, trop de collectivités locales… de gauche (M. Jean-Pierre Michel applaudit), donc il faut en supprimer un niveau. Si les associations d’élu – l’association des maires des grandes villes de France, l’association des départements de France, l’association des régions de France -, étaient présidées par des élus de l’UMP, qui peut croire que la suppression d’un niveau de collectivité aurait été envisagée ? D’ailleurs, lorsque le Président de la République était ministre de l’intérieur, avant 2004, cette question n’avait jamais été posée.
Mais prenez garde, car notre histoire électorale récente nous apprend que les Françaises et les Français apprécient les contre-pouvoirs. Or la droite ne sera pas toujours au pouvoir au niveau national, de cela, je suis sûr.
Deuxième exemple, le Parlement. Il ne suffit pas au Président de la République d’exercer tous les pouvoirs, qu’il s’agisse du droit de dissolution, du droit de s’exprimer quand bon lui semble devant le Parlement, sans même que celui-ci ait le droit de répondre, ni au Gouvernement de disposer de la procédure prévue à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, qui est maintenue. Ce que le président Hyest a dit tout à l’heure – je l’ai écouté avec un grand intérêt – est vrai : le droit d’amendement est encadré dans d’autres démocraties européennes, mais elles n’accordent pas les mêmes pouvoirs personnels au chef de l’exécutif, notamment le droit de dissolution.
Aujourd’hui, le Gouvernement veut limiter les droits de l’opposition, le droit de s’exprimer et le droit d’amender. Ce quinquennat a deux ans, et déjà Napoléon perce sous Bonaparte !
Il n’aura échappé à personne que les modifications de la Constitution débattues aujourd’hui – nous parlons ici pour tous les parlementaires, et pas uniquement pour le Sénat – ont fait grand bruit à l’Assemblée nationale, même si visiblement le Gouvernement a souhaité faire la sourde oreille. Après un Président de la République quasi aveugle, qui ne voit pas les grèves, voilà un Gouvernement qui n’entend pas les revendications !
Ce texte est largement et ouvertement critiqué par nos collègues députés, car il est incomplet et ne répond pas à l’ambition affichée de rééquilibrage des pouvoirs au profit du Parlement. Comble de l’ironie, il revient même sur un droit fondamental du parlementaire et affiche des dispositions qui reviennent, ou pourraient revenir, sur l’autonomie de notre assemblée !
L’équilibre des pouvoirs est un élément fondamental de notre démocratie. Pourtant, ce projet de loi organique contient des dispositions qui menacent cet équilibre fragile ! Je vous renvoie ici à ce que notre rapporteur écrit lui-même à ce sujet.
S’agissant du respect de l’équilibre des pouvoirs, le Gouvernement marche visiblement sur un fil, car la frontière est ténue qui nous sépare encore d’un régime que je qualifierais de « césariste ». Cela relève de notre responsabilité à tous, nous parlementaires siégeant au sein d’une assemblée qui a su par le passé s’opposer à des projets contraires à l’intérêt général.
Si le « Président de la parole » veut imposer le silence au Parlement, il faut le dire clairement.
Pourtant, et nous le démontrerons, il est possible, dans le cadre de ce projet de loi organique, de conforter les droits du Parlement, la sincérité des débats et l’expression de tous en évitant que les débats ne se prolongent excessivement, par exemple, à l’article 11, en interdisant au Gouvernement de déposer sur ses propres projets de loi des amendements tendant à insérer des articles additionnels. Voilà une manière de rationaliser le temps du débat parlementaire ! On pourrait aussi bien ne pas laisser le Gouvernement assister aux votes qui ont lieu en commission.
Il y va d’un intérêt supérieur, celui de la capacité de débattre et de la liberté de voter, pour nous tous, qui représentons ici la nation !
Je ne voudrais pas m’étendre trop longtemps sur les différents articles, mais je ne peux que contester le contenu de l’article 12, qui nous semble avoir pour objectif finalement d’interdire l’exercice du droit d’amendement en séance publique, sous prétexte qu’il faudrait gagner du temps !
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Notre collègue ne sait pas lire !
M. François Rebsamen. Rappelons d’ailleurs que le Conseil constitutionnel avait censuré une mesure semblable en 1990…
La responsabilité de l’embouteillage parlementaire, vous le savez très bien, incombe d’abord à l’exécutif, du fait même du nombre et de l’ampleur des projets de loi soumis au Parlement.
Mais c’est bien l’article 13 de ce projet de loi organique qui est au cœur des débats. Je reprendrai donc l’excellente argumentation de notre collègue Bernard Frimat.
La majorité nous dit que le temps global ne sera pas appliqué au Sénat. Très bien ! Mais la meilleure garantie à cet égard reste encore de ne pas voter l’article 13. Si vous le votez, chers collègues, c’est uniquement pour permettre son application à l’Assemblée nationale aujourd’hui et, demain ou après-demain, au Sénat...
Possédé par un désir quasi frénétique de tout changer, le Président de la République s’attaque maintenant à nos institutions. Nous devons nous rendre à l’évidence et nous résoudre à la triste vérité qui s’offre à nos yeux : le Président de la République peut être au centre de tout, avoir le pouvoir de se montrer partout, être contre tout, car il est « césariste » dans l’âme, ou plus exactement en diable ! Mais le pouvoir parlementaire, lui, ne se négocie pas et la vraie réforme du Parlement doit se faire sur un autre terrain. Nous ne pouvons accepter, mes chers collègues, le dessein inavoué et dissimulé de démanteler le droit à l’expression de ceux qui osent commettre le crime de lèse-majesté de garder tout simplement une certaine liberté de penser !
À propos des fondements constitutionnels des droits de l’opposition, je n’aurai pas la cruauté de rappeler trop longuement les promesses du candidat Sarkozy, qui se déclarait favorable à un véritable statut des groupes minoritaires au Parlement, au renforcement du financement des partis politiques ou à l’élargissement des pouvoirs des commissions d’enquête parlementaires. Que reste-t-il de toutes ces promesses de campagne ? Rien !
On l’aura bien compris : le dérèglement de notre système constitutionnel est en vue. Il faut s’y opposer, au nom de la démocratie et de la liberté.
Il va falloir se battre, parce que la République ne se réduit pas à des institutions ni à des procédures, elle consiste aussi en un ensemble de valeurs partagées. C’est notre devoir de citoyens, d’élus et de parlementaires de défendre cette conception !
Même le président du Conseil constitutionnel, Jean-Louis Debré, l’a rappelé, s’offusquant à demi-mot, et nous, sénateurs, pouvons comprendre qu’il insiste sur l’importance de l’Assemblée nationale au regard de l’expression des idées, notamment de l’opposition, et qu’il souligne que, pour la pérennité de la République, « chacun doit pouvoir estimer être entendu », c'est-à-dire suffisamment entendu. Il ajoute : « C’est là où doit s’exprimer chaque individu qui a quelque chose à dire. Il est donc important de laisser s’exprimer notamment l’opposition, quelle que soit cette opposition, de droite ou de gauche. »
Le Sénat a déjà démontré sa capacité de résistance à des mesures qui vont à l’encontre des droits fondamentaux, de notre démocratie et de notre République.
On ne saurait laisser balayer d’un revers de la main les droits des parlementaires, comme on balaie un préfet qui ne marche pas au pas. On ne saurait mettre au pas le Parlement pour mieux continuer au pas de course d’appliquer réformes sur réformes, sans la moindre concertation.
Mes chers collègues, l’article 13 a tout simplement pour objet et pour objectif de scléroser la parole de l’opposition dans le débat parlementaire. La démocratie est un bien précieux : puisque la possibilité de penser différemment la fait vivre, continuons ensemble à faire vivre ce principe !
Pour conclure sur l’enjeu qui est ici celui des acquis démocratiques, vous me permettrez une citation dont vous retrouverez sûrement l’origine : « Les conquêtes sont aisées à faire, parce qu’on les fait avec toutes ses forces ; elles sont difficiles à conserver, parce qu’on ne les défend qu’avec une partie de ses forces. » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à l’issue de cette discussion générale, je ne peux que me réjouir du ton employé par chacun d’entre vous, même si tous vos propos ne vont pas dans le sens que j’aurais souhaité.
Chaque intervenant a fait part de ses convictions avec fermeté, sans concession, mais sans agressivité. Les exhortations du président Hyest à débattre du fond ont donc été entendues.
Je ne vais pas revenir sur tous les points abordés, puisque nous aurons l’occasion de le faire pendant plusieurs jours, mais je voudrais d’emblée apporter les précisions que m’inspirent certaines interventions.
S’agissant des propositions de résolution, je ne partage évidemment pas le scepticisme de Mme Boumediene-Thiery. Le droit de résolution constituera bien un nouveau droit pour les parlementaires, et il s’exercera dans les conditions prévues par l’article 34-1 de la Constitution. Je tiens d’ailleurs à vous rassurer, madame la sénatrice, sur la question de la majorité qualifiée : faute, pour la loi organique, de prévoir une telle majorité, les règlements des assemblées ne pourront la prévoir eux-mêmes. C’est-à-dire que ce n’est pas à l’occasion du débat qui se tiendra plus tard sur la modification du règlement que l’on pourra introduire une disposition imposant une majorité qualifiée : la loi organique ne l’ayant pas prévu, le règlement ne pourra pas aller plus loin.
M. Mercier a donné une définition de la résolution très juste, comme souvent : il s’agira d’un vœu qui ne sera pas contraignant, ce qui ne signifie pas qu’il sera pour autant sans portée. M. Portelli a d’ailleurs parfaitement rappelé qu’il faudrait faire un usage responsable de ce nouveau droit. Nous observerons certainement des évolutions dans la pratique d’un droit qui n’a pas été utilisé depuis cinquante ans et nous verrons bien la place qu’il prendra à l’avenir dans la vie parlementaire.
En ce qui concerne les études d’impact, vous avez, pour la plupart, reconnu leur intérêt. Le président Hyest comme le doyen Gélard ont rappelé, à juste titre, la longue quête pour tenter de donner corps à ces études et la conclusion logique de ces longues années d’échec : la nouvelle rédaction de l’article 39 issue de la révision constitutionnelle. Je me réjouis que même Mme Borvo Cohen-Seat, pourtant assez critique – c’est le moins que l’on puisse dire – à l’égard de l’ensemble de ce projet de loi organique, ait pu émettre quelques appréciations positives sur les études d’impact.
Monsieur le président Mercier, monsieur le doyen Gélard, vous avez raison : les études d’impact doivent rester des instruments simples ; elles ne doivent pas devenir plus importantes que les lois elles-mêmes. Elles devront être synthétiques, sincères et complètes et respecter la répartition des pouvoirs définie aux articles 34 et 37 de la Constitution, mais aussi à l’article 38, lorsqu’il s’agira pour le Gouvernement de prendre des ordonnances.
M. Frimat a cité Montesquieu. Permettez-moi de le faire à mon tour : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. »
M. Bernard Frimat. Je ne vous le fais pas dire ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat approuve.)
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Les études d’impact devraient nous aider à respecter ce précepte. Mais, au passage, je ne peux laisser affirmer comme vous l’avez fait que les lois présentées par ce gouvernement aient été précipitées. Le projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, le projet de loi de programme relatif à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement, le projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, pour ne citer que des exemples récents, vous démentent assez largement, parce que ces textes ont fait l’objet d’un travail préparatoire de plusieurs mois avant de trouver leur conclusion parlementaire.
En ce qui concerne le droit d’amendement et le temps programmé, qui sont au cœur de ces débats, Mme la présidente Borvo Cohen-Seat a fait un intéressant rappel historique pour tenter d’établir que nous voulions bafouer le droit d’amendement qui constitue pourtant le socle de la tradition parlementaire française. Je ne reviens pas sur les interventions de MM. Frimat, Mermaz, Sueur et Rebsamen : permettez-moi de vous dire que je m’inscris en faux contre cette interprétation de l’article 13.
Comme l’a souligné Michel Mercier, cet article, qui ne crée par le temps programmé, se contente d’indiquer que, si ce temps programmé était mis en œuvre, les amendements non présentés seraient en tout état de cause mis aux voix.
Sans verser dans le paradoxe, on peut parfaitement voir dans cet article 13 une forme de garantie du droit d’amendement, contrairement aux systèmes de clôture ou de guillotine, sur le modèle de ceux qui existent dans un certain nombre de pays voisins, qui empêcheraient le vote même de ces amendements.
Monsieur Sueur, permettez-moi de vous dire que l’obstruction n’a rien à voir avec le droit d’amendement ; c’en est même, d’une certaine façon, un dévoiement. Ce n’est pas un droit, c’est un abus de droit.
Monsieur Rebsamen, vous dites que les projets de loi divisent et que, parfois, l’obstruction est un élément porteur, au-delà du projet. Je regrette, mais l’obstruction peut être aussi un élément de division dans la mesure où elle masque et parfois noie le débat démocratique de fond.